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16/12/2011 | CANADA | N°2011_CSC_63

Canada | Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63 (16 décembre 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63

Date : 20111216

Dossier : 33283

Entre :

Copthorne Holdings Ltd.

Appelante

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 128)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charr

on et Cromwell)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63

Date : 20111216

Dossier : 33283

Entre :

Copthorne Holdings Ltd.

Appelante

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 128)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

copthorne holdings ltd. c. canada

Copthorne Holdings Ltd. Appelante

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : Copthorne Holdings Ltd. c. Canada

2011 CSC 63

No du greffe : 33283.

2011 : 21 janvier; 2011 : 16 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Desjardins, Evans et Ryer), 2009 CAF 163, 392 N.R. 29, [2009] 5 C.T.C. 1, 2009 D.T.C. 5101, [2009] A.C.F. no 625 (QL), 2009 CarswellNat 3910, qui a confirmé une décision de la juge Campbell, 2007 CCI 481, [2008] 1 C.T.C. 2001, 2007 D.T.C. 1230, [2007] A.C.I. no 335 (QL), 2007 CarswellNat 6138. Pourvoi rejeté.

Richard W. Pound, c.r., et Pierre‑Louis Le Saunier, pour l’appelante.

Wendy Burnham, Deen Olsen et Eric Noble, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Rothstein —

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphe

I. Introduction............................................................................................................ 1

II. Résumé des faits..................................................................................................... 7

III. Cour canadienne de l’impôt.................................................................................. 21

IV. Cour d’appel fédérale........................................................................................... 29

V. Analyse................................................................................................................ 32

A. Introduction........................................................................................................ 32

B. Y a‑t‑il eu avantage fiscal?................................................................................. 34

C. L’opération ayant généré l’avantage fiscal était‑elle une opération d’évitement?....................................................................................................... 39

(1) Y a‑t‑il eu une série d’opérations dont a découlé un avantage fiscal?...................... 42

(2) L’une ou l’autre des opérations de la série alléguée constitue‑t‑elle une opération d’évitement?......................................................................................................... 59

D. L’opération d’évitement conférant un avantage fiscal était‑elle abusive?........ 65

(1) Les dispositions pertinentes................................................................................... 74

(2) Dans l’application de quelles dispositions y a‑t‑il abus?.......................................... 85

(3) L’objet et l’esprit du paragraphe 87(3)................................................................. 87

(a) Le texte de la disposition.................................................................................... 88

(b) Le contexte de la disposition.............................................................................. 91

(i) Le régime établi par la Loi en matière de CV......................................................... 92

(ii) Principe de non‑consolidation............................................................................... 97

(iii) Pertinence des dispositions relatives au gain en capital......................................... 100

(iv) Nature « in rem » du CV................................................................................... 104

(v) Règle de la minimisation du CV........................................................................... 106

(vi) Expressio Unius est Exclusio Alterius.............................................................. 108

(vii) Conclusion de l’analyse contextuelle.................................................................... 112

(c) L’objet des dispositions.................................................................................... 113

(d) Conclusion relative à l’objet ou à l’esprit de l’exception prévue au paragraphe 87(3)......................................................................................... 122

(4) Y a‑t‑il abus dans l’application des dispositions de la Loi?................................... 123

VI. Conclusion......................................................................................................... 128

ANNEXE A — Faits en détail

ANNEXE B — Dispositions pertinentes

I. Introduction

[1] Le présent pourvoi porte sur le capital versé (« CV ») d’une société, lequel s’entend, sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), du capital que l’actionnaire investit dans une catégorie d’actions. Lorsque la société rachète en totalité ou en partie cette catégorie d’actions, la portion de la somme versée à l’actionnaire qui excède le CV des actions rachetées est réputé constituer un dividende qui doit être inclus dans le revenu de l’actionnaire, alors que la portion correspondant au CV ne s’ajoute pas ainsi au revenu, car elle est considérée comme un remboursement de capital.

[2] En règle générale, lorsque deux sociétés fusionnent, il y a cumul du CV de leurs actions pour former le CV des actions de la société issue de la fusion. Toutefois, lorsqu’il y a fusion entre une société mère et une filiale — on parle alors de fusion « verticale » — , ce cumul n’a pas lieu et le CV des actions de la filiale détenues par la société mère est plutôt annulé.

[3] En l’espèce, une société mère et sa filiale sont devenues, au terme d’une série d’opérations, des sociétés « sœurs », c’est‑à‑dire des sociétés appartenant directement au même actionnaire, puis ces sociétés sœurs ont fusionné « horizontalement ». Si elles avaient encore été une société mère et une filiale, le CV des actions de la filiale aurait été annulé par la fusion, mais comme elles étaient devenues des sociétés sœurs, le CV des actions de l’une s’est ajouté au CV des actions de l’autre pour former le CV des actions de la société issue de la fusion.

[4] La société issue de la fusion a ensuite racheté un bloc important de ses actions et versé l’équivalent de leur CV à son actionnaire non résident. Le paiement n’a pas été considéré comme un revenu imposable, mais plutôt comme un remboursement de capital à l’actionnaire.

[5] Nulle disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu n’exigeait expressément, dans ce cas, que le remboursement du CV soit assimilé à un paiement imposable. Le ministre du Revenu national a néanmoins conclu que les opérations à l’issue desquelles la société mère et sa filiale étaient devenues des sociétés sœurs avaient contourné l’application de certaines dispositions de la Loi de manière abusive, et contrevenu ainsi à l’art. 245 de la Loi (la règle générale anti‑évitement ou « RGAÉ »). En application de la RGAÉ, le ministre a conclu que la fusion de la filiale avec sa société mère aurait dû annuler le CV des actions de la filiale. Si le CV des actions de la société issue de la fusion avait été réduit, la tranche de la somme versée à l’actionnaire qui excédait le CV réduit aurait constitué un dividende réputé imposable. La société issue de la fusion a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour la retenue d’impôt non remise sur la portion de la somme touchée par l’actionnaire non résident lors du rachat qui constituait un dividende réputé. La Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale ont confirmé les nouvelles cotisations (2007 CCI 481, [2008] 1 C.T.C. 2001; 2009 CAF 163, 392 N.R. 29).

[6] Compte tenu de l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions pertinentes de la Loi, je conclus bien humblement que les opérations en cause ont à juste titre fait l’objet des nouvelles cotisations en vertu de la RGAÉ. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.

II. Résumé des faits

[7] Voici quels sont les faits à considérer pour statuer sur la question en litige. Je reprends pour l’essentiel le résumé figurant dans les motifs de la Cour d’appel fédérale et établi à partir de l’exposé conjoint des faits des parties. L’annexe A donne le détail de la suite complexe d’opérations.

[8] Li Ka‑Shing et son fils, Victor Li, contrôlent un groupe de sociétés canadiennes et de sociétés non résidentes (le « groupe Li »). Le groupe Li a investi 96 736 845 $ dans l’une d’elles, VHHC Investments Ltd., laquelle a acquis toutes les actions de VHHC Holdings Ltd. au prix de 67 401 279 $. À la fin de 1991, le CV des actions de VHHC Investments était de 96 736 845 $, et celui des actions de VHHC Holdings, de 67 401 279 $.

[9] VHHC Holdings détenait directement, ou par l’intermédiaire de sa filiale VHSUB Holdings Inc., des actions de Husky Oil Ltd. En 1991, la valeur marchande des actions de Husky a reculé, de sorte que VHSUB avait à leur égard une perte en capital non réalisée.

[10] Copthorne Holdings Ltd. (« Copthorne I ») était une filiale à cent pour cent de Big City Project Corporation B.V. (« Big City »), une société du groupe Li constituée aux Pays‑Bas. Copthorne I a acheté en 1981 l’hôtel Harbour Castle, qu’elle a ensuite vendu en 1989, et réalisé alors un gain en capital substantiel.

[11] À la fin de 1991, la juste valeur marchande des actions de VHSUB était symbolique, mais leur prix de base rajusté était de 84,3 millions de dollars, ce qui représentait la perte en capital accumulée sur les actions de Husky. En 1992, VHHC Investments a vendu à Copthorne I, à un prix symbolique, ses actions ordinaires de VHHC Holdings dont le CV était de 67 401 279 $. VHHC Holdings a ensuite vendu la majorité de ses actions de VHSUB à Copthorne I (qui a dès lors bénéficié du prix de base rajusté élevé grâce à la règle relative à la minimisation des pertes), laquelle a à son tour vendu les actions de VHSUB à un acquéreur non apparenté, à leur juste valeur marchande, et ainsi réalisé la perte en capital. Copthorne I a donc pu reporter sur une année antérieure la perte en capital subie relativement aux actions de VHSUB Holdings pour mettre à l’abri de l’impôt le gain en capital tiré de la vente de l’hôtel Harbour Castle.

[12] En 1993, le groupe Li a décidé de fusionner Copthorne I, sa filiale à cent pour cent VHHC Holdings et deux autres sociétés. Il est alors apparu que, VHHC Holdings étant une filiale à cent pour cent de Copthorne I, la fusion pure et simple des deux aurait éliminé le CV de 67 401 279 $ des actions de VHHC Holdings, mais que, si VHHC Holdings et Copthorne I étaient des sociétés « soeurs », leur fusion donnerait lieu au cumul du CV des actions de l’une et de l’autre. Pour éviter l’élimination du CV des actions de VHHC Holdings, le 7 juillet 1993, Copthorne I a donc vendu ses actions de VHHC Holdings à Big City, sa société mère, à leur juste valeur marchande, qui était symbolique. Le 1er janvier 1994, Copthorne I, VHHC Holdings et deux autres sociétés ont fusionné pour donner naissance à Copthorne Holdings Ltd. (« Copthorne II »). Toutes les actions émises de Copthorne II étaient la propriété de Big City. Le CV des actions de Copthorne II détenues par Big City était essentiellement celui des actions de VHHC Holdings (67 401 280 $) puisque le CV des actions des autres sociétés fusionnantes était symbolique.

[13] Copthorne I avait investi le produit tiré en 1989 de la vente de l’hôtel Harbour Castle dans Copthorne Overseas Investment Ltd. (« COIL »), filiale à cent pour cent constituée à la Barbade et exerçant des activités de négociation d’obligations à Singapour. En réaction à l’annonce en juin 1994 de la modification des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu applicables au revenu étranger accumulé, tiré de biens (le « RÉATB »), le groupe Li a décidé de disposer de l’entreprise exploitée par COIL en la cédant à une autre de ses entités et de transférer à l’étranger la totalité ou une partie du produit de la disposition.

[14] Pour ce faire, la société L.F. Investments (Barbados) Ltd. (« L.F. Investments ») a été constituée à la Barbade en 1994. Elle a acquis toutes les actions émises de Copthorne II et de VHHC Investments. La disposition de ces actions par Big City a donné lieu à un gain en capital, lequel n’était toutefois pas imposable. En effet, une convention fiscale liant le Canada et les Pays‑Bas prévoit que, sauf les exceptions énumérées, le gain en capital réalisé par une résident néerlandais (Big City) n’est pas imposable au Canada. Ces deux sociétés et deux autres sociétés du groupe Li ont fusionné le 1er janvier 1995 pour former Copthorne Holdings Ltd. (« Copthorne III »). L.F. Investments a alors obtenu 164 138 025 actions privilégiées de catégorie D (les « actions de catégorie D ») dont la valeur de rachat globale, la juste valeur marchande et le CV s’élevaient à 164 138 025 $, soit 1,00 $ par action. Essentiellement, le CV des actions de catégorie D correspondait à la somme du CV des actions de VHHC Investments à la fin de 1991 et du CV des actions de VHHC Holdings découlant des souscriptions d’actions effectuées par VHHC Investments.

[15] Immédiatement après la fusion, Copthorne III a racheté 142 035 895 de ses actions de catégorie D détenues par by L.F. Investments, une société non résidente, au prix de 142 035 895 $. Puisque le prix n’excède pas le CV des actions de catégorie D, le rachat n’a pas donné lieu à un dividende réputé suivant la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, Copthorne III n’a ni retenu ni remis d’impôt pour le compte de L.F. Investments.

[16] Le ministre a établi une cotisation à l’égard de Copthorne III en appliquant la RGAÉ, ce qui a réduit le CV de ses actions de catégorie D de 67 401 280 $, à savoir la portion du CV attribuable aux actions de VHHC Holdings.

[17] Le ministre estimait que le rachat d’actions par Copthorne III avait donné lieu à un dividende réputé de 58 325 223 $, lequel représentait la portion du rachat attribuable au CV des actions de VHHC Holdings, dont il aurait fallu retenir 15 pour cent. Il a donc fixé l’impôt exigible à 8 748 783,40 $, ce à quoi s’ajoutait une pénalité équivalant à 10 pour cent de cette somme.

[18] Dans une opération indépendante effectuée en 2002, Copthorne III a fusionné avec cinq autres sociétés du groupe Li pour devenir Copthorne Holdings Ltd., l’appelante dans le présent pourvoi.

[19] Copthorne a fait opposition à la cotisation, mais le ministre a confirmé celle‑ci. Copthorne a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

[20] Le ministre a eu gain de cause, mais la pénalité a été annulée. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Copthorne se pourvoit aujourd’hui devant notre Cour.

III. Cour canadienne de l’impôt

[21] La juge Campbell de la Cour canadienne de l’impôt conclut que les éléments nécessaires à l’application de la RGAÉ sont tous établis : une série d’opérations, un avantage fiscal, une opération d’évitement et le caractère abusif de l’opération.

[22] Se fondant sur l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, elle statue qu’une opération liée fait partie d’une série d’opérations si elle est terminée en vue de réaliser la série « non pas dans le sens d’une connaissance véritable, mais dans le sens plus général de "en raison de" ou "relativement à" la série » (Trustco, par. 26), et que l’opération liée peut survenir avant ou après la série.

[23] Elle conclut à l’existence d’un « lien étroit » entre le rachat des actions de Copthorne III, qu’elle considère comme l’opération liée, et la série d’opérations, dont la vente en 1993 de VHHC Holdings à Big City afin de préserver son CV et la fusion subséquente de Copthorne I et de VHHC Holdings, car le rachat a clairement été effectué en raison de la vente des actions en 1993 (par. 39‑40). Elle conclut que toutes les opérations en cause peuvent être considérées comme une « série d’opérations » pour l’application de la RGAÉ.

[24] Elle estime aussi que la préservation du CV a réduit l’obligation fiscale de L.F. Investments, que Copthorne III était tenue de retenir et de remettre l’impôt exigible et que cette réduction d’impôt constituait un avantage fiscal.

[25] Elle signale en outre qu’une opération d’évitement s’entend d’une opération qui n’est pas « effectuée[] pour des objets véritables, l’obtention d’un avantage fiscal n’éta[n]t pas considérée comme un objet véritable » (par. 47). Copthorne faisait valoir que la vente de VHHC Holdings à Big City s’inscrivait simplement dans une réorganisation visant à simplifier la structure d’entreprise du groupe Li, mais la juge estime que l’opération n’a en rien simplifié cette structure et qu’elle constitue donc une « opération d’évitement ».

[26] Pour déterminer si l’opération d’évitement a un caractère abusif, elle examine de pair les trois dispositions législatives applicables, à savoir les par. 89(1), 87(3) et 84(3). Elle conclut que ces dispositions visent à « empêcher l’augmentation artificielle du CV au moment d’une fusion et son remboursement ultérieur aux actionnaires en franchise d’impôt » (par. 74).

[27] À son avis, l’opération d’évitement constitue un abus de ces dispositions « en vue de gonfler d’une façon artificielle le CV lors de la fusion, cette augmentation artificielle revenant par la suite aux actionnaires en franchise d’impôt, soit le résultat même que ces dispositions visaient à empêcher » (par. 57).

[28] Elle arrive à la conclusion que le ministre a correctement appliqué la RGAÉ en refusant le cumul du CV de 67 401 279 $ des actions de VHHC Holdings et du CV des actions de Copthorne III et que la portion du rachat subséquent attribuable au CV de VHHC Holdings était imposable. Elle infirme cependant la décision du ministre d’infliger une pénalité.

IV. Cour d’appel fédérale

[29] Au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Ryer confirme le jugement de la Cour de l’impôt.

[30] À l’égard des trois premières questions — portant respectivement sur la série d’opérations, l’avantage fiscal et l’opération d’évitement — , le juge Ryer défère aux conclusions de fait de la juge de la Cour de l’impôt, mais il constate le caractère trop strict du critère juridique appliqué à la question de l’appartenance à la série d’opérations. Selon lui, point n’est besoin d’un « lien étroit » entre l’opération liée et la série pour que la première fasse partie de la seconde. En fait, l’existence d’un « facteur de motivation » pour la réalisation de l’opération liée suffit (par. 49). Étant donné que la juge de la Cour de l’impôt conclut à l’existence d’un lien étroit, le critère moins strict de la motivation est manifestement rempli.

[31] Enfin, il convient avec elle que l’opération d’évitement est abusive, mais il n’applique pas la RGAÉ de la même façon. Selon lui, l’examen ne fait intervenir que le par. 89(1). Il souscrit toutefois à l’opinion de la juge selon laquelle l’objet de cette disposition est d’« . . . éviter les augmentations découlant de doublements dans le calcul du CV de la société issue de la fusion » (par. 73). Il confirme qu’il y a abus de cette disposition et que le ministre a correctement appliqué la RGAÉ. Il rejette l’appel.

V. Analyse

A. Introduction

[32] Le régime établi par la RGAÉ est relativement simple à exposer, mais beaucoup plus difficile à appliquer. En cas d’opération d’évitement (qui procure un avantage fiscal et dont le but premier est l’obtention de cet avantage), l’avantage fiscal est refusé, sauf si l’opération d’évitement ne constitue pas un abus dans l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le régime est défini aux par. 245(1) à (5) de la Loi (voir l’annexe B).

[33] Selon l’arrêt Trustco, l’application de la RGAÉ exige que l’on détermine ce qui suit :

1. Y a‑t‑il eu avantage fiscal? (par. 18)

2. L’opération ayant généré l’avantage fiscal était‑elle une opération d’évitement? (par. 21)

3. L’opération d’évitement ayant généré l’avantage fiscal était‑elle abusive? (par. 36)

J’examine successivement chacune de ces questions.

B. Y a‑t‑il eu avantage fiscal?

[34] La première question qui se pose est celle de l’existence d’un avantage fiscal. C’est au contribuable qu’il incombe de réfuter la thèse du ministre qu’il y a avantage fiscal (Trustco, par. 63). Lorsque, comme en l’espèce, un juge de la Cour de l’impôt tire la conclusion de fait qu’il existe un avantage fiscal, le tribunal d’appel ne peut infirmer celle‑ci que si l’appelant prouve l’erreur manifeste et dominante.

[35] Notre Cour affirme dans Trustco que l’existence d’un avantage fiscal peut être établie en comparant la situation du contribuable à celle qu’aurait produit un autre mécanisme (par. 20), auquel cas il faut que l’autre mécanisme en soit un qui [traduction] « aurait pu raisonnablement avoir été employé n’eût été l’avantage fiscal » (D. G. Duff, et al, Canadian Income Tax Law (3e éd. 2009), p. 187). En s’attachant à ce que la société aurait fait si elle n’avait pas cherché à bénéficier de l’avantage fiscal, cette démarche vise à isoler l’effet fiscal avantageux de la motivation non fiscale du contribuable.

[36] Copthorne soutient qu’au moment où Copthorne I détenait VHHC Holdings, la fusion — qui aurait été verticale — [traduction] « n’a jamais été une option envisageable ou raisonnable », et que le ministre n’aurait donc pas dû l’utiliser comme point de comparaison (M.A., par. 137). Une fusion verticale aurait entraîné l’annulation du CV des actions de VHHC Holdings, de sorte qu’une plus grande portion de la somme versée lors du rachat aurait été imposable à titre de dividende réputé. Selon Copthorne, aucun contribuable n’aurait choisi cette avenue plus onéreuse sur le plan fiscal et il s’agissait donc d’une option déraisonnable.

[37] La fusion était nécessaire pour que Copthorne atteigne les objectifs visés en 1993 lors des opérations intervenues entre VHHC Holdings, Big City et elle, à savoir la simplification de la structure d’entreprise du groupe et la possibilité de mettre les gains escomptés à l’abri de l’impôt grâce aux pertes des quatre sociétés fusionnantes. La seule question qui se posait était celle de savoir si la fusion serait horizontale ou verticale. Comme la juge de la Cour de l’impôt le fait remarquer, la fusion verticale aurait été la solution la plus simple. Copthorne I a vendu à Big City ses actions de VHHC Holdings seulement parce qu’une fusion verticale aurait entraîné l’annulation du CV. Pour paraphraser le professeur Duff, « n’eût été » l’incidence différente sur le CV, la fusion verticale aurait été une option raisonnable.

[38] La comparaison convenait tout à fait. Copthorne ne s’est pas acquittée de son obligation d’établir l’inexistence d’un avantage fiscal. Je suis d’avis de confirmer la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle il existait un avantage fiscal.

C. L’opération ayant généré l’avantage fiscal était‑elle une opération d’évitement?

[39] Suivant le par. 245(3) de la Loi, constitue une opération d’évitement l’opération dont découle un avantage fiscal et qui n’est pas effectuée principalement pour des objets véritables non fiscaux. Une opération d’évitement peut produire un avantage fiscal de façon indépendante ou elle peut faire partie d’une série d’opérations dont découle cet avantage.

[40] Lorsque, comme en l’espèce, le ministre considère que l’avantage fiscal découle d’une série d’opérations et non d’une seule opération, il faut déterminer s’il y a eu une série, quelles opérations en font partie et si l’avantage fiscal découle de la série. La série d’opérations dont découle directement ou non un avantage fiscal tombe sous le coup du par. 245(3), sauf s’il est « raisonnable de considérer que [chacune des opérations de la série] est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable ». Lorsque l’une ou l’autre des opérations de la série n’est pas effectuée principalement pour des objets véritables non fiscaux, il s’agit d’une opération d’évitement.

[41] L’existence d’une série d’opérations ayant généré un avantage fiscal est le premier élément à considérer. Comme nous le verrons, il faut examiner à quelles conditions une opération liée à une série d’opérations au sens de la common law fait partie d’une série d’opérations au sens du par. 248(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu. On doit ensuite se demander si l’une ou l’autre des opérations de la série en est une d’évitement.

(1) Y a‑t‑il eu une série d’opérations dont a découlé un avantage fiscal?

[42] Les parties reconnaissent dans l’exposé conjoint des faits que la vente de VHHC Holdings à Big City et la fusion subséquente de VHHC Holdings et de Copthorne I pour former Copthorne II font partie d’une série. Toutefois, ces opérations n’ont pas généré d’avantage fiscal. Il n’y a eu avantage fiscal que lorsque Copthorne III a racheté ses actions sans que son actionnaire n’encoure d’obligation fiscale immédiate. Il faut donc établir si l’opération de rachat fait partie de la série d’opérations qui comprend la vente de VHHC Holdings à Big City, puis la fusion de Copthorne I et de VHHC Holdings.

[43] Dans Trustco, notre Cour reconnaît que l’économie de la Loi permet de considérer la série d’opérations au sens large. Le point de départ réside dans la common law anglaise qui définit la série de telle sorte que « chaque opération dans la série [est] déterminée d’avance pour produire un résultat final » (OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, [2002] 2 C.F. 288, par. 24). Le paragraphe 248 (10) de la Loi élargit cette définition en disposant que les « opérations lié[e]s » terminées « en vue de réaliser » la série (soit « en raison de » la série suivant Trustco) sont réputées faire partie de la série. En voici le texte :

Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

[44] Les parties conviennent que la vente de VHHC Holdings à Big City et la fusion qui a suivi font partie d’une série d’opérations, mais leur exposé conjoint ne précise pas si le rachat faisait partie de la série. Il faut déterminer si le rachat, dont a découlé l’avantage fiscal, peut être considéré comme une « opération liée » effectuée « en raison de » la série d’opérations antérieure. [Pour les besoins du raisonnement de la Cour dans le présent pourvoi, le libellé précis du par. 248(10) —‑ « en vue de réaliser » —‑ n’est pas employé, car il ne correspond pas à « in contemplation of » pris isolément. Les motifs privilégient plutôt « en raison de », suivant la décision de la Cour dans Trustco concernant le sens de la locution « en vue de réaliser ».]

[45] Le ministre a tenu pour acquis qu’il y avait une série d’opérations dont faisait partie le rachat qui a généré l’avantage fiscal. Encore une fois, c’est à Copthorne qu’il incombe de réfuter la présomption du ministre (Trustco, par. 63).

[46] La juge de la Cour de l’impôt conclut à l’existence d’un « lien étroit » entre le rachat et la série d’opérations antérieure, qui comprend la vente de VHHC Holdings à Big City en 1993 et la fusion horizontale de Copthorne I et de VHHC Holdings. La Cour d’appel fédérale relève avec justesse que le critère établi en la matière dans Trustco n’exige pas de lien étroit. Il suffit de déterminer si la série a joué dans la décision d’effectuer l’opération liée, au sens où l’opération est intervenue « en raison de » la série ou « relativement à » celle‑ci (Trustco, par. 26).

[47] Bien que le critère de l’opération liée effectuée « en raison de » de la série ou « relativement à » celle‑ci n’exige pas de « lien étroit », il requiert tout de même plus qu’une « simple possibilité » ou qu’un lien d’« un degré d’éloignement extrême » : voir MIL (Investments) S.A. c. R., 2006 TCC 460, [2006] 5 C.T.C. 2552, au par. 62 (CCI), conf. par 2007 CAF 236, 2007 D.T.C. 5437. Chaque affaire est jugée en fonction des faits qui lui sont propres. Par exemple, le temps écoulé entre la série et l’opération liée peut parfois constituer un facteur pertinent, tout comme les événements qui surviennent entre elles. Au bout du compte, c’est le critère correspondant aux mots « en raison de » la série ou « relativement à » celle‑ci qui permet d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, si une opération liée a été terminée en raison d’une série d’opérations.

[48] La juge de la Cour de l’impôt était au fait de la modification des règles applicables au RÉATB ainsi que du temps écoulé entre la vente et la fusion en 1993 et en 1994, et le rachat en 1995 (par. 38). Copthorne prétend que ces événements survenus dans l’intervalle ont rompu la série alléguée. La juge reconnaît que le critère devrait écarter « les opérations qui ne sont liées que de loin avec la série au sens de la common law » (par. 39), mais elle n’en conclut pas moins qu’il y a un « lien étroit » entre la série et le rachat subséquent, car le rachat « était exactement le type d’opération nécessaire pour que la création d’un avantage fiscal devienne une réalité compte tenu de la conservation du CV » (par. 40). La Cour d’appel fédérale confirme cette conclusion, jugeant qu’elle n’est entachée d’aucune erreur de fait manifeste et dominante. Je suis également d’avis d’avaliser la conclusion tirée par la juge de première instance pour la même raison.

[49] Copthorne demande aujourd’hui à la Cour de revenir sur son interprétation du par. 248(10). Elle prétend qu’une opération liée ne fait partie d’une série que lorsque [traduction] « les parties ont en vue » la série lors de l’opération liée antérieure (M.A., par. 112). Elle ajoute que suivant le sens clair des mots « en vue de réaliser » la série (« in contemplation of » dans la version anglaise), l’examen requis est de nature prospective, car la définition de ces mots suggère la prise en compte d’un événement futur. Copthorne prétend donc que l’existence d’une opération liée doit être établie en déterminant si une opération liée antérieure a été terminée en raison d’une série d’opérations ultérieure, et non en se demandant avec le recul si les parties ont terminé une opération subséquente en raison de la série. Toujours selon elle, l’appréciation rétrospective du lien entre une série et une opération liée élargit indûment la portée du par. 248(10), crée une incertitude inacceptable et va à l’encontre du principe issu de l’arrêt Duke of Westminster, à savoir que le contribuable a le droit d’organiser ses affaires de façon à réduire le plus possible l’impôt qu’il lui faut payer (voir Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.).

[50] Je reconnais que le terme « contemplation » utilisé dans la version anglaise (« en vue de », en français) est plus souvent employé dans son sens prospectif. Il appert d’ailleurs du rapport de la quarantième conférence fiscale (1988) de l’Association canadienne d’études fiscales que, peu après l’adoption du par. 248(10) en 1986 et de la RGAÉ (le par. 248(1)) en 1988, Revenu Canada, par la voix de son directeur, Michael Hiltz, était d’avis que l’interprétation du par. 248(10) devait être prospective :

[traduction] Selon Revenu Canada, une opération préalable fait partie d’une série au sens du paragraphe 248(10) lorsque, au moment où elle intervient, le contribuable a l’intention d’effectuer les opérations subséquentes formant la série, . . . même s’il n’a pas encore arrêté tous les éléments importants des opérations subséquentes — y compris, peut‑être, l’identité des autres contribuables qui y sont parties — ou n’est pas en mesure d’effectuer celles‑ci.

(« Section 245 of the Income Tax Act », in rapport de la quarantième conférence fiscale (1989), 7:1, à la p. 7:6.)

[51] On oppose à l’argument voulant qu’une interprétation prospective du par. 248(10) en réduise indûment la portée que la disposition permet néanmoins d’inclure dans une série une opération antérieure dont on ne peut dire qu’elle satisfait aux conditions d’appartenance à une série au sens de la common law.

[52] Revenant sur son avis précédent sur le sujet, le professeur Duff écrit qu’une interprétation uniquement prospective du par. 248(10) serait plus raisonnable :

[traduction] S’agissant du sens élargi de série d’opérations, toutefois, l’interprétation de la Cour [dans Trustco] est moins convaincante. Bien que la conclusion selon laquelle les opérations liées peuvent survenir soit avant, soit après une opération d’évitement puisse être conforme à l’intention législative, sa compatibilité avec le texte du paragraphe 248(10) ne va pas de soi. Il vaut mieux interpréter cette disposition de façon qu’elle n’englobe que les opérations liées terminées avant une série ordinaire d’opérations, et non les opérations liées terminées après la série. [Notes en bas de page supprimées.]

(D. G. Duff, « The Supreme Court of Canada and the General Anti‑Avoidance Rule: Canada Trustco and Mathew », dans D. G. Duff et H. Erlichman, dir., Tax Avoidance in Canada : After Canada Trustco and Mathew (2007), 1, p. 26‑27

[53] Or, l’Oxford English Dictionary (2e éd. 1989), vol. III, à la p. 811, définit comme suit le mot « contemplation » : [traduction] « le fait d’envisager ou de considérer mentalement, de penser à une chose de façon continue, de considérer attentivement, d’étudier ». Cette définition n’exige pas que l’objet de l’attention soit ultérieur ou antérieur. Copthorne s’appuie sur le passage suivant de la définition de contemplation que renferme le Webster’s Third International Dictionary (1986), à la p. 491 : [traduction] « l’action de prévoir un événement : projeter ou considérer un événement futur ». J’ai déjà mentionné que le terme a souvent une connotation prospective. Cependant, la définition du Webster ne se résume pas au seul passage cité, elle comporte aussi une acception plus générale, non seulement axée sur l’avenir : [traduction] « l’action de considérer attentivement : l’attention continue accordée à quelque chose; l’objet nécessitant une telle considération . . .; l’action d’observer fixement et attentivement. . . : l’observation d’une chose pour elle‑même ».

[54] Le texte et le contexte du par. 248(10) ne précisent pas le moment où la réalisation de la série doit être en vue (« contemplated »). Aucun élément du texte n’indique à quel moment l’opération liée doit être terminée par rapport à la série. Plus précisément, rien ne donne à penser que l’opération liée doit être terminée en vue (« in contemplation ») d’une série subséquente. Le contexte de la disposition élargit la définition de « série », ce qui milite contre une interprétation restrictive.

[55] Dans Trustco, la Juge en chef et le juge Major expliquent que reconnaître au par. 248(10) une portée tant prospective que rétrospective accroît la conformité à l’intention du législateur. En outre, cet arrêt retient en l’élargissant l’interprétation du par. 248(10) dans osfc, lequel supposait lui‑même l’application rétrospective de la disposition. La Cour écrit dans Trustco :

Le paragraphe 248(10) élargit le sens de l’expression « série d’opérations » de manière à inclure les « opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série ». La Cour d’appel fédérale a conclu, au par. 36 de l’arrêt OSFC, que c’est le cas lorsque les parties à l’opération « étaient au courant de la série [. . .], de façon qu’on puisse dire qu’elles en avaient tenu compte lorsqu’elles ont décidé de terminer l’opération ». Nous tenons à ajouter que les mots « en vue de réaliser » sont employés non pas dans le sens d’une connaissance véritable, mais dans le sens plus général de « en raison de » ou « relativement à » la série. Ces mots peuvent s’appliquer à des événements survenus soit avant soit après l’opération d’évitement de base visée par le par. 245(3). Comme nous l’avons vu :

[traduction] Il est très peu probable que le législateur ait voulu inclure, dans la définition légale de l’expression « série d’opérations », les opérations liées terminées en vue de réaliser une série d’opérations subséquente, mais non les opérations liées en vue desquelles le contribuable a terminé une série d’opérations préalable.

(D. G. Duff, « Judicial Application of the General Anti‑Avoidance Rule in Canada: OSFC Holdings Ltd. v. The Queen » (2003), 57 I.B.F.D. Bulletin 278, p. 287) [par. 26]

[56] Comme le libellé du par. 248(10) permet le rattachement prospectif ou rétrospectif d’une opération liée à une série au sens de la common law et qu’une telle interprétation est compatible avec l’objectif du législateur, force est de conclure que cette interprétation est préférable à celle que préconise Copthorne.

[57] Trustco est un arrêt récent de notre Cour, et infirmer une décision récente ne saurait se faire « à la légère » (Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, par. 56‑57, la Juge en chef et le juge LeBel). Pour que la Cour envisage d’écarter un arrêt récent, elle doit avoir des motifs sérieux de croire que la décision est erronée. En l’espèce, Copthorne ne satisfait pas aux « conditions strictes imposées pour le renversement d’un précédent » (Fraser, par. 60), de sorte qu’il y a lieu de confirmer l’interprétation du par. 248(10) retenue dans Trustco.

[58] Je partage donc l’avis de la Cour de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale que le rachat fait partie de la série constituée de la vente et de la fusion antérieures et que la série, une fois le rachat inclus, a procuré un avantage fiscal.

(2) L’une ou l’autre des opérations de la série alléguée constitue‑t‑elle une opération d’évitement?

[59] La question de savoir si une opération a été principalement effectuée pour un objet non fiscal et qu’il ne s’agit donc pas d’une opération d’évitement doit être tranchée de façon objective, au vu de l’ensemble de la preuve présentée à la cour (Trustco, par. 28‑29).

[60] La juge de la Cour de l’impôt conclut que la vente en 1993 des actions de VHHC Holdings à Big City par Copthorne I était une opération d’évitement, et la Cour d’appel fédérale lui donne raison.

[61] La vente a empêché l’annulation du CV des actions de VHHC Holdings lors de la fusion de VHHC Holdings et de Copthorne pour former Copthorne II, ce qui a permis le rachat subséquent des actions de Copthorne III en franchise d’impôt, d’où l’objet fiscal.

[62] Copthorne fait valoir que les opérations visaient à simplifier la structure d’entreprise du groupe Li et à mettre à l’abri les gains des quatre sociétés fusionnées par l’utilisation de leurs pertes. Les objectifs consistant à simplifier la structure et à mettre les gains à l’abri de l’impôt peuvent s’appliquer aux autres opérations, mais ils n’expliquent pas la vente des actions de VHHC Holdings à Big City. Comme le relève la juge de la Cour de l’impôt, cette vente a ajouté une étape au processus de simplification et de consolidation. On serait parvenu aux mêmes simplification et consolidation par fusion verticale. Qui plus est, Copthorne n’a pas démontré en quoi la fusion verticale n’aurait pas permis la mise à l’abri des gains grâce aux pertes des quatre sociétés.

[63] Je ne vois pas d’erreur dans la conclusion de la juge selon laquelle la vente à Big City des actions de VHHC Holdings par Copthorne I n’a pas été principalement effectuée pour un objet véritable non fiscal. Il incombait à Copthorne de prouver l’existence d’un tel objet (Trustco, par. 66), ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Je suis donc d’avis de confirmer sa conclusion qu’il s’agit d’une opération d’évitement.

[64] Vu l’existence d’une série d’opérations ayant produit un avantage fiscal, la conclusion qu’une opération de la série est une opération d’évitement satisfait aux exigences du par. 245(3).

D. L’opération d’évitement conférant un avantage fiscal était‑elle abusive?

[65] La question de savoir si l’opération d’évitement constitue un abus dans l’application de la Loi est la plus épineuse en l’espèce. On pourrait voir dans le mot « abus » la réprobation morale du contribuable qui, afin de réduire son obligation fiscale, se montre ingénieux pour faire jouer la Loi de l’impôt sur le revenu en sa faveur. On aurait tort, car le contribuable peut opter pour les avenues ou les opérations qui sont propres à réduire son obligation fiscale (voir Duke of Westminster).

[66] La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au‑delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle‑ci. Dans ce cas, le ministre peut invoquer la RGAÉ, laquelle crée effectivement de l’incertitude chez le contribuable. Les tribunaux doivent toutefois se rappeler que l’art. 245 représente une « mesure de dernier recours » (Trustco, par. 21).

[67] Il ne faut pas perdre de vue que la confirmation judiciaire d’une cotisation fondée sur la RGAÉ peut avoir des répercussions sur d’innombrables opérations « courantes » effectuées par les contribuables. La décision touchant le CV en constitue un bon exemple. Le CV d’une catégorie d’actions peut représenter une considération pertinente pour les centaines, voire les milliers, d’opérations sur actions qui ont assurément lieu chaque année. Parce que sa décision relative à l’application de la RGAÉ peut avoir un effet sur autant d’opérations, la cour doit faire preuve de prudence. N’oublions pas qu’« il faut . . . considérer [que le législateur] recherche l’uniformité, la prévisibilité et l’équité en matière de droit fiscal » (Trustco, par. 42). Comme l’affirme notre Cour dans Trustco :

[Le législateur] veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s’agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l’impôt sur le revenu cherche à promouvoir. [par. 31]

[68] C’est pourquoi « la RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que dans les cas où l’opération en cause est manifestement abusive » (par. 50). En conséquence, la cour doit se livrer à une analyse objective, approfondie et point par point, puis justifier sa conclusion.

[69] Pour conclure au caractère abusif d’une opération, la cour doit d’abord déterminer « l’objet ou l’esprit des dispositions . . . qui sont invoquées pour obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles » (Trustco, par. 55). Un auteur assimile cet objet ou cet esprit à la [traduction] « raison d’être qui sous‑tend des dispositions particulières ou interdépendantes de la Loi » (V. Krishna, The Fundamentals of Income Tax Law (2009), p. 818).

[70] L’objet ou l’esprit peuvent être circonscrits grâce à la méthode qu’emploie notre Cour pour toute interprétation législative, à savoir une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » (Trustco, par. 47, Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3, par. 26). Bien que la méthode d’interprétation soit la même dans le cas de la RGAÉ, l’analyse vise en l’espèce à dégager un aspect différent de la loi. Dans un cas classique d’interprétation législative, la cour applique l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour établir le sens du texte de la loi. Dans le cas de la RGAÉ, l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique vise à établir l’objet ou l’esprit d’une disposition. Il est alors possible que le sens des mots employés par le législateur soit suffisamment clair. La raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux‑mêmes. Il ne faut cependant pas confondre la détermination de la raison d’être des dispositions applicables de la Loi avec le jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les conjectures sur ce que devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait avoir.

[71] La cour doit ensuite se demander si l’opération est conforme à l’objet ainsi défini ou si elle le contrecarre (Trustco, par. 44). Comme je le dis précédemment, une opération d’évitement peut en soi produire un avantage fiscal, mais elle peut également faire partie d’une série d’opérations qui en confère un. Bien que l’accent doive être mis sur elle, lorsque l’opération fait partie d’une série, il faut l’examiner dans le contexte de la série pour déterminer s’il y a évitement fiscal abusif. En effet, le caractère abusif d’une opération ne se révèle alors que dans le contexte de la série dans laquelle elle s’inscrit et de l’effet global obtenu (Lipson, par. 34, le juge LeBel).

[72] L’analyse fait conclure à l’évitement fiscal abusif lorsque l’opération (1) produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit : Trustco, par. 45, Lipson par. 40. Ces considérations ne jouent pas indépendamment les unes des autres, et elles peuvent se chevaucher. À cette étape, le ministre doit montrer clairement que l’opération a un caractère abusif, et le contribuable a le bénéfice du doute.

[73] Ce critère n’appelle pas de distinction entre les termes « abuse » et « misuse » employés dans la version anglaise, mais plutôt l’application d’une seule méthode unifiée (Trustco, par. 43).

(1) Les dispositions pertinentes

[74] Les trois dispositions de la Loi dont il y aurait abus sont les par. 89(1), 87(3) et 84(3). Voici les passages pertinents du par. 89(1), qui définit le CV :

« capital versé » À un moment donné :

a) à l’égard d’une action d’une catégorie quelconque du capital‑actions d’une société, somme égale au capital versé à ce moment, relativement à la catégorie d’actions du capital‑actions de la société à laquelle appartient cette action et divisé par le nombre des actions émises de cette catégorie qui sont en circulation à ce moment;

b) à l’égard d’une catégorie d’actions du capital‑actions d’une société :

. . .

(iii) lorsque le moment donné est postérieur au 31 mars 1977, somme égale au capital versé au moment donné au titre de cette catégorie d’actions, calculée compte non tenu des dispositions de la présente loi, à l’exception des paragraphes 51(3) et 66.3(2) et (4), des articles 84.1 et 84.2, des paragraphes 85(2.1), 85.1(2.1), 86(2.1), 87(3) et (9), 128.1(2) et (3), 138(11.7), 192(4.1) et 194(4.1) et de l’article 212.1 . . .

[75] L’énoncé est inhabituel, car il ne définit pas explicitement le terme de manière positive. Il dispose plutôt que le CV est initialement calculé « compte non tenu des dispositions de la présente loi », de sorte que, dans les faits, le point de départ du calcul du CV est le capital déclaré d’une catégorie d’actions suivant le droit des sociétés. Voici l’explication que donne le par. 2 du Bulletin d’interprétation IT‑463R2 « capital versé » (8 septembre 1995) :

Le montant du capital versé d’une catégorie d’actions est d’abord déterminé, selon le sous‑alinéa b)(iii) de la définition de « capital versé », sans égard aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est la loi sur les sociétés applicable, et non les lois fiscales, qui règle le calcul de ce montant. Le montant ainsi calculé est souvent désigné sous le nom de « capital déclaré » de la catégorie d’actions.

(Voir aussi Krishna, p. 621)

[76] Le capital déclaré s’entend [traduction] « du montant total de l’apport que touche [la société] en contrepartie des actions qu’elle émet » (K. P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law (2nd 2007), §7.231). Lorsqu’une somme est investie dans une société en contrepartie d’actions, le capital déclaré de la société augmente. Le professeur Krishna assimile le capital déclaré à [traduction] « la somme d’argent qu’un actionnaire " engage " dans la société » (p. 610). Le calcul du capital déclaré est prévu à l’art. 26 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44 (« LCSA ») et à l’art. 28 de la Business Corporations Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. B‑9 (« BCAA »).

[77] Étant donné que la Loi s’en remet à la notion de capital déclaré du droit des sociétés, le calcul du CV s’effectue en fonction de la loi du ressort dans lequel la société est immatriculée. En l’espèce, la fusion de Copthorne I et de VHHC Holdings a eu lieu sous le régime de la BCAA.

[78] Le CV d’une société peut différer de son capital déclaré [traduction] « en raison de rajustements apportés subséquemment à des fins fiscales » (Krishna, p. 621). Les rajustements apportés au calcul du CV sont ceux visés au sous‑al. b)(iii) de la définition du CV figurant au par. 89(1). Ainsi, bien que le capital déclaré soit parfois égal au CV, il peut en différer substantiellement. Le rajustement visé en l’espèce est celui prévu au par. 87(3).

[79] Le paragraphe 87(3) empêche le CV des actions de la société issue de la fusion d’excéder celui des actions des sociétés fusionnantes. Dès lors, en pratique, lors d’une fusion, le CV des actions des sociétés fusionnantes, et non leur capital déclaré, sert à déterminer le CV des actions de la société qui résulte de l’opération. Voici les passages pertinents:

87. . . .

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), en cas de fusion ou d’unification de plusieurs sociétés canadiennes, il faut, dans le calcul à un moment donné du capital versé au titre d’une catégorie donnée d’actions du capital‑actions de la nouvelle société :

a) déduire la fraction de l’excédent éventuel du capital versé, calculé compte non tenu du présent paragraphe, à l’égard de toutes les actions du capital‑actions de la nouvelle société immédiatement après la fusion ou l’unification sur le total des montants dont chacun représente le capital versé à l’égard d’une action (exception faite d’une action détenue par toute autre société remplacée) du capital‑actions d’une société remplacée . . .

[80] Suivant le par. 87(3), le CV des actions de la société issue de la fusion est réduit s’il excède le CV des actions des sociétés fusionnantes. S’il existe plus d’une catégorie d’actions, la réduction s’applique proportionnellement à chacune d’elles.

[81] Toutefois, le par. 87(3) produit un autre effet, qui est au cœur du présent pourvoi. Il prévoit l’addition des CV des actions des sociétés fusionnantes, « exception faite d’une action détenue par toute autre société remplacée ». Cette brève exception formulée entre parenthèses fait en sorte que, lors de la fusion, tout CV des actions d’une société fusionnante qui étaient détenues par une autre société fusionnante est annulé, et non additionné. Partant, en cas de fusion verticale — c’est‑à‑dire lorsque les actions d’une société fusionnante sont détenues par une autre société fusionnante, p. ex. une société mère et sa filiale, le CV des actions de la filiale n’est pas additionné, mais annulé. Dans le cas d’une filiale à cent pour cent, le CV résultant de la fusion correspond à celui des actions de la seule société mère. (Lorsque les actions d’une filiale sont détenues en partie par la société mère et en partie par d’autres actionnaires, seul le CV des actions de la filiale détenues par la société mère est annulé.)

[82] Il en va autrement lorsqu’il y a fusion horizontale de sociétés ne possédant pas d’actions les unes des autres (bien qu’elles puissent être la propriété de la même société mère, comme en l’espèce). Lors d’une fusion horizontale, aucun CV n’est attribuable aux actions « détenue[s] par toute autre société remplacée », de sorte que le par. 87(3) donne lieu à l’addition du CV des actions des sociétés fusionnantes, et non à son annulation.

[83] La troisième disposition invoquée par le ministre est le par. 84(3), dont voici le texte :

84. . . .

(3) Lorsque, à un moment donné après le 31 décembre 1977, une société résidant au Canada a racheté, acquis ou annulé de quelque façon que ce soit (autrement que par une opération visée au paragraphe (2)) toute action d’une catégorie quelconque de son capital‑actions :

a) la société est réputée avoir versé au moment donné un dividende sur une catégorie distincte d’actions constituée des actions ainsi rachetées, acquises ou annulées, égal à l’excédent éventuel de la somme payée par la société lors du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation, selon le cas, de ces actions sur le capital versé relatif à ces actions, existant immédiatement avant ce moment;

b) chacune des personnes qui détenaient au moment donné une ou plusieurs actions de cette catégorie distincte est réputée avoir reçu à ce moment un dividende égal à la fraction de l’excédent déterminé en vertu de l’alinéa a) représentée par le rapport existant entre le nombre de ces actions que détenait cette personne immédiatement avant ce moment et le nombre total des actions de cette catégorie distincte que la société a rachetées, acquises ou annulées, à ce moment.

[84] Le paragraphe 84(3) crée une présomption suivant laquelle la somme payée lors du rachat d’actions est répartie entre le CV et l’excédent sur le CV. La contrepartie versée à l’actionnaire qui est moindre ou égale au CV est réputée constituer un remboursement de capital non imposable. Toutefois, lorsqu’elle est supérieure au CV, l’excédent est réputé constituer un dividende imposable. De fait, le paragraphe 84(3) prend simplement en compte le CV établi en application du par. 89(1), y compris tout rajustement apparenté à celui que requiert le par. 87(3), et présume que la somme versée en sus du CV ainsi établi est un dividende assujetti à l’impôt.

(2) Dans l’application de quelles dispositions y a‑t‑il abus?

[85] Le pourvoi a pour objet le calcul du CV lors d’une fusion. Le paragraphe 84(3) ne modifie pas ce calcul, il ne fait que reprendre celui effectué en vertu d’autres dispositions.

[86] Pour leur part, les par. 89(1) et 87(3) portent sur le calcul du CV par suite d’une fusion. Je rappelle que suivant la définition du CV qui figure au par. 89(1), son calcul se fonde sur le capital déclaré, compte tenu de rajustements subséquents. Suivant le paragraphe 87(3), une réduction est possible lors d’une fusion. Pour déterminer s’il y a abus en l’espèce, il faut axer l’analyse sur le par. 87(3).

(3) L’objet et l’esprit du paragraphe 87(3)

[87] Il faut, pour établir la raison d’être du par. 87(3), en examiner le texte, le contexte et l’objet. Comme toujours dans l’interprétation des lois, ces trois éléments ne sont pas totalement distincts, et il peut parfois y avoir chevauchement.

(a) Le texte de la disposition

[88] Lorsque la RGAÉ est en cause, la disposition visée n’interdit pas littéralement l’avantage fiscal que le contribuable tente d’obtenir au moyen de l’opération ou de la série d’opérations, ce qui n’a rien d’étonnant. Si la disposition renfermait l’interdiction, c’est sur elle que serait fondée la nouvelle cotisation, et le ministre n’aurait pas à invoquer la RGAÉ. Le texte de la disposition n’est toutefois pas dépourvu de pertinence, car pour l’application de la RGAÉ, il peut renseigner sur l’objet de la disposition.

[89] Suivant son libellé, le par. 87(3) fait en sorte que le CV des actions de la société issue de la fusion n’excède pas le CV total des actions des sociétés fusionnantes. Mais pourquoi limiter ainsi le CV? Puisqu’il est possible de retirer le CV d’une société sans l’inclure dans le revenu de l’actionnaire, il paraît évident que le législateur a voulu limiter le CV afin d’empêcher son augmentation injustifiée par le simple recours à la fusion.

[90] Le paragraphe 87(3) prévoit également, entre parenthèses, une exception emportant l’annulation du CV des actions d’une société fusionnante qui sont détenues par une autre société fusionnante. Autrement dit, lors d’une fusion verticale, le CV correspondant aux participations entre sociétés, dans le cas, par exemple, d’une société mère et d’une filiale, n’est pas additionné. Encore une fois, le fait que le CV peut être retiré et considéré non comme un dividende imposable mais comme un remboursement de capital non assujetti à l’impôt permet de conclure que l’exception vise à faire en sorte que le CV des actions de la société issue de la fusion ne puisse excéder le CV des actions de la société mère fusionnante. Malgré la légitimité du CV créé à l’égard des actions des sociétés en aval, sa conservation lors d’une fusion peut être considérée comme un moyen de prélever une somme supérieure à celle investie, et ce, sous forme de remboursement de capital plutôt que de dividende réputé assujetti à l’impôt.

(b) Le contexte de la disposition

[91] L’examen du contexte suppose l’examen d’autres dispositions de la loi, ainsi que des moyens extrinsèques admissibles (Trustco, par. 55). Cependant, toutes les dispositions de la Loi ne sont pas pertinentes pour la définition du contexte de la disposition en cause. La pertinence tient en fait au [traduction] « regroupement » des dispositions ou à leur « interaction pour la mise en œuvre d’un plan plausible et cohérent » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 361 et 364).

(i) Le régime établi par la Loi en matière de CV

[92] Le premier élément contextuel à considérer est le régime créé par la Loi en matière de CV, notamment aux par. 84(3) et 89(1).

[93] Les avocats de Copthorne ont reconnu à l’audience que le par. 84(3) permet à l’actionnaire de toucher le CV de ses actions en franchise d’impôt lors du rachat de celles‑ci par la société parce que l’investissement initial est effectué au moyen de fonds libérés d’impôt.

[94] Je conviens que c’est la raison pour laquelle le par. 84(3) assimile à un dividende seulement la portion de la contrepartie versée pour le rachat des actions qui excède le CV. Le paragraphe 84(3) explique en partie pourquoi, au par. 87(3), le CV ne peut excéder le CV des actions des sociétés fusionnantes lors d’une fusion horizontale et pourquoi le CV des actions d’une filiale détenues par la société mère est annulé lors d’une fusion verticale. Si le CV n’était pas ainsi plafonné ou annulé, les actionnaires pourraient, lors d’un rachat d’actions, toucher en franchise d’impôt une somme supérieure à celle qu’ils ont investie, constituée de fonds libérés d’impôt.

[95] Le paragraphe 89(1) incorpore par renvoi des dispositions qui réduisent le CV des actions d’une société. Par exemple, les art. 84.1 et 212.1 réduisent tous deux le CV lors d’opérations avec lien de dépendance. On les qualifie de dispositions « anti‑évitement » visant le dépouillement des dividendes (Collins & Aikman Products Co. c. La Reine, 2009 CCI 299, 2009 D.T.C. 1179, par. 55 et 105; conf. par 2010 CAF 251, [2011] 1 C.T.C. 250), car grâce à ces opérations avec lien de dépendance, les sociétés peuvent verser aux actionnaires, à titre de remboursement de capital non imposable plutôt que de dividende imposable, une somme supérieure à l’investissement initial de fonds libérés d’impôt.

[96] L’existence de tels mécanismes de réduction donne à penser que les dispositions énumérées au par. 89(1) visent principalement à empêcher la conservation du CV lorsque la seule prise en compte du capital déclaré ne permettrait pas d’atteindre l’objectif fiscal du législateur, à savoir que seul le remboursement des fonds libérés d’impôt investis ne soit pas ajouté au revenu. Comme le paragraphe 87(3) fait partie de cette énumération, on peut raisonnablement penser qu’il a lui aussi pour objet d’empêcher la conservation du CV qui permettrait à l’actionnaire de toucher en franchise d’impôt une somme supérieure aux fonds libérés d’impôt qu’il a investis.

(ii) Principe de non‑consolidation

[97] Laissons maintenant de côté le régime directement applicable au CV pour examiner des dispositions connexes de la Loi. Copthorne fait remarquer qu’en règle générale, la Loi ne consolide pas les résultats financiers de sociétés distinctes aux fins fiscales. Suivant le par. 2(1) de la Loi, l’impôt sur le revenu est établi « pour chaque année d’imposition, sur le revenu imposable de toute personne résidant au Canada ». Chacune des sociétés constituant un contribuable distinct pour l’application de la Loi, le calcul de l’impôt s’effectue séparément pour chacune d’elles. Copthorne y voit une politique de [traduction] « non‑consolidation » des sociétés.

[98] Pour ce qui concerne le CV, il s’ensuit que les actions d’une société ont le leur, indépendamment de celui des actions des autres sociétés, qu’elles soient liées ou non. Par exemple, une personne physique peut investir dans une société mère, la société mère dans une filiale et la filiale dans une autre filiale, entraînant à chaque étape la création d’un CV. Cette non‑consolidation du CV découle de la non‑consolidation du capital déclaré. En droit des sociétés, chaque société a son capital déclaré, indépendamment de ses liens avec d’autres sociétés, et ce capital déclaré est fonction de la contrepartie touchée par la société pour les actions qu’elle a émises (voir le par. 26(2) de la LCSA et le par. 28(2) de l’ABCA).

[99] Dès lors, la création du CV des actions d’une société en aval n’enfreindrait aucune politique générale sous‑tendant la Loi. Mais, il s’agit dans ce cas de créer le CV, et non de le conserver. Ce n’est pas parce que le CV a été légitimement constitué qu’il peut être légitimement conservé. Le paragraphe 87(3) ne porte pas sur la création du CV, mais sur sa réduction ou son annulation lors d’une fusion. La fusion regroupe en une seule deux sociétés qui fonctionnaient jusqu’alors séparément. Le paragraphe 87(3) relie le CV des actions des sociétés avant la fusion à celui de la société issue de la fusion. Lors d’une fusion horizontale, le CV des actions de la société issue de la fusion ne peut excéder le CV des actions des sociétés fusionnantes. Lors d’une fusion verticale, le CV des actions d’une filiale détenues par la société mère est annulé. Le principe de non‑consolidation reconnaît la légitimité du CV créé pour une filiale, mais il ne justifie pas sa conservation lorsqu’il y a fusion entre une société mère et sa filiale.

(iii) Pertinence des dispositions relatives au gain en capital

[100] Copthorne soutient que les dispositions de la Loi relatives au gain en capital et celles qui concernent le CV font partie d’un même régime intégré qui [traduction] « offre une solution complète à la situation visée en l’espèce » en faisant en sorte qu’un remboursement à l’actionnaire finisse par être imposé, soit au titre de dividende réputé, soit au titre de gain en capital (M.A., par. 69).

[101] L’argumentation de Copthorne ne me convainc pas du bien‑fondé de sa position. Le gain ou la perte en capital est établi en fonction du prix de base rajusté (« PBR ») d’une action, et non du CV. Le CV se rattache aux actions, et le PBR, à un contribuable particulier. Le CV dépend du capital initialement investi, tandis que le PBR représente la somme que l’actionnaire a payée pour les actions. Il arrive que le PBR et le CV coïncident, mais ce n’est pas toujours le cas. Il est peu probable que le PBR pour l’actionnaire corresponde au CV des actions acquises lorsque celles‑ci appartenaient à un autre actionnaire.

[102] J’hésite à convenir que la Loi offre une « solution complète » en faisant en sorte que le retrait qui échappe aux dispositions assimilant le remboursement du CV à un dividende réputé tombe sous le coup de celles sur le gain en capital. La somme versée à un actionnaire lors d’un rachat d’actions peut être considérée comme un remboursement de capital au lieu de constituer un dividende réputé suivant le par. 84(3). Cependant, le remboursement de capital peut se traduire par un gain ou une perte en capital, ce qui dépend du PBR pour l’actionnaire.

[103] En outre, le taux d’imposition applicable au dividende et au gain en capital n’est pas le même. Le gain en capital d’un actionnaire non résident peut être exonéré d’impôt en vertu d’un traité fiscal, mais pas le dividende. On peut dès lors penser que le régime applicable au gain en capital ne se substitue pas automatiquement au régime assimilant le CV à un dividende réputé, de sorte qu’en cas de rachat, le contribuable assume la même obligation fiscale sous l’un ou l’autre régime. Copthorne ne cite aucune source sur ce point. La question du gain en capital n’est abordée ni par la juge de la Cour de l’impôt ni par la Cour d’appel fédérale. La thèse de Copthorne n’est donc pas assez étayée pour qu’on puisse y faire droit en l’espèce.

(iv) Nature « in rem » du CV

[104] Copthorne Invoque la nature in rem du CV pour faire valoir qu’il n’y a pas lieu de « remonter » à l’investissement initial. Il est vrai que le CV est un attribut fiscal de l’action qui n’est généralement pas touché par un changement d’actionnaire et auquel on peut donc, en quelque sorte, attribuer un caractère in rem. Selon Copthorne, les tribunaux inférieurs concluent à la conservation indue du CV uniquement parce qu’ils le rattachent à l’investissement initial correspondant. Elle fait valoir que le CV devrait plutôt faire l’objet d’un traitement uniforme sans égard à son mode de création.

[105] Le problème tient à ce que le par. 87(3) vise une situation où le traitement du CV dépend effectivement de l’identité de l’actionnaire parce que le CV des participations entre sociétés est annulé en cas de fusion verticale. Il s’ensuit que le CV ne revêt pas un caractère strictement in rem. On ne saurait donc affirmer que le traitement du CV n’est jamais tributaire de l’identité du propriétaire des actions. Le paragraphe 87(3) prévoit plutôt l’annulation des actions d’une société fusionnante qui sont détenues par une autre société fusionnante.

(v) Règle de la minimisation du CV

[106] Arguant de l’absence d’une règle analogue à celle de la minimisation des pertes pour affirmer que nulle politique sous‑jacente à la Loi ne s’oppose pas à la conservation du CV, Copthorne fait valoir que l’objet et l’esprit du par. 87(3) ne peuvent donc aller à l’encontre de cette conservation. Une règle de minimisation des pertes s’entend d’une [traduction] « règle de refus . . . qui empêche la réalisation d’une perte afférente à la disposition d’un bien particulier . . . Elle a pour objet . . . d’empêcher la réalisation de pertes accumulées lorsque le contribuable ne s’est pas véritablement départi de son intérêt financier dans le bien . . . » : Duff, Canadian Income Tax Law, p. 1109‑1110.

[107] Or, les dispositions emportant réduction du CV qui sont énumérées au par. 89(1), y compris le par. 87(3), ont pour effet d’annuler ou de plafonner le CV lorsque sa conservation est jugée inopportune aux fins fiscales. Bien que le par. 87(3) ne constitue pas une règle de « minimisation des pertes », on peut y voir une règle de « minimisation du CV » visant à empêcher son addition en cas de fusion verticale et à le plafonner en cas de fusion horizontale de façon que le CV de la société issue de la fusion ne soit pas supérieur à l’investissement total de fonds libérés d’impôt dans les sociétés fusionnantes.

(vi) Expressio Unius est Exclusio Alterius

[108] Copthorne soutient que le législateur a adopté un certain nombre de dispositions relatives au CV, dont le par. 87(3), afin d’empêcher le contribuable d’augmenter ou de conserver indûment le CV, de sorte que lorsque ses actes ne tombent pas sous le coup d’une disposition, il ne saurait y avoir abus de celle‑ci eu égard à son objet. L’argument me paraît correspondre à ce que la professeure Sullivan appelle la thèse de l’« exclusion implicite », qui repose sur l’existence de [traduction] « raisons de croire que, si le législateur avait voulu inclure un élément donné dans la mesure législative, il en aurait fait expressément mention » ( Sullivan, p. 244). Étant donné que le par. 89(1) renferme des définitions, Copthorne a raison d’affirmer que l’énumération d’une série de dispositions emportant réduction, sans mention de la possibilité d’ajouts, permet de présumer de l’exhaustivité de la liste. S’il s’agissait d’un cas classique d’interprétation législative, l’allégation voulant que la série d’opérations considérée en l’espèce soit visée par les dispositions énumérées pourrait donc être rejeté.

[109] Toutefois, l’analyse qui sous‑tend la RGAÉ n’est pas de cette nature. Lorsque le ministre invoque la RGAÉ, il admet que le texte de la loi n’englobe pas la série d’opérations en cause, mais il fait valoir que sa position, bien qu’elle ne prenne pas appui sur ce texte, est fondée sur sa raison d’être, son objet ou son esprit.

[110] Je n’écarte pas la possibilité que, dans certains cas, la raison d’être d’une disposition n’ait pas une plus grande portée que son libellé. En pareil cas, la disposition, compte tenu de son contexte et de son objet, peut étayer la prétention que son texte est déterminant parce qu’il correspond à sa raison d’être et l’explique entièrement.

[111] Or, on ne saurait invoquer l’exclusion implicite en la fondant uniquement sur le texte des dispositions relatives au CV sans égard à leur raison d’être. Si on y faisait droit, cette thèse neutraliserait toujours l’application de la RGAÉ, car les actes du contribuable seraient toujours permis par le texte de la loi. Comme le signale la Cour d’appel fédérale dans OSFC, si le tribunal doit s’en tenir au seul libellé de la disposition en cause, sans égard à sa raison d’être, la RGAÉ deviendra inévitablement inutile (par. 63).

(vii) Conclusion de l’analyse contextuelle

[112] Compte tenu du régime applicable au CV, du principe de non‑consolidation et des autres éléments invoqués par Copthorne, la conclusion demeure nécessairement que l’une des raisons d’être du par. 87(3) est de faire en sorte que le versement à l’actionnaire par une société issue d’une fusion, lors d’un rachat d’actions, ne soit pas imposable à titre de dividende réputé seulement dans la mesure où il correspond aux fonds libérés d’impôt investis. L’exemption vise à reconnaître que le CV constitue un remboursement de capital à l’actionnaire.

(c) L’objet des dispositions

[113] Les dispositions fiscales ont pour objet de « favoriser la réalisation d’objectifs liés à des activités précises » (Trustco, par. 52). Le présent volet vise à déterminer quel résultat, parmi la multitude d’objectifs poursuivis par la Loi, le législateur a voulu que produise la disposition.

[114] Selon Copthorne, la plupart des dispositions en cause ont pour objet le calcul du CV en fonction du capital déclaré, sauf exception expresse. Le paragraphe 87(3) établirait une exception en ce qu’il viserait à assurer la continuité ou à [traduction] « empêcher l’augmentation du capital déclaré en application du droit des sociétés lors d’une fusion horizontale » (M.A., par. 82 (soulignement supprimé)).

[115] Même si la continuité peut expliquer en partie l’existence du par. 87(3), ce n’est pas le cas, sur le plan fiscal, de l’exception qu’il prévoit entre parenthèses à l’égard d’une fusion verticale. Rappelons que suivant le par. 87(3), lors d’une fusion horizontale, le CV des actions de la société qui en est issue n’excède pas le CV des actions des sociétés fusionnantes. C’est pourquoi je conviens que la continuité est l’un des objets du par. 87(3). Cependant, comme le fait observer notre Cour dans Trustco, une disposition « peut viser toute une gamme d’objectifs indépendants et interdépendants » (par. 53). Sauf l’exception qu’il prévoit, le par. 87(3) a pour raison d’être la continuité en cas de fusion horizontale. L’exception, qui vise la fusion verticale, a pour effet d’annuler le CV des actions de la filiale qui est partie à l’opération. L’annulation — plutôt que le maintien — du CV des actions détenues par la société mère traduit l’existence d’un objet supplémentaire. L’exception prévue entre parenthèses au par. 87(3) vise à empêcher la conservation du CV des actions d’une filiale lors d’une fusion avec la société mère, et ce, parce qu’il représente les même fonds libérés d’impôt que ceux investis dans la société mère.

[116] Copthorne fait par ailleurs valoir que le par. 87(3) vise simplement à assurer la cohérence entre le droit des sociétés et le droit fiscal et que son objet est dérivé de l’annulation d’actions prévue par le droit des sociétés lors d’une fusion verticale. Suivant le par. 182(2) de la LCSA (et le par. 182(2) de la BCAA), il y a annulation des actions d’une société fusionnante détenues par une autre société fusionnante. Aucune de ces dispositions n’exige expressément l’annulation du capital déclaré de ces actions, mais on convient généralement que le capital déclaré est annulé en même temps que les actions : C. Cardarelli, « Transactions Involving Paid‑Up Capital » in L’Association canadienne d’études fiscales, rapport de la cinquante‑sixième conférence fiscale (2005), 26:1, à la p. 26:20. Le droit des sociétés traite donc la fusion horizontale différemment de la fusion verticale. C’est également ce que fait le par. 87(3). Copthorne soutient que l’objet du par. 87(3), lors d’une fusion verticale, est simplement d’annuler le CV parce que les actions, puis, le capital déclaré, sont annulés. Si je comprends bien, l’annulation du CV par suite d’une fusion verticale viserait l’alignement sur le droit des sociétés, de sorte qu’il n’y aurait aucune raison fiscale d’annuler le CV des actions d’une filiale lorsque, à l’issue d’une série d’opérations, elle n’est plus une filiale.

[117] Le problème de ce raisonnement est qu’en droit des sociétés, les actions détenues par une société fusionnante dans une autre société fusionnante son annulées afin de prévenir la dilution injustifiée des actions par suite de la fusion : R. W. V. Dickerson, J. L. Howard et L. Getz, Proposals for a New Business Corporations Law for Canada, vol. 1, par. 362. Toutefois, l’addition du CV ne dilue pas le capital‑actions d’une société, de sorte que l’objet du par. 87(3) ne saurait être le même que celui de l’annulation d’actions en droit des sociétés, car les enjeux diffèrent. L’annulation indépendante, sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, du CV des actions d’une filiale détenues par une société fusionnante permet plutôt de conclure que pour le législateur, l’addition du CV lors d’une fusion verticale aurait abouti à une conservation excessive aux fins de l’impôt.

[118] Copthorne rétorque que seule l’existence d’une politique générale défavorable au dépouillement de surplus pourrait fonder pareille conclusion. Or, vu l’absence d’une telle politique, l’objet ou l’esprit du par. 87(3) ne peut être de prévenir le dépouillement de surplus par l’addition de CV. Cet argument prend appui sur la mise en garde de notre Cour dans Trustco, à savoir que « [l]es tribunaux ne peuvent chercher une politique prépondérante de la Loi qui n’est pas fondée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions en cause » (par. 41). Ce qui n’est pas permis c’est de conclure à l’abus sur le fondement d’un énoncé de principe général — contre le dépouillement de surplus, par exemple — qui n’a aucun lien avec les dispositions en cause. Cependant, l’objectif fiscal relevé dans les présents motifs prend appui sur les dispositions de la Loi relatives au CV, et non sur une politique formulée en termes généraux. La démarche s’attache à la raison d’être des dispositions sur le CV précisément en liaison avec la fusion et le rachat, et non avec une politique générale étrangère au régime en cause.

[119] Pour Copthorne, confirmer la décision de la Cour de l’impôt ferait peser sur le contribuable [traduction] « la menace de l’application de la RGAÉ, telle une épée de Damoclès » (M.A., par. 57). À son avis, il serait impossible au contribuable de déterminer si le CV légitimement créé à l’égard des actions d’une société en aval pourra être annulé en cas de vente à un tiers ou à une personne non résidente et non apparentée. Elle ajoute qu’il en résulterait une situation d’incertitude intolérable. Toutefois, l’application de la RGAÉ est toujours subordonnée à l’existence d’une opération d’évitement dont découle un avantage fiscal. En l’absence d’une opération particulière effectuée principalement en vue de l’obtention d’un avantage fiscal, la vente d’actions à un tiers ou à une personne non résidente et non apparentée qui interviendrait principalement pour un objet véritable non fiscal ne donnerait pas lieu à l’application de la RGAÉ. Le CV demeurerait alors un attribut légitime autorisant le remboursement au nouvel actionnaire, sans inclusion dans son revenu, d’une somme équivalant au CV.

[120] Je souligne que l’achat d’actions peut avoir une motivation fiscale sans que celle‑ci ne soit nécessairement la raison première de l’opération. Lors des innombrables opérations qui ont lieu chaque année, les acquéreurs d’actions d’une société connaissent vraisemblablement les conséquences fiscales liées au CV existant. Toutefois, lorsqu’une opération est effectuée principalement pour un objet non fiscal, il n’y a pas d’opération d’évitement et, de ce fait, l’existence d’un avantage fiscal accessoire ne fait pas entrer en jeu la RGAÉ. La question de savoir s’il s’agit d’une opération avec ou sans lien de dépendance importe peu : Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536.

[121] Copthorne soutient également avec raison que la Loi n’établit aucune politique générale portant qu’une société mère et une filiale doivent toujours le demeurer. Nulle politique générale n’exclut la réorganisation de sociétés. La RGAÉ n’intervient alors que si une opération d’évitement est jugée abusive. Même lorsqu’il y a réorganisation dans un dessein fiscal, il se peut que la RGAÉ ne s’applique pas. Ce n’est que lorsque la réorganisation a principalement un objet fiscal et qu’on juge qu’elle intervient de manière à contourner l’application de dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qu’elle peut être considérée comme abusive. Et ce n’est que si elle est tenue pour abusive qu’elle peut tomber sous le coup de la RGAÉ.

(d) Conclusion relative à l’objet ou à l’esprit de l’exception prévue au paragraphe 87(3)

[122] L’analyse textuelle, contextuelle et téléologique du par. 87(3) m’amène à conclure que l’objet ou l’esprit de l’exception qui y est prévue est de faire obstacle à la conservation du CV des actions d’une filiale en cas de fusion avec la société mère, lorsqu’elle permettrait à l’actionnaire de toucher, lors du rachat de ses actions par la société issue de la fusion, à titre de remboursement non imposable, une somme supérieure aux fonds libérés d’impôt qu’il a investis dans les sociétés fusionnantes. L’objet ou l’esprit du par. 87(3) étant défini, il faut à présent déterminer s’il y a abus dans l’application de cette disposition en l’espèce.

(4) Y a‑t‑il abus dans l’application des dispositions de la Loi?

[123] Bien que le législateur ait un souci d’uniformité, de prévisibilité et d’équité lorsqu’il légifère en matière fiscale, il faut reconnaître qu’en adoptant la RGAÉ, il a soumis les contribuables à une incertitude inévitable. Dès lors, le ministre a d’autant plus l’obligation de démontrer clairement l’abus allégué s’il veut satisfaire aux deux autres principes que sont l’uniformité et la prévisibilité.

[124] Copthorne convient que le par. 87(3) aurait entraîné l’annulation du CV des actions de VHHC Holdings s’il y avait eu fusion verticale entre celle‑ci et Copthorne I. Copthorne I a plutôt vendu ses actions de VHHC Holdings à Big City afin d’éviter la fusion verticale et l’annulation du CV des actions de VHHC Holdings. L’opération a manifestement contourné l’application de l’exception prévue au par. 87(3) lors de la fusion subséquente de Copthorne I et de VHHC Holdings.

[125] Il faut se demander si cela s’est fait d’une manière « contraire à l’objet ou à l’esprit » de l’exception figurant au par. 87(3) (Trustco, par. 45). Dans sa plaidoirie, Copthorne fait valoir que conserver la structure verticale de VHHC Holdings et de Copthorne aurait emporté le « sacrifice » du CV lors de la fusion. Elle soutient que le par. 87(3) ne peut avoir pour objet de contraindre les actionnaires à sacrifier des éléments d’actif importants. Il faut cependant se rappeler qu’il y a eu avantage fiscal (protéger d’une retenue d’impôt le CV de 67 401 279 $ des actions de VHHC Holdings lors du rachat par Copthorne III d’un bloc d’actions important) et opération d’évitement (la vente de VHHC Holdings à Big City par Copthorne I). L’analyse fondée sur la RGAÉ vise à déterminer si le non‑recours à la fusion verticale et la conservation du CV de 67 401 279 $ des actions de VHHC Holdings ont contourné l’application du par. 87(3), ont produit un résultat que le par. 87(3) vise à empêcher ou sont contraires à la raison d’être du par. 87(3). Dans l’affirmative, le contribuable n’a pas « sacrifié » un élément d’actif important. C’est l’application de la RGAÉ qui prive le contribuable de cet « élément d’actif ».

[126] Le paragraphe 87(3) admet certes deux possibilités, la fusion verticale et la fusion horizontale. Il est également vrai qu’il n’empêche pas expressément le contribuable d’opter pour l’une ou l’autre. J’estime toutefois que l’objet ou l’esprit de la disposition est de faire obstacle à la conservation du CV lors de la fusion lorsqu’elle permettrait à l’actionnaire de toucher en franchise d’impôt, lors du rachat de ses actions par la société issue de la fusion, une somme supérieure aux fonds libérés d’impôt investis.

[127] Je suis d’avis que la vente par Copthorne I de ses actions de VHHC Holdings à Big City, effectuée pour empêcher l’annulation du CV de 67 401 279 $, bien qu’elle n’aille pas à l’encontre de la lettre du par. 87(3), est contraire à son objet. L’investissement de fonds libérés d’impôt totalisait 96 736 845 $. Autoriser l’ajout de 67 401 279 $ à cette somme permettrait le versement à l’actionnaire, en franchise d’impôt, d’une somme bien supérieure aux fonds libérés d’impôt investis, ce qui se révèle contraire à l’objet ou à l’esprit du par. 87(3), voire à sa raison d’être. La série d’opérations qui donne lieu à la « double comptabilisation » du CV n’établit pas en soi d’abus. Cependant, ce résultat peut ne pas être exclu dans certains cas. Je conviens toutefois avec la juge de la Cour de l’impôt que la « double comptabilisation » du CV est abusive en l’espèce, car le contribuable a eu recours à un montage destiné à la préservation « artificielle » du CV, contrecarrant ainsi l’objectif du par. 87(3), la disposition qui détermine le sort du CV en cas de fusion verticale. La vente des actions de VHHC Holdings à Big City a contourné l’application de l’exception prévue au par. 87(3) et, eu égard à la série d’opérations dans laquelle elle s’inscrivait, elle a produit un résultat que la disposition visait à empêcher, de sorte qu’elle va à l’encontre de la raison d’être du par. 87(3). Il s’ensuit que l’opération était abusive et que la cotisation fondée sur la RGAÉ était valable.

VI. Conclusion

[128] Je suis d’avis de confirmer les conclusions de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale, et de rejeter l’appel avec dépens.

ANNEXE A

I. Les sociétés en cause dans la présente affaire, énumérées ci‑après, sont toutes contrôlées par M. Li Ka‑Shing et son fils, Victor Li (la « famille Li ») :

a. Copthorne Holdings Ltd. (« Copthorne »). Trois sociétés appelées Copthorne Holdings Ltd. sont mêlées à l’affaire. Bien que leurs dénominations soient les mêmes, elles diffèrent les unes des autres, ainsi que de l’appelante en l’espèce. La première société Copthorne a été constituée en 1981 sous le régime des lois de l’Ontario; son capital‑actions ne comptait qu’une action détenue par Big City. La deuxième et la troisième lui ont succédé par voie de fusion et ont poursuivi leurs activités sous la dénomination Copthorne Holdings Ltd. Je les appelle Copthorne I, II et III. L’appelante résulte en fait d’une troisième fusion et a poursuivi ses activités sous la même dénomination.

b. VHHC Investments Inc. (« VHHC Investments »), une société ontarienne constituée en 1987, appartenant directement et indirectement à Victor Li, le fils de Ka‑Shing.

c. VHHC Holdings Ltd. (« VHHC Holdings »), une société ontarienne constituée en 1987, dont VHHC Investments détenait au départ toutes les actions.

d. Big City Project Corporation B.V. (« Big City» ), une société des Pays‑Bas contrôlée indirectement par Li Ka‑Shing.

e. Copthorne Overseas Investment Ltd. (« COIL »), une société constituée à la Barbade par Copthorne I et appartenant à celle‑ci.

f. Asfield B.V. (« Asfield »), une société des Pays‑bas dont les actions étaient indirectement détenues par une fiducie dont le principal bénéficiaire était Victor Li.

g. L.F. Holdings Ltd. (« L.F. Holdings »), une société constituée à la Barbade et contrôlée par Li Ka‑Shing.

h. VHSUB Holdings Inc. (« VHSUB »), une société canadienne appartenant à VHHC Holdings.

i. Husky Oil Ltd. (« Husky »), une société canadienne appartenant en partie aux sociétés de la famille Li et qui exerçait des activités de production, de raffinage et de distribution de pétrole et de gaz.

j. Copthorne International Investments Ltd. (« CIIL »), une société constituée aux îles Vierges britanniques en 1994.

k. L.F. Investments (Barbados) Ltd. (« L.F. Investments »), une société constituée à la Barbade en 1994 par L.F Holdings.

Contexte

II. Copthorne I a été constituée en Ontario en 1981. Elle a acheté l’hôtel Harbour Castle de Toronto en 1981, et elle l’a vendu en 1989 en réalisant un important gain en capital. Son unique action était la propriété d’une autre société du groupe de la famille Li, Big City.

III. Après avoir vendu l’hôtel, Copthorne I a constitué une nouvelle société, COIL, qui s’occupait de négociation d’obligations à Singapour.

Création des sociétés VHHC

IV. En 1987, VHHC Investments a été constituée en Ontario. Victor Li possédait les actions ordinaires de catégorie A comportant droit de vote, dont le CV était de 100 $. Il détenait aussi 18,75 % des actions ordinaires de catégorie B ne comportant pas de droit de vote. Les autres actions de catégorie B était la propriété d’Asfield, dont Victor Li était indirectement propriétaire.

V. En 1987,1988 et 1991, Victor Li, Asfield et L.F. Holdings ont acquis d’autres actions de VHHC Investments, ce qui a porté à 96 736 845 $ le CV total des actions ordinaires et privilégiées de VHHC Investments.

VI. Pendant ce temps, VHHC Investments a affecté 67 401 279 $ des fonds investis à l’achat d’actions ordinaires de VHHC Holdings. Le CV des actions de VHHC Holdings était donc de 67 401 279 $.

Les pertes des sociétés VHHC sur l’investissement dans Husky

VII. VHHC Holdings a à son tour investi dans Husky à la fois directement et par l’intermédiaire d’une filiale, VHSUB. À la fin de 1991, les actions de Husky ont perdu beaucoup de valeur, de sorte que VHHC Holdings a subi une perte en capital substantielle.

Vente de VHHC Holdings à Copthorne

VIII. In 1992, VHHC Investments a vendu à Copthorne I la totalité de ses actions ordinaires de VHHC Holdings, dont le CV était toujours de 67,4 millions de dollars, en contrepartie d’une action spéciale de catégorie A de Copthorne I d’une valeur de 1 000 $. Cette opération visait à transférer à Copthorne I la perte en capital afférente à l’investissement dans Husky subie par VHHC Holdings afin de mettre à l’abri de l’impôt le gain en capital réalisé lors de la vente de l’hôtel. À l’issue de cette vente, Copthorne I était propriétaire des actions de VHHC Holdings, dont le CV était de 67,4 millions de dollars, mais dont la juste valeur marchande était symbolique.

Première série d’opérations — Fusion de Copthorne et de VHHC Holdings

IX. En 1993, la famille Li a décidé de fusionner Copthorne I, VHHC Holdings et deux autres sociétés contrôlées par elle. L’opération visait à simplifier la structure du groupe et à mettre à l’abri de l’impôt les bénéfices des unes grâce aux pertes des autres.

X. Or, une fusion verticale entre VHHC Holdings et sa société mère, Copthorne I, aurait entraîné l’annulation du CV de 67.4 millions de dollars des actions de VHHC Holdings par application du par. 87(3) de la Loi. La famille Li a donc décidé d’effectuer diverses opérations pour empêcher l’annulation du CV.

XI. Au mois de juillet 1993, Copthorne I a vendu à sa société mère, Big City, ses actions ordinaires de VHHC Holdings pour la somme de 1 000 $ (la « vente d’actions de 1993 »), de sorte que toute fusion entre Copthorne I et VHHC Holdings serait alors « horizontale », et non « verticale ». C’est cette vente d’actions qui, de l’avis du ministre, constitue une « opération d’évitement ».

XII. Le 1er janvier 1994, Copthorne I, VHHC Holdings et deux autres société ont fusionné pour former « Copthorne II ». Le CV des actions ordinaires de VHHC Holdings s’est additionné au CV de 1 $ de l’action ordinaire unique de Copthorne I, portant le CV total à environ 67,4 millions de dollars réparti également entre les 20 001 000 actions ordinaires de Copthorne II. Toutes ces actions étaient la propriété de Big City.

XIII. Les parties reconnaissent que la vente d’actions de 1993 et la fusion subséquente font toutes deux partie de la première série d’opérations.

Deuxième série d’opérations — Fusion de VHHC Investments et de Copthorne II

XIV. En 1994, un projet de modification législative visant le revenu étranger accumulé, tiré de biens (« RÉATB ») risquait d’avoir des répercussions préjudiciables sur l’entreprise de COIL. La famille Li a alors décidé de se départir de certains éléments d’actifs de COIL.

XV. Une nouvelle société, CIIL, a été constituée pour faire l’acquisition de l’entreprise de négociation d’obligations de COIL. Une nouvelle société, L.F. Investments, a été constituée à la Barbade pour l’achat de la totalité des actions de Copthorne II détenues par Big City et de celles de VHHC Investments détenues par L.F. Holdings. Les deux sociétés aquises ont alors fusionné avec deux autres sociétés pour former « Copthorne III ».

XVI. Lors de la fusion, L.F. Investments a reçu des actions de catégorie D de Copthorne III dont le CV représentait la somme du CV des actions ordinaires de Copthorne II (environ 67,4 millions de dollars) et du CV des actions ordinaires et privilégiées de VHHC Investments (environ 96,7 millions de dollars), soit 164 138 025 $. Ce CV était réparti en 164 138 025 actions privilégiées de catégorie D ayant chacune un CV de 1 $.

Le rachat

XVII. Copthorne III a ensuite racheté 142 035 895 de ses actions privilégiées de catégorie D que détenait L.F. Investments, au prix de 142 035 895 $. Puisque cette contrepartie n’excédait pas le CV total des actions rachetées, elle n’a pas été considérée comme un dividende réputé. Le rachat n’a pas généré non plus un gain en capital.

XVIII. Copthorne n’a donc pas retenu et remis d’impôt pour le compte de L.F. Investments comme l’exigeait le par. 215(1) de la Loi.

XIX. Les parties reconnaissent que les opérations allant de la constitution de CIIL au rachat des actions forment la deuxième série d’opérations.

XX. Le 1er février 2000, le ministre a établi à l’égard de Copthorne, sur le fondement de la RGAÉ, une cotisation pour impôt non retenu. Il estimait que Copthorne III était débitrice de l’impôt non remis, car le CV des actions de Copthorne III aurait dû être de 96 millions de dollars, et non de 164 millions de dollars. L’impôt que Copthorne III aurait dû retenir et remettre pour le compte de L.F. Investments s’élevait à 8 748 783.40 $. Copthorne III a donc fait l’objet d’une cotisation pour cette différence.

ANNEXE B

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)

245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

(2) [Disposition générale anti‑évitement] En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

(3) [Opération d’évitement] L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

Application du par. (2)

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(i) la présente loi,

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

(iv) un traité fiscal,

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

(5) [Attributs fiscaux à déterminer] Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

. . .

248. . . .

(10) [Série d’opérations] Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Stikeman Elliott, Montréal.

Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Ottawa.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit fiscal - Impôt sur le revenu - Évitement fiscal - Interprétation et application de la règle générale anti-évitement - Série d’opérations mettant en jeu le capital versé d’une société - Sort du capital versé en cas de fusion - Retenue d’impôt sur un dividende réputé - Un avantage fiscal a-t-il découlé de ces opérations? - L’opération ayant généré l’avantage fiscal était-elle une opération d’évitement? - Interprétation du terme anglais « contemplation » dans la définition légale d’une série - L’opération ou la série d’opérations constituent-elles un abus dans l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu? - La règle générale anti-évitement permet-elle de supprimer l’avantage fiscal? - Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), art. 84(3), 87(3), 89(1), 245(1) à (5) et 248(10).

Deux sociétés canadiennes d’un même groupe (appelées Copthorne I et VHHC Holdings Ltd. dans les motifs) qui étaient société mère et filiale sont devenues, au terme d’une série d’opérations, des sociétés « sœurs », c’est‑à‑dire des sociétés appartenant directement au même actionnaire non résident, Big City B.V. Les sociétés sœurs ont ensuite fusionné « horizontalement », et le capital versé (« CV ») des actions de l’une s’est ajouté au CV des actions de l’autre pour former le CV des actions de la société issue de la fusion. Si elles avaient encore été une société mère et une filiale, le CV des actions de la filiale aurait été annulé par la fusion. La société issue de la fusion a ensuite racheté un bloc important de ses actions et versé l’équivalent de leur CV à son actionnaire non résident. Le paiement n’a pas été considéré comme un revenu imposable, mais plutôt comme un remboursement de capital à l’actionnaire.

Nulle disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu (« Loi ») n’exigeait expressément, dans ce cas, que le remboursement du CV soit considéré comme un paiement imposable. Le ministre du Revenu national a néanmoins estimé que les opérations à l’issue desquelles la société mère et sa filiale étaient devenues des sociétés sœurs avaient contourné l’application de certaines dispositions de la Loi de manière abusive et contrevenu ainsi à l’art. 245 de la Loi (la règle générale anti‑évitement ou « RGAÉ »). En application de la RGAÉ, le ministre a conclu que la fusion de la filiale avec sa société mère aurait dû annuler le CV des actions de la filiale conformément au par. 87(3). Si le CV des actions de la société issue de la fusion avait été réduit, la tranche de la somme versée à l’actionnaire qui excédait le CV réduit aurait constitué un dividende réputé imposable. La société issue de la fusion a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour la retenue d’impôt non remise sur la portion — qui constituait un dividende réputé — de la somme touchée par l’actionnaire non résident lors du rachat. La Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale ont confirmé les nouvelles cotisations.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Le régime de la RGAÉ défini aux par. 245(1) à (5) de la Loi exige que l’on détermine ce qui suit : (1) y a‑t‑il eu avantage fiscal, (2) l’opération ayant généré l’avantage fiscal était‑elle une opération d’évitement et (3) l’opération d’évitement ayant généré l’avantage fiscal était‑elle abusive? C’est au contribuable qu’il incombe de réfuter la thèse du ministre selon laquelle il y a avantage fiscal. Lorsque, comme en l’espèce, un juge de la Cour de l’impôt tire la conclusion de fait qu’il existe un avantage fiscal, le tribunal d’appel ne peut infirmer celle‑ci que si l’appelant prouve l’erreur manifeste et dominante. L’existence d’un avantage fiscal peut être établie en comparant la situation du contribuable à celle produite par un autre mécanisme qui aurait pu raisonnablement avoir été employé n’eût été l’avantage fiscal. En l’espèce, la comparaison avec la fusion verticale effectuée par le ministre convenait, et la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle il existait un avantage fiscal doit être confirmée.

Suivant le par. 245(3) de la Loi, constitue une opération d’évitement l’opération dont découle un avantage fiscal et qui n’est pas effectuée principalement pour un objet véritable non fiscal. Une opération d’évitement peut conférer un avantage fiscal de façon indépendante ou elle peut faire partie d’une série d’opérations qui confère un avantage. Lorsque, comme en l’espèce, le ministre tient pour acquis que l’avantage fiscal découle d’une série d’opérations et non d’une seule, il faut déterminer s’il y a une série, quelles opérations en font partie et si l’avantage fiscal découle de la série. Le point de départ réside dans la common law anglaise qui définit la série de telle sorte que « chaque opération dans la série est déterminée d’avance pour produire un résultat final ». Le paragraphe 248(10) élargit le sens de l’expression « série d’opérations » de manière à inclure les opérations ou événements liés terminés « en vue de réaliser la série ». La Cour doit déterminer, suivant la prépondérance des probabilités, si la série a joué dans la décision d’effectuer l’opération liée, au sens où l’opération est intervenue « en raison de » la série ou « relativement à » celle ci. Chaque affaire est jugée en fonction des faits qui lui sont propres. Le temps écoulé entre la série et l’opération liée peut parfois constituer un facteur pertinent, tout comme les événements qui surviennent entre elles. Bien que le critère de l’opération liée effectuée « en raison de » de la série ou « relativement à » celle‑ci n’exige pas de « lien étroit », il requiert tout de même plus qu’une simple possibilité ou qu’un lien d’un degré d’éloignement extrême.

Il convient de donner au terme anglais « contemplation » employé au par. 248(10) une portée tant prospective que rétrospective. Le texte et le contexte du par. 248(10) ne précisent pas le moment où la réalisation de la série doit être en vue (« contemplated »). Aucun élément du texte n’indique à quel moment l’opération liée doit être terminée par rapport à la série. Plus précisément, rien ne donne à penser que l’opération liée doit être terminée en vue (« in contemplation ») d’une série subséquente. Dans la présente affaire, la Cour de l’impôt et la Cour d’appel fédérale ont eu raison de conclure que le rachat fait partie de la série constituée de la vente et de la fusion antérieures et que la série, une fois le rachat inclus, a procuré un avantage fiscal.

La série d’opérations dont découle directement ou non un avantage fiscal tombe sous le coup du par. 245(3), sauf s’il est raisonnable de considérer que chacune des opérations de la série est principalement effectuée pour un objet véritable non fiscal. Il faut se prononcer de façon objective, au vu de l’ensemble de la preuve présentée à la cour. En l’espèce, la juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que la vente des actions de VHHC Holdings à la société mère non résidente n’a pas été principalement effectuée pour un objet véritable non fiscal. Vu l’existence d’une série d’opérations ayant produit un avantage fiscal, la conclusion qu’une opération de la série est une opération d’évitement satisfait aux exigences du par. 245(3).

Pour conclure au caractère abusif d’une opération, la cour doit d’abord déterminer l’objet ou l’esprit des dispositions qui sont invoquées pour obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles. Une opération d’évitement peut en soi conférer un avantage fiscal, mais elle peut également faire partie d’une série d’opérations qui en confère un. Bien que l’accent doive être mis sur elle, l’opération qui fait partie d’une série doit être examinée dans le contexte de la série pour déterminer s’il y a évitement fiscal abusif. Le caractère abusif d’une opération ne se révèle alors que dans le contexte de la série dans laquelle elle s’inscrit et de l’effet global obtenu. L’examen fait conclure à l’évitement fiscal abusif lorsque l’opération (1) produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit. Ces considérations ne jouent pas indépendamment les unes des autres, et elles peuvent se chevaucher.

Pour déterminer s’il y a abus en l’espèce, il faut axer l’analyse sur le par. 87(3), qui traite du CV des actions d’une société issue d’une fusion. Suivant son libellé, le par. 87(3) fait en sorte que le CV des actions de la société issue d’une fusion horizontale n’excède pas le CV total des actions des sociétés fusionnantes. Le paragraphe 87(3) prévoit également, entre parenthèses, une exception emportant l’annulation du CV des actions d’une société fusionnante qui sont détenues par une autre société fusionnante. L’analyse textuelle, contextuelle et téléologique du par. 87(3) permet de conclure que l’objet ou l’esprit de l’exception qui y est prévue est de faire obstacle à la conservation du CV des actions d’une filiale en cas de fusion avec la société mère, lorsqu’elle permettrait à l’actionnaire de toucher, lors du rachat de ses actions par la société issue de la fusion, à titre de remboursement non imposable, une somme supérieure aux fonds libérés d’impôt qu’il a investis dans les sociétés fusionnantes.

L’appelante, Copthorne Holdings Ltd., convient que le par. 87(3) aurait entraîné l’annulation du CV des actions de VHHC Holdings s’il y avait eu fusion verticale entre cette dernière et Copthorne I. Copthorne I a plutôt vendu ses actions de VHHC Holdings à la société mère non résidente afin d’éviter la fusion verticale et l’annulation du CV des actions de VHHC Holdings. L’opération a manifestement contourné l’application de l’exception prévue au par. 87(3) lors de la fusion subséquente de Copthorne I et de VHHC Holdings, alors devenues sociétés sœurs.

La vente par Copthorne I de ses actions de VHHC Holdings, effectuée pour empêcher l’annulation du CV de 67 401 279 $, bien qu’elle n’aille pas à l’encontre de la lettre du par. 87(3), est contraire à son objet. L’investissement de fonds libérés d’impôt totalisait 96 736 845 $. Autoriser l’ajout de 67 401 279 $ à cette somme permettrait le versement à l’actionnaire, en franchise d’impôt, d’une somme bien supérieure aux fonds libérés d’impôt investis, ce qui se révèle contraire à l’objet ou à l’esprit du par. 87(3), voire à sa raison d’être. La vente des actions de VHHC Holdings a contourné l’application de l’exception prévue au par. 87(3) et, eu égard à la série d’opérations dont elle faisait partie, elle a produit un résultat que la disposition visait à empêcher, de sorte qu’elle va à l’encontre de la raison d’être du par. 87(3). Il s’ensuit que l’opération était abusive et que la cotisation fondée sur la RGAÉ était valable.


Parties
Demandeurs : Copthorne Holdings Ltd.
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601
arrêts mentionnés : OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, [2002] 2 C.F. 288
MIL (Investments) S.A. c. La Reine, 2006 CCI 460 (CanLII), conf. par 2007 CAF 236 (CanLII)
Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1
Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3
Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3
Collins & Aikman Products Co. c. La Reine, 2009 CCI 299 (CanLII), conf. par 2010 CAF 251 (CanLII)
Stubart Investments Ltd. c. The Queen, [1984] 1 R.C.S. 536.
Lois et règlements cités
Business Corporations Act, R.S.A. 2000, ch. B‑9, art. 28, 182(2).
Convention entre le Canada et le Royaume des Pays‑Bas en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, S.C. 1986, ch. 48, ann. I.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), art. 2(1), 84(3), 84.1, 87(3), 89(1), 212.1, 215(1), 245, 248(10).
Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44, art. 26, 182(2).
Doctrine citée
Canada. Agence des douanes et du revenu du Canada. Bulletin d’interprétation IT‑463R2, « Capital versé », 8 septembre 1995.
Cardarelli, Corrado. « Transactions Involving Paid‑Up Capital », in Report of Proceedings of the Fifty‑Sixth Tax Conference. Toronto : Canadian Tax Foundation, 2005, 26:1.
Dickerson, Robert W. V., John L. Howard et Leon Getz. Propositions pour un nouveau droit des corporations commerciales canadiennes, vol. I. Ottawa : Information Canada, 1971.
Duff, David G. « The Supreme Court of Canada and the General Anti‑Avoidance Rule : Canada Trustco and Mathew », in David G. Duff and Harry Erlichman, eds., Tax Avoidance in Canada After Canada Trustco and Mathew. Toronto : Irwin Law, 2007, 1.
Duff, David G., et al. Canadian Income Tax Law, 3rd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2009.
Hiltz, Michael. « Section 245 of the Income Tax Act », in Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1989, 7:1.
Krishna, Vern. The Fundamentals of Income Tax Law. Toronto : Carswell, 2009.
McGuinness, Kevin Patrick. Canadian Business Corporations Law, 2nd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2007.
Oxford English Dictionary, 2nd ed., vol. III. Oxford : Clarendon Press, 1989, « contemplation ».
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
Webster’s Third New International Dictionary of the English Language. Springfield, Mass. : Merriam‑Webster, 1986, « contemplation ».

Proposition de citation de la décision: Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63 (16 décembre 2011)


Origine de la décision
Date de la décision : 16/12/2011
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2011 CSC 63 ?
Numéro d'affaire : 33283
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-12-16;2011.csc.63 ?
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