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28/02/2012 | CANADA | N°2012_CSC_8

Canada | Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8 (28 février 2012)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8

Date : 20120228

Dossier : 33554

Entre :

Jean-Marc Richard

Appelant

et

Time Inc. et Time Consumer Marketing Inc.

Intimées

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 217)

Les juges LeBel et Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Fish, Abella et Charron)

Note : Ce document fera l’objet de ret

ouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

richard c. time inc.

J...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8

Date : 20120228

Dossier : 33554

Entre :

Jean-Marc Richard

Appelant

et

Time Inc. et Time Consumer Marketing Inc.

Intimées

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 217)

Les juges LeBel et Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Fish, Abella et Charron)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

richard c. time inc.

Jean‑Marc Richard Appelant

c.

Time Inc. et Time Consumer Marketing Inc. Intimées

Répertorié : Richard c. Time Inc.

2012 CSC 8

No du greffe : 33554.

2011 : 18 janvier; 2012 : 28 février.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Chamberland, Morin et Rochon), 2009 QCCA 2378, [2010] R.J.Q. 3, [2009] J.Q. no 15288 (QL), 2009 CarswellQue 12570, qui a infirmé une décision de la juge Cohen, 2007 QCCS 3390, [2007] R.J.Q. 2008, [2007] Q.J. No. 7531 (QL), 2007 CarswellQue 6654. Pourvoi accueilli en partie.

Hubert Sibre, Annie Claude Beauchemin et Jean‑Yves Fortin, pour l’appelant.

Pascale Cloutier et Fadi Amine, pour les intimées.

Le jugement de la Cour a été rendu par

Les juges LeBel et Cromwell —

I. Introduction

[1] Le pourvoi résulte d’une campagne publicitaire qui, sans doute, n’a pas donné les résultats escomptés par ses auteurs. Au cœur du débat se trouvent les questions de savoir si les intimées, en postant à l’appelant un document intitulé [traduction] « Avis officiel du concours Sweepstakes » (le « Document »), se sont livrées à une pratique interdite par la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P‑40.1 (« L.p.c. »), et, dans l’affirmative, si l’appelant a le droit d’obtenir des dommages-intérêts punitifs et compensatoires en vertu de l’art. 272 L.p.c. Pour statuer sur ces questions, la Cour devra notamment préciser les paramètres qui permettent d’évaluer le caractère faux ou trompeur d’une représentation commerciale ainsi que les conditions d’ouverture des recours en dommages-intérêts prévus à l’art. 272 L.p.c.

[2] Concrètement, l’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour d’appel du Québec qui a rejeté sa demande en dommages-intérêts au motif que le contenu du Document ne violait aucune prescription de la L.p.c. (2009 QCCA 2378, [2010] R.J.Q. 3). La Cour d’appel a justifié le rejet de la demande en faisant principalement valoir que le Document ne serait pas de nature à tromper le consommateur « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » (par. 50). Devant notre Cour, l’appelant prétend que les critères utilisés par la Cour d’appel pour définir le consommateur moyen visé par la L.p.c. ébranlent certaines assises du droit québécois de la consommation. Il invite donc notre Cour à rejeter cette définition, à conclure au caractère trompeur du Document et à lui accorder l’équivalent de près d’un million de dollars en dommages-intérêts punitifs.

[3] Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’accord avec l’appelant que le Document contient des représentations qui contreviennent aux prescriptions de la L.p.c. sur les pratiques de commerce interdites. Nous partageons également son opinion que la définition du « consommateur moyen » retenue par la Cour d’appel n’est pas conforme aux objectifs poursuivis par la L.p.c. et, conséquemment, qu’elle doit être rejetée. Enfin, nous proposons d’accueillir, pour partie seulement, sa demande de dommages-intérêts compensatoires et de dommages-intérêts punitifs.

II. Origine du litige

[4] Le 26 août 1999, l’appelant, M. Jean-Marc Richard, a récupéré le Document dans son courrier. Rédigé exclusivement en anglais, le Document se présente sous la forme d’une « lettre » adressée à l’appelant. La lettre, signée par la directrice du programme « Sweepstakes », Mme Elizabeth Matthews, est bordée de différents encadrés imprimés en couleurs dont certains, en raison de leurs références au magazine Time, permettent à son destinataire de déduire qu’elle émane des intimées. Le Document s’ouvre sur une phrase qui attire aussitôt l’attention du lecteur :

[TRADUCTION] NOUS AVONS MAINTENANT LES RÉSULTATS FINALS DU CONCOURS : M. JEAN-MARC RICHARD A GAGNÉ LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!

[5] En regardant le Document de plus près, on constate cependant que cet extrait s’insère dans une phrase à deux volets, rédigée ainsi :

[TRADUCTION] Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, et si vous répondez correctement à une question de connaissances générales, nous annoncerons officiellement que

NOUS AVONS MAINTENANT LES RÉSULTATS FINALS DU CONCOURS : M. JEAN-MARC RICHARD A GAGNÉ LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!

[6] Cette phrase d’ouverture illustre bien le mode de rédaction et de présentation du Document. Celui-ci a été conçu de façon à combiner plusieurs phrases écrites en majuscules et caractères gras rédigées sous forme exclamative, dont l’objectif est de capter l’attention du lecteur en lui suggérant qu’il est le gagnant d’un important prix en argent, à des phrases imprimées en plus petits caractères rédigées sous forme conditionnelle, dont plusieurs débutent par les mots [traduction] « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps ». À titre d’exemple, le Document mentionne l’appelant parmi les plus récents gagnants du programme « Sweepstakes » et indique en grosses lettres que le paiement de son prix en argent a été autorisé. Toutefois, l’inscription [TRADUCTION] « DERNIERS GAGNANTS D’UN PRIX EN ARGENT », sous laquelle figure le nom de l’appelant, est précédée de la phrase suivante rédigée en petits caractères : [TRADUCTION] « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, voici quelle sera notre nouvelle liste de gagnants de gros prix en argent ».

[7] Suivant le même procédé de rédaction, la lettre allie bon nombre de phrases prédominantes destinées à accroître l’enthousiasme de son destinataire à des phrases discrètes rédigées sous forme conditionnelle. Il est utile ici de reproduire quelques extraits du Document pour illustrer davantage les traits particuliers de ce mode de rédaction :

[TRADUCTION] Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, et si vous répondez correctement à une question de connaissances générales, nous confirmerons que

NOUS AVONS EU L’AUTORISATION DE REMETTRE À M. JEAN-MARC RICHARD LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!

. . .

. . . Et puisque nous avons eu l’autorisation de remettre le Gros Lot au gagnant, la prochaine fois que nous communiquerons avec vous si vous gagnez, ce sera pour vous aviser que

UN CHÈQUE BANCAIRE DE 833 337 $ A ÉTÉ EXPÉDIÉ AU [X, RUE X]!

. . .

. . . La vérité est que, si vous avez le numéro gagnant du Gros Lot,

VOUS RENONCEREZ À TOUCHER LA SOMME DE 833 337 $

SI VOUS NE RÉPONDEZ PAS AU PRÉSENT AVIS!

[8] Parallèlement à ces mentions multiples du [traduction] « coupon de participation gagnant du Gros Lot », le Document attribue à l’appelant un [traduction] « numéro de réclamation du prix » qui doit servir à des fins d’identification au stade de la validation des inscriptions. Au verso, la lettre indique d’ailleurs à l’appelant qu’il sera admissible à un prix additionnel de 100 000,00 $ s’il valide son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours. Elle mentionne ensuite divers bénéfices dont l’appelant pourrait jouir s’il décidait, tout en validant son inscription, de s’abonner au magazine Time. Toutes ces informations sont présentées de la manière suivante dans le Document :

[traduction] VOUS SEREZ ADMISSIBLE À UN PRIX ADDITIONNEL DE 100 000 $ SI VOUS RÉPONDEZ DANS LES cinq PROCHAINS JOURS!

. . .

VOUS RECEVREZ EN CADEAU UNE CAMÉRA PANORAMIQUE ULTRONICTM ACCOMPAGNÉE D’UN ALBUM PHOTOS!

. . .

VOUS RECEVREZ AUSSI LE MAGAZINE TIME EN BÉNÉFICIANT D’UN RABAIS ALLANT JUSQU’À 74 %!

. . .

. . . Et si vous détenez le billet gagnant du Gros Lot,

UN CHÈQUE BANCAIRE DE 833 337 $ VOUS SERA EXPÉDIÉ PAR COURRIER RECOMMANDÉ — SI VOUS RÉPONDEZ MAINTENANT!

[9] Pour une meilleure compréhension de la facture visuelle du Document, nous renvoyons le lecteur à sa version intégrale qui est reproduite en annexe aux présents motifs. Dans l’immédiat, il suffit de mentionner que la teneur visuelle et le style de rédaction du Document jouent un rôle critique lorsqu’il s’agit de décider si l’envoi du Document constitue une pratique interdite au sens de la L.p.c.

[10] Outre le Document, l’envoi postal qu’a reçu l’appelant contenait un coupon-réponse intitulé [traduction] « certificat officiel de participation » ainsi qu’une enveloppe de retour sur laquelle les règles officielles du concours étaient imprimées en petits caractères. Le coupon-réponse offrait également à l’appelant la possibilité de s’abonner au magazine Time pour une période variant de sept mois à deux ans. Par ailleurs, les règles officielles indiquaient qu’un numéro gagnant (« winning number ») avait été présélectionné par ordinateur et que son détenteur ne pourrait toucher le gros lot que s’il retournait le coupon-réponse dans le délai fixé. Les règles indiquaient que, dans l’éventualité où le détenteur du numéro gagnant présélectionné ne retournerait pas le coupon-réponse, le gros lot serait tiré aléatoirement parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon-réponse (« all eligible entries ») et que chaque participant aurait alors une chance de gagner sur 120 millions.

[11] Selon son témoignage, le jour où il l’a reçu, l’appelant a lu attentivement le Document à deux reprises, au terme desquelles il est venu à la conclusion qu’il venait de gagner la somme de 833 337,00 $US. Le lendemain, il a apporté le Document à son lieu de travail afin qu’un vice-président de l’entreprise qui l’emploie dont la langue maternelle est l’anglais puisse confirmer ou infirmer la signification qu’il lui attribuait. Cet interlocuteur s’est dit pareillement d’avis que l’appelant venait de gagner le gros lot mentionné dans le Document. Convaincu qu’il était sur le point de toucher la somme promise, l’appelant a aussitôt retourné le coupon-réponse se trouvant à l’intérieur de l’enveloppe. Ce faisant, il s’est abonné pour deux ans au magazine Time. Cet abonnement lui donnait aussi le droit de recevoir gratuitement une caméra ainsi qu’un album photos, comme cela était indiqué au verso du Document.

[12] Peu de temps après, l’appelant a reçu la caméra et l’album photos. Il a également commencé à recevoir les numéros du magazine à intervalles réguliers. Cependant, le chèque espéré se faisait attendre. Jugeant qu’il avait été suffisamment patient, il décida d’appeler Elizabeth Matthews chez Time Inc. afin de s’enquérir du traitement de son chèque. Après avoir laissé quelques messages qui sont restés sans réponse, l’appelant a finalement réussi à parler avec un représentant du service du marketing chez l’intimée Time Inc. à New York. Il apprit alors qu’il ne recevrait aucun chèque puisque le document qui lui avait été transmis par la poste ne portait pas le numéro gagnant du tirage. Lors de la conversation téléphonique, le représentant de Time Inc. informa l’appelant que le Document ne constituait qu’une simple invitation à participer à un concours. L’appelant a également été informé qu’Elizabeth Matthews n’existait pas; il s’agissait plutôt d’un « nom de plume » utilisé par les intimées dans leur matériel publicitaire.

[13] L’appelant a répondu que le Document annonçait clairement qu’il était le gagnant du lot mentionné. Ses protestations ne donnèrent rien. Les intimées refusèrent fermement de lui payer la somme réclamée.

[14] Le 29 septembre 2000, l’appelant a déposé une requête introductive d’instance. Il demandait d’abord à la Cour supérieure du Québec de le déclarer gagnant du prix en argent mentionné dans le Document. Il plaidait que celui-ci constituait une offre de contracter au sens de l’art. 1388 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), offre qu’il avait acceptée en retournant le coupon-réponse. En conséquence, l’appelant a demandé à la Cour supérieure d’ordonner aux intimées de lui fournir la question de connaissances générales et de lui verser le montant du gros lot. À titre subsidiaire, l’appelant a demandé à la Cour supérieure de condamner les intimées à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs correspondant à la valeur du gros lot (d.a., vol. I, p. 53).

III. Historique judiciaire

A. Cour supérieure du Québec (2007 QCCS 3390, [2007] R.J.Q. 2008, la juge Cohen)

[15] La juge Cohen a d’abord analysé le volet contractuel de la réclamation. À cet égard, elle a conclu qu’aucun contrat n’était intervenu entre les parties. Elle a donc refusé d’ordonner le paiement du prix réclamé par l’appelant.

[16] La juge Cohen a ensuite analysé la réclamation de dommages-intérêts de l’appelant, fondée sur des violations alléguées de la L.p.c. À cet égard, elle a jugé que la rédaction alambiquée de l’offre contrevenait aux prescriptions du titre II de la L.p.c. portant sur les pratiques interdites de commerce. Elle a écrit :

[TRADUCTION] Le même emploi de la forme « conditionnelle », qui a permis à Time d’échapper à l’argument qu’un contrat était intervenu ou qu’elle s’était engagée à verser à M. Richard, sans condition, la somme de 833 337 $, illustre bien la prétention que ce document a été conçu expressément de manière à tromper son destinataire, qu’il contient des représentations trompeuses ou même fausses, et ce, en contravention du texte explicite de l’article 219 de la Loi sur la protection du consommateur. [En italique dans l’original; par. 34.]

[17] La juge Cohen a tiré cette conclusion sur la base de l’impression générale laissée par le Document. Se référant à l’art. 218 L.p.c., elle a affirmé que le Document donnait l’impression générale que l’appelant avait gagné le gros lot. À son avis, la facture générale du Document constituait donc une représentation fausse ou trompeuse au sens de l’art. 219 L.p.c.

[18] La juge Cohen a ajouté que le Document contenait deux fausses représentations. D’abord, sa signataire, Mme Elizabeth Matthews, n’existait pas; elle n’avait donc pas pu « certifier » le contenu du Document, contrairement à ce qu’il indiquait. Cette fiction contrevenait clairement aux art. 219 et 238 L.p.c., puisqu’elle conférait à une personne imaginaire un statut ou une identité particulière (par. 38). Ensuite, les intimées n’avaient pas dévoilé à l’appelant qu’il se pouvait qu’il ne soit pas le gagnant du gros lot ou, à tout le moins, cette information était [traduction] « submergée dans une mer de renseignements » de façon à miser sur son enthousiasme afin de l’inciter à s’abonner au magazine Time (par. 39). Selon la juge, l’omission de dévoiler un fait aussi important contrevenait à l’art. 228 L.p.c. La juge Cohen a résumé ainsi sa pensée concernant la présence d’informations fausses ou trompeuses dans le Document : [traduction] « Il saute aux yeux de tout lecteur que l’envoi postal de Time était non seulement faux et incomplet, mais qu’il avait aussi été expressément conçu de manière à tromper le lecteur — et particulièrement celui dont la langue maternelle n’est pas celle de l’envoi — , tant par son libellé que par la taille et l’ambiguïté des conditions ou avertissements » (par. 40).

[19] La juge Cohen a ajouté qu’elle n’avait pas à déterminer si le contenu du Document avait bel et bien trompé l’appelant (par. 49). Pour conclure qu’une représentation commerciale constituait une pratique interdite par la L.p.c., il suffisait que le tribunal constate que le consommateur moyen, c’est-à-dire un consommateur crédule et inexpérimenté, pouvait être induit en erreur :

[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que la publicité non sollicitée envoyée à M. Richard pouvait effectivement s’avérer trompeuse aux yeux du consommateur québécois francophone moyen et inexpérimenté. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement du témoignage de M. Richard qu’il n’aurait jamais lu la partie du document portant sur l’abonnement n’eut été la présence des représentations trompeuses, ce qui démontre de façon évidente que sa décision de s’abonner au magazine Time est directement imputable à ces représentations trompeuses. [par. 49]

[20] Selon la juge Cohen, la stratégie publicitaire des intimées, telle que révélée par le contenu du Document, s’est traduite par la commission de pratiques interdites au titre II de la L.p.c. Ces faits donnaient ouverture aux sanctions civiles prévues à l’art. 272 L.p.c.

[21] S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec découlant de l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., [1995] R.J.Q. 746, la juge Cohen a affirmé que l’art. 272 L.p.c. permettait, en certaines circonstances, d’accorder des dommages-intérêts punitifs en l’absence de préjudice subi par le consommateur, c’est-à-dire sans que le tribunal n’octroie concurremment des dommages-intérêts compensatoires (par. 55). Quoi qu’il en soit, elle a néanmoins estimé que la preuve au dossier démontrait que l’appelant avait subi des dommages moraux — troubles de sommeil et embarras auprès de son entourage — à la suite du refus des intimées de lui verser le gros lot (par. 57). La juge Cohen a fixé à 1 000 $ la valeur des dommages moraux subis par l’appelant.

[22] La juge Cohen a ensuite affirmé qu’il était opportun dans le présent dossier d’accorder des dommages-intérêts punitifs à l’appelant en sus des dommages-intérêts compensatoires. Abordant la question du quantum des dommages-intérêts punitifs, elle a ajouté que l’art. 1621 C.c.Q. prescrivait au tribunal de considérer l’ensemble des circonstances, y compris la situation patrimoniale du débiteur et la gravité de la faute commise. À l’égard de ce dernier aspect, la juge Cohen a décidé que les intimées avaient violé les obligations que leur imposait la L.p.c. en envoyant [traduction] « des milliers d’envois postaux faux et trompeurs à des consommateurs francophones au Québec » (par. 59). Elle a aussi mentionné que les intimées avaient également violé les dispositions de la Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C-11, en faisant parvenir à l’appelant du matériel publicitaire en langue anglaise seulement (par. 64). À son avis, une telle contravention à la Charte de la langue française pouvait être prise en considération dans l’évaluation du quantum des dommages-intérêts punitifs octroyés en vertu de l’art. 272 L.p.c. (par. 66).

[23] Par ailleurs, la juge Cohen a affirmé que la méthode publicitaire du programme « Sweepstakes » était fort lucrative pour les intimées. Tout en mentionnant que le quantum des dommages-intérêts punitifs ne devait pas, en l’espèce, donner l’impression que le tribunal utilisait ce type de dommages-intérêts pour accueillir indirectement le volet contractuel de la réclamation de l’appelant, elle a rappelé qu’il devait néanmoins refléter leur fonction dissuasive eu égard à la situation patrimoniale des intimées. Exerçant sa discrétion judiciaire, la juge Cohen a fixé à 100 000 $ le quantum des dommages-intérêts punitifs octroyés à l’appelant. Ce montant correspond à la valeur du « prix additionnel » auquel l’appelant aurait eu droit s’il avait détenu le numéro gagnant et retourné le coupon-réponse à l’intérieur d’un délai de cinq jours.

[24] Toujours dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, la juge Cohen a ordonné que les dépens accordés à l’appelant soient calculés sur la base de la valeur de l’action [traduction] « telle qu’elle a été introduite », soit la somme de 1 250 887,10 $. Cette conclusion voulait permettre à l’appelant d’être remboursé d’une partie de ses déboursés judiciaires et extrajudiciaires, y compris les honoraires versés à ses procureurs (par. 73).

B. Cour d’appel du Québec (2009 QCCA 2378, [2010] R.J.Q. 3, les juges Chamberland, Morin et Rochon)

[25] Les deux parties ont formé appel du jugement de la Cour supérieure. La Cour d’appel du Québec, dans une opinion rédigée par le juge Chamberland, a accueilli l’appel principal formé par les intimées et rejeté l’appel incident. La Cour d’appel a ainsi rejeté en totalité le recours en dommage-intérêts intenté par l’appelant, mais sans frais compte tenu de la nature du débat et de la nouveauté des questions en litige (par. 53).

[26] La Cour d’appel a d’abord rejeté le pourvoi incident de l’appelant quant au paiement du prix. Cette conclusion n’est plus remise en cause. Le débat principal a porté sur la condamnation des intimées à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

[27] La Cour d’appel a décidé que la L.p.c. était applicable en l’espèce, contrairement aux prétentions des intimées. Le juge Chamberland a souligné que l’art. 217 L.p.c. indique clairement que la commission d’une pratique interdite n’est pas subordonnée à la conclusion d’un contrat (par. 25). Le juge Chamberland a ajouté qu’à tout événement, une relation contractuelle s’était bien formée entre les parties, par l’offre de participer à un concours et par son acceptation par le renvoi du coupon-réponse (par. 26).

[28] Après ces premières constatations, la Cour d’appel a conclu que les intimées n’avaient pas violé la L.p.c. D’abord, à son avis, les intimées n’avaient pas violé l’art. 228 L.p.c. en omettant d’écrire clairement sur le Document que l’appelant pouvait ne pas être le gagnant du gros lot (par. 28).

[29] Ensuite, la Cour d’appel a décidé que l’utilisation du nom d’une personne fictive, en l’occurrence Elizabeth Matthews, comme signataire du Document ne violait pas l’al. 238c) L.p.c. En l’espèce, la seule utilisation d’un « nom de plume » n’était pas susceptible de tromper les consommateurs sur l’identité du commerçant, mais ne visait qu’à « personnaliser » les envois postaux (par. 29).

[30] Finalement, le juge Chamberland a exprimé son désaccord avec l’opinion de la juge Cohen selon laquelle le Document contenait des représentations fausses ou trompeuses, contrairement aux prescriptions de l’art. 219 L.p.c. La Cour d’appel se disait incapable de conclure que le Document était susceptible de laisser, chez le consommateur québécois moyen, l’impression générale que le destinataire était le gagnant du gros lot mentionné (par. 49-50). La cour ne se montrait même pas critique à l’égard du comportement des intimées :

Avec égards pour l’opinion contraire, je vois dans la documentation transmise à l’[appelant] un texte accrocheur, mais pas de déclarations trompeuses, déloyales ou fourbes. Je soupçonne même l’[appelant], un homme d’affaires averti œuvrant sur la scène locale et internationale, en français et en anglais, d’avoir parfaitement bien compris ce qu’il en était du sweepstake et de ses chances de gagner, et ce, depuis le tout début. [par. 51.]

[31] D’après la Cour d’appel, le Document ne contenait aucune représentation fausse ou trompeuse. Bien qu’elle ait semblé reconnaître que ses titres accrocheurs pouvaient initialement donner l’impression que l’appelant venait de gagner le gros lot, à son avis, une lecture attentive du Document suffisait pour dissiper cette impression. En quelque sorte, il appartenait aux consommateurs de se méfier des messages publicitaires aux apparences trop avantageuses. Pour ces motifs, la Cour d’appel a cassé la condamnation des intimées à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

IV. Analyse

A. Questions en litige

[32] Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :

1. Quelle est la méthode appropriée, au Québec, pour évaluer si une publicité constitue une représentation fausse ou trompeuse pour l’application de la Loi sur la protection du consommateur?

2. En l’absence de contrat visé par l’art. 2 L.p.c., le consommateur peut-il intenter un recours en dommages-intérêts en vertu de l’art. 272 L.p.c.?

3. Quelles sont les conditions d’ouverture du recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l’art. 272 L.p.c.?

4. Doit-on accorder des dommages-intérêts punitifs en l’espèce et, dans l’affirmative, quels critères doivent être considérés pour en déterminer le montant?

B. Rappel des objectifs généraux du droit de la consommation et présentation de la structure de la L.p.c.

[33] Ce pourvoi demande à notre Cour d’interpréter des éléments centraux du régime juridique mis en place par la L.p.c. Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous sommes appelés à préciser en l’espèce les paramètres qui encadrent l’interdiction de certaines pratiques publicitaires, ainsi que les conditions d’ouverture du recours prévu à l’art. 272 L.p.c. en cas de violation de cette interdiction. Dans ce contexte, il s’avère pertinent d’effectuer un bref rappel des objectifs poursuivis par le droit de la consommation moderne et de ses origines au Québec et au Canada.

(1) L’avènement de la société de consommation et ses incidences sur l’environnement normatif en matière de protection du consommateur

[34] Historiquement, la législation canadienne destinée à protéger le consommateur s’est d’abord concentrée sur la protection contre les « abus de pouvoirs » commis par les commerçants (L.-A. Couture, « Rapport sur la protection du consommateur au niveau fédéral en droit pénal canadien », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24 (1975), 303, p. 307).

[35] La préservation d’un environnement économique concurrentiel est demeurée au cœur des mécanismes de protection du consommateur au Canada jusqu’au milieu du XXe siècle. La protection du consommateur conservait un caractère indirect : par exemple, la législation fédérale se préoccupait davantage des orientations structurelles de l’économie canadienne que de la protection particulière des intérêts du consommateur (voir J.-L. Baudouin, « Rapport général », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24 (1975), 3, p. 4).

[36] Toutefois, après la Deuxième Guerre mondiale, l’avènement de la société de consommation a fait apparaître des préoccupations nouvelles, notamment des inquiétudes au sujet de la vulnérabilité accrue du consommateur (N. L’Heureux et M. Lacoursière, Droit de la consommation (6e éd. 2011), p. 1-4).

[37] L’évolution des marchés a fait reconnaître le besoin d’une protection accrue du consommateur. En fait, la libéralisation des marchés a favorisé l’émergence de régimes plus orientés vers la protection du consommateur (voir Baudouin, p. 3-4; voir aussi Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd., 2005 CSC 28, [2005] 1 R.C.S. 649, par. 33).

[38] Le Parlement du Canada et le législateur québécois ont tous deux cherché à résoudre les problèmes posés par l’avènement de la société de consommation. Dans le cadre constitutionnel canadien, le Parlement et les législatures ont tous joué un rôle important et souvent complémentaire en ces matières. Nous n’insisterons pas ici sur les mesures adoptées par le Parlement fédéral. Notre opinion portera sur la législation québécoise et son évolution.

[39] L’avènement de la société de consommation a rendu évidentes les limites du droit commun au Québec comme dans les autres provinces canadiennes. Au Québec, le modèle de justice contractuelle fondé sur la liberté de contracter, le consensualisme et la force obligatoire du contrat apparaissait de moins en moins adapté pour assurer une réelle égalité entre commerçants et consommateurs. L’intervention du législateur québécois en ce domaine a initialement été inspirée par la recherche d’un modèle différent de justice contractuelle fondé sur un régime d’ordre public qui dérogerait aux règles traditionnelles du droit commun (voir Baudouin, p. 5).

[40] Le droit québécois de la consommation s’est pour l’essentiel organisé autour de deux lois successives sur la protection du consommateur, adoptées respectivement en 1971 et 1978, complétées plus tard par certaines dispositions d’ordre public contenues dans le Code civil du Québec. La première Loi de la protection du consommateur (L.Q. 1971, ch. 74) ne s’appliquait qu’aux contrats assortis d’un crédit ou conclus à distance, et ne réglementait pas les pratiques de commerce de façon autonome. En réalité, la publicité n’était régie qu’indirectement par le biais d’une fiction juridique l’incorporant aux termes du contrat. Quelques années seulement après l’entrée en vigueur de la première loi, il était devenu évident que la solution adoptée par le législateur québécois devait être revue.

[41] La Loi sur la protection du consommateur applicable aujourd’hui institue un régime juridique beaucoup plus élaboré que celui établi par sa version précédente. Son adoption témoigne de la volonté du législateur québécois d’étendre la protection de la L.p.c. à un ensemble plus vaste de contrats et de régir explicitement certaines pratiques de commerce jugées dolosives pour le consommateur. Concrètement, la loi est divisée en sept titres qui reflètent les grandes orientations du droit québécois de la consommation. Le titre I, intitulé « Contrats relatifs aux biens et aux services », contient des dispositions qui visent principalement à rétablir l’équilibre contractuel entre le commerçant et le consommateur. Le titre II, intitulé « Pratiques de commerce », assimile à des pratiques interdites certains comportements commerciaux afin d’assurer la véracité de l’information transmise au consommateur par la publicité ou autrement.

[42] Ces deux titres principaux sont complétés notamment par le titre IV, qui prévoit les recours civils et pénaux susceptibles d’être exercés afin de sanctionner les manquements à la loi commis par les commerçants. En faisant abstraction du recours prévu à l’art. 272 L.p.c., dont les conditions d’exercice sont au cœur du présent pourvoi, les principaux recours sont les suivants : recours du consommateur en nullité du contrat (art. 271 L.p.c.), poursuite pénale intentée par le directeur des poursuites criminelles et pénales (art. 277 L.p.c.) et recours en injonction interlocutoire ou permanente intenté, selon le cas, par le procureur général du Québec, le président de l’Office de la protection du consommateur (« Office ») ou une personne morale dont la mission est de protéger le consommateur (art. 290, 310 et 316 L.p.c.). Par ailleurs, le président de l’Office peut également négocier avec un commerçant un engagement volontaire de respecter la loi (art. 314 L.p.c.).

(2) La protection contre la publicité fausse ou trompeuse

[43] Les mesures destinées à protéger le consommateur contre les pratiques publicitaires frauduleuses constituent l’une des manifestations de la volonté des corps législatifs de se distancier de la maxime caveat emptor, qui signifie « que l’acheteur prenne garde ». En vertu de ces mesures, il appartient au commerçant, au fabricant ou au publicitaire de s’assurer de la véracité de l’information transmise au consommateur. À défaut, il s’expose à en subir les conséquences civiles ou pénales prévues par la législation. Comme l’a expliqué le juge Matheson, de la Cour de comté de l’Ontario, dans l’affaire R. c. Colgate-Palmolive Ltd., [1970] 1 C.C.C. 100, impliquant la mise en œuvre du droit fédéral, c’est bien davantage la maxime caveat venditor qui trouve application de nos jours dans le contexte des relations entre commerçants et consommateurs. Dans son jugement souvent cité depuis, il a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] Cette loi est l’expression d’un objectif social, à savoir l’établissement de pratiques de commerce plus saines visant à mieux protéger le consommateur. Elle représente la volonté de la population canadienne de voir la vieille maxime caveat emptor — que l’acheteur prenne garde — céder quelque peu le pas au point de vue plus éclairé du caveat venditor — que le vendeur prenne garde. [p. 102]

(3) La protection contre les représentations fausses ou trompeuses dans la L.p.c.

[44] Un des objectifs principaux du titre II de la L.p.c. est la protection du consommateur contre les représentations fausses ou trompeuses. Un nombre important de pratiques qu’il interdit sont reliées à la véracité de l’information transmise au consommateur. L’article 219 L.p.c., exprime de façon particulièrement nette cet objectif. En effet, il interdit de façon générale à tout commerçant, fabricant ou publicitaire, de faire par quelque moyen que ce soit, une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur. En effet, la notion de « représentation » est définie à l’art. 216 L.p.c. comme comprenant une affirmation, un comportement ou une omission. Des interdictions relatives à certaines représentations spécifiques (art. 220 à 251 L.p.c.) complètent l’art. 219 L.p.c.

[45] L’article 218 L.p.c. encadre l’application de toutes ces dispositions du titre II. Il expose la méthode prescrite pour déterminer si une représentation doit être considérée comme une pratique interdite. Son libellé est fortement inspiré de celui du par. 52(4) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, L.R.C. 1985, ch. C-23, dont une version légèrement modifiée se trouve aujourd’hui au par. 52(4) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34. L’article 218 L.p.c. prévoit ce qui suit :

218. Pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l’impression générale qu’elle donne et, s’il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.

[46] La méthode d’analyse prévue à l’art. 218 L.p.c. commande l’examen de deux éléments : « l’impression générale » donnée par une représenation, ainsi que le « sens littéral » des termes qui y sont employés. Nous examinerons successivement la signification de ces deux éléments.

[47] L’expression « sens littéral des mots qui y sont employés » ne pose pas de problème d’interprétation. Elle reconnaît simplement que chaque mot contenu dans une représentation doit être interprété selon son sens ordinaire. Cette partie du texte de l’art. 218 L.p.c. vise à interdire aux commerçants de soulever une défense basée sur une signification subtile, technique ou alambiquée d’un mot utilisé dans une représentation. Le législateur a ainsi souhaité que l’on donne aux mots utilisés dans les représentations un sens conforme à celui qu’ils possèdent dans la vie quotidienne.

[48] En revanche, la notion d’« impression générale » requiert davantage d’explications. Bien que le corpus jurisprudentiel en la matière demeure limité, certaines décisions récentes paraissent avoir établi plus explicitement des principes qui permettent de dégager une interprétation dominante.

[49] L’un de ces principes récemment reconnus plus clairement par la jurisprudence québécoise concerne le caractère in abstracto de l’analyse de l’impression générale donnée par une représentation. Influencée en cette matière par les commentaires de la professeure L’Heureux, la jurisprudence semble désormais reconnaître, comme les tribunaux inférieurs dans ce dossier, que « l’impression générale » donnée par une représentation doit être analysée in abstracto, c’est-à-dire en faisant abstraction des attributs personnels du consommateur à l’origine de la procédure engagée contre le commerçant. (Voir Québec (Procureur général) c. Distribution Canovex Inc., [1996] J.Q. no 5302 (QL) (Cour du Québec, ch. crim. et pénale), par. 39-40; Option Consommateurs c. Brick Warehouse, l.p., 2011 QCCS 569, par. 71-73; N. L’Heureux, Droit de la consommation (5e éd. 2000), p. 347. Voir aussi Tremblay c. Ameublements Tanguay inc., 2011 QCCS 3078 (CanLII), par. 97; et L’Heureux et Lacoursière, p. 489-490.)

[50] Cette approche respecte l’esprit de la L.p.c., dont l’objectif principal demeure la protection du consommateur. Les tribunaux doivent alors être en mesure de sanctionner toute représentation qui, objectivement, constitue une pratique interdite. Le fait qu’une représentation commerciale ait causé ou non un préjudice à un ou plusieurs consommateurs n’est pas pertinent pour décider si un commerçant a commis une pratique interdite au sens du titre II de la L.p.c. La loi vise non seulement à réparer le tort causé aux consommateurs par des représentations fausses ou trompeuses, mais également à prévenir la diffusion de messages publicitaires capables de tromper les consommateurs et, éventuellement, de leur causer divers préjudices.

[51] En somme, la conduite d’une analyse in abstracto en vertu de l’art. 218 L.p.c. vise à réaliser cet objectif. Cette approche tient compte de la façon dont la publicité peut affecter concrètement la vie quotidienne du consommateur. À ce sujet, le professeur Claude Masse a écrit :

La publicité commerciale joue en effet souvent sur l’impression générale que peut laisser une publicité et même sur le sens littéral des mots employés. Les informations publicitaires sont transmises rapidement. On y mise sur l’image et l’impression du moment. C’est cette impression générale qui est souvent recherchée par la publicité. Le consommateur n’a pas, par définition, le temps de se livrer à de longues réflexions sur le sens véritable des messages qu’on lui communique ou sur la question de savoir si le sens des mots employés correspond ou non à leur sens littéral. Le droit de la consommation prend le contenu de la publicité au sérieux. Le consommateur n’a pas à se demander si les promesses qu’on lui fait ou les engagements que l’on prend sont ou non réalistes, sérieux ou vraisemblables. Le commerçant, le fabricant et le publicitaire sont donc liés par le contenu du message réellement communiqué aux consommateurs. [Nous soulignons.]

(Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires (1999), p. 828)

[52] L’emploi du critère de l’impression générale fixé à l’art. 218 L.p.c. vise à traduire la façon dont, en pratique, les consommateurs sont très souvent amenés à exercer leur liberté de choix. Il faut alors déterminer comment les tribunaux doivent apprécier l’impression générale donnée par une représentation commerciale. Les parties ont adopté des positions fort contradictoires devant notre Cour à l’égard de l’interprétation de cette notion.

[53] L’appelant plaide essentiellement que l’impression générale donnée par une publicité écrite doit s’apprécier de façon contextuelle, c’est-à-dire d’une façon qui tienne compte autant du style de rédaction que du choix des mots utilisés. Il affirme que l’approche prescrite par l’art. 218 L.p.c. ne consiste pas à extraire les mots employés dans une publicité du support sur lequel ils sont reproduits. En d’autres termes, l’appelant soutient que l’impression générale est conditionnée à la fois par la facture visuelle d’une publicité et par la signification des mots utilisés.

[54] Les intimées répondent que le critère de l’impression générale ne doit pas être assimilé à celui de « l’impression instantanée ». Elles plaident que l’impression générale ne correspond pas à l’impression instantanée laissée par la facture visuelle d’une publicité et que les tribunaux ne peuvent faire l’économie d’une lecture attentive des publicités écrites. Les intimées soutiennent donc que l’art. 218 L.p.c. prescrit une méthode d’analyse qui place l’accent sur le texte de la publicité plutôt que sur sa facture visuelle.

[55] À notre avis, les intimées ont tort de négliger l’importance de la facture visuelle d’une publicité. Il faut retenir d’abord que le législateur a adopté le critère de l’impression générale pour tenir compte des techniques et méthodes utilisées dans la publicité commerciale afin d’influencer de manière importante le comportement du consommateur. Cette réalité commande que l’on attache une importance considérable non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur.

[56] Les intimées ont cependant raison d’affirmer que l’impression générale à laquelle réfère l’art. 218 L.p.c. n’est pas celle qui se dégage d’une lecture précipitée ou partielle de la publicité. L’analyse requise par cette disposition doit prendre en considération l’ensemble de la publicité plutôt que de simples bribes de son contenu. Toutefois, la méthode d’analyse prescrite par l’art. 218 L.p.c. s’oppose tout autant à un décorticage minutieux du texte d’une publicité aux fins de déterminer si l’impression générale qu’elle donne est fausse ou trompeuse. En effet, les tribunaux ne doivent pas aborder une publicité écrite comme un contrat commercial, c’est-à-dire la lire plusieurs fois, en s’attachant à tous ses détails pour en comprendre toutes les subtilités. Une seule lecture d’ensemble devrait suffire pour apprécier l’impression générale donnée par une publicité écrite. Cette impression générale permettra alors de déterminer si une représentation faite par un commerçant constitue une pratique interdite.

[57] En somme, à notre avis, l’art. 218 L.p.c. pose le critère de la première impression. En ce qui concerne la publicité fausse ou trompeuse, l’impression générale est celle qui se dégage après un premier contact complet avec la publicité, et ce, à l’égard tant de sa facture visuelle que de la signification des mots employés. Cette méthode d’analyse ressemble d’ailleurs à celle qui doit être appliquée en vertu de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, ch. T-13) afin de déterminer si une marque crée de la confusion (Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, par. 41).

[58] Ainsi, nous ne saurions accepter la distinction proposée par les intimées entre « impression instantanée » et « impression générale ». En réalité, les intimées invitent notre Cour à appliquer une norme beaucoup plus exigeante que celle de la première impression. Leur position relativement à l’application du critère de l’impression générale aux faits du présent dossier impose une telle conclusion. En effet, afin d’expliquer les raisons pour lesquelles leur stratégie publicitaire ne contrevient pas aux prescriptions du titre II de la L.p.c., elles affirment que les [TRADUCTION] « documents [...] ont été en la possession de [l’appelant] durant une longue période, ce qui a permis à ce dernier de les lire attentivement à plusieurs occasions avant d’envoyer le certificat officiel de participation » (m.i., par. 46 (nous soulignons)).

[59] Nous examinerons maintenant l’approche adoptée par la Cour d’appel en l’espèce, en appliquant les principes dégagés plus haut au sujet de la méthode d’analyse prescrite par l’art. 218 L.p.c. Avec égards, nous sommes d’avis que la Cour d’appel paraît avoir privilégié une approche qui substitue à la recherche de l’impression générale laissée par le Document, celle d’une « opinion après analyse ». En substance, cette approche a consisté à décortiquer le Document pour isoler et mettre en relation des extraits de phrases qui révéleraient le « vrai message » véhiculé (par. 45-48). Cette méthode a conduit la Cour d’appel à accorder une importance démesurée aux extraits du Document contenant des expressions telles que [traduction] « si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps » et [traduction] « si vous détenez le numéro gagnant du Gros Lot » (d.a., vol. 2, p. 59). En procédant ainsi, la Cour d’appel n’a pas respecté le critère de l’impression générale énoncé à l’art. 218 L.p.c.

[60] Cette dissection du texte par la Cour d’appel se rapproche de la méthode classique d’analyse des contrats de droit civil et s’éloigne d’une recherche de l’impression générale d’ensemble que la publicité donne au consommateur. De plus, les dispositions du titre II de la L.p.c. veulent rendre les commerçants responsables du contenu de leurs publicités sur la base de l’impression générale qu’elles donnent. En adoptant une norme aussi exigeante à l’art. 218 L.p.c., le législateur a souhaité que le consommateur examine la publicité commerciale avec confiance plutôt qu’avec méfiance. La loi actuelle souhaite ainsi que le consommateur puisse présumer que l’impression générale donnée par une publicité correspond à la réalité, et non le contraire. En somme, la méthode d’analyse choisie par la Cour d’appel pour déterminer l’impression générale donnée par la publicité des intimées ne respectait pas le critère de l’impression générale que le législateur a retenu.

(4) Le consommateur visé par le titre II de la L.p.c.

[61] La discussion de la notion d’impression générale qui précède laisse néanmoins en suspens une question importante : selon quelle perspective les tribunaux doivent-ils apprécier l’impression générale donnée par une représentation commerciale? Qui est le consommateur visé par l’art. 218 L.p.c.? La réponse à cette question constitue le deuxième volet de la méthode d’analyse prescrite par l’art. 218 L.p.c.

[62] La jurisprudence récente renvoie couramment au concept du « consommateur moyen » afin de désigner le consommateur visé par les dispositions du titre II de la L.p.c. Certes, ce consommateur moyen n’existe pas : il demeure le produit d’une fiction juridique incarnée par un consommateur mythique auquel on impute un degré de discernement qui reflète le but de la L.p.c. En l’espèce, le nœud de la question consiste à déterminer si le degré de discernement du consommateur moyen conceptualisé par la Cour d’appel respecte les objectifs poursuivis par la L.p.c.

[63] L’appelant plaide que la Cour d’appel s’est trompée en définissant le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » (par. 50). Il soutient que la Cour d’appel s’est écartée de la jurisprudence prédominante au Québec selon laquelle le consommateur moyen doit être considéré comme une personne « crédule et inexpérimentée ». Il affirme qu’en insistant sur le niveau d’intelligence, de scepticisme et de curiosité du consommateur moyen, la Cour d’appel a proposé une norme nouvelle qui pourrait priver une grande partie des consommateurs de la protection de la L.p.c. (m.a., par. 40).

[64] Pour leur part, les intimées plaident que la Cour d’appel n’a pas modifié la définition du consommateur moyen. À leur avis, le juge Chamberland a simplement rappelé que le consommateur moyen, même crédule, n’est pas complètement dépourvu d’intelligence, sans modifier les exigences de l’art. 218 L.p.c. (m.i., par. 28 et 32).

[65] La L.p.c. appartient à l’ensemble de lois destinées à protéger les consommateurs canadiens. La jurisprudence qui découle de l’application de ces dispositions utilise souvent le critère du consommateur moyen. Cette jurisprudence attribue un faible degré de discernement à ce consommateur, afin de respecter l’objectif de protection sous-jacent à ces mesures législatives.

[66] La jurisprudence de notre Cour en matière de marques de commerce fournit un bon exemple de cette approche interprétative. Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, la Cour était appelée à préciser la norme au moyen de laquelle les tribunaux doivent décider si une marque de commerce porte à confusion avec une marque enregistrée. Au nom de la Cour, le juge Binnie a conclu que le consommateur moyen que veut protéger la Loi sur les marques de commerce est « l’acheteur ordinaire pressé » (par. 56). Il a précisé que « [l]a norme applicable [n’était] pas celle des personnes [traduction] “qui ne remarquent jamais rien”, mais celle des personnes qui ne prêtent rien de plus qu’une [traduction] “attention ordinaire à ce qui leur saute aux yeux” » (par. 58).

[67] Le critère de l’impression générale prévu à l’art. 218 L.p.c. doit être appliqué dans une perspective similaire à celle de « l’acheteur ordinaire pressé », c’est-à-dire celle d’un consommateur qui ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact avec une publicité. Les tribunaux ne doivent pas conduire l’analyse dans la perspective du consommateur prudent et diligent.

[68] Les adjectifs utilisés pour qualifier le consommateur moyen sont évidemment susceptibles de varier d’une loi à l’autre. Ces variations reflètent la diversité des réalités économiques visées par chaque loi et des objectifs qui leur sont propres. L’essentiel ne réside pas dans ces épithètes, mais plutôt dans le choix du degré de discernement attendu du consommateur.

[69] Dans l’application du critère de l’impression générale prescrit par l’art. 218 L.p.c., la jurisprudence québécoise a traditionnellement utilisé les qualificatifs « crédule » et « inexpérimenté » afin de décrire le consommateur visé par la loi. Les tribunaux québécois se sont inspirés alors de l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Products Ltd., [1971] 5 W.W.R. 409 (C.S. Alb., Div. app.), pour intégrer le concept de la « personne crédule et inexpérimentée » au titre II de la L.p.c. (Masse, p. 828). Après des mentions occasionnelles de ce concept dans la jurisprudence des années 1980 et 1990, notamment dans l’affaire P.G. du Québec c. Louis Bédard Inc., 1986 CarswellQue 981 (C.S.P.), la Cour d’appel du Québec a prononcé un jugement de principe sur cette question dans l’arrêt Turgeon c. Germain Pelletier Ltée, [2001] R.J.Q. 291, et a confirmé à cette occasion l’applicabilité du critère du consommateur « crédule et inexpérimenté » en droit québécois de la consommation. Le juge Fish, alors de cette cour, a écrit ce qui suit à ce propos :

Comme l’a souligné mon collègue le juge Gendreau dans l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., la Loi sur la protection du consommateur est une loi d’ordre public qui vise à rétablir [l’équilibre] contractuel entre le commerçant et son client. Et, c’est en vertu du critère de la personne crédule et inexpérimentée qu’il faut évaluer le caractère trompeur de la publicité et des pratiques commerciales visées par la Loi sur la protection du consommateur [Nous soulignons; par. 36.]

[70] Depuis lors, les tribunaux de première instance au Québec ont suivi cet arrêt, notamment à l’occasion de plusieurs recours collectifs fondés sur la L.p.c. (voir Riendeau c. Brault & Martineau inc., 2007 QCCS 4603, [2007] R.J.Q. 2620, par. 149, conf. par 2010 QCCA 366, [2010] R.J.Q. 507; Adams c. Amex Bank of Canada, 2009 QCCS 2695, [2009] R.J.Q. 1746, par. 126; Marcotte c. Banque de Montréal, 2009 QCCS 2764 (CanLII), par. 357; Marcotte c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, 2009 QCCS 2743 (CanLII), par. 257). En somme, il est clair que depuis l’arrêt Turgeon c. Germain Pelletier ltée, l’« impression générale » à laquelle renvoie l’art. 218 L.p.c. est assimilée à celle que donne une représentation commerciale chez le consommateur crédule et inexpérimenté.

[71] Ainsi, le concept du « consommateur moyen » n’évoque pas, en droit québécois de la consommation, la notion de personne raisonnablement prudente et diligente. Il renvoie encore moins à la notion de personne avertie. Afin de réaliser les objectifs de la L.p.c., les tribunaux considèrent que le consommateur moyen n’est pas particulièrement aguerri pour déceler les faussetés ou les subtilités dans une représentation commerciale.

[72] Les qualificatifs « crédule et inexpérimenté » expriment donc la conception du consommateur moyen qu’adopte la L.p.c. Cette description du consommateur moyen respecte la volonté législative de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires. Le terme « crédule » reconnaît que le consommateur moyen est disposé à faire confiance à un commerçant sur la base de l’impression générale que la publicité qu’il reçoit lui donne. Cependant, il ne suggère pas que le consommateur moyen est incapable de comprendre le sens littéral des termes employés dans une publicité, pourvu que la facture générale de celle-ci ne vienne pas brouiller l’intelligibilité des termes employés.

[73] Il nous faut donc constater que la Cour d’appel a modifié la norme du consommateur moyen visé par le titre II de la L.p.c. et n’a pas respecté l’objectif de protection de la L.p.c. À notre avis, le fait de définir le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » se concilie mal avec le libellé et l’esprit de l’art. 218 L.p.c. En effet, une telle définition soulève plusieurs problèmes.

[74] D’abord, l’expression « moyennement intelligent » suggère que le consommateur que le législateur a souhaité protéger au titre II de la L.p.c. est celui dont le degré de discernement correspond à celui de la moyenne des gens. Comme nous l’avons souligné précédemment, le droit de la consommation ne protège pas les consommateurs dans la seule mesure où ils se sont montrés prudents et avertis. Pour respecter l’objectif général de protection de la L.p.c., il faut éviter d’utiliser un critère correspondant à celui du consommateur prudent et diligent.

[75] De plus, dans une perspective pratique, ce volet de la définition proposée par le juge Chamberland s’harmonise mal avec l’analyse in abstracto requise par l’art. 218 L.p.c. L’utilisation d’une norme comme le « consommateur moyennement intelligent » peut inciter les tribunaux à adopter une méthode d’analyse basée sur la détermination du degré de discernement du consommateur en cause. Une telle approche faciliterait l’exonération d’un commerçant qui aurait eu le bonheur de se faire poursuivre par un consommateur plus intelligent que la moyenne. Les tribunaux seraient alors invités à déterminer si le consommateur qui a entrepris le recours a été trompé, plutôt qu’à déterminer si la publicité en cause constituait une représentation fausse ou trompeuse. On réduirait ainsi le niveau de protection offert au consommateur par la L.p.c.

[76] Ensuite, le qualificatif « moyennement sceptique » substitue au critère de l’impression générale celui de l’opinion atteinte après une analyse plus poussée. Il invite les tribunaux à présumer que le consommateur moyen doit effectuer des démarches concrètes afin de découvrir le « vrai message » qui se cache derrière une publicité aux apparences avantageuses. Cette méthode d’analyse ne peut s’appliquer qu’au détriment du critère de l’impression générale. En effet, une personne sceptique aura tendance à refuser de se fier à un message publicitaire uniquement sur la base de l’impression générale qu’il dégage. La personne sceptique doutera, posera des questions et conduira peut-être ses propres recherches. Si, au terme de cet exercice, elle conclut que le contenu d’un message publicitaire est conforme à la réalité, son appréciation ne dépendra pas de l’impression générale qu’il a donnée. Elle proviendra plutôt des démarches concrètes qu’elle aura faites.

[77] Les commentaires qui précèdent s’appliquent aussi à la « curiosité moyenne » qui, selon la Cour d’appel, doit être présumée chez le consommateur moyen. Avec égards, l’utilisation de cette notion procède de la même prémisse erronée que dans le cas du scepticisme du consommateur moyen. Un consommateur « moyennement curieux » ne sera pas stupide et naïf au point de se fier aux premières impressions données par une représentation commerciale. Au contraire, il se montrera suffisamment curieux pour approfondir sa première perception. Son objectif demeurera de vérifier si l’impression générale donnée par une publicité correspond effectivement à la réalité. Sur ce point, nous rappelons que le titre II de la L.p.c. vise à permettre au consommateur de faire confiance aux commerçants sur la base de l’impression générale laissée par leurs publicités. Dans la mesure où cette impression générale ne correspond pas à la réalité, la publicité constitue une représentation fausse ou trompeuse et la L.p.c. considère que le commerçant a commis une pratique interdite, et ce, sans égard au fait qu’une analyse approfondie de la publicité pourrait permette de comprendre le « vrai message » qu’elle véhicule. En réalité, la conceptualisation du consommateur moyen retenue par la Cour d’appel s’apparente davantage à la notion de personne diligente qui n’est pas mentionnée dans la loi et qui ne respecte pas l’esprit de celle-ci.

[78] Pour l’ensemble de ces motifs, nous devons écarter la définition du consommateur moyen proposée par la Cour d’appel. Nous sommes d’avis que la notion du consommateur crédule et inexpérimenté, comme l’a employée la jurisprudence prédominante au Québec avant le jugement dont appel, respecte mieux les objectifs de protection contre la publicité fausse ou trompeuse que poursuit le législateur québécois. Ainsi, les tribunaux appelés à évaluer la véracité d’une représentation commerciale devraient procéder, selon l’art. 218 L.p.c., à une analyse en deux étapes, en tenant compte, si la nature de la représentation se prête à une telle analyse, du sens littéral des mots employés par le commerçant : (1) décrire d’abord l’impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite.

C. La conformité du jugement de la Cour d’appel à la L.p.c.

[79] Il s’agit maintenant de déterminer si, selon ces principes, la Cour d’appel a eu raison d’infirmer la conclusion de la juge de première instance que le Document contenait des représentations qui contreviennent à certaines dispositions du titre II de la L.p.c. La juge Cohen a constaté trois violations de la loi. Nous analyserons ensemble les contraventions alléguées aux art. 219 et 228 L.p.c., qui visent en l’espèce des aspects de la réalité qui peuvent difficilement être dissociés, et nous examinerons séparément celle relative à l’al. 238c) L.p.c.

(1) La violation alléguée des articles 219 et 228 L.p.c.

[80] Les articles 219 et 228 L.p.c. prévoient ce qui suit :

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

228. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.

[81] En l’espèce, la contravention alléguée à l’art. 219 L.p.c. tiendrait au fait que le Document présente faussement l’appelant comme le gagnant du gros lot, tandis que la violation de l’art. 228 L.p.c. découlerait spécifiquement de l’omission des intimées de dévoiler dans le Document qu’il se pouvait que l’appelant ne soit pas le gagnant du gros lot. Ces deux allégations soulèvent donc la question de savoir si le consommateur crédule et inexpérimenté, après une première lecture du Document, aurait eu l’impression générale que l’appelant avait remporté le gros lot ou s’il aurait plutôt compris que les intimées lui offraient seulement la possibilité de participer à un concours, qui lui donnerait une chance infime de gagner un prix en argent.

[82] À ce stade, il convient de préciser le « vrai message » que les intimées ont voulu transmettre par l’envoi du Document. Le « Sweepstakes » en cause est un concours à l’issue duquel une seule personne gagnera le gros lot. Pour recevoir son prix, cette personne doit se faire attribuer le numéro gagnant (« winning entry »), retourner le coupon-réponse dans le délai fixé et répondre correctement à une question de connaissances générales (« skill-testing question »). Une seule personne détient le numéro gagnant qui a été choisi avant l’expédition des envois postaux. Cependant, chaque destinataire trouve, dans le haut de son document, le mot [traduction] « réclamation » (« claim ») suivie d’une combinaison de chiffres et de lettres. Le gros lot n’est tiré parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon-réponse que si le gagnant présélectionné ne le retourne pas.

[83] Selon les intimées, le consommateur moyen, après avoir lu une seule fois la documentation reçue par l’appelant, serait en mesure de comprendre ce qui suit : (1) l’appelant a reçu le numéro GV1T7IU62; (2) ce numéro n’est pas forcément le numéro gagnant; (3) si son numéro n’est pas le numéro présélectionné, alors ses chances de gagner sont infiniment minces; (4) pour qu’il détienne une chance de gagner, il faudrait que le détenteur du numéro gagnant ne retourne pas son coupon-réponse, auquel cas se tiendrait un tirage aléatoire entre toutes les personnes ayant retourné leur propre coupon-réponse dans le délai fixé; et (5) dans ce scénario, les chances de gagner de l’appelant seraient de 1/120 millions. La Cour d’appel a accepté sur ce point l’argument des intimées (par. 49).

[84] Avec égards pour l’opinion contraire, nous comprenons difficilement comment le consommateur crédule et inexpérimenté pourrait déduire tous ces éléments au terme d’une première lecture du Document. La première phrase qui saute aux yeux du lecteur est la suivante, écrite en majuscules et en caractères gras :

[TRADUCTION] NOUS AVONS MAINTENANT LES RÉSULTATS FINALS DU CONCOURS : M. JEAN-MARC RICHARD A GAGNÉ LA SOMME DE 833 337 $ EN ARGENT COMPTANT!

[85] L’impression générale donnée par le Document est conditionnée par cette phrase placée dans le haut de celui-ci. Bien sûr, à supposer qu’il comprenne l’anglais, le consommateur moyen peut lire les mots qui précèdent cette phrase, soit « If you have and return the Grand Prize winning entry in time and correctly answer a skill-testing question, we will officially announce that » ([traduction] « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps, et si vous répondez correctement à une question de connaissances générales, nous annoncerons officiellement que »). Toutefois, il est déraisonnable de présumer que le consommateur moyen connaît le langage particulier ou les règles du jeu d’un tel concours sur le bout de ses doigts et qu’il saisirait bien tous les éléments essentiels de la proposition faite à l’appelant en l’espèce. Le curieux assemblage d’affirmations et de restrictions que contient le Document n’est pas suffisamment clair et intelligible pour dissiper l’impression générale donnée par ses phrases prédominantes. Au contraire, il est hautement probable que le consommateur moyen conclurait que l’appelant détient le numéro gagnant et qu’il lui suffit de retourner le coupon-réponse pour que la procédure de réclamation puisse s’enclencher. D’ailleurs, le Document n’indique nulle part qu’un gagnant a été présélectionné et que l’appelant n’a reçu qu’un numéro de participation. Cette information se retrouve plutôt sur l’enveloppe de retour accompagnant le Document, qui définit très vaguement, en petits caractères, les modalités du tirage aléatoire.

[86] Malgré toutes les conditions que pose le Document et dont les intimées font grand état, le Document prend soin de présenter l’appelant comme le gagnant du concours. Dans la colonne de gauche, on mentionne son nom aux côtés de ceux d’autres gagnants — réels ou fictifs — avec la mention [traduction] « CONFIRMATION DU PRIX : PAIEMENT AUTORISÉ ». Le Document martèle l’idée qu’un chèque est sur le point d’être posté à l’appelant. Plus encore, on l’exhorte à mettre tous ses doutes de côté et à se dépêcher à retourner le coupon-réponse, à défaut de quoi il risquera de tout perdre! Le coupon-réponse reçu par l’appelant renvoie même au numéro qui lui a été attribué comme à un [traduction] « numéro de réclamation du prix », c’est-à-dire un numéro lui permettant de réclamer son prix, et non pas un numéro de participation à un concours. La liste de ces artifices de rédaction et de présentation pourrait se poursuivre longuement.

[87] À notre avis, la juge de première instance n’a commis aucune erreur dans son appréciation du caractère trompeur du Document. Celui-ci donne effectivement l’impression générale que l’appelant a gagné le gros lot. Même si le Document ne contient pas nécessairement d’énoncés qui sont littéralement faux, il reste qu’il est truffé de représentations trompeuses au sens de l’art. 219 L.p.c. De plus, les règles du concours n’apparaissent pas toutes d’une première lecture du Document. Il s’agit là de faits importants que les intimées ne pouvaient passer sous silence. Par voie de conséquence, les intimées ont aussi contrevenu à l’art. 228 L.p.c.

(2) La contravention alléguée à l’al. 238c) L.p.c.

[88] L’alinéa 238c) prévoit :

238. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit :

. . .

c) déclarer comme sien un statut ou une identité.

[89] À notre avis, le juge Chamberland a eu raison de conclure que les intimées n’avaient pas contrevenu à l’al. 238c) L.p.c. en l’espèce. Le Document ne contient aucune représentation fausse quant au statut ou à l’identité des intimées. Une seule lecture suffit pour comprendre qu’il émane des intimées, et que celles-ci ne déclarent pas posséder un statut ou une identité qu’elles n’ont pas en réalité. Comme l’a conclu la Cour d’appel, le fait d’utiliser une personne fictive, en l’occurrence Elizabeth Matthews, comme signataire du Document ne constitue pas une pratique interdite par l’al. 238c) L.p.c.

D. Le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. : ses conditions d’ouverture et les critères d’octroi des mesures de réparation

[90] La conclusion que le Document contient des représentations qui contreviennent aux art. 219 et 228 L.p.c. nous amène logiquement à l’examen de la réparation appropriée en l’espèce. L’appelant prétend qu’il a le droit d’obtenir, aux termes de l’art. 272 L.p.c., l’équivalent de près d’un million de dollars américains en dommages-intérêts punitifs. Les intimées contestent non seulement ce droit, mais nient au surplus que le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. puisse être utilisé par un consommateur afin de sanctionner une pratique interdite. Cette objection soulevée par les intimées ravive une controverse doctrinale qui dure au Québec depuis le début des années 1980. Il appartient maintenant à notre Cour de tenter d’y mettre un terme.

(1) L’article 272 L.p.c. et la sanction des pratiques interdites

[91] L’article 272 L.p.c. prévoit :

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas :

a) l’exécution de l’obligation;

b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

c) la réduction de son obligation;

d) la résiliation du contrat;

e) la résolution du contrat; ou

f) la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[92] Les tribunaux du Québec considèrent depuis de nombreuses années que l’art. 272 L.p.c. permet de sanctionner les pratiques interdites commises par les commerçants et fabricants (voir notamment Chrysler Canada ltée c. Poulin, [1988] J.Q. no 1683 (QL) (C.A.); A.C.E.F. Sud-Ouest de Montréal c. Arrangements alternatifs de crédit du Québec Inc., [1994] R.J.Q. 114 (C.S.); Beauchamp c. Relais Toyota inc., [1995] R.J.Q. 741 (C.A.); et Centre d’économie en chauffage Turcotte inc. c. Ferland, [2003] J.Q. no 18096 (QL) (C.A.)). Malgré cette jurisprudence, la contestation de poursuites intentées en vertu de l’art. 272 L.p.c., notamment dans le cadre de recours collectifs, s’est accompagnée d’une remise en question de l’applicabilité de cette disposition aux allégations de contraventions aux prescriptions du titre II de la loi (voir, par exemple, 9029-4596 Québec Inc. c. Duplantie, [1999] R.J.Q. 3059 (C.Q.)). Toutefois, la Cour d’appel a réitéré dans l’arrêt Brault & Martineau inc. que l’art. 272 était applicable aux violations du titre II de la loi. Dans ce jugement, la juge Duval Hesler a affirmé : « Il me semble clairement établi que la sanction d’une pratique interdite au sens de la LPC ne saurait se limiter au seul recours prévu à l’article 253 de la loi » (par. 40), c’est-à-dire aux recours prévus par le droit commun.

[93] Malgré cette jurisprudence, les intimées plaident que l’art. 272 L.p.c. ne s’applique pas aux pratiques interdites. Elles affirment que cette disposition vise uniquement à sanctionner les manquements des commerçants et des fabricants aux obligations contractuelles qui leur incombent en vertu du titre I de la L.p.c. Selon les intimées, la commission d’une pratique interdite constituerait une infraction que seules les dispositions pénales de la L.p.c. permettraient de sanctionner.

[94] Les intimées s’appuient sur l’opinion qu’a défendue longtemps la professeure L’Heureux. Dans une édition antérieure de son traité Droit de la consommation, elle écrivait :

Par ailleurs, l’article 272 ne constitue pas la sanction des pratiques interdites puisqu’il ne s’agit pas d’obligations que la Loi impose. Il faut constater que les pratiques commerciales du titre II sont d’abord des infractions qui relèvent de l’ordre public de direction. Ce sont des interdictions principalement sanctionnées pénalement.

(N. L’Heureux, Droit de la consommation (5e éd. 2000), p. 358; voir aussi, N. L’Heureux, « L’interprétation de l’article 272 de la Loi sur la Protection du consommateur » (1982), 42 R. du B. 455.)

[95] Cette opinion de la professeure L’Heureux n’a pas fait l’unanimité dans la doctrine. Une revue des commentaires publiés au Québec sur cette question suggère même que son point de vue est demeuré minoritaire. Selon d’autres auteurs, une lecture littérale de l’art. 272 L.p.c. ne permet pas de réduire les obligations auxquelles il renvoie à certains « devoirs » spécifiques imposés par le titre I de la loi. À leur avis, les termes « obligation que lui impose la présente loi » s’appliquent indistinctement aux obligations contenues aux titres I et II de la L.p.c. (voir notamment F. Lebeau, « La publicité et la protection des consommateurs », (1981), 41 R. du B. 1016, p. 1039; C.-R. Dumais, « Une étude des tenants et aboutissants des articles 271 et 272 de la Loi sur la protection du consommateur » (1985), 26 C. de D. 763, p. 775; Masse, p. 835; et D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2006), p. 316).

[96] La critique la plus complète de l’opinion de la professeure L’Heureux sur cette question a été l’œuvre de la professeure Pauline Roy. Selon cette dernière, en soustrayant les interdictions contenues au titre II de la L.p.c. à l’application de l’art. 272 L.p.c., on oublie qu’en droit civil québécois, le manquement à une obligation de ne pas faire peut engendrer la responsabilité civile de son auteur au même titre que la violation d’une obligation de faire. Pour cette raison, elle ne croit pas que « le fait [pour le législateur] d’avoir choisi la forme négative pour décrire l’obligation de ne pas tromper ou de ne pas avoir recours à des pratiques déloyales pour inciter les consommateurs à conclure des contrats puisse avoir pour effet de priver le consommateur des recours civils spécifiquement prévus à la Loi sur la protection du consommateur » (P. Roy, « Les dommages exemplaires en droit québécois : instrument de revalorisation de la responsabilité civile », thèse de doctorat (1995), p. 476).

[97] La professeure Roy invoque également des arguments liés à l’intérêt général et aux objectifs poursuivis par la L.p.c. Si l’opinion contraire prévalait, il faudrait conclure que le législateur québécois a voulu empêcher le consommateur de réclamer des dommages-intérêts punitifs lorsqu’un commerçant ou un fabricant a commis des pratiques interdites par la loi. À son avis, un tel résultat n’est pas conforme au rôle que le législateur a voulu attribuer au titre II de la L.p.c. Elle explique :

Accepter que la commission de pratiques interdites ne donne pas ouverture au recours en dommages exemplaires entraînerait des conséquences que le législateur n’a certes pas voulues, surtout lorsque l’on sait que la commission de telles pratiques est généralement dolosive et implique souvent des montants dérisoires. Les consommateurs sont alors peu enclins à poursuivre, alors qu’au total ce comportement peut constituer une importante source de profit pour le commerçant. En l’absence d’une condamnation à des dommages exemplaires, les risques de poursuite étant minimes, le commerçant conserve donc une part importante du bénéfice retiré de sa conduite dolosive. Il importe de se demander en vertu de quelle logique un commerçant ayant recours à des pratiques frauduleuses peut être à l’abri d’une condamnation à des dommages exemplaires, alors que celui qui contrevient aux autres dispositions de la loi, sans intention malicieuse, est susceptible de se voir imposer une telle sanction? [Nous soulignons; p. 476.]

[98] L’opinion de la professeure Roy nous semble convaincante sur ce point. En effet, le texte de l’art. 272 L.p.c. commence par les mots suivants : « Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi ». Cette disposition renvoie aux obligations imposées « par la présente loi », sans distinction aucune. Une lecture textuelle de cet article commande donc la prise en compte de toutes les obligations qui incombent aux commerçants ou aux fabricants en vertu de la L.p.c. Cela comprend sans aucun doute les obligations contenues au titre II de la loi qui portent sur les pratiques de commerce. Ainsi, le texte de l’art. 272 L.p.c. n’autorise pas la distinction proposée par la professeure L’Heureux entre « obligations imposées par la loi » et « interdictions ». Si le législateur avait souhaité s’écarter, à l’art. 272 L.p.c., du sens donné au mot « obligation » en droit civil québécois, il l’aurait fait expressément. Il faut donc conclure que le législateur a voulu que l’art. 272 L.p.c. puisse permettre aussi une sanction civile des pratiques interdites.

[99] Cette conclusion respecte les objectifs généraux poursuivis par le législateur québécois en la matière. La L.p.c. vise au premier chef à assainir les pratiques commerciales afin de protéger le consommateur le plus adéquatement possible. Pour ce faire, le législateur a assorti la L.p.c. de sanctions administratives, civiles et pénales qui, conjointement, constituent le « bras armé » de la loi. Or, l’interprétation défendue par les intimées en l’espèce réduirait considérablement l’efficacité de la loi, en limitant à tort le rôle joué par les consommateurs dans la mise en œuvre de ses objectifs. Dans cette perspective, il est préférable d’associer, à l’intérieur d’un cadre bien défini, les consommateurs à la mise en œuvre des objectifs législatifs de l’interdiction de certaines pratiques de commerce. L’intérêt public se trouve alors mieux protégé puisque les consommateurs peuvent contribuer activement au respect d’une législation visant à les protéger et suppléer, le cas échéant, aux insuffisances des interventions de l’État (E. P. Belobaba, « Unfair Trade Practices Legislation : Symbolism and Substance in Consumer Protection » (1977), 15 Osgoode Hall L.J. 327, p. 356-357).

[100] À notre avis, l’art. 272 L.p.c. met en place un régime législatif qui permet notamment de sanctionner les pratiques interdites dans le cadre de poursuites civiles intentées par les consommateurs. Toutefois, il importe que cette sanction s’exerce conformément aux principes régissant l’application de la L.p.c. et, le cas échéant, aux règles du droit commun. Nous passerons donc à l’examen des conditions de mise en œuvre de ce type de sanction.

(2) L’intérêt juridique pour agir en vertu de l’art. 272 L.p.c.

[101] L’article 272 L.p.c. dispose que « le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander ». Cette rédaction soulève la question suivante : le consommateur visé par l’art. 272 L.p.c. est-il nécessairement une personne physique engagée dans une relation contractuelle avec un commerçant ou un fabricant?

[102] La L.p.c. ne définit pas expressément le consommateur comme une personne physique ayant conclu un contrat régi par la loi. Selon l’al. 1e) L.p.c., le consommateur est « une personne physique, sauf un commerçant qui se procure un bien ou un service pour les fins de son commerce ». À première vue, on pourrait donc penser qu’un lien contractuel entre « le consommateur » visé par l’art. 272 L.p.c. et un commerçant ou un fabricant n’est pas nécessaire pour que lui soit reconnu l’intérêt juridique pour intenter une poursuite en vertu de cette disposition. La présence de l’art. 217 L.p.c., portant que « [l]a commission d’une pratique interdite n’est pas subordonnée à la conclusion d’un contrat » conforterait cette opinion. C’est, dans ses grandes lignes, la position adoptée par l’appelant sur cette question (transcription d’audience, p. 26-27).

[103] Cette position procède indéniablement d’une conception large et libérale du rôle de la législation en matière de protection du consommateur, et plus spécifiquement de celui de l’art. 272 L.p.c. La jurisprudence de la Cour d’appel du Québec confirme d’ailleurs qu’une telle conception est nécessaire à la pleine réalisation des objectifs du législateur en la matière. Ainsi, dans l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., le juge Gendreau a rappelé que l’art. 272 L.p.c. doit être « interprété libéralement de manière à donner à cette loi plein effet et lui faire rencontrer son objet, conformément aux principes qui la sous-tendent tout en respectant les règles de droit » (p. 750).

[104] Toutefois, même un principe d’interprétation large et libérale de la loi ne saurait justifier l’oubli des règles qu’elle édicte, afin d’encadrer son application. L’une de ces règles est contenue à l’art. 2 de la loi. Cette disposition, qui régit le champ d’application général de la L.p.c., prévoit que « [l]a présente loi s’applique à tout contrat conclu entre un consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce et ayant pour objet un bien ou un service ». L’article 2 L.p.c. pose le principe fondamental que l’existence d’un contrat de consommation représente la condition nécessaire à l’application de la loi, sous réserve du cas particulier des dispositions pénales prévu par la L.p.c. À ce sujet, le professeur Masse a expliqué ce qui suit :

De façon générale, cinq conditions sont nécessaires pour que l’on se trouve dans le champ d’application de la L.P.C. :

1 — Un contrat doit être passé entre les parties;

2 — Une des parties à ce contrat doit être un « consommateur »;

3 — Une des parties doit être un « commerçant »;

4 — Le « commerçant » doit agir dans le cours de son commerce et

5 — Le contrat doit avoir pour objet un bien ou un service. [p. 72]

[105] La lecture croisée de l’al. 1e) et de l’art. 2 L.p.c. impose la conclusion suivante : le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. n’est ouvert qu’aux personnes physiques ayant conclu avec un commerçant ou un fabricant un contrat régi par la loi. En effet, une personne physique qui n’a pas conclu un tel contrat de consommation ne peut être considérée comme un « consommateur » au sens de l’art. 272 L.p.c.

[106] L’exclusion des entreprises de publicité du libellé de l’art. 272 L.p.c. confirme aussi que l’intérêt juridique pour agir en vertu de cette disposition dépend de l’existence d’un contrat visé par la loi. Ce choix législatif est sans doute attribuable au fait que les publicitaires n’entretiennent aucune relation contractuelle avec les consommateurs. Ils ne se trouvent donc pas dans une position qui leur permet de s’enrichir aux dépens des consommateurs lorsqu’ils contribuent à la commission de pratiques interdites. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le législateur ait choisi, dans le cadre du recours prévu à l’art. 272 L.p.c., de ne pas rendre les publicitaires responsables de leurs violations de la L.p.c. envers les consommateurs.

[107] Contrairement aux prétentions de l’appelant, le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. n’est donc pas ouvert à une personne physique qui n’a pas contracté avec un commerçant ou un fabricant relativement à un bien ou un service visé par la loi. En ce sens, il ne suffit pas qu’une personne physique ait pris connaissance d’une représentation qui constitue une pratique interdite pour disposer de l’intérêt juridique pour engager une poursuite civile en vertu de cette disposition. Comme la professeure Roy l’a souligné, seule la personne physique qui a été « victime » d’une pratique interdite peut ester en justice afin de la faire sanctionner par un tribunal siégeant en matière civile (Roy, p. 474). En termes clairs, cela signifie que le consommateur doit s’être engagé dans une relation contractuelle avec un commerçant ou un fabricant pour exercer le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. à l’encontre de l’auteur de la pratique interdite.

[108] Il importe néanmoins de préciser un aspect important du problème de l’intérêt juridique. Un contrat de consommation n’est pas nécessairement formé au seul moment où le consommateur achète ou se procure un bien ou un service. En droit civil québécois, un contrat est formé dès lors que l’offrant reçoit l’acceptation d’une offre de contracter (art. 1387 C.c.Q.). Dans la mesure où les représentations effectuées à l’égard d’un bien ou d’un service constituent une offre selon les règles du droit civil, et sous réserve du formalisme imposé par la L.p.c. aux engagements qu’elle régit, on peut conclure qu’un contrat de consommation est formé au moment où un commerçant ou l’un de ses employés reçoit d’un consommateur la manifestation de son désir d’accepter cette offre. Cependant, selon l’art. 54.1 L.p.c., le contrat conclu à distance sera toujours réputé conclu à l’adresse du consommateur. Bien que l’acceptation de l’offre par le consommateur doive toujours être appréciée de façon contextuelle, cette acceptation demeure distincte de la conclusion de l’opération juridique envisagée par les parties (art. 1386 C.c.Q.). L’exécution des prestations ne se confond pas avec la conclusion du contrat, mais découle de celle-ci.

[109] Malgré les restrictions auxquelles les règles relatives à l’intérêt juridique exigé par la L.p.c. assujettissent le recours prévu à l’art. 272, on se souviendra toujours que d’autres recours sont prévus dans la loi pour en assurer le respect.

[110] En l’espèce, on pourrait discuter longtemps quant à savoir si l’envoi d’un coupon-réponse (ou la réception de celui-ci par les intimées) a permis la formation d’un contrat relatif à la participation à un concours. La formation du contrat aurait-elle été rendue impossible par l’absence d’accord sur l’objet de la convention, au sens de l’art. 1412 C.c.Q.? Un contrat aurait-il été conclu, mais aurait-il été annulable en raison du dol des intimées? Quoi qu’il en soit, il s’est au moins conclu un contrat d’abonnement à la revue Time. Devant notre Cour, les intimées ont insisté sur le fait que, selon la Cour supérieure, l’appelant avait compris que la participation au concours et l’abonnement constituaient des engagements distincts. Cependant, lorsqu’il s’agit de déterminer si le consommateur possède l’intérêt requis pour intenter une poursuite en vertu de l’art. 272 L.p.c., les deux engagements demeurent liés. Logiquement, l’un dépendait de l’autre. De plus, un contrat d’abonnement à une revue demeure un contrat régi par la L.p.c. En conséquence, dans ces circonstances, l’appelant avait l’intérêt requis pour prendre action contre les intimées et sa demande en justice a été régulièrement formée.

(3) Les mesures de réparation disponibles en vertu de l’art. 272 L.p.c.

[111] Le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. doit être exercé conformément aux principes spécifiques régissant le droit de la consommation au Québec et, le cas échéant, aux règles générales du droit civil. Il convient maintenant d’expliquer comment ces principes s’appliquent dans la mise en œuvre de l’art. 272 L.p.c.

a) Les mesures de réparation contractuelles

[112] Dans la mesure où il possède l’intérêt juridique requis, un consommateur peut, sous réserve des autres recours prévus par la loi, intenter une poursuite en vertu de l’art. 272 L.p.c. afin de faire sanctionner la violation par un commerçant ou un fabricant d’une obligation que lui impose la L.p.c., un règlement adopté en vertu de celle-ci ou un engagement volontaire. La jurisprudence de la Cour d’appel confirme à juste titre que le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. est fondé sur la prémisse que tout manquement à une obligation imposée par la loi entraîne l’application d’une présomption absolue de préjudice pour le consommateur. Dans l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville, le juge Gendreau a souligné que « le commerçant poursuivi selon l’article 272 ne peut offrir la défense d’absence de préjudice subi par le consommateur pour faire rejeter l’action » (p. 749). Le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. diffère en cela de celui qu’établit l’art. 271 L.p.c. En effet, cette dernière disposition sanctionne la transgression de certaines règles de formation du contrat de consommation. Par contraste, l’art. 272 L.p.c. ne vise pas simplement à sanctionner les manquements à des exigences formelles de la loi, mais toutes les violations préjudiciables au consommateur (Boissonneault c. Banque de Montréal, [1988] R.J.Q. 2622 (C.A.)).

[113] La nature des obligations dont la violation peut être sanctionnée par le biais de l’art. 272 L.p.c. est essentiellement de deux ordres. La L.p.c. impose d’abord aux commerçants et aux fabricants un éventail d’obligations contractuelles de source légale. Ces obligations se retrouvent principalement au titre I de la loi. La preuve de la violation de l’une de ces règles de fond permet donc, sans exigence additionnelle, au consommateur d’obtenir l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. Comme la juge Rousseau-Houle l’a affirmé dans l’arrêt Beauchamp c. Relais Toyota inc., « [l]e législateur présume de façon absolue que le consommateur subit un préjudice par suite d’un manquement par le commerçant ou le fabricant à l’une ou l’autre de ces obligations et donne au consommateur la gamme des recours prévue à l’article 272 » (p. 744). Le choix de la mesure de réparation appartient au consommateur, mais le tribunal conserve la discrétion de lui en accorder une autre plus appropriée aux circonstances (L’Heureux et Lacoursière, p. 621). Contrairement à l’art. 271 L.p.c., l’art. 272 ne permet pas au commerçant de soulever l’absence de préjudice en défense pour ce qui est des contraventions aux dispositions du titre I (L’Heureux et Lacoursière, p. 620; Service aux marchands détaillants Ltée (Household Finance) c. Option Consommateurs, 2006 QCCA 1319 (CanLII)).

[114] La L.p.c. impose ensuite aux commerçants, aux fabricants et aux publicitaires des obligations énoncées au titre II de la loi. Celles-ci leur incombent indépendamment de l’existence d’un contrat de consommation visé par l’art. 2 de la loi. Contrairement aux obligations imposées en vertu du titre I de la loi, qui régissent la phase contractuelle, les interdictions relatives à certaines pratiques de commerce réglementent la phase précontractuelle. Comme Me Françoise Lebeau l’a souligné, les dispositions du titre II de la L.p.c. imposent aux commerçants, aux fabricants et aux publicitaires un devoir de loyauté et une obligation d’information au cours de la période précédant la formation du contrat (p. 1020). Le législateur poursuit un objectif évident en matière de pratiques de commerce : celui d’assurer la véracité des représentations précontractuelles afin d’éviter que le consentement du consommateur soit vicié par une information déficiente, frauduleuse ou abusive.

[115] En matière de pratiques interdites, un courant jurisprudentiel et doctrinal affirme que les mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. ne seraient ouvertes au consommateur que s’il a subi un préjudice découlant de l’illégalité commise par le commerçant ou le fabricant (voir Ata c. 9118-8169 Québec inc., 2006 QCCS 3777, [2006] R.J.Q. 1883). Pour les tenants de cette position, il ne saurait être question de présomption irréfragable de préjudice en cas de contravention à une disposition du titre II de la L.p.c., puisque l’art. 272 L.p.c. ne viserait qu’à sanctionner les illégalités ayant eu un effet dolosif pour le consommateur (voir aussi Lluelles et Moore, p. 312). Cette opinion correspond, en substance, à la position défendue par les intimées en l’espèce (m.i., par. 57).

[116] Selon cette approche, le tribunal ne pourrait pas accorder au consommateur l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. lorsqu’un commerçant, après avoir diffusé une publicité trompeuse au cours de la phase précontractuelle, aurait corrigé l’information directement auprès du consommateur dans les instants précédant la conclusion du contrat. Puisque ce comportement ne constituerait qu’un « dol éclairé et non préjudiciable », il ne pourrait donner ouverture à ces mesures de réparation spécifiques (L. Nahmiash, « Le recours collectif et la Loi sur la protection du consommateur : le dol éclairé et non préjudiciable — l’apparence de droit illusoire », dans Développements récents sur les recours collectifs (2004), 75).

[117] À notre avis, cette position sous-estime l’influence possible des publicités trompeuses sur la décision du consommateur de s’engager dans une relation contractuelle avec un commerçant. Cette position considère effectivement qu’une publicité ne peut avoir un effet dolosif lorsque le consommateur découvre son caractère trompeur quelques minutes avant de conclure un contrat avec un commerçant. Or, cette conception de l’« effet dolosif » est trop restreinte pour permettre au recours de l’art. 272 L.p.c. d’atteindre ses objectifs. Elle ne traduit pas fidèlement la façon dont les consommateurs sont souvent invités à donner leur consentement en cette matière.

[118] L’affirmation que les publicités possèdent la capacité d’attirer le consommateur dans la sphère d’influence des commerçants est un euphémisme. Très souvent, les publicités stimulent l’intérêt du consommateur et l’incitent à se rendre physiquement chez un commerçant afin d’en apprendre davantage sur le produit ou le service mis en valeur. Le processus décisionnel du consommateur s’engage alors : il envisage de se procurer un bien ou un service sur la base des représentations faites dans la publicité. Enfin, la vulnérabilité du consommateur augmente dès qu’il se trouve sur place.

[119] Dans l’absolu, les représentations et l’insistance d’un commerçant pour amener le client à céder n’ont rien de répréhensible. Elles sont normales et inévitables dans un système économique où prime la libre concurrence. La situation diffère lorsque le consommateur est attiré par une publicité fausse ou trompeuse, et ce, même si le commerçant « corrige » l’information dans le cadre de discussions individuelles dans les instants précédant la conclusion du contrat. Certes, une interprétation rigoriste des règles en matière de formation des contrats peut conduire à la conclusion que le consommateur donne malgré tout un consentement libre et éclairé lorsqu’il découvre, avant de contracter, le caractère trompeur d’une publicité. Cependant, une conception plus conforme à la portée sociale de la L.p.c. ferait conclure que la décision du consommateur de s’engager dans une relation contractuelle avec le commerçant a été viciée à la base par une publicité trompeuse.

[120] Il est difficile de nier qu’une telle « correction » de l’information trompeuse s’effectue souvent tardivement dans le processus de formation du contrat. À titre d’exemple, les membres du groupe visé par le recours collectif dans l’affaire Brault & Martineau ont appris à la caisse, c’est-à-dire après avoir discuté avec un vendeur des modalités de paiement et de financement ainsi qu’après l’émission d’un bon de commande, qu’ils devaient payer les taxes (C.S., par. 29-30; voir également Chartier c. Meubles Léon Ltée, [2003] J.Q. no 842 (QL)). Cette correction peut donc s’effectuer après que le consommateur a, dans les faits, consenti à acheter le produit en question. Dans un tel contexte, il est certain que la pratique interdite contribue à entraîner le consommateur dans une relation contractuelle sur la base d’informations trompeuses.

[121] Pour cette raison, la prétention selon laquelle l’art. 272 L.p.c. ne vise à sanctionner que les pratiques interdites ayant eu un effet dolosif relativise à tort le préjudice découlant d’une contravention à une disposition du titre II de la loi. Elle implante effectivement une norme à portée variable. D’une part, cette norme permet aux commerçants et aux fabricants de soulever une défense fondée sur l’absence de préjudice subi par le consommateur dans les cas où la présomption de dol prévue à l’art. 253 L.p.c. s’applique. Cet article prévoit en effet une présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de certaines pratiques interdites, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix si élevé. D’autre part, cette norme oblige le consommateur à faire une preuve complète de son préjudice lorsque la présomption ne s’applique pas. Or, il n’existe aucune raison pour laquelle les consommateurs devraient supporter un fardeau de preuve plus lourd lorsque le manquement à une obligation légale relève du titre II de la loi plutôt que du titre I et que la présomption prévue à l’art. 253 L.p.c. ne s’applique pas. Ni le libellé de l’art. 272 L.p.c., ni la philosophie qui sous-tend l’application de la loi, ne justifient une telle conclusion qui, par ailleurs, pourrait dangereusement ouvrir la porte à une reconnaissance du « bon dol » en droit de la consommation. Comme nous l’expliquerons plus loin, cette position découle d’une conception erronée du rôle de l’art. 253 L.p.c.

[122] En outre, cette interprétation entraîne des résultats surprenants. En effet, la présomption de l’art. 253 L.p.c. ne vise pas toutes les pratiques de commerce interdites. Pour des motifs qui lui appartiennent, le législateur a choisi d’énumérer les pratiques de commerce visées par la présomption de dol établie par cette disposition. Lorsque celle-ci ne s’applique pas, le consommateur qui se déclare victime d’une pratique interdite pourrait engager une poursuite en vertu de l’art. 272 L.p.c. Cependant, il devrait justifier la mise en œuvre des mesures de réparation contractuelles que cette disposition prévoit sur la base des règles contenues dans le Code civil du Québec. Si on laisse de côté la question des dommages-intérêts punitifs, le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. ne lui serait donc d’aucune utilité tangible. Dans cette perspective, on ne saurait présumer que le législateur a voulu subordonner la mise en œuvre de l’art. 272 à l’application de l’art. 253 L.p.c.

[123] Nous préférons nettement à cet égard la position adoptée par le juge Fish dans l’arrêt Turgeon c. Germain Pelletier, où il a affirmé que l’existence d’une pratique interdite ne faisait pas présumer qu’un dol avait été commis par un commerçant, mais plutôt qu’elle constituait en soi un dol au sens de l’art. 1401 C.c.Q. (par. 48). Cette position respecte l’esprit de la loi et s’harmonise mieux avec la jurisprudence établie dans le contexte de contraventions à des obligations imposées par le titre I de la loi. À notre avis, la commission d’une pratique interdite peut entraîner l’application d’une présomption absolue de préjudice. En conséquence, le consommateur n’a pas à prouver le dol et ses conséquences selon les règles ordinaires du droit civil pour avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. De même, le commerçant ou le fabricant poursuivi ne peut soulever un moyen de défense basé sur le « dol éclairé et non préjudiciable ». La sévérité des sanctions prévues à l’art. 272 L.p.c. n’est pas un concept à géométrie variable : la présomption irréfragable de préjudice peut s’appliquer à toutes les contraventions aux obligations imposées par la loi.

[124] L’application de la présomption absolue de préjudice présuppose qu’un lien rationnel existe entre la pratique interdite et la relation contractuelle régie par la loi. Il importe donc de préciser les conditions d’application de cette présomption dans le contexte de la commission d’une pratique interdite. À notre avis, le consommateur qui souhaite bénéficier de cette présomption doit prouver les éléments suivants : (1) la violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi; (2) la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur; (3) la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance et (4) une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat. Selon ce dernier critère, la pratique interdite doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l’exécution du contrat de consommation. Lorsque ces quatre éléments sont établis, les tribunaux peuvent conclure que la pratique interdite est réputée avoir eu un effet dolosif sur le consommateur. Dans un tel cas, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur. L’application de cette présomption lui permet ainsi de demander, selon les mêmes modalités que celles décrites ci-dessus, l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c.

b) Les dommages-intérêts compensatoires

[125] En cas de contravention par un commerçant ou un fabricant à une obligation visée par l’art. 272 L.p.c., le consommateur peut demander au tribunal de lui accorder des dommages-intérêts compensatoires. À cet égard, les intimées plaident que le recours en dommages-intérêts compensatoires est accessoire à l’octroi par le tribunal de l’une des mesures de réparation contractuelles prévues aux al. a) à f) de l’art. 272 L.p.c. (m.i., par. 72). Cet argument n’est pas fondé. Le texte de l’art. 272 L.p.c. contient les mots « sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas ». Cette expression, qui ne souffre d’aucune ambiguïté, signifie que le recours en dommages-intérêts, qu’il soit de nature contractuelle ou extracontractuelle, est autonome par rapport aux mesures de réparation contractuelles spécifiques prévues aux al. a) à f) de l’art. 272. En rédigeant l’art. 272 L.p.c. de cette façon, le législateur a voulu laisser au consommateur la liberté de choisir la sanction qu’il estime appropriée en réparation de son préjudice.

[126] L’autonomie du recours en dommages-intérêts prévu à l’art. 272 L.p.c. ne signifie cependant pas que l’exercice de ce recours n’est assujetti à aucun encadrement juridique. D’abord, le recours en dommages-intérêts, qu’il se fonde sur un manquement contractuel ou sur une faute, doit être exercé dans le respect du principe régissant l’intérêt juridique pour intenter une poursuite en vertu de cette disposition. Ensuite, lorsque le consommateur choisit de réclamer des dommages-intérêts au commerçant ou au fabricant qu’il poursuit, l’exercice de son recours demeure soumis aux règles générales du droit civil québécois. En particulier, pour obtenir des dommages-intérêts compensatoires, il faut que le dommage subi soit susceptible d’évaluation ou quantifiable.

[127] L’article 272 L.p.c. permet aussi l’octroi de dommages-intérêts compensatoires en matière extracontractuelle dans le cas où un commerçant ou un fabricant commet une pratique interdite. En effet, la doctrine et la jurisprudence majoritaires au Québec considèrent que le dol commis au cours de la phase précontractuelle constitue une faute civile susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur (Lluelles et Moore, p. 321; Kingsway Financial Services Inc. c. 118997 Canada inc., [1999] J.Q. no 5922 (QL) (C.A.)). La preuve du dol établit ainsi la faute civile. En raison du caractère particulier de la L.p.c., cette preuve s’établit cependant selon des modalités différentes de celles applicables en vertu du Code civil du Québec.

[128] En effet, dans la mesure où il est ouvert au consommateur, le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. allège son fardeau de preuve au moyen d’une présomption absolue de préjudice découlant de toute illégalité commise par le commerçant ou le fabricant. Cette présomption dispense le consommateur de la nécessité de prouver l’intention de tromper du commerçant, comme l’exigerait le droit civil en matière de dol. Suivant l’interprétation suggérée par le juge Fish dans l’arrêt Turgeon c. Germain Pelletier, le consommateur qui bénéficie de la présomption irréfragable de préjudice aura également réussi à prouver la faute du commerçant ou du fabricant pour l’application de l’art. 272 L.p.c. Cette preuve permettra ainsi au tribunal de lui accorder des dommages-intérêts visant à compenser tout préjudice résultant de cette faute extracontractuelle.

(4) Le problème de l’interaction entre les art. 253 et 272 L.p.c.

[129] Cependant, le rôle joué par l’art. 253 L.p.c. dans le contexte de l’exercice du recours prévu à l’art. 272 L.p.c. soulève une question importante d’interprétation législative. Un bref coup d’œil sur certains commentaires doctrinaux permet d’ailleurs de constater l’hétérogénéité des points de vue exprimés sur le sujet. L’article 253 L.p.c. est rédigé ainsi :

253. Lorsqu’un commerçant, un fabricant ou un publicitaire se livre en cas de vente, de location ou de construction d’un immeuble à une pratique interdite ou, dans les autres cas, à une pratique interdite visée aux paragraphes a et b de l’article 220, a, b, c, d, e et g de l’article 221, d, e et f de l’article 222, c de l’article 224, a et b de l’article 225 et aux articles 227, 228, 229, 237 et 239, il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix si élevé.

[130] Comme nous l’avons vu, la professeure L’Heureux a soutenu depuis fort longtemps que la présomption érigée par l’art. 253 L.p.c. illustre le fait que l’art. 272 L.p.c. n’est pas destiné à sanctionner les pratiques de commerce interdites. À son avis, le consommateur qui se dit victime d’une pratique interdite doit plutôt se tourner vers le droit commun ou vers les art. 8 et 9 L.p.c. afin de faire reconnaître que son consentement a été vicié. Ces articles prévoient ce qui suit :

8. Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu’elle équivaut à de l’exploitation du consommateur, ou que l’obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante.

9. Lorsqu’un tribunal doit apprécier le consentement donné par un consommateur à un contrat, il tient compte de la condition des parties, des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu et des avantages qui résultent du contrat pour le consommateur.

[131] Une autre opinion, défendue notamment par les professeurs Lluelles et Moore, consiste à affirmer que la présence de l’article 253 L.p.c. à la fin du titre II rend irrecevable la thèse selon laquelle la présomption absolue de préjudice applicable aux violations des dispositions du titre I serait également applicable dans le contexte d’une poursuite intentée sur la base de la commission d’une pratique interdite (Lluelles et Moore, p. 312). Les intimées invoquent d’ailleurs ces deux opinions.

[132] À notre avis, ces deux thèses considèrent à tort que le rôle joué par l’art. 253 L.p.c. ne peut être envisagé qu’en relation avec le recours légal prévu à l’art. 272 L.p.c. En effet, il n’existe aucune relation directe entre ces deux dispositions législatives : chacune d’entre elles joue son rôle propre dans la réalisation des objectifs sociaux et juridiques visés par le législateur. Plutôt que de délimiter la portée de l’art. 272 L.p.c. ou de régir les principes qui sous-tendent son application, la présomption de dol établie par l’art. 253 L.p.c. accorde une protection additionnelle au consommateur dans des situations où il ne souhaite pas ou ne peut pas exercer un recours en vertu de l’art. 272 L.p.c. L’article 253 L.p.c. veut d’abord faciliter la preuve du consommateur qui choisit de poursuivre un commerçant, un fabricant ou un publicitaire selon les règles ordinaires du droit commun. Dans un tel cas, il dispense le consommateur de l’obligation de prouver le caractère déterminant de la fraude sur son consentement. Une telle règle de preuve assistera le consommateur lorsqu’il voudra poursuivre un publicitaire en vertu du droit commun, puisqu’il ne peut agir contre lui en vertu de l’art. 272 L.p.c.

[133] Au-delà des caractéristiques propres à l’art. 272 L.p.c., cette conclusion s’impose en raison de la mention expresse des contrats immobiliers à l’art. 253 L.p.c. Bien que, selon l’art. 6.1 L.p.c., les dispositions du titre II de la loi s’appliquent aux contrats relatifs aux immeubles, l’art. 272 L.p.c. ne permet pas de sanctionner les pratiques interdites commises en matière immobilière. Pour cette raison, le consommateur lésé se tournera logiquement vers les dispositions relatives au dol contenues dans le Code civil du Québec (art. 1401 et 1407 C.c.Q.). La présomption de l’art. 253 L.p.c. trouve donc toute sa raison d’être dans ce domaine (Turgeon c. Germain Pelletier ltée, par. 40).

[134] Il ne faut pas perdre de vue que l’application de la L.p.c. n’est pas tributaire de l’exercice de l’un des recours civils ou pénaux qui y sont prévus. La L.p.c. s’applique à toute situation juridique visée par l’art. 2 de la loi, et non pas seulement lorsqu’une poursuite civile ou pénale est intentée en vertu de celle-ci.

[135] Le cadre du présent pourvoi n’exige pas que nous étendions la discussion sur la relation qu’entretient l’art. 253 L.p.c. avec l’art. 272 L.p.c. à l’examen des articles 8 et 9 L.p.c. Cela étant dit, l’affirmation selon laquelle « [l]a publicité trompeuse donne lieu au recours des articles 8 et 9, avec ou sans la présomption de dol de l’article 253 », pourrait devoir être abordée avec prudence (L’Heureux, Droit de la consommation, p. 235). En droit civil québécois, la lésion et le dol demeurent deux vices de consentement distincts. Le dol n’entraîne pas nécessairement l’exploitation du consommateur et, en conséquence, un cas de lésion. Il importe que l’interprétation de la L.p.c. respecte les principes généraux du droit civil des obligations à cet égard.

(5) Le rôle joué par l’art. 217 L.p.c.

[136] Il nous reste à préciser le rôle joué par l’art. 217 L.p.c., qui dispose que « [l]a commission d’une pratique interdite n’est pas subordonnée à la conclusion d’un contrat ». La Cour d’appel a suggéré que cette disposition signifiait que la L.p.c. s’appliquait dès lors qu’une pratique interdite était commise, et ce, sans égard à la question de savoir si un contrat de consommation avait été conclu à la suite de celle-ci. (par. 25). Il importe toutefois de ne pas confondre la question de l’existence d’une pratique interdite avec celle de l’intérêt pour agir en vertu de l’art. 272 L.p.c.

[137] Le titre II de la L.p.c. prohibe un certain nombre de représentations faites « à un consommateur ». La définition du « consommateur » contenue à l’al. 1e) de la loi pourrait laisser croire que les dispositions du titre II ne s’appliquent que lorsqu’un consommateur a conclu un contrat à la suite de la commission d’une pratique interdite. Or, les prohibitions portant sur les pratiques de commerce trouvent également à s’appliquer de façon préventive, c’est-à-dire avant qu’une représentation illégale ne floue un ou plusieurs consommateurs en les entraînant frauduleusement dans une relation contractuelle. C’est la raison d’être de l’art. 217 L.p.c. : cette disposition vise à faciliter la sanction préventive des violations de la loi en précisant qu’un commerçant peut commettre une pratique interdite même si aucune des personnes physiques à qui la publicité était destinée n’a conclu un contrat sur la base de celle-ci. Il suffit que la publicité ait été destinée à un « consommateur éventuel » (L’Heureux et Lacoursière, p. 489).

[138] L’article 217 L.p.c. porte donc strictement sur l’existence d’une pratique interdite. Il permet au directeur des poursuites criminelles et pénales de faire respecter la loi à titre préventif, conformément à l’intention législative en la matière. Comme le professeur Masse l’a expliqué :

Cette disposition a pour but de rendre possibles les poursuites pénales lorsque les dispositions du titre II n’ont pas été respectées mais qu’aucun contrat n’a été conclu suite à une violation de la L.P.C. On peut ainsi faire la preuve qu’une publicité est trompeuse et poursuivre le contrevenant au pénal même si aucun contrat n’a été conclu avec un ou plusieurs consommateurs suite à cette publicité. [p. 827]

[139] L’applicabilité des dispositions pénales fait l’objet d’une règle spécifique : l’art. 277 L.p.c. prévoit qu’une infraction est notamment commise dès lors qu’une personne contrevient à la loi. Cette règle dérogatoire à l’art. 2 de la loi s’explique par le fait que les poursuites pénales sont intentées au nom de l’intérêt général. Il ne s’agit alors pas de défendre l’intérêt privé d’un ou de plusieurs consommateurs, mais plutôt de protéger le public au sens large contre des pratiques commerciales susceptibles de le tromper. En revanche, la règle générale prévue à l’art. 2 L.p.c. s’applique forcément lorsque le consommateur recherche la protection de la loi (Masse, p. 28-29), par exemple lorsqu’il veut se prévaloir des recours prévus à l’art. 272 L.p.c. L’article 217 L.p.c. n’a donc pas vocation à régir les conditions d’ouverture et d’exercice des recours prévus à l’art. 272 L.p.c. Les articles 217 et 272 L.p.c. se trouvent régis par des principes qui leur sont propres et jouent des rôles distincts au sein de la L.p.c.

(6) Application des principes au présent pourvoi

[140] L’appelant n’a demandé aucune mesure de réparation contractuelle en l’espèce. Son recours vise plutôt à obtenir l’équivalent d’un million de dollars américains en dommages-intérêts. Bien que sa requête introductive d’instance manque de clarté à cet égard, l’évolution du dossier a révélé que cette somme englobait principalement des dommages-intérêts punitifs et, de façon accessoire, une réclamation de nature extracontractuelle. Il convient d’abord de déterminer si, conformément aux principes dégagés ci-dessus, l’appelant a établi la responsabilité extracontractuelle des intimées.

[141] Pour établir la responsabilité extracontractuelle des intimées, l’appelant doit démontrer qu’elles ont commis une pratique interdite. Il lui faut ensuite prouver qu’il a pris connaissance de la représentation constituant une pratique interdite avant la formation, la modification ou l’exécution du contrat et qu’il existe une proximité suffisante entre la représentation et le bien ou le service visé par le contrat. La présomption absolue de préjudice découlera de la preuve de ces éléments et la responsabilité extracontractuelle des intimées se trouvera alors engagée pour l’application de l’art. 272 L.p.c. Cette preuve a été apportée en l’espèce. Nous avons déjà conclu que les intimées ont contrevenu aux art. 219 et 228 L.p.c. La prise de connaissance de ces représentations ne pose ici aucune difficulté puisqu’il n’est pas contesté que l’appelant s’est abonné au magazine Time après avoir lu la documentation que les intimées lui ont fait parvenir. Enfin, il ne fait aucun doute qu’il existe une proximité suffisante entre le contenu du Document et le magazine Time : non seulement le Document en fait-il directement la promotion, mais la juge de première instance a conclu que l’appelant ne se serait pas abonné au magazine Time s’il n’avait pas lu la documentation trompeuse (par. 49). En conséquence, nous concluons que l’appelant s’est déchargé de son fardeau de prouver l’existence d’un lien rationnel entre les pratiques interdites commises par les intimées et le contrat d’abonnement l’unissant aux intimées. Pour l’application de l’art. 272 L.p.c., cette conclusion signifie que le Document est réputé avoir eu un effet dolosif sur la décision de l’appelant de s’abonner au magazine Time. Le comportement reproché aux intimées constitue une faute civile.

[142] La juge de première instance a reconnu que la faute des intimées a causé des dommages moraux à l’appelant. Elle lui a octroyé 1 000 $ à titre de compensation. Devant notre Cour, les intimées n’ont pas démontré qu’elle avait erré dans son appréciation de la preuve ou dans l’application des principes juridiques, à l’égard tant de leur responsabilité que du quantum des dommages. Aucune raison ne justifierait une intervention de notre Cour à l’égard de ces conclusions. Pour cette raison, l’appel sera accueilli afin de rétablir ce volet du jugement de première instance.

E. La juge de première instance a-t-elle erré en accordant des dommages-intérêts punitifs à l’appelant?

[143] Dans cette partie de nos motifs, nous devons préciser les principes de droit et les critères relatifs à la recevabilité d’un recours en dommages-intérêts punitifs intenté en vertu de l’art. 272 L.p.c. et à la fixation du montant de ces dommages-intérêts. Ces questions de droit seront examinées sur la base des constatations de fait de la juge de première instance, comme il se doit, sauf au cas d’erreurs manifestes et dominantes dans leur appréciation (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 25 et 37; H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401).

(1) Autonomie des dommages-intérêts punitifs

[144] Dans leur mémoire, les intimées plaident qu’une demande de dommages-intérêts punitifs fondée sur l’art. 272 L.p.c., à l’instar d’une demande de dommages-intérêts compensatoires, n’est recevable que lorsqu’une mesure de réparation contractuelle prévue aux al. a) à f) de cet article est accordée de façon concomitante (m.i., par. 91). Les intimées soutiennent que la juge de première instance s’est trompée en les condamnant au paiement de dommages-intérêts punitifs, puisqu’elle n’avait accordé à l’appelant aucune des réparations prévues aux al. a) à f) de l’art. 272 L.p.c. À notre avis, la position des intimées est mal fondée en droit et doit être rejetée.

[145] En premier lieu, nous devons prendre en compte, comme dans le cas des dommages-intérêts compensatoires, le libellé même de l’art. 272 L.p.c. Celui-ci indique clairement que le consommateur qui se prévaut d’un recours sous son égide « peut également demander des dommages-intérêts punitifs ». Comme nous l’avons exposé plus haut, cette rédaction confirme que le législateur a voulu permettre au consommateur qui intente un recours en vertu de l’art. 272 L.p.c. de choisir entre un ensemble de mesures réparatrices destinées à corriger les effets de la violation des droits que lui accorde la loi. Ainsi, le consommateur qui exerce un recours prévu par l’art. 272 L.p.c. a le choix de demander à la fois des réparations contractuelles, des dommages-intérêts compensatoires et des dommages-intérêts punitifs ou, au contraire, de ne réclamer que l’une de ces mesures. Il appartiendra ensuite au juge de première instance d’accorder les réparations qu’il estimera appropriées dans les circonstances.

[146] De plus, notre interprétation concorde avec celle que notre Cour a adoptée dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé que le par. 49(2) de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise ») créait un droit autonome et distinct de demander des dommages-intérêts punitifs. À cette occasion, la Cour a accepté (au par. 40) l’opinion de la juge L’Heureux-Dubé, dissidente en partie dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, par. 62, selon laquelle la locution « en outre » du par. 49(2) de la Charte québécoise

veut simplement dire que le tribunal peut non seulement accorder des dommages compensatoires, mais « en outre », soit également, en plus de cela, de surcroît, d'autre part, aussi (voir Le Grand Robert de la langue française (1986), t. 6), faire droit à une demande de dommages exemplaires. Les seconds ne dépendent donc pas des premiers. [Souligné dans l’original.]

De l’avis du juge LeBel dans l’arrêt de Montigny, « [l]a solution retenue par la juge L’Heureux-Dubé semble effectivement celle qui s’impose dans les cas où, comme en l’espèce, l’impératif de préservation des régimes étatiques d’indemnisation est absent du contexte juridique » (par. 42). Ces propos sont tout aussi applicables en l’instance.

[147] Le consommateur qui invoque l’art. 272 L.p.c. peut obtenir des dommages-intérêts punitifs, même si on ne lui a pas accordé en même temps une réparation contractuelle ou des dommages-intérêts compensatoires. Rien n’empêchait donc la juge de première instance de condamner les intimées à verser des dommages-intérêts punitifs.

(2) Critères encadrant l’octroi de dommages-intérêts punitifs de façon générale

a) L’hétérogénéité des critères d’octroi en droit civil québécois

[148] Les intimées soutiennent que, même si notre Cour reconnaissait que l’appelant avait l’intérêt juridique pour demander des dommages-intérêts punitifs en l’instance, les faits de cette affaire ne permettent pas de lui en accorder. En effet, les intimées nous invitent à retenir le critère selon lequel l’attribution des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art. 272 L.p.c. n’est appropriée que lorsque la conduite du commerçant ou fabricant est empreinte de mauvaise foi ou de malice (m.i., par. 133). Elles s’appuient à cet égard sur les motifs de notre Cour dans plusieurs arrêts prononcés dans des affaires de common law, Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, et Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595. À notre avis, cet argument est mal fondé et doit être rejeté.

[149] En premier lieu, les arrêts de notre Cour invoqués par les intimées ont été rendus en matière de responsabilité civile de common law. Or, les approches adoptées en droit civil québécois et en common law au sujet des conditions d’ouverture d’une demande de dommages-intérêts punitifs divergent grandement. En effet, la common law prévoit que les dommages-intérêts punitifs peuvent être octroyés dans le cadre de toute poursuite civile où la partie demanderesse prouve que la partie défenderesse a fait montre d’une conduite « malveillante, opprimante et abusive [qui] choque le sens de dignité de la cour » : Hill, au par. 196. L’obligation de démontrer une conduite répréhensible représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable assure le caractère exceptionnel de l’octroi de cette forme de dommages-intérêts (Whiten, par. 36).

[150] Le droit civil québécois n’adopte pas globalement ce critère. En droit civil, les dommages-intérêts punitifs conservent un caractère exceptionnel. En effet, l’art. 1621 C.c.Q. dispose qu’ils ne peuvent être accordés que lorsque la loi le prévoit. Le Code civil du Québec ne crée pas un régime général d’attribution de dommages-intérêts punitifs et n’accorde pas un droit à cette réparation en toutes circonstances.

Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

En conséquence, « en l’absence d’un texte habilitant, les dommages punitifs doivent être refusés » (J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (7e éd.) 2007), vol. I, Principes généraux, par. 1-364; voir aussi Béliveau St-Jacques, par. 20). Le législateur québécois a donc voulu s’en remettre aux textes des lois particulières qui déterminent les cas où des dommages-intérêts punitifs pourront être accordés et qui, parfois, déterminent les conditions de leur attribution ou leur calcul. L’article 1621 C.c.Q. n’intervient qu’à titre supplétif pour établir un principe général d’évaluation des dommages-intérêts et pour identifier leur fonction.

[151] Le législateur se laisse ainsi un degré plus important de flexibilité dans l’aménagement des régimes particuliers d’attribution des dommages-intérêts punitifs. Une analyse de lois québécoises qui contiennent des dispositions autorisant l’octroi de dommages-intérêts punitifs confirme la flexibilité et la variabilité du régime juridique des dommages-intérêts punitifs en droit québécois. D’une part, les dispositions habilitantes sont rédigées de manière variée. Elles n’exigent pas toutes la preuve du caractère malveillant, opprimant ou abusif de l’acte accompli, que requiert en tout temps la common law. Par exemple, une violation de l’art. 1 de la Loi sur la protection des arbres, L.R.Q., ch. P-37, entraîne automatiquement une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. De même, l’art. 1899 C.c.Q., l’art. 56 de la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture, L.R.Q., ch. A­23.001, et, d’une pertinence particulière dans le présent pourvoi, l’art. 272 de la L.p.c., n’exigent pas de manière explicite la présence d’une conduite malveillante ou abusive.

[152] Par contre, le législateur a parfois prévu que la preuve d’une conduite malveillante ou d’une faute intentionnelle était nécessaire pour obtenir des dommages-intérêts punitifs. Prenons à titre d’exemple (1) l’art. 49 de la Charte québécoise (atteinte illicite et intentionnelle), (2) l’art. 167 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., ch. A-2.1 (faute lourde ou atteinte intentionnelle), (3) les art. 1968 et 1902 C.c.Q. (mauvaise foi ou harcèlement), et (4) l’art. 67 de la Loi sur les produits pétroliers, L.R.Q., ch. P-30.01 (pratique commerciale excessive et déraisonnable). Si le critère de l’arrêt Hill était applicable par défaut en droit civil québécois, comme le proposent les intimées (m.i., par. 133 à 136), la décision du législateur d’en insérer l’équivalent dans diverses lois s’expliquerait fort mal.

[153] Ainsi, contrairement à la common law, le régime des dommages-intérêts punitifs en droit civil québécois n’a pas été unifié. De plus, on ne saurait prétendre qu’il existe en droit civil québécois une règle traditionnelle selon laquelle seule une conduite malveillante et répréhensible permet l’octroi de ce type de dommages-intérêts.

b) Éléments à considérer dans l’élaboration des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs

[154] Dans ce contexte législatif, devant le silence de la loi, la détermination des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs doit prendre en compte les objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs et ceux de la loi en cause.

[155] L’article 1621 C.c.Q. impose lui-même la prise en compte des objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs. En effet, la rédaction de cette disposition confère aux dommages-intérêts punitifs une fonction essentiellement préventive. Suivant cet article, l’octroi de dommages-intérêts punitifs doit toujours conserver pour objectif ultime la prévention de la récidive de comportements non souhaitables. Notre Cour a reconnu que cette fonction préventive est remplie par l’octroi de dommages-intérêts punitifs dans des situations où un individu a adopté un comportement dont il faut prévenir la répétition ou qu’il faut dénoncer, dans les circonstances précises d’une affaire donnée (Béliveau St-Jacques, par. 21 et 126; de Montigny, par. 53). Lorsque le tribunal choisit de punir, sa décision indique à l’auteur de la faute que son comportement et la répétition de celui-ci auront des conséquences pour lui. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée d’abord sur le principe de la dissuasion et vise à décourager la répétition d’un comportement semblable, autant par l’individu fautif que dans la société. La condamnation joue ainsi un rôle de dissuasion particulière et générale. Par ailleurs, le principe de la dénonciation peut aussi justifier une condamnation lorsque le juge des faits désire souligner le caractère particulièrement répréhensible de l’acte dans l’opinion de la justice. Cette fonction de dénonciation contribue elle-même à l’efficacité du rôle préventif des dommages-intérêts punitifs.

[156] La nécessité de prendre également en compte les objectifs de la législation en cause se justifie par le fait que le droit à des dommages-intérêts punitifs en droit civil québécois dépend toujours d’une disposition législative précise. De plus, dans leurs manifestations actuelles, les dommages-intérêts punitifs n’ont pas pour but de punir généralement tout comportement interdit par la loi. Leur fonction consiste plutôt à protéger l’intégrité d’un régime législatif en sanctionnant toute action incompatible avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en question. La détermination des types de conduite dont il importe de prévenir la récidive et des objectifs du législateur s’effectue à partir de la loi en vertu de laquelle une sanction est demandée.

[157] En pratique, pour s’acquitter de son obligation de prendre en compte les objectifs susmentionnées, le tribunal devra identifier les types de comportements qui sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en cause et dont la perpétration nuit à leur réalisation. L’octroi de dommages-intérêts punitifs ne peut viser que ces types de comportements.

(3) Les critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art. 272 L.p.c.

[158] Selon l’art. 272 L.p.c., la preuve d’une contravention aux obligations découlant de la loi est nécessaire pour donner ouverture à une demande de dommages-intérêts punitifs. Cependant, l’art. 272 n’établit aucun critère ou règle encadrant l’attribution de ces dommages-intérêts. Il faut donc s’en rapporter aux dispositions de l’art. 1621 C.c.Q. et déterminer quels critères d’attribution de ces dommages-intérêts permettraient à l’art. 272 L.p.c. de remplir sa fonction.

[159] L’identification des objectifs de la loi devient alors nécessaire pour s’assurer que les dommages-intérêts punitifs rempliront bien les fonctions prévues dans l’art. 1621 C.c.Q.

a) Les objectifs de la L.p.c.

[160] Le premier objectif de la L.p.c. est le rétablissement d’un équilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et le consommateur (Roy, p. 466; L’Heureux et Lacoursière, p. 25-26). La nécessité de ce rééquilibrage découle de la faiblesse du pouvoir de négociation du consommateur face aux commerçants, autant lors de la conclusion d’un contrat qu’au moment du règlement de problèmes survenant au cours de leurs relations contractuelles. Elle découle également du risque de vulnérabilité informationnelle auquel est exposé le consommateur à toutes les étapes de ses rapports avec des commerçants. En somme, les obligations imposées aux commerçants et le formalisme des contrats régis par la loi visent à établir un équilibre contractuel entre les commerçants et le consommateur (L’Heureux et Lacoursière, p. 26-31).

[161] La L.p.c. possède comme second objectif l’élimination des pratiques déloyales et trompeuses susceptibles de fausser l’information dont dispose le consommateur et de l’empêcher de faire des choix éclairés (L’Heureux et Lacoursière, p. 479 et suiv.). Les mesures imposées par le législateur pour atteindre cet objectif se retrouvent, pour la majorité, au titre II de la L.p.c., dont nous avons discuté plus haut.

[162] Par la réalisation de ces deux objectifs, le législateur cherche à sauvegarder l’existence d’un marché efficient où le consommateur peut intervenir avec confiance.

b) Les divergences jurisprudentielles au sujet des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c.

[163] L’examen de la jurisprudence québécoise laisse un degré significatif d’incertitude au sujet des critères qui devraient gouverner l’attribution de dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c. Nous avons noté la présence de courants jurisprudentiels et doctrinaux nettement divergents. Nous les passerons en revue avant de proposer un critère de mise en œuvre du recours en dommages-intérêts punitifs.

[164] Un premier courant exige la démonstration d’une conduite intentionnelle ou empreinte de mauvaise foi ou encore la preuve d’une faute lourde ou de comportements similaires. La Cour d’appel du Québec a rejeté cette approche depuis déjà plus d’une décennie (voir Lambert c. Minerve Canada, compagnie de transport aérien inc., [1998] R.J.Q. 1740 (C.A.), et plus récemment Brault & Martineau inc. (C.A.), par. 44). Cependant, il semblerait que certains décideurs continuent à imposer ce fardeau de preuve (voir par ex. Lafontaine c. La Source d’eau Val-d’Or inc., 2001 CanLII 10566 (C.Q.), par. 50-51; Jabraian c. Trévi Fabrication Inc., 2005 CanLII 10580 (C.Q.), par. 31; Santangeli c. 154995 Canada Inc., 2005 CanLII 32103 (C.Q.), par. 34-35; Martin c. Rénovations métropolitaines (Québec) ltée, 2006 QCCQ 1760 (CanLII), par. 75; Darveau c. 9034-9770 Québec inc., 2005 CanLII 41136 (C.Q.), par. 123).

[165] Ce courant ne respecte pas les objectifs de la L.p.c. Le fardeau de preuve qu’il impose ne permettrait pas de modifier le comportement des commerçants et fabricants. Cette interprétation de la loi ne les inciterait pas à respecter les obligations que leur impose la L.p.c. Elle les inviterait plutôt à penser qu’ils n’ont pas à se préoccuper de respecter la loi, tant que leur violation n’atteint pas un degré élevé de gravité. Les auteurs L’Heureux et Lacoursière soulignent d’ailleurs que l’exigence de la mauvaise foi risque de stériliser la mise en œuvre de la loi. Ils proposent alors un critère de conduite « qui excéde les frontières de la normalité » (p. 630).

[166] Selon le deuxième courant jurisprudentiel, le simple constat d’un manquement à une obligation imposée par la L.p.c. justifierait en lui-même l’octroi de dommages-intérêts punitifs. La juge Duval Hesler (maintenant juge en chef) a adopté cette position dans l’arrêt Brault & Martineau inc. (C.A.) :

À mon avis, et au risque de me répéter, l’existence d’une pratique commerciale illégale, telle la publicité qui ne satisfait pas aux exigences de la LPC, justifie à elle seule l’attribution de dommages punitifs. [Nous soulignons; par. 45.]

[167] Cette position se situe à l’autre extrême du spectre des solutions envisagées par la jurisprudence. Une application aussi stricte, sinon automatique, de l’art. 272 L.p.c. n’est pas nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par le législateur.

[168] Il est vrai qu’il convient d’encourager le consommateur à faire respecter les droits que lui confère la L.p.c. Cette préoccupation ne signifie pas inéluctablement que la mise en œuvre de ces droits se réalise toujours par la voie de poursuites judiciaires et que des efforts de résolution informelle ne puissent être envisagés préalablement. L’institution d’une poursuite suppose, il nous semble, l’échec d’efforts de règlement informel du différend entre le consommateur et le commerçant ou fabricant. La règle préconisée par la juge Duval Hesler réduit l’attrait d’une telle résolution et encouragerait la judiciarisation aveugle de différends qui auraient pu se régler autrement. On imposerait alors des condamnations à des dommages-intérêts punitifs dans des circonstances où leur octroi ne servirait aucun des objectifs de la L.p.c. ni de ceux des dommages-intérêts punitifs de façon générale.

[169] Selon un troisième courant, la preuve d’une certaine mesure d’insouciance de la part du commerçant ou fabricant face à la loi et au comportement qu’elle cherche à réprimer justifierait une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Cependant, comme nous le verrons, la mesure exacte d’insouciance requise pour satisfaire à ce critère, selon les auteurs et les tribunaux, est variable et inconstante.

[170] Ce critère de l’insouciance est énoncé dans sa forme la plus élémentaire par le professeur Masse :

Il suffit donc que la conduite du commerçant démontre une insouciance face à la loi et aux comportements que la loi cherche à réprimer pour que [des dommages-intérêts punitifs] soient accordés. [p. 1000]

[171] Les tribunaux québécois ont adopté l’opinion exprimée par le professeur Masse dans plusieurs jugements : Marcotte c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, par. 724; Gastonguay c. Entreprises D. L. Paysagiste, 2004 CanLII 31925 (C.Q.), par. 77-79; Mathurin c. 3086-9069 Québec Inc., 2003 CanLII 19131 (C.S.), par. 18.

[172] La Cour d’appel du Québec a opté pour un critère d’insouciance assez sérieuse pour justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs, dans l’arrêt Systèmes Techno-Pompes inc. c. Tremblay, 2006 QCCA 987, [2006] R.J.Q. 1791 :

Enfin, l’aspect le plus important des dommages-intérêts exemplaires consiste à prévenir des comportements semblables. Avant d’octroyer de tels dommages, le tribunal doit apprécier la conduite du commerçant afin de déterminer si elle manifeste une insouciance des droits du consommateur d’une manière assez sérieuse pour justifier une sanction supplémentaire et pour prévenir la récidive.

C’est ce dernier objectif de châtiment et de dissuasion qu’a retenu la juge de première instance pour accorder des dommages exemplaires. On peut difficilement conclure que l’appelante a manifesté une malveillance et une insouciance assez sérieuses pour justifier une sanction supplémentaire. [Nous soulignons; par. 33-34.]

[173] De la même façon, dans Champagne c. Toitures Couture et Associés Inc., [2002] R.J.Q. 2863, la juge Poulin de la Cour supérieure du Québec a refusé d’octroyer des dommages-intérêts punitifs parce que les risques de répétition par la défenderesse d’un comportement insouciant face à l’application de la loi étaient minimes (par. 79).

[174] Selon la Cour d’appel, dans l’arrêt Systèmes Techno-Pompes inc., et la Cour supérieure, dans l’affaire Champagne c. Toitures Couture et Associés Inc., une violation de la L.p.c. résultant de la simple insouciance du commerçant ne suffirait pas, en règle générale, pour justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Bien que nous acceptions en principe ce postulat, à notre avis, la décision d’octroyer des dommages-intérêts punitifs ne devrait pas non plus se baser seulement sur le niveau de gravité de l’insouciance au moment de la violation. En effet, on encouragerait alors les commerçants et les fabricants à faire preuve d’imagination dans l’inexécution de leurs obligations sous le régime de la L.p.c., plutôt que de diligence dans l’exécution de celles-ci. Comme nous l’expliquerons plus bas, notre position veut que l’analyse du caractère sérieux de l’insouciance s’effectue dans le contexte du comportement du commerçant tant avant qu’après la violation. À cette occasion, nous examinerons de façon plus précise les types de comportements, autres que l’insouciance, que vise le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l’art. 272 L.p.c.

c) Les critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs

[175] Dans la détermination des critères d’octroi de dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art. 272 L.p.c., il est important de rappeler que la L.p.c. est une loi d’ordre public. Le consommateur ne peut renoncer à l’avance aux droits que lui accorde la loi (art. 262 L.p.c.). Les commerçants et fabricants ne peuvent non plus y déroger, sauf pour offrir des garanties plus avantageuses (art. 261 L.p.c.). De même, les dispositions relatives aux pratiques interdites ont un caractère d’ordre public (L’Heureux et Lacoursière, p. 443 et suiv.).

[176] L’assujettissement des relations consommateurs-commerçants à des règles d’ordre public met en évidence l’importance de ces dernières et la nécessité pour les tribunaux de veiller à leur application stricte. Les commerçants et fabricants ne peuvent donc adopter une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur et des obligations que leur impose la L.p.c. Au contraire, l’approche adoptée par le législateur suggère qu’ils doivent faire preuve d’une grande diligence dans l’exécution de leurs obligations. Ils doivent donc manifester le souci de s’informer de leurs obligations et de mettre en place des mesures raisonnables pour en assurer le respect.

[177] Ainsi, selon nous, la L.p.c. cherche à réprimer chez les commerçants et fabricants des comportements d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse à l’égard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. Évidemment, le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l’art. 272 L.p.c. s’applique aussi aux actes intentionnels, malveillants ou vexatoires, par exemple.

[178] Cependant, le simple fait d’une violation d’une disposition de la L.p.c. ne suffirait pas à justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Par exemple, on devrait prendre en compte l’attitude du commerçant qui, constatant une erreur, aurait tenté avec diligence de régler les problèmes causés au consommateur. Ni la L.p.c., ni l’art. 1621 C.c.Q. n’exigent une attitude rigoriste et aveugle devant les efforts d’un commerçant ou d’un fabricant pour corriger le problème survenu. Ainsi, le tribunal appelé à décider s’il y a lieu d’octroyer des dommages-intérêts punitifs devrait apprécier non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (s’il en est) de son attitude envers le consommateur, et les consommateurs en général, après cette violation. Seule cette analyse globale du comportement du commerçant permettra au tribunal de déterminer si les impératifs de prévention justifient une condamnation à des dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée.

d) Récapitulation des principes

[179] Pour récapituler, les principes applicables au recours en dommages-intérêts punitifs sous le régime de la L.p.c. peuvent se résumer comme suit :

• Actuellement, le droit civil québécois ne permet l’octroi de dommages-intérêts punitifs que si une disposition législative le prévoit;

• Une fois une disposition législative habilitante identifiée, le tribunal doit en premier lieu décider si le demandeur possède l’intérêt requis pour demander des dommages-intérêts punitifs en vertu de cette disposition législative;

• Le tribunal est lié par les critères établis, le cas échéant, par la disposition législative habilitante à l’égard de l’attribution de dommages-intérêts punitifs;

• Si la loi habilitante ne prévoit pas les conditions d’attribution de dommages-intérêts punitifs ou les critères de leur évaluation, le tribunal doit prendre en compte les dispositions générales de l’art. 1621 C.c.Q. et les objectifs de la loi en cause;

• À cette fin, le tribunal doit identifier les comportements qui, eu égard aux objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs selon l’art. 1621 C.c.Q. et aux objectifs du législateur dans la loi concernée, doivent être réprimés pour décourager leur récidive. Le tribunal doit déterminer s’il se trouve devant des comportements (1) qui sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en cause et (2) dont la perpétration nuit à leur réalisation.

[180] Dans le cas d’une demande de dommages-intérêts punitifs fondée sur l’art. 272 L.p.c., la méthode analytique ci-haut mentionnée s’applique comme suit :

• Les dommages-intérêts punitifs prévus par l’art. 272 L.p.c. seront octroyés en conformité avec l’art. 1621 C.c.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables;

• Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la L.p.c., les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs.

F. L’appelant a-t-il droit à des dommages-intérêts punitifs en l’instance?

[181] La juge de première instance a conclu que les intimées avaient commis une violation intentionnelle et calculée de la L.p.c. :

[TRADUCTION] Le même emploi de la forme « conditionnelle », qui a permis à Time d’échapper à l’argument qu’un contrat était intervenu ou qu’elle s’était engagée à verser à M. Richard, sans condition, la somme de 833 337 $, illustre bien la prétention que ce document a été conçu expressément de manière à tromper son destinataire, qu’il contient des représentations trompeuses ou même fausses, et ce, en contravention du texte explicite de l’article 219 de la Loi sur la protection du consommateur. [En italique dans l’original, nous soulignons; par. 34.]

[182] Ces conclusions ne sont entachées d’aucune erreur manifeste et dominante. Il ne serait donc pas justifié que notre Cour les modifie.

[183] Ces conclusions sont fatales pour les intimées dans le contexte de la présente affaire. Les violations relevées sont intentionnelles et calculées. De plus, rien dans la preuve n’indique que les intimées ont pris des mesures correctives après la plainte de l’appelant afin de rendre leurs publicités claires ou conformes à la lettre et à l’esprit de la L.p.c. Au contraire, selon la preuve, elles ont rejeté sa réclamation en totalité et n’ont rien proposé. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs se justifiait donc.

[184] Pour ces raisons, nous sommes d’avis d’accueillir le recours de l’appelant à l’égard de sa demande de dommages-intérêts punitifs. Il reste maintenant à déterminer le montant de dommages-intérêts approprié.

G. Quel est le quantum approprié des dommages-intérêts dans la présente affaire?

[185] La juge de première instance a fixé à 100 000,00 $ les dommages-intérêts punitifs payables par les intimées à l’appelant. Les intimées contestent la justesse de la somme accordée, alléguant que la juge de première instance a erré à plusieurs égards dans son processus de détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs. Elles plaident que, si notre Cour confirmait la décision de la juge de première instance d’accorder des dommages-intérêts punitifs, leur montant devrait être réduit substantiellement.

[186] Spécifiquement, les intimées reprochent à la juge de première instance d’avoir (1) spéculé sur le nombre de violations de la L.p.c. qu’elles auraient commises; (2) pris en compte ce qu’elle percevait comme une violation des dispositions de la Charte de la langue française, dans son évaluation de la gravité de leur conduite; et (3) tiré des inférences quant à leur situation patrimoniale sans assises factuelles suffisantes.

[187] Finalement, selon les intimées, la décision de la juge de première instance de retenir la somme de 100 000,00 $ comme quantum des dommages-intérêts punitifs était arbitraire. En effet, au par. 71 de ses motifs, la juge de première instance indique avoir choisi ce montant parce qu’il représenterait la somme additionnelle que l’appelant avait la chance de gagner en sus du gros lot de 833 337,00 $US, s’il validait son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours après la réception du Document. Les intimées semblent prétendre qu’il était irrationnel de fixer les dommages-intérêts punitifs à ce montant de 100 000,00 $ dans ce contexte.

(1) Le rôle des tribunaux de première instance

[188] Le pourvoi souligne les difficultés que le calcul des dommages-intérêts punitifs présente pour le juge de première instance. Bien qu’il possède une discrétion en cette matière, le juge doit l’exercer judiciairement et aussi, autant que possible, respecter la pratique déjà établie par la jurisprudence et prendre en considération l’ensemble des circonstances particulières de chaque cas, et ce, en conformité avec les principes de dissuasion, de punition et de dénonciation des dommages-intérêts punitifs.

[189] Puisque l’exécution de cette tâche impose au juge du procès un examen attentif des faits, la Cour d’appel doit faire preuve de beaucoup de retenue avant de modifier le quantum des dommages-intérêts. Elle ne doit pas infirmer la décision de première instance à propos de conclusions et inférences de fait relatives à la fixation de ces dommages-intérêts en l’absence d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, par. 1-6, 10 et 25; H.L. c. Canada (Procureur général), par. 53; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 129; Landry c. Quesnel, [2002] R.J.Q. 80 (C.A.), par. 31; C. Dallaire, « La gestion d’une réclamation en dommages exemplaires : éléments essentiels à connaître quant à la nature et l’objectif de cette réparation, les éléments de procédure et de preuve incontournables ainsi que l’évaluation du quantum », dans Barreau du Québec, Tous ensemble : Congrès annuel (2007) (2007), p. 168).

[190] On doit se rappeler que le tribunal de première instance jouit d’une latitude dans la détermination du montant des dommages-intérêts punitifs, pourvu que la somme fixée demeure dans des limites rationnelles, eu égard aux circonstances précises d’une affaire donnée (Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, par. 125; Whiten c. Pilot Insurance Co., par. 100). Une intervention en appel ne se justifiera qu’en présence d’une erreur de droit ou d’une erreur sérieuse dans l’évaluation du montant. L’erreur d’évaluation sera jugée sérieuse lorsqu’il sera établi que le tribunal de première instance a exercé sa discrétion judiciaire d’une façon manifestement erronée, c.-à-d. lorsque le montant octroyé n’était pas rationnellement relié aux objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs dans l’affaire dont il était saisi (St-Ferdinand, par. 129; Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q. 47 (C.A.)). À notre avis, des erreurs de cette nature ont été commises en l’espèce et justifient l’intervention de notre Cour à l’égard du montant des dommages-intérêts punitifs.

(2) La fixation du montant des dommages-intérêts punitifs par la juge de première instance

[191] Dans sa décision d’accorder des dommages-intérêts punitifs, la juge de première instance a d’abord souligné que la faute des intimées était d’une gravité appréciable puisqu’elles avaient envoyé des publicités fausses et trompeuses à des milliers de consommateurs francophones du Québec. Les intimées ont vivement critiqué cette conclusion de fait de la juge de première instance. À leur avis, aucune preuve n’appuyait cette conclusion. D’après elles, la détermination du montant de dommages-intérêts punitifs approprié aurait plutôt dû se faire en supposant que seule une publicité avait été envoyée à un seul consommateur (m.i., par. 109).

[192] Cette prétention est insoutenable. En effet, William Miller, directeur des politiques promotionnelles de l’intimée Time Consumer Marketing Inc., a lui-même témoigné que [traduction] « [o]n utilise les concours pour attirer l’attention sur nos promotions d’abonnement » (d.a., vol. II, p. 4). Il a également expliqué en détail que, dans un désir d’attirer plus d’abonnés, Time Inc. avait décidé d’envoyer des messages « publipostés » en se servant de plusieurs listes de noms (ibid., p. 5). Les envois postaux étaient personnalisés pour attirer l’attention des consommateurs et les inviter à s’abonner au magazine Time (jugement de première instance, par. 21; ibid., p. 4 et 5). Nous déduisons de ce témoignage que la distribution de ces envois postaux était non seulement pratique courante chez les intimées, mais s’effectuait également à grande échelle. À la lumière de ces éléments de preuve, bien que la juge de première instance n’ait pas disposé d’une preuve capable d’indiquer avec précision le nombre d’envois postaux effectués, sa conclusion ne peut être qualifiée de sérieusement erronée. L’essentiel de sa conclusion était, à notre avis, que les intimées avaient distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs. La preuve supportant cette conclusion constituait, à bon titre, un fait qu’elle pouvait considérer dans l’analyse de la gravité de la conduite des intimées dans la présente affaire. Il n’y a donc pas lieu de réviser le montant des dommages-intérêts punitifs octroyés sur cette base.

[193] Les intimées ont également attaqué les conclusions de la juge de première instance voulant que (1) Time Inc. ait violé la Charte de la langue française, notamment en faisant parvenir du matériel publicitaire en langue anglaise uniquement (par. 64-65), et que (2) cette violation doive être prise en compte dans la détermination du quantum approprié. Sur cette question, les intimées ont raison. La juge de première instance ne pouvait considérer la Charte de la langue française dans son évaluation du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs. La L.p.c. et la Charte de la langue française sont deux lois distinctes qui possèdent des objectifs législatifs particuliers. Les violations à la Charte de la langue française sont d’ailleurs sanctionnées par ses propres recours.

[194] Enfin, les intimées ont reproché à la juge de première instance d’avoir commis des erreurs manifestes et dominantes dans ses conclusions ayant trait à leur situation patrimoniale. D’une part, elles soumettent qu’elle a conclu erronément que M. William Miller, directeur des politiques promotionnelles de Time Consumer Marketing Inc., avait admis dans son témoignage que l’entreprise avait [traduction] « certainement la capacité de payer un montant de 833 337,00 $US » (la juge Cohen, par. 24). D’autre part, elles lui reprochent d’avoir conclu, sans assises factuelles aucunes, que la preuve établissait que leur campagne publicitaire était lucrative, eu égard aux abonnements qu’elle générait. Nous sommes partiellement en accord avec les prétentions des intimées. À notre avis, la juge de première instance a effectivement erré en imputant à M. Miller une admission qu’il n’avait pas réellement faite. Par contre, nous ne croyons pas qu’il était déraisonnable de la part de la juge de première instance de conclure que la campagne publicitaire des intimées était profitable.

[195] En ce qui a trait au témoignage de M. Miller, nous sommes, à l’instar des intimées, incapables de déceler dans celui-ci une quelconque admission selon laquelle Time Inc. était en mesure de payer la somme de 833 337 $US demandée par l’appelant. Bien au contraire, il appert clairement du témoignage de M. Miller qu’à aucun moment il n’a voulu quantifier les actifs de l’entreprise ou évaluer sa capacité de payer. Il se disait en fait incapable de le faire puisqu’il n’appartenait pas à l’équipe des finances de l’entreprise (témoignage de William Miller, p. 32, lignes 2-4). Il nous paraît d’ailleurs opportun de reproduire le passage pertinent du témoignage de M. Miller sur ce point :

LA COUR :

[traduction] [M. William Miller] a admis [que Time inc.] a [utilisé la méthode publicitaire en cause pendant des années]. Pourquoi ne lui demandez-vous pas si Time est en mesure de payer cette somme si j’accordais le montant réclamé, la partie de la réclamation qui concerne les dommages moraux et les dommages-intérêts punitifs?

Me Hubert Sibre :

Q. 338 Est-ce que Time serait en mesure de payer cette somme? Sa solvabilité lui permettrait-elle de payer ce montant si jamais elle y était condamnée?

R. Vous savez, je ne fais pas partie du secteur des finances de la compagnie, ce qui fait que je ne peux vraiment pas faire de commentaire à ce sujet. [Nous soulignons; d.a., vol. II, p. 31-32.]

[196] Le passage ci-haut cité parle de lui-même. La conclusion de la juge de première instance que M. Miller avait fait une admission quelconque concernant la capacité de payer de Time Inc. ne se basait pas sur les faits et elle était manifestement erronée. La juge de première instance ne pouvait donc, comme elle l’a fait, tirer, sur la base de ce témoignage, de conclusions sur la situation patrimoniale des intimées.

[197] Il en est cependant tout autrement de la conclusion de la juge de première instance que la campagne publicitaire des intimées qui a mené au présent litige était profitable. Pour les intimées, la juge de première instance ne pouvait tirer cette conclusion puisque (1) preuve n’avait été faite que d’un abonnement contracté par un seul consommateur et que (2) le fait que Time Inc. avait distribué, en l’an 2000, plus d’un million de dollars américains aux gagnants du concours qu’elle avait organisé ne fournissait aucune information sur sa situation patrimoniale en 2007 (année de la décision de première instance dans cette affaire). Nous trouvons ces arguments peu convaincants. En effet, au dire de M. Miller lui-même, les intimées organisent des concours promotionnels au Canada et aux États-Unis depuis le milieu des années 1980. Il a ajouté que plusieurs centaines de personnes avaient gagné des sommes variant de 1000 $ à 1 600 000 $US grâce à ces concours et que le but avoué de ces derniers était d’attirer l’attention des consommateurs sur les promotions d’abonnement des intimées (témoignage de M. William Miller, d.a., vol. II, p. 4). Il nous semble logique et raisonnable, de par les montants distribués par Time Inc. et le nombre d’années d’existence des concours promotionnels, d’inférer de la preuve, comme l’a fait la juge de première instance, que l’organisation de ces concours était lucrative, en ce sens qu’elle permettait à Time Inc. d’augmenter sensiblement son lectorat.

[198] En définitive, est-ce qu’il y a lieu de réviser le montant de 100 000,00 $ retenu par la juge de première instance à titre de dommages-intérêts punitifs? Nous croyons que oui. Bien qu’elle ne se soit pas trompée en concluant que les intimées avaient distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs et que l’organisation de ces concours publicitaires leur permettait de vendre un grand nombre de nouveaux abonnements, il n’en demeure pas moins que les erreurs qu’elle a commises ont, à notre avis, joué un rôle non négligeable dans son évaluation. À la lumière de ces erreurs et du fait que la décision de la juge de première instance semble avoir été influencée par l’existence du prix additionnel de 100 000,00 $ promis par les intimées en sus du gros lot, nous croyons qu’une réévaluation du montant des dommages-intérêts punitifs qu’elle a accordés s’impose.

a) Critères d’évaluation du quantum

[199] Dans l’évaluation du montant des dommages-intérêts punitifs, il faut se tourner d’abord vers l’art. 1621 C.c.Q. En effet, ce dernier énumère quelques principes directeurs destinés à apporter plus de constance et d’objectivité dans l’évaluation des dommages-intérêts punitifs (J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, Les obligations (6e éd. 2005), par. 912)). L’art. 1621 C.c.Q. dispose d’abord que le montant octroyé à titre de dommages-intérêts punitifs ne doit jamais dépasser la somme nécessaire pour remplir leur fonction préventive. Il ajoute à son deuxième alinéa que la détermination du montant doit se faire en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment (1) de la gravité de la faute du débiteur, (2) de sa situation patrimoniale ou (3) de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que (4), le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[200] La gravité de la faute constitue sans aucun doute le facteur le plus important (Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743 (C.A.); Fondation québécoise du cancer c. Patenaude, 2006 QCCA 1554, [2007] R.R.A. 5 (C.A.); Voltec ltée c. CJMF FM ltée, [2002] R.R.A. 1078 (C.A.); Baudouin, Jobin et Vézina, par. 912). Le niveau de gravité s’apprécie sous deux angles : la conduite fautive de l’auteur et l’importance de l’atteinte aux droits de la victime. L’auteur Claude Dallaire a souligné que les tribunaux examinent le degré de gravité de la conduite et l’ampleur des répercussions de cette conduite sur la victime (p. 127 et suiv.). Ainsi, l’analyse de la preuve se concentrera tantôt sur la conduite du contrevenant, tantôt sur les effets de son comportement sur la victime (Procureur général du Québec c. Boisclair, [2001] R.J.Q. 2449 (C.A.), par. 9-10). Dans un cas comme dans l’autre, il est important de garder à l’esprit qu’une myriade d’éléments contextuels peuvent être pris en compte dans l’analyse. Si, par exemple, la preuve démontrait que le contrat était de nature abusive, que le commerçant fautif s’est attiré un avantage concurrentiel indu en se livrant à cette pratique, ou encore que les consommateurs visés par la pratique étaient particulièrement vulnérables, il ne fait aucun doute que ces éléments seraient pertinents pour l’évaluation de la gravité de la faute.

[201] Le deuxième facteur énoncé dans le par. 1621(2) C.c.Q., en l’occurrence la situation patrimoniale du débiteur, vise à faire en sorte que le montant octroyé soit adapté à la situation du contrevenant, afin de produire l’effet recherché par la loi en cause. Ainsi, plus le patrimoine du débiteur est considérable, plus la condamnation à des dommages-intérêts punitifs doit être élevée pour que les objectifs généraux qu’ils poursuivent soient atteints et pour décourager la récidive. L’inverse est aussi vrai dans le cas d’un débiteur peu fortuné. Bien évidemment, même devant un contrevenant à la fortune colossale, il faudra que la somme octroyée conserve un lien rationnel avec les buts recherchés par l’imposition de dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée.

[202] Le troisième facteur du par. 1621(2) C.c.Q., soit l’étendue de la réparation déjà accordée sous d’autres chefs, constitue un critère d’analyse fréquemment utilisé. (St-Ferdinand, Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268, Lambert c. Macara, [2004] R.J.Q. 2637 (C.A.)). Selon ce critère, le tribunal ne doit accorder des dommages-intérêts punitifs que si les dommages-intérêts compensatoires ne suffisent pas pour décourager la récidive, soit parce qu’ils sont trop minimes, soit parce qu’ils n’ont aucun effet sur la situation financière du débiteur. Ce principe ne modifie pas cependant le caractère autonome des dommages-intérêts punitifs. Une indemnisation, même généreuse, par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires n’exclut pas nécessairement une condamnation à des dommages-intérêts punitifs.

[203] Finalement, le quatrième facteur énuméré au par. 1621(2) C.c.Q. vise à ajuster les dommages-intérêts punitifs en fonction du montant total que le débiteur sera appelé à débourser personnellement. Cette évaluation permet de s’assurer que le montant accordé aura réellement l’effet escompté sur le contrevenant. Le montant peut parfois devoir être modulé dans le cas où il existe un tiers payeur, puisque l’objectif de prévention de la récidive se réalise alors par personne interposée. Il faut alors punir l’auteur effectif du paiement de façon à l’inciter à encourager le fautif à se réformer. Intimement relié à cette considération, ce facteur vise également à évaluer l’utilité réelle du deuxième facteur du par. 1621(2) C.c.Q., soit la situation patrimoniale du débiteur. Ainsi, dans le cas où le débiteur de l’obligation ne versera pas lui-même le montant auquel il est condamné à titre de dommages-intérêts punitifs, l’évaluation de son patrimoine devient non pertinente pour la détermination de la somme en question.

b) Autres critères à prendre en considération

[204] Bien que le par. 1621(2) C.c.Q. énumère des facteurs variés comme pertinents dans la détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, il est clair que le législateur a voulu, en faisant précéder cette énumération par l’expression « toutes les circonstances appropriées » et par l’adverbe « notamment », que d’autres facteurs innommés puissent également être considérés. Nous croyons utile d’en mentionner quelques-uns qui, à notre avis, peuvent aider le tribunal de première instance dans sa tâche. Certains ont déjà été mentionnés dans la jurisprudence québécoise, alors que d’autres, bien qu’ils aient été tirés de la common law, s’appliquent aussi bien dans le cadre du droit québécois en la matière.

[205] Premièrement, dans les cas d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte québécoise, les tribunaux ont retenu l’identité et le profil d’une personne morale de droit privé comme critère supplémentaire. L’attitude des tribunaux dans la quantification des dommages-intérêts peut ainsi changer selon que l’auteur de l’atteinte est une personne physique, une personne morale ou une personne morale de droit public. « On comprend aisément que les tribunaux s’offusquent de la conduite antisociale d’une personne morale de droit privé ou de droit public avide de profits ou d’avantages politiques ou stratégiques » (Dallaire, p. 131-133).

[206] Il est également tout à fait acceptable, à notre avis, d’utiliser les dommages-intérêts punitifs, comme en common law, pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages-intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi (Whiten, par. 72).

[207] En troisième lieu, les antécédents civils, disciplinaires ou criminels de l’auteur de l’atteinte peuvent constituer des facteurs pertinents. Le montant accordé peut ainsi varier dans le cas d’un fautif qui en est à sa première infraction et qui a eu auparavant une conduite exemplaire, par rapport à celui qui a des antécédents nombreux et importants (Whiten, par. 69; Dallaire, p. 136-142 et 164-165).

[208] Finalement, au-delà de l’attribution des dommages-intérêts compensatoires, le tribunal de première instance peut également, dans le cadre de la poursuite civile dont il est saisi, prendre en compte, dans sa détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, les sanctions disciplinaires, criminelles ou administratives déjà infligées au contrevenant pour sanctionner le comportement qui lui est reproché (Whiten, par. 123). Le quantum de dommages-intérêts punitifs octroyés peut donc, dans des circonstances appropriées, être limité parce que ces autres sanctions auraient déjà contribué à l’atteinte de l’objectif de prévention visé par le législateur.

[209] Soulignons que les facteurs mentionnés plus haut ne doivent pas être considérés automatiquement par le tribunal de première instance dans tous les cas. Leur pertinence dépendra des circonstances de chaque affaire. De même, les facteurs mentionnés ne forment pas une liste exhaustive des considérations pertinentes pour la détermination du quantum des dommages-intérêts punitifs. Tout élément pertinent pour l’analyse peut être pris en considération, pourvu que la finalité de l’analyse demeure la même : s’assurer que la somme octroyée à titre de dommages-intérêts punitifs est rationnellement proportionnée aux objectifs poursuivis par son attribution dans une affaire donnée, compte dûment tenu des circonstances précises de cette dernière (Whiten, par. 74 et 111).

(3) Application aux faits

[210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but. (Whiten, par. 71). Même sans retenir l’allégation d’une violation de la Charte de la langue française comme facteur aggravant, il n’en demeure pas moins que la conduite des intimées était grave et délibérée et pouvait affecter un grand nombre de consommateurs. De plus, même après que le consommateur leur a reproché leurs pratiques trompeuses, selon la preuve, elles n’ont rien corrigé. Ce fait doit également être considéré comme un facteur aggravant.

[211] Par contre, l’impact de la faute commise par les intimées sur l’appelant demeure assez limité, même s’il n’est pas négligeable. L’appelant s’est abonné au magazine Time, a commencé à recevoir la revue le mois suivant, et on lui a aussi livré, comme promis, un appareil photographique et un album photos en prime. De plus, il n’a jamais demandé le remboursement de ses frais d’abonnement au magazine Time sur la base de la publicité trompeuse. Comme nous l’avons vu, il a institué une poursuite, alléguant que les intimées étaient tenues par contrat de lui payer la somme de 1 250 887,10 $, réclamation qui s’est avérée sans fondement. L’attitude de l’appelant n’est donc pas étrangère aux dimensions que ce litige a fini par prendre.

[212] Devant une situation où un grand nombre de consommateurs ont potentiellement été victimes des pratiques interdites commises par les intimées, nous croyons que l’impact réduit de la faute des intimées sur l’appelant ainsi que l’attitude de l’appelant dans le cadre de ce litige constituent des facteurs pertinents dans la détermination de la somme qui devrait lui être octroyée à titre de dommages-intérêts punitifs.

[213] Par ailleurs, l’information obtenue au procès sur la situation patrimoniale des intimées était insuffisante pour en tirer des conclusions utiles à cet égard. L’appelant tente de contourner ce déficit de preuve en plaidant qu’il était loisible à la juge de première instance de prendre connaissance d’office du fait que les intimées avaient un patrimoine nanti. Sa position s’appuie sur le fait qu’elles appartiennent au conglomérat TimeWarner, dont le patrimoine est bien connu. Nous croyons sa position mal fondée. Les intimées et TimeWarner sont des entités distinctes et TimeWarner n’est pas une défenderesse dans la présente affaire. Or, le critère de la situation patrimoniale édicté au deuxième alinéa de l’art. 1621 C.c.Q. demande que l’on regarde le patrimoine du ou des débiteurs et non de tiers. Le patrimoine d’une partie tierce ne peut en principe être pris en compte que lorsqu’il est démontré que cette partie prendra en charge, en tout ou en partie, le paiement réparateur (art. 1621(2) C.c.Q.). Cette preuve n’a nullement été faite par l’appelant. Il s’ensuit donc que l’appartenance des intimées au conglomérat TimeWarner n’était d’aucune assistance à l’appelant en l’instance. Tout cela étant dit, nous tenons à souligner que l’absence de preuve sur la situation patrimoniale des intimées n’a pas du tout pour effet de les immuniser contre la possibilité d’une condamnation à des dommages-intérêts. Au contraire, cela signifie que notre Cour peut à bon droit rendre sa décision sans devoir mesurer leur capacité financière réelle. La Cour ne peut présumer que la capacité financière des intimées ne leur permettrait pas d’acquitter une condamnation établie à un niveau par ailleurs raisonnable. De plus, il ne faut pas perdre de vue que la preuve a démontré que les pratiques interdites commises par les intimées leur avait été financièrement très profitables. Dans le contexte de cette affaire, ce fait est un élément pertinent à prendre en considération dans la détermination du montant de dommages-intérêts punitifs à octroyer.

[214] Finalement, le caractère minime de la condamnation à des dommages-intérêts compensatoires milite en faveur de l’octroi d’un montant non négligeable de dommages-intérêts punitifs. En effet, en première instance, les intimées ont été condamnées à payer 1 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et nous proposons de confirmer cette condamnation. Cependant, un tel montant resterait nettement inadéquat pour atteindre l’objectif de prévention prévu à l’art. 1621 C.c.Q.

[215] En considérant l’ensemble des facteurs analysés précédemment, nous sommes d’avis de réduire le montant octroyé à l’appelant à titre de dommages-intérêts punitifs à 15 000 $. Ce montant suffit dans les circonstances pour assurer la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs, souligne la gravité des violations de la loi et sanctionne la conduite des intimées de manière assez sérieuse pour les inviter à abandonner les pratiques interdites qu’elles ont utilisées, si ce n’est pas déjà fait.

[216] L’appelant a demandé des dépens établis en fonction du montant de son action originale. Cette demande nous paraît injustifiée. Les dépens seront taxés devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec conformément aux tarifs applicables devant ces tribunaux. Toutefois, nous accordons à l’appelant des dépens sur la base avocat-client, dans notre Cour, en raison de l’importance des questions de droit qu’il a soulevées devant elle (Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17).

V. Conclusion

[217] Pour les motifs exposés plus haut, nous accueillons, en partie, le pourvoi de l’appelant. Nous cassons l’arrêt de la Cour d’appel du Québec infirmant le jugement de la Cour supérieure du Québec et rejetant l’action en dommages-intérêts de l’appelant contre les intimées. Nous rétablissons en partie le jugement de la Cour supérieure en condamnant les intimées à verser à l’appelant 1 000 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires et 15 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, avec intérêts depuis l’assignation. L’appelant aura droit aux dépens selon les tarifs applicables devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec et sur la base avocat-client devant notre Cour.

ANNEXE

Pourvoi accueilli en partie avec dépens.

Procureurs de l’appelant : Davis, Montréal.

Procureurs des intimées : Miller Thomson Pouliot, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2012 CSC 8 ?
Date de la décision : 28/02/2012
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie

Analyses

Protection du consommateur - Pratiques de commerce interdites - Représentations fausses ou trompeuses - Cour d’appel concluant que des représentations faites par un commerçant n’étaient pas de nature à tromper un consommateur « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » - Quel est le critère à adopter pour déterminer si l’impression générale donnée par une représentation constitue une pratique interdite? - Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P‑40.1, art. 218, 219 et 228 et al. 238c).

Protection du consommateur - Pratiques de commerce interdites - Recours - Conditions d’ouverture - À quelles conditions l’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur permet‑il au consommateur de faire sanctionner les violations aux prescriptions du titre II de cette loi? - Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P‑40.1, art. 2, 253 et 272.

Protection du consommateur - Pratiques de commerce interdites - Recours - Demande de dommages‑intérêts compensatoires et punitifs faite par un consommateur en vertu de l’art. 272 de la Loi sur la protection du consommateur - Quelles sont les conditions d’octroi des dommages‑intérêts et les critères à utiliser pour déterminer leur quantum - Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P‑40.1, art. 272; Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1621.

R a reçu par courrier un « Avis officiel du concours Sweepstakes » (le « Document ») sous forme de lettre signée, apparemment, par la directrice du programme et bordée d’encadrés imprimés en couleurs dont certains, en raison de leurs références au magazine Time, permettent à son destinataire de déduire qu’elle émane de T et TCM. Le Document, en langue anglaise seulement, combine plusieurs phrases écrites en majuscules et caractères gras rédigées sous forme exclamative, dont l’objectif est de capter l’attention du lecteur en lui suggérant qu’il est le gagnant d’un prix en argent de 833 337,00 $US, à des phrases imprimées en plus petits caractères rédigées sous forme conditionnelle, dont plusieurs débutent par les mots « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps ». Au verso, la lettre indique d’ailleurs que R sera admissible à un prix additionnel de 100 000,00 $ s’il valide son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours. L’envoi postal contenait aussi un coupon‑réponse ainsi qu’une enveloppe de retour sur laquelle les règles officielles du concours étaient imprimées en petits caractères. Le coupon‑réponse offrait également à R la possibilité de s’abonner au magazine Time. Par ailleurs, les règles indiquaient qu’un numéro gagnant avait été présélectionné par ordinateur et que son détenteur ne pourrait toucher le gros lot que s’il retournait le coupon‑réponse dans le délai fixé. Les règles indiquaient que, dans l’éventualité où le détenteur du numéro gagnant présélectionné ne retournerait pas le coupon‑réponse, le gros lot serait tiré aléatoirement parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon‑réponse et que chaque participant aurait alors une chance de gagner sur 120 millions. Convaincu qu’il était sur le point de toucher la somme promise, R a aussitôt retourné le coupon‑réponse se trouvant à l’intérieur de l’enveloppe. Ce faisant, il s’est abonné au magazine Time. Peu après, R a commencé à recevoir les numéros du magazine à intervalles réguliers, mais le chèque espéré se faisait attendre. Il a contacté T et TCM, qui l’ont informé qu’il ne recevrait aucun chèque puisque le Document ne portait pas le numéro gagnant du tirage et ne constituait qu’une simple invitation à participer à un concours. Elles l’ont également informé que la directrice du programme qui avait signé la lettre n’existait pas; il s’agissait plutôt d’un « nom de plume ».

R a déposé une requête introductive d’instance demandant à la Cour supérieure du Québec de le déclarer gagnant du prix en argent mentionné dans le Document et de condamner T et TCM à des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs correspondant à la valeur du gros lot. La Cour supérieure a accueilli le recours en partie. Elle a jugé que le Document contrevenait aux prescriptions du titre II de la L.p.c. portant sur les pratiques interdites de commerce et donnait ouverture aux sanctions civiles prévues à l’art. 272 L.p.c. La juge a fixé à 1 000 $ la valeur des dommages moraux subis par R. Elle a fixé à 100 000 $ le quantum des dommages‑intérêts punitifs qui lui étaient également octroyés.

La Cour d’appel a accueilli l’appel de T et TCM et conclu qu’elles n’avaient pas violé la L.p.c. D’abord, T et TCM n’avaient pas violé l’art. 228 L.p.c. en omettant d’écrire clairement sur le Document que R pouvait ne pas être le gagnant du gros lot. De plus, l’utilisation du nom d’une personne fictive comme signataire du Document ne violait pas l’al. 238c) L.p.c., car cela n’était pas susceptible de tromper les consommateurs sur l’identité du commerçant. Enfin, le Document ne contenait aucune représentation fausse ou trompeuse, car il ne serait pas de nature à tromper le consommateur « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux ». La Cour d’appel a cassé la condamnation à des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie.

La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Cromwell : La méthode d’analyse choisie par la Cour d’appel pour déterminer l’impression générale donnée par la publicité de T et TCM ne respectait pas le critère retenu par le législateur. L’article 218 L.p.c., qui encadre l’application de toutes les dispositions du titre II concernant les pratiques de commerce interdites, prescrit que, pour déterminer si une représentation constitue une telle pratique, il faut examiner l’« impression générale » donnée par la représentation ainsi que, s’il y a lieu, le « sens littéral » des termes qui y sont employés. En ce qui concerne la publicité fausse ou trompeuse, l’impression générale est celle qui se dégage après un premier contact complet avec la publicité, et ce, à l’égard tant de sa facture visuelle que de la signification des mots employés. Elle s’analyse en faisant abstraction des attributs personnels du consommateur à l’origine de la procédure engagée par le commerçant. Pour respecter l’objectif du législateur de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires, le critère de l’impression générale doit être appliqué dans une perspective d’un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté, qui ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact complet avec une publicité. Une importance considérable doit être attachée non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur. Définir le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » se concilie mal avec le libellé et l’esprit de l’art. 218 L.p.c. Les tribunaux appelés à évaluer la véracité d’une représentation commerciale doivent procéder, selon l’art. 218 L.p.c., à une analyse en deux étapes, en tenant compte, s’il y a lieu, du sens littéral des mots employés par le commerçant : (1) décrire d’abord l’impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite.

En l’espèce, le consommateur moyen, après une première lecture du Document, aurait eu l’impression générale que R détenait le numéro gagnant et qu’il lui suffisait de retourner le coupon‑réponse pour que la procédure de réclamation puisse s’enclencher. Le curieux assemblage d’affirmations et de restrictions que contient le Document n’est pas suffisamment clair et intelligible pour dissiper l’impression laissée par ses phrases prédominantes. Même si le Document ne contient pas nécessairement d’énoncés qui sont littéralement faux, il reste qu’il est truffé de représentations trompeuses au sens de l’art. 219 L.p.c. De plus, les règles du concours n’apparaissent pas toutes lors d’une première lecture du Document. Il s’agit là de faits importants que T et TCM ne pouvaient passer sous silence. Par voie de conséquence, T et TCM ont aussi contrevenu à l’art. 228 L.p.c. Toutefois, même si elles ont utilisé un « nom de plume » dans leur matériel publicitaire, T et TCM n’ont pas contrevenu à l’al. 238c) L.p.c., car le Document ne contient aucune représentation fausse quant à leur statut ou identité. Une seule lecture du Document suffit pour comprendre qu’il émane d’elles et que celles‑ci ne déclarent pas posséder un statut ou une identité qu’elles n’ont pas en réalité.

Un consommateur peut, sous réserve des autres recours prévus par la loi, intenter une poursuite en vertu de l’art. 272 L.p.c. afin de faire sanctionner la violation par un commerçant ou un fabricant d’une obligation que lui impose la L.p.c., un règlement adopté en vertu de celle‑ci ou un engagement volontaire. En cas de contravention par un commerçant ou un fabricant à une obligation visée par l’art. 272 L.p.c., le consommateur peut demander à la fois des réparations contractuelles, des dommages‑intérêts compensatoires et des dommages‑intérêts punitifs ou, au contraire, ne réclamer que l’une de ces mesures. Il appartiendra ensuite au juge de première instance d’accorder les réparations qu’il estimera appropriées dans les circonstances. La sanction de la violation d’une obligation en vertu de l’art. 272 doit toutefois s’exercer conformément aux principes régissant l’application de la L.p.c. et, le cas échéant, aux règles du droit commun. En particulier, l’intérêt juridique pour agir en vertu de cette disposition dépend de l’existence d’un contrat visé par la loi, car l’art. 2 L.p.c. pose le principe fondamental que l’existence d’un contrat de consommation représente la condition nécessaire à l’application de la loi, sous réserve du cas particulier des dispositions pénales. Le recours n’est donc ouvert qu’aux personnes physiques ayant conclu avec un commerçant ou un fabricant un contrat régi par la loi.

La présomption de dol établie par l’art. 253 L.p.c. ne délimite pas la portée de l’art. 272 L.p.c. et ne régit pas les principes qui en sous‑tendent l’application. Elle accorde plutôt une protection additionnelle au consommateur dans des situations où il ne souhaite pas ou ne peut pas exercer un recours en vertu de l’art. 272 L.p.c. De même, l’art. 217 L.p.c., qui dispose que la commission d’une pratique interdite n’est pas subordonnée à la conclusion d’un contrat, n’a pas vocation à régir les conditions d’ouverture et d’exercice des recours prévus à l’art. 272 L.p.c. Cet article ne porte que sur l’existence d’une pratique interdite, et permet au directeur des poursuites criminelles et pénales de faire respecter la loi à titre préventif, conformément à l’intention législative en la matière.

Pour avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c., le consommateur n’a pas à prouver le dol et ses conséquences selon les règles ordinaires du droit civil, car, vu l’influence possible des pratiques interdites sur la décision des consommateurs de s’engager dans une relation contractuelle avec un commerçant, l’existence d’une pratique interdite constitue en soi un dol au sens de l’art. 1401 C.c.Q. De même, le commerçant ou le fabricant poursuivi ne peut soulever un moyen de défense basé sur le « dol éclairé et non préjudiciable ». Le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. est fondé sur la prémisse que tout manquement à une obligation imposée par la loi entraîne l’application d’une présomption absolue de préjudice pour le consommateur. La preuve de la violation d’une obligation contractuelle de source légale qui se retrouve principalement au titre I de la loi permet, sans exigence additionnelle, au consommateur d’obtenir l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272. Lorsqu’il souhaite faire sanctionner les pratiques interdites au titre II de la loi et commises par les commerçants et fabricants, le consommateur, pour bénéficier de cette présomption, doit prouver : (1) la violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi; (2) la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur; (3) la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance et (4) une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat. Selon ce dernier critère, la pratique interdite doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l’exécution du contrat de consommation. Lorsque ces quatre éléments sont établis, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur, et celui‑ci peut demander l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c.

Le recours en dommages‑intérêts prévu à l’art. 272 L.p.c. est autonome par rapport aux mesures de réparation contractuelles prévues aux al. a) à f) de ce même article. Il doit néanmoins être exercé dans le respect du principe régissant l’intérêt juridique pour intenter une poursuite en vertu de l’art. 272, et demeure soumis aux règles générales du droit civil québécois. En outre, l’octroi de dommages‑intérêts compensatoires en matière extracontractuelle est permis, car le dol commis au cours de la phase précontractuelle constitue une faute civile susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur. Dans la mesure où il est ouvert au consommateur, le recours en dommages‑intérêts prévu à l’art. 272 L.p.c., qu’il soit intenté sur une base contractuelle ou extracontractuelle, allège donc son fardeau de preuve au moyen d’une présomption absolue de préjudice découlant de toute illégalité commise par le commerçant ou le fabricant. Cette présomption dispense le consommateur de la nécessité de prouver l’intention de tromper du commerçant. Le consommateur qui bénéficie de la présomption irréfragable de préjudice aura également réussi à prouver la faute du commerçant ou du fabricant pour l’application de l’art. 272 L.p.c.

En l’espèce, R s’est déchargé de son fardeau de prouver l’existence d’un lien rationnel entre les pratiques interdites commises par T et TCM et le contrat d’abonnement l’unissant à ces dernières. R s’est abonné au magazine Time après avoir lu la documentation que T et TCM lui ont fait parvenir, et la juge de première instance a conclu qu’il ne se serait pas abonné s’il n’avait pas lu la documentation trompeuse. En conséquence, le Document est réputé avoir eu un effet dolosif sur la décision de R de s’abonner au magazine Time. Le comportement reproché à T et TCM constitue une faute civile entraînant leur responsabilité extracontractuelle.

Aucune raison ne justifie de réviser les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles la faute de T et TCM a causé à R des dommages moraux évalués à 1 000 $. T et TCM n’ont pas démontré que la juge avait erré dans son appréciation de la preuve ou dans l’application des principes juridiques, à l’égard tant de leur responsabilité que du quantum des dommages.

Le consommateur qui invoque l’art. 272 L.p.c. peut également obtenir des dommages‑intérêts punitifs, même s’il ne lui a pas été accordé en même temps une réparation contractuelle ou des dommages‑intérêts compensatoires. Parce que l’art. 272 L.p.c. n’établit aucun critère ou règle encadrant l’attribution de ces dommages‑intérêts, ceux‑ci seront octroyés en conformité avec l’art. 1621 C.c.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables, et conformément aux objectifs de la L.p.c., qui sont de rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre commerçants consommateurs et d’éliminer les pratiques déloyales et trompeuses. Les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages‑intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle‑ci avant d’accorder des dommages‑intérêts punitifs.

En l’espèce, une condamnation à des dommages‑intérêts punitifs se justifiait. Toutefois, il y a lieu de réviser le montant de 100 000,00 $ retenu par la juge de première instance. Bien qu’elle ne se soit pas trompée en concluant que T et TCM avaient distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs et que l’organisation de ces concours publicitaires leur permettait de vendre un grand nombre de nouveaux abonnements, la juge a commis une erreur en considérant, dans son évaluation du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, la Charte de la langue française ainsi que la situation patrimoniale de T et TCM. En l’espèce, T et TCM avaient commis une violation intentionnelle et calculée de la L.p.c. qui pouvait affecter un grand nombre de consommateurs, et rien dans la preuve n’indique que T et TCM ont pris des mesures correctives après la plainte de R afin de rendre leurs publicités claires ou conformes à la lettre et à l’esprit de la L.p.c. Cela constitue un facteur aggravant. Par contre, l’impact de la faute commise par T et TCM sur R demeure assez limité, même s’il n’est pas négligeable, et l’attitude de celui‑ci n’est pas étrangère aux dimensions que ce litige a fini par prendre. Cependant, le caractère minime de la condamnation à des dommages‑intérêts compensatoires milite en faveur de l’octroi d’un montant non négligeable de dommages‑intérêts punitifs. Un montant de 15 000 $ suffit dans les circonstances pour assurer la fonction préventive des dommages‑intérêts punitifs, souligne la gravité des violations de la loi et sanctionne la conduite de T et TCM de manière assez sérieuse pour les inviter à abandonner les pratiques interdites qu’elles ont utilisées, si ce n’est pas déjà fait.

Les dépens seront taxés devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec conformément aux tarifs applicables devant ces tribunaux. Toutefois, des dépens sur la base avocat‑client sont accordés à R devant la Cour suprême du Canada, en raison de l’importance des questions de droit qu’il a soulevées.


Parties
Demandeurs : Richard
Défendeurs : Time Inc.

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec les arrêts : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130
Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085
Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595
arrêts approuvés : Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc., [1995] R.J.Q. 746
Québec (Procureur général) c. Distribution Canovex Inc., [1996] J.Q. no 5302 (QL)
Option Consommateurs c. Brick Warehouse, l.p., 2011 QCCS 569 (CanLII)
Tremblay c. Ameublements Tanguay inc., 2011 QCCS 3078 (CanLII)
Turgeon c. Germain Pelletier Ltée, [2001] R.J.Q. 291
Beauchamp c. Relais Toyota inc., [1995] R.J.Q. 741
Lambert c. Minerve Canada, compagnie de transport aérien inc., [1998] R.J.Q. 1740
arrêts désapprouvés : Ata c. 9118‑8169 Québec Inc., 2006 QCCS 3777, [2006] R.J.Q. 1883
Lafontaine c. La Source d’eau Val‑d’Or inc., 2001 CanLII 10566
Jabraian c. Trévi Fabrication Inc., 2005 CanLII 10580
Santangeli c. 154995 Canada Inc., 2005 CanLII 32103
Martin c. Rénovations métropolitaines (Québec) ltée, 2006 QCCQ 1760 (CanLII)
Darveau c. 9034‑9770 Québec inc., 2005 CanLII 41136
arrêt examiné : Riendeau c. Brault & Martineau inc., 2007 QCCS 4603, [2007] R.J.Q. 2620, conf. par 2010 QCCA 366, [2010] R.J.Q. 507
arrêts mentionnés : Prebushewski c. Dodge City Auto (1984) Ltd., 2005 CSC 28, [2005] 1 R.C.S. 649
R. c. Colgate‑Palmolive Ltd., [1970] 1 C.C.C. 100
Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824
Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772
R. c. Imperial Tobacco Products Ltd., [1971] 5 W.W.R. 409
P.G. du Québec c. Louis Bédard Inc., 1986 CarswellQue 981
Adams c. Amex Bank of Canada, 2009 QCCS 2695, [2009] R.J.Q. 1746
Marcotte c. Banque de Montréal, 2009 QCCS 2764 (CanLII)
Marcotte c. Fédération des caisses Desjardins du Québec, 2009 QCCS 2743 (CanLII)
Chrysler Canada Ltée c. Poulin, [1988] J.Q. no 1683 (QL)
A.C.E.F. Sud‑Ouest de Montréal c. Arrangements alternatifs de crédit du Québec Inc., [1994] R.J.Q. 114
Centre d’économie en chauffage Turcotte inc. c. Ferland, [2003] J.Q. no 18096 (QL)
9029-4596 Québec Inc. c. Duplantie, [1999] R.J.Q. 3059
Boissonneault c. Banque de Montréal, [1988] R.J.Q. 2622
Service aux marchands détaillants ltée (Household Finance) c. Option Consommateurs, 2006 QCCA 1319 (CanLII)
Chartier c. Meubles Léon ltée, [2003] J.Q. no 842 (QL)
Kingsway Financial Services Inc. c. 118997 Canada inc., [1999] J.Q. no 5922 (QL)
Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235
H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401
de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64
Béliveau St‑Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345
Gastonguay c. Entreprises D. L. Paysagiste, 2004 CanLII 31925
Mathurin c. 3086‑9069 Québec Inc., 2003 CanLII 19131
Systèmes Techno‑Pompes inc. c. Tremblay, 2006 QCCA 987, [2006] R.J.Q. 1791
Champagne c. Toitures Couture et Associés inc., [2002] R.J.Q. 2863
Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211
Landry c. Quesnel, [2002] R.J.Q. 80
Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q. 47
Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743
Fondation québécoise du cancer c. Patenaude, 2006 QCCA 1554, [2007] R.R.A. 5
Voltec ltée c. CJMF FM ltée, [2002] R.R.A. 1078
Procureur général du Québec c. Boisclair, [2001] R.J.Q. 2449
Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268
Lambert c. Macara, [2004] R.J.Q. 2637
Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17.
Lois et règlements cités
Charte de la langue française, L.R.Q., ch. C‑11.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 49.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1386, 1387, 1388, 1401, 1407, 1412, 1621, 1899, 1902, 1968.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, L.R.C. 1985, ch. C‑23, art. 52(4).
Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., ch. A‑2.1, art. 167.
Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34, art. 52(4).
Loi sur la protection des arbres, L.R.Q., ch. P‑37, art. 1.
Loi de la protection du consommateur, L.Q. 1971, ch. 74.
Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P‑40.1, art. 1e), 2, 6.1, titre I, 8, 9, 54.1, titre II, 216, 217, 218, 219, 220 à 251, 228, 238, 253, titre IV, 261, 262, 271, 272, 277, 290, 310, 314, 316.
Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture, L.R.Q., ch. A‑23.001, art. 56.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13.
Loi sur les produits pétroliers, L.R.Q., ch. P‑30.01, art. 67.
Doctrine et autres documents cités
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Baudouin, Jean‑Louis, et Patrice Deslauriers. La responsabilité civile, 7e éd., vol. I, Principes généraux. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2007.
Baudouin, Jean‑Louis, et Pierre‑Gabriel Jobin. Les obligations, 6e éd. par Pierre‑Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vézina. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2005.
Belobaba, Edward P. « Unfair Trade Practices Legislation : Symbolism and Substance in Consumer Protection » (1977), 15 Osgoode Hall L.J. 327.
Couture, Luc‑André. « Rapport sur la protection du consommateur au niveau fédéral en droit pénal canadien », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 24. Paris : Dalloz, 1975, 303.
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L’Heureux, Nicole. Droit de la consommation, 5e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2000.
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Lluelles, Didier, et Benoît Moore. Droit des obligations. Montréal : Thémis, 2006.
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Proposition de citation de la décision: Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8 (28 février 2012)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2012-02-28;2012.csc.8 ?
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