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17/07/2014 | CANADA | N°2014_CSC_49

Canada | Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477

Date : 20140717
Dossier : 35124

Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Confédération des syndicats nationaux et
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
Intimées


Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 46)
Les juges LeBel et Wagner (avec

l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis)



canada (p.g.) c. csn...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477

Date : 20140717
Dossier : 35124

Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Confédération des syndicats nationaux et
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
Intimées


Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 46)
Les juges LeBel et Wagner (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis)



canada (p.g.) c. csn, 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477
Procureur général du Canada Appelant
c.
Confédération des syndicats nationaux et
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec Intimées
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux
2014 CSC 49
N o du greffe : 35124.
2014 : 20 janvier; 2014 : 17 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel du québec
Procédure civile — Requête en irrecevabilité — Stare decisis — Recours visant à faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions législatives relatives à l'assurance-emploi — Requête en irrecevabilité présentée au motif qu'un arrêt rendu auparavant par la Cour suprême du Canada tranchait déjà les questions soulevées — La requête introductive d'instance est-elle fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais? — Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 165(4).
En 1998 et 1999, des syndicats se sont adressés aux tribunaux pour faire invalider certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , notamment celles relatives au mécanisme de fixation des cotisations et ayant permis d'accumuler des surplus de plusieurs milliards de dollars. Selon eux, le gouvernement réaffectait ces surplus à ses dépenses générales, ce qui constituait un détournement des fonds qui devaient être réservés à l'assurance-emploi. En 2008, dans son arrêt Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général) , 2008 CSC 68, [2008] 3 R.C.S. 511 (« CSN c. Canada »), la Cour a déclaré que les mesures adoptées en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi étaient valides et constitutionnelles, sauf pour les années 2002, 2003 et 2005, et elle a suspendu l'effet de la déclaration d'invalidité pour une période de 12 mois afin de permettre au législateur de rectifier la situation. En 2010, le Parlement a adopté la Loi sur l'emploi et la croissance économique , L.C. 2010, ch. 12 , laquelle a fermé le Compte d'assurance-emploi et créé un nouveau Compte des opérations de l'assurance-emploi, de façon rétroactive au 1 er janvier 2009. Cette loi ne prévoyait aucun transfert du solde créditeur du Compte d'assurance-emploi — lequel s'établissait alors à plus de 57 milliards de dollars — vers le nouveau Compte des opérations de l'assurance-emploi. La CSN et la FTQ (les « syndicats ») ont alors déposé une requête introductive d'instance pour faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur l'emploi et la croissance économique . Soutenant que les questions soulevées par les syndicats avaient déjà été tranchées par la Cour dans l'arrêt CSN c. Canada , le procureur général du Canada a présenté une requête en irrecevabilité fondée sur le par. 165(4) du Code de procédure civile , RLRQ, ch. C-25 . La requête en irrecevabilité a été accueillie par la Cour supérieure du Québec, mais la Cour d'appel a infirmé la décision. Elle a considéré que le litige portait sur les effets du geste d'abolition du solde créditeur du compte d'assurance-emploi et des entrées comptables en résultant, une question qui n'avait pas été tranchée dans l'arrêt CSN c. Canada .
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Avant d'accueillir une requête en irrecevabilité au motif qu'une décision faisant autorité a déjà tranché la question en litige, le juge d'instance doit être convaincu, au regard du dossier et des faits allégués, que le précédent invoqué par le requérant porte sur l'ensemble du débat qu'il devrait normalement trancher et qu'il y apporte une solution complète, certaine et définitive.
En l'espèce, le recours des syndicats est voué à l'échec. Le recours repose sur la prémisse que l'inscription au Compte d'assurance-emploi d'un solde créditeur constitue une dette du Trésor envers ce compte. Pour les syndicats, le suivi comptable des cotisations versées dans le cadre du régime d'assurance-emploi représente une condition essentielle à la validité constitutionnelle de celles-ci. Or, l'arrêt CSN c. Canada a fixé l'état du droit à cet égard et prive la requête introductive d'instance de tout fondement juridique. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les sommes recueillies au titre des cotisations à la caisse d'assurance-emploi sont une portion des recettes publiques de l'État et peuvent être utilisées à d'autres fins que le paiement de prestations. Bien que le lien entre le régime et les cotisations soit un élément dont on peut tenir compte afin d'établir la nature des prélèvements, il est erroné d'affirmer que la validité de ces prélèvements dépend de l'existence de ce lien. De plus, il n'a jamais existé de dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi, l'État ne pouvant être endetté envers lui-même. La demande n'ayant aucune chance raisonnable de succès, le par. 165(4) du Code de procédure civile s'appliquait et le recours pouvait être rejeté au stade préliminaire.
Jurisprudence
Arrêt examiné : Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général) , 2008 CSC 68, [2008] 3 R.C.S. 511; arrêts mentionnés : Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority , [1999] 3 R.C.S. 134; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général) , 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 131; Groupe d'assurance Hartford/Monitor Insurance Group c. Plomberie P.M. Inc. , [1984] R.D.J. 17; Groupe Jeunesse Inc. c. Loto-Québec , 2004 CanLII 9766; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée , 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; Morier c. Rivard , [1985] 2 R.C.S. 716; Bohémier c. Barreau du Québec , 2012 QCCA 308 (CanLII); Ville de Hampstead c. Jardins Tuileries Ltée , [1992] R.D.J. 163; Cheung c. Borsellino , 2005 QCCA 865 (CanLII); Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. c. Société d'habitation et de développement de Montréal , 2011 QCCA 1033 (CanLII); Entreprises Pelletier & Garon (Toitures inc.) c. Agropur Coopérative , 2010 QCCA 244, [2010] R.D.I. 24; R. c. Québec (Société des alcools) , 1998 CanLII 13129; Saint-Eustache (Ville de) c. Régie intermunicipale Argenteuil Deux-Montagnes , 2011 QCCA 227 (CanLII); Westmount (Ville) c. Rossy , 2012 CSC 30, [2012] 2 R.C.S. 136; Oznaga c. Société d'exploitation des loteries et courses du Québec , [1981] 2 R.C.S. 113; Gillet c. Arthur , [2005] R.J.Q. 42; Racine c. Harvey , 2005 QCCA 879 (CanLII); Canada (Procureur général) c. Imperial Tobacco Ltd. , 2012 QCCA 2034, [2012] R.J.Q. 2046, autorisation d'appel refusée, [2013] 2 R.C.S. ix; Canada (Procureur général) c. Bedford , 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101.
Lois et règlements cités
Code de procédure civile , RLRQ, ch. C-25, art. 165.
Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , art. 66 , 66.1 , 66.3 .
Loi sur l'emploi et la croissance économique , L.C. 2010, ch. 12 , art. 2185 et suiv.
Doctrine et autres documents cités
Ferland, Denis, et Benoît Emery. Précis de procédure civile du Québec , vol. 1, 4 e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2003.
Kélada, Henri. Les préliminaires de défense en procédure civile . Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2009.
Reid, Hubert, et Claire Carrier. Code de procédure civile du Québec : jurisprudence et doctrine , 30 e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2014.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (les juges Morissette, Fournier et St-Pierre), 2012 QCCA 1822, [2012] AZ-50901334, [2012] J.Q. n o 9717 (QL), 2012 CarswellQue 10069, qui a infirmé une décision de la juge Perrault, 2012 QCCS 128, [2012] AZ-50823420, [2012] J.Q. n o 341 (QL), 2012 CarswellQue 261. Pourvoi accueilli.
René LeBlanc et Pierre Salois , pour l'appelant.
Guy Martin , pour l'intimée la Confédération des syndicats nationaux .
Jean-Guy Ouellet , pour l'intimée la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec .
Le jugement de la Cour a été rendu par
[1] Les juges LeBel et Wagner — La saine administration des ressources judiciaires représente une condition essentielle pour assurer le bon fonctionnement du système judiciaire et l'accès des justiciables à une justice de qualité. Pour garantir cette saine administration, les législateurs ont doté les tribunaux d'outils leur permettant de mettre fin à des recours voués à l'échec, et ce, même à un stade préliminaire. Au Québec, à titre d'exemple, l'art. 165 du Code de procédure civile , RLRQ, ch. C-25 (« C.p.c. »), fait partie des moyens mis en place pour réaliser cet objectif. Cependant, l'exercice de ce pouvoir impose la prudence aux tribunaux. En effet, si la saine administration de la justice commande que les recours voués à l'échec n'accaparent pas les ressources des tribunaux, le principe cardinal de l'accès à la justice exige en revanche que ce pouvoir soit utilisé avec parcimonie, lorsqu'il est manifeste qu'une demande n'a aucune chance raisonnable de succès.
[2] Pour les motifs qui suivent, il est manifeste, à notre avis, que le recours entrepris par les intimées Confédération des syndicats nationaux et Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (collectivement les « syndicats ») est voué à l'échec. L'application de la règle du stare decisis est fatale à leur action : l'arrêt prononcé par notre Cour en 2008 dans l'affaire Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général) , 2008 CSC 68, [2008] 3 R.C.S. 511 (« CSN c. Canada »), a fixé l'état du droit à l'égard des questions de droit soulevées par le présent recours. Cet arrêt prive en conséquence de tout fondement juridique la requête introductive d'instance déposée par les syndicats. La demande n'ayant aucune chance raisonnable de succès, le par. 165(4) du Code de procédure civile s'appliquait en l'espèce et le recours pouvait être rejeté au stade préliminaire.
I. Le contexte
[3] En 1996, en édictant la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 (« Loi de 1996 »), le gouvernement fédéral a opéré une réforme majeure du régime d'assurance-emploi. L'un des principaux éléments de cette réforme visait le mode de fixation des cotisations payables par les travailleurs et employeurs qui contribuaient au régime et, partant, le mode de financement du régime.
[4] Aux prises avec des déficits périodiques du régime et appréhendant les effets d'une période de ralentissement économique sur le Trésor fédéral, le Parlement voulait, par sa réforme, créer une réserve pour augmenter la stabilité du régime en évitant les fluctuations importantes des cotisations. Cette réforme a rapidement porté fruit, puisqu'au 1 er janvier 2009, le Compte d'assurance-emploi comportait un surplus de plusieurs milliards de dollars.
[5] En 1998 et 1999 respectivement, le Syndicat national des employés de l'aluminium d'Arvida et la Confédération des syndicats nationaux s'adressent aux tribunaux pour faire invalider certaines dispositions de la Loi de 1996 , plaidant notamment l'inconstitutionnalité du mécanisme de fixation des cotisations au motif que les excédents annuels au compte étaient réaffectés par le gouvernement à ses dépenses générales, notamment à la réduction du déficit budgétaire. Selon eux, il s'agissait purement et simplement d'un détournement des fonds qui devaient être réservés à l'assurance-emploi.
[6] Dans son arrêt du 11 décembre 2008, notre Cour a déclaré que les mesures adoptées en vertu de la Loi de 1996 étaient valides et constitutionnelles, sauf pour les années 2002, 2003 et 2005. Relativement à ces années, la Cour a conclu que le mécanisme de fixation des cotisations était inconstitutionnel, car il permettait au gouverneur en conseil d'imposer une taxe sans qu'aucune délégation claire du pouvoir de taxation ne l'y autorise ( CSN c. Canada , par. 72 et suiv.).
[7] En effet, pour les années 2002, 2003 et 2005, les taux de cotisation avaient été fixés par le gouverneur en conseil en vertu des art. 66.1 et 66.3 de la Loi de 1996 . Ces dispositions permettaient de déroger aux critères prévus par l' art. 66 , lesquels encadraient l'exercice du pouvoir de fixer les taux de cotisation. Parce qu'elles étaient muettes sur le lien entre les cotisations et les prestations, les dispositions ne pouvaient être considérées comme imposant une charge réglementaire au sens des arrêts Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority , [1999] 3 R.C.S. 134, et 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général) , 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 131. Elles ne comportaient pas non plus de délégation par le Parlement d'un pouvoir de taxation au gouverneur en conseil. La Cour a reconnu que, pour les années en question, l'exercice irrégulier par le gouverneur en conseil du pouvoir dévolu au Parlement constituait un défaut technique, et elle a suspendu l'effet de la déclaration d'invalidité constitutionnelle des art. 66.1 et 66.3 pour une période de 12 mois, afin de permettre au législateur de rectifier la situation.
[8] Le 12 juillet 2010, le Parlement a adopté la Loi sur l'emploi et la croissance économique , L.C. 2010, ch. 12 (« Loi de 2010 »), qui prévoyait notamment la fermeture du Compte d'assurance-emploi et la création d'un nouveau compte, appelé Compte des opérations de l'assurance-emploi, de façon rétroactive au 1 er janvier 2009 ( art. 2185 et suiv.).
[9] Il est admis que la Loi de 2010 ne prévoyait aucun transfert du solde créditeur du Compte d'assurance-emploi — lequel s'établissait alors à plus de 57 milliards de dollars — vers le nouveau Compte des opérations de l'assurance-emploi. La contestation judiciaire s'est donc engagée dans ce contexte.
II. Historique judiciaire
[10] Au mois d'avril 2011, les syndicats ont déposé une requête introductive d'instance pour faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi de 2010 .
[11] Soutenant que les questions soulevées par les syndicats avaient déjà été tranchées par notre Cour dans l'arrêt CSN c. Canada , le procureur général du Canada a donc présenté une requête en irrecevabilité fondée sur le par. 165(4) C.p.c. et plaidé que le recours n'est pas fondé en droit.
A. Cour supérieure, 2012 QCCS 128 (CanLII), la juge Perrault
[12] La requête en irrecevabilité a d'abord été accueillie par la Cour supérieure du Québec. La juge Perrault a écarté les arguments des syndicats selon lesquels les dispositions attaquées seraient constitutionnellement invalides, car elles briseraient le lien nécessaire entre les cotisations perçues et le régime d'assurance-emploi. La juge a souligné que, dans l'arrêt CSN c. Canada , notre Cour a décidé que les fonds du régime appartiennent au gouvernement et non aux cotisants. De plus, le lien invoqué par les syndicats n'était pertinent que pour déterminer la nature juridique des cotisations, non la légalité de leur utilisation. En l'occurrence, il s'agissait soit de prélèvements réglementaires, soit de taxe sur les listes de paie. Les surplus amassés font partie des recettes de l'État, ils n'ont pas à être utilisés aux seules fins du régime d'assurance-emploi et ils ne constituent pas une dette du Trésor public envers ce régime. Selon la juge Perrault, les questions de droit soulevées par les syndicats avaient déjà été tranchées par notre Cour en 2008. Leur recours n'était donc pas fondé en droit et devait être rejeté même à ce stade préliminaire.
B. Cour d'appel, 2012 QCCA 1822 (CanLII), les juges Morissette, Fournier et St-Pierre
[13] La Cour d'appel du Québec a infirmé la décision de première instance, considérant que le litige portait davantage sur « les effets du geste d'abolition du solde créditeur et des entrées comptables en résultant », suite à la modification législative de 2010, que sur l'utilisation des surplus accumulés dans ce compte (par. 51). Or, cette question n'a pas, dans sa forme actuelle, été tranchée par la Cour dans son arrêt de 2008, puisque la loi en question n'avait pas encore été adoptée. Qui plus est, la majorité des faits pertinents sont postérieurs à cet arrêt. Dans ce contexte, si la juge de première instance avait, comme elle se devait de le faire, tenu ces faits pour avérés, elle aurait rejeté la requête en irrecevabilité et permis aux parties de débattre au fond les questions soulevées par les syndicats. La Cour d'appel a d'ailleurs souligné que la prétention des syndicats selon laquelle le Trésor public avait une dette envers le Compte d'assurance-emploi faisait partie des faits que la juge de première instance devait tenir pour avérés.
III. Question en litige
[14] Devant notre Cour, la question soulevée demeure celle du sort de la requête en irrecevabilité présentée par l'appelant.
IV. Analyse
A. Le paragraphe 165(4) du Code de procédure civile
(1) Fonction et portée du par. 165(4) C.p.c.
[15] La requête préliminaire présentée par l'appelant repose sur le par. 165(4) C.p.c. Expression contemporaine de l'ancienne inscription en droit, cette disposition a pour fonction première d'éviter la tenue d'un procès lorsque le recours est dépourvu de fondement juridique, et ce, même si les faits à son soutien sont admis ( Groupe d'assurance Hartford/Monitor Insurance Group c. Plomberie P.M. Inc. , [1984] R.D.J. 17 (C.A.); Groupe Jeunesse Inc. c. Loto-Québec , 2004 CanLII 9766 (C.A. Qué.), par. 6).
[16] Pour cette raison, l'application du par. 165(4) C.p.c. favorise une gestion saine et efficace des ressources judiciaires. Pour reprendre les propos de la juge en chef McLachlin, le pouvoir que possèdent les tribunaux de rejeter les recours au stade préliminaire « constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l'efficacité et à l'équité des procès. Il permet d'élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l'instruction des demandes susceptibles d'être accueillies » ( R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée , 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, par. 19; voir aussi Morier c. Rivard , [1985] 2 R.C.S. 716, p. 745-746).
[17] Le rejet d'une action au stade préliminaire peut toutefois entraîner de très sérieuses conséquences. Les tribunaux doivent pour cette raison faire preuve de circonspection dans l'exercice de ce pouvoir. Dans ce contexte, seule une absence claire et manifeste de fondement juridique mènera au rejet d'une action à cette étape des procédures ( Bohémier c. Barreau du Québec , 2012 QCCA 308 (CanLII), par. 17; Ville de Hampstead c. Jardins Tuileries Ltée , [1992] R.D.J. 163 (C.A.); Cheung c. Borsellino , 2005 QCCA 865 (CanLII); Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. c. Société d'habitation et de développement de Montréal , 2011 QCCA 1033 (CanLII)).
[18] À ce propos, la Cour d'appel du Québec soulignait qu'« il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès au stade d'une requête en irrecevabilité, à moins d'une situation claire et évidente , considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d'une action sans que la demande ne soit examinée au mérite » ( Entreprises Pelletier & Garon (Toitures inc.) c. Agropur Coopérative , 2010 QCCA 244, [2010] R.D.I. 24, par. 4 (nous soulignons)).
[19] Cette situation « claire et évidente » ouvrant la voie au rejet de l'action doit apparaître à la lecture des allégations de la requête introductive d'instance et des différentes pièces invoquées à son soutien ( Groupe Jeunesse Inc. ; R. c. Québec (Société des alcools) , 1998 CanLII 13129 (C.A. Qué.); Saint-Eustache (Ville de) c. Régie intermunicipale Argenteuil Deux-Montagnes , 2011 QCCA 227 (CanLII)).
[20] Cependant, si les faits allégués dans la requête doivent être tenus pour avérés ( Westmount (Ville) c. Rossy , 2012 CSC 30, [2012] 2 R.C.S. 136, par. 15; Oznaga c. Société d'exploitation des loteries et courses du Québec , [1981] 2 R.C.S. 113), leur qualification juridique ne lie pas pour autant le tribunal ( Gillet c. Arthur , [2005] R.J.Q. 42 (C.A.), par. 25; Racine c. Harvey , 2005 QCCA 879 (CanLII), par. 10; Société des alcools ; Bohémier , par. 17).
[21] Dans ce contexte, le juge appelé à statuer sur la recevabilité d'un recours doit déterminer si les allégations de fait énoncées dans la requête introductive d'instance sont « de nature à donner ouverture aux conclusions recherchées » par le demandeur ( Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec inc. , par. 14). Dans tous les cas, pour que le tribunal soit fondé à conclure à l'irrecevabilité, il faut que tous les éléments de fait à considérer apparaissent à la requête introductive d'instance et que l'application de la règle de droit pertinente à ces éléments ne soit pas discutable (H. Reid et C. Carrier, Code de procédure civile du Québec : jurisprudence et doctrine (30 e éd. 2014), par. 165/200).
(2) Le rejet d'action fondé sur la règle du stare decisis
[22] Les jugements rendus en application du par. 165(4) C.p.c. portent souvent sur des situations où soit le droit invoqué est clairement prescrit, soit la loi interdit de recourir aux tribunaux, soit il y a absence pure et simple d'un lien de droit entre les parties (voir D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec (4 e éd. 2003), vol. 1, p. 286-287; H. Kélada, Les préliminaires de défense en procédure civile (2009), p. 214 et suiv.). Cependant, il arrive parfois qu'un recours soit rejeté lorsqu'il est manifeste qu'une décision faisant autorité a déjà tranché la ou les questions soulevées par la requête introductive d'instance. Selon le procureur général du Canada, le présent pourvoi constitue un de ces cas.
[23] En effet, nous sommes selon lui en présence d'une situation où un arrêt antérieur de notre Cour a fixé le droit à l'égard des principales questions juridiques que soulève le pourvoi. L'appelant ne prétend pas qu'il s'agit d'un cas de chose jugée qui permettrait d'invoquer le par. 165(1). Il plaide plutôt que le droit applicable aux questions fondamentales qui scelleront le sort de l'appel a été établi par l'arrêt CSN c. Canada qu'a rendu notre Cour en 2008, dans l'exercice de sa fonction d'interprétation, en dernier ressort, du droit constitutionnel et du droit public. Une interprétation contraire à celle adoptée par la Cour dans cet arrêt serait dépourvue de fondement juridique en raison de l'autorité que revêt celui-ci comme précédent ( Canada (Procureur général) c. Imperial Tobacco Ltd. , 2012 QCCA 2034, [2012] R.J.Q. 2046 (« Canada c. Imperial Tobacco »), par. 125-127, le juge Gascon, autorisation d'appel refusée, [2013] 2 R.C.S. ix; Canada (Procureur général) c. Bedford , 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 38 et 43-46, la juge en chef McLachlin).
[24] Certes, la règle de l'autorité du précédent ou du stare decisis n'est plus d'une rigidité absolue aujourd'hui. Comme l'a rappelé notre Cour dans l'arrêt Bedford , la valeur précédentielle d'un jugement peut être remise en cause « lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d'une évolution importante du droit ou qu'une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne » (par. 42). En revanche, quand la question juridique demeure la même et s'insère dans un contexte similaire, le précédent représente toujours l'état du droit et doit être respecté par les tribunaux ( Bedford , par. 46).
[25] D'utilisation limitée dans la procédure civile du Québec, la méthode de rejet au stade préliminaire fondée sur la règle du stare decisis se rapproche de l'exception fondée sur la chose jugée (par. 165(1) C.p.c. ). Tout comme cette dernière, elle requiert que les questions juridiques soulevées par la partie demanderesse aient déjà été clairement tranchées par les tribunaux. Toutefois, contrairement à la chose jugée, elle n'exige pas nécessairement que le débat oppose les mêmes parties. En effet, l'élément important consiste à établir que le débat, tel qu'il a été entrepris, reste le même, et que les questions qu'il soulève aient déjà été réglées par une juridiction supérieure dont le jugement possède l'autorité de la chose jugée.
[26] Dans Canada c. Imperial Tobacco , le juge Gascon, alors à la Cour d'appel, a donné les précisions suivantes :
Dans ce contexte, ne m'apparaît pas décisif l'argument des fabricants voulant qu'il ne s'agisse pas ici de chose jugée puisque l'arrêt Imperial n'est pas rendu par une cour compétente de juridiction civile ou parce que l'identité stricte de parties, de causes et d'objets n'est pas établie. Je n'estime pas nécessaire de discuter plus amplement des distinctions que soulèvent les fabricants en regard de ces identités de parties, de causes et d'objets qui feraient échec à l'argument de chose jugée qu'invoque le PGC. À mon avis, la règle du stare decisis permet plutôt de trancher la question.

Suivant cette règle, la Cour supérieure aurait dû se déclarer liée par l'arrêt Imperial . En statuant comme elle l'a fait sur la question de l'immunité dont bénéficie le PGC en regard de la ligne de conduite remise en question par les fabricants, la Cour suprême rendait en quelque sorte leurs actions en garantie irrecevables parce que mal fondées en droit, même en tenant pour avérés les faits allégués .

L'argument fondé sur le stare decisis est moins exigeant que la chose jugée puisqu'il ne requiert qu'une trame factuelle similaire ou analogue. La règle du stare decisis est un principe [ traduction ] « suivant lequel les tribunaux doivent suivre la jurisprudence applicable sur un point donné lorsque le même point se soulève de nouveau devant eux » [ Black's Law Dictionary (9 e éd. 2009), p. 1537]. Cette règle s'applique bien sûr aux arrêts de la Cour suprême, particulièrement en matière de droit public comme ici, alors que les parties ont participé au débat antérieur sur la question précise en jeu. [Nous soulignons; par. 125-127.]
[27] Cela dit, avant d'accueillir une requête en irrecevabilité pour absence de fondement juridique, encore faut-il que le juge d'instance soit convaincu, au regard du dossier et des faits allégués, que le précédent invoqué par le requérant porte bien sur l'ensemble du débat qu'il devrait normalement trancher et qu'il y apporte une solution complète, certaine et définitive . En cas de doute, le juge doit rejeter la requête en irrecevabilité et laisser aux parties la possibilité de débattre au fond des questions litigieuses.
B. Application du droit aux faits
(1) La nature véritable du recours
[28] L'appelant prétend que l'application du principe du stare decisis entraîne l'irrecevabilité du recours intenté en l'espèce. Pour statuer sur cette prétention, il est nécessaire d'identifier la nature de la demande qui a fait l'objet du jugement de la Cour en 2008 et de la situer par rapport aux allégations et aux conclusions énoncées par les syndicats dans leur recours entrepris en 2011.
[29] Par ailleurs, en semblable matière, le juge saisi de la requête en rejet peut pousser son examen du dossier au-delà de la forme afin de bien dégager le caractère essentiel du recours et de pouvoir ainsi écarter des prétentions qui n'auraient de nouveau que leur présentation.
[30] Les questions constitutionnelles tranchées par la Cour dans son jugement de 2008 étaient formulées ainsi :
1. Les articles 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , sont-ils, en tout, en partie ou par leur effet combiné, ultra vires de la compétence sur l'assurance-chômage conférée par le par. 91 (2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

2. En cas de réponse affirmative à la question 1, les articles 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , sont-ils, en tout, en partie ou par leur effet combiné, ultra vires de la compétence sur la taxation conférée par le par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

3. En cas de réponse négative à la question 2, les articles 66 à 66.3 et 72 de la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , respectent-ils les exigences de l' article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

4. Les articles 24 , 25 , 56 à 65.2 , 73 , 75 , 77 , 109 c ) et 135(2) de la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , sont-ils, en tout, en partie ou par leur effet combiné, ultra vires de la compétence sur l'assurance-chômage conférée par le par. 91 (2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

5. En cas de réponse affirmative à la question 4, les articles 24 , 25 , 56 à 65.2 , 73 , 75 , 77 , 109 c ) et 135(2) de la Loi sur l'assurance-emploi , L.C. 1996, ch. 23 , sont-ils validement fondés sur le pouvoir fédéral de dépenser?

( CSN c. Canada , par. 17)
[31] En l'espèce, les syndicats demandent aux tribunaux de leur accorder les conclusions suivantes :
Déclarer que toute modification au mode de fixation des taux de cotisation ne peut faire abstraction des sommes prélevées et comptabilisées dans le Compte d'assurance-emploi;

Déclarer que le solde créditeur du Compte d'assurance-emploi ne peut être effacé et doit être affecté au financement du régime;

Déclarer invalides les articles 2185 à 2187 , 2189 et 2190 , 2193 à 2199 , 2203 , 2204(1) pour ce qui est des paragraphes 66(1), 2204(2), 2207 et 2208 de la Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d'autres mesures ;

(requête introductive d'instance (« r.i.i. »), p. 29; d.a., vol. I, p. 55)
[32] Il ne fait aucun doute que les syndicats souhaitent en dernière analyse que l'argent comptabilisé dans le Compte d'assurance-emploi soit affecté exclusivement au paiement des prestations. Pour eux, les sommes prélevées dans le cadre de l'ancien régime devraient servir uniquement au financement du nouveau régime. Tel est l'objectif poursuivi en l'espèce par les syndicats.
[33] Lorsque nous examinons les assises juridiques de la nouvelle demande, nous constatons que, suivant la prémisse sur laquelle repose le recours des syndicats, « l'inscription au Compte d'assurance-emploi d'un solde créditeur [. . .] constitue une dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi » (r.i.i., par. 90; d.a., vol. I, p. 53).
[34] Les syndicats considèrent que la validité constitutionnelle des cotisations est tributaire du transfert de cette créance de l'ancien Compte d'assurance-emploi vers le nouveau Compte des opérations de l'assurance-emploi. En effet, ils plaident que l'on « ne peut [. . .] effacer cette créance sans remettre en cause la validité constitutionnelle des sommes prélevées et comptabilisées » (r.i.i., par. 92; d.a., vol. I, p. 54). Pour appuyer leur prétention, les syndicats citent le passage suivant de l'arrêt CSN c. Canada , où notre Cour a affirmé ce qui suit :
Il est clair toutefois que ce Compte n'est pas un fonds fiduciaire ou un patrimoine d'affectation, comme dans le cas de l'actif d'un fonds de retraite. Il représente une partie de la comptabilité publique du Canada et les cotisations, une portion des recettes publiques de l'État. À ce titre, l'usage fait par le gouvernement ne représente pas un détournement des fonds de l'assurance-emploi. Les fonds ont été employés comme toute autre partie des recettes du Trésor et la comptabilité appropriée a été tenue . [Nous soulignons; par. 74.]

[35] Selon les syndicats, c'est parce que les sommes prélevées au titre de cotisation avaient été dûment comptabilisées au Compte d'assurance-emploi que notre Cour a jugé que les sommes en question n'avaient été ni volées ni détournées par le gouvernement (r.i.i., par. 89; d.a., vol. I, p. 52). Bref, le suivi comptable des cotisations versées dans le cadre du régime représenterait une condition essentielle à la validité constitutionnelle de celles-ci. Selon ce moyen, en l'absence d'un tel lien comptable, l'utilisation des cotisations à d'autres fins constituerait un détournement des fonds de la caisse d'assurance-emploi, et partant, serait inconstitutionnelle.
[36] Pour les syndicats, cette question n'a pas été tranchée par la Cour en 2008. Pour l'appelant, cependant, il en est tout autrement. Le Compte d'assurance-emploi n'est qu'un simple instrument de suivi comptable qui ne contient aucun bien ou aucun emprunt, et ce compte n'a de dette envers personne. Toutes les opérations — versement de cotisations ou paiement de prestations — sont effectuées sur le Trésor public, de telle sorte que le Compte d'assurance-emploi n'est ni un fonds fiduciaire ni un patrimoine d'affectation.
(2) Le recours est-il voué à l'échec?
[37] Tel qu'il a été mentionné précédemment, pour décider si le recours est irrecevable en application du par. 165(4) C.p.c. , notre Cour doit se demander si celui-ci est voué à l'échec, même si les faits allégués sont avérés. Dans ce contexte, puisque la règle du stare decisis a été invoquée par l'appelant, nous devons décider si l'arrêt de la Cour dans l'affaire CSN c. Canada règle l'ensemble du débat et apporte une solution complète, certaine et définitive à l'action intentée par les syndicats en l'espèce.
[38] Nous sommes d'avis que le précédent invoqué par l'appelant produit cet effet. En conséquence, le par. 165(4) C.p.c. s'applique et le recours pouvait être rejeté au nom d'une saine administration de la justice, et ce, même à l'étape préliminaire.
[39] Rappelons tout d'abord que, suivant les syndicats, « l'inscription au Compte d'assurance-emploi d'un solde créditeur [. . .] constitue une dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi » (r.i.i., par. 90; d.a., vol. I, p. 53). En conséquence, le succès de leur recours dépend directement de la validité de cette prétention, qui en constitue la pierre angulaire, comme l'a d'ailleurs reconnu la Cour d'appel du Québec. Toutefois, cette dernière a commis une erreur déterminante dans l'analyse de cette prétention en assimilant l'allégation relative à l'existence d'une dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi à un fait qui devait être tenu pour avéré pour les besoins de la requête en irrecevabilité, alors qu'il s'agissait en réalité d'une qualification juridique des faits.
[40] En effet, pour statuer sur l'existence ou non d'une dette du Trésor public envers le Compte d'assurance-emploi, il faut analyser la nature du Trésor et du Compte, ainsi que le rapport qu'ils entretiennent entre eux. En d'autres termes, la conclusion selon laquelle le Trésor public serait endetté envers le Compte d'assurance-emploi suppose une qualification juridique particulière de leur relation. En somme, il incombe à notre Cour de déterminer si, juridiquement, il existe une dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi, en définitive si le moyen de droit fondamental des syndicats est bien fondé.
[41] À ce propos, nous sommes d'avis que la décision de la Cour dans CSN c. Canada n'est d'aucun secours pour les syndicats. Au contraire, ce jugement prive leur recours de toute chance raisonnable de succès. Dans cette affaire, notre Cour a affirmé que le Compte d'assurance-emploi « n'est pas un fonds fiduciaire ou un patrimoine d'affectation, comme dans le cas de l'actif d'un fonds de retraite. Il représente une partie de la comptabilité publique du Canada et les cotisations, une portion des recettes publiques de l'État » (par. 74 (nous soulignons)). En tant que recettes de l'État, les sommes recueillies au titre des cotisations à la Caisse d'assurance-emploi peuvent donc être utilisées à d'autres fins que le paiement de prestations.
[42] D'ailleurs, il n'a jamais existé de dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi. Comme toute personne morale ou physique, l'État ne peut être endetté envers lui-même. Il s'ensuit que toute prétention fondée sur l'existence d'une telle dette est vouée à l'échec. L'adoption de la Loi de 2010 ne change rien à cet état de fait et au droit.
[43] Par ailleurs, dans CSN c. Canada , notre Cour a décidé que le lien entre le régime et les cotisations est un élément dont on peut tenir compte afin d'établir la nature des prélèvements. Il est toutefois erroné d'affirmer que la validité de ces prélèvements dépend de l'existence de ce lien. Comme nous l'avons affirmé dans cette affaire, le gouvernement peut, légalement, utiliser les cotisations des travailleurs à d'autres fins que le financement du régime d'assurance-emploi.
[44] En conséquence, même si l'on tenait pour avérée la prétention des syndicats suivant laquelle le lien entre les cotisations et le régime d'assurance-emploi serait rompu par la décision de ne pas transférer le solde créditeur de l'ancien compte vers le nouveau, la validité des prélèvements ne serait pas mise en péril pour autant.
V. Conclusion
[45] À notre avis, il est manifeste que le recours des syndicats ne présente aucune possibilité raisonnable de succès. En application de la règle du stare decisis , il appert que leur argument principal voulant qu'il existe une dette du Trésor envers le Compte d'assurance-emploi est sans fondement, et cette conclusion emporte le sort du litige. Dans ce contexte, notre arrêt dans l'affaire CSN c. Canada apporte une solution complète, certaine et définitive à l'ensemble du débat que tentent de faire revivre les syndicats. C'est donc à bon droit que leur demande a été déclarée irrecevable par la juge Perrault en application du par. 165(4) C.p.c.
[46] Pour ces motifs, nous sommes d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de première instance, avec dépens devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.
Procureur de l'appelant : Procureur général du Canada, Ottawa et Montréal.
Procureurs de l'intimée la Confédération des syndicats nationaux : Roy Évangéliste avocats, Montréal.
Procureurs de l'intimée la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec : Ouellet, Nadon & Associés, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2014 CSC 49 ?
Date de la décision : 17/07/2014
Proposition de citation de la décision: Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux


Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2014-07-17;2014.csc.49 ?

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