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26/09/2014 | CANADA | N°2014_SCC_58

Canada | R. c. Mack


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mack , 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3
Date : 20140926
Dossier : 35093

Entre :
Dax Richard Mack
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général de l'Ontario et procureur général de la Colombie-Britannique
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 69)
Le juge Moldaver (avec l'accord de la juge e

n chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Cromwell, Karakatsanis et Wagner)



r. c. mack, 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C....

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mack , 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3
Date : 20140926
Dossier : 35093

Entre :
Dax Richard Mack
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général de l'Ontario et procureur général de la Colombie-Britannique
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 69)
Le juge Moldaver (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Cromwell, Karakatsanis et Wagner)



r. c. mack, 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3
Dax Richard Mack Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général de l'Ontario et
procureur général de la Colombie-Britannique Intervenants
Répertorié : R. c. Mack
2014 CSC 58
N o du greffe : 35093.
2013 : 3 décembre; 2014 : 26 septembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de l'alberta
Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Aveux — Aveux issus d'une opération « Monsieur Big » — Exposé au jury — Aveux du meurtre de son colocataire par l'accusé lors d'une opération Monsieur Big — Ces aveux doivent-ils être écartés en application de l'art. 24(2) de la Charte? — Dans la négative, les directives du juge du procès au jury sur les craintes liées à la valeur probante de ces aveux sont-elles adéquates? — Ses directives sur la fiabilité du témoignage du témoin à charge sont-elles également adéquates? — Charte canadienne des droits et libertés , art. 24(2) .
Après que la disparition de la victime lui eut été signalée, la police a été informée que M avait avoué le meurtre de la victime, son colocataire. Elle a ouvert une enquête qui a comporté deux volets : une opération Monsieur Big et, sur autorisation d'un juge, l'interception des conversations téléphoniques de M. Pendant l'opération Monsieur Big, M a reconnu deux fois en présence d'agents banalisés qu'il avait abattu la victime et fait brûler sa dépouille. Ces aveux ont amené les policiers à fouiller un foyer en plein air dans lequel ils ont trouvé des fragments d'os et des dents dont on a ensuite déterminé qu'ils provenaient de la victime, ainsi que des douilles dont il a par la suite été établi qu'elles provenaient de l'arme à feu saisie dans l'appartement de M. Ce dernier a été arrêté et accusé de meurtre au premier degré. Au moment de l'arrestation, l'opération Monsieur Big avait duré quatre mois et M avait participé à 30 « scénarios » avec des agents banalisés. M avait touché une rémunération d'environ 5000 $, et ses dépenses lui avaient été remboursées. Au procès, le ministère public a admis que l'interception des conversations téléphoniques n'avait pas été autorisée conformément aux exigences du Code criminel et qu'elle avait donc porté atteinte aux garanties de l' art. 8 de la Charte . Il n'a donc pu utiliser les conversations interceptées, mais il a produit en preuve deux aveux faits par M à des agents banalisés au cours de l'opération Monsieur Big. M a cependant fait valoir que l'autorisation de mise sous écoute électronique était si étroitement liée à l'opération Monsieur Big que l'illégalité de son obtention commandait l'exclusion de ses aveux suivant le par. 24(2) de la Charte . Le juge du procès a rejeté la prétention et conclu que le par. 24(2) ne s'appliquait pas. Il a donné des directives au jury sur les éléments de preuve issus de l'opération Monsieur Big. Il a également incité les jurés à la prudence vis-à-vis du témoignage du principal témoin à charge et il leur a fait une mise en garde de type Vetrovec à l'égard de cette preuve. Le jury a déclaré M coupable de meurtre au premier degré, et la Cour d'appel a rejeté son appel de la déclaration de culpabilité.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le paragraphe 24(2) de la Charte ne s'applique pas car les aveux de M aux agents banalisés n'ont pas été obtenus dans des conditions qui ont porté atteinte à ses droits. Une preuve est obtenue dans des conditions qui portent atteinte ou non aux droits garantis à l'accusé selon la nature du lien entre l'atteinte et la preuve. L'existence d'un lien causal n'est pas nécessaire, mais la nature et l'importance du lien demeurent des facteurs importants dont doit tenir compte le juge du procès. En l'espèce, M a fait ses aveux aux agents banalisés alors qu'il était illégalement sous écoute électronique. Bien qu'il ait conclu à l'existence d'un lien temporel entre les aveux de M et l'écoute électronique, le juge du procès a estimé que le caractère ténu du lien causal diminuait l'importance du lien temporel. Il lui était loisible de tirer cette conclusion et rien ne justifie de la modifier.
Ni les juridictions inférieures ni les parties n'ont pu invoquer l'arrêt R. c. Hart , 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, dans lequel notre Cour établit une démarche selon laquelle l'aveu obtenu dans le cadre d'une opération Monsieur Big est écarté lorsque son effet préjudiciable l'emporte sur sa valeur probante ou lorsqu'il résulte d'un abus de procédure. Mais, peu importe, les aveux de M seraient clairement admissibles suivant cette démarche.
La valeur probante des aveux de M était grande du fait que de nombreux éléments de preuve étaient susceptibles de les corroborer. Premièrement, dans les aveux qu'il aurait faits à des connaissances, A et L, M invoque le même mobile pour le meurtre de la victime que dans ses aveux aux agents banalisés. Dans ses aveux, il mentionne également que la dépouille de la victime a été brûlée. Deuxièmement, juste après lui avoir avoué son crime, M a conduit l'un des agents banalisés au foyer en plein air où se trouvaient toujours les restes de la victime. Troisièmement, on a découvert dans ce foyer des douilles de l'arme à feu trouvée dans l'appartement de M. En revanche, l'effet préjudiciable des aveux était limité. L'opération n'avait rien révélé d'abject sur le passé de M, et ce dernier n'avait pris part à aucun scénario ayant comporté de la violence.
Les agents banalisés n'ont pas non plus eu une conduite irrégulière susceptible de justifier une demande fondée sur l'abus de procédure. M ne s'est pas vu offrir d'incitations irrésistibles. Il aurait pu exercer des fonctions légitimes encore plus rémunératrices. Les agents ne l'ont pas menacé de violence s'il ne passait pas aux aveux. Ils ont tout au plus créé un climat d'intimidation en faisant allusion à des actes de violence commis par des membres de l'organisation. Ses aveux n'ont toutefois pas été obtenus sous la contrainte.
La démarche établie dans Hart vise à pallier les problèmes que soulèvent, sur le plan de la preuve, les aveux obtenus dans le cadre d'une opération Monsieur Big, mais elle ne les fait pas disparaître. Il incombe plutôt au juge du procès de donner au jury des directives appropriées sur la manière de jauger ces aveux. La nature et l'ampleur des directives requises varient d'une affaire à l'autre. Faute d'une formule consacrée, certaines balises peuvent cependant être arrêtées. Le juge doit expliquer aux jurés qu'il leur incombe de décider si l'aveu de l'accusé est digne de foi ou non. Il doit ensuite examiner avec eux les facteurs qui sont pertinents pour l'appréciation de l'aveu et de la preuve y afférente. À titre d'exemple, il doit attirer leur attention sur la durée de l'opération, le nombre d'interactions entre les policiers et l'accusé, la nature de la relation qui s'est tissée entre les agents et l'accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l'interrogatoire, ainsi que la personnalité de l'accusé. De plus, le juge du procès doit indiquer aux jurés que l'aveu peut renfermer des indices de sa fiabilité (ou de sa non-fiabilité). Il doit aussi les inviter à tenir compte de son caractère plus ou moins détaillé, du fait qu'il a mené ou non à la découverte d'autres éléments de preuve, de la mention de modalités du crime non révélées au public ou du fait qu'il décrit fidèlement ou non certaines données prosaïques que l'accusé n'aurait pas connues s'il n'avait pas commis le crime.
Pour ce qui est de la preuve de mauvaise moralité, la démarche qui s'impose est plus familière. Le juge doit expliquer au jury que cette preuve est admise seulement pour situer l'aveu dans son contexte. Il devrait préciser au jury qu'il ne peut se fonder sur cette seule preuve pour déclarer l'accusé coupable. De plus, il devrait lui rappeler que l'activité criminelle simulée est une pure invention des représentants de l'État, qui ont encouragé l'accusé à y participer.
Dans la présente affaire, le juge du procès a donné des directives appropriées au jury et nulle erreur de sa part n'a été démontrée. Il a expliqué aux jurés qu'ils devaient « examiner attentivement si les éléments que sont la violence et l'importance des gratifications offertes ont pu raisonnablement compromettre la fiabilité » des aveux de M. Il leur a enjoint expressément de « tenir compte du contexte, de l'attrait de l'argent facile, de la violence, de l'importance accordée à l'honnêteté et à l'intégrité, de toute porte de sortie offerte et de tout acte de menace ou d'intimidation ». Finalement, il a laissé au jury le soin de décider au final si les aveux de M étaient dignes de foi ou non. En ce qui a trait à la preuve de mauvaise moralité, sans l'aborder directement, il a donné au jury la directive restrictive habituelle sur l'utilisation qui peut être faite de tout élément de preuve relatif à la moralité de l'accusé. Le juge du procès aurait certes pu en dire davantage, mais ses directives ne sont pas pour autant lacunaires.
Enfin, le juge du procès a fait part aux jurés des doutes relatifs à la fiabilité du témoignage de A, le principal témoin à charge. Il leur a rappelé la thèse de la défense voulant que A soit l'assassin. Il leur a dit que c'était peut-être A qui avait informé M du meurtre. Il a indiqué que A avait manifestement menti aux policiers et que cela permettait de se demander si l'on pouvait ajouter foi à ses propos quels qu'ils soient. Il a également précisé qu'il était risqué d'ajouter foi au témoignage de A sans que celui-ci ne soit corroboré. Il n'était pas tenu d'en faire davantage.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : R. c. Hart , 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544; arrêts mentionnés : R. c. Wittwer , 2008 CSC 33, [2008] 2 R.C.S. 235; R. c. Goldhart , [1996] 2 R.C.S 463; R. c. Côté , 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215; R. c. Grant , 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 ; R. c. Bonisteel , 2008 BCCA 344, 259 B.C.A.C. 114; R. c. Jacquard , [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. Luciano , 2011 ONCA 89, 273 O.A.C. 273; R. c. Daley , 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523; R. c. Terrico , 2005 BCCA 361, 214 B.C.A.C. 135; R. c. Fry , 2011 BCCA 381, 311 B.C.A.C. 90; Vetrovec c. La Reine , [1982] 1 R.C.S. 811.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 8 , 24(2) .
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , partie VI, art. 186(1) b ).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (les juges Côté, McFadyen et O'Brien), 2012 ABCA 42, 66 Alta. L.R. (5th) 377, 522 A.R. 262, 544 W.A.C. 262, 253 C.R.R. (2d) 157, [2012] A.J. No. 174 (QL), 2012 CarswellAlta 255, qui a confirmé la déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré prononcée contre l'accusé. Pourvoi rejeté.
Laura K. Stevens , c.r. , et Sarah N. DeSouza , pour l'appelant.
James C. Robb , c.r. , et David A. Labrenz , c.r. , pour l'intimée.
Michael Bernstein , pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Lesley A. Ruzicka , pour l'intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Moldaver —
I. Introduction
[1] Un jury a reconnu l'appelant coupable du meurtre au premier degré de son colocataire, Robert Levoir. La Cour d'appel de l'Alberta l'a débouté après qu'il eut interjeté appel du verdict. Il se pourvoit aujourd'hui devant notre Cour — sur autorisation — en vue de faire annuler sa déclaration de culpabilité et d'obtenir la tenue d'un nouveau procès. Le pourvoi a été entendu de pair avec le dossier R. c. Hart , 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544.
[2] L'appelant fait valoir trois moyens d'appel. Il soutient d'abord que le juge du procès aurait dû exclure les aveux qu'il a faits à des agents banalisés au cours d'une opération « Monsieur Big ». Il prétend ensuite, à supposer que les aveux étaient admissibles, que le juge du procès n'a pas suffisamment mis le jury en garde contre les risques qu'ils comportaient. Il argue enfin que le juge n'a pas donné de directives appropriées sur les risques que comportait l'admission du témoignage d'un des principaux témoins à charge, Michael Argueta.
[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de ne retenir aucun de ces moyens et de rejeter le pourvoi.
II. Contexte factuel
A. L'enquête policière sur le décès de Robert Levoir
[4] M. Levoir a été porté disparu en novembre 2002. Jusqu'alors, il habitait avec l'appelant à Fort McMurray, en Alberta.
[5] Environ un mois après la disparition, la police a reçu un appel d'un ami de l'appelant, Jay Love, qui a dit aux policiers que l'appelant avait avoué avoir tué M. Levoir, puis avoir mis le feu à sa dépouille. Sur la foi de ces renseignements, la police a ouvert une enquête pour déterminer si l'appelant était responsable de la disparition de M. Levoir. L'enquête comportait deux volets, une opération Monsieur Big et, sur autorisation d'un juge, l'interception des conversations téléphoniques de l'appelant.
[6] L'opération Monsieur Big a commencé en janvier 2004, soit environ un an après l'appel téléphonique de M. Love. Un agent banalisé que j'appellerai Ben [1] a été présenté à l'appelant dans une boîte de nuit de Fort McMurray où ce dernier était disc-jockey.
[7] Une semaine après qu'ils eurent fait connaissance, Ben a demandé à l'appelant de l'aider à récupérer un véhicule. L'appelant a accepté, puis touché 200 $ en contrepartie. Lors d'une conversation, quelques jours plus tard, l'appelant a mentionné la disparition de son colocataire. Il a dit à Ben que M. Levoir était un [traduction] « accro du crack » et un « toxicomane » et il l'a accusé d'avoir volé de l'argent dans la tirelire de son fils. Il a ajouté que, « [à] son avis », M. Levoir « bouff[ait] les pissenlits par la racine ».
[8] Dès le début de l'opération Monsieur Big, l'appelant a commencé à soupçonner Ben de tremper dans des affaires criminelles. Ben lui a expliqué qu'il travaillait pour une organisation dirigée par un dénommé Liam, qui [traduction] « touchait à beaucoup de choses ». Pendant les mois de janvier et de février 2004, l'appelant a effectué plusieurs autres « boulots » pour l'organisation. Au début de février, par exemple, on lui a demandé de passer prendre un colis à une gare routière d'Edmonton. Lorsqu'il est revenu à sa chambre d'hôtel où l'attendait Ben, ce dernier a ouvert le colis, qui contenait 30 000 $ en espèces.
[9] Plus tard le même mois, au détour d'une conversation avec l'appelant, Ben a mentionné qu'il s'était déjà fait attaquer par deux hommes tandis qu'il travaillait pour l'organisation. Il a ajouté que Liam s'était [traduction] « occupé des deux types » au cours de ce que Ben a appelé le « week-end du règlement de compte ». Ben a alors demandé à l'appelant s'il avait déjà « tabass[é] » quelqu'un. Ce dernier a répondu que cela lui était arrivé deux fois, la première au cours d'une bagarre à coups de poing, la seconde lors d'un incident dont il ne pouvait parler. Ben a répondu qu'il espérait qu'un jour l'appelant pourrait lui révéler son « secret ».
[10] Ben est revenu sur le secret de l'appelant au début de mars. Il a laissé entendre que la personne dont l'appelant avait parlé [traduction] « n'était plus de ce monde ». L'appelant a opiné du bonnet et ajouté que « chacun a son point de rupture ».
[11] À la mi-mars, l'appelant s'est rendu en voiture à Vancouver à la demande de Ben pour y rencontrer Liam. L'appelant et Liam se sont retrouvés dans un appartement en ville. Liam a évoqué la disparition du colocataire de l'appelant et a essayé de faire parler ce dernier. L'appelant a demandé à Liam s'il pouvait [traduction] « s'abstenir » d'en parler. Liam a répondu que c'était à lui de décider, mais que s'il refusait d'en parler, il demeurerait dans la « troisième formation » au sein de l'organisation. La seule façon d'accéder à la « première » était de parler de son colocataire et de révéler son secret. L'appelant a de nouveau refusé, expliquant qu'« une indiscrétion peut faire couler un navire ».
[12] Après cette rencontre, trois semaines se sont écoulées avant que Ben et l'appelant ne se revoient. Le 9 avril 2004, Ben a demandé à l'appelant s'il voulait du travail. L'appelant a répondu par l'affirmative, ajoutant qu'il était [traduction] « prêt à faire ce qu'il fallait ». Ben lui a demandé s'il était disposé à s'asseoir avec Liam pour parler des circonstances dans lesquelles son colocataire avait été tué. L'appelant a accepté. Ben lui a alors demandé pourquoi il avait tué M. Levoir. L'appelant a répondu que son ancien colocataire était « un menteur, un voleur et un sale trafiquant de drogue ». Il a dit avoir abattu M. Levoir de cinq balles — quatre à la poitrine et une au dos — au moyen d'une carabine de calibre .223. Il a précisé qu'il « ne rest[ait] plus rien » de la victime parce qu'il avait brûlé son cadavre.
[13] L'appelant a d'abord offert à Ben de lui montrer l'endroit où la dépouille de M. Levoir avait été brûlée, mais il s'est tout de suite ravisé en disant que [traduction] « tout » ce qu'il venait de dire était de la « foutaise » et qu'il avait « menti ». Ben a répondu qu'il « espér[ait] vivement » qu'il ait dit la vérité. L'appelant a alors changé d'idée et conduit Ben à un foyer en plein air sur la propriété de son père. Il a expliqué à Ben qu'il en avait retiré les cendres et qu'il ne « rest[ait] plus rien » de M. Levoir.
[14] Quelques jours plus tard, l'appelant s'est rendu en avion à Edmonton pour une seconde rencontre avec Liam qui a eu lieu le 15 avril 2004. D'entrée de jeu, l'appelant a dit de M. Levoir que c'était un [traduction] « accro du crack » et il l'a accusé d'avoir volé de l'argent dans la tirelire de son fils. Interrogé par Liam sur la façon dont il avait tué M. Levoir, l'appelant a répondu qu'il s'était servi d'une carabine de calibre .223 pour l'abattre de cinq balles, quatre à la poitrine et une au dos. Il a ajouté qu'on avait fait « un grand feu » chez son père et qu'il ne « rest[ait] plus rien » de M. Levoir.
[15] La semaine suivante, le 21 avril 2004, l'appelant a été arrêté et accusé de meurtre au premier degré. La police a effectué une perquisition chez son père, et les restes de M. Levoir ont été retrouvés là où l'appelant avait dit à Ben avoir fait un feu. Des douilles provenant de la carabine trouvée dans l'appartement de l'appelant y ont également été découvertes.
[16] Au moment de l'arrestation, l'opération Monsieur Big avait duré quatre mois et l'appelant avait participé à 30 « scénarios » avec des agents banalisés. L'organisation avait versé à l'appelant une rémunération d'environ 5000 $ et l'avait remboursé de ses dépenses.
B. Le témoignage de Jay Love
[17] L'homme qui a d'abord attiré l'attention de la police sur l'appelant, Jay Love, a témoigné pour la poursuite et relaté ce que l'appelant lui avait avoué en décembre 2002. Le 21 décembre 2002, il s'était rendu dans un bar en compagnie de l'appelant et d'un autre homme, Michael Argueta. Après avoir dit à M. Love qu'il était son meilleur ami, l'appelant lui avait demandé s'il pouvait lui faire confiance. L'appelant était alors intoxiqué. Au procès, M. Love a indiqué que l'appelant en voulait à M. Levoir parce qu'il le soupçonnait d'avoir volé de l'argent dans la tirelire de son fils, de consommer de la drogue à la maison et de se servir de son téléphone sans sa permission.
[18] L'appelant aurait alors dit à M. Love que « Robbie » était mort. M. Love lui aurait demandé s'il avait [traduction] « sous-traité » son assassinat, ce à quoi l'appelant aurait répondu « non, je m'en suis occupé moi-même ». L'appelant aurait ajouté avoir brûlé la dépouille.
C. Le témoignage de Michael Argueta
[19] Un ami de l'appelant, Michael Argueta, a également été appelé à la barre comme témoin à charge. Il a expliqué que l'appelant lui avait aussi avoué le meurtre de M. Levoir. L'aveu aurait eu lieu dans un bar d'Edmonton, où l'appelant lui aurait dit s'être [traduction] « débarrassé » de M. Levoir.
[20] M. Argueta et l'appelant ne s'étaient reparlé que le lendemain, alors qu'ils rentraient à Fort McMurray en voiture. Pendant le trajet, l'appelant lui aurait dit qu'il avait abattu M. Levoir. M. Argueta ne le croyait pas et l'appelant a ajouté qu'il avait brûlé le corps de la victime sur la propriété de son père. L'appelant aurait été [traduction] « très fâché » contre M. Levoir parce qu'il lui devait de l'argent, qu'il avait volé de l'argent dans la tirelire de son fils et qu'il s'était servi de son téléphone sans sa permission.
[21] La crédibilité de M. Argueta a constitué l'un des principaux sujets débattus lors du procès. Avant de témoigner, il avait été interrogé par la police à plusieurs reprises et n'avait jamais mentionné le second aveu de l'appelant intervenu pendant qu'ils rentraient chez eux en voiture. De fait, dans une déclaration sous serment à la police, M. Argueta niait expressément avoir parlé à l'appelant de la disparition de M. Levoir lors du trajet de retour vers Fort McMurray. Dans son témoignage, M. Argueta a reconnu qu'il savait que [ traduction] « la tête de Robbie Levoir avait été mise à prix » par des trafiquants de drogue de Vancouver en 2002, avant sa disparition. La défense a finalement soutenu que M. Argueta avait tué M. Levoir pour toucher la prime offerte.
D. Le témoignage de l'appelant
[22] L'appelant a témoigné. Il a nié avoir tué M. Levoir. Il a expliqué que M. Argueta et lui avaient prévu partir à la chasse le 6 novembre 2002. Ils avaient invité M. Levoir à les accompagner, et ce dernier avait accepté. Les trois hommes s'étaient rendus en voiture à la propriété du père de l'appelant dans l'intention d'y chasser.
[23] Après l'arrivée des trois hommes à la propriété, MM. Levoir et Argueta se seraient séparés de l'appelant. Quelques minutes plus tard, l'appelant aurait entendu une série de coups de feu. Il serait revenu sur la route et aurait rencontré M. Argueta, auquel il aurait demandé [traduction] « où est Robbie? ». M. Argueta aurait répondu « c'est ce qui arrive quand ta tête est mise à prix pour avoir provoqué de gros joueurs ». L'appelant aurait alors tourné le regard et aperçu le corps de M. Levoir gisant dans l'herbe. M. Argueta lui aurait dit « tais-toi et ne t'en fais pas », puis ajouté qu'il allait « revenir et s'en occuper ». Il lui aurait aussi dit, lors d'une conversation dans un bar environ un mois plus tard, qu'il avait brûlé la dépouille pendant deux jours dans un foyer en plein air sur la propriété en question.
[24] Concernant son supposé aveu à Jay Love, l'appelant a affirmé que celui-ci avait mal entendu ce qu'il lui avait dit au bar le 21 décembre 2002. Il a expliqué qu'il n'avait pas avoué le meurtre, mais bien tenté de révéler à M. Love que M. Argueta avait assassiné la victime. Quant au témoignage de M. Argueta, l'appelant a affirmé qu'il n'était pas véridique. Il a reconnu avoir fait des aveux aux agents banalisés, mais a soutenu les avoir faits pour obtenir argent et protection, parce qu'il croyait qu'ils s'imposaient pour assurer sa propre sécurité et pour [traduction] « avoir l'air aussi important, dur et méchant qu'eux ».
[25] L'appelant a fait entendre deux témoins qui ont expliqué que, à des moments différents, M. Argueta avait laissé entendre qu'il avait joué un rôle dans le décès de M. Levoir.
III. Les juridictions inférieures
A. Cour du banc de la Reine de l'Alberta, 2007 ABQB 182, 458 A.R. 52
[26] Au procès de l'appelant, le ministère public a admis que l'autorisation obtenue pour intercepter les conversations téléphoniques de l'appelant n'était pas conforme aux exigences du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , et qu'elle portait donc atteinte aux garanties de l' art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [2] . Il n'a donc pu mettre en preuve les conversations interceptées. L'appelant a néanmoins demandé à la Cour d'exclure également toutes les déclarations qu'il avait faites lors de l'opération Monsieur Big (mais qui n'avaient pas été interceptées et enregistrées). L'appelant soutenait que l'écoute électronique illégale avait servi à monter l'opération et que celle-ci n'aurait pas été possible sans elle. Par conséquent, l'autorisation de mise sous écoute électronique était si étroitement liée à l'opération Monsieur Big que l'illégalité de son obtention commandait l'exclusion, en application du par. 24(2) de la Charte , des déclarations de l'appelant aux agents banalisés.
[27] Le juge Hillier, qui a présidé le procès, a rejeté l'argument. Il a conclu que le par. 24(2) de la Charte ne s'appliquait pas car les déclarations incriminantes aux agents banalisés n'avaient pas été « obtenu[e]s dans des conditions » qui portaient atteinte aux droits de l'appelant garantis par la Charte (par. 187). Même si les déclarations incriminantes avaient été faites alors que l'appelant était illégalement sous écoute électronique, il n'y avait aucun lien causal entre, d'une part, l'écoute électronique illégale et, d'autre part, les aveux aux agents banalisés (par. 184). Tout au plus pouvait-on affirmer que l'écoute électronique avait été « utile » aux agents pendant l'opération Monsieur Big en ce qu'elle leur avait permis de s'assurer que leur véritable identité n'avait pas été découverte (par. 175). Selon le juge du procès, l'écoute électronique n'a pas servi à monter l'opération Monsieur Big puis à la mener.
B. Cour d'appel de l'Alberta (les juges Côté, McFadyen et O'Brien), 2012 ABCA 42, 66 Alta. L.R. (5th) 377
[28] L'appelant a soutenu devant la Cour d'appel que le juge du procès avait eu tort de conclure que le par. 24(2) de la Charte ne s'appliquait pas et que ses directives au jury sur les éléments de preuve issus de l'opération Monsieur Big et sur la crédibilité de M. Argueta étaient lacunaires.
[29] La Cour d'appel rejette les prétentions. Elle fait observer que la décision du juge du procès fondée sur le par. 24(2) de la Charte commande la déférence et qu'il n'y a aucune raison de modifier la conclusion suivant laquelle il n'existe pas de lien suffisamment étroit entre l'atteinte au droit garanti par l' art. 8 et les déclarations de l'accusé pour emporter l'application du par. 24(2) . S'agissant de l'opération Monsieur Big, elle estime que le juge a mis le jury en garde contre un raisonnement fondé sur la propension et lui a signalé les doutes entourant la fiabilité des aveux obtenus. Selon elle, rien de plus n'était exigé. De même, en ce qui concerne le témoignage de M. Argueta, elle fait observer que le juge a rappelé aux jurés la thèse de la défense suivant laquelle M. Argueta était l'assassin et il les a mis en garde contre la non-fiabilité éventuelle du témoignage de M. Argueta. Là non plus, la Cour d'appel ne décèle pas d'erreur dans les directives du juge.
IV. Questions en litige
[30] L'appelant soulève trois questions devant la Cour.
a) Le juge du procès a-t-il eu tort de conclure que le par. 24(2) de la Charte ne s'appliquait pas?
b) A-t-il donné au jury des directives erronées sur les aveux issus de l'opération Monsieur Big?
c) A-t-il donné au jury des directives erronées sur le témoignage de M. Argueta?
V. Analyse
A. Le juge du procès a - t - il eu tort de conclure que le par. 24(2) de la Charte ne s'appliquait pas?
[31] Il convient de mentionner au départ que l'appelant ne conteste l'admissibilité des aveux qu'il a faits aux agents banalisés pendant l'opération Monsieur Big que sur le fondement du par. 24(2) de la Charte . Il ne pouvait invoquer l'arrêt Hart dans lequel notre Cour établit une démarche à deux volets pour statuer sur l'admissibilité d'un aveu obtenu dans le cadre d'une opération Monsieur Big. Suivant cette démarche, l'aveu n'est pas admissible en preuve lorsque son effet préjudiciable l'emporte sur sa valeur probante ou lorsqu'il résulte d'un abus de procédure . Dans ce contexte, la valeur probante de l'aveu tient à sa fiabilité, et son effet préjudiciable à la preuve de mauvaise moralité dont l'aveu s'accompagne nécessairement s'il est admis en preuve (voir Hart , par. 84-86).
[32] Ni les juridictions inférieures ni les parties devant notre Cour ne se sont demandé si les aveux de l'appelant seraient admissibles suivant la démarche à deux volets établie dans l'arrêt Hart. Mais, peu importe, ils le seraient clairement [3] .
[33] D'abord, la valeur probante des aveux de l'appelant est grande. Les gratifications offertes par les agents banalisés étaient modestes : l'appelant a touché environ 5 000 $ sur une période de quatre mois, alors qu'il pouvait fort bien exercer des fonctions légitimes bien rémunérées. Il n'a pas fait l'objet de menaces de la part des agents. Et lors de sa première rencontre avec Liam, on lui a dit qu'il pouvait refuser de parler et décider de demeurer dans la « troisième formation » de l'organisation, ce pour quoi il a d'abord opté.
[34] De plus, de nombreux éléments de preuve étaient susceptibles de corroborer les aveux. Premièrement, dans les aveux qu'il aurait faits à M. Argueta et à M. Love, l'appelant invoquait le même mobile pour le meurtre de M. Levoir que dans ses aveux aux agents banalisés. Dans ses aveux, il mentionnait également que la dépouille de M. Levoir avait été brûlée. Deuxièmement, juste après lui avoir avoué son crime, l'appelant avait conduit Ben au foyer en plein air où se trouvaient toujours les restes de M. Levoir. Et, troisièmement, on a trouvé dans ce même foyer des douilles de l'arme à feu trouvée dans l'appartement de l'appelant. Tous ces éléments conféraient aux aveux une très grande valeur probante.
[35] En revanche, même si les aveux se doublaient d'une preuve de mauvaise moralité, le préjudice était limité. L'appelant n'avait pris part à aucun scénario comportant des actes de violence, et l'opération n'avait révélé, sur son passé, aucun fait qui lui aurait été préjudiciable. Son rôle au sein de l'organisation s'est essentiellement borné à aider à la récupération de véhicules et à la livraison de colis. À mon avis, la valeur probante des aveux issus de l'opération Monsieur Big l'emporte nettement sur leur effet préjudiciable .
[36] De plus, les agents banalisés n'ont pas eu une conduite irrégulière susceptible de justifier une demande fondée sur l'abus de procédure. L'appelant ne s'est pas vu offrir d'incitations irrésistibles. Il aurait pu exercer des fonctions légitimes encore plus rémunératrices. Les agents ne l'ont pas menacé de violence s'il ne passait pas aux aveux. Ils ont tout au plus créé un climat d'intimidation en faisant allusion à des actes de violence commis par des membres de l'organisation. Mais on n'a pas obtenu ses aveux sous la contrainte, ce que montre bien son refus initial de parler avec Ben puis Liam de la disparition de M. Levoir. D'ailleurs, les agents lui ont expressément dit qu'il n'était pas obligé de leur parler de M. Levoir et qu'il pouvait conserver son poste au sein de l'organisation. Aucun de leurs actes n'a frôlé l'abus de procédure.
[37] Laissons de côté ces considérations pour revenir à la contestation par l'appelant de l'admissibilité de ses aveux sur le fondement du par. 24(2) de la Charte . Pour qu'une preuve soit écartée en application de ce paragraphe, (1) elle doit avoir été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la Charte et (2) son admission doit être susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ( R. c. Wittwer , 2008 CSC 33, [2008] 2 R.C.S. 235, par. 19).
[38] Une preuve est « obtenu[e] dans des conditions » qui portent atteinte ou non aux droits garantis par la Charte à l'accusé selon la nature du lien entre l'atteinte et la preuve. Les tribunaux privilégient une analyse téléologique en la matière. Il n'est pas nécessaire d'établir un lien causal strict entre l'atteinte et l'obtention subséquente de la preuve. La preuve est viciée lorsque l'atteinte et la découverte de la preuve dont l'admissibilité est contestée s'inscrivent dans le cadre de la même opération ou conduite. Le lien exigé entre l'atteinte et la déclaration subséquente peut être temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois. Un lien « faible » ou « ténu » n'est pas suffisant ( Wittwer , par. 21).
[39] La fermeté du lien entre un élément de preuve et l'atteinte à un droit garanti par la Charte est une question de fait (voir R. c. Goldhart , [1996] 2 S.C.R 463, par. 40). La décision du juge du procès fondée sur le par. 24(2) de la Charte commande une grande déférence en appel. Elle ne peut être modifiée que si le juge n'a pas tenu compte des bons facteurs ou qu'il a tiré une conclusion déraisonnable ( R. c. Côté , 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, par. 44, et R. c. Grant , 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, par. 86).
[40] L'appelant soutient que le juge du procès a eu tort de conclure que ses déclarations aux agents banalisés n'avaient pas été « obtenu[e]s dans des conditions » qui portaient atteinte à ses droits constitutionnels. À son avis, le juge a appliqué un critère trop strict pour arriver à cette conclusion. En particulier, il a cru à tort qu'il fallait démontrer l'existence d'un lien causal entre l'atteinte et l'obtention des éléments de preuve pour que s'applique le par. 24(2) de la Charte .
[41] Ce moyen d'appel étant axé sur les faits, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'y faire droit. L'appelant nous invite essentiellement à revenir sur les facteurs dont le juge a tenu compte pour décider que le par. 24(2) ne s'appliquait pas. Le juge savait qu'il n'était pas nécessaire d'établir un lien causal entre l'atteinte constitutionnelle et l'obtention des éléments de preuve. Il a relevé la nécessité de tenir compte du [traduction] « lien sous tous les rapports » entre l'atteinte et la preuve et a opiné que le lien causal n'est pas « la seule pierre angulaire » de l'analyse (par. 182). Il a reconnu l'existence d'un lien temporel entre l'atteinte au droit garanti par l' art. 8 et les déclarations de l'appelant aux agents banalisés. Il a ensuite examiné le lien causal entre l'autorisation d'écoute électronique et les déclarations pour conclure que « ce lien est si ténu qu'il est négligeable » (par. 185). Considérés ensemble, le lien temporel et le lien causal ont amené le juge du procès à opiner que les déclarations n'avaient pas été obtenues dans des conditions qui portaient atteinte aux droits garantis par la Charte .
[42] Certes, l'absence de lien causal joue un rôle important dans son analyse, mais le bien-fondé de la thèse de l'appelant n'est pas pour autant établi. L'existence d'un lien causal n'est pas nécessaire pour conclure que la preuve a été obtenue dans des conditions qui portaient atteinte aux droits garantis par la Charte , mais la nature et l'importance du lien causal demeurent des facteurs importants dont il faut tenir compte. Selon le juge du procès, le caractère ténu du lien causal relevé affaiblit l'importance du lien temporel. Il lui était loisible de tirer cette conclusion et je ne vois aucune raison de la modifier.
B. Le juge du procès a - t - il donné au jury des directives erronées sur les aveux issus de l'opération Monsieur Big?
[43] Dans l'arrêt Hart , notre Cour fait état de deux problèmes que soulèvent, sur le plan de la preuve, les aveux obtenus dans le cadre d'une opération Monsieur Big. Le premier réside dans la non-fiabilité éventuelle des aveux. Une telle opération vise à soutirer des aveux au suspect qui, en raison de gratifications qui lui sont offertes, risque d'être incité à les faire même s'ils sont faux. Le second tient à ce que les aveux issus d'une telle opération s'accompagnent invariablement d'une preuve de mauvaise moralité selon laquelle l'accusé s'est montré disposé à commettre des actes criminels afin d'être admis au sein d'une organisation criminelle (voir Hart , par. 68-77).
[44] La nouvelle règle de preuve de common law établie dans l'arrêt Hart vise à pallier ces problèmes. Toutefois, même si elle s'y attaque, elle ne les fait pas disparaître. La règle vise essentiellement à déterminer si l'aveu issu d'une opération Monsieur Big doit être admis en preuve ou non. Elle ne permet pas de trancher la question ultime de savoir si l'aveu est fiable ou non et elle ne supprime pas le préjudice infligé par la preuve de moralité dont s'accompagne l'aveu. Ainsi, même lorsque l'aveu issu d'une opération Monsieur Big est admis en preuve, les craintes liées à sa non-fiabilité éventuelle et à son caractère préjudiciable demeurent. Il incombe alors au juge du procès de donner au jury des directives appropriées sur la manière de jauger ces aveux eu égard à ces préoccupations.
[45] L'appelant convient que la non-fiabilité éventuelle et le caractère préjudiciable constituent tous deux des problèmes au chapitre de la preuve et que le juge du procès doit en faire part au jury dans son exposé. Pour ce qui est de la non-fiabilité éventuelle, le juge doit se montrer d'une prudence [traduction] « extrême » en raison du « risque » que présente l'admission de l'aveu issu d'une opération Monsieur Big (m.a., par. 95). L'appelant renvoie à l'exposé du juge dans l'affaire R. c. Bonisteel , 2008 BCCA 344, 259 B.C.A.C. 114 et soutient que des directives apparentées s'imposent dans « la plupart, sinon la totalité », des affaires où des aveux sont obtenus dans le cadre d'une opération Monsieur Big (m.a., par. 96). Dans Bonisteel , le juge du procès a fermement mis le jury en garde contre la non-fiabilité éventuelle des aveux issus d'une telle opération. Il lui a expliqué que des gens [traduction] « avouent parfois des crimes qu'ils n'ont pas commis » (par. 66 (soulignement omis)). De plus, il a précisé que « les aveux recueillis lors d'une opération comme celle qui s'est déroulée en l'espèce sont tenus pour intrinsèquement non dignes de foi » ( ibid. ). Faute de corroboration indépendante, les aveux issus d'une opération Monsieur Big étaient, selon lui, « très suspects » ( ibid. ).
[46] En ce qui concerne la preuve de mauvaise moralité admise, l'appelant prétend que le juge doit donner des directives restrictives à la fois [traduction] « fermes et précises », en particulier « sur les efforts importants déployés par les policiers pour inciter » l'accusé à prendre part à des actes répréhensibles (m.a., par. 102-103 (en italique dans l'original)).
[47] Au vu de ces considérations, l'appelant fait valoir que les directives du juge — qui font état en l'espèce des craintes de non-fiabilité éventuelle et du caractère préjudiciable — sont lacunaires parce qu'elles ne mettent pas le jury suffisamment en garde contre les risques inhérents à une telle preuve, ni ne lui enjoignent d'user de prudence extrême avant de déclarer l'accusé coupable sur son fondement.
[48] Soit dit en tout respect, je ne partage pas cet avis. Dans les circonstances, les directives étaient à mon avis adéquates. Je rappelle d'ailleurs ce que notre Cour a affirmé à de nombreuses reprises, à savoir que l'accusé a droit à ce que le jury reçoive des directives non pas parfaites, mais appropriées ( R. c. Jacquard , [1997] 1 R.C.S. 314, par. 2). Ce qui compte lors de l'examen des directives c'est leur teneur, non le respect ou le non-respect d'une formule consacrée ( R. c. Luciano , 2011 ONCA 89, 273 O.A.C. 273, par. 69). Le choix des mots et l'ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge ( R. c. Daley , 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 30).
[49] La démarche fonctionnelle que notre Cour a maintes fois fait sienne dans l'examen des directives au jury va à l'encontre de la thèse de l'appelant selon laquelle le juge du procès doit, chaque fois qu'une opération Monsieur Big a eu lieu, donner au jury des instructions semblables à celles jugées appropriées dans l'affaire Bonisteel . La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a d'ailleurs rejeté cette approche et préféré soumettre les directives à un examen au cas par cas, selon le contexte (voir p. ex. R. c. Terrico , 2005 BCCA 361, 214 B.C.A.C. 135, par. 42-43, et R. c. Fry , 2011 BCCA 381, 311 B.C.A.C. 90, par. 82-83 et 87).
[50] Je souscris à l'approche préconisée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. À mon avis, nulle formule magique ne doit être prononcée par le juge du procès à l'intention du jury dans toute affaire où une opération Monsieur Big s'est déroulée. Le juge doit plutôt communiquer au jury les éléments dont il a besoin pour tenir compte de la non-fiabilité éventuelle des aveux et du préjudice susceptible de découler de ceux-ci. La nature et l'ampleur des directives requises varient d'une affaire à l'autre.
[51] Faute d'une formule consacrée, certaines balises peuvent cependant être établies à l'intention du juge appelé à instruire un jury dans une affaire où un aveu issu d'une opération Monsieur Big a été admis en preuve.
[52] En ce qui concerne la non-fiabilité éventuelle de l'aveu issu d'une opération Monsieur Big, le juge doit expliquer aux jurés qu'il leur incombe de décider si l'aveu de l'accusé est digne de foi ou non. Il doit ensuite examiner avec eux les facteurs pertinents pour l'appréciation de l'aveu et de la preuve y afférente. Dans l'arrêt Hart , la Cour explique que la fiabilité d'un tel aveu dépend des circonstances dans lesquelles il est fait et des précisions qu'il renferme. Ainsi, le juge doit attirer l'attention du jury sur « la durée de l'opération, le nombre d'interactions entre les policiers et l'accusé, la nature de la relation qui s'est tissée entre les agents et l'accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l'interrogatoire, ainsi que la personnalité de l'accusé », des facteurs qui permettent tous de se prononcer sur la fiabilité de l'aveu (voir Hart , par. 102).
[53] De plus, le juge du procès doit indiquer aux jurés que l'aveu peut renfermer des indices de sa fiabilité (ou de sa non-fiabilité). Il doit aussi les inviter à tenir compte de son caractère plus ou moins détaillé, du fait qu'il a mené ou non à la découverte d'autres éléments de preuve, de la mention de modalités du crime non révélées au public ou du fait qu'il décrit fidèlement ou non certaines données prosaïques que l'accusé n'aurait pas connues s'il n'avait pas commis le crime (voir Hart, par. 105).
[54] Le juge du procès n'est pas pour autant tenu d'exposer en détail chacun des éléments de preuve qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur la fiabilité de l'aveu. Sa fonction consiste simplement à attirer l'attention des jurés sur la non-fiabilité éventuelle de l'aveu et à leur signaler les facteurs pertinents pour se prononcer à ce sujet.
[55] Pour ce qui est de la preuve de mauvaise moralité dont se double l'aveu issu d'une opération Monsieur Big, la démarche qui s'impose est plus familière. Le juge explique au jury que cette preuve est admise seulement pour situer l'aveu dans son contexte. Il devrait préciser au jury qu'il ne peut se fonder sur cette seule preuve pour déclarer l'accusé coupable. De plus, il devrait rappeler aux jurés que l'activité criminelle simulée — même celle à laquelle l'accusé a ardemment voulu prendre part — est une pure invention des représentants de l'État, qui ont encouragé l'accusé à y participer.
[56] Dans le cas qui nous occupe, l'exposé fait état de la non-fiabilité éventuelle et du caractère préjudiciable. Le juge explique aux jurés qu'ils doivent [traduction] « examiner attentivement si les éléments que sont la violence et l'importance des gratifications offertes ont pu raisonnablement compromettre la fiabilité » des aveux de l'appelant. Il leur enjoint expressément de « tenir compte du contexte, de l'attrait de l'argent facile, de la violence, de l'importance accordée à l'honnêteté et à l'intégrité, de toute porte de sortie offerte et de tout acte de menace ou d'intimidation ». Finalement, le juge laisse au jury le soin de décider au final si les aveux de l'appelant sont dignes de foi ou non :
[traduction] Au bout du compte, il vous incombe de décider si les déclarations attribuées à M. Mack sont dignes de foi ou non, en totalité ou en partie, en gardant présent à l'esprit le témoignage de M. Mack selon lequel il faisait l'objet d'encouragements quotidiens [. . .], il se sentait redevable [. . .] et il était très inquiet, surtout après avoir entendu parler du règlement de compte pour l'agression au pic à glace. Il faut également tenir compte du fait que M. Mack se sentait dépassé et que chaque fois qu'il commençait à raconter quelque chose, il sentait qu'on le pressait d'avouer.
Lorsqu'une déclaration a pu être motivée en partie par la crainte et en partie par l'appât du gain facile, il importe d'apprécier sa fiablilité, à supposer qu'elle en ait. Vous devez alors bien apprécier sa fiabilité en fonction de l'ensemble de la preuve non seulement pour déterminer ce qui a été dit, mais aussi pour décider si ce qui a été dit était vrai. [Je souligne.]
[57] En ce qui a trait à la preuve de mauvaise moralité qui a été admise de pair avec les aveux issus de l'opération Monsieur Big, sans l'aborder directement, le juge du procès donne au jury la directive restrictive habituelle sur l'utilisation qui peut être faite de tout élément de preuve relatif à la moralité de l'accusé :
[traduction] Vous vous souviendrez que, dans mes remarques préliminaires, je vous ai signalé que vous entendriez vraisemblablement des éléments de preuve qui ne présentent pas M. Mack sous un jour favorable et qui font notamment état d'opinions et d'actes qui lui sont défavorables. Vous avez maintenant entendu certains témoignages en ce sens, et je vous rappelle de ne pas vous fonder sur eux pour conclure à la culpabilité de M. Mack, ni même pour conclure qu'il est plus probable qu'improbable qu'il soit coupable du crime dont il est accusé .
Au Canada, on ne poursuit pas une personne et on ne la juge pas coupable à cause de ses croyances ou de ses valeurs. La preuve de ce que M. Mack a pu dire ou faire et qui paraît répréhensible ne vous a été communiquée que dans le but bien délimité de vous faire connaître le contexte d'autres propos et d'autres actes qui se rapportent directement à l'infraction reprochée. La preuve à vocation contextuelle que l'on appelle parfois « récit des faits » vous est fournie pour vous permettre de mieux comprendre le contexte global et de mieux décider en quoi et en qui mettre votre foi.
Je vous rappelle donc que vous ne devez pas trancher en l'espèce en vous fondant sur ce que vous croyez être le système de valeurs de M. Mack ou ses opinions, non plus qu'en vous demandant s'il a pu commettre quelque autre acte illicite ou infraction. La seule chose qui nous intéresse en l'espèce c'est l'acte reproché, en l'occurrence le meurtre de Robert Levoir. [Je souligne.]
[58] Considérées au regard de la méthode fonctionnelle, ces directives sur le caractère fiable ou non des aveux et sur la preuve de mauvaise moralité ne sont entachées d'aucune erreur. Le juge aborde franchement les deux problèmes que soulève l'admission des aveux de l'appelant aux agents banalisés. Il enjoint au jury de [traduction] « bien apprécier » la fiabilité des aveux de l'appelant et il renvoie expressément à la duperie des policiers, à l'importance des gratifications, à « l'attrait de l'argent facile » et à l'existence de tout acte de menace ou d'intimidation. Au cours du procès et dans ses directives finales, le juge invite les jurés à faire abstraction de la preuve de mauvaise moralité préjudiciable pour arriver à leur verdict.
[59] Certes, le juge du procès aurait pu en dire davantage sur la non-fiabilité éventuelle d'un aveu issu d'une opération Monsieur Big. Il aurait pu, par exemple, revenir spécifiquement sur les sommes touchées par l'appelant au cours de l'opération ou sur les exhortations de Ben et de Liam à passer aux aveux. Toutefois, il aurait pu également préciser les éléments de preuve propres à militer en faveur de la fiabilité des aveux de l'appelant, dont le fait que ce dernier aurait pu bien gagner sa vie lorsque les gratifications financières lui ont été offertes, le fait que l'appelant a indiqué avec précision l'endroit où se trouvaient les restes de M. Levoir lorsqu'il a avoué le meurtre à Ben et le fait que des douilles provenant de la carabine trouvée chez l'appelant ont été découvertes dans le foyer en plein air. Le juge n'en a fait rien, mais ses directives ne sont pas pour autant lacunaires. Ne pas avoir dit tout ce qui aurait pu l'être ne constitue pas une erreur de droit :
. . . je ne saurais trop insister sur le fait que le droit d'un accusé à un jury ayant reçu des directives appropriées n'équivaut pas au droit à un jury ayant reçu des directives parfaites. L'accusé a droit à un jury qui comprenne le lien qui existe entre la preuve et les questions juridiques soulevées. Cela requiert une analyse fonctionnelle des directives qui ont été données, et non pas une analyse idéalisée des directives qui auraient pu être données.
( Jacquard , par. 32, le juge en chef Lamer)
[60] Rappelons aussi que l'avocat de la défense s'est vu remettre au préalable l'ébauche de l'exposé destiné au jury et qu'il n'a pas fait objection aux directives sur les aveux issus de l'opération Monsieur Big. Bien qu'il incombe au juge du procès de bien instruire le jury, l'avocat de la défense est censé « [l']assist[er] en relevant les aspects des directives au jury qu'i[l] estim[e] problématiques » ( Daley , par. 58). L'omission de faire objection lors du procès « peut être significative quant à la gravité de l'irrégularité reprochée » (ibid. ). En l'espèce, bien qu'elle ne soit pas déterminante, l'omission de l'avocat de la défense de faire objection à l'exposé me conforte dans l'opinion que les directives sur la fiabilité des aveux et sur la preuve de mauvaise moralité étaient appropriées dans les circonstances.
[61] À mon avis, les directives du juge ont permis au jury de tenir compte de la non-fiabilité éventuelle des aveux issus de l'opération Monsieur Big et du préjudice infligé par l'admission de ceux-ci. Nulle erreur n'a été démontrée. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter ce moyen d'appel.
C. Le juge du procès a - t - il donné au jury des directives erronées sur le témoignage de M. Argueta?
[62] Dans son exposé, le juge enjoint aux jurés d'examiner le témoignage de M. Argueta à la lumière de la thèse de la défense suivant laquelle M. Argueta aurait assasiné M. Levoir. Il évoque la possibilité que l'appelant ait été informé du meurtre par M. Argueta. Il signale également que M. Argueta a reconnu s'être parjuré lorsqu'il avait dit aux policiers ne pas avoir discuté avec l'appelant du décès de M. Levoir lors du trajet de retour en voiture entre Edmonton et Fort McMurray. Il indique que M. Argueta n'a offert [traduction] « aucune explication » de ce parjure et qu'il a semblé « ne pas en être du tout désolé ». Il précise au jury que cette indifférence apparente vis-à-vis de la solennité du serment « permet de se demander si on peut ajouter foi à ses propos quels qu'ils soient ».
[63] À cause de ces réserves, le juge fait une mise en garde de type Vetrovec [4] à l'égard du témoignage de M. Argueta et explique aux jurés qu'il serait [traduction] « risqué » d'ajouter foi au témoignage sans que celui-ci ne soit corroboré par d'autres éléments. Il donne deux exemples de tels éléments. Le premier réside dans le témoignage de M. Argueta selon lequel l'appelant était fâché contre M. Levoir parce qu'il le soupçonnait d'avoir volé de l'argent dans la tirelire de son fils et d'avoir « monté des factures de téléphone chez [l'appelant] ». Le second s'entend du fait que l'appelant « a lui-même témoigné de ce qu'il savait de la mise à prix de la tête de [M.] Levoir », ce qui « s'apparente à ce que M. Argueta a dit à ce sujet, mais qui ne lui a pas été attribué par [l'appelant] ».
[64] L'appelant fait valoir qu'il s'agit de directives lacunaires. Il dit notamment qu'elles sont sources de confusion en ce qui concerne l'importance des propos mensongers que M. Argueta a reconnu avoir tenus aux policiers car, au procès, l'appelant a soutenu que M. Argueta avait dit la vérité aux policiers et que son [aveu à lui] était faux. De plus, l'appelant soutient que la mise en garde de type Vetrovec et, dans sa foulée, la directive de rechercher une preuve de corroboration avant d'ajouter foi au témoignage de M. Argueta, étaient injustifiées, car si les renseignements sur le meurtre donnés par M. Argueta s'étaient révélés exacts, cela n'étayait pas la thèse du ministère public suivant laquelle l'appelant était coupable du meurtre, mais confirmait plutôt la thèse de la défense, à savoir que l'assassin était M. Argueta, et non l'appelant.
[65] Je ne fais pas droit aux prétentions de l'appelant. À mon avis, la mise en garde du juge concernant la déposition mensongère que M. Argueta a reconnu avoir faite à la police n'était pas source de confusion. L'appelant interprète la directive de manière formaliste. Si on l'interprète de manière impartiale et contextuelle, la directive contestée explique aux jurés que M. Argueta a reconnu s'être parjuré et qu'il n'a offert aucune explication de sa conduite. Il y avait donc lieu de se demander si le jury pouvait ajouter foi à ses propos quels qu'ils soient. On ne peut conclure de cette directive, considérée de pair avec la mise en garde selon laquelle il était risqué de se fonder sur le témoignage de M. Argueta sans que celui-ci ne soit corroboré, que le juge retient le témoignage de M. Argueta au procès de préférence à la version des faits qu'il avait auparavant donnée à la police. Le juge explique seulement au jury que le témoignage de M. Argueta est extrêmement suspect et qu'il serait risqué de déclarer l'accusé coupable sur son fondement sans qu'il soit corroboré. S'il n'avait pas donné cette directive, son omission de le faire aurait assurément conféré un moyen d'appel à l'accusé.
[66] Par ailleurs, je ne puis convenir que le juge du procès a eu tort d'enjoindre aux jurés de rechercher une preuve de corroboration avant d'ajouter foi au témoignage de M. Argueta. Certes, il donne un exemple d'élément de preuve non susceptible de corroborer ce témoignage. Contrairement à ce qu'il dit dans son exposé, l'appelant n'a pas déclaré, lors de son témoignage, qu'il savait que la tête de M. Levoir était mise à prix. Il a plutôt affirmé avoir entendu M. Argueta le dire. Il est possible que le juge se soit simplement mal exprimé et qu'il ait voulu faire allusion au fait que, dans leurs témoignages, M. Argueta et l'appelant avaient tous deux dit savoir que la victime se livrait au trafic de la drogue en Colombie-Britannique. Mais peu importe, le message finalement transmis au jury est clair : il est risqué de se fonder sur le témoignage de M. Argueta sans corroboration de celui-ci. Fait important, le juge explique aux jurés qu'il leur appartient de décider si quelque élément de preuve est susceptible de corroborer le témoignage de M. Argueta. Les jurés auront bien compris que, pour acquitter l'appelant, ils n'avaient pas à croire que M. Argueta était l'assassin; il leur fallait plutôt être convaincus hors de tout doute raisonnable que l'appelant était l'assassin et, s'ils avaient un doute raisonnable, ils devaient l'acquitter.
[67] Abstraction faite des doutes précis exprimés par l'appelant, on peut également statuer sur ce moyen d'appel en recourant au simple bon sens. Le risque d'ajouter foi au témoignage de M. Argueta était clair et évident. Selon la défense, M. Argueta était l'assassin et mentait pour incriminer l'appelant. La preuve établissait qu'il avait un mobile pour tuer M. Levoir. Et même en considérant son témoignage sous le jour le plus favorable, il demeurait que M. Argueta s'était parjuré.
[68] En fin de compte, il s'agit de considérations que le juge du procès avait l'obligation de signaler aux jurés dans ses directives. À mon sens, c'est précisément ce qu'il a fait. Il leur a rappelé la thèse de la défense voulant que M. Argueta soit l'assassin. Il leur a dit que c'était peut-être M. Argueta qui avait informé l'appelant du meurtre. Il a indiqué que M. Argueta avait manifestement menti aux policiers et que le peu d'importance qu'il accordait au serment permettait de se demander si l'on pouvait ajouter foi à ses propos quels qu'ils soient. Il a également précisé qu'il était risqué d'ajouter foi au témoignage de M. Argueta sans que celui-ci ne soit corroboré. Il n'était pas tenu d'en faire davantage. C'est ce qu'a dû estimer l'avocat de la défense, car il n'a pas fait objection à la directive du juge concernant le témoignage de M. Argueta. H ormis l'appelant, M. Argueta était le témoin le plus important du point de vue de la défense, de sorte que l'omission de l'avocat de la défense de faire objection à l'exposé me conforte dans l'opinion que le juge du procès a bien fait état des réserves que suscitait le témoignage de M. Argueta.
VI. Dispositif
[69] Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant : Dawson Stevens Duckett & Shaigec, Edmonton.
Procureur de l'intimée : Procureur général de l'Alberta, Edmonton et Lethbridge.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria.

[1] L'identité de l'agent est protégée par une interdiction de publication; il s'agit, dans le dossier, de l' [traduction] « agent banalisé n o 2 ».
[2] Plus précisément, le ministère public a admis que l'on ne pouvait démontrer que cette mesure était « nécessaire pour l'enquête ». Une autorisation d'écoute électronique ne peut être accordée aux termes de la partie VI que lorsque « d'autres méthodes d'enquête ont été essayées et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou que l'urgence de l'affaire est telle qu'il ne serait pas pratique de mener l'enquête relative à l'infraction en n'utilisant que les autres méthodes d'enquête » (al. 186(1) b )). Selon le ministère public, cette condition ne pouvait être respectée en raison de l'opération Monsieur Big en cours.
[3] Depuis le prononcé de l'arrêt Hart , l'appelant a eu amplement le temps de demander une nouvelle audition du pourvoi afin de contester l'admissibilité de ses aveux au regard de la démarche adoptée par la Cour dans cet arrêt. Il ne l'a pas fait.
[4] Voir l'arrêt Vetrovec c. La Reine , [1982] 1 R.C.S. 811.


Synthèse
Référence neutre : 2014 SCC 58 ?
Date de la décision : 26/09/2014
Proposition de citation de la décision: R. c. Mack


Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2014-09-26;2014.scc.58 ?

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