La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/10/2014 | CANADA | N°2014_CSC_61

Canada | R. c. Steele


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c . Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138
Date : 20141009
Dossier : 35364

Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
John Melville Steele
Intimé
- et -
Procureur général du Canada et procureur général de l'Ontario
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 72)
Le juge Wagner (avec l'accord de la juge en chef M

cLachlin et des juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)




r. c . steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c . Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138
Date : 20141009
Dossier : 35364

Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
John Melville Steele
Intimé
- et -
Procureur général du Canada et procureur général de l'Ontario
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 72)
Le juge Wagner (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)




r. c . steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
John Melville Steele Intimé
et
Procureur général du Canada et
procureur général de l'Ontario Intervenants
Répertorié : R. c. Steele
2014 CSC 61
N o du greffe : 35364.
2014 : 17 avril; 2014 : 9 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel du manitoba
Droit criminel — Détermination de la peine — Délinquant dangereux — Demande de renvoi pour évaluation — Signification de « sévices graves à la personne » — Le vol qualifié perpétré par le recours à des menaces de violence contre une personne répond-il à la définition de « sévices graves à la personne »? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 343a) , 752 « sévices graves à la personne », 752.1(1).
Lors d'un vol qualifié dans une pharmacie, S a dit aux préposées à la caisse qu'il avait une arme. Aucune preuve n'établit qu'il était effectivement armé ou qu'il a eu recours à la force physique. Personne n'a été blessé. L'une des préposées à la caisse a témoigné qu'elle avait eu peur pendant le vol, et l'autre a dit avoir subi un choc. S a été reconnu coupable de vol qualifié en vertu de l' al. 343 a ) du Code criminel au motif qu'il avait « emplo[yé] [. . .] des menaces de violence contre une personne ». Le ministère public a demandé son renvoi pour évaluation en application du par. 752.1(1) du Code criminel . Selon la juge du procès et la Cour d'appel, une menace de violence n'équivaut pas à elle seule à « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » selon le sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » à l' art. 752 du Code criminel .
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Le pourvoi porte sur la définition des « sévices graves à la personne » et, par ricochet, sur les conditions auxquelles s'applique le régime des délinquants dangereux et à contrôler. La menace de violence qui justifie une déclaration de culpabilité de vol qualifié suivant l' al. 343 a ) constitue en effet l'emploi de la violence contre une autre personne pour les besoins du sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » à l' art. 752 .
La détention pour une période indéterminée et la surveillance de longue durée constituent des peines exceptionnelles réservées aux délinquants qui font peser une menace permanente sur la société. Un certain nombre de conditions de procédure et de fond doivent être satisfaites avant que le tribunal puisse déclarer qu'un délinquant est dangereux ou à contrôler. Avant de renvoyer un délinquant pour évaluation, le tribunal doit être convaincu que le délinquant a été déclaré coupable de sévices graves à la personne au sens de l' art. 752 . Il doit aussi avoir des motifs raisonnables de croire que le délinquant pourrait être déclaré délinquant dangereux suivant l'art. 753 ou délinquant à contrôler suivant l'art. 753.1. Le critère des sévices graves à la personne joue donc un rôle crucial dans l'application du régime des délinquants dangereux et à contrôler.
La détention pendant une période indéterminée et la surveillance de longue durée que prévoit la partie XXIV visent principalement la protection de la société, et une interprétation trop étroite de la disposition d'applicabilité contrecarrerait en fait la réalisation de cet objectif. Toutefois, l'objectif du critère des sévices graves à la personne est précisément de lier la peine à l'infraction sous-jacente, de sorte qu'une interprétation trop libérale irait à l'encontre de cet objectif et contreviendrait au principe fondamental de la détermination de la peine, à savoir que la peine doit être proportionnée à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Le critère des sévices graves à la personne contribue à assurer la constitutionnalité du régime. Pour interpréter la définition des « sévices graves à la personne », il faut donner effet à l'objectif général de protection de la partie XXIV tout en poursuivant l'objectif spécifique inhérent du critère des sévices graves à la personne en liant la sanction à l'infraction sous-jacente et en assurant la réalisation de l'objectif de proportionnalité.
Le sous-alinéa a )(i) de la définition énoncée à l' art. 752 n'invite pas le tribunal à considérer la gravité de la violence que le délinquant a employée ou tenté d'employer; toute violence, quelle qu'elle soit, suffit. L'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » doit être interprétée selon son sens grammatical et ordinaire, à la lumière de son contexte législatif. Ni l'objectif du critère des sévices graves à la personne, ni celui de la partie XXIV ne justifient qu'on l'interprète comme si elle exigeait expressément la preuve d'un degré minimal de violence.
À moins que le contexte ou l'objet de la loi n'indique qu'il en va autrement, la « violence » se définit surtout en fonction du préjudice — et non du recours à la force — et elle englobe le fait de causer un préjudice ou de tenter ou de menacer d'en causer un. Cela ne veut pas dire que la violence doit toujours être définie en fonction du préjudice. Le contexte est crucial, et il peut arriver que la présomption d'uniformité d'expression soit clairement réfutée par d'autres principes d'interprétation, de sorte que le sens voulu par le législateur peut varier d'une loi à l'autre, voire, dans certaines situations, d'une disposition à l'autre. Au final, l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » doit voir sa portée déterminée en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée.
Rien n'indique que les différents volets de la définition des sévices graves à la personne qui figure à l' art. 752 sont mutuellement exclusifs. Qu'une interprétation proposée fasse tomber certaines infractions sous le coup de plusieurs volets de la définition ne justifie pas en soi qu'on restreigne la portée de celle-ci pour éviter les chevauchements. Le sous-alinéa a )(i) vise les actes violents — « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » — et requiert une intention violente de la part du délinquant. Ce volet de la définition s'applique au délinquant qui cause, tente ou menace de causer un préjudice intentionnellement. La menace, elle, est également visée en raison de l'intention de son auteur qu'elle soit prise au sérieux. Le sous-alinéa a )(ii) ne s'attache pour sa part qu'aux effets de la conduite et s'applique donc aux infractions comportant de la négligence. Ainsi, l'interprétation du sous-al. a )(i), axée sur le préjudice et selon laquelle une menace de violence constitue une forme d'emploi de la violence, n'est pas incompatible avec les éléments de mise en danger et de dommages psychologiques mentionnés au sous-al. a )(ii) de la définition.
L'absence du vol qualifié parmi les infractions énumérées à l'al. b ) de la définition ne constitue pas un élément à considérer pour déterminer l'intention du législateur. Rien n'indique que le législateur a voulu énumérer exhaustivement toutes les infractions qui constituent toujours des sévices graves à la personne.
La Cour d'appel invoque la présomption selon laquelle le recours du législateur à des termes différents suppose qu'il a voulu créer des sens différents, et le principe selon lequel, dans une loi, un mot a le même sens chaque fois qu'il y est employé; elle ne tient toutefois pas compte de tout le contexte dans lequel les termes « emploie la violence » et « emploi [. . .] de la violence » figurent à l' art. 343 et au sous-al. a )(i) de la définition des sévices graves à la personne à l' art. 752 . Les deux dispositions se trouvent dans des parties du Code criminel indépendantes l'une de l'autre, et chacune est dotée d'une raison d'être et d'un historique distincts. La solution retenue par la Cour d'appel va également à l'encontre des principes d'interprétation législative et est de nature à causer des difficultés innombrables au juge du procès désireux d'établir la distinction insaisissable entre la menace intrinsèquement violente et celle qui ne l'est pas. Elle va de plus à l'encontre du sens ordinaire de la disposition et de son objet. Toute menace de violence est en soi violente, même lorsque la gravité de la violence se révèle minime. En cherchant à distinguer entre la menace violente et celle qui ne l'est pas, les tribunaux voient dans la disposition l'exigence d'un degré minimal de violence objective. Pareille interprétation contredit le texte clair du sous-al. a )(i) de la définition, lequel requiert certes la violence, mais non la violence grave, et elle risque de compromettre l'objectif général de la partie XXIV en empêchant les tribunaux de renvoyer pour évaluation des délinquants potentiellement dangereux.
Les menaces de violence proférées contre une personne qui suffisent pour faire déclarer leur auteur coupable de vol qualifié en application de l' al. 343 a ) satisfont à la condition qu'est « l'emploi [. . .] de la violence » énoncée au sous-al. a )(i) de la définition des sévices graves à la personne. En menaçant de blesser ses victimes lors du vol qualifié, S a employé la violence contre elles. Les autres exigences du sous-al. a )(i) de la définition étant clairement satisfaites, l'infraction commise par S participe des sévices graves à la personne.
Jurisprudence
Arrêt analysé : R. c. C.D. , 2005 CSC 78, [2005] 3 R.C.S. 668; arrêts mentionnés : R. c. Neve , 1999 ABCA 206, 71 Alta. L.R. (3d) 92; R. c. Goforth , 2005 SKCA 12, 257 Sask. R. 123; R. c. Lebar , 2010 ONCA 220, 101 O.R. (3d) 263; R. c. Thompson , 2009 ONCJ 359 (CanLII); R. c. Roy , 2008 SKCA 41, 307 Sask. R. 276; R. c. Jolicoeur , 2011 MBQB 129, 265 Man. R. (2d) 225; R. c. Currie , [1997] 2 R.C.S. 260; R. c. Cepic , 2010 ONSC 561, 93 M.V.R. (5th) 129; Hatchwell c. La Reine , [1976] 1 R.C.S. 39; R. c. Lyons , [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Sipos , 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423; R. c. Ipeelee , 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Johnson , 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357; R. c. Smith , 2012 ONCA 645 (CanLII); R. c. McRae , 2013 CSC 68, [2013] 3 R.C.S. 931 ; R. c. Keegstra , [1990] 3 R.C.S. 697; R. c. Khawaja , 2012 CSC 69, [2012] 3 R.C.S. 555; R. c. Goulet , 2011 ABCA 230, 52 Alta. L.R. (5th) 241; R. c. J.Y. (1996), 141 Sask. R. 132; R. c. O'Keefe , 2011 NLCA 41, 309 Nfld. & P.E.I.R. 253.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 2 b ) .
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 249(3) , 264.1(1) a ), (2) a ), 343 , 344 , 742.1 , partie XXIV, 752 « sévices graves à la personne », 752.1(1), 753, 753.1, 754(1) a ), b ).
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents , L.C. 2002, ch. 1 , art. 39(1) a ).
Doctrine et autres documents cités
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes , 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Oxford English Dictionary , 2nd ed. Oxford : Clarendon Press, 1989, « violence ».
Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française , nouvelle éd. Paris : Le Robert, 2012, « violence ».
Scassa, Teresa. « Violence Against Women in Law Schools » (1992), 30 Alta. L. Rev. 809.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes , 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (le juge en chef Scott et les juges Beard et Monnin), 2013 MBCA 21, 288 Man. R. (2d) 304, 564 W.A.C. 304, [2013] 5 W.W.R. 635, [2013] M.J. No. 77 (QL), 2013 CarswellMan 108, qui a confirmé une décision de la juge McKelvey, 2011 MBQB 181, 267 Man. R. (2d) 91, [2011] M.J. No. 250 (QL), 2011 CarswellMan 403. Pourvoi accueilli.
Ami Kotler et Neil Steen , pour l'appelante.
J. David L. Soper et Amanda Sansregret , pour l'intimé.
Jeffrey G. Johnston , pour l'intervenant le procureur général du Canada.
Leslie Paine et Michelle Campbell , pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Wagner —
I. Introduction
[1] Dans notre système de justice criminelle, la détention pour une période indéterminée et la surveillance de longue durée que prévoit la partie XXIV du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 , constituent des peines exceptionnelles. Elles sont réservées aux délinquants qui font peser sur la société une menace permanente de nature à justifier, à titre préventif, une peine plus sévère. La partie XXIV établit le processus qui permet au tribunal de déclarer qu'un délinquant est un délinquant dangereux ou un délinquant à contrôler et de lui infliger la peine adéquate dans les circonstances. Un certain nombre de conditions doivent être satisfaites. L'une d'elles exige que l'infraction qui entraîne la demande de déclaration participe des « sévices graves à la personne » au sens de l' art. 752 du Code criminel .
[2] Suivant la définition pertinente, l'infraction qui implique des « sévices graves à la personne » est punissable, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins 10 ans. Elle comporte entre autres « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne » (sous-al. a )(i) de la définition à l' art. 752 ). Sur demande du poursuivant, lorsqu'une personne a été reconnue coupable d'une telle infraction et qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant pourrait être déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler, le tribunal doit le renvoyer pour évaluation psychologique ( par. 752.1(1) ). Le rapport d'évaluation étaye ensuite la demande de déclaration de délinquant dangereux ou à contrôler.
[3] Le présent pourvoi porte sur la définition des « sévices graves à la personne » et, par ricochet, sur les conditions auxquelles s'applique le régime des délinquants dangereux et à contrôler. Lors d'un vol qualifié qu'il a perpétré dans une pharmacie, le délinquant, M. Steele, a dit aux préposées à la caisse qu'il avait une arme. Aucune preuve n'établit qu'il était effectivement armé ou qu'il a eu recours à la force physique. M. Steele a été reconnu coupable de vol qualifié en vertu de l' al. 343 a ) du Code criminel au motif qu'il avait « emplo[yé] [. . .] des menaces de violence contre une personne ». Estimant qu'il s'agissait de « sévices graves à la personne », le ministère public a donné avis de son intention de demander au tribunal le renvoi pour évaluation de M. Steele en application du par. 752.1(1) . L'infraction perpétrée satisfait clairement à deux des exigences susmentionnées de la définition des « sévices graves à la personne ». Le vol qualifié est une infraction punissable d'un emprisonnement d'au moins 10 ans par mise en accusation (voir art. 344 ). La question est de savoir si l'infraction — qui a comporté la profération de menaces de violence contre une personne, mais non l'emploi de la force physique — satisfait à l'autre exigence de la définition, à savoir « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne ».
[4] La juge du procès et la Cour d'appel répondent toutes deux par la négative. Elles concluent essentiellement qu'une menace de violence n'équivaut pas à elle seule à « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence ». En toute déférence, je ne suis pas d'accord. Voici pourquoi.
[5] La menace de violence qui justifie une déclaration de culpabilité de vol qualifié suivant l' al. 343 a ) constitue en effet l'emploi de la violence contre une autre personne pour les besoins du sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » à l' art. 752 . En menaçant de blesser ses victimes lors du vol qualifié, M. Steele a employé la violence contre elles. Les autres exigences du sous-al. a )(i) de la définition étant clairement satisfaites, l'infraction commise par M. Steele participe des « sévices graves à la personne ».
[6] Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi du ministère public. Le respect des autres conditions préalables à une demande de renvoi pour évaluation n'étant pas contesté, toutes les conditions applicables sont satisfaites. Je suis donc d'avis d'accueillir la demande et d'ordonner le renvoi pour évaluation de M. Steele en application du par. 752.1(1) du Code criminel .
II. Dispositions législatives
[7] Le litige concernant la définition des « sévices graves à la personne » a vu le jour lorsque le ministère public a demandé le renvoi pour évaluation de M. Steele comme il devait le faire avant de pouvoir demander qu'il soit déclaré délinquant dangereux ou à contrôler :
752.1 (1) [Renvoi pour évaluation] Sur demande du poursuivant, le tribunal doit, avant d'imposer une peine au délinquant qui a commis des sévices graves à la personne ou une infraction visée à l'alinéa 753.1(2) a ) et lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci pourrait être déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu respectivement des articles 753 et 753.1, le renvoyer, par une ordonnance écrite et pour une période maximale de soixante jours, à la garde de la personne qu'il désigne, laquelle effectue ou fait effectuer par des experts une évaluation qui sera utilisée comme preuve lors de l'examen de la demande visée aux articles 753 ou 753.1.
[8] Les exigences de la définition des « sévices graves à la personne » doivent être satisfaites tant au moment de la demande de renvoi pour évaluation ( par. 752.1(1) ) qu'à celui de la demande de déclaration de délinquant dangereux (par. 753(1)). Voici le texte de la définition :
752. [Définitions] Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
. . .
« sévices graves à la personne » Selon le cas :
a ) les infractions — la haute trahison, la trahison, le meurtre au premier degré ou au deuxième degré exceptés — punissables, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins dix ans et impliquant :
(i) soit l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne,
(ii) soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne;
b ) les infractions ou tentatives de perpétration de l'une des infractions visées aux articles 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles) ou 273 (agression sexuelle grave).
[9] L'infraction de vol qualifié que crée l' art. 343 englobe un certain nombre d'actes différents. Voici le libellé de la disposition :
343. [Vol qualifié] Commet un vol qualifié quiconque, selon le cas :
a ) vole et, pour extorquer la chose volée ou empêcher ou maîtriser toute résistance au vol, emploie la violence ou des menaces de violence contre une personne ou des biens ;
b ) vole quelqu'un et, au moment où il vole, ou immédiatement avant ou après, blesse, bat ou frappe cette personne ou se porte à des actes de violence contre elle;
c ) se livre à des voies de fait sur une personne avec l'intention de la voler ;
d ) vole une personne alors qu'il est muni d'une arme offensive ou d'une imitation d'une telle arme.
III. Les faits
[10] Les faits principaux ne sont pas contestés. Le 28 mai 2010, vers 13 h 35, M. Steele est entré dans une pharmacie le visage dissimulé par un capuchon au cordon de fermeture bien tiré, comme le révèle l'enregistrement vidéo de l'établissement. Il s'est approché de la caisse et a dit [ traduction ] « Donne-moi l'argent. C'est un vol. J'ai une arme », ou quelque chose d'équivalent. Incapable d'ouvrir le tiroir de la caisse enregistreuse, la préposée a demandé l'aide d'une collègue, qui a ouvert le tiroir-caisse et en a retiré le plateau pour le mettre à la portée de M. Steele. Ce dernier a quitté les lieux environ une minute et dix secondes après y être entré. Sa présence à la caisse a duré 39 secondes.
[11] Aucune arme n'a été aperçue en la possession de M. Steele, ni à l'intérieur ni à l'extérieur de la pharmacie, et personne n'a été blessé. L'une des préposées à la caisse a témoigné qu'elle avait eu peur pendant le vol, et l'autre a dit avoir subi un choc.
[12] M. Steele a été reconnu coupable de vol qualifié, de déguisement dans un dessein criminel et de manquement à une ordonnance de probation (2011 MBQB 67). Le ministère public a par la suite demandé son renvoi pour évaluation en application du par. 752.1(1) du Code criminel .
A. Cour du Banc de la Reine du Manitoba, 2011 MBQB 181, 267 Man. R. (2d) 91
[13] La juge McKelvey rejette la demande du ministère public. Dans son analyse, elle signale d'abord que le législateur ne précise pas que le vol qualifié participe des « sévices graves à la personne » comme il le fait pour certaines infractions d'ordre sexuel à l'al. b ) de la définition. Elle ajoute qu'aucun élément ne prouve que la conduite de M. Steele a été dangereuse ou susceptible de l'être pour la vie ou la sécurité des préposées à la caisse ou que des dommages psychologiques graves leur ont été infligés au sens du sous-al. a )(ii) de la définition. L'issue du litige tient donc à l'application du sous-al. a )(i) : la conduite de M. Steele a-t-elle comporté l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre les préposées à la caisse?
[14] La juge McKelvey reconnaît l'existence de deux courants jurisprudentiels sur ce point. Selon le premier, auquel correspond l'arrêt R. c. Neve , 1999 ABCA 206, 71 Alta. L.R. (3d) 92, « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » veut que la violence soit [ traduction ] « objectivement grave » (par. 76). Le deuxième, qui correspond aux arrêts R. c. Goforth , 2005 SKCA 12, 257 Sask. R. 123, et R. c. Lebar , 2010 ONCA 220, 101 O.R. (3d) 263, écarte cette condition. La juge McKelvey relève (au par. 11) que [ traduction ] « [l]es tribunaux penchent en faveur [du second] », suivant lequel « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » s'entend de tout comportement violent, quel qu'en soit la gravité.
[15] La juge McKelvey conclut néanmoins que, en l'espèce, la [ traduction ] « menace de violence implicite » (par. 28) ne satisfait pas au critère du sous-al. a )(i) de la définition. Elle souligne que personne n'a été blessé. Bien que M. Steele ait eu les mains dans les poches lorsqu'il a proféré la menace, il n'a rien fait qui aurait pu s'apparenter au geste de brandir une arme. La juge McKelvey admet que, à cause des actes de M. Steele, les deux préposées à la caisse ont subi un choc et éprouvé de la peur, mais elle conclut que ces actes n'ont constitué ni l'emploi ni une tentative d'emploi de la violence. Elle appuie sa conclusion sur le raisonnement d'autres tribunaux qui ont auparavant décidé que des menaces de violence similaires ne satisfont pas au critère des sévices graves à la personne (p. ex. R. c. Thompson , 2009 ONCJ 359 (CanLII); R. c. Roy , 2008 SKCA 41, 307 Sask. R. 276; R. c. Jolicoeur , 2011 MBQB 129, 265 Man. R. (2d) 225).
B. Cour d'appel du Manitoba, 2013 MBCA 21, 288 Man. R. (2d) 304 (le juge en chef Scott et les juges Beard et Monnin)
[16] Au nom des juges unanimes de la Cour d'appel du Manitoba, le juge en chef Scott confirme la décision de la juge McKelvey. Le vol qualifié défini à l' al. 343 a ) renvoie à la personne qui « emploie la violence » ou « des menaces de violence », alors que, à l' art. 752 , le sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » renvoie à l'« emploi [. . .] de la violence » ou à la « tentative d'emploi [. . .] de la violence ». Il explique que ces différences de libellé font en sorte que tout vol qualifié ne comporte pas l'emploi ou la tentative d'emploi de la violence. Il se réfère à l'arrêt R. c. C.D. , 2005 CSC 78, [2005] 3 R.C.S. 668, dans lequel la Cour statue que le terme « infraction avec violence » employé à l' al. 39(1) a ) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents , L.C. 2002, ch. 1 (« LSJPA »), s'entend de la menace de causer des lésions corporelles, mais il établit une distinction d'avec cette affaire. Il estime que la mention à l' al. 343 a ) tant de l'emploi de la violence que des menaces de violence fait en sorte qu'il existe nécessairement une différence entre les deux.
[17] Après avoir passé en revue les différentes menaces susceptibles d'étayer une déclaration de culpabilité de vol qualifié fondée sur l' al. 343 a ) , le juge en chef Scott signale qu'il appartient au juge du procès de décider à partir des faits s'il y a eu ou non emploi ou tentative d'emploi de la violence. À l'instar de la juge McKelvey, il adhère aux enseignements des arrêts Goforth et Lebar selon lesquels la question n'est pas de savoir si la violence employée pour perpétrer l'infraction sous-jacente était objectivement grave. Dans Lebar , le tribunal estime qu'il faut se demander [ traduction ] « si la preuve démontre qu'il y a eu effectivement emploi de la violence » (juge en chef Scott, au par. 70, citant Lebar , par. 50). S'il y souscrit pour l'essentiel, le juge en chef Scott conclut que ce point de vue élude la distinction entre les notions d'emploi de la violence et de tentative d'emploi de la violence auxquelles renvoie le sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » à l' art. 752 . L'emploi de la violence contre une personne au cours d'un vol qualifié constitue également l'emploi de la violence au sens de cette disposition. Par contre, lorsque le vol qualifié est commis par la profération de menaces de violence à l'endroit d'une personne, il faut se demander si les menaces constituent aussi une tentative d'emploi de la violence au sens du sous-al. a )(i).
[18] Le juge en chef Scott adhère sur ce point à la démarche adoptée par le tribunal dans Thompson , par. 28 :
[ traduction ] Parmi les nombreuses situations de fait susceptibles de constituer des infractions criminelles figure souvent la menace de violence, parfois explicite, parfois implicite. Dans certains cas, la menace de violence est à ce point réelle que l'on pourrait raisonnablement la qualifier de tentative d'emploi de la violence. Autrement dit, pour que la menace devienne emploi, bien peu de chose doit être accompli de surcroît par le délinquant. La tentative d'établir, à partir des faits de l'espèce, une distinction entre la tentative et la menace pourrait n'être affaire que de sémantique. Cependant, dans d'autres cas, la menace de violence peut être à ce point éloignée de tout acte réel de violence qu'elle ne saurait raisonnablement équivaloir à une tentative d'emploi de la violence. [Je souligne.]
[19] Le juge en chef Scott propose la démarche qui suit pour décider si une menace donnée équivaut à une tentative d'emploi de la violence (par. 85) :
[ traduction ] [L]a menace doit s'accompagner de quelque action concrète pour équivaloir à une « tentative d'emploi de la violence ». Il doit y avoir une indication qu'une personne court un danger manifeste imminent ou quelque action visant clairement l'emploi réel de la violence contre une personne pour qu'une menace de violence constitue également une tentative d'emploi de la violence.
[20] Enfin, le juge en chef Scott souligne que les conclusions factuelles tirées par la juge McKelvey ne sont pas contestées et, parce que la menace de violence n'était associée ni à un danger imminent, ni à [ traduction ] « une action concrète manifeste, même minimale », il confirme la décision de la juge du procès (par. 86). La menace, même si elle justifiait une déclaration de culpabilité de vol qualifié suivant l' al. 343 a ) , ne constituait cependant pas l'emploi ou une tentative d'emploi de la violence pour les besoins de la définition des « sévices graves à la personne » et n'emportait pas l'application du régime de détermination de la peine de la partie XXIV.
IV. Question en litige
[21] Le vol qualifié qui s'accompagne de menaces de violence contre une personne au sens de l' al. 343 a ) du Code criminel équivaut-il à des « sévices graves à la personne » selon le sous-al. a )(i) de la définition de cette expression à l' art. 752 ?
V. Analyse
[22] Pour décider si une infraction participe des « sévices graves à la personne », il faut examiner ses éléments constitutifs puis, au besoin, se pencher sur les circonstances dans lesquelles elle a été commise. Certaines infractions constituent automatiquement des « sévices graves à la personne » quelle que soit la manière avec laquelle elles sont perpétrées ( art. 752 , al. b ) de la définition de tels sévices; voir R. c. Currie , [1997] 2 R.C.S. 260, par. 21-22). D'autres infractions constituent toujours des « sévices graves à la personne » dans la mesure où l'un de leurs éléments correspond d'emblée à l'énoncé descriptif de l'al. a ) de la définition. À titre d'exemple, les actes de violence contre une personne ou la mise en danger de celle-ci sont visés par la définition de l'infraction (voir p. ex. R. c. Cepic , 2010 ONSC 561, 93 M.V.R. (5th) 129, par. 18). Le vol qualifié ne constitue manifestement pas une infraction du second type puisqu'il peut être perpétré en recourant à la violence ou aux menaces de violence contre une personne ou contre des biens , alors que le sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » ne renvoie qu'à l'emploi ou à la tentative d'emploi de la violence contre une autre personne (voir Lebar , par. 65).
[23] Il s'agit donc de déterminer si le vol qualifié perpétré en l'espèce par la profération de menaces de violence contre une personne, mais sans violence physique réelle, satisfait à la condition qu'est « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne » que prévoit la définition. Je réponds par l'affirmative. J'arrive à cette conclusion en adoptant la méthode moderne d'interprétation législative selon laquelle on interprète les termes employés dans une loi [ traduction ] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2 e éd. 1983), p. 87).
[24] J'analyserai d'abord l'objectif du critère des « sévices graves à la personne » et sa fonction dans le régime de la partie XXIV. Je passerai ensuite au sens ordinaire du mot « violence » employé dans le Code criminel et dans d'autres textes législatifs. Finalement, je me pencherai sur le contexte législatif de la disposition dans laquelle figure l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence », y compris les autres volets de la définition des « sévices graves à la personne », ainsi que la disposition qui définit le vol qualifié. Examinées ensemble, ces considérations permettent de conclure que les menaces de violence contre une personne qui entraînent une déclaration de culpabilité de vol qualifié satisfont à la notion de violence propre à la définition des « sévices graves à la personne ». Puisque l'auteur d'un vol qualifié est passible, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins 10 ans, toutes les conditions du sous-al. a )(i) de la définition des sévices graves à la personne sont alors réunies.
A. L'objectif du critère des sévices graves à la personne
[25] Le ministère public souligne que le critère des sévices graves à la personne s'applique en amont, avant que la dangerosité du délinquant ne soit évaluée et avant que ne soit présentée une demande de déclaration de délinquant dangereux ou à contrôler. Il soutient qu'une interprétation large de la condition qu'est « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » s'impose donc afin de ne pas soustraire à l'évaluation des délinquants qui pourraient satisfaire au critère, ce qui compromettrait l'objectif de protection de la société.
[26] M. Steele soutient au contraire que le critère des sévices graves à la personne joue un rôle important à la partie XXIV en assurant qu'un délinquant ne puisse être condamné à la détention pour une période indéterminée que pour un crime suffisamment grave. Selon lui, une interprétation trop libérale de ce critère compromettrait l'objectif de proportionnalité du régime.
[27] Comme je l'explique plus avant, les deux thèses axées sur l'objectif sont valables. La partie XXIV vise généralement la protection de la société, et une interprétation trop étroite de la disposition contrecarrerait en fait la réalisation de cet objectif. Toutefois, l'objectif du critère des sévices graves à la personne est précisément de lier la peine à l'infraction sous-jacente, de sorte qu'une interprétation trop libérale irait à l'encontre de cet objectif et compromettrait le respect de la notion de proportionnalité. Mon interprétation doit donc tenir compte des deux objectifs, l'un général, l'autre spécifique. Je les examinerai maintenant en détail à tour de rôle pour ensuite conclure qu'une interprétation textuelle et contextuelle de l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » satisfait au volet dangerosité du sous-al. a )(i) de la définition et qu'il serait erroné de l'interpréter comme si elle exigeait un degré minimal de violence objective.
(1) L'objectif général de la déclaration de délinquant dangereux ou à contrôler
[28] La partie XXIV du Code criminel autorise la détention pour une période indéterminée de la personne qui est déclarée « délinquant dangereux » au motif que ses actes et ses comportements antérieurs démontrent qu'elle constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien-être physique ou mental de qui que ce soit ( al. 753(1) a )), ou que son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles laisse prévoir qu'elle causera vraisemblablement des sévices ou d'autres maux à d'autres personnes ( al. 753(1) b )). Elle autorise également la surveillance de longue durée du délinquant déclaré « délinquant à contrôler » lorsqu'il y a lieu d'imposer une peine d'emprisonnement minimale de deux ans, que le délinquant présente un risque élevé de récidive et qu'il existe une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité ( par. 753.1(1) ).
[29] La raison d'être principale de la détention pendant une période indéterminée et de la surveillance de longue durée sous le régime de la partie XXIV est la protection de la société. Les deux peines favorisent la réalisation du « but principal » de la détention préventive cerné par le juge Dickson dans l'arrêt Hatchwell c. La Reine , [1976] 1 R.C.S. 39, p. 43, à savoir « protéger le public lorsque le comportement antérieur d'un criminel dénote une tendance à commettre des crimes de violence contre la personne et qu'il existe, de ce fait, un danger réel et actuel pour la vie et l'intégrité physique des gens ». Dans l'arrêt R. c. Lyons , [1987] 2 R.C.S. 309, où la Cour se prononce sur la constitutionnalité du régime applicable au délinquant dangereux, le juge La Forest opine à la p. 329 que « [la partie XXIV] ne fait que permettre à la cour d'adapter la peine à la réalité bien évidente que la situation actuelle du délinquant est telle que sa conduite n'est pas soumise aux contraintes normales, de sorte qu'on peut s'attendre avec un grand degré de certitude à ce que cette personne commette des actes de violence dans l' avenir » (souligné dans l'original). Puis, dans l'arrêt Currie , le juge en chef Lamer confirme comme suit cette raison d'être (au par. 26) : « Le législateur a donc créé, en matière d'incarcération à des fins préventives, une norme qui évalue l'état actuel de l'accusé en fonction de ses actes et comportements antérieurs. » Voir également R. c. Sipos , 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423, par. 19.
[30] En 1997, le législateur a modifié la partie XXIV pour créer la catégorie des « délinquants à contrôler » et rendre possible la surveillance de ces délinquants au sein de la collectivité. Il disposait dès lors d'une solution de rechange à la détention pour une période indéterminée des personnes déclarées « délinquants dangereux ». Le délinquant à contrôler qui satisfait aux conditions du par. 753.1(1) peut faire l'objet d'une surveillance au sein de la collectivité pendant une certaine période (au plus 10 ans) à l'expiration d'une peine d'une durée déterminée d'au moins deux ans (par. 753.1(3)). L'ordonnance d'une telle mesure a un double objectif, soit la protection du public, de même que la réadaptation du délinquant et sa réinsertion dans la collectivité ( R. c. Ipeelee , 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 50).
[31] Dans l'arrêt R. c. Johnson , 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357, les juges Iacobucci et Arbour se sont penchés sur l'objectif des dispositions relatives à la déclaration de délinquant à contrôler et sur le lien entre ces dispositions et celles relatives à la déclaration de délinquant dangereux. À l'époque, l'emploi du mot « peut » indiquait que les deux genres de déclaration relevaient d'un pouvoir discrétionnaire même lorsque toutes les conditions étaient réunies. Vu la nature discrétionnaire de la déclaration de délinquant dangereux et les principes de la détermination de la peine énoncés à l' art. 718.2 du Code criminel , la Cour a décidé que le juge, avant d'opter pour la sanction plus contraignante qu'est la déclaration de délinquant dangereux (par. 28; Sipos , par. 22), est tenu de considérer s'il convient ou non de déclarer une personne délinquant à contrôler, en particulier lorsque le risque que présente la personne pourrait ou non être maîtrisé au sein de la collectivité. Suite à cet arrêt, en 2008, le législateur a retiré au tribunal le pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de déclarer ou non qu'un délinquant est un délinquant dangereux. Désormais, l'emploi du mot « doit » indique que, s'il est convaincu de l'existence des conditions énoncées au par. 753(1) , le tribunal a l'obligation de déclarer que le délinquant est un délinquant dangereux. Toutefois, en retirant au tribunal son pouvoir discrétionnaire, le législateur lui a conféré une nouvelle latitude quant aux conséquences d'une telle déclaration. Auparavant, lorsqu'il concluait qu'un délinquant était un délinquant dangereux, le tribunal devait imposer une peine d'emprisonnement pour une période indéterminée ( Johnson , par. 5). Désormais, le tribunal qui déclare qu'une personne est un délinquant dangereux peut infliger soit une peine de détention pour une période indéterminée, soit une peine de détention pour une période déterminée d'au moins deux ans jumelée à une surveillance de longue durée pendant au plus 10 ans, soit une peine pour l'infraction dont elle est déclarée coupable ( par. 753(4) ). Ces deux dernières mesures ne sont possibles que si le tribunal est convaincu qu'elles protègeront suffisamment le public ( par. 753(4.1) ).
(2) L'objectif spécifique du critère des « sévices graves à la personne » dans le régime applicable aux délinquants dangereux et à contrôler
[32] Un certain nombre d'étapes doivent être franchies avant que le tribunal puisse déclarer qu'un délinquant est dangereux ou à contrôler. Le poursuivant doit d'abord demander le renvoi du délinquant pour évaluation ( par. 752.1(1) ). Ce n'est qu'après le dépôt du rapport d'évaluation qu'il pourra demander que le délinquant soit déclaré délinquant dangereux ou à contrôler (par. 753(1) et 753.1(1)). Il doit donner au délinquant un préavis dans lequel il indique ce sur quoi sa demande se fonde (al. 754(1) b )). Le procureur général de la province doit consentir à l'audition de la demande (al. 754(1) a )). Toutes ces mesures de protection d'ordre procédural accroissent l'équité générale du régime. Je me réfère à l'arrêt Lyons , p. 362-363, pour l'analyse des garanties procédurales de la partie XXIV.
[33] Des conditions de fond doivent aussi être satisfaites. Avant de renvoyer un délinquant pour évaluation, le tribunal doit d'abord être convaincu que le délinquant a été déclaré coupable de « sévices graves à la personne » au sens de l' art. 752 . Ensuite, il doit avoir des motifs raisonnables de croire que le délinquant pourrait être déclaré délinquant dangereux suivant l'art. 753 ou délinquant à contrôler suivant l'art. 753.1. Le critère des sévices graves à la personne entre à nouveau en jeu lorsque le poursuivant demande une déclaration de délinquant dangereux, car le tribunal doit alors être convaincu que l'infraction satisfait au critère de tels sévices avant d'acquiescer à la demande (par. 753(1)).
[34] Le critère des « sévices graves à la personne » joue donc un rôle crucial dans l'application du régime des délinquants dangereux et à contrôler. Les peines qui peuvent être infligées suivant la partie XXIV, y compris la détention pour une période indéterminée et la surveillance de longue durée, ont pour objet tant la prévention que la punition. Dans la mesure où elle est justifiée par un risque établi à la lumière des actes et des comportements antérieurs, la peine se veut préventive. Comme le souligne le juge La Forest dans l'arrêt Lyons , dans le contexte de la partie XXIV, la détention préventive « représente simplement un jugement que l'importance relative des objectifs de réinsertion sociale, de dissuasion et de châtiment peut diminuer sensiblement dans un cas particulier et celle de la prévention s'accroître proportionnellement » (p. 329).
[35] Cependant, la peine a aussi une vocation punitive et, à cet égard, le critère des sévices graves à la personne a deux fonctions. Premièrement, il permet de déterminer l'applicabilité ou l'inapplicabilité du régime ( par. 752.1(1) ). Deuxièmement, lorsque le ministère public demande au tribunal de déclarer que le délinquant est un délinquant dangereux, il tient lieu de condition préalable à une telle déclaration (par. 753(1)). Si l'objectif préventif des peines possibles l'emportait totalement sur leur objectif punitif, il y aurait alors un risque sérieux d'entorse au principe fondamental de la détermination de la peine, à savoir que la peine doit être proportionnée à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Le critère des sévices graves à la personne contribue à assurer la constitutionnalité du régime ( Lyons , p. 338). Dans l'arrêt Currie , le juge en chef Lamer explique que « [l]e critère des “sévices graves à la personne” agit comme mesure de contrôle visant à garantir que la peine ne soit pas disproportionnée à l'infraction » (par. 31; voir aussi Goforth , par. 44).
[36] Ces deux objectifs, l'un général, et l'autre spécifique, s'opposent. Pour interpréter la définition des « sévices graves à la personne », il me faut donner effet à l'objectif général de protection de la partie XXIV tout en poursuivant l'objectif spécifique inhérent du critère des sévices graves à la personne en liant la sanction à l'infraction sous-jacente et en assurant la réalisation de l'objectif de proportionnalité. Une interprétation trop stricte de l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » empêcherait le tribunal de renvoyer pour évaluation des délinquants susceptibles d'être dangereux et, partant, compromettrait l'objectif même de la protection de la société. De même, une interprétation indûment libérale de la même expression ferait en sorte que le critère des « sévices graves à la personne » permette moins bien de déterminer l'applicabilité ou l'inapplicabilité du régime, ce qui nuirait à l'objectif de proportionnalité.
[37] Le ministère public invoque l'arrêt Currie , où la Cour affirme que la reconnaissance de culpabilité d'une infraction de « sévices graves à la personne » « ne fait que déclencher le mécanisme prévu à [l'al. 753(1) b )]. En effet, il reste la deuxième étape de [l'al. 753(1) b )], au terme de laquelle le juge du procès doit, avant de pouvoir déclarer le délinquant en cause dangereux et lui infliger une peine de détention pour une période indéterminée, être convaincu hors de tout doute raisonnable que celui-ci présentera vraisemblablement un danger à l'avenir pour la société » ( Currie , par. 25). Cette remarque est formulée dans le contexte d'une déclaration de délinquant dangereux fondée sur l'al. 753(1) b ) — soit suite à la perpétration de l'une des infractions d'ordre sexuel énumérées à l'al. b ) de la définition des « sévices graves à la personne » à l' art. 752 —, mais le même raisonnement vaut pour l'al. 753(1) a ) selon lequel l'infraction sous-jacente doit « [être] à l'origine » des comportements antérieurs qui sous-tendent la menace que constitue le délinquant, ou être « associé[e] à » un comportement d'une nature particulièrement brutale invoqué pour prouver l'existence de la menace. Dans tous les cas, la peine est infligée en fonction d'actes ou de comportements antérieurs, mais elle ne peut être entièrement dissociée de l'infraction sous-jacente.
(3) L'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » ne suppose pas un degré de violence objectivement grave
[38] Dans l'arrêt Lyons (p. 324), la Cour affirme que les infractions qui causent des « sévices graves à la personne » constituent des « crimes violents très graves », ce qui atteste l'importance de ce critère pour le régime lorsqu'on le considère globalement. Certains tribunaux ont conclu de ces propos que, dans chaque cas, l'infraction sous-jacente doit elle-même justifier la peine infligée sous le régime de la partie XXIV. Il s'agit cependant d'une interprétation erronée de l'arrêt Lyons . La Cour a en effet précisé dans l'arrêt Currie , par. 28, que l'expression « crime violent très grave » a été utilisée pour renvoyer aux faits propres à l'affaire Lyons et qu'elle ne fait pas en sorte que toute infraction sous-jacente doive correspondre à cette qualification. L'infraction sous-jacente doit être grave, mais le législateur délimite précisément le degré de gravité exigé dans la définition des « sévices graves à la personne » qui figure à l' art. 752 .
[39] L'alinéa a ) de la définition énoncée à l' art. 752 exige premièrement que l'infraction soit une infraction punissable par mise en accusation, deuxièmement que son auteur soit passible d'un emprisonnement d'au moins 10 ans et, troisièmement, qu'elle comporte (i) l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne ou (ii) une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne. Au sous-alinéa a )(i), le sens du terme « violence » n'est pas circonscrit, si bien que la condition peut être remplie même lorsque la violence en cause n'est pas « grave » en soi (voir Goforth , par. 21; Lebar , par. 67; R. c. Smith , 2012 ONCA 645 (CanLII), par. 2). Le degré de gravité voulu par le législateur est atteint lorsque les trois éléments de la définition sont réunis. Ainsi, l'infraction qui comporte l'emploi ou une tentative d'emploi de la violence contre une autre personne ne constitue pas des « sévices graves à la personne » au sens de l'al. a ) de la définition lorsqu'elle n'est pas punissable par mise en accusation ou que son auteur n'est pas passible d'un emprisonnement d'au moins 10 ans. Au même titre que l'al. b ) de la définition n'invite pas le tribunal à apprécier le mode de perpétration des infractions énumérées, le sous-al. a )(i) ne l'invite pas à considérer la gravité de la violence que le délinquant a employée ou tenté d'employer; toute violence, quelle qu'elle soit, suffit.
[40] Cette interprétation s'intègre bien à la protection inhérente du critère des sévices graves à la personne qui consiste à déterminer l'applicabilité ou l'inapplicabilité du régime. Le délinquant qui commet une infraction punissable, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins 10 ans et comportant l'emploi ou une tentative d'emploi de la violence contre une autre personne commet ce que le législateur qualifie de « sévices graves à la personne ». Point n'est besoin de se demander en outre quelle est la gravité de la violence employée. Si le délinquant est renvoyé pour évaluation puis, sur la base d'actes et de comportements antérieurs, déclaré délinquant dangereux ou à contrôler, on ne peut prétendre qu'il a été « appréhendé à cause de ses actes criminels antérieurs (pour lesquels il a déjà été puni) ni à cause de craintes ou de soupçons quant à sa propension au crime, pour être ensuite soumis à une procédure visant à déterminer s'il valait mieux pour la société qu'il soit incarcéré indéfiniment » ( Lyons , p. 328). La peine découle plutôt « de la perpétration d'un crime précis dont les éléments ont été établis hors de tout doute raisonnable » ( ibid. ). Je me réfère également à l'arrêt Johnson , par. 23, où la Cour a rappelé que la procédure qui permet de déclarer qu'un délinquant est dangereux ou à contrôler fait partie du processus de détermination de la peine.
[41] Le cadre législatif permet au tribunal d'infliger une peine juste au délinquant dangereux qui a perpétré des sévices graves à la personne « sans devoir attendre [que ce dernier] frapp[e] à nouveau d'une manière particulièrement odieuse » ( Currie , par. 26). Pour les besoins du présent dossier, la jurisprudence confirme que l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » doit être interprétée selon son sens grammatical et ordinaire, à la lumière de son contexte législatif. Ni l'objectif du critère des sévices graves à la personne, ni celui de la partie XXIV ne justifient qu'on l'interprète comme si elle exigeait expressément la preuve d'un degré minimal de violence.
B. Le sens ordinaire du mot « violence » employé dans le Code criminel et dans d'autres textes législatifs
[42] La question de savoir ce qu'il faut entendre par « violence » est aussi ancienne que le droit criminel lui-même. Elle est d'ordre à la fois moral et juridique et il ne fait aucun doute que la conception que se fait la société de la violence a changé au gré de l'évolution des mœurs. Je ne tenterai pas — et je n'y suis pas tenu — de trancher la question de manière définitive. Cependant, pour interpréter les mots « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » qui figurent au sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne », je dois m'efforcer de cerner leur « sens ordinaire ». À cette fin, je m'appuie sur les définitions des dictionnaires et les interprétations judiciaires dans divers contextes du Code criminel et d'autres textes législatifs. Je fais état du conflit entre la définition de la violence axée sur le préjudice qui met l'accent sur les actes par lesquels une personne cause un préjudice ou tente ou menace de le faire, et celle axée sur le recours à la force qui s'attache plutôt à la matérialité de l'acte. S'appuyant sur le raisonnement de la Cour dans l'arrêt C.D. et sur les décisions rendues dans sa foulée, je conclus que la définition prédominante de la notion de violence est celle axée sur le préjudice.
[43] Dans l'arrêt C.D. , le juge Bastarache entreprend son analyse de la définition de la notion de « violence » en signalant l'existence d'un désaccord sur le sens grammatical et ordinaire du terme. Après avoir énoncé l'une des définitions des dictionnaires, à savoir [ traduction ] « [l]'emploi d'une force physique de manière à causer des blessures à des personnes ou des dommages à des biens » ( The Oxford English Dictionary (2 e éd. 1989), p. 654), il fait remarquer que la violence est habituellement définie en fonction non seulement de l'emploi de la force, mais aussi des effets de cet emploi. Ce désaccord se retrouve dans les définitions retenues par les tribunaux, comme l'explique la professeure Teresa Scassa :
Il est révélateur que le Code criminel , considéré comme étant la « bible » en matière de contrôle de la violence dans la société, ne donne aucune définition du mot « violence ». Il est surprenant de constater que, parmi tous les termes qu'emploie le Code, c'est celui « que l'on tient le plus pour acquis ». Les infractions jugées les plus « violentes », le meurtre et les voies de fait, par exemple, ne mentionnent pas le mot violence. On utilise plutôt des termes concrets et mesurables comme la « mort » et les « lésions corporelles ».
(T. Scassa, « Violence Against Women in Law Schools » (1992), 30 Alta . L. Rev. 809, p. 816, cité dans C.D. , par. 30.)
[44] J'ajoute que même les définitions des dictionnaires de la « violence » varient et renvoient tant à la notion de préjudice qu'à celle de recours à la force. Voici à titre d'exemple comment Le Petit Robert (nouvelle éd. 2012) définit l'expression « faire violence » : « agir sur [quelqu'un] ou le faire agir contre sa volonté, en employant la force ou l'intimidation » (p. 2717 (je souligne)). L'écart entre les définitions des dictionnaires et des tribunaux fait ressortir la nécessité d'une interprétation qui tient du contexte d'utilisation.
[45] Dans C.D. , la Cour était appelée à déterminer la portée des mots « infraction avec violence » employés à l' al. 39(1) a ) de la LSJPA aux fins de l'imposition d'un placement sous garde à de jeunes contrevenants. Le juge Bastarache a conclu que, dans le contexte de cette loi, l'« infraction avec violence » s'entend de « toute infraction commise par un adolescent et au cours de la perpétration de laquelle celui-ci cause des lésions corporelles ou bien tente ou menace d'en causer » (par. 17). La définition met l'accent sur les effets préjudiciables de la violence plutôt que sur la nature de la force employée. Dès lors, la menace de lésions corporelles est incluse même lorsqu'aucune force physique n'est employée. Le juge Bastarache explique que, dans le cas de la définition axée sur le préjudice, celui-ci s'entend à la fois du préjudice corporel et du préjudice psychologique, alors que, dans le cas de la définition axée sur le recours à la force, seule l'infraction dont la perpétration cause un préjudice et comporte soit le recours à la force, soit la tentative ou la menace d'y recourir, répond à la définition (par. 66). Cette dernière définition axée sur le préjudice écarte aussi certains actes qui pourraient par ailleurs relever du sens ordinaire du mot « violence ». Elle exclut à titre d'exemple les crimes contre les biens, même si on considère généralement qu'ils impliquent l'exercice d'une « violence » contre les biens (par. 33 et 51). Elle emporte de plus l'exclusion des agressions mineures lorsque l'agresseur ne cause pas de lésions corporelles, ni ne tente ou ne menace d'en causer, alors que la définition axée sur le recours à la force engloberait plutôt ce genre de voies de fait (par. 64).
[46] Dans l'arrêt C.D. , une partie du raisonnement de la Cour ne valait que pour l'interprétation de la loi en cause. Ainsi, le juge Bastarache a privilégié une définition axée sur le préjudice notamment pour englober certaines infractions — dont le meurtre commis sans recours direct à la force physique — qui, selon lui, doivent être visées par la définition d'« infraction avec violence », mais qui pourraient ne pas l'être si la définition était axée sur le recours à la force (par. 58-65). Il formule toutefois des observations générales à l'appui du choix d'une définition axée sur le préjudice. Il explique que pareille définition « cadre mieux » avec la « définition “courante” de [la] violence, laquelle est axée sur les effets (le préjudice) plutôt que sur les moyens employés pour produire ces effets (la force) » (par. 67). L'inclusion de la menace de lésions corporelles « va dans le même sens que l'opinion courante selon laquelle une menace de causer des lésions corporelles est fondamentalement un acte de violence » (par. 85). Il ajoute :
L'opinion que les menaces de causer des lésions corporelles sont essentiellement des actes de violence se fonde probablement sur le fait que la menace de causer des lésions corporelles peut souvent exercer la même fonction que l'infliction de lésions corporelles elle-même, en ce sens que les deux actes peuvent susciter chez la victime suffisamment de crainte pour permettre au contrevenant de réaliser son but : voir [ R. c. McCraw , [1991] 3 R.C.S. 72], p. 81-82. De ce point de vue, il est possible d'affirmer que, peu importe que le contrevenant menace de causer des lésions corporelles ou qu'il en cause réellement, dans les deux cas, il « fait acte de violence » pour parvenir à ses fins. [par. 85]
Je fais miennes ces remarques du juge Bastarache, et je note que la définition axée sur le préjudice qu'il formule est confirmée par quelques décisions récentes de la Cour rendues dans différents contextes, y compris ceux de la profération de menaces, de l'exception à la liberté d'expression en cas de violence et du vol qualifié.
[47] En premier lieu, selon un arrêt récent portant sur la profération de menaces visée à l' al. 264.1(1) a ) du Code criminel , la menace de violence est intrinsèquement violente et ne constitue pas seulement un moyen d'informer d'une violence à venir. Dans R. c. McRae , 2013 CSC 68, [2013] 3 R.C.S. 931, la Cour confirme les éléments de l'infraction qui consiste à proférer des menaces :
[I]l n'est pas nécessaire de prouver que les menaces ont été transmises à leurs destinataires (acte prohibé) ou que l'accusé voulait que les menaces soient ainsi transmises (élément de faute). En outre, il n'est pas nécessaire de prouver que quelqu'un a effectivement été intimidé par les menaces (acte prohibé) ou que l'accusé avait l'intention expresse d'intimider quelqu'un (élément de faute). La notion de « cercle fermé » est donc non fondée en droit. Les menaces sont des outils d'intimidation et de violence. Pour cette raison, dans toute situation où les menaces sont exprimées dans l'intention qu'elles soient prises au sérieux, même à des tiers, les éléments de l'infraction seront établis. [Je souligne; par. 24.]
Autrement dit, l'acte qui consiste à menacer de blesser peut lui-même constituer un acte de violence, même lorsque la menace n'est pas transmise à l'intéressé ou que son auteur ne veut pas qu'elle soit ainsi transmise, pour autant qu'il veuille qu'elle soit prise au sérieux.
[48] Signalons au passage que l'infraction de proférer des menaces créée à l' al. 264.1(1) a ) ne constitue pas pour autant des « sévices graves à la personne ». Même lorsqu'il est établi qu'elle comporte la violence exigée au sous-al. a )(i) de la définition (à savoir, « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence »), l'infraction n'est pas punissable d'un emprisonnement de 10 ans et ne revêt donc pas le degré de gravité requis ( al. 264.1(2) a )).
[49] Deuxièmement, dans l'arrêt C.D. , le juge Bastarache se penche sur les arrêts de la Cour relatifs à la liberté d'expression et sur la question de savoir si la menace de violence sort du champ de la garantie constitutionnelle de la liberté d'expression (par. 31). Dans R. c. Keegstra , [1990] 3 R.C.S. 697, le juge en chef Dickson conclut que seule « l'expression qui se manifeste directement par un préjudice corporel » peut être assimilée à de la violence et doit être privée de ce fait de la protection de l' al. 2 b ) de la Charte canadienne des droits et libertés (p. 732). Avant l'arrêt R. c. Khawaja , 2012 CSC 69, [2012] 3 R.C.S. 555, la jurisprudence ne permettait pas de savoir avec certitude si l'« exception de la violence » s'appliquait ou non à la menace de violence. Dans cet arrêt, tout doute a été écarté à cet égard, et la juge en chef McLachlin a mentionné que « [l]a jurisprudence de la Cour milite en faveur de l'inapplication de la liberté d'expression garantie par l' al. 2 b ) non seulement à la violence, mais aussi à la menace de violence » (par. 70). La raison d'être de cette exception à la protection de l' al. 2 b ) dans le cas d'une expression transmise par la violence physique vaut également pour la menace de violence.
[50] Troisièmement, dans l'arrêt C.D. , le juge Bastarache examine les différentes déclinaisons du vol qualifié suivant l' art. 343 . Concernant l' al. 343 b ) , il dit que, pour les tribunaux, dans l'expression « blesse, bat ou frappe cette personne ou se porte à des actes de violence contre elle », la « violence contre [la personne] » ne s'entend pas de simples voies de fait à strictement parler. À l'opposé, les tribunaux ont estimé que l'expression « emploie la violence ou des menaces de violence » figurant à l' al. 343 a ) s'entend de simples voies de fait (par. 32). Si l'on met brièvement de côté les éléments techniques invoqués à l'appui de l'interprétation de chacune des dispositions, on remarque que le législateur inclut la menace de violence parmi les actes de violence qui transforment un vol en vol qualifié. À cet égard, je souscris aux observations suivantes du juge Epstein dans Lebar : [ traduction ] « L' alinéa 343 a ) s'applique au vol qualifié commis avec violence. Il s'agit assurément d'un crime violent, la violence constituant un élément essentiel de l'infraction aux termes de cette disposition » (par. 33).
[51] Il appert de ce bref survol de l'interprétation judiciaire du mot « violence » qu'elle met l'accent sur le préjudice ou sur la tentative ou la menace de causer un préjudice, plutôt que sur la force employée. Je ne suggère pas que la violence doit toujours être définie en fonction du préjudice, car le contexte est crucial. Comme je l'explique au par. 65 des présents motifs, il peut arriver que la présomption d'uniformité d'expression soit clairement réfutée par d'autres principes d'interprétation, de sorte que le sens voulu par le législateur peut varier d'une loi à l'autre, voire, dans certaines situations, d'une disposition à l'autre (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5 e éd. 2008), p. 222). Cependant, à moins que le contexte ou l'objet de la loi n'indique qu'il en va autrement, la « violence » se définit surtout en fonction du préjudice et elle englobe le fait de causer un préjudice ou de tenter ou de menacer d'en causer un.
C. Le contexte législatif appuie une définition axée sur le préjudice qui englobe la menace de violence
[52] Ayant établi que les thèses axées sur l'objet s'opposent entre elles, de sorte qu'il faut se pencher sur le sens ordinaire des mots et sur le contexte législatif, et que le sens ordinaire milite généralement en faveur d'une définition de la violence axée sur le préjudice qui englobe la menace, j'examinerai maintenant plus précisément le contexte. Au final, l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » doit voir sa portée déterminée en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée ( C.D. , par. 33; Lebar , par. 38).
[53] À l'heure actuelle, la définition des « sévices graves à la personne » ne vaut qu'aux fins du régime suivant lequel un délinquant peut être déclaré dangereux ou à contrôler (partie XXIV du Code criminel ), mais tel n'a pas toujours été le cas. De 2007 à 2012, l' art. 742.1 du Code criminel renvoyait à cette définition pour écarter l'imposition à certains délinquants d'une peine d'emprisonnement avec sursis. Lorsqu'ils ont interprété la définition à cette fin, certains tribunaux ont expliqué que le contexte dans lequel s'inscrivait l' art. 742.1 commandait une méthode d'interprétation différente (voir p. ex. Lebar ; R. c. Goulet , 2011 ABCA 230, 52 Alta. L.R. (5th) 241). Je le mentionne au passage, car même si une partie de la jurisprudence relative aux « sévices graves à la personne » a évolué dans ce contexte, la définition de ces derniers n'a plus d'incidence sur l'imposition d'une telle peine, de sorte qu'elle doit maintenant être interprétée seulement dans le cadre du régime de déclaration de délinquant dangereux ou à contrôler.
[54] M. Steele et la Cour d'appel s'appuient beaucoup sur le contexte et les principes d'interprétation législative pertinents, dont la présomption d'absence de tautologie et celle d'uniformité d'expression. Voici quelles sont les prétentions sur lesquelles je dois statuer. Premièrement, les mots « conduite [. . .] ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves » employés au sous-al. a )(ii) de la définition des « sévices graves à la personne » seraient redondants si les mots « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » figurant au sous-al. a )(i) n'étaient pas interprétés strictement. Deuxièmement, selon la Cour d'appel, il appert de l'absence du vol qualifié parmi les infractions énumérées à l'al. b ) de la définition que tout vol qualifié ne constitue pas des sévices graves à la personne. Troisièmement, elle estime que, vu la mention de l'emploi de la violence et des menaces de violence dans la définition du vol qualifié à l' al. 343 a ) , force est de conclure qu'il y a automatiquement une différence entre les deux, de sorte que, selon la présomption d'uniformité d'expression, la mention de l'emploi de la violence pour définir les sévices graves à la personne exclut les menaces de violence. En toute déférence, je suis en désaccord avec chacune de ces affirmations, et ce, pour les raisons suivantes.
(1) Sous-alinéa a )(ii) de la définition des « sévices graves à la personne » ( art. 752 )
[55] Le sous-alinéa a )(ii) de la définition des « sévices graves à la personne » renvoie à la « conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne ». M. Steele soutient qu'accroître la portée du sous-al. a )(i) ferait tomber sous le coup de la définition des cas de figure bien moins graves que la conduite visée au sous-al. a )(ii), ce qui rendrait redondant le volet « dommages psychologiques graves » de la définition. Si l'on pousse l'argument un peu plus loin, on pourrait même prétendre que le sous-al. a )(ii) cible l'activité violente selon le préjudice qu'elle inflige ou les effets qu'elle cause, soit le danger pour la vie ou la sécurité ou les dommages psychologiques graves, alors que le sous-al. a )(i) cible l'activité violente sur la base de la force employée, c'est-à-dire l'emploi ou la tentative d' emploi de la violence.
[56] En toute déférence, l'examen de l'interaction entre les sous-al. a )(i) et (ii) de la définition m'amène à conclure le contraire. D'abord, rien n'indique que les différents volets de la définition des « sévices graves à la personne » qui figure à l' art. 752 sont mutuellement exclusifs (voir R. c. J.Y. (1996), 141 Sask. R. 132 (C.A.), par. 22). Au contraire, je peux concevoir de nombreux cas où une infraction causant les préjudices visés au sous-al. a )(ii) impliquerait aussi clairement « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence ». Il en va de même de l'al. b ) de la définition, qui énumère un certain nombre d'infractions d'ordre sexuel qui constituent des « sévices graves à la personne ». Évidemment, ces infractions satisferont en outre souvent aux conditions de nature qualitative énoncées aux sous-al. a )(i) et (ii). Le fait qu'une interprétation proposée fait tomber certaines infractions sous le coup de plusieurs volets de la définition ne justifie pas en soi que l'on restreigne la portée de celle-ci pour éviter ces chevauchements.
[57] En outre, à supposer que la redondance soit problématique en l'espèce, je suis d'avis que, par son interprétation du sous-al. a )(i) de la définition, la Cour d'appel accroît la redondance au lieu de l'atténuer. Son interprétation selon laquelle « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » ne peut s'entendre que d'une action concrète ou d'un danger emporte une quasi-identité avec la « conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne » (sous-al. a )(ii)). La Cour d'appel a décidé que la menace doit s'accompagner de « quelque action concrète » pour équivaloir à une tentative d'emploi de la violence : [ traduction ] « [I]l doit y avoir quelque indication qu'une personne court un danger à la fois clair et imminent ou quelque geste évident en vue de l'emploi réel de la violence contre elle pour qu'une menace de violence constitue également une tentative d'emploi de la violence » (par. 85). Le juge en chef Scott fait sien le raisonnement du tribunal dans Thompson , où l'on établit, entre la menace violente et la menace non violente une distinction semblable fondée sur la proximité avec la « perpétration réelle de la violence » (par. 77). À mon humble avis, il s'agit d'une interprétation qui limite artificiellement le sens ordinaire de la violence axé sur le préjudice pour les besoins du sous-al. a )(i) et qui transforme cette disposition en réplique du volet de dangerosité du sous-al. a )(ii). Comme le dit le juge Bastarache dans l'arrêt C.D. , « [l]a distinction entre un comportement violent et un comportement dangereux est clairement énoncée [. . .] à l' art. 752 » (par. 79).
[58] Certes, mon interprétation a pour effet de faire tomber sous le coup du sous-al. a )(i) certaines infractions dont la perpétration inflige des dommages psychologiques bénins, mais elle ne rend pas pour autant redondant le renvoi aux « dommages psychologiques graves » du sous-al. a )(ii). Autrement dit, la mise en danger et les dommages psychologiques graves auxquels renvoie le sous-al. a )(ii) de la définition ne constituent pas seulement un sous-ensemble de « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence ». À mon avis, les deux dispositions sont qualitativement différentes, notamment en raison du degré d'intention requis. Le sous-alinéa a )(i) vise les actes violents — « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence » — et requiert une intention violente de la part du délinquant. Ce volet de la définition s'applique au délinquant qui cause, tente ou menace de causer un préjudice intentionnellement . La menace, elle, est également visée en raison de l' intention de son auteur qu'elle soit prise au sérieux. À l'opposé, le sous-al. a )(ii) ne s'attache qu'aux effets de la conduite. Il ne mentionne pas la violence de manière générale, ni même l'intention. De nombreux tribunaux ont donc estimé à juste titre qu'il s'appliquait à l'infraction comportant de la négligence — à titre d'exemple, la conduite dangereuse d'un véhicule à moteur, d'un bateau ou d'un aéronef causant des lésions corporelles ( par. 249(3) ) — au motif qu'elle entraînait l'un des effets mentionnés (voir p. ex. Cepic ; R. c. O'Keefe , 2011 NLCA 41, 309 Nfld. & P.E.I.R. 253). À l'inverse, sans pour autant me prononcer sur la question, j'ai de la difficulté à concevoir qu'une infraction fondée sur la négligence puisse inclure « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence ».
[59] Signalons que, dans l'arrêt C.D. , le juge Bastarache a exclu de la définition d'une « infraction avec violence » l'infraction au cours de laquelle l'infliction de lésions corporelles doit seulement être raisonnablement prévisible. Il s'en explique comme suit. « [J]e ne suis pas en faveur de l'inclusion de l'aspect “prévisibilité raisonnable des lésions corporelles” dans la définition parce que, à mon avis, la probabilité qu'une infraction entraîne des lésions corporelles dépend vraiment de sa dangerosité plutôt que de sa violence. Ce sont deux concepts totalement distincts » (par. 79 (je souligne)). Il invoque l' art. 752 à l'appui.
[60] Pour conclure, l'interprétation du sous-al. a )(i), axée sur le préjudice et selon laquelle une menace de violence constitue une forme d'emploi de la violence, n'est pas incompatible avec les éléments de mise en danger et de dommages psychologiques mentionnés au sous-al. a )(ii) de la définition.
(2) Alinéa b ) de la définition
[61] J'ai déjà brièvement analysé la thèse selon laquelle l'absence du vol qualifié parmi les infractions énumérées à l'al. b ) de la définition est un élément à considérer pour déterminer l'intention du législateur. En toute déférence, cette thèse repose sur deux fausses prémisses. Premièrement, le vol qualifié peut être perpétré par la profération de menaces de violence contre des biens, une possibilité qu'exclut clairement la définition des sévices graves à la personne, de sorte que le législateur ne pouvait assimiler expressément le vol qualifié à des sévices graves à la personne même s'il tenait la profération de menaces pour de la violence. Deuxièmement, le législateur établit expressément à l'al. b ) que trois infractions d'ordre sexuel constituent des « sévices graves à la personne ». Rien n'indique que le législateur a voulu énumérer exhaustivement toutes les infractions qui constituent toujours des « sévices graves à la personne ». Dans l'arrêt Currie , la Cour dit plutôt que l'al. b ) a pour objet de préciser que les infractions d'ordre sexuel énumérées, quelle que soit la forme qu'elles revêtent, sont intrinsèquement graves et peuvent donner lieu à une demande de déclaration de délinquant dangereux (par. 22).
[62] Le législateur n'a certainement pas énuméré ces infractions d'ordre sexuel parce qu'elles ne sont pas visées par ailleurs par l'expression « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence ». Selon toute vraisemblance, il a voulu préciser qu'elles constituent des sévices graves à la personne dans tous les cas, même lorsqu'elles sont commises sans grande force physique, sans entraîner de lésions corporelles. De plus, l'idée que, par l'adoption de l'al. b ), le législateur a écarté l'interprétation étroite susceptible d'exclure certaines infractions d'ordre sexuel est parfaitement compatible avec mon interprétation du sous-al. a )(i), à savoir que pareille interprétation étroite ne s'applique pas en contexte de menaces de violence.
(3) Alinéa 343 a )
[63] La Cour d'appel insiste beaucoup sur la nécessité d'une interprétation uniforme de l' al. 343 a ) et du sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne ». Cet argument est attrayant au premier abord. En voici le résumé. L' alinéa 343 a ) parle d'emploi de la violence et de recours à des menaces de violence. Le sous-alinéa a )(i) de la définition parle d'emploi de la violence et de tentative d'emploi de la violence. Les menaces de violence ne sont pas mentionnées au sous-al. a )(i). Si on interprète l'al. 343 a ) de manière disjonctive, il y a nécessairement une différence entre l'emploi de la violence et le recours aux menaces de violence. Dès lors, la question est de savoir si l'expression « emploie [. . .] des menaces de violence » utilisée à l' al. 343 a ) est équivalente à celle utilisée au sous-al. a )(i) de la définition, à savoir « tentative d'emploi [. . .] de la violence ». La Cour d'appel invoque la présomption selon laquelle le recours du législateur à des termes différents suppose qu'il a voulu créer des sens différents, et le principe selon lequel, dans une loi, un mot a le même sens chaque fois qu'il y est employé.
[64] En toute déférence, j'estime que l'argument est indûment technique et fait abstraction de tout le contexte dans lequel les termes « emploie la violence » et « emploi [. . .] de la violence » figurent dans chacune des dispositions. Premièrement, l'argument s'appuie sur une interprétation strictement disjonctive des mots « emploie la violence ou des menaces de violence » utilisés à l' al. 343 a ) , ce qui suggère que les mots « violence » et « menaces de violence » ont des sens différents. Or, à l' al. 343 b ) , l'énumération « blesse, bat ou frappe [. . .] ou se porte à des actes de violence » n'est manifestement pas disjonctive, et l'expression « se porte à des actes de violence » englobe les autres actes énumérés. À mon avis, il appert des données contextuelles qu'offre l' al. 343 b ) que le législateur a fort bien pu inclure les menaces de violence à l' al. 343 a ) afin de bien préciser qu'elles font partie des actes de violence qui constituent un vol qualifié selon la définition (voir Sullivan, p. 214).
[65] Deuxièmement, même une interprétation strictement disjonctive de l'expression « emploie la violence ou des menaces de violence » utilisée à l' al. 343 a ) ne mène pas forcément à la conclusion que « l'emploi [. . .] de la violence » dont fait mention le sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » s'entend des mêmes actes que ceux visés par l'expression « emploie la violence » utilisée à l' al. 343 a ) . Les deux dispositions figurent dans des parties du Code criminel indépendantes l'une de l'autre et chacune est dotée d'une raison d'être et d'un historique distincts. Ruth Sullivan relève que [ traduction ] « [c]ertains textes législatifs, comme les lois sur les assurances ou le Code criminel , sont fréquemment modifiés au fil des décennies. Il n'est donc guère étonnant que le législateur emploie par inadvertance des termes différents dans une même loi. Il est encore plus probable qu'il le fasse dans le corpus législatif dans son ensemble » (p. 222). Si on interprétait l'al. 343 a ) de manière disjonctive, l'emploi de la violence devrait s'entendre du recours à la violence physique pour que les menaces de violence échappent à la définition. Or, il appert de l'analyse qui précède que la « violence » ne s'entend pas de la seule violence physique pour l'application du Code criminel ou d'autres textes législatifs. À titre d'exemple, dans McRae , la Cour dit (au par. 24) que les menaces sont en elles-mêmes des « outils d'intimidation et de violence » dans le contexte de l' al. 264.1(1) a ). Partant, même si, à l' al. 343 a ) , la « violence » s'entendait du recours à la force — « emploie la violence [ physique ] ou des menaces de violence [ physique ] » —, il demeurerait loisible au tribunal d'interpréter le même mot employé au sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » d'une manière qui tient compte du contexte.
[66] En somme, je suis d'avis que les menaces de violence proférées contre une personne (et non contre des biens) qui suffisent pour faire déclarer leur auteur coupable de vol qualifié en application de l' al. 343 a ) satisfont à la condition qu'est « l'emploi [. . .] de la violence » énoncée au sous-al. a )(i) des « sévices graves à la personne ». Ce point de vue cadre avec l'interprétation large de la notion de vol qualifié, à savoir qu'il s'agit d'un vol commis avec violence.
D. Conclusion : le vol qualifié dont la perpétration comporte des menaces de violence contre une personne constitue des « sévices graves à la personne »
[67] Les vols qualifiés ne constituent pas tous des « sévices graves à la personne ». Le vol qualifié commis avec violence ou menace de violence contre des biens est clairement exclu. Lorsqu'il est perpétré par l'emploi de la violence contre une personne , il est clairement inclus. En l'espèce, le vol qualifié s'est accompagné de menaces de violence contre une personne, et tant la juge du procès que la Cour d'appel ont tenté de départager l'un et l'autre. Non disposée à conclure catégoriquement que les menaces n'étaient pas violentes, la Cour d'appel a décidé que certaines menaces, mais pas toutes, sont violentes. La seule menace verbale ne suffit pas : [ traduction ] « [I]l doit y avoir quelque indication qu'une personne court un danger à la fois clair et imminent ou quelque geste évident en vue de l'emploi réel de la violence » (par. 85 (je souligne)).
[68] Je rejette ce point de vue pour les nombreuses raisons déjà exposées. En bref, proférer des menaces de violence constitue en soi une forme de violence, et les prétentions de l'intimé axées sur le contexte ne me convainquent pas d'en faire abstraction pour interpréter le sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne ».
[69] Enfin, l'interprétation préconisée par la Cour d'appel aurait des conséquences non souhaitables. Pour distinguer entre les menaces violentes et celles qui ne le sont pas, la Cour d'appel renvoie à un certain nombre d'affaires où les tribunaux, aux prises avec la même question, ont décidé que ni la menace de « gifler » l'employé d'une entreprise d'encaissement de chèques ( Thompson ), ni le fait de brandir un bâton de baseball de manière menaçante en affrontant deux policiers ( Roy ), ni le fait de dire [ traduction ] « [l]'argent et les cigarettes dans le sac » en menaçant tacitement l'interlocuteur de violence en cas de désobéissance ( Jolicoeur , par. 25) ne satisfont au critère qu'est « l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence », car ils ne s'accompagnent pas de l'action concrète ou du danger requis. Par contre, les tribunaux ont estimé que le fait d'exhiber un couteau et de le tenir près de la victime faisait en sorte que le vol qualifié satisfasse à la condition malgré l'absence de préjudice corporel ( Lebar ). On pourrait énumérer d'autres exemples où le juge a entrepris de distinguer la menace violente de celle qui ne l'est pas au regard des faits de l'espèce. Cependant, je conclus au final que la tâche est non seulement ardue, mais également inutile.
[70] La solution retenue par la Cour d'appel va à l'encontre des principes d'interprétation législative examinés précédemment. Elle est de nature à causer des difficultés innombrables au juge du procès désireux d'établir la distinction insaisissable entre la menace intrinsèquement violente et celle qui ne l'est pas. Enfin, j'estime qu'elle va à l'encontre du sens ordinaire et de l'objet de la disposition. Toute menace de violence est en soi violente, même lorsque la gravité de la violence se révèle minime. En cherchant à distinguer entre la menace violente et celle qui ne l'est pas, les tribunaux voient dans la disposition l'exigence d'un degré minimal de violence objective, ce qui contredit le texte clair du sous-al. a )(i) de la définition, lequel requiert certes la violence, mais non la violence grave. Pareille interprétation risque de compromettre l'objectif général de la partie XXIV en empêchant les tribunaux de renvoyer pour évaluation des délinquants potentiellement dangereux.
[71] Lorsqu'il a commis le vol qualifié et menacé les préposées à la caisse en leur disant [ traduction ] « [j]'ai une arme », M. Steele a employé la violence contre une autre personne au sens du sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne ».
VI. Dispositif
[72] Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi sans dépens. M. Steele a été déclaré coupable de vol qualifié selon l' al. 343 a ) , une infraction qui satisfait à la condition énoncée au sous-al. a )(i) de la définition des « sévices graves à la personne » figurant à l' art. 752 . Puisque le respect des autres conditions auxquelles le ministère public peut demander un renvoi pour évaluation n'est pas contesté, je suis d'avis d'accueillir la demande et d'ordonner le renvoi pour évaluation de M. Steele en application du par. 752.1(1) .
Pourvoi accueilli.
Procureur de l'appelante : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.
Procureurs de l'intimé : Walsh & Company, Winnipeg; Aide juridique Manitoba, Winnipeg.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario : Procureur général de l'Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2014 CSC 61 ?
Date de la décision : 09/10/2014
Proposition de citation de la décision: R. c. Steele


Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2014-10-09;2014.csc.61 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award