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25/06/2015 | CANADA | N°2015_CSC_36

Canada | Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Bisson inc.


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Bisson inc., 2015 CSC 36
Date : 20150625
Dossier : 35461

Entre :
Société en commandite Place Mullins et 139612 Canada inc.
Appelantes
et
Services immobiliers Diane Bisson inc.
Intimée


Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement :
(par. 1 à 28)

Le juge Wagner (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rot

hstein, Cromwell, Gascon et Côté)
Appel entendu et jugement rendu : Le 18 mars 2015

Motifs déposés : Le 25 juin...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Bisson inc., 2015 CSC 36
Date : 20150625
Dossier : 35461

Entre :
Société en commandite Place Mullins et 139612 Canada inc.
Appelantes
et
Services immobiliers Diane Bisson inc.
Intimée


Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement :
(par. 1 à 28)

Le juge Wagner (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Cromwell, Gascon et Côté)
Appel entendu et jugement rendu : Le 18 mars 2015

Motifs déposés : Le 25 juin 2015

Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .



place mullins c. serv. immobiliers diane bisson inc.
Société en commandite Place Mullins et
139612 Canada inc. Appelantes
c.
Services immobiliers Diane Bisson inc. Intimée
Répertorié : Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Bisson inc.
2015 CSC 36
N o du greffe : 35461.
Audition et jugement : 18 mars 2015.
Motifs déposés : 25 juin 2015.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Wagner, Gascon et Côté.
en appel de la cour d'appel du québec
Contrats — Contrat de courtage — Commission — Contrat de courtage stipulant le droit du courtier au paiement de la commission lorsqu'une entente visant à vendre l'immeuble est conclue ou lorsqu'un acte volontaire du vendeur empêche la libre exécution du contrat — Sol de l'immeuble des promettant‑vendeurs contaminé — Promettant‑acheteur se déliant de sa promesse initiale et soumettant une nouvelle offre — Offre refusée par les promettant‑vendeurs — Le courtier a-t-il droit au paiement de sa commission?
Les promettant‑vendeurs ont signé avec une entreprise de courtage un contrat de courtage exclusif, établi au moyen d'un formulaire standard de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, en vertu duquel ils lui ont confié le mandat de vendre leur immeuble. Selon les termes du contrat, l'obligation des promettant‑vendeurs de payer la commission de l'entreprise de courtage prend naissance, entre autres, lorsqu'une « entente visant à vendre l'immeuble » est conclue pendant la durée du contrat ou dans l'éventualité où « un acte volontaire du vendeur empêche la libre exécution du contrat ». Les promettant‑vendeurs ont initialement accepté une promesse d'achat obtenue par l'entreprise de courtage. Cette promesse d'achat accordait au promettant‑acheteur une faculté de dédit lui donnant le droit de révoquer la promesse s'il n'était pas entièrement satisfait des résultats d'une vérification diligente de l'immeuble. Après avoir découvert une contamination environnementale potentielle affectant l'immeuble, le promettant‑acheteur a réitéré auprès des promettant‑vendeurs son intention d'acheter l'immeuble, mais à la condition qu'ils le décontaminent à leurs frais. Les promettant‑vendeurs ont refusé et la vente de l'immeuble ne s'est jamais concrétisée. L'entreprise de courtage a réclamé des promettant‑vendeurs le montant de la commission prévu au contrat de courtage, mais la Cour supérieure a rejeté la demande. Dans une décision partagée, la Cour d'appel a infirmé ce jugement et a accueilli le pourvoi.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
En principe, malgré l'existence d'une condition résolutoire, dès la signature du contrat, les obligations sont nées et exigibles, comme si elles étaient pures et simples. Ainsi, même si elle peut être résolue, une promesse d'achat lie les parties dès sa conclusion. Toutefois, tant et aussi longtemps qu'une promesse d'achat ne lie pas inconditionnellement le promettant-acheteur et le promettant‑vendeur, et qu'il n'est pas encore possible à l'un ou à l'autre d'exercer l'action en passation de titre, il n'y a pas d'« entente visant à vendre l'immeuble » aux termes du contrat de courtage. Dans le présent cas, l'inspection environnementale ayant révélé que le sol était contaminé et le promettant‑acheteur ayant exprimé clairement son intention de ne pas conclure de vente tant et aussi longtemps que la propriété ne serait pas décontaminée aux frais des promettant‑vendeurs, le promettant‑acheteur s'est délié de la promesse initiale et a soumis une nouvelle offre d'achat. La promesse d'achat initiale n'est jamais devenue inconditionnelle et la nouvelle offre du promettant‑acheteur n'a jamais été acceptée. Aucune entente visant à vendre l'immeuble n'a donc été conclue et l'entreprise de courtage n'avait pas droit au paiement de la commission.
L'obligation de payer la commission n'a pas non plus pris naissance en raison d'un acte volontaire des promettant‑vendeurs empêchant la libre exécution du contrat de courtage. Aux termes de la promesse d'achat, les promettant‑vendeurs n'avaient ni l'obligation de décontaminer leur propriété, ni l'obligation de négocier à nouveau les conditions de la promesse d'achat initiale. Comme ils ignoraient la contamination au moment de la conclusion du contrat de courtage, on ne peut conclure qu'ils ont, par une faute de leur part, empêché la réalisation de la vente. Bien que le contrat de courtage contenait une déclaration de la part des promettant‑vendeurs que l'immeuble était conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l'environnement, les déclarations énoncées dans le contrat de courtage ne peuvent, en l'absence de preuve de mauvaise foi, étayer à elles seules la prétention que les promettant‑vendeurs ont volontairement empêché la libre exécution du contrat. De plus, ces déclarations ne sont pas des garanties et le régime des garanties légales ne pouvait jouer, étant donné qu'aucune vente n'avait été conclue. Suivant l'art. 1396 du Code civil du Québec , la promesse d'achat acceptée n'équivaut pas à la vente et n'engendre aucun des effets de cette dernière. En somme, les promettant‑vendeurs n'ont pas commis de faute relativement aux obligations qui leur incombaient tant en vertu de la promesse d'achat que du contrat de courtage.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : H.W. Liebig & Co. c. Leading Investments Ltd. , [1986] 1 R.C.S. 70; Royal Lepage des Moulins Inc. c. Baril , 2004 CanLII 29347; Mutuelle des fonctionnaires du Québec c. Immeubles G.C. Gagnon inc. , 1997 CanLII 10674; 9118‑7781 Québec inc. (Groupe Sutton Millénia) c. Lerer , 2012 QCCA 430, [2012] R.J.Q. 331; Remax Alliance c. Placements Jabena inc. , 2007 QCCQ 12756; Racicot c. Mercier , [1968] B.R. 975.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec , art. 1396, 1503, 1723, 1725.
Doctrine et autres documents cités
Jobin, Pierre‑Gabriel, avec la collaboration de Michelle Cumyn. La vente , 3 e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007.
Lluelles, Didier, et Benoît Moore. Droit des obligations , 2 e éd., Montréal, Thémis, 2012.
Richard, Henri. Le courtage immobilier au Québec : Droits et obligations des agences, courtiers et clients , 3 e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (les juges Pelletier et Fournier et le juge Gagnon ( ad hoc )), 2013 QCCA 868, [2013] AZ‑50964779, [2013] J.Q. n o 4684 (QL), 2013 CarswellQue 4404 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Paquette, 2011 QCCS 1930, [2011] AZ‑50745003, [2011] J.Q. n o 4261 (QL), 2011 CarswellQue 4091 (WL Can.). Pourvoi accueilli.
Vlatka (Carol) Kljajo et Gabriel Di Genova , pour les appelantes.
Pierre‑G. Champagne , pour l'intimée.


Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge Wagner —
I. Introduction
[1] La rétribution d'un courtier immobilier est à bien des égards aléatoire. Comme l'exprimait le juge La Forest dans l'arrêt H.W. Liebig & Co. c. Leading Investments Ltd. , [1986] 1 R.C.S. 70, le contrat de courtage ressemble à un permis de chasse en ce que, « tout comme à la chasse, le courtier peut consacrer beaucoup de temps et d'efforts sans toutefois atteindre son objectif » (p. 80.). La présente affaire en est une parfaite illustration.
[2] En l'espèce, l'entreprise de courtage Services immobiliers Diane Bisson inc. (l'« intimée ») réclame à la Société en commandite Place Mullins et à 139612 Canada inc. (les « appelantes ») le montant de la commission prévu au contrat de courtage, même si l'immeuble dont il est question n'a pas été vendu pendant la durée de ce contrat. Initialement, l'intimée a soutenu, comme moyen principal, qu'une entente visant la vente de l'immeuble avait été conclue par les appelantes et le promettant-acheteur, David Douek, et, comme moyen subsidiaire, que les appelantes avaient empêché, par leur inaction, la libre exécution du contrat de courtage.
[3] Bien qu'elles aient admis que, si l'une ou l'autre de ces situations était avérée, elles seraient obligées de verser la commission, les appelantes ont cependant affirmé qu'aucune ne s'était réalisée. Il y avait essentiellement deux questions en litige :
1) Est-ce qu'une « entente visant à vendre l'IMMEUBLE » aux termes de la clause 6.1(3°) du contrat de courtage a été validement conclue?

2) Les appelantes ont-elles, suivant la clause 6.1(4°), volontairement empêché la libre exécution du contrat de courtage?
[4] Devant la Cour supérieure et la Cour d'appel, le débat a surtout porté sur la première de ces deux questions. Devant notre Cour, l'intimée a concédé que M. Douek s'était prévalu de la condition résolutoire et qu'en conséquence aucune entente visant la vente de l'immeuble n'avait effectivement été conclue. Ainsi, le moyen subsidiaire plaidé devant la Cour supérieure et la Cour d'appel est devenu l'argument principal dans le cadre du pourvoi devant notre Cour.
[5] Toutefois, malgré la concession de l'intimée selon laquelle aucune entente visant à vendre l'immeuble n'a été conclue, je vais examiner à la fois cet argument fondé sur la clause 6.1(3°) et celui concernant l'obstacle à la libre exécution du contrat fondé sur la clause 6.1(4°). En partie pour les motifs énoncés par la juge Paquette de la Cour supérieure (2011 QCCS 1930) et par le juge Fournier de la Cour d'appel (2013 QCCA 868), je suis d'avis que les arguments de l'intimée ne peuvent être retenus et que le pourvoi doit être accueilli.
II. Contexte factuel
[6] Le 8 septembre 2007, les appelantes signent avec l'intimée un contrat de courtage exclusif, en vertu duquel elles lui confient le mandat de vendre leur immeuble. Le prix de vente demandé est de 3 420 000 $, compte tenu des modifications du 19 septembre 2007. Le contrat est établi au moyen d'un formulaire standard de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, lequel précise, à la clause 6.1, les situations qui font naître l'obligation des appelantes de payer la commission. J'en reproduis les portions pertinentes :
6.1 Le VENDEUR versera au COURTIER une rétribution de :

Cinq pour cent (5% + TPS + TVQ) du prix fixé pour la vente, dans les cas prévus en 1°, 2° et 3 o ci-dessous, ou du prix [de vente demandé] dans le cas prévu en 4° ci-dessous [. . . ] :

. . .

3 o si une entente visant à vendre l'IMMEUBLE est conclue pendant la durée du contrat, que ce soit par ou sans l'intermédiaire du COURTIER; ou

4 o si un acte volontaire du VENDEUR empêche la libre exécution du contrat.

(d.a., vol. II, p. 154)
[7] Le 30 novembre 2007, l'intimée fait signer par M. Douek une promesse d'achat au montant de 3 260 000 $. Cette promesse prévoit que les appelantes remettront à M. Douek certains documents lui permettant de procéder à une vérification diligente et que, dans le cadre de ce processus, celui-ci fournira une étude environnementale :
4.0 OBLIGATIONS – DÉCLARATIONS ET AUTRES CONDITIONS

4.1- DOCUMENTS DE PROPRIÉTÉ : Le VENDEUR devra fournir : a ) un bon titre de propriété libre de toutes charges et autres droits réels, sauf ceux déclarés aux présentes et sauf les servitudes usuelles d'utilité publique; b ) tous les titres qu'il peut avoir en sa possession; [. . .] et k ) tous autres documents pertinents à la vérification diligente de l'immeuble .

. . .

4.14- AUTRES CONDITIONS : Suivant l'acceptation de cette Promesse d'achat, l'ACHETEUR aura un délai de quinze (15) jours ouvrables, de la réception de tous les documents énumérés à l'article 4.1 de cette Promesse d'achat, (que le VENDEUR s'engage à lui fournir dans les 48 heures de l'acceptation de la promesse d'achat) pour inspecter l'immeuble et vérifier les dépenses ainsi que les baux en vigueur, à son entière satisfaction et à son entière discrétion . S'il ne s'en trouve pas satisfait et qu'un avis écrit à cet effet est expédié par lettre recommandée au VENDEUR à l'adresse mentionnée ci-dessus ou à Services Immobiliers Diane Bisson inc., courtier immobilier agréé, avant l'expiration de ce délai, cette Promesse d'achat sera alors nulle et non avenue et l'acompte sera retourné immédiatement et en entier à l'ACHETEUR. Si aucun avis n'est donné à l'intérieur de ce délai, l'ACHETEUR sera alors considéré satisfait. . . .

4.14.1 ÉTUDES ENVIRONNEMENTALES : L'acheteur fournira son étude environnementale. [Je souligne.]

(d.a., vol. II, p. 158 et 160)
[8] À la même date, les appelantes acceptent la promesse d'achat. Le 11 janvier 2008, M. Douek obtient un rapport environnemental phase I qui identifie des risques environnementaux potentiels liés à des activités antérieures menées sur la propriété. À la suite de la découverte de la contamination potentielle, M. Douek se voit accorder une prolongation du délai qui lui était imparti pour finaliser sa vérification diligente. L'existence et l'ampleur de la contamination sont confirmées dans un rapport phase II commandé par les appelantes à Inspec-Sol inc., puis dans un second rapport commandé à Laforge Environnement inc. Le 14 juillet 2008, les appelantes sont informées que les coûts de décontamination du sol sont évalués à plus de 75 000 $.
[9] Le 22 juillet 2008, les appelantes reçoivent une mise en demeure de M. Douek, dans laquelle ce dernier réitère son intention d'acheter l'immeuble, mais à la condition que les appelantes décontaminent le sol à leurs frais, car il refuse d'assumer quelque responsabilité que ce soit pour les coûts de décontamination. D'expérience, il sait que ces coûts pourraient dépasser les 75 314 $ envisagés. Les appelantes refusent et tentent en vain de trouver un compromis, mais, en définitive, la vente de l'immeuble à M. Douek ne se concrétise pas.
[10] Le 5 août 2008, l'intimée intente son recours et réclame des appelantes la somme de 183 986,25 $, qui représente la commission de 5 p. 100 du prix de vente accepté ainsi que les taxes, les intérêts et l'indemnité additionnelle. La Cour supérieure rejette la demande, mais, dans une décision partagée, la Cour d'appel infirme ce jugement et accueille le pourvoi.
III. Analyse
A. Est-ce qu'une « entente visant à vendre l'IMMEUBLE » aux termes de la clause 6.1(3°) du contrat de courtage a été validement conclue?
[11] Bien que, comme le souligne à raison la Cour d'appel, la décision de la Cour supérieure repose erronément sur une analyse fondée sur la clause 6.1(1°), je suis d'avis que le raisonnement et le résultat sont les mêmes si on examine la question au regard de la clause 6.1(3°).
[12] En vertu de la clause 6.1(3°), le courtier a droit à la commission dès la conclusion d'une « entente visant à vendre l'IMMEUBLE » (je souligne). Une vente n'est donc pas nécessaire. Le libellé de la clause est suffisamment large pour englober une promesse d'achat acceptée par le promettant-vendeur, mais encore faut-il, selon moi, que les obligations qui découlent d'une telle promesse deviennent certaines, c'est-à-dire inconditionnelles.
[13] En l'espèce, la clause 4.14 de la promesse d'achat accordait à M. Douek une faculté de dédit lui donnant le droit de révoquer cette promesse s'il n'était pas entièrement satisfait des résultats de la vérification diligente. Pour révoquer la promesse, en plus d'être insatisfait des résultats de la vérification diligente, M. Douek devait également donner un avis écrit à cet effet au promettant-vendeur dans le délai imparti. La promesse d'achat demeurait donc conditionnelle soit jusqu'à sa révocation, soit jusqu'à l'expiration du délai susmentionné.
[14] En principe, malgré l'existence d'une condition résolutoire, dès la signature du contrat, les obligations sont nées et exigibles, comme si elles étaient pures et simples (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2 e éd. 2012), n° 2498). Ainsi, même si elle pouvait être résolue, la promesse d'achat liait les parties dès sa conclusion. Si cela peut de prime abord paraître suffisant pour les besoins de la clause 6.1(3°), je suis d'avis que tant et aussi longtemps qu'une promesse d'achat ne lie pas inconditionnellement le promettant-acheteur et le promettant-vendeur, et qu'il n'est pas encore possible à l'un ou à l'autre d'exercer l'action en passation de titre, il n'y a pas d'« entente visant à vendre l'IMMEUBLE » aux termes de la clause 6.1(3°) : voir les motifs de la juge Paquette, par. 23, et les motifs de la Cour d'appel, par. 32. Interpréter cette clause différemment aurait pour effet de donner droit au paiement de la commission dès l'acceptation de la promesse, malgré la présence d'une condition. Toutefois, ce paiement serait alors vulnérable aux effets de la survenance de la condition résolutoire assortissant la promesse d'achat. Or, il m'apparaît que le fait de conclure à l'existence d'un droit au paiement de la commission qui serait immédiat mais vulnérable s'écarterait de l'intention des parties à un tel contrat. En effet, comme la clause 6.1(3 o ) prévoit le versement de la rétribution lorsqu'une « entente visant à vendre l'IMMEUBLE est conclue », les ententes visées par cette clause sont donc en toute logique des ententes inconditionnelles, des ententes qui ne sont assorties d'aucune condition que ce soit, suspensive ou résolutoire.
[15] Dans le présent cas, l'inspection environnementale ayant révélé que le sol était contaminé par des hydrocarbures, M. Douek pouvait indubitablement se prévaloir de la condition résolutoire stipulée en sa faveur. Mais qu'a-t-il fait exactement? Même si la mise en demeure transmise aux appelantes le 22 juillet réitérait l'intention de M. Douek d'acheter la propriété, elle ajoutait deux conditions à la promesse d'achat initiale. D'une part, les appelantes devaient décontaminer le terrain à leurs frais et, d'autre part, elles devaient fournir à M. Douek un certificat de conformité environnementale délivré par le ministère de l'Environnement :
En conséquence le vendeur est lié [à] la dite [ sic ] promesse d'achat acceptée entre les parties tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas fourni [à] l'acheteur des propriétés conformes soit décontaminées avec rapport [à] l'appui et permettant ainsi [à] ce dernier de terminer sa vérification diligente. [Je souligne.]

(d.a., vol. II, p. 175)
[16] M. Douek exprimait alors très clairement son intention de ne pas conclure de vente « tant et aussi longtemps » que la propriété ne serait pas décontaminée. Cela ressort également nettement du témoignage de M. Douek au procès. Ce dernier a donc ajouté unilatéralement deux conditions sine qua non à la promesse d'achat.
[17] Par l'envoi de cette lettre, M. Douek signifiait aux appelantes son insatisfaction concernant l'état de l'immeuble révélé par la vérification diligente. La conclusion des juges majoritaires de la Cour d'appel selon laquelle M. Douek a expressément renoncé à exercer sa faculté de dédit est incompatible avec ce constat (par. 47 et 50). Sans doute désirait-il toujours acheter l'immeuble, mais là n'est pas la question. Comme l'indique la mise en demeure, il était hors de question que M. Douek achète l'immeuble dans l'état où il se trouvait et au prix fixé dans la promesse. Ce dernier a manifesté son insatisfaction de manière non équivoque, et c'est la communication par écrit de cette insatisfaction qui a été l'élément déclencheur de la condition résolutoire. Par cette mise en demeure, M. Douek se déliait de la promesse et soumettait une nouvelle offre d'achat. La promesse d'achat initiale n'est jamais devenue inconditionnelle et la nouvelle offre de M. Douek n'a jamais été acceptée. Aucune entente visant à vendre l'immeuble n'a donc été conclue aux termes de la clause 6.1(3°) du contrat de courtage.
B. Les appelantes ont-elles, suivant la clause 6.1(4°), volontairement empêché la libre exécution du contrat de courtage?
[18] Devant notre Cour, l'intimée a principalement plaidé que les appelantes ne pouvaient refuser de décontaminer l'immeuble sans contrevenir à l'art. 1503 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), si bien que, en refusant de le faire, elles se sont obligées à payer la commission en application de la clause 6.1(4°) du contrat de courtage.
[19] L'article 1503 C.c.Q. précise que « [l]'obligation conditionnelle a tout son effet lorsque le débiteur obligé sous telle condition en empêche l'accomplissement. » La clause 6.1(4°) fait naître l'obligation du vendeur de payer la commission si ce dernier empêche volontairement la libre exécution du contrat de courtage. Cette clause est le reflet de l'art. 1503 C.c.Q. Pour pouvoir invoquer la clause 6.1(4°), l'intimée devait prouver une faute de la part du vendeur, en l'occurrence les appelantes : Royal Lepage des Moulins inc. c. Baril , 2004 CanLII 29347 (C.A.Qc), par. 17-18; Mutuelle des fonctionnaires du Québec c. Immeubles G.C. Gagnon inc. , 1997 CanLII 10674 (C.A.Qc), p. 7. Dans un arrêt récent, la juge Thibault de la Cour d'appel du Québec a été appelée à interpréter une stipulation similaire à la clause 6.1(4°) et, ce faisant, elle a dégagé les éléments de preuve requis pour déclencher l'application de la stipulation en question :
En conclusion, dans le cadre d'une action intentée par un courtier pour réclamer sa rétribution ou une compensation visée à l'article 7.2 du contrat de courtage, celui-ci doit établir l'existence d'un contrat de courtage valable, l'exécution de ses propres obligations au terme de ce contrat et [. . .] le fait que l'accomplissement [des conditions préalables au droit à la rétribution] a été empêché par la faute du vendeur . [Je souligne.]

( 9118-7781 Québec inc. (Groupe Sutton Millénia) c. Lerer , 2012 QCCA 430, [2012] R.J.Q. 331, par. 36.)
[20] À mon avis, une telle faute peut découler soit du défaut par le promettant-vendeur d'accomplir un acte qu'il était tenu d'accomplir, soit au contraire de l'accomplissement par celui-ci d'un acte qu'il avait l'obligation de ne pas accomplir. À titre d'exemple, le promettant-vendeur qui empêche ou entrave sciemment la vérification diligente de son immeuble par le promettant-acheteur ou son mandataire sera considéré en faute suivant l'art. 1503 C.c.Q. et la clause 6.1(4°). Pour statuer sur l'existence ou non d'une faute en l'espèce, il faut donc déterminer les obligations auxquelles étaient tenues les appelantes en vertu de la promesse d'achat, d'une part, et en vertu du contrat de courtage, d'autre part.
[21] Aux termes de la promesse d'achat conclue en l'espèce, les appelantes n'avaient ni l'obligation de décontaminer leur propriété, ni l'obligation de négocier à nouveau les conditions de la promesse d'achat initiale. Elles n'ont accompli aucun acte qui aurait empêché la conclusion d'une entente avec M. Douek. Au contraire, elles ont collaboré avec celui-ci et tout mis en œuvre pour que la vente soit conclue. La Cour supérieure et la Cour d'appel ont toutes deux reconnu la bonne foi des appelantes. Comme ces dernières ignoraient la contamination au moment de la conclusion du contrat de courtage, on ne peut conclure qu'elles ont, par une faute de leur part, empêché la réalisation de la vente ( Remax Alliance c. Placements Jabena inc. , 2007 QCCQ 12756; H. Richard, Le courtage immobilier au Québec (3 e éd. 2010), p. 199).
[22] Par ailleurs, pour ce qui est du contrat de courtage, celui-ci comporte deux parties importantes : la partie 7, intitulée « Déclarations du vendeur », et la partie 8, intitulée « Obligations du vendeur ».
[23] La partie 7 du contrat renferme une série de déclarations que fait le vendeur en faveur du courtier, dont les suivantes :
7.1 Le VENDEUR déclare que les renseignements contenus à ce contrat sont exacts et qu'il fournira au COURTIER, dès qu'il en aura connaissance , toute information additionnelle se rapportant à l'IMMEUBLE.

7.2 Le VENDEUR déclare de plus, sauf stipulations contraires, notamment à 11.1, au formulaire Déclarations du vendeur ou à toute annexe faisant partie de ce contrat :

. . .

8° que l'IMMEUBLE sera vendu libre de tous droits réels et autres charges, sauf les servitudes usuelles et apparentes d'utilité publique, et que le VENDEUR se portera garant envers tout acheteur éventuel de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent l'IMMEUBLE et qui échappent au droit commun de la propriété;

. . .

13° que l'IMMEUBLE est conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l'environnement . [Je souligne.]

(d.a., vol. II, p. 154)
[24] S'appuyant sur la déclaration prévue à la clause 7.2(13°) du contrat de courtage, l'intimée affirme que les appelantes avaient l'obligation de fournir un immeuble conforme aux lois et aux règlements relatifs à la protection de l'environnement, ce qu'elles n'auraient pas fait. Même si l'on acceptait que l'immeuble n'était pas « conforme » aux normes environnementales, les déclarations énoncées dans le contrat de courtage ne peuvent, en l'absence de preuve de mauvaise foi, étayer à elles seules la prétention que le vendeur a volontairement empêché la libre exécution de ce contrat. On ne saurait y voir un acte fautif, puisqu'il est acquis que les appelantes ignoraient l'état de contamination du bien-fonds.
[25] Contrairement aux prétentions de l'intimée, ces déclarations du vendeur ne sont pas des garanties. À preuve, la partie 8 du contrat de courtage contient une clause dont le libellé est presque identique à la déclaration de la clause 7.2(8°) reproduite précédemment :
8.4 Le VENDEUR fournira à l'acheteur éventuel un bon titre de propriété. L'IMMEUBLE sera vendu libre de tous droits réels et autres charges , sauf les servitudes usuelles et apparentes d'utilité publique, et le VENDEUR se portera garant envers l'acheteur éventuel de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent l'IMMEUBLE et qui échappent au droit commun de la propriété, sauf stipulations contraires, notamment à 11.1 ou à toute annexe faisant partie de ce contrat. [Je souligne.]

(d.a., vol. II, p. 154)
Conclure que tant la partie 7 que la partie 8 énoncent des garanties rendrait les clauses 8.4 et 7.2(8°) redondantes. Je souligne d'ailleurs que la partie 8 ne renferme pas de clause équivalente ou similaire à la clause 7.2(13°).
[26] Pour ce qui est de la clause 8.4, elle renvoie à des garanties identiques aux garanties légales des art. 1723 et 1725 C.c.Q. , ce qui tend à indiquer qu'elles sont inapplicables tant et aussi longtemps qu'une vente n'est pas conclue. L'argument des appelantes selon lequel le régime des garanties légales ne pouvait jouer, étant donné qu'aucune vente n'avait été conclue, est bien fondé en droit. Suivant l'art. 1396 C.c.Q. , la promesse de conclure un contrat n'équivaut pas au contrat envisagé. La promesse d'achat acceptée n'équivaut donc pas à la vente et n'engendre aucun des effets de cette dernière : P.-G. Jobin, avec la collaboration de M. Cumyn, La vente (3 e éd. 2007), p. 54. Quoi qu'il en soit, le fait de la contamination ne saurait être assimilé à un droit réel. L'intimée n'a pas non plus fait état de disposition législative appuyant sa prétention selon laquelle la contamination viole une limitation de droit public. Bref, le refus de décontaminer l'immeuble ne constitue pas à lui seul une faute contrevenant à la clause 8.4. Il ne représente pas davantage un acte volontaire ayant empêché la libre exécution du contrat de courtage. Par ailleurs, l'arrêt Racicot c. Mercier , [1968] B.R. 975 (C.A.), sur lequel l'intimée fonde son argument, ne lui est donc d'aucun secours.
[27] En somme, les appelantes n'ont pas commis de faute relativement aux obligations qui leur incombaient tant en vertu de la promesse d'achat que du contrat de courtage. Elles n'ont donc pas, aux termes de la clause 6.1(4°) de celui-ci, volontairement empêché la libre exécution de ce contrat.
IV. Dispositif
[28] Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, avec dépens devant toutes les cours, à l'exclusion des dépens auxquels ont été condamnées les appelantes à l'égard de la requête en prorogation de délai devant notre Cour.



Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs des appelantes : Mitchell Gattuso, Montréal.
Procureurs de l'intimée : de Grandpré Joli‑Cœur, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2015 CSC 36 ?
Date de la décision : 25/06/2015
Proposition de citation de la décision: Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Bisson inc.


Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-06-25;2015.csc.36 ?

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