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12/03/1962 | CEDH | N°1103/61

CEDH | X. contre la BELGIQUE


EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
Le requérant, ressortissant belge né en ... et domicilié à B., appartint de ... à 1956 au service extérieur du Ministère des Affaires Etrangères et du Commerce Extérieur. Du ... au ... 1948, en particulier, il dirigea le secteur "Allemagne" audit Ministère. Il occupa en outre du ... au ... 1954, le poste de conseiller commercial à l'Ambassade de Belgique à Bonn.
Le ... 1956, X. fut arrêté et prévenu d'infraction à l'article 246 paragraphe 1 du Code pénal.
Aux termes de cette disposition: "To

ut fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service publi...

EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
Le requérant, ressortissant belge né en ... et domicilié à B., appartint de ... à 1956 au service extérieur du Ministère des Affaires Etrangères et du Commerce Extérieur. Du ... au ... 1948, en particulier, il dirigea le secteur "Allemagne" audit Ministère. Il occupa en outre du ... au ... 1954, le poste de conseiller commercial à l'Ambassade de Belgique à Bonn.
Le ... 1956, X. fut arrêté et prévenu d'infraction à l'article 246 paragraphe 1 du Code pénal.
Aux termes de cette disposition: "Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public, qui aura agréé des offres ou promesses, qui aura reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi,même juste, mais non sujet à salaire, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs.
Le scandale dans lequel X. fut impliqué avec plusieurs de ses collègues,dont les ambassadeurs A. (décédé en ...) et C., le Directeur D. (cf.la décision rendue par la Commission, le 17 mars 1961, sur la recevabilité de la requête N° 780/60 de celui-ci), l'Inspecteur général E., etc...., paraît avoir provoqué de sérieux remous en Belgique.
A l'origine de cette affaire assez complexe, on trouve essentiellement la Société F. La famille G. en possédait la plupart des actions. De son côté, le requérant, fils d'un ancien directeur (de la société F.), en possédait de 7 à 8.000. Le ..., M. H. qui avait rendu des services aux G. et, notamment, contribué au règlement de différends qui les divisaient, fut élu Président du Conseil d'Administration (de la Société F.). Il le resta jusqu'au ..., date à laquelle il donna sa démission.
A cette époque, (la société F.) se débattait dans de graves difficultés financières qui entraînèrent, entre autres, la réduction de 80 % de la valeur nominale des actions (...) et la diminution, puis la suppression (...) du paiement de dividendes.
Le ... 1953, le Conseil d'Administration, mécontent, exclut de son sein H.G., appela à la présidence M. I. et nomma M. J., délégué général. Chargés de redresser la situation, I. et J. découvrirent l'existence d'un "compte transitoire" clandestin débité de "commissions sur exportations", de mensualités ou de cadeaux divers, suivant le cas. Ils acquirent la conviction que parmi les bénéficiaires de ces "libéralités", désignés par des initiales (...) ou un pseudonyme (...), figuraient des fonctionnaires tels que X., D., C., A, E., etc. Ils firent établir un relevé des sommes ainsi dépensées et obtinrent l'abolition du "compte transitoire" (au moins en théorie).
Le ..., cependant, H.G. réussit à évincer I. et J. et reprit sa place au Conseil d'Administration.
En 1955, I. aurait soumis le relevé susmentionné au Secrétaire Général du Ministère des Affaires Etrangères. Sur le moment, la communication de ce document n'aurait suscité aucune réaction particulière. Le... 1956, toutefois, M. K., alors Ministre des Affaires Etrangères, saisit le Parquet de Bruxelles.
Elargi le ... 1956, X. fut appréhendé à nouveau le ... 1956; il demeura incarcéré jusqu'au ... 1956, date à laquelle le juge d'instruction L. ordonna sa mise en liberté provisoire.
Au cours de ces deux périodes de détention, le requérant paraît avoir passé des aveux partiels. C'est ainsi qu'à l'occasion de son interrogatoire par M. L., le ... 1956, il admit avoir reçu de H.G. diverses sommes en 1953. Il précisa que, dans l'exercice de ses fonctions de conseiller commercial, il surveillait "le respect des conventions économiques belgo-allemandes", ce qui l'"amenait à intervenir auprès des autorités allemandes lorsqu'un ressortissant belge croyait avoir à se plaindre". Il affirma néanmoins n'avoir point "favorisé spécialement G.", mais l'avoir simplement "aidé dans la mesure de (ses) possibilités ...au même titre que d'autres commerçants belges". Il souligna en outre qu'à l'époque de son séjour à Bonn, les articles que (produisait la société F.) ne subissaient plus aucune restriction quantitative entre la Belgique et l'Allemagne mais reconnut qu' "il arrivait ... que pour une raison de prix, les Allemands fassent des difficultés pour accorder les licences" et qu'en pareil cas, il était "amené à intervenir". Le juge lui ayant remontré que, de toute façon, son attitude était critiquable, X. concéda qu'elle n'était pas "réglementaire"; il ajouta pourtant que M. H., à l'époque où il était critiquable, X. concéda qu'elle n'était pas "réglementaire"; il ajouta pourtant que M. H.,à l'époque où il était Ministre des Affaires Etrangères, n'avait jamais élevé aucune objection contre les libéralités accordées à certains fonctionnaires, sans doute parce qu'il y voyait "une manière indirecte d'augmenter les indemnités de poste qui étaient notoirement insuffisantes".
De même, le requérant adressa à M. L., le ... 1956, une lettre contenant certaines "indications" qui, sans constituer "une justification de (sa) conduite passée", établissaient à ses yeux, que, "dans les dernières années", il avait "retrouvé le chemin du fonctionnaire honnête" et que, "depuis (son) retour de .. en .. 1954, (il avait) été un fonctionnaire exemplaire."
Dans un rapport du ... 1957, l'expert-comptable judiciaire M., commis par le juge d'instruction, dépeignit X. comme l'un des bénéficiaires des versements incriminés. Il estima en bref que le requérant, désigné dans le compte transitoire par ses initiales (...), avait touché: - (de la société F.), ... FB, du ... 1951 au ... 1953, sans parler de nombreux paiements antérieurs ayant débuté en 1945; - d'une autre firme, la société N., ... FB en 1952 et en ... 1953; - des établissements O. (...), ... FB en 1952; - des établissements P. (...), ... FB en 1952; - de la (maison Q. ...), ... FB au minimum en 1952.
L'expert exprima l'opinion que (la société F. avait) rémunéré X.en fonction de (son) chiffre d'affaires en Allemagne, le taux de commission s'élevant à 1 % environ. Et d'émettre cette appréciation (page 149 du rapport): "Une telle rémunération, liée à la productivité de l'agent, suppose de sa part un effort vigilant et soutenu. C'est une rémunération de courtier".
Les conclusions de M. M. reposaient principalement: - sur les écritures du "compte transitoire" (de la société F.) (pages 50, 51, 60 et 67 du rapport); - sur l'agenda de H.G. (pages 81, 82 bis, 148 du rapport); - sur les aveux partiels de X. (pages 84, 85, 145, 146, 183, 184, 185, 189, 192, 194, 195 et 196 du rapport); -sur les déclarations des co-inculpés H.G. et E. (pages 12, 13, 83 et 84 du rapport); - sur les dépositions de témoins, employés (à la société F.) (pages 22 et 23 du rapport).
Le ... 1958, le Tribunal de première instance de B. frappa X. d'une peine unique de ... mois d'emprisonnement plus ... francs d'amende (soit ..., avec les décimes additionnels) ou, à défaut de paiement dans le délai légal, ... mois d'emprisonnement subsidiaire. Il ordonna en outre la confiscation des sommes indûment perçues par le requérant et leur mise à la disposition de la Ville de B., à charge pour celle-ci de les attribuer à la Commission d'Assistance publique selon les besoins de cet établissement.
C., E. et D. se virent infliger une condamnation similaire. En revanche, le Tribunal disjoignit le cas de H.G. pour le motif que ce dernier, après avoir subi une grave opération chirurgicale, se trouvait en traitement dans une clinique à l'étranger.
Au sujet de la question de savoir "si la prescription (de trois ans) ne (couvrait) pas tout ou partie des faits retenus à charge des prévenus", le Tribunal commença par souligner: - "que ces faits (étaient) la manifestation ... d'une seule et même intention délictueuse" et "qu'ils (dénotaient), dans le chef des fonctionnaires, la volonté permanente de mettre à profit les actes de leur fonction pour se procurer les avantages illicites visés par l'article 246 du Code pénal, quel que (fût) l'auteur des dons ou promesses ..."; - "que le caractère instantané du délit de corruption ne fait pas obstacle à l'unité d'intention d'où procèdent les actes continuellement réitérés"; - "que les infractions multiples dictées par la même résolution délictueuse forment un seul délit, punissable d'une peine unique, et dont la prescription ne court qu'à partir du dernier fait"; - que l'interruption de la prescription remontait au ... 1956, date à laquelle le Procureur du Roi avait chargé le Commissaire en Chef de la Police Judiciaire d'entreprendre une enquête.
Les prévenus avaient fait observer que le délit de corruption revêt un caractère instantané et, partant, se consomme "dès la conclusion du pacte illicite entre corrupteur et corrompu". Or, à leurs yeux, tous les pactes se situaient en l'espèce "entre les années antérieures à 1950 et l'année 1952", car "le paiement de la chose promise ne (pourrait) s'interpréter que comme un acte d'exécution d'une convention sans incidence sur les liens entre parties". Ils en avaient déduit que la prescription était acquise.
Le Tribunal répondit: - que si "le paiement de la chose promise ne constitue pas en soi une infraction s'ajoutant au délit de corruption consommé par le pacte..., cet acte d'exécution est punissable en tant qu'il comporte, par voie de reconduction, un pacte nouveau"; - qu'en l'occurrence, "le service d'allocation fixes ... ou de pourcentages..., promis sans limitation de durée, tendait à obtenir et à maintenir d'une manière générale et permanente la bienveillance du fonctionnaire à l'égard du corrupteur, et à s'assurer son concours chaque fois que l'occasion s'en offrirait pour lui dans la sphère des actes de sa fonction", et que "dans l'économie des relations nouées entre parties, chacun des paiements ne (pouvait) avoir eu pour objet unique l'acquittement d'une dette échue mais encore la consolidation de l'état de corruption par la reconduction pour l'avenir des engagements initiaux"; - "que la prescription (avait) donc pris cours, non à la date des pactes initiaux, mais à celle du dernier paiement qui les (avait) renouvelés"; - que les deux derniers paiements, dans le cas de X., avaient eu lieu après le ... 1953 et, par conséquent, moins de trois ans avant les actes interruptifs de prescription.
Le Tribunal en inféra que la prescription n'était pas acquise pour X. Il parvint à la même conclusion pour les autres prévenus.
Les condamnés et le Ministère public interjetèrent appel.
Le ... 1959, la Cour d'Appel de X., statuant par défaut en ce qui concernait D. et contradictoirement pour les autres appelants, y compris X.: - constata qu'un vice de forme entachait de nullité la décision entreprise et évoqua l'affaire; - adopta, en matière de prescription, des principes analogues à ceux qu'avait énoncés le Tribunal de première instance, et releva notamment "qu'il (avait existé) entre corrupteur et corrompu une série de pollicitations, remises et sollicitations, d'une part, d'actes ou d'omissions rétribués,d'autre part, constituant, d'une manière expresse ou tacite, une suite d'incidents particuliers chacun délictueux en soi et qui, dans leur ensemble, (n'avaient formé) qu'un seul état de corruption, lequel (n'avait pris) fin qu'à partir du dernier de ces incidents"; - déclara prescrites les préventions mises à charge d'E.; - admit que les seize préventions retenues à la charge de X. en première instance, à l'exception de la huitième, étaient établies"tant par les éléments réunis au cours de l'expertise ordonnée en la cause que par les déclarations du Sieur G. et par les aveux partiels faits (par X.) au cours de l'instruction préparatoire", et que les "dénégations tardives" de l'intéressé ne pouvaient "prévaloir contre les indications comptables" et les "aveux concordants de co-prévenus"; - frappa X., C. et D. des mêmes peines que le jugement du ... 1958.
Le requérant, C. et D. se pourvurent en cassation. Invoquant l'article 97 de la Constitution, l'article 246 du Code pénal, les articles 21,22 et 26 de la loi du 17 avril 1878, et les articles 53, 54, 61 et 62 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales (arrêté royal du 30 novembre 1935), X. reprocha à la Cour d'Appel d'avoir adopté une motivation contradictoire équivalent à un défaut de motivation:
a) en érigeant le délit de corruption, par le biais de la notion d'"Etat de corruption", en infraction continue bien qu'elle eût commencé par en reconnaître le caractère instantané;
b) en omettant: - de s'assurer que les actes incriminés relevaient des fonctions de X., condition nécessaire pour l'application de l'article 246 et que l'intéressé estimait non remplie en l'espèce; - de constater que les deux paiements postérieurs au ... 1953 avaient coïncidé avec la conclusion de pactes nouveaux ou l'avaient suivie et, dans la deuxième hypothèse, d'indiquer la date de cette conclusion;
c) en perdant de vue la circonstance que l'un de ces paiements avait été effectué par G. contre la volonté du Conseil d'Administration (de la société F.) et à une date où ledit G. n'était plus le mandataire légal de la société, c'est-à-dire du "corrupteur".
La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi le ... 1960. Elle a jugé en effet: - qu'il n'était "point contradictoire de reconnaître le caractère instantané du délit de corruption et de décider qu'en l'espèce les divers faits de corruption ne formaient que l'exécution continue et successive d'une même résolution et, partant, constituaient une infraction unique, un "état de corruption", en sorte que la prescription (n'avait) commencé à courir, à l'égard de l'ensemble des faits, qu'à partir du dernier d'entre eux"; - que l'arrêt du ... 1959 n'avait pas manqué de relever que, de son propre aveu, le demandeur avait "pris en considération" les intérêts de diverses sociétés dont (la société F.) "à une époque où les échanges commerciaux belgo-allemands entraient dans ses attributions" et, plus généralement, avait agi "dans le cadre de (son) activité de fonctionnaire"; - que la Cour d'Appel avait bel et bien constaté que les deux paiements postérieurs au ... 1953 avaient coïncidé avec la conclusion de nouveaux pactes délictueux; - que "pour apprécier la forfaiture (de X.) ..., il était indifférent que (G.) ait agi tantôt comme mandataire de la société anonyme "F.", tantôt à titre personnel, en raison des intérêts et de l'activité qu'il conservait dans cette société".
Statuant d'office, la Cour a cependant cassé l'arrêt du ... 1959 pour autant qu'il avait prononcé un emprisonnement subsidiaire de... mois (à défaut de paiement de l'amende dans le délai légal): "aux termes de l'article 40 du Code pénal, la durée de l'emprisonnement subsidiaire n'excédera pas trois mois pour le condamné à raison de délit". Sur ce point précis, la Cour de Cassation a renvoyé l'affaire à la Cour d'Appel de R.
Considérant que les griefs du requérant peuvent se résumer ainsi:
En ordre principal, le requérant proteste vivement de son innocence. Sans doute admet-il avoir touché diverses sommes de H.G. Il soutient cependant que ces sommes ne constituaient en aucune façon la rémunération d'une activité illicite, mais une allocation destinée à compenser, dans une certaine mesure, les lourdes peines financières qu'il avait subies en qualité d'actionnaire (de la société F.).
La Cour d'Appel de B., dans son arrêt du ... 1959, a estimé que l'explication ne résistait pas à l'examen, puisque les montants en question étaient "calculés non d'après le nombre des actions possédées par le prévenu, mais sur le chiffre d'affaires réalisé avec le pays dans lequel (X.) exerçait ses fonctions".
Le requérant répond que G. avait choisi ce mode de paiement pour l'unique raison qu'il ne voulait ni ne pouvait lui verser des dividendes fictifs, sous peine d'enfreindre les articles 194, 205 et 206 des lois coordonnées sur les sociétés anonymes et de se heurter au veto du Conseil d'Administration (de la société F.).
X. affirme, en outre, que ni le rapport d'expertise de M. M. - qu'il dénonce comme un "faux témoignage" -, ni le Tribunal et la Cour de B. n'ont cité un seul acte qu'il aurait accompli, dans l'exercice de ses fonctions, pour servir les intérêts (de la société F.), de la société N., etc. Pour démontrer qu'il n'a commis aucun acte de ce genre, il souligne: - que les exportations (de la société F.) vers l'Allemagne ont diminué, et non pas augmenté, à l'époque où il occupait le poste de conseiller commercial à Bonn; - qu'à la différence de C., de D. et d'E., il n'avait point pour tâche de négocier et conclure des accords commerciaux, ni d'en surveiller l'exécution; il se réfère à cet égard, entre autres, à des arrêtés royaux des 14 avril 1928, 21 mars 1929 et 9 mai 1932, ainsi qu'à une déposition de M. S., Inspecteur général au Ministère des Affaires Etrangères (Annexe 21 à la requête); - que pendant la période considérée, les articles produits par (la société F.) ne faisaient plus l'objet de négociations commerciales entre la Belgique et l'Allemagne, car les échanges y relatifs avaient été libérés dès le 1er octobre 1949 (cf. l'Annexe 28 à la requête); - que les conseillers commerciaux avaient reçu du Ministère l'instruction de déployer des efforts particuliers en faveur de certains secteurs menacés de l'économie belge, y compris l'industrie (en question). Par conséquent, il ne s'agirait pas ici d'une erreur judiciaire (pages 33 - 34 de la requête), mais d'une condamnation contraire à l'article 7 de la Convention parce que prononcée à raison d'un délit dont X. ne pouvait matériellement pas se rendre coupable.
Quant à ses "aveux partiels", le requérant les attribue à l'affolement qui se serait emparé de lui pendant sa détention préventive; il accuse d'ailleurs la justice belge d'en avoir délibérément dénaturé et surestimé la portée, de même que celle des déclarations de H.G.
En ordre subsidiaire, X. avance une série d'arguments tendant à prouver que les actes incriminés, à supposer même qu'ils aient réellement eu lieu - ce qu'il persiste à nier - n'étaient point punissables.
Le requérant reproche tout d'abord à la Cour d'Appel d'avoir jugé que lesdits actes s'étaient produits en Belgique. D'après lui, ils n'ont pu se commettre qu'en Allemagne. Or, l'article 4 du Code pénal belge et les articles 6 à 14 de la loi du 17 avril 1878 définissent limitativement les conditions dans lesquelles la justice belge a compétence pour réprimer des infractions perpétrées à l'étranger, et aucune de ces conditions ne se trouverait remplie en l'occurrence (pages 64 à 66 de la requête).
D'autre part, X. soutient que l'article 246 paragraphe 1 du Code pénal vise uniquement le fonctionnaire "qui aura agréé des offres ou promesses, qui aura reçu des dons ou présents pour faire" - c'est-à-dire "en vue de faire", "dans le but de faire" et non "pour avoir fait", "après avoir fait" - "un acte de sa fonction ou de son emploi ...". Or, les versements incriminés s'analyseraient tout au plus en de simples "récompenses a posteriori" et, partant, ne tomberaient pas sous le coup de l'article 246 (pages 71 à 77 de la requête).
Au surplus, le "pacte illicite", en admettant qu'il ait existé, remonterait à 1951. L'action publique serait donc éteinte par prescription: le délit de corruption possède le caractère d'une infraction instantanée et sa nature "ne change pas du fait qu'il s'est répété"; quant aux notions d'unité et de continuité de l'intention délictueuse, il s'agirait d'"artifices extrajuridiques" qui n'auraient point leur place dans des décisions judiciaires. Du reste, le revirement jurisprudentiel que la Cour de Cassation a opéré à cet égard (dans d'autres affaires) résulterait de deux arrêts postérieurs aux actes incriminés (pages 67 à 70 et 81 et s. de la requête).
Sur ces divers points, le requérant allègue la violation de l'article 7 de la Convention. En ce qui concerne les deux derniers, il invoque notamment une lettre qu'il a adressée au Procureur Général près la Cour de Cassation, le ... 1960, en vertu de l'article 486 du Code d'instruction criminelle, et un mémoire consultatif que Me T., avocat à la Cour de Cassation et au Conseil d'Etat de France, avait rédigé à sa demande en ... 1960 et dont une copie figure au dossier. La Cour de Cassation a refusé de tenir compte de ces documents, pour le motif qu'ils avaient été déposés plus de deux mois après le ...1959, date de l'inscription de la cause au rôle général.
X. se plaint encore: - de ne pas avoir été informé, dès sa première arrestation (... 1956), de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (article 6 paragraphe 3 a) de la Convention); - de la "torture morale" et du traitement inhumain et dégradant qu'il aurait subis à l'occasion de ses deux arrestations, contraires selon lui à la loi du 28 avril 1874 et aux articles 3 et 5 paragraphes 1c) et 3 de la Convention; - plus généralement, du "scandale" que représenterait, en Belgique, l'abus de la détention préventive institution actuellement axée, malgré les enseignements de la criminologie moderne, sur la recherche systématique d'aveux vrais ou faux; - de plusieurs irrégularités qui auraient entaché l'instruction: lenteur anormale (entre la première arrestation de X. et sa comparution devant le Tribunal correctionnel de B., il s'écoula plus de deux ans), puis précipitation excessive (le dossier, comprenant environ 1200 pages et des centaines de kilogrammes de pièces, serait demeuré secret jusqu'en ... 1958, de sorte que les avocats du requérant n'auraient eu que quelques mois pour le dépouiller et pour préparer leurs moyens de défense), "faux témoignage" de M. M. etc. (article 6 paragraphe 3 a) et b) de la Convention); - de la "haine" et de la "passion" du Ministère Public (article 3 de la Convention) qui, par les "sourires ironiques" avec lesquels il aurait accueilli la déposition de l'unique témoin à décharge, aurait découragé la défense de solliciter l'audition d'autres témoins à décharge (article 6 paragraphe 3 d) de la Convention); - de la partialité dont le Tribunal correctionnel et la Cour d'Appel de B. auraient fait preuve au détriment de X. et en faveur de C. (article 6 paragraphe 1 de la Convention). - d'avoir été suspendu de ses fonctions dès le ... 1956, ce qui constituerait une atteinte à la présomption d'innocence (article 6 paragraphe 2 de la Convention) et un traitement inhumain et dégradant (article 3 de la Convention).
Considérant que X. invoque l'article 3, l'article 5 paragraphes 1c) et 3, l'article 6 paragraphes 1, 2 et 3 a), b) et d) et l'article 7 de la Convention; qu'il demande l'annulation des décisions judiciaires litigieuses et la constatation de son innocence;
EN DROIT
Pour autant que le requérant reproche au Tribunal correctionnel et à la Cour d'Appel de B. a) d'avoir agi avec une "précipitation excessive"et b) d'avoir excédé les limites de leur compétence ratione loci en le condamnant à raison de faits qui, à supposer même qu'ils se soient réellement produits, n'auraient pu survenir, à l'en croire qu'en Allemagne et no pas en Belgique;
Considérant qu'aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, la Commissionne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes,tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus;
Que cette condition ne se trouve pas remplie par cela seul que l'intéressé a soumis son cas aux divers tribunaux et cours dont l'article 26 (art. 26) exige en principe la saisine; qu'il doit également avoir articulé devant la juridiction supérieure, au moins en substance le grief formulé devant la Commission à l'encontre des juridictions inférieures; que la Commission se réfère à cet égard à sa jurisprudence constante,et notamment aux décisions relatives à la recevabilité des requêtes N° 263/57 (Annuaire I, page 147), 309/57, 327/57, 342/57, 776/60 et 788/60 (Recueil de Décisions de la Commission, VII, pages 52 et suivantes);
Que le requérant n'a pas demandé au Tribunal correctionnel, puis à la Cour d'Appel de B. de retarder l'ouverture des débats de façon à lui laisser le temps de préparation nécessaire; qu'en tout cas,il n'a pas invoqué devant la Cour de Cassation, à propos de la "précipitation excessive" dont il se plaint, les droits traditionnels de la défense en s'appuyant sur les dispositions pertinentes de la législation belge,par exemple, comme maintenant, sur l'article 6 paragraphe 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention, laquelle forme partie intégrante de cette législation;
Que X. n'a pas davantage soulevé en cassation, au sujet de la compétence ratione loci des juges du fond, le moyen qu'il tire à présent de la violation alléguée de l'article 4 du Code pénal belge et des articles 6 à 14 de la loi du 17 avril 1878, combinés éventuellement avec l'article 7 (art. 7) de la Convention;
Qu'au surplus, l'examen du dossier ne permet pas en l'état de dégager,même d'office, l'existence de circonstances particulières, telles qu'une impossibilité matérielle ou juridique ou un empêchement légitime,de nature à dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus, d'exercer les recours dont il disposait quant aux deux points en question;
Qu'il y a lieu, dans cette mesure, de rejeter la requête sur la base de l'article 27 paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention, l'intéressé n'ayant pas observé les prescriptions précitées de l'article 26 (art. 26);
Pour autant que le requérant s'en prend à la décision par laquelle le Ministre des Affaires Etrangères l'a suspendu de ses fonctions:
Considérant que le droit d'occuper un poste dans la fonction publique de son pays ne compte pas au nombre de ceux que garantit la Convention; que le requérant ne le revendique cependant pas en tant que tel, mais se borne à contester la compatibilité de la décision litigieuse avec les articles 3 et 6 paragraphe 2 (art. 3, 6-2) de la Convention;
Considérant, toutefois, que X. n'a pas usé de la faculté qu'il avait d'attaquer ladite décision devant le Conseil d'Etat de Belgique; qu'en outre, l'examen du dossier ne permet pas en l'état de dégager,même d'office, l'existence de circonstances particulières de nature à dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus, d'épuiser le recours qui s'offrait à lui à cet égard; qu'il échet donc, ici encore, de déclarer la requête irrecevable par application de l'article 27 paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention;
Quant aux autres aspects de la requête:
Considérant, d'une manière générale, que l'examen du dossier ne permet pas en l'état de dégager, même d'office, l'apparence d'une atteinte aux droits et libertés reconnus dans la Convention, y compris l'article 3, l'article 5 paragraphes 1 c) et 3 (art. 3, 5-1-c, 5-3), l'article 6 paragraphes 1, 2 et 3 a), b) et d) et l'article 7 (art. 6-1, 6-2, 6-3-a, 6-3-b, 6-3-d, 7) qu'il en est d'autant plus ainsi que le requérant, malgré les nombreuses pièces qu'il a produites, n'apporte pas le moindre commencement de preuve à l'appui de ses affirmations et que celles-ci se trouvent contredites par ledites pièces dans plusieurs cas;
Considérant, en particulier, pour autant que le requérant prétend ne pas avoir été informé, dès sa première arrestation, de la nature et de la cause de l'accusation formulée contre lui, qu'il ressort de l'Annexe 36 à la requête que le juge d'instruction L. lui a textuellement déclaré le ... 1956, à l'occasion d'un interrogatoire, "vous être prévenu de corruption"; que dans ces conditions, et en l'absence de tout élément susceptible d'anéantir ou d'affaiblir la force probante du document dont il s'agit, la Commission n'a actuellement aucune raison de douter que les articles 5 paragraphe 2 et 6 paragraphe 3 a) (art. 5-2, 6-3-a) de la Convention aient été respectés en l'occurrence;
Considérant de même quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 1 c) (art. 5-1-c), que la Commission a pu se convaincre qu'il existait des raisons plausibles de soupçonner X. d'avoir commis une infraction;Considérant également, quant à la "lenteur anormale" avec laquelle se serait déroulée l'instruction préparatoire, qu'aux termes de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1), "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans un délai raisonnable, par un tribunal ... qui décidera ...du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle"; que l'article 5 paragraphe 3 (art. 5-3) précise de son côté que "toute personne arrêtée ou détenue", comme le requérant, "dans les conditions prévues au paragraphe 1 c)" de cet article (art. 5-1-c), "a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure"; que la Commission a déjà constaté, à plusieurs reprises, que le caractère"raisonnable" ou "déraisonnable" du délai qui s'écoule entre l'arrestation et le jugement doit s'apprécier non pas in abstracto, mais à la lumière de données concrètes telles que la complexité de l'affaire litigieuse(requêtes N° 297/57 et 222/56, Annuaire II, pages 211 - 213 et 347; requête N° 892/60, Recueil de Décisions de la Commission, VI, pages 23 - 24); que, selon les indications fournies par X. lui-même, le dossier pénal comprenait environ 1200 pages et des centaines de kilogrammes de pièces, concernait non seulement le requérant, mais encore plusieurs autres inculpés, et avait trait à des faits fort nombreux survenus au cours d'une période longue d'une dizaine d'années; qu'au demeurant,l'intéressé a été libéré "pendant la procédure", et que la durée totale de ses deux détentions préventives n'a pas excédé trois semaines,alors que celle de la peine maximale encourue était de six mois; que la Commission ne peut, dès lors, déceler en l'espèce aucune trace de violation des articles 5 paragraphe 2 et 6 paragraphe 1 (art. 5-2, 6-1);
Considérant en outre, quant aux décisions judiciaires incriminées,qu'il y a lieu de rappeler une fois de plus que la Commission a pour seule tâche, selon l'article 19 (art. 19) de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant de celle-ci pour les Etats contractants; qu'il en découle notamment, compte tenu des prescriptions de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2), que la Commission, au stade de l'examen de la recevabilité des requêtes introduites en vertu de l'article 25 (art. 25), ne peut connaître des erreurs de fait ou de droit imputées, à tort ou à raison, aux juridictions internes des Etats contractants que si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné la violation de l'un des droits et libertés garantis par la Convention; que la Commission n'a pas découvert, en la cause, l'apparence de pareille violation;
Que la Commission s'est assurée notamment, quant à la méconnaissance alléguée de l'article 7 (art. 7) de la Convention, que le jugement du ... 1958 et les arrêts des ... 1959 et ... 1960 n'ont point appliqué l'article 246 paragraphe 1 du Code pénal belge d'une manière incompatible avec le principe de la légalité des délits et des peines et avec son corollaire,le principe de l'interprétation restrictive des textes répressifs,tels que les consacre ledit article 7 (art. 7); qu'en effet, le Tribunal et la Cour d'Appel de B. se sont fondés, pour condamner le requérant,sur un ensemble de circonstances de fait démontrant, à leurs yeux,l'existence d'une "unité d'intention délictueuse" et d'un "état de corruption", sans assigner à l'article 246 paragraphe 1 du Code pénal une portée inconciliable avec son libellé, ainsi d'ailleurs que la Cour de Cassation l'a constaté en termes convaincants; qu'en outre,l'appréciation des circonstances de fait susmentionnées ne relève pas par elle-même, pour les motifs exposés au paragraphe précédent,de la compétence de la Commission;
Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu de rejeter le restant de la requête sur la base de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention, pour défaut manifeste de fondement;
Par ces motifs, déclare la requête irrecevable."


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Questions de procédure rejetées ; Non-violation de l'Art. 7

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION


Parties
Demandeurs : X.
Défendeurs : la BELGIQUE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 12/03/1962
Date de l'import : 13/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 1103/61
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1962-03-12;1103.61 ?

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