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10/03/1980 | CEDH | N°6232/73

CEDH | AFFAIRE KÖNIG c. ALLEMAGNE (ARTICLE 50)


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE KÖNIG c. ALLEMAGNE (ARTICLE 50)
(Requête no 6232/73)
ARRÊT
STRASBOURG
10 mars 1980
En l’affaire König,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. BALLADORE PALLIERI, président,
G. WIARDA,
H. MOSLER,
M. ZEKIA,
J. CREMONA,
Thór VILHJÁLMSSON,
W. GANSHOF VAN DER MEERSCH,
Mme  D. BINDSCHEDLER-ROBERT,
MM.  D. EVRIGENIS,
P.-H. TEITG

EN,
G. LAGERGREN,
L. LIESCH,
F. GÖLCÜKLÜ,
F. MATSCHER,
J. PINHEIRO FARINHA,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN,...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE KÖNIG c. ALLEMAGNE (ARTICLE 50)
(Requête no 6232/73)
ARRÊT
STRASBOURG
10 mars 1980
En l’affaire König,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. BALLADORE PALLIERI, président,
G. WIARDA,
H. MOSLER,
M. ZEKIA,
J. CREMONA,
Thór VILHJÁLMSSON,
W. GANSHOF VAN DER MEERSCH,
Mme  D. BINDSCHEDLER-ROBERT,
MM.  D. EVRIGENIS,
P.-H. TEITGEN,
G. LAGERGREN,
L. LIESCH,
F. GÖLCÜKLÜ,
F. MATSCHER,
J. PINHEIRO FARINHA,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 24 et 25 octobre 1979, puis le 27 février 1980,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date, sur l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") en l’espèce:
PROCEDURE
1. L’affaire König a été déférée à la Cour par le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne ("le Gouvernement") en février 1977, puis par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le mois suivant. A son origine se trouve une requête dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant allemand, le Dr Eberhard König, avait saisi la Commission en 1973.
2. Le requérant se plaignait de la lenteur des procédures qu’il avait introduites devant le tribunal administratif de Francfort. Par un arrêt du 28 juin 1978, la Cour a constaté que leur durée avait dépassé le "délai raisonnable" dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect (points 3 et 4 du dispositif et paragraphe 105 et 111 des motifs, série A no 27, pp. 37, 40 et 41).
En outre, elle a réservé en entier la question de l’application de l’article 50 (art. 50). Invitant les délégués de la Commission à lui transmettre les prétentions du requérant et, le cas échéant, leurs observations, dans le délai de trois mois à compter du prononcé de l’arrêt, elle a décidé que le Gouvernement aurait la faculté d’y répondre dans le délai de deux mois à partir jour où le greffier les lui aurait communiquées; elle a réservé la procédure ultérieure (point 5 du dispositif et paragraphe 114 des motifs, ibidem, pp. 41 et 42).
3. Le 28 septembre 1978, le président de la Cour a prorogé jusqu’au 6 octobre, à leur demande, le délai accordé aux délégués. Le greffe a reçu leurs observations à cette dernière date; elles s’accompagnaient d’une lettre que Me Hofferbert, avocat du Dr König, avait adressée à la Commission le 18 septembre.
Le 11 décembre, le président a consenti au Gouvernement un délai supplémentaire devant expirer le 13 janvier 1979.
Le mémoire du Gouvernement est arrivé au greffe le 16 janvier. Le 26 mars, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués ne comptaient pas y répondre et n’estimaient pas nécessaire la tenue de débats, tout en restant à la disposition de la Cour.
4. Le 16 mai, la Cour a délibéré sur la procédure à suivre. Le 12 juin son président, après avoir consulté délégués de la Commission et agent du Gouvernement par l’intermédiaire du greffier adjoint, a décidé que des audiences auraient lieu le 23 octobre. Il a en même temps prié les comparants de compléter leurs écrits à cette occasion s’ils le désiraient, de répondre à plusieurs questions énumérées dans son ordonnance et, pour ce qui est de la Commission, de produire divers documents.
5. Le 27 juillet, le secrétaire adjoint de la Commission a signalé au greffier que les déléguées envisageaient de répondre au mémoire du Gouvernement et aux questions de la Cour lors des plaidoiries.
Commission et Gouvernement ont fourni au greffe des documents, pour la plupart mentionnés dans l’ordonnance précitée du 12 juin, la première les 20 septembre et 22 octobre, le second les 8 et 11 octobre.
6. Le 23 octobre, aussitôt avant l’ouverture des débats, la Cour a consacré une brève réunion à leur préparation. Elle a pris note de l’intention des délégués de se faire assister par Me Hofferbert qu’elle a autorisé à s’exprimer en allemand (articles 29 par. 1 in fine et 27 par. 3 du règlement).
7. La procédure orale s’est déroulée en public dans la matinée du 23 octobre à Strasbourg, au Palais des Droits de l’Homme.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement:
Mme I. MAIER, Ministerialdirigentin
au ministère fédéral de la justice,              agent,
MM. H. BONK et H. STÖCKER, Regierungsdirektoren
au même ministère, conseillers;
- pour la Commission:
M. J. FROWEIN,  délégué,
Me M. HOFFERBERT, avocat du requérant,
assistant le délégué en vertu de l’article 29 par. 1,
deuxième phrase, du règlement de la Cour.
La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions (paragraphe 4 ci-dessus), M. Frowein et Me Hofferbert pour la Commission et, pour le Gouvernement, Mme Maier qui a employé la langue allemande en application de la décision adoptée par la Cour le 29 septembre 1977 (série A no 27, p. 7, par. 10).
Le Gouvernement a déposé plusieurs documents à l’occasion de l’audience, puis le 3 janvier 1980.
FAITS
8. Seule reste à trancher la question de l’application de l’article 50 (art. 50) en l’espèce. Quant aux faits de la cause, la Cour se borne donc ici à de brèves indications; elle renvoie pour le surplus aux paragraphes 15 à 81 de son arrêt du 28 juin 1978 (ibidem, pp. 7-27).
9. Ce dernier concernait la durée d’instances que le Dr König avait introduites devant le tribunal administratif de Francfort, en 1967 contre le retrait du permis d’exploiter sa clinique puis, en 1971, contre celui de l’autorisation d’exercer sa profession de médecin.
Dans la seconde procédure, le tribunal avait débouté le requérant par un jugement du 9 juin 1976 que la Cour administrative de Hesse avait confirmé en appel le 2 mai 1978. Saisie d’un recours (Nichtzulässigkeitsbeschwerde) et d’un pourvoi en cassation (Revision), la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) les a rejetés les 10 septembre et 18 octobre 1979, par deux décision définitives.
Dans l’affaire de la clinique, le tribunal administratif avait repoussé, le 22 juin 1977, le recours du Dr König dont l’appel demeure pendant devant la Cour administrative de Hesse: avec l’accord des parties, celle-ci a suspendu la procédure le 21 février 1979 en attendant l’issue de l’instance susmentionnée devant la Cour administrative fédérale.
10. Après le prononcé de l’arrêt de la Cour du 28 juin 1978, Gouvernement et requérant ont essayé, avec l’assistance de la Commission, d’aboutir à un règlement amiable sur les demandes de celui-ci, que Me Hofferbert avait précisées dans sa lettre du 18 septembre 1978 (paragraphe 3 ci-dessus). La tentative a échoué en novembre 1978: le Dr König n’a pas trouvé suffisante une offre de 20.000 DM avancée par le Gouvernement pour solde de tout compte.
11. Le requérant réclame la réparation pécuniaire du double dommage que lui aurait causé la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1): elle risquerait de ruiner définitivement sa situation économique et professionnelle; en second lieu, elle nuirait indirectement à sa réputation d’homme et de praticien. Il ne chiffre pas ses prétentions, mais donne certaines indications relatives, notamment, aux revenus annuels moyens qu’il aurait pu escompter en qualité de médecin et de chef de clinque; selon lui, elles permettent de mesurer l’ampleur du préjudice global et d’en évaluer la part imputable au dépassement du "délai raisonnable". Il revendique de surcroît le remboursement des frais exposés par lui tant en Allemagne, pour accélérer l’examen de ses recours, que devant les organes de la Convention.
Le Dr König laisse à la Cour le soin de fixer la somme à lui allouer, confirmant ainsi l’attitude qu’il avait adoptée en 1977 (série A no 27, p. 41, par. 113).
12. Dans leurs observation du 6 octobre 1978 (paragraphe 3 ci-dessus), les délégués de la Commission ont déclaré ne pas désirer commenter la première demande de l’intéressé, laquelle concernerait les suites des deux retraits d’autorisation; à l’audience ils ont estimé impossible, du moins sur la base des renseignements fournis à la Cour, d’attribuer au manquement constaté par celle-ci des pertes matérielles précises. En revanche, ils suggèrent d’avoir égard à la circonstance que le requérant a connu une longue incertitude quant à son avenir professionnel, et ce à un âge - de quarante-neuf (en 1967) à soixante ans (en 1978) - marquant d’habitude le sommet de la carrière d’un homme. Ils pensent en outre que l’infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), considérée en soi, peut elle aussi constituer un élément pertinent pour l’octroi d’une satisfaction équitable.
Quant aux frais de procédure entreraient en ligne de compte les dépenses que le Dr König a supportées pour hâter le déroulement des instances internes et pour défendre sa cause à Strasbourg. Les délégués ne se prononcent par sur le point de savoir s’il en va de même de celles qui ont résulté des demandes introduites par lui devant les juridictions nationales pour voir rétablir l’effet suspensif de son recours contre le retrait de l’autorisation d’exercer; d’après eux, elles ne tendaient pas à activer la procédure mais à limiter les conséquences de sa durée excessive. Ils n’expriment pas davantage d’opinion sur la justification des montants cités par le requérant.
13. Aux yeux du Gouvernement, il n’existe aucun lien de causalité entre la violation relevée par la Cour et le préjudice que l’intéressé allègue avoir subi sur le plan professionnel. Par contre, pourraient donner matière à compensation les frais "appropriés", "nécessaires" et prouvés découlant des recours internes pour autant que ces derniers cherchaient à accélérer la procédure; de plus, les "frais appropriés" assumés devant les organes de la Convention devraient être remboursés. Enfin, il appartiendrait à la Cour de déterminer s’il y a lieu d’allouer au requérant une indemnité au titre du dommage "non matériel" souffert par lui du seul fait du dépassement du "délai raisonnable".
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
14. À l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à "fixer, conformément à l’article 50 (art. 50), une satisfaction équitable pour le requérant", lui laissant le soin d’en apprécier "le montant et les éléments constitutifs."
EN DROIT
15. L’article 50 (art. 50) de la Convention habilite la Cour à accorder au Dr König une satisfaction équitable si, entre autres conditions,le "droit interne" de la République fédérale d’Allemagne "ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences" de la violation constatée par l’arrêt du 28 juin 1978. Or tel est bien le cas: quand un procès se poursuit au-delà du "délai raisonnable" dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) prescrit le respect, la nature intrinsèque de la lésion empêche une réparation intégrale (restitutio in integrum). Le requérant ne peut donc former qu’une demande de satisfaction équitable. Même s’il avait pu ou pouvait en présenter une à un tribunal de son pays, la Cour n’aurait pas l’obligation de rejeter celle dont elle se trouve saisie; elle en a exposé les raisons dans son arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 10 mars 1972 (série A no 14, pp. 8-9 et 10, par. 16 et 20). Les comparants s’accordent du reste à penser que le droit allemand n’offre en l’espèce à l’intéressé aucun recours propre à lui assurer un dédommagement pécuniaire complet.
16. Le Dr König réclame une indemnité au titre des différents préjudices résultant, d’après lui, de la trop longue durée des procédures devant le tribunal administratif de Francfort, ainsi que le remboursement des frais engagés par lui en Allemagne, pour accélérer le déroulement desdites procédures, puis devant les organes de la Convention.
17. D’après les délégués de la Commission, pour se prononcer sur ses prétentions il faut d’abord savoir dans quelle mesure les deux instances dont il s’agit ont excédé le "délai raisonnable". A leurs yeux, pour aucune d’entre elles un laps de temps supérieur à quatre ans ne saurait passer pour compatible avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1). A en croire l’intéressé, elles auraient pu se terminer en 1973 voire plus tôt.
Dans son arrêt du 28 juin 1978, la Cour n’a pas cherché à quantifier le dépassement du "délai raisonnable" en indiquant, fût-ce de manière approximative, à quelles dates il aurait commencé ou sur quelle période globale il aurait porté. En effet pareille appréciation ne lui a semblé et ne lui semble guère possible, en raison de sa conclusion selon laquelle, indépendamment des lenteurs imputables au requérant, le manquement aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) découlait d’une série de circonstances touchant à la conduite des procès par les deuxième et quatrième chambres du tribunal administratif de Francfort (série A no 27, pp. 34-37 et 38-40, par. 102-105 et 107-111).
Ainsi, la procédure relative au retrait de l’autorisation d’exploiter la clinique s’ouvrit par un échange de mémoires qui s’étala sur près de dix-sept mois; la première mesure d’instruction ne fut prise que vingt et un mois après le début de l’instance et dix-sept mois s’écoulèrent avant que la quatrième chambre se procurât les pièces réunies par les tribunaux professionnels; l’envoi du dossier aux autorités et juridictions devant lesquelles le Dr König exerça ses divers recours occasionna des retards non négligeables: enfin, plus de sept ans après sa saisine la quatrième chambre sursit à statuer jusqu’à l’issue de la procédure en cours devant la deuxième, procédure qui à l’époque se trouvait de son côté suspendue (série A no 27, pp. 36-37, par. 104).
Dans l’affaire du retrait de l’autorisation de pratiquer, la deuxième chambre ne fixa qu’après environ trois ans et neuf mois la première audience consacrée aux dépositions des témoins et aux plaidoiries; elle avait attendu plus de dix mois pour décider l’intervention de l’ordre régional des médecins, dont les plaintes avaient déclenché la procédure devant les tribunaux professionnels puis provoqué le retrait des deux autorisations; là aussi, la communication du dossier à différentes autorités et juridictions amena des retards considérables; surtout, vingt-trois mois après sa saisine la chambre sursit à statuer pendant vingt et un mois: elle souhaitait connaître le résultat des poursuites pénales intentées, plus d’un an auparavant, contre l’intéressé (série A no 27, pp. 39-40, par. 110).
Les retards relevés par la Cour ne se prêtent guère à une simple addition car il a existé entre eux à la fois des chevauchements et des interactions, mais ils sont indéniables et ont sans doute entraîné un allongement des procédures de quelques années.
C’est sur la base de ces éléments qu’elle a constaté une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et qu’il lui incombe à présent de s’acquitter de la tâche définie à l’article 50 (art. 50).
18. Avant d’examiner en détail les demandes du Dr König, la Cour rappelle que son arrêt du 28 juin 1978 ne concernait pas la validité des retraits d’autorisation incriminés, mais uniquement le déroulement des instances engagées devant le tribunal administratif de Francfort. Les différents préjudices qu’auraient causés les retraits eux-mêmes ne sauraient donc entrer en ligne de compte. Seuls peuvent donner lieu à l’octroi d’une satisfaction équitable ceux que le requérant n’aurait pas éprouvés si lesdites instances s’étaient achevées dans un délai raisonnable.
19. L’intéressé allègue en avoir subi, mais il n’en démontre pas la matérialité et n’en spécifie pas l’étendue; il n’indique pas non plus à quelles sommes il estime avoir droit à titre de satisfaction équitable. Il faut bien admettre, avec les délégués de la Commission, qu’il se révèle en effet très malaisé d’isoler nettement les dommages résultant de la durée excessive des procédures internes. Quoique normalement les requérants doivent chiffrer leurs prétentions, la Cour manquerait à l’équité voulue par l’article 50 (art. 50) si elle ne prenait pas en considération les difficultés rencontrées à cet égard par le Dr König. Aussi n’a-t-elle pas cru devoir le faire inviter à préciser le montant de la réparation qu’il réclame.
La Cour souligne que si le dépassement du "délai raisonnable" n’a pu porter par lui-même atteinte à la réputation du requérant, comme l’affirme ce dernier, il l’a maintenu pendant toute sa durée dans une "incertitude prolongée" (série A no 27, p. 37, par. 105) en raison de la lenteur des deux instances en question. Au moment de l’adoption de l’arrêt du 28 juin 1978, elles étaient en cours depuis plus de dix ans et dix mois pour la première (direction de la clinique), plus de sept ans et un mois pour la seconde (pratique de la médecine).
Pareille situation était de nature à conduire le Dr König à différer trop longtemps, vu son âge, la recherche d’une nouvelle activité. La Cour doit en tenir compte bien qu’il ne soit pas établi que des perspectives de reconversion professionnelle s’ouvraient à lui. D’autre part, la longueur excessive de la procédure relative à la direction de la clinique a, selon toute vraisemblance, lésé l’intéressé en l’incitant à renvoyer à plus tard la vente ou la location de cette dernière et à laisser ainsi échapper certaines chances ou occasions. Enfin, l’incertitude prolongée dans laquelle il a vécu pendant quelques années supplémentaires, attendant l’issue toujours aléatoire du procès, a constitué pour lui une source d’inquiétude permanente et profonde; elle lui a causé par elle-même un préjudice moral.
Aucun de ces éléments ne se prête à un calcul. Les appréciant dans leur ensemble en équité, comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour considère qu’il y a lieu d’accorder de ce chef au requérant une satisfaction dont elle fixe le montant à 30.000 DM.
20. Le Dr König est en droit de réclamer, de surcroît, le remboursement des frais qu’il a engagés dans ses recours aux juridictions allemandes et devant les organes de la Convention. Cette solution cadre avec l’arrêt Neumeister du 7 mai 1974: la Cour y a distingué "entre le préjudice entraîné par une violation de la Convention et les frais nécessaires que l’intéressé a dû exposer pour essayer de [la] prévenir [...], pour la faire constater par la Commission puis par la Cour et pour obtenir, après un arrêt favorable, une satisfaction équitable soit des autorités nationales compétentes soit, le cas échéant, de la Cour" (série A no 17, pp. 20-21, par. 43).
21. Partant, le requérant a droit d’abord au remboursement des sommes dépensées par lui pour exercer ceux de ses recours qui tendaient à un déroulement plus rapide des procès.
Selon lui, il en allait bien ainsi de chacun des dix recours qu’il énumère. La Cour relève cependant que cinq d’entre eux visaient au rétablissement de l’effet suspensif de l’opposition formée par lui contre le retrait de l’autorisation de pratiquer, par exemple les recours constitutionnels des 11 mars, 29 novembre et 9 décembre 1975. S’ils mentionnaient la lenteur des procédures litigieuses, leur but ne consistait pas à en accélérer la marche mais à épargner au Dr König les répercussions immédiates du retrait incriminé, de sorte que les frais assumés à leur occasion n’entrent pas en ligne de compte sur le terrain de l’article 50 (art. 50). La Cour souscrit sur ce point à la thèse du Gouvernement.
22. Restent cinq recours constitutionnels dont le Gouvernement ne conteste pas qu’ils avaient pour objectif d’activer les instances pendantes devant le tribunal administratif de Francfort: les recours présentés par Me Demme le 18 octobre 1973 dans la seconde affaire et le lendemain dans la première, par Me Schilling le 12 novembre 1973 dans chacune d’elles et le 27 mars 1975 par Me von Stackelberg dans la deuxième.
D’après le Gouvernement, il faut se limiter à ceux dont l’introduction était nécessaire ou raisonnable. De toute manière, ajoute-t-il, si l’on se base sur le barème fédéral des honoraires d’avocat (Bundesgebührenordnung für Rechtsanwälte) le requérant peut prétendre à 2.200 DM environ et non aux 2.875 DM 65 qu’il réclame.
23. De l’avis de la Cour, la demande de l’intéressé se justifie au regard de l’article 50 (art. 50) si et dans la mesure où ses recours et ses frais d’avocat revêtent un caractère raisonnable dans les circonstances de la cause (voir, mutatis mutandis, le passage précité de l’arrêt Neumeister du 7 mai 1974).
Les deux recours du 12 novembre 1973 ne remplissent pas cette condition car moins d’un mois auparavant Me Demme avait saisi aux mêmes fins la Cour constitutionnelle qui n’avait pas encore statué. De la somme susmentionnée de 2.875 DM 65, il y a donc lieu de retrancher les 1.000 DM versés par le requérant à Me Schilling.
En revanche, le Dr König a droit au remboursement des 1.875 DM 65 qu’il a payés à Me Demme et Me von Stackelberg pour les recours des 18 octobre 1973, 19 octobre 1973 et 27 mars 1975. Ce montant, un peu plus élevé que le Gouvernement ne le croit légitime, n’est pas pour autant disproportionné ou déraisonnable. Sans doute la Cour avait-elle retenu, dans son arrêt du 7 mai 1974, les taux appliqués à l’époque dans le cadre du système d’assistance judiciaire gratuite qui fonctionne auprès de la Commission et de ses délégués (série A no 17, p. 21, par. 44), mais cette décision découlait du fait que M. Neumeister, à la différence du Dr König, n’avait pas fourni de notes détaillées d’honoraires (série B no 15, p. 134; série A no 17, pp. 19-20, par. 42).
24. Quant à la procédure devant les organes de la Convention, l’intéressé n’a pas bénéficié de l’assistance judiciaire gratuite. Il a réglé 1.075 DM 10 à Me Heldmann et 3.000 FF (correspondant à l’époque à 1.738 DM 20) à Me Burger, ses conseils devant la Commission; 1.000 DM à Me Burger et 2.140 DM 60 à Me Hofferbert, ses avocats au stade de l’examen du fond du litige (article 6 par. 1) (art. 6-1) par la Cour; enfin, 2.832 DM à Me Hofferbert, pour avoir assisté les délégués durant la procédure relative à l’article 50 (art. 50).
Les comparants s’accordent à penser que les frais assumés par lui à ces divers titres entrent en ligne de compte sur le terrain de l’article 50 (art. 50), mais ils expriment des opinions divergentes quant à la base adéquate de calcul. Le Gouvernement estime approprié d’adopter une norme européenne uniforme, à savoir le barème établi par la Commission en matière d’assistance judiciaire gratuite; il invoque l’arrêt Neumeister du 7 mai 1974. Les délégués, eux, trouvent assez anormal que des requérants ressortissant de pays où la justice est moins onéreuse obtiennent une prise en charge intégrale tandis que d’autres auraient à supporter un reliquat parfois considérable.
La Cour rappelle que la solution de l’arrêt précité s’expliquait uniquement par les circonstances de la cause (paragraphe 23 ci-dessus). En l’espèce, elle n’aperçoit aucun motif de refuser un remboursement complet des frais engagés pour autant qu’ils se révèlent raisonnables.
25. Le Gouvernement, au demeurant, ne soulève aucune objection contre les demandes touchant aux honoraires de Me Burger, mais il conteste la première des deux notes de Me Hofferbert; il affirme, en particulier, que le concours de celui-ci n’était pas indispensable.
La Cour souscrit à la thèse du Gouvernement. Seul Me Burger comparut en 1977 devant la Cour aux côtés des délégués de la Commission, en vertu de l’article 29 par. 1, seconde phrase, du règlement (série A no 27, pp. 7 et 41, par. 13 et 113). Il connaissait le dossier du Dr König depuis longtemps car il avait représenté ce dernier devant la Commission. Du reste, le requérant n’a pas démontré qu’une distribution des tâches entre Me Burger et Me Hofferbert s’imposait lors de l’examen du fond de l’affaire par la Cour.
Selon le Gouvernement, les honoraires versés par l’intéressé à Me Heldmann, puis à Me Hofferbert durant la procédure relative à l’article 50 (art. 50), ne correspondent pas aux tarifs en vigueur dans la République fédérale d’Allemagne; ils en atteindraient environ le double. Aux yeux de la Cour, ils ne sauraient pourtant passer pour disproportionnés.
26. Le Dr König demande enfin la couverture de dépenses personnelles de 1.269 DM entraînées, pour l’essentiel, par ses déplacements à Strasbourg de 1973 à 1978. Le Gouvernement déclare ne formuler aucune objection.
D’après l’article 26 par. 3 du règlement intérieur de la Commission, le requérant ou son représentant comparaît devant cette dernière pour plaider sa cause lors de débats contradictoires ordonnés par elle ou pour toute autre raison si elle l’y invite. S’il ne possède pas la qualité de partie devant la Cour, sa présence dans la salle d’audience n’en offre pas moins un grand intérêt; elle peut procurer à la Cour le moyen de connaître sur-le-champ, soit directement soit par l’intermédiaire des délégués ou de leurs assistants (articles 38 et 39 du règlement), la position de l’intéressé sur les questions le concernant.
27. Partant de ces données, la Cour fixe à 9.789 DM 95 la somme à payer au Dr König du chef de ses frais d’avocat et de ses dépenses personnelles, à quoi s’ajoutent 30.000 DM au titre des dommages résultant du dépassement du "délai raisonnable" dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) exige le respect (paragraphe 19 ci-dessus).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, à l’unanimité, que la République fédérale d’Allemagne doit verser au Dr König une indemnité de 39.789 DM 95.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le dix mars mil neuf cent quatre-vingts.
Pour le Président
Léon LIESCH
Juge
Marc-André EISSEN
Greffier
ARRÊT DE BECKER c. BELGIQUE
ARRÊT DE BECKER c. BELGIQUE 
ARRÊT KÖNIG c. ALLEMAGNE (ARTICLE 50)
ARRÊT KÖNIG c. ALLEMAGNE (ARTICLE 50)


Type d'affaire : Arrêt (Satisfaction équitable)
Type de recours : Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 41) PREJUDICE MORAL


Parties
Demandeurs : KÖNIG
Défendeurs : ALLEMAGNE (ARTICLE 50)

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (plénière)
Date de la décision : 10/03/1980
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 6232/73
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1980-03-10;6232.73 ?

Source

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