La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/11/1981 | CEDH | N°7215/75

CEDH | AFFAIRE X. c. ROYAUME-UNI


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE X. c. ROYAUME –UNI
(Requête no 7215/75)
ARRÊT
STRASBOURG
5 novembre 1981
En l’affaire X contre Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. WIARDA, président, 
M. ZEKIA, 
D. EVRIGENIS, 
F. MATSCHER, 
J. PIN

HEIRO FARINHA, 
B. WALSH, 
R. JENNINGS, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE X. c. ROYAUME –UNI
(Requête no 7215/75)
ARRÊT
STRASBOURG
5 novembre 1981
En l’affaire X contre Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. WIARDA, président, 
M. ZEKIA, 
D. EVRIGENIS, 
F. MATSCHER, 
J. PINHEIRO FARINHA, 
B. WALSH, 
R. JENNINGS, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 et 24 juin 1981, puis les 23 et 24 octobre 1981,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire X contre Royaume-Uni a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"). A son origine se trouve une requête dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet État, visé ci-après par l’initiale X, avait saisi la Commission le 14 juillet 1974 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention. Contrairement à la pratique habituelle et en raison d’un voeu exprimé par la famille de l’intéressé, décédé en 1979, le présent arrêt n’indique pas l’identité de ce dernier.
2. La demande de la Commission a été déposée au greffe le 13 octobre 1980, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration du Royaume-Uni reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision de celle-ci sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 5 par. 1, 2 et 4 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4).
3. La Chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Balladore Pallieri, président de la Cour (article 21 par. 3b) du règlement). Le 6 novembre 1980 le président, en présence du greffier, a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. J. Cremona, F. Gölcüklü, E. García de Enterría, L.-E. Pettiti et R. Macdonald (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
Sir Vincent Evans s’est récusé le 18 novembre en application de l’article 24 par. 2 du règlement. Le 16 décembre, le gouvernement du Royaume-Uni ("le Gouvernement") a nommé pour siéger en qualité de juge ad hoc M. R. Y. Jennings, Q. C., professeur de droit international (fondation Whewell) à l’Université de Cambridge (articles 43 de la Convention et 23 du règlement) (art. 43). Cinq suppléants, MM. M. Zekia, D. Evrigenis, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha et B. Walsh, ont remplacé ultérieurement MM. J. Cremona, F. Gölcüklü, E. García de Enterría, L.-E. Pettiti et R. Macdonald, empêchés (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4. M. Balladore Pallieri a assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement). Par l’intermédiaire du greffier, il a recueilli l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 2 décembre 1980, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 3 mars 1981 pour déposer un mémoire et que le délégué pourrait y répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le lui aurait communiqué.
M. G. Wiarda, alors vice-président de la Cour, a remplacé à la tête de la Chambre M. Balladore Pallieri après la mort de celui-ci le 9 décembre 1980 (article 21 par. 3b) et 5 du règlement). Le 3 mars 1981, il a consenti à proroger jusqu’au 7 avril le délai accordé au Gouvernement, dont le greffe a reçu le mémoire le 27 mars. Le 24 avril, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué présenterait ses observations pendant les audiences.
5. Le 27 avril 1981, le président a fixé au 22 juin la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
6. Les débats se sont déroulés en public le 22 juin, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mme A. GLOVER, jurisconsulte,
ministère des affaires étrangères et du Commonwealth,  
agent en exercice,
M. S. BROWN, avocat,  conseil,
M. A. COLE, service juridique
du ministère de l’intérieur,
M. A. HARDING, ministère de l’intérieur,
M. D. PICKUP, Treasury Solicitor’s Department,  conseillers;
- pour la Commission:
M. S. TRECHSEL,  délégué,
M. T. NAPIER, solicitor,
assistant le délégué (article 29 par. 1, seconde phrase, du  
règlement).      
M. L. GOSTIN, Legal Director,
MIND (National Association for Mental Health),
La Cour a entendu MM. Trechsel, Napier et Gostin pour la Commission, M. Brown pour le Gouvernement. Le délégué a produit plusieurs pièces.
7. A des dates diverses allant du 10 juillet au 21 octobre, le greffe a reçu des personnes assistant le délégué, du Gouvernement et du secrétariat de la Commission leurs réponses à une demande de documents et à certaines questions de la Cour, ainsi que leur commentaires sur certaines de ces réponses.
FAITS
8. Le requérant, ressortissant britannique né en 1934, est décédé en 1979. A l’époque où il a saisi la Commission, il se trouvait détenu à l’hôpital de Broadmoor, établissement psychiatrique spécial de sécurité pour délinquants aliénés.
Il se plaignait d’y avoir été rappelé en avril 1974 après trois ans de liberté conditionnelle. D’après lui cette mesure ne se justifiait pas, on ne lui en avait pas fourni dans le plus court délai des raisons suffisantes et aucun moyen efficace de la contester ne s’offrait à lui.
A. Droit et pratique internes pertinents
9. En Angleterre et au pays de Galles, l’internement des aliénés et, en particulier, la détention obligatoire des patients poursuivis au criminel obéissent à la loi de 1959 sur la santé mentale (Mental Health Act 1959, "la loi de 1959"), dont les dispositions pertinentes sont en cours de révision.
L’article 147 par. 1 définit le "malade" comme "une personne souffrant ou paraissant souffrir d’un trouble mental", l’article 4 par. 1 le "trouble mental" comme "une maladie mentale, un développement intellectuel interrompu ou incomplet, un trouble psychopathique ou tout autre trouble ou faiblesse d’esprit". De son côté, l’article 80 par. 1 appelle "médecin traitant" - dénomination utilisée dans la suite du présent arrêt - "le praticien chargé du traitement du malade".
10. L’article 60 par. 1 habilite les juridictions pénales à décider, le cas échéant, qu’une personne reconnue coupable subira - au besoin dans un hôpital spécial de sécurité pour délinquants aliénés (article 40 de la loi de 1973 sur la réorganisation du service national de santé) - un traitement médical au lieu d’une peine. Ainsi, une Crown Court - avant 1971, une cour d’assises ou des Quarter Sessions - peut autoriser l’admission, dans un hôpital désigné par son ordonnance ("ordonnance d’internement"), d’un individu convaincu devant elle d’une infraction autre que celles frappées d’une peine fixe d’après le droit en vigueur. Parmi les conditions à remplir figurent celles-ci:
a) la cour doit avoir constaté, à la lumière des attestations écrites ou orales de deux médecins, dont un au moins spécialisé dans le diagnostic ou la thérapeutique des troubles mentaux, que le délinquant souffre d’une maladie mentale, d’un trouble psychopathique, de faiblesse d’esprit ou de débilité profonde et que le trouble mental en question justifie, par son caractère ou son ampleur, la détention de l’intéressé dans un hôpital psychiatrique pour traitement;
b) elle doit estimer, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, notamment la nature de l’infraction, la personnalité du délinquant, ses antécédents et les autres solutions possibles, qu’une ordonnance d’internement constitue le moyen le plus indiqué.
11. D’après l’article 65 par. 1, la cour peut assortir son ordonnance d’internement, pour une durée indéterminée ou pour la période qu’elle précise, de restrictions spéciales à l’élargissement si la protection du public lui paraît en exiger compte tenu de la nature de l’infraction, des antécédents du délinquant et du risque de le voir commettre de nouvelles infractions si on le relâche. Avant de rendre une telle "ordonnance restrictive" (restriction order), il lui faut entendre l’un au moins des médecins mentionnés plus haut.
12. Une fois prononcée une ordonnance restrictive, le patient - mais non son traitement - relève de l’autorité du ministre de l’intérieur (Home Secretary).
Ainsi, l’article 66 de la loi de 1959 dote le ministre d’attributions particulières quant à l’élargissement de malades assujettis à pareille ordonnance. Si cette dernière ne lui semble plus requise par la protection du public, il peut décider que l’intéressé finira de subir les restrictions spéciales (paragraphe 1). Pendant qu’elle se trouve en vigueur, il peut le faire sortir de l’hôpital, "s’il le juge bon", avec ou sans conditions (paragraphe 2). Dans la seconde hypothèse, l’ordonnance cesse de déployer ses effets (ibidem); dans la première (paragraphe 3), aussi longtemps qu’elle subsiste le ministre peut à tout moment provoquer, par mandat (warrant), la réintégration du patient.
13. D’après les paragraphes 6 à 8 de l’article 66, le ministre peut à chaque instant consulter une "commission de contrôle psychiatrique" (Mental Health Review Tribunal) sur le cas d’un malade sous le coup d’une ordonnance restrictive. L’intéressé peut sinon saisir lui-même une telle commission, du moins y inviter par écrit le ministre. Si la demande émane d’un interné, le ministre doit y donner suite dans les deux mois qui en suivent la réception, sauf à le relâcher avec ou sans conditions d’ici là. Les demandes ne peuvent être présentées qu’à des intervalles précis: en principe un an après l’ordonnance d’internement, un an plus tard puis tous les deux ans; s’il s’agit d’une personne réintégrée après un élargissement sous conditions, six mois après la réadmission, un an après celle-ci puis tous les deux ans.
14. Créées par l’article 3 de la loi de 1959, les commissions de contrôle psychiatrique comprennent un juriste, un psychiatre (indépendant de l’établissement traitant l’interné) et un troisième membre possédant les qualifications voulues. Une de leurs fonctions consiste à conseiller périodiquement le ministre de l’intérieur sur l’état des patients (paragraphe 13 ci-dessus). Leur opinion ne le lie pas bien qu’il en tienne compte: il peut l’écarter si l’expertise médicale n’aboutit pas à des conclusions nettes, s’il y a contradiction avec d’autres avis recueillis par lui ou si les intérêts de la sécurité du public l’exigent.
D’après l’article 19 de leur règlement, les commissions de contrôle psychiatrique examinent les cas que leur défère le ministre de la manière, dépourvue de formalisme, qui leur paraît appropriée; elles peuvent interroger le malade et elles le doivent s’il le sollicite. En pratique, un malade assujetti à une ordonnance restrictive peut, comme tout autre malade détenu, se faire représenter par un juriste ou accompagner par des proches, ou les deux. On ne lui communique pas, en général, le dossier des pièces produites devant la commission par le ministère de l’intérieur et on le communique en partie seulement à son représentant, s’il en a un. Par exemple, on n’envoie jamais à ce dernier le compte rendu de la situation familiale de l’intéressé et on ne lui donne connaissance du rapport médical le plus récent qu’avec l’accord du médecin traitant.
Le ministre considère comme confidentiels les avis des commissions de contrôle psychiatrique. On se borne à indiquer aux malades et à leurs représentants qu’il a pris sa décision à la lumière de pareil avis.
15. D’après les renseignements fournis par le Gouvernement, il existe quatre moyens d’amener le ministère de l’intérieur à rechercher si la détention d’un malade soumis à restrictions demeure nécessaire:
- le médecin traitant peut préconiser l’élargissement du patient;
- ce dernier peut demander la saisine d’une commission de contrôle psychiatrique (paragraphe 13 ci-dessus);
- ou écrire à un parlementaire qui signale son cas au ministre;
- ou écrire en personne à celui-ci pour réclamer sa libération.
16. La saisie au corps initiale de l’individu à réinterner incombe en général à un agent de police, mais ce peut être aussi un travailleur social, un agent de probation, un infirmier ou "toute personne munie d’une autorisation écrite de la direction de l’asile" (articles 40 par. 1 et 66 par. 3b) de la loi de 1959).
A la fin de 1980, des circulaires ministérielles adressées aux autorités compétentes, dont la police, le service de probation et les hôpitaux spéciaux, ont annoncé qu’"afin de parer à des critiques exprimées par la Commission européenne des Droits de l’Homme", on allait introduire une nouvelle procédure en deux étapes pour informer les malades rappelés des motifs de leur réinternement. Première phase: la personne qui se saisit de l’intéressé doit lui déclarer en termes simples qu’il va retourner à l’hôpital en vertu d’une décision du ministre de l’intérieur, adoptée au titre de la loi de 1959, et qu’il recevra ultérieurement des explications complémentaires. Ensuite, un compte rendu détaillé des raisons du rappel doit être donné au malade par le personnel médical de l’établissement où il lui faudra séjourner, et ce le plus tôt possible après son arrivée et en tout cas dans les 72 heures. En outre, le médecin traitant a l’obligation de veiller à faire porter lesdites raisons à la connaissance du fonctionnaire qui surveillait le patient pendant sa période de liberté, ainsi que d’un membre responsable de la famille - ou de conseiller juridique - de ce dernier.
17. Tout détenu peut adresser une demande unilatérale (ex parte) de mandat (writ) d’habeas corpus soit à l’une des Divisional Courts de la Queen’s Bench Division soit, en dehors de leurs réunions, à un juge unique à la High Court en train de siéger, soit à défaut à un tel juge où qu’il se trouve. Né de la common law puis développé par le législateur comme par la jurisprudence, ce recours permet à chacun de contester la légalité de sa détention. Son examen jouit de la priorité. Il s’opère sur la base d’attestations écrites sous serment (affidavit evidence) qui, en pratique, ne donnent pas lieu à interrogatoire "croisé" (cross examination). D’ordinaire la demande est présentée par un conseil; le tribunal n’entend l’intéressé lui-même que dans des circonstances exceptionnelles. Le magistrat ou la Divisional Court peuvent, en cas d’illégalité manifeste, délivrer d’emblée le mandat, mais le plus souvent ils font communiquer la demande à la personne qui en détient l’auteur, pour lui offrir l’occasion de comparaître devant le tribunal au complet afin de justifier la détention. Si les débats ne la convainquent pas de la régularité de cette dernière, la Divisional Court délivre le mandat qui entraîne l’élargissement de l’intéressé.
En la matière, rien ne limite l’accès aux tribunaux des malades internés en vertu de la loi de 1959. D’après le Gouvernement, ils peuvent à tout moment réclamer un mandat d’habeas corpus, à ceci près qu’après le rejet d’une demande, une demande nouvelle fondée sur les mêmes motifs n’aboutira pas sans éléments nouveaux à l’appui.
18. Les tribunaux peuvent jouir en la matière d’un droit de regard très étendu. Les articles 3 et 4 de la loi de 1816 sur l’habeas corpus les habilitent à s’assurer de l’exactitude des faits énoncés dans la réponse (return) au mandat quand le requérant n’est interné ni "pour une affaire pénale ou présumée telle, ni emprisonné pour dette ou dans le cadre d’un litige civil".
19. La manière dont la procédure d’habeas corpus joue en pratique n’a pourtant rien d’uniforme et la jurisprudence ne semble pas exempte de contradictions. Celles-ci s’expliquent en partie, comme le souligne le Gouvernement, par le fait que l’ampleur du contrôle varie en fonction du contexte dans lequel s’insère la demande. Elle dépend notamment dans une large mesure des termes de la loi applicable lorsque la privation de liberté découle d’un ordre lancé au titre d’un pouvoir "discrétionnaire" (discretionary) dont le parlement a investi l’exécutif.
Quand un tribunal examine, dans une instance en habeas corpus, une décision administrative de liberté, il recherche toujours si la détention cadre avec les normes de la législation en vigueur. En outre, il peut censurer pareille décision, même régulière en la forme, si, entre autres, l’autorité dont elle émane a abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi, à la légère ou dans un but illégitime (R. v. Governor of Brixton Prison, ex parte Sarno, King’s Bench 1916, vol. 2, p. 742, et R. v. Brixton Prison (Governor), ex parte Soblen, All England Law Reports 1962, vol. 3, p. 641), si la décision ne s’appuie sur aucune preuve suffisante ou si nulle personne sensée n’aurait pu la prendre dans les circonstances de l’espèce (Shahid Iqbal, Weekly Law Reports 1978, vol. 3, p. 884, et Zamir v. Secretary of State, All England Law Reports 1980, vol. 2, p. 768). Sous cette réserve, il ne lui appartient pas d’en scruter les motifs ou le bien-fondé pour autant que seule ladite autorité a juridiquement compétence pour se prononcer à leur sujet.
S’il paraît ressortir de la réponse au mandat que la détention repose sur une base légale, il incombe en pratique à l’intéressé d’en établir l’irrégularité (Re Wajid Hassan, All England Law Reports 1976, vol. 2, p. 123, et Zamir v. Secretary of State, loc. cit.).
B. Les circonstances de l’espèce
20. En 1965 et 1966, le requérant subit un traitement psychiatrique pour hallucinations. On diagnostiqua chez lui une psychose paranoïde.
Le 22 octobre 1968, il comparut devant les assises de Sheffield et reconnut avoir infligé à quelqu’un des blessures visant à causer des lésions corporelles graves (wounding with intent to cause grievous bodily harm); il avait frappé à la bouche un collègue à l’aide d’une lourde clef.
Après l’avoir déclaré coupable, la cour le plaça en détention provisoire pour expertise médicale. Le 7 novembre 1968, à la réouverture des audiences, elle entendit deux médecins en leurs rapports sur l’état mental de X; elle prit ensuite, en vertu de l’article 60 de la loi de 1959, une ordonnance prescrivant de l’interner à l’hôpital de Broadmoor, établissement spécial de sécurité pour délinquants aliénés, et une ordonnance restrictive valable pour une durée indéterminée, en application de l’article 65.
21. Les autorités de l’hôpital examinèrent fréquemment le cas de l’intéressé pendant son séjour à Broadmoor. A sa propre demande, le ministre de l’intérieur en saisit une commission de contrôle psychiatrique en janvier 1970. A la lumière de l’avis de celle-ci, il décida de ne pas consentir à relâcher le requérant ni à le transférer dans un autre hôpital.
Toutefois, en janvier 1971 le médecin traitant put signaler une amélioration de l’état de X, à telle enseigne qu’il préconisa un élargissement sous conditions. Le ministre en décida de la sorte le 19 mai 1971, sur la base de l’article 66 par. 2 de la loi de 1959. Les obligations à respecter consistaient à loger au domicile conjugal, accepter la surveillance d’un agent de probation et se présenter périodiquement à la consultation externe d’une clinique psychiatrique désignée par le médecin traitant de l’hôpital de Broadmoor.
22. Durant cette période de liberté, le requérant vécut avec son épouse et sans commettre de nouvelles infractions. D’abord au chômage, il se procura pour finir des emplois stables. L’agent de probation et un psychiatre conseil de Sheffield le rencontrèrent à intervalles réguliers. D’après les rapports relatifs à son état, il continuait à souffrir de troubles mentaux, mais jusqu’en avril 1974 l’agent de probation, le médecin traitant de Broadmoor - que celui-ci tenait au courant - et le psychiatre conseil de Sheffield ne virent pas pourquoi il ne conserverait pas sa liberté.
23. Le vendredi 5 avril 1974, toutefois, sa femme se rendit auprès de l’agent de probation et lui déclara que depuis longtemps son mari n’allait pas aussi bien qu’elle l’avait indiqué antérieurement. Au contraire, précisa-t-elle, il restait halluciné et menaçant, usant de termes obscènes, l’accusant de moeurs relâchées et s’adonnant à la boisson. Elle affirma qu’elle était à bout de résistance et voulait le quitter le lendemain, mais qu’elle avait peur de se retrouver seule avec lui chez eux ce soir-là.
L’agent de probation alerta le médecin traitant de Broadmoor. Ce dernier connaissait le passé de X, marqué notamment par un comportement impulsif et dangereux en cas de forte tension; en outre, il possédait une copie des rapports psychiatriques établis sur le compte de l’intéressé pendant sa période de liberté conditionnelle. Aussi craignit-il de le voir se livrer à nouveau à la violence, spécialement s’il découvrait que sa femme voulait le quitter. Il ne jugea pas nécessaire d’essayer de contrôler la légitimité des griefs de celle-ci: il estima suffisant qu’elle les eût formulés et que l’agent de probation les eût trouvés crédibles. Le médecin saisit donc le ministre de l’intérieur qui, suivant son conseil, ordonna immédiatement la réintégration du requérant à l’hôpital de Broadmoor, en vertu de l’article 66 par. 3 de la loi de 1959.
24. Dans l’après-midi du même jour, peu après avoir regagné son foyer en rentrant de son travail, X fut appréhendé par la police. Les pièces du dossier ne révèlent pas ce qu’elle lui dit au juste en s’assurant de sa personne. Il a prétendu n’avoir reçu d’autre explication que l’avis de mandat (warrant order) lui-même. Le Gouvernement se réfère à la pratique alors habituelle en pareil cas: on se bornait à informer l’intéressé de son rappel à Broadmoor par le ministre de l’intérieur. Le requérant passa la nuit en détention, puis on le ramena le lendemain à l’hôpital de Broadmoor.
25. Selon lui, à son arrivée on ne lui révéla nullement les motifs de sa réintégration, mais quelque temps après des entretiens avec le médecin traitant lui donnèrent à penser qu’elle avait un lien avec des griefs de son épouse.
D’après le Gouvernement, ledit médecin s’efforça d’exposer à X, dès son retour à Broadmoor, les raisons de son rappel, en particulier les craintes et inquiétudes exprimées par sa femme; cependant, comme l’intéressé était à l’époque plein d’amertume, perturbé et sujet à des hallucinations, il peut - estime le Gouvernement - ne pas avoir entièrement compris ou assimilé les éclaircissements fournis.
26. Le samedi matin, avant de regagner Broadmoor sous escorte, X avait chargé des conseils de réclamer en son nom un mandat d’habeas corpus.
Le lundi suivant, ils téléphonèrent au médecin traitant; il leur parla en termes généraux, et à titre confidentiel, de la visite de Mme X à l’agent de probation, des préoccupations manifestées par elle quant à certains aspects de l’attitude de son mari et de l’initiative qu’il avait prise de recommander de le rappeler à l’hôpital afin de protéger sa sûreté à elle.
La demande, unilatérale (ex parte), vint le 24 mai devant la Divisional Court. Avec l’accord du conseil du requérant, celle-ci en ajourna l’examen pour complément d’instruction; elle désirait, en particulier, en savoir davantage sur les motifs qui avaient entraîné la décision du ministre de l’intérieur. Un des juges déclara: "Il nous faut vraiment de plus amples renseignements, (...) et bien souvent le malade ne peut les donner lui-même. On doit rechercher les origines de son rappel."
27. Le même jour, les conseils de l’intéressé écrivirent au ministère de l’intérieur pour l’inviter à leur indiquer les raisons du réinternement de leur client. Il leur répondit par une lettre du 31 mai:
"En avril 1974, l’agent de probation a signalé au psychiatre conseil de Broadmoor que l’état [de X] inspirait des soucis. A la lumière de l’avis reçu du psychiatre, le ministère de l’intérieur a jugé nécessaire à la protection du public et dans le propre intérêt du requérant de rappeler immédiatement celui-ci à l’hôpital pour complément d’observation et de traitement."
Les conseils prirent aussi contact avec le service de probation de Sheffield, mais il leur refusa les précisions sollicitées.
28. La Divisional Court examina le recours le 21 juin 1974. Elle se trouvait saisie de la lettre précitée du ministère de l’intérieur, du 31 mai, de celles de trois anciens collègues du requérant, affirmant n’avoir rien remarqué d’anormal dans son comportement, et d’attestations sous serment de X, de son médecin de famille et du psychiatre conseil de Sheffield. Les deux dernières attestations s’accompagnaient de rapports médicaux établis à la demande des conseils et couvrant la période de liberté conditionnelle de l’intéressé.
Dans son rapport, daté du 12 juin 1974, le psychiatre conseil écrivait:
"Depuis assez longtemps, je pensais que nous nous trouvions assis sur une bombe à retardement, mais sans avoir nettement la preuve d’une probabilité réelle de le voir nuire à quelqu’un. Néanmoins, j’ai éprouvé de vives appréhensions tout au long de cette période (...). A mes yeux, il s’agit d’un homme récriminateur et soupçonneux sujet à des idées paranoïdes et présentant inévitablement un risque pour la collectivité (...)."
Il confirmait aussi l’opinion qu’il avait exprimée en septembre 1971 dans une lettre au service de probation de Sheffield. Il y avait parlé de la nécessité d’éloigner X de situations déprimantes capables de l’amener à tuer ou blesser grièvement des tiers; il avait ajouté:
"Le plus grand danger, pour qui le soigne, est de perdre son jugement au point de sous-estimer les signes frappants de psychose paranoïde qu’il a montrés."
Le conseil du requérant, soulignant que son client ignorait totalement pourquoi l’agent de probation avait alerté le médecin traitant de Broadmoor, expliqua:
"En dépit de nos démarches, nous n’avons obtenu aucun renseignement à ce propos, de sorte que pour le requérant ou ses conseillers il est malaisé de savoir s’il existait une justification suffisante de la mesure adoptée par le ministre de l’intérieur."
29. La Divisional Court rejeta la demande à l’issue de l’audience. Nonobstant certaines obscurités dans le compte rendu de séance, elle paraît avoir eu égard, en adoptant sa décision, à la latitude dont le ministre de l’intérieur jouit aux termes de l’article 66 par. 3 de la loi de 1959, aux appréhensions manifestées par le psychiatre conseil et à la circonstance que l’agent de probation avait relevé des indices de danger imminent pour autrui. L’un des juges conclut en ces termes:
"Sans l’accord des autorités de Broadmoor, [du psychiatre conseil] et du ministre de l’intérieur, on ne peut relâcher des gens comme [X] que dans des cas très exceptionnels. La seule manière d’y arriver consiste à les libérer sous conditions, moyennant une surveillance des plus étroites, et sauf à réagir d’emblée à tout signe de danger nouveau (...)."
30. Après le réinternement, le médecin qui suivait X à Broadmoor estima qu’il devait rester détenu pour traitement et des rapports médicaux révélèrent la persistance d’un état psychotique.
En juillet 1975, le requérant demanda au ministre de l’intérieur de déférer son cas, en vertu de l’article 66 par. 8 de la loi de 1959, à une commission de contrôle psychiatrique (paragraphe 13 ci-dessus). Il a prétendu avoir présenté une telle demande dès le mois de février, mais on n’en trouve aucune trace dans les archives du ministère ni de l’hôpital. Ladite commission entendit la cause en octobre 1975. Son avis, dont ni l’intéressé ni ses conseils ne reçurent communication, fut qu’il continuait à souffrir d’une maladie mentale, mais que l’on pouvait désormais le relâcher si du moins il demeurait assujetti à certaines conditions. En décembre, le médecin traitant ayant noté une amélioration, le ministre consentit en principe à pareil élargissement si des dispositions adéquates pouvaient être prises.
En février 1976, X partit de l’hôpital en congé; en juillet de la même année, il obtint du ministre sa mise en liberté sous conditions. Il mourut le 17 janvier 1979.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
31. Le requérant a saisi la Commission le 14 juillet 1974. Il se plaignait d’avoir dû regagner l’hôpital de Broadmoor après trois ans de vie normale, sans avoir comparu d’abord devant un organe établi par la loi et sans qu’un médecin eût attesté au préalable de sa qualité d’aliéné. Il reprochait en outre à la procédure d’habeas corpus de ne pas avoir assuré le contrôle intégral du bien-fondé de la décision de réinternement, mais uniquement porté sur la compatibilité de celle-ci avec les clauses pertinentes de la loi de 1959. Il invoquait l’article 3 de la Convention (art. 3) et les paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4).
Le 11 mars 1976, la Commission a déclaré la requête irrecevable quant à l’allégation de traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 (art. 3); elle en a retenu le restant le 14 mai 1977.
32. Le 23 janvier 1979, le représentant du requérant l’a informée du décès de son client. Toutefois, précisait-il, la soeur du défunt l’avait averti qu’elle-même et d’autres membres de la famille, dont les parents de X, souhaitaient voir l’instance se poursuivre. Eu égard à ce voeu et aux questions d’intérêt général soulevées, la Commission a décidé le 1er mars 1979 de ne pas rayer l’affaire du rôle.
Pour des raisons de commodité, le présent arrêt continuera de désigner X comme "le requérant" bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à ses proches (arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, pp. 19-20, par. 37).
33. Dans son rapport du 16 juillet 1980 (article 31 de la Convention) (art. 31), la Commission exprime l’avis:
- par quatorze voix contre deux, que le réinternement et la détention ultérieure de X à l’hôpital de Broadmoor n’ont pas méconnu dans son chef les droits garantis par l’article 5 par. 1 (art. 5-1);
- à l’unanimité, qu’il y a eu infraction à l’article 5 par. 2 (art. 5-2) en ce que l’on n’a pas fourni au requérant, dans le plus court délai, des indications suffisantes sur les raisons de son arrestation et de sa réintégration à Broadmoor;
- à l’unanimité, que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) a été violé car X n’a pas joui du droit d’introduire un recours devant un tribunal compétent pour statuer à bref délai sur la légalité de la détention consécutive à son rappel à l’hôpital.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
34. À l’audience du 22 juin 1981, le Gouvernement a confirmé les conclusions figurant dans ses mémoires. Elles invitent la Cour:
"1) Quant à l’article 5 par. 1 (art. 5-1)
à décider et déclarer qu’au vu des faits constatés, les mesures prises par le gouvernement du Royaume-Uni pour réinterner le requérant à l’hôpital de Broadmoor, puis la détention forcée de l’intéressé dans cet établissement, constituaient une privation de liberté compatible avec l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention;
2) Quant à l’article 5 par. 2 (art. 5-2)
a) à décider et déclarer
i) que l’article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention ne s’applique pas au réinternement d’une personne remise sous bonne garde dans les conditions où a eu lieu, en l’espèce, le retour du requérant à Broadmoor; en ordre subsidiaire,
ii) que dans les circonstances de la cause, le requérant a bien reçu des renseignements suffisants pour répondre aux exigences de l’article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention;
en ordre subsidiaire,
b) à conclure que l’introduction des nouvelles procédures désormais suivies pour informer les malades des raisons de leur réinternement dispense la Cour d’examiner les questions auxquelles ont trait les points a) (i) et (ii);
3) Quant à l’article 5 par. 4 (art. 5-4)
i) à décider et déclarer qu’eu égard à la condamnation du requérant et à son internement à Broadmoor par jugement rendu en novembre 1968, l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention ne lui donnait pas le droit à un contrôle judiciaire de la légalité de sa détention après son retour à l’hôpital;
en ordre subsidiaire, si la demande sous (i) devait être rejetée,
ii) à décider et déclarer que la voie de recours de l’habeas corpus assurait au requérant le droit à un contrôle judiciaire de la légalité de sa détention après son retour à l’hôpital."
35. A l’audience, le délégué de la Commission a demandé à la Cour
"de trancher les questions dont [elle se trouve] saisie, à savoir: le requérant a-t-il subi une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-2) de la Convention lors de son réinternement à l’hôpital de Broadmoor le 5 avril 1974? avait-il droit par la suite, en vertu du paragraphe 4 (art. 5-4), à un contrôle judiciaire adéquat de la légalité de sa nouvelle détention et a-t-il bénéficié d’un tel examen?"
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR. 1 (art. 5-1)
36. D’après le requérant, son rappel à l’hôpital de Broadmoor a entraîné une privation de liberté contraire à l’article 5 par. 1 (art. 5-1) qui, dans la mesure où il joue un rôle en l’espèce, se lit ainsi:
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
c) s’il s’agit de la détention régulière (...) d’un aliéné (...);
37. Les faits qui entrent en ligne de compte en la matière n’ont pas prêté à contestation. Le 7 novembre 1968, les assises de Sheffield, après avoir déclaré l’intéressé coupable de blessures visant à causer des lésions corporelles graves, prescrivirent de l’interner pour une durée indéterminée à l’hôpital de Broadmoor, établissement spécial de sécurité pour délinquants aliénés; le 19 mai 1971, le ministre de l’intérieur ordonna de l’élargir sous conditions; le 5 avril 1974 il ordonna de le réintégrer à Broadmoor; X y demeura jusqu’en février 1976, date à laquelle on le laissa quitter l’hôpital en congé; libéré pour la seconde fois sous conditions le 28 juillet 1976, il mourut le 17 janvier 1979 (paragraphes 20, 21, 23 et 30 ci-dessus).
A. Sur l’applicabilité des alinéas a) et e) du paragraphe 1
38. Devant la Commission, Le Gouvernement a plaidé que le requérant avait à tout moment été régulièrement détenu après condamnation par un tribunal compétent, au sens de l’article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a). D’après la Commission au contraire, c’est l’alinéa e) (art. 5-1-e) qui régit, à l’exclusion de l’alinéa a) (art. 5-1-a), le cas d’un accusé aliéné que l’on interne à des fins curatives plutôt que d’user de moyens répressifs contre lui.
39. Aux yeux de la Cour, il y a bien eu "condamnation" - en anglais conviction, c’est-à-dire déclaration de culpabilité (arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980, série A no 39, p. 37, par. 100) - "par un tribunal compétent" puis, à la suite et par suite de celle-ci, "détention régulière" décidée par lui, de sorte que l’alinéa a) (art. 5-1-a) trouvait à s’appliquer. Cependant, les assises de Sheffield n’ont pas prononcé de peine: estimant que X souffrait de troubles mentaux justifiant de le traiter dans un hôpital psychiatrique, elles l’ont envoyé à Broadmoor; l’alinéa e) (art. 5-1-e) s’appliquait donc lui aussi pour autant qu’il concerne la détention d’aliénés. Partant, au moins à l’origine la privation de liberté du requérant tombait sous le coup de chacun des deux alinéas.
Eu égard aux motifs du rappel de X en 1974 et de son internement ultérieur jusqu’en 1976 l’alinéa e) (art. 5-1-e) valait également pour cette seconde phase. Sur le point de savoir s’il en allait de même de l’alinéa a) (art. 5-1-a), on peut en revanche éprouver certains doutes en raison des circonstances de la cause, notamment le fait que l’intéressé fut relâché sous conditions et jouit d’une longue période de liberté avant son réinternement. La Cour ne croit pas nécessaire de trancher la question puisque de toute manière il lui faut contrôler le respect des exigences de l’alinéa e) (art. 5-1-e) et que l’observation de celles de l’alinéa a) (art. 5-1-a) ne soulève aucun problème en l’occurrence.
B. Sur l’observation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1)
40. Dans son arrêt Winterwerp du 24 octobre 1979, la Cour a énuméré trois conditions minimales à remplir pour qu’il y ait "detention régulière d’un aliéné" (lawful detention of persons of unsound mind), au sens de l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e): sauf cas d’urgence, on doit avoir établi de manière probante l’aliénation de l’intéressé, c’est-à-dire avoir démontré devant l’autorité compétente, au moyen d’une expertise médicale objective, l’existence d’un trouble mental réel; celui-ci doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement, lequel enfin ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (série A no 33, p. 18, par. 39).
41. Selon le conseil de X, l’article 66 de la loi de 1959 se heurte à l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention car il ne prévoit pas des garanties comparables à celles-ci, et en particulier à la première d’entre elles, pour la procédure de rappel qu’il ménage. A cause du pouvoir "discrétionnaire" sans entraves dévolu au ministre de l’intérieur, toute décision de rappel, même arrêtée de bonne foi, se trouverait inévitablement entachée d’arbitraire.
A la vérité, l’article 66 par. 3 s’exprime en termes très larges; il habilite le ministre à rappeler à tout moment un "malade" assujetti à une ordonnance restrictive, puis libéré sous conditions. Il ressort pourtant d’autres clauses de la loi qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir illimité. L’article 147 par. 1 définit le "malade" comme "une personne souffrant ou paraissant souffrir d’un trouble mental", l’article 4 par. 1 le "trouble mental" comme "une maladie mentale, un développement intellectuel interrompu ou incomplet, un trouble psychopathique ou tout autre trouble ou faiblesse d’esprit". D’après le Gouvernement, l’article 66 par. 3 sous-entend que le ministre de l’intérieur ne saurait exercer son pouvoir de rappel sans constater, sur la base des preuves médicales en sa possession, que l’intéressé répond à cette définition légale.
Certes, le droit interne doit se conformer lui-même à la Convention, y compris les principes généraux énoncés ou impliqués par elle (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Winterwerp précité, p. 19, par. 45). Cependant, il ne faut pas l’oublier, l’article 66 par. 3 a trait au rappel dans des circonstances inspirant peut-être des craintes, de malades dont la sortie d’hôpital a été subordonnée à des restrictions destinées à protéger le public (article 65 par. 1 de la loi, paragraphe 11 ci-dessus). Or l’arrêt Winterwerp a mentionné "les cas d’urgence" comme une exception au principe interdisant de priver de sa liberté l’individu concerné sans "avoir établi son ‘aliénation’ de manière probante" (loc. cit., p. 18, par. 39); il n’a pas jugé que dans chacune des hypothèses imaginables l’"expertise médicale objective" doit précéder, et non point suivre, l’internement de quelqu’un du chef d’aliénation mentale. Quand l’un des buts d’une disposition de droit interne consiste à permettre l’internement, au titre de l’urgence, de personnes risquant de présenter un danger pour autrui, on ne saurait en pratique exiger un examen médical approfondi antérieur à toute arrestation ou détention. Par la force des choses, l’autorité nationale compétente pour ordonner de tels internements doit jouir en la matière d’une grande latitude. Aux yeux de la Cour les termes de l’article 66 par. 3, lus dans leur contexte, ne confèrent pas au ministre de l’intérieur un pouvoir arbitraire; ils n’empêchent pas davantage le respect, dans une situation concrète, des principes affirmés par l’arrêt Winterwerp (comp., mutatis mutandis, l’arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 91, par. 240).
A la lumière de ces considérations, les normes de la loi de 1959 régissant le rappel à l’hôpital de malades assujettis à des restrictions ne se révèlent pas inconciliables avec la signification que la Convention attribue aux mots "détention régulière d’un aliéné". Il reste à rechercher si la façon dont l’article 66 par. 3 a été appliqué à X a violé l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention.
42. Nul ne conteste que la privation de liberté incriminée a eu lieu "selon les voies légales" et n’a cessé d’être "régulière" au sens de conforme au droit interne (paragraphe 89 du rapport de la Commission). Toutefois, les conseils du requérant la taxent d’arbitraire et irrégulière, donc d’injustifiée au regard de l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e), parce qu’on n’aurait par établi son aliénation "de manière probante" au moyen de preuves médicales objectives existant au moment de son rappel.
43. L’article 5 par. 1 (art. 5-1) a précisément pour but d’empêcher de dépouiller arbitrairement quelqu’un de sa liberté; partant, "une détention arbitraire ne peut jamais passer pour ‘régulière’" (lawful), indépendamment de sa compatibilité avec le droit interne (arrêt Winterwerp précité, pp. 16 et 18, par. 37 et 39). La Cour a énuméré plus haut trois conditions minimales à remplir pour qu’il y ait "détention régulière d’un aliéné" (paragraphe 40). Si elle a sans nul doute compétence pour s’assurer de leur observation dans un cas donné, l’économie du système de sauvegarde instauré par la Convention assigne des limites à l’ampleur de ce contrôle; les autorités nationales se trouvant mieux placées pour apprécier les preuves produites devant elles, il faut leur reconnaître en la matière une certaine latitude et la tâche de la Cour se borne à examiner leurs décisions sous l’angle de la Convention (même arrêt, pp. 18 et 20, par. 40 et 46).
44. Le requérant avait souffert de troubles mentaux dont l’origine remontait à plusieurs années. Une fois déclaré coupable d’une agression contre un collègue, il avait d’abord été envoyé à l’hôpital de Broadmoor. Pour l’élargir, on avait exigé notamment qu’il resterait sous la surveillance du service de consultation externe d’une clinique psychiatrique. Le psychiatre qui le traita pendant sa période de liberté conditionnelle le dépeignait comme "un homme récriminateur et soupçonneux sujet à des idées paranoïdes et présentant inévitablement un risque pour la collectivité"; dans une lettre de 1971 au bureau de probation de Sheffield, il parlait de la nécessité de l’éloigner de situations déprimantes capables de l’amener à tuer ou blesser grièvement des tiers. Là dessus, Mme X se rendit auprès de l’agent de probation le 5 avril 1974; son mari, lui déclara-t-elle, demeurait halluciné et menaçant, contrairement à ce qu’elle avait indiqué auparavant.
C’est dans l’ensemble de ce contexte (paragraphes 20, 21, 23 et 28) qu’il faut situer la réaction des autorités. Alerté, le médecin traitant de Broadmoor, qui possédait une copie des rapports psychiatriques établis sur le compte de l’intéressé pendant sa période de liberté conditionnelle, craignit de le voir se livrer à nouveau à la violence, spécialement s’il découvrait que sa femme voulait le quitter. Il saisit donc le ministre de l’intérieur qui, suivant son conseil, délivra un mandat en vertu duquel le requérant réintégra l’hôpital le jour même, sans examen médical préalable ni vérification des dires de son épouse (paragraphe 23 ci-dessus).
45. Il faut prendre aussi en considération l’ensemble du système régissant, d’après la loi de 1959, l’élargissement et le rappel de malades soumis à des restrictions. Aux termes de l’article 65 par. 1, un tribunal ne peut assortir une décision d’internement de restrictions à la libération ultérieure d’un délinquant que s’il le juge nécessaire à la protection du public (paragraphe 11 ci-dessus). Le ministre de l’intérieur suspend donc une mesure tendant à cette fin quand il relâche un malade, en vertu de l’article 66 par. 2, alors que pareille ordonnance restrictive se trouve en vigueur (paragraphe 12 ci-dessus); comme l’un des magistrats de la Divisional Court l’a souligné à l’audience du 21 juin 1974, pendant la procédure d’habeas corpus intentée par le requérant, l’unique manière de laisser un malade de ce genre regagner sa place dans la société consiste très souvent à le libérer sous conditions, moyennant une surveillance des plus étroites, et sauf à réagir d’emblée à tout signe de danger nouveau (paragraphe 29 in fine ci-dessus).
Dans de telles circonstances, les impératifs de la protection du public prévalent sur la liberté individuelle, au point de légitimer un internement d’urgence ne s’entourant pas des garanties habituelles qu’implique l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention (paragraphe 41, troisième alinéa, ci-dessus). En l’occurrence, les faits fournissaient au ministre de l’intérieur des raisons suffisantes de penser que le maintien de X en liberté constituerait une menace pour le public et en particulier pour sa femme.
46. S’il y avait là de quoi justifier le rappel de l’intéressé, au titre de l’urgence et pour une brève durée, sa détention ultérieure à l’hôpital jusqu’en février 1976 devait, elle, répondre aux exigences minimales décrites plus haut (paragraphe 40 ci-dessus). Il en a bien été ainsi: ayant examiné le requérant après sa réadmission à Broadmoor, le médecin responsable estima qu’il devait y rester pour traitement; il ne changea d’avis qu’en décembre 1975, date à laquelle il nota chez lui une amélioration; jusque-là, les rapports médicaux révélaient la persistance d’un état psychotique (paragraphe 30 ci-dessus). Pas plus que la Commission (paragraphe 96 du rapport), la Cour n’a lieu de douter de l’objectivité et de la solidité de cette opinion médicale.
47. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1).
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR. 4 (art. 5-4)
48. Selon ses conseils, le requérant n’a pas eu la possibilité de contester en justice la légalité de son réinternement à Broadmoor comme l’eût commandé l’article 5 par. 4 (art. 5-4), aux termes duquel
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
49. La Cour rappelle que X, en vertu des deux ordonnances que les assises de Sheffield avaient prononcées à son encontre en novembre 1968 après l’avoir déclaré coupable d’une infraction pénale, relevait de l’autorité non plus des tribunaux, mais du ministre de l’intérieur, et devait rester dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée. Après l’avoir élargi en mai 1971, le ministre prescrivit en avril 1974 son retour à l’hôpital. Il s’agissait là d’une décision administrative, fondée en partie sur des circonstances distinctes de celles qui avaient provoqué les ordonnances judiciaires initiales. En outre, bien que les conditions fixées aux articles 60 par. 1 et 65 par. 1 de la loi de 1959 pour l’adoption de telles ordonnances dépendant d’éléments, notamment médicaux, de nature à changer avec le temps, il n’existait aucun système de contrôle judiciaire périodique permettant de s’assurer qu’elles demeuraient remplies tout au long de la détention litigieuse (paragraphes 10-11 ci-dessus).
A. Procédure suivie en 1968 devant les assises de Sheffield
50. En ordre principal, le Gouvernement plaide que la procédure suivie en 1968 devant les assises de Sheffield suffisait à répondre aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Il invoque en ce sens un extrait de l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971 (série A no 12, p. 40, par. 76):
"De prime abord, le libellé de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) pourrait donner à penser qu’il reconnaît au détenu le droit de faire toujours contrôler par un tribunal la légalité d’une décision antérieure qui l’a privé de sa liberté (...). Si [cette] décision (...) émane d’un organe administratif, l’article 5 par. 4 (art. 5-4) astreint sans nul doute les États à ouvrir au détenu un recours auprès d’un tribunal, mais rien n’indique qu’il en aille de même quand elle est rendue par un tribunal statuant à l’issue d’une procédure judiciaire. Dans cette dernière hypothèse, le contrôle voulu par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouve incorporé à la décision; tel est le cas, par exemple, d’une ‘condamnation’ à l’emprisonnement prononcée ‘par un tribunal compétent’ (article 5 par. 1 a) de la Convention) (art. 5-1-a)."
51. En réalité, le passage précité ne parle que de "la décision privative de liberté"; il ne vise pas la détention ultérieure dans la mesure où des questions nouvelles de légalité la concernant surgiraient après coup. L’arrêt du 18 juin 1971 a pris en considération, sous l’angle de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), non seulement les décisions initiales d’internement pour vagabondage relatives à trois requérants (loc. cit., pp. 40-43, par. 74-80), mais aussi la procédure régissant l’examen des demandes d’élargissement des intéressés (ibidem, pp. 43-44, par. 81-84).
52. De plus, et le Gouvernement le souligne lui-même, l’étendue de l’obligation que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) impose aux États contractants n’est pas forcément identique en toute circonstance, ni pour chaque sorte de privation de liberté (voir, mutatis mutandis, l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp précité, pp. 41-42, par. 78).
La détention de X tombait dans le champ d’application de l’alinéa e) de l’article 5 par. 1 (art. 5-1-e) au moins autant que de l’alinéa a) (art. 5-1-a) (paragraphe 39 ci-dessus). Or la "détention d’un aliéné" forme une catégorie spécifique et soulève des problèmes propres (arrêt Winterwerp précité, pp. 23-24, par. 57 et 60). En particulier, "les motifs [la] justifiant à l’origine (...) peuvent cesser d’exister". L’arrêt Winterwerp en a tiré une conséquence importante:
"(...) on méconnaîtrait le but et l’objet de l’article 5 (art. 5) (...) si l’on interprétait le paragraphe 4 (art. 5-4) (...) comme exemptant en l’occurrence la détention de tout contrôle ultérieur de légalité pour peu qu’un tribunal ait pris la décision initiale. Par nature, la privation de liberté dont il s’agit paraît appeler la possibilité de semblable contrôle, à exercer à des intervalles raisonnables." (loc. cit., p. 23, par. 55)
En vertu de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), un aliéné détenu dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée ou prolongée a donc en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire à des intervalles raisonnables un recours devant un tribunal pour contester la "légalité" - au sens de la Convention (paragraphe 57 ci-dessous) - de son internement, que ce dernier ait été prescrit par une juridiction civile ou pénale ou par une autre autorité.
53. Il n’entre pas dans les attributions de la Cour de rechercher en quoi consisterait, en la matière, le système de contrôle judiciaire le meilleur ou le plus adéquat, car différents moyens de s’acquitter de leurs engagements s’offrent au choix des États contractants. Ainsi, par "tribunal" l’article 5 par. 4 (art. 5-4) n’entend pas nécessairement une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays. Tel que l’emploie la Convention dans plusieurs de ses clauses dont l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ce mot sert à désigner des "organes présentant non seulement des traits fondamentaux communs, au premier rang desquels se place l’indépendance par rapport à l’exécutif et aux parties (...), mais encore les garanties", "adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agit", "d’une procédure judiciaire" dont les modalités peuvent varier d’un domaine à l’autre (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp précité, pp. 41-42, par. 76 et 78).
54. En résumé, pendant la détention consécutive à sa réintégration à l’hôpital de Broadmoor en avril 1974 X devait bénéficier d’un recours qui lui offrît de telles "garanties". A ce stade, la procédure qui avait eu lieu en 1968 devant les assises de Sheffield ne suffisait plus pour remplir les conditions de l’article 5 par. 4 (art. 5-4).
B Procédure d’habeas corpus
55. Le Gouvernement avance, à titre subsidiaire, qu’un "tribunal" a en vérité statué "à bref délai sur la légalité" de ladite détention: la Divisional Court de la Queen’s Bench Division, saisie par X d’une demande de mandat d’habeas corpus. L’article 5 par. 4 (art. 5-4) se contenterait d’une procédure permettant, comme celle-là, de s’assurer de la compatibilité d’une arrestation ou détention avec le droit interne; quand, selon ce dernier, la décision de priver quelqu’un de sa liberté relève d’une autorité administrative, la Convention n’exigerait pas que les juridictions nationales aient compétence pour en apprécier le bien-fondé.
La Commission ne souscrit pas à ce raisonnement. Réaffirmant l’opinion exprimée par elle dans son rapport du 15 décembre 1977 en l’affaire Winterwerp, elle interprète l’article 5 par. 4 (art. 5-4) comme ouvrant à une personne internée en qualité d’aliéné le droit à une vérification juridictionnelle de la légalité à la fois formelle et matérielle de sa détention (arrêt Winterwerp précité, pp. 26-27, par. 68 - problème non tranché par la Cour). Or la procédure d’habeas corpus ne se prêterait pas à une vérification aussi étendue. Le conseil du requérant se rallie en substance à cette thèse.
56. Le déroulement de l’instance engagée par X se trouve retracé plus haut (paragraphes 26, 28 et 29). La Divisional Court connut de la cause sur la base d’attestations écrites sous serment, dont celle de l’intéressé. Les pièces médicales dont elle disposait (paragraphe 28 ci-dessus) avaient été rassemblées par les défenseurs du requérant; rien n’obligeait le ministre de l’intérieur à justifier lui-même la détention.
Tout cela découlait pourtant de la nature du recours. Quand un tribunal examine, dans une procédure d’habeas corpus, une décision administrative privative de liberté, sa tâche consiste à rechercher si la détention cadre avec les normes de la législation en vigueur et les principes applicables de la common law. D’après ces principes, il peut censurer pareille décision, même régulière en la forme, si, entre autres, l’autorité dont elle émane abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi, à la légère ou dans un but illégitime, si la décision ne s’appuie sur aucune preuve suffisante ou si nulle personne sensée n’aurait pu la prendre dans les circonstances de l’espèce. Sous cette réserve, il ne lui appartient pas d’en scruter les motifs ou le bien-fondé là où seule ladite autorité a juridiquement compétence pour se prononcer à leur sujet (paragraphe 19 ci-dessus). Ainsi que le cas de X en offre un bon exemple, quand aux termes d’une certaine loi l’exécutif jouit d’un pouvoir d’appréciation, large ou étroit, le contrôle judiciaire dans une instance en habeas corpus concerne uniquement la conformité de l’exercice de ce pouvoir avec la loi en question.
En l’occurrence, une fois constaté que X était un malade libéré sous conditions à une époque où il demeurait sous le coup d’une ordonnance restrictive, les prescriptions de l’article 66 par. 3 de la loi de 1959 en matière de rappel par mandat se trouvaient observées (paragraphe 12 ci-dessus). A partir de ce moment, il incombait en pratique au requérant de démontrer, pour autant que le droit anglais le lui permettait, l’existence d’une raison quelconque rendant illégale sa détention, pourtant régulière en apparence. Comme les éléments fournis par lui n’en révélaient aucune, la Divisional Court ne pouvait que rejeter la demande.
57. X a bien eu accès à un tribunal qui a jugé sa détention "légale" en droit anglais, mais il n’en résulte pas qu’il y ait eu un contrôle de "légalité" suffisant aux fins de l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Le paragraphe 1 e) de cet article (art. 5-1-e), tel que l’interprète la Cour, subordonne la "régularité" (lawfulness) d’une privation de liberté du genre de celle subie par X à des exigences qui vont au-delà de la simple concordance avec le droit interne (arrêt Winterwerp précité, par. 17-18, par. 39 et paragraphe 43 ci-dessus). Or l’article 5 (art. 5) doit se lire comme un tout; rien ne donne à penser que pour une seule et même privation de liberté, le mot "lawfulness" change de sens quand on passe du paragraphe 1 e) (art. 5-1-e) au paragraphe 4 (art. 5-4).
58. Malgré le caractère limité du contrôle auquel se prêtent les décisions prises en vertu de l’article 66 par. 3 de la loi de 1959, l’institution de l’habeas corpus représente parfois une arme efficace contre l’arbitraire en la matière. On pourrait la trouver satisfaisante au regard de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention pour des mesures d’urgence tendant à l’internement de personnes comme aliénés. Pareilles mesures, pourvu qu’elles vaillent pour une courte période (arrêt Winterwerp précité, p. 19, par. 42), peuvent ne pas s’entourer des garanties habituelles, par exemple une expertise médicale approfondie, sans pour cela se révéler "irrégulières" sous l’angle de l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) (paragraphe 41 ci-dessus). Par la force des choses, l’autorité compétente pour les ordonner doit jouir d’une grande latitude, ce qui restreint inévitablement le rôle des tribunaux.
En revanche, un contrôle aussi réduit que celui assuré en l’espèce par la procédure d’habeas corpus ne suffit pas, aux yeux de la Cour, dans l’hypothèse d’une internement prolongé comme celui de X. Sans doute l’article 5 par. 4 (art. 5-4), le Gouvernement le souligne à juste titre, ne consacre-t-il pas le droit à un examen judiciaire d’une portée telle qu’il habiliterait le tribunal, sur tous les aspects de la cause, à substituer sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables, selon la Convention, à la "régularité" ou "légalité" de la détention d’un individu comme aliéné, d’autant que les motifs propres à justifier cette détention à l’origine peuvent cesser d’exister (paragraphes 40 et 52 ci-dessus). En d’autres termes, il exigeait en l’occurrence une procédure appropriée permettant à une juridiction de rechercher si les troubles mentaux du malade persistaient et si le ministre de l’intérieur était en droit de penser que la poursuite de l’internement s’imposait dans l’intérêt de la sécurité du public (voir, mutatis mutandis, l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp précité, pp. 43-44, par. 82-83).
59. La procédure d’habeas corpus intentée par X en 1974 ne lui a donc pas assuré le bénéfice du droit protégé par l’article 5 par. 4 (art. 5-4); il en fût allé de même s’il l’avait répétée par la suite.
C. Autres procédures
60. D’après le Gouvernement, pour se prononcer sur la valeur des procédures de contrôle, en particulier de celle d’habeas corpus, il faut avoir égard aux autres voies permettant de contester la justification matérielle de la détention.
La Cour reconnaît pleinement la nécessité d’une vue globale du système, car les lacunes d’une certaine procédure peuvent être comblées par les garanties qu’en offrent d’autres (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Winterwerp précité, p. 25, par. 62).
61. Le Gouvernement signale quatre moyens d’amener le ministère de l’intérieur à rechercher si la détention continue à s’imposer: le médecin traitant peut préconiser l’élargissement de l’intéressé, un parlementaire intervenir auprès de ministre et le malade en personne s’adresser à celui-ci pour réclamer sa libération ou pour demander la saisine d’une commission de contrôle psychiatrique (paragraphe 15 ci-dessus).
Toutefois, les trois premiers ne déclenchent aucun mécanisme de contrôle par un organe indépendant, judiciaire ou administratif.
Le quatrième, lui, mérite un examen plus attentif car la loi de 1959 ménage la possibilité, pour les commissions de contrôle psychiatrique, d’étudier périodiquement, sur la base d’un large éventail de données de fait, le cas de malades internés et assujettis à des restrictions. Rien n’empêche de considérer pareil organe spécialisé comme un "tribunal" au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) s’il jouit de l’indépendance voulue et si sa procédure s’entoure de garanties suffisantes, adaptées à la nature de la privation de liberté en question (paragraphe 53 ci-dessus et arrêt Winterwerp précité, p. 24, par. 60). Néanmoins, et à supposer que les commissions de contrôle psychiatrique remplissent ces conditions, il leur manque la compétence de statuer "sur la légalité de la détention" et pour ordonner l’élargissement si cette dernière apparaît illégale: elles ne possèdent que des attributions consultatives (paragraphe 14 ci-dessus).
Dès lors, et sans sous-estimer la valeur indéniable des ressources ainsi offertes, la Cour considère que les autres voies indiquées par le Gouvernement ne remédient pas aux déficiences de la procédure d’habeas corpus envisagée sous l’angle du paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4).
62. En conclusion, il y a eu violation de ce paragraphe.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR. 2 (art. 5-2)
63. Le requérant se plaignait que ni la police au moment où elle l’appréhenda le 5 avril 1974, ni le personnel médical de Broadmoor par la suite, ne l’eussent informé dans le plus court délai, et à un degré suffisant, des motifs de sa réintégration à l’hôpital. Il se prétendait victime d’une infraction à l’article 5 par. 2 (art. 5-2), aux termes duquel
"Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle."
64. Le Gouvernement invite la Cour à prendre en compte la procédure désormais applicable en la matière (paragraphe 16 ci-dessus) et à juger qu’il ne s’impose plus de rechercher si l’ancienne cadrait ou non avec l’article 5 par. 2 (art. 5-2).
Les innovations dont il tire argument avaient pour but déclaré de "parer à des critiques exprimées par la Commission européenne des Droits de l’Homme" sur le terrain, précisément, de l’article 5 par. 2 (art. 5-2). Cependant, elles datent de la fin de 1980, ne valent que pour l’avenir et n’ont manifestement pas pu rendre à X le droit qu’il revendiquait au titre de cette disposition dont le Gouvernement persiste, au demeurant, à se défendre d’avoir méconnu les exigences (arrêt Deweer précité, p. 20, par. 37 in fine, et arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978, série A no 29, p. 15, par. 36). On ne saurait donc parler d’une "solution", même partielle, "du litige" (voir, mutatis mutandis, l’article 47 par. 2 du règlement et l’arrêt Guzzardi précité, p. 31, par. 85).
65. D’après le Gouvernement, les mots "toute personne arrêtée" ne conviennent pas pour décrire les conditions dans lesquelles s’opère la réintégration à l’hôpital d’un malade assujetti à des restrictions. Le membre de phrase "des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle" montrerait de son côté que l’on vise uniquement une arrestation du chef d’une infraction pénale. La Commission combat cette interprétation qui, souligne-t-elle, aboutirait à limiter la protection du paragraphe 2 (art. 5-2) aux personnes arrêtées en vertu du paragraphe 1 c) (art. 5-1-c).
Si donc les thèses en présence divergent sur l’applicabilité du paragraphe 2 (art. 5-2) à la situation de X, elles ne concordent pas davantage sur son observation en l’espèce. Pour le Gouvernement, les indications données à l’intéressé puis à ses solicitors suffisaient au respect de toute obligation pouvant résulter de ce paragraphe. Selon la Commission unanime, au contraire, quoi que l’on ait dit à X lui-même rien ne justifiait de ne pas fournir à ses solicitors des explications officielles et détaillées; la déclaration vague du ministère de l’intérieur (paragraphe 27 ci-dessus) ne saurait constituer l’information indispensable à l’exercice utile du droit garanti par l’article 5 par. 4 (art. 5-4).
66. La Cour estime qu’il ne s’impose pas de trancher cette double controverse, d’autant que les circonstances de la cause ne sont pas entièrement claires sur le point considéré (paragraphes 24-27 ci-dessus). Elle constate d’abord que le nécessité d’aviser l’intéressé des raisons de son réinternement découlait en tout cas forcément du paragraphe 4 (art. 5-4): quiconque a le droit, comme X (paragraphe 54 ci-dessus), d’introduire un recours en vue d’une décision rapide sur la légalité de sa détention, ne saurait s’en prévaloir efficacement si on ne lui révèle pas dans le plus court délai, et à un degré suffisant, les faits et les règles juridiques invoqués pour le priver de sa liberté. La Cour relève ensuite que la Divisional Court, à l’issue de sa première audience, ajourna l’examen de la demande de mandat d’habeas corpus parce qu’elle ressentait elle-même le besoin d’un complément d’instruction avant de statuer (paragraphe 26 in fine ci-dessus). A la réouverture des débats le 21 juin 1974, il incombait en pratique à X de prouver, sa détention paraissant régulière, que le ministre de l’intérieur avait employé son pouvoir discrétionnaire d’une manière incompatible avec la loi. Or il ressort nettement des pièces du dossier que le manque de renseignements sur les motifs exacts de son rappel, motifs connus du ministre et de lui seul ou presque, empêcha ses défenseurs et, par voie de conséquence, la Divisional Court d’approfondir la question (paragraphe 56 ci-dessus). Partant, le grief présenté sur le terrain du paragraphe 2 (art. 5-2) s’analyse en l’occurrence en un simple aspect de celui que la Cour a déjà étudié sous l’angle du paragraphe 4 (art. 5-4); il n’y a pas lieu de se prononcer sur un problème particulier englobé et absorbé par un problème plus vaste (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Deweer précité, pp. 30-31, par. 56 in fine, et l’arrêt Dudgeon du 22 octobre 1981, série A no 45, par. 69).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
67. Les conseils de X ont annoncé que si la Cour constatait une violation, ils présenteraient au titre de l’article 50 (art. 50) une demande de satisfaction équitable tendant à la réparation du préjudice subi et à une réforme législative. Le Gouvernement a lui aussi résersé sa position.
Bien que soulevée en vertu de l’article 47 bis du règlement, la question ne se trouve donc pas en état. En conséquence, la Cour doit la réserver et déterminer la procédure ultérieure, en tenant compte de l’hypothèse d’un accord entre l’État défendeur et les proches du requérant.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1);
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4);
3. Dit, par six voix contre une, qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 5 par. 2 (art. 5-2);
4. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
a) en conséquence, la réserve en entier;
b) invite la Commission à lui adresser par écrit, dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt, ses observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout règlement amiable auquel le Gouvernement et les proches du requérant auront pu aboutir;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à son président le soin de la fixer en cas de besoin.
Rendu en français et en anglais, les deux textes faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-un.
Gérard Wiarda
Président
Marc-André Eissen
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 50 par. 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée, dissidente, de M. Evrigenis.
G. W.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE EVRIGENIS
A mon vif regret, je n’ai pas pu me rallier à la majorité de la Chambre sur le point no 3 du dispositif de l’arrêt. Le droit de l’individu privé de sa liberté à être informé dans le plus court délai, selon les termes du paragraphe 2 de l’article 5 (art. 5-2), des raisons de sa mise en détention, constitue une garantie de la liberté personnelle dont l’importance dans une régime démocratique et de primauté du droit ne saurait être sous-estimée. Au-delà de la possibilité qu’il assure au détenu de préparer sa défense en justice, selon le paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4), il consacre une sorte de confiance légitime dans les rapports entre individu et autorité publique. Il s’agit, en d’autres termes, d’un droit autonome et non auxiliaire par rapport à celui prévu par le paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4). Le grief relatif au paragraphe 2 de l’article 5 (art. 5-2) devrait par conséquent être examiné au fond.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT AIREY c. IRLANDE
ARRÊT X. c. ROYAUME-UNI
ARRÊT X. c. ROYAUME-UNI
ARRÊT X. c. ROYAUME-UNI
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE EVRIGENIS


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 7215/75
Date de la décision : 05/11/1981
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Violation de l'Art. 5-4 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 5-2 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-1-e) ALIENE, (Art. 5-2) INFORMATION DANS LE PLUS COURT DELAI, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS


Parties
Demandeurs : X.
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1981-11-05;7215.75 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award