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25/03/1983 | CEDH | N°5947/72;6205/73;7052/75;...

CEDH | AFFAIRE SILVER ET AUTRES c. ROYAUME-UNI


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE SILVER ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(Requête n° 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75; 7136/75)
ARRÊT
STRASBOURG
25 mars 1983
En l'affaire Silver et autres,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux dispositions pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. Wiarda, président,
Thór Vilhj

álmsson,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
Sir  Vincent Evans,
M.  C. ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE SILVER ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(Requête n° 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75; 7136/75)
ARRÊT
STRASBOURG
25 mars 1983
En l'affaire Silver et autres,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux dispositions pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. Wiarda, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
Sir  Vincent Evans,
M.  C. Russo,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint.
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 et 24 septembre 1982, puis les 24 et 25 février 1983,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.      L'affaire Silver et autres a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"). A son origine se trouvent sept requêtes (n° 5947/72, 6205/73, 7052/75, 7061/75, 7107/75, 7113/75 et 7136/75) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord; M. Reuben Silver, M. Clifford Dixon Noe, Mme Judith Colne, M. James Henry Tuttle, M. Gary Cooper, M. Michael McMahon et M. Desmond Roy Carne les avaient introduites en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention, à diverses dates entre 1972 et 1975, devant la Commission qui en ordonna la jonction le 11 mars 1977.
2.      La demande de la Commission a été déposée au greffe de la Cour le 18 mars 1981, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47).  Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration du Royaume-Uni reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l'État défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes des articles 6 § 1, 8 et 13 (art. 6-1, art. 8, art. 13).
3.      La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement).  Le 25 avril 1981, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. F. Matscher, M. L.-E. Pettiti, M. C. Russo et M. R. Bernhardt, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).
Par la suite, MM. F. Gölcüklü et Thór Vilhjálmsson, juges suppléants, ont remplacé respectivement Mme Bindschedler-Robert, que le président avait dispensée de siéger, et M. Bernhardt, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 et 21 § 4, du règlement).
4.      Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli par l'intermédiaire du greffier l'opinion de l'agent du gouvernement du Royaume-Uni ("le Gouvernement"), de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre.  Le 4 mai, il a décidé que l'agent aurait jusqu'au 4 septembre 1981 pour présenter un mémoire auquel les délégués pourraient répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.  Le 13 août, il a consenti à proroger le premier de ces délais jusqu'au 2 octobre.
Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe à cette date. Le 14 octobre 1981, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués ne souhaitaient pas y répondre par écrit; le 4 décembre, il a transmis à la Cour des observations que les avocats des requérants avaient adressées aux délégués au sujet dudit mémoire.
5.     La Cour a tenu le 27 janvier 1982 une réunion préparatoire. Elle a formulé des propositions destinées à limiter l'objet des audiences qui devaient avoir lieu devant elle.  En outre, elle a dressé une liste de questions et demandes que le greffier a envoyée le 10 février au Gouvernement et à la Commission; la réponse du Gouvernement est arrivée au greffe le 14 juin, celle de la Commission - à l'une des questions - le 6 août.
6.      Le 17 mai, après avoir consulté agent du Gouvernement et délégués de la Commission par l'intermédiaire du greffier, le président a fixé au 22 septembre l'ouverture de la procédure orale dont il a circonscrit l'objet par une ordonnance du 22 juillet.
7.      Les débats se sont déroulés en public le 22 septembre au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mme A. Glover, jurisconsulte,
ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,  
agent,
MM. S. Brown,
N. Bratza, avocats,  conseils,
Mme S. Evans,
M. C. Osborne,
Mlle V. Dews, ministère de l'Intérieur,
M. R. Phillips, Treasury Solicitor's Office,  conseillers;
- pour la Commission
MM. J. Fawcett,
F. Ermacora, délégués,
MM. A. Lester, Q.C.,
M. Beloff, Q.C.,
B. Raymond,
S. Grosz, solicitors,
assistant les délégués (article 29 § 1, seconde phrase, du  
règlement).
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses aux questions de deux de ses membres, M. Brown pour le Gouvernement et MM. Fawcett, Ermacora et Lester pour la Commission.
8.      Le 22 septembre également, cette dernière a déposé divers documents, dont un mémoire qu'elle avait reçu des requérants au sujet de l'application de l'article 50 (art. 50) de la Convention au cas où la Cour constaterait une violation.
Le même jour, le président a décidé que le Gouvernement aurait jusqu'au 22 novembre pour répondre par écrit audit mémoire; par la suite, il a consenti à proroger ce délai jusqu'au 14 janvier 1983, date à laquelle la réponse est arrivée au greffe.
Le 25 janvier, il a imparti aux délégués de la Commission, pour présenter leurs observations éventuelles, ou celles des requérants, sur ladite réponse, un délai devant expirer le 14 mars 1983.
FAITS
9.      A titre principal, les sept requérants s'en prennent tous au contrôle de leur courrier par les autorités pénitentiaires: il aurait violé leur droit au respect de leur correspondance et leur liberté d'expression, garantis par les articles 8 et 10 (art. 8, art. 10) de la Convention.  Ils affirment aussi qu'en dépit de l'article 13 (art. 13), nul recours interne effectif ne s'offrait à eux à cet égard.  M. Silver a invoqué en outre l'article 6 § 1 (art. 6-1): en rejetant deux demandes de permission de consulter un solicitor, on lui aurait refusé l'accès aux tribunaux.
I. FAITS PROPRES AUX DIVERS REQUÉRANTS
A. M. Silver
10.     Le premier requérant, M. Reuben Silver, était un ressortissant britannique né en 1915.  Au moment où il a saisi la Commission (20 novembre 1972), il se trouvait incarcéré en Angleterre.  Elargi en février 1974, il est mort en mars 1979.
11.     De janvier 1972 à mars 1973, les autorités pénitentiaires ont intercepté sept de ses lettres pour les raisons indiquées aux paragraphes 59, 62, 63, 66, 68 et 69 ci-dessous.
L'intéressé n'a pas suivi la filière interne (paragraphes 51-53 ci-dessous) pour se plaindre de la censure de sa correspondance. D'après lui, le directeur l'a empêché de s'adresser chaque fois au ministre de l'Intérieur, pour le motif qu'il avait déjà des requêtes en instance.
12.     Le 20 novembre 1972, M. Silver a prié le ministre de l'autoriser à consulter un solicitor à propos d'une négligence alléguée dans ses conditions de détention; il dénonçait de surcroît, notamment, le traitement médical et dentaire qu'il avait reçu.  Il a essuyé un refus le 18 avril 1973.  Le 30 juillet 1973, il a présenté une autre requête où il se référait à la précédente et demandait à pouvoir consulter un solicitor au sujet de son traitement dentaire. Elle paraît avoir été accueillie le 1er octobre 1973, mais M. Silver a prétendu qu'on ne l'en avait jamais informé.  A l'époque de ces deux requêtes, les détenus ne pouvaient consulter un solicitor sur un procès civil éventuel qu'avec l'accord du ministre de l'Intérieur (paragraphe 32 ci-dessous).
B. M. Noe
13.     Le second requérant, M. Clifford Dixon Noe, est un ressortissant des États-Unis né en 1930.  Au moment où il a saisi la Commission (1er février 1973), il purgeait en Angleterre une peine de prison pour escroquerie.  Il a été libéré le 31 janvier 1977 puis expulsé du Royaume-Uni.
14.     Entre mai 1972 et avril 1975 et pour les raisons indiquées aux paragraphes 60, 61, 67 et 71 ci-dessous, les autorités pénitentiaires ont intercepté quatre de ses lettres et retardé de trois semaines l'envoi d'une cinquième.
L'intéressé semble s'en être plaint en vain, sauf pour l'interception de sa lettre n° 9, en suivant la filière interne.
C. Mme Colne
15.     La troisième requérante, Mme Judith Colne, de nationalité australienne, est née en 1927.  Institutrice, elle réside à Londres.
16.     Vers mai 1974, elle se mit à correspondre avec M. Michael Williams, frère d'un sien ami détenu.  Il se trouvait alors incarcéré à la prison d'Albany dans la "catégorie A", réservée aux individus qui, en cas d'évasion, constitueraient un grand danger pour la population, la police ou la sûreté de l'État.  Après le transfert de M. Williams à la prison de Hull en juillet 1974, on remarqua cette correspondance et on l'intercepta pour la raison indiquée au paragraphe 59 ci-après.  Elle reprit, sans être repérée, après un nouveau transfert de M. Williams à la prison de Wakefield en août 1974, mais on la découvrit le mois suivant; désormais, et pour le même motif, on les empêcha de correspondre.
La requérante a soulevé sans succès la question auprès du ministre de l'Intérieur, directement et par l'intermédiaire d'un député.
D. M. Tuttle
17.     Le quatrième requérant, M. James Henry Tuttle, est un ressortissant britannique né en 1914.  Détenu en Angleterre au moment où il a saisi la Commission (20 mars 1975), il a recouvré sa liberté sous condition le 5 janvier 1981.
18.     En mars 1975, les autorités pénitentiaires ont intercepté deux de ses lettres pour les raisons indiquées aux paragraphes 62, 64 et 68 ci-dessous.
Il paraît s'être plaint de la censure de sa correspondance dans une requête au ministre de l'Intérieur, mais sans résultat.
E. M. Cooper
19.     Le cinquième requérant, M. Gary Cooper, est un ressortissant britannique né en 1946.  Au moment où il a saisi la Commission (28 octobre 1974), il subissait une peine de prison en Angleterre. Élargi le 14 décembre 1981, il a été réincarcéré depuis lors.
20.     D'avril 1974 à mars 1976, les autorités pénitentiaires ont intercepté quatorze de ses lettres pour les raisons ou dans les circonstances indiquées aux paragraphes 60, 65, 67 et 71 ci-dessous.
Il paraît avoir suivi sans résultat la filière interne pour se plaindre de l'interception de six de ces lettres (n° 20, 22, 23, 24, 26 et 27).
F. M. McMahon
21.     Le sixième requérant, M. Michael McMahon, est un ressortissant britannique né en 1944.  Au moment où il a saisi la Commission (8 juillet 1975), il purgeait en Angleterre une peine de réclusion pour meurtre, en tant que détenu de la "catégorie A".  On l'a libéré le 18 juillet 1980.
22.     De mars 1975 à février 1976, les autorités pénitentiaires ont intercepté onze de ses lettres et ne lui en ont pas délivré une autre qui lui était destinée.
Il a adressé trois requêtes au ministre de l'Intérieur, dont une avec succès: on a reconnu qu'il n'aurait pas fallu retenir une lettre à l'archevêque de Cantorbéry (n° 33), s'agissant d'un parlementaire; elle a donc été postée et M. McMahon a retiré sa plainte à ce sujet. Les raisons de l'interception ou de la non-délivrance des onze lettres restantes sont précisées aux paragraphes 59, 61, 66 et 70 ci-dessous.
G. M. Carne
23.     Le septième requérant, M. Desmond Roy Carne, est un ressortissant britannique né en 1945.  Au moment où il a saisi la Commission (5 avril 1975), il subissait en Angleterre une peine de prison pour vol.  Il a recouvré sa liberté le 30 août 1977.
24.     De novembre 1974 à mai 1976, les autorités pénitentiaires ont intercepté vingt-deux de ses lettres pour les raisons indiquées aux paragraphes 59, 60, 64, 66, 67 et 68 ci-dessous.
Il paraît s'en être plaint chaque fois en vain, soit en suivant la filière interne soit en faisant soulever la question auprès du médiateur pour l'administration (Parliamentary Commissioner for Administration).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
25.     La loi de 1952 sur les prisons (Prison Act) confie au ministre de l'Intérieur le contrôle et la responsabilité des prisons et des détenus d'Angleterre et du pays de Galles.  En son article 47 § 1, elle l'habilite à "réglementer l'organisation et la gestion des prisons (...) ainsi que la classification, le traitement, l'emploi, la discipline et le contrôle des détenus".  Ces règles figurent dans des textes législatifs ("statutory instruments") déposés devant le Parlement et adoptés suivant la procédure d'approbation tacite, c'est-à-dire sauf décision contraire du Parlement.
Les règles ainsi édictées par le ministre de l'Intérieur et actuellement en vigueur constituent le règlement pénitentiaire (Prison Rules) de 1964, dans sa version amendée.  Plusieurs d'entre elles s'appliquent à la correspondance des détenus.
26.     Afin d'assurer une pratique uniforme dans tous les établissements, le ministre donne aussi aux directeurs de prison des consignes sous la forme d'instructions permanentes (Standing Orders, "instructions") et de directives (Circular Instructions).  A moins d'une autorisation spéciale, ils doivent les respecter mais elles n'ont pas et ne sont pas censées avoir force de loi.
A l'époque des faits de la cause et jusqu'au 30 novembre 1981, instructions et directives contenaient, outre des indications sur le contrôle de la correspondance des détenus, des règles à usage interne et des principes de caractère général pour l'administration quotidienne de l'établissement.  Les membres des deux chambres du Parlement y avaient accès pour les consulter, mais non le grand public ni les détenus; on fournissait cependant à ces derniers, au moyen de notices affichées dans les cellules, des informations sur certains aspects du contrôle du courrier.
A compter du 1er décembre 1981, les consignes relatives à la correspondance des détenus ont subi une révision profonde.  En outre, de nouvelles instructions en la matière ont été publiées dans leur intégralité; on a extrait des instructions, pour les insérer dans des directives, des dispositions d'ordre administratif étrangères au droit d'un détenu à correspondre et qui, estimait-on, ne se prêtaient pas à une publication.  On n'a pas amendé le règlement pénitentiaire lui-même, mais le Gouvernement a déclaré lors des audiences que l'on abrogerait le plus tôt possible l'article 34 § 8 (paragraphe 29 ci-dessous) dans la mesure où il concerne la correspondance.
27.     Dans le domaine considéré, les consignes du ministre de l'Intérieur aux directeurs d'établissements avaient et conservent une double fonction: circonscrire le pouvoir discrétionnaire reconnu à ceux-ci par le règlement pénitentiaire; préciser la manière dont le ministre entend à certains égards exercer son propre pouvoir discrétionnaire.  Les principales normes du règlement pénitentiaire sur ce sujet se trouvent analysées ci-après, avec un résumé:
a) des instructions et directives pertinentes en vigueur jusqu'au 30 novembre 1981;
b) des changements ultérieurs.
A. Dispositions générales
28.     Les clauses suivantes du règlement pénitentiaire, qui renferment des dispositions générales sur le contrôle de la correspondance, sont entrées en vigueur le 25 mars 1964 et le demeurent:
"33. (1)  Pour maintenir la discipline et l'ordre ou prévenir les infractions pénales, ou dans l'intérêt de toute personne, le ministre peut imposer, de manière générale ou dans un cas particulier, des restrictions aux communications à autoriser entre un détenu et d'autres personnes.
(3)  Sauf disposition contraire du présent règlement, toute lettre ou communication envoyée par ou à un détenu doit" - "peut", depuis le 1er juin 1974 - "être lue ou examinée par le directeur de l'établissement ou un fonctionnaire habilité par lui; le directeur peut, à sa guise, intercepter toute lettre ou communication en raison du caractère répréhensible de son contenu ou de sa longueur démesurée."
B. Dispositions concernant l'identité des correspondants
29.     Les clauses de base suivantes du règlement pénitentiaire, toutes deux relatives à l'identité des personnes avec qui un détenu peut correspondre, sont entrées en vigueur le 25 mars 1964 et le demeurent:
"33. (2)  Sauf exception prévue par la loi ou par le présent règlement, un détenu ne peut communiquer avec une personne de l'extérieur, et réciproquement, sans l'autorisation du ministre."
"34. (8)  Le présent article [34]" - qui réglemente le volume de la correspondance - "ne donne pas à un détenu le droit de communiquer avec quelqu'un au sujet d'une affaire juridique ou autre, ou avec une personne autre qu'un parent ou ami, sans l'autorisation du ministre."
1.  Avant le 1er décembre 1981
30.     Selon l'article 34 § 8 du règlement pénitentiaire, complété par les instructions 5A 22, 5A 23 et 5A 30, les détenus devaient solliciter la permission du ministre de l'Intérieur pour correspondre avec une personne autre qu'un proche.  Toutefois, on les laissait d'ordinaire correspondre avec d'autres parents ou des amis sans avoir à en demander l'autorisation, mais le directeur pouvait le leur interdire pour des raisons de sécurité, ou d'ordre et de discipline, ou dans l'intérêt de la lutte contre la délinquance.  Il jouissait d'un pouvoir discrétionnaire - dont il n'aurait probablement pas usé en faveur d'un détenu de la "catégorie A", tels M. Williams ou M. McMahon - pour consentir à des communications avec d'autres personnes que le détenu ne connaissait pas personnellement avant d'être écroué, mais en général celui-ci ne pouvait pas écrire à d'autres détenus, à d'anciens détenus, à des agences matrimoniales, à des adresses codées (Monomark addresses) ou à des catégories déterminées de correspondants.
En outre, comme l'expliquent les paragraphes 31-36 ci-après, certains types particuliers de lettres bénéficiaient d'une autorisation permanente.
a) Correspondance avec un conseiller juridique
31.     Depuis le 1er janvier 1973, l'article 37A (1) du règlement pénitentiaire soustrayait à la censure la correspondance relative à un procès civil ou pénal auquel le détenu était déjà partie.  Il demeure en vigueur et se lit ainsi:
"Un détenu partie à une procédure judiciaire peut correspondre au sujet de celle-ci avec son conseil; pareille correspondance n'est ni lue ni interceptées en vertu de l'article 33 § 3 du présent règlement, sauf si le directeur a des raisons de supposer qu'elle contient des éléments étrangers à ladite procédure."
32.     Jusqu'au 6 août 1975, les détenus devaient demander au ministre de l'Intérieur l'autorisation de consulter ou constituer un solicitor au sujet d'un procès civil à intenter (sauf pour certaines affaires de divorce).  A cette date, la directive 45/1975 a apporté des modifications qu'ont reflétées ultérieurement l'article 37A (4) du règlement pénitentiaire et les consignes données en vertu de ce texte par le ministre au moyen de l'instruction 17A.  Entré en vigueur le 26 avril 1976 et demeuré applicable, l'article 37A (4) du règlement pénitentiaire se lit ainsi:
"Sous réserve des consignes du ministre, un détenu peut correspondre avec un solicitor afin de le consulter sur une action civile éventuelle à laquelle il peut devenir partie ou de le charger d'engager pareille action."
L'instruction 17A disposait notamment:
i.  que le détenu devait avoir recueilli l'avis d'un solicitor avant de pouvoir être autorisé à introduire une instance;
ii. qu'à chaque stade, il devait d'abord adresser au directeur de la prison une demande écrite et motivée tendant à l'octroi des facilités nécessaires; il fallait les lui accorder immédiatement, à ceci près que la "règle de l'examen préalable" (paragraphe 47 ci-dessous) valait en général dans le cas d'un procès civil à intenter contre le ministère de l'Intérieur par suite ou au sujet de la détention.
Pour le surplus, la correspondance entrant dans cette catégorie tombait sous le coup des restrictions de contenu mentionnées aux paragraphes 41 à 47 ci-dessous.
b) Correspondance avec des parlementaires
33.     Les détenus étaient libres de communiquer avec un parlementaire, sous réserve des mêmes restrictions.
c) Correspondance avec des agents consulaires et des fonctionnaires du Commonwealth
34.     Sous réserve desdites restrictions, les détenus étrangers ou citoyens de la République d'Irlande ou d'un pays membre du Commonwealth, étaient libres de communiquer avec les représentants accrédités de leur pays au Royaume-Uni.
d) Correspondance avec certaines organisations
35.     D'après l'instruction 5A 31 (2) b., un détenu pouvait, sans autorisation préalable du ministre de l'Intérieur ou du directeur de la prison, écrire au "National Council for Civil Liberties", à "Justice", à "Release" ou à la "Howard League for Penal Reform", pour une consultation juridique relative à sa condamnation, sa peine ou des questions d'intérêt général.  Il pouvait en outre leur écrire pour demander l'engagement d'une action en justice; si à l'origine il ne pouvait les consulter sur un point concernant ses conditions de détention, cela fut autorisé ultérieurement par la directive 38/1977, sous réserve toutefois de la "règle de l'examen préalable" (voir paragraphe 47 ci-dessous).  Dans ces deux derniers cas, il lui fallait cependant commencer par suivre les procédures instituées par la directive 45/1975, puis consacrées par l'instruction 17A (demande de facilités au directeur de la prison, paragraphe 32 ci-dessus).
Pour le surplus, la correspondance entrant dans cette catégorie tombait sous le coup des restrictions de contenu mentionnées aux paragraphes 41-47 ci-dessous.
e) Requêtes à la Commission européenne des Droits de l'Homme
36.     Les requêtes à la Commission obéissaient à des dispositions spéciales.  En particulier, l'autorisation du ministère de l'Intérieur n'était nécessaire ni pour leur présentation ni pour la correspondance échangée à leur sujet avec des conseils et la "règle de l'examen préalable" ne jouait pas.
2.  Depuis le 1er décembre 1981
37.     La plupart des restrictions ménagées par les anciennes instructions et directives quant à l'identité des correspondants ont désormais disparu.  Si les articles pertinents du règlement pénitentiaire n'ont pas changé eux-mêmes, les nouvelles instructions (n° 5B23-5B30) disposent qu'à condition de respecter les normes relatives au contenu de la correspondance (paragraphe 48 ci-dessous), un prisonnier peut correspondre avec toute personne ou organisation sauf dans certains cas exceptionnels dont voici les principaux:
a)      le destinataire (autre que le conjoint) a demandé que l'intéressé cesse de lui écrire;
b)      la correspondance avec d'autres prisonniers, hormis les parents, s'il y a lieu de penser qu'elle nuirait gravement à la réadaptation ou si l'intérêt de la sécurité, de l'ordre ou de la discipline conseille d'empêcher les communications;
c)      la correspondance avec d'ex-détenus, s'il y a lieu de penser qu'elle nuirait gravement à la réadaptation;
d)      la correspondance avec une personne (autre qu'un proche parent) ou une organisation que l'on croit en train de préparer ou mener des activités menaçant gravement la sécurité ou l'ordre d'un établissement pénitentiaire.
C.  Dispositions concernant le nombre de lettres
38.     Quant au volume de la correspondance des détenus, les clauses de base suivantes du règlement pénitentiaire sont entrées en vigueur le 25 mars 1964 et restent applicables:
"34. - (1) Un détenu non condamné peut expédier et recevoir autant de lettres (...) qu'il veut, sous réserve des limites et conditions fixées par le ministre d'une manière générale ou dans un cas particulier.
(2) Un condamné détenu a le droit
a) d'expédier et recevoir une lettre lors de son admission en prison, puis une fois par semaine;
(3) Le directeur peut allouer à un détenu une lettre supplémentaire (...) si le bien-être de l'intéressé ou de sa famille l'exige.
(4) Il peut autoriser un détenu qui a droit à une visite à expédier et recevoir une lettre à la place.
(6) La commission des visites (visiting committee) ou le comité des visiteurs de la prison - le comité des visiteurs de la prison (board of visitors) depuis le 1er janvier 1972 - peut allouer à un détenu une lettre supplémentaire (...) dans des circonstances particulières (...).
(7) Le ministre peut allouer des lettres supplémentaires (...) à un détenu ou à une catégorie de détenus."
1.  Avant le 1er décembre 1981
39.     En sus de son droit d'expédier - aux frais de l'État - et recevoir une lettre par semaine (article 34 § 2 du règlement pénitentiaire), un condamné détenu était autorisé à envoyer à ses frais au moins une lettre supplémentaire par semaine, et à recevoir une réponse (instruction 5A 3(8) et directive 155/1968).
Les autorités usaient autant que possible de leur faculté d'allouer des lettres supplémentaires (article 34 §§ 3, 6 et 7 du règlement pénitentiaire).
Ces restrictions quantitatives ne valaient pas pour les personnes en détention provisoire (article 34 § 1), mais à la plupart des autres égards celles-ci subissaient en matière de correspondance le même régime que les condamnés détenus.
2. Depuis le 1er décembre 1981
40.     Les nouvelles instructions (n° 5B7 et 5B14) ne modifient pas le quota de base, mais précisent que des lettres supplémentaires doivent être allouées dans la mesure du possible.
D. Dispositions concernant le contenu de la correspondance
41.     Quant au contenu de la correspondance, le règlement pénitentiaire renferme, outre l'article 33 § 3 reproduit au paragraphe 28 ci-dessus, la clause suivante, entrée en vigueur le 25 mars 1964 et demeurant applicable:
"34.   (8) Le présent article [34]" - qui réglemente le volume de la correspondance - "ne donne pas à un détenu le droit de communiquer avec quelqu'un au sujet d'une affaire juridique ou autre (...) sans l'autorisation du ministre."
1.  Avant le 1er décembre 1981
42.     Diverses instructions et directives complétaient les articles 33 § 3 et 34 § 8 du règlement pénitentiaire.
43.     L'instruction 5A 31 interdisait expressément aux condamnés détenus d'adresser à un juge, une autorité officielle ou un représentant du gouvernement d'un État du Commonwealth ou étranger (sous réserve de certaines exceptions pour les détenus étrangers ou ressortissants d'un autre pays du Commonwealth), ou à une organisation non officielle (sauf certains exceptions, là aussi), des doléances relatives à leur procès ou leur condamnation.  Ils pouvaient, en revanche, en adresser au ministre de l'Intérieur.
44.     D'après l'instruction 5A 24, les détenus n'étaient pas autorisés à expédier des lettres invitant quelqu'un à faire en leur nom une communication qu'on ne leur aurait pas permis de faire directement, ni certaines autres lettres qui auraient tourné la réglementation.
45.     a) Les instructions 5A 26 (4) a) et b) et 5A 29 interdisaient aux détenus d'inclure dans les lettres qu'ils expédiaient hormis celles adressées à des parlementaires, des agents consulaires ou des fonctionnaires du Commonwealth, auxquelles s'appliquaient des règles particulières:
i.  des allusions répréhensibles à des personnalités publiques;
ii.  des références à la criminalité, aux méthodes criminelles ou aux infractions d'autrui;
iii.  des griefs contre les tribunaux, la police et les autorités pénitentiaires, lorsqu'ils visaient délibérément à les exposer au mépris;
iv.  des menaces de violence ou des incitations à la violence;
v.   des éléments destinés à être publiés ou à être utilisés à la radio ou à la télévision (règle assouplie pour certaines publications spécialisées);
vi.  un langage ordurier;
vii.  des déclarations manifestement diffamatoires ou calomnieuses sur des particuliers, ou cherchant à leur nuire;
viii.  des demandes d'argent ou de biens précieux;
ix.  des plaintes relatives aux conditions de détention;
x. des allégations contre des membres du personnel pénitentiaire;
xi.  des tentatives en vue de susciter une agitation ou une pétition publiques.
Des règles semblables valaient pour les lettres adressées aux détenus (instruction 5A 26 (4) d)).
Comme le signalent les paragraphes 32 et 35 ci-dessus, l'interdiction d'inclure des plaintes relatives aux conditions de détention ou des allégations contre des membres du personnel pénitentiaire ne s'appliquait pas à certains échanges de lettres avec des conseils juridiques (après le 6 août 1975) et avec des organisations déterminées (après le 26 août 1977), sous réserve, toujours, du respect de la "règle de l'examen préalable" (paragraphe 47 ci-dessous).
b) Jusqu'au 28 novembre 1975, les lettres aux parlementaires subissaient, en gros, les mêmes restrictions de contenu, à ceci près qu'elles pouvaient renfermer des griefs relatifs aux conditions de détention, ou dirigés contre des membres du personnel pénitentiaire, et pour lesquels avait été observée la "règle de l'examen préalable". Par la suite, on n'interceptait pareille lettre que s'il y figurait de tels griefs, non encore soumis à examen (instruction 5C, amendée par la directive 62/1975).  A l'époque du changement de pratique parut, pour l'information des détenus, un avis qui résumait les normes concernant les lettres aux parlementaires.  On y lisait notamment ce qui suit:
"Une plainte ou demande portant sur les conditions de détention doit être adressée au directeur, au comité des visiteurs de la prison ou au visiteur de celle-ci, ou au ministre par voie de requête (...).  Une plainte contre un membre du personnel doit être adressée au directeur. De telles plaintes ne peuvent être adressées à un parlementaire avant que les autorités n'aient pris attitude."
c) Les lettres expédiées à des agents consulaires, ou à des fonctionnaires du Commonwealth, par des condamnés détenus ressortissants d'un État étranger, de la République d'Irlande ou d'un pays du Commonwealth obéissaient, pour leur contenu, aux mêmes règles que les lettres aux parlementaires jusqu'au 3 septembre 1975, date à laquelle on a supprimé cette restriction (instruction 5A 20, amendée par la directive du 3 septembre 1975).
46.     Sauf pour la correspondance relative à certaines affaires juridiques, laquelle bénéficiait d'une autorisation permanente comme l'expliquent les paragraphes 31, 32 et 35 ci-dessus, l'article 34 § 8 du règlement pénitentiaire subordonnait à l'accord préalable du ministre de l'Intérieur toute communication sur une affaire juridique ou autre.  La conduite d'affaires par les détenus se trouvait aussi traitée dans les instructions 1C 4 à 6.  Principe de base: un détenu, condamné ou non, ne pouvait mener de prison aucune activité lucrative, mais devait jouir de facilités raisonnables pour en assurer la conduite en son nom.  Toutefois, sous réserve de cette règle générale les directeurs pouvaient permettre à un détenu de s'occuper de certaines affaires limitées d'ordre personnel, par exemple disposer de ses biens, signer un chèque, établir ou signer un testament ou autre document.  Il en résultait en gros que si un détenu ne pouvait participer en personne et de manière continue à une activité lucrative, on le laissait prendre des arrangements visant à préserver, pour lui-même et sa famille, son propre patrimoine et ses intérêts.
47.     Comme l'indique le paragraphe 45 ci-dessus, seule la correspondance échangée avec des conseillers juridiques, des organisations déterminées, des parlementaires, des agents consulaires ou des fonctionnaires du Commonwealth pouvait renfermer ou mentionner des griefs visant les conditions de détention ou dirigés contre des membres du personnel pénitentiaire.  De plus, en vertu de la "règle de l'examen préalable" (prior ventilation rule) - énoncée notamment dans l'instruction 17A - une lettre rentrant dans l'une de ces catégories et abordant une telle question était, à certaines exceptions près, interceptée aussi longtemps que le détenu n'avait pas formulé sa plainte par les voies internes normales (requête au ministre de l'Intérieur ou demande au comité des visiteurs de la prison, à un visiteur délégué par le ministre ou au directeur de la prison) ni reçu de réponse définitive.  La lettre pouvait partir ensuite, en général quel qu'eût été le résultat.
2.  Depuis le 1er décembre 1981
48.     Les nouvelles instructions 5B 34 et 5B 40 ont complété les articles 33 § 3 et 34 § 8 du règlement pénitentiaire.  Voici comment se présente la situation actuelle:
a)      L'interdiction des doléances concernant un procès, une condamnation ou une peine (paragraphe 43 ci-dessus) a disparu.
b)      Des dispositions analogues à l'ancienne instruction 5A 24 (destinée à empêcher de tourner la réglementation ou d'y échapper - paragraphe 44 ci-dessus) demeurent en vigueur.
c)      La liste des sujets prohibés (paragraphe 45 a) ci-dessus) a été révisée et les principaux éléments qui ne doivent pas se trouver dans les lettres à recevoir ou envoyer peuvent se résumer ainsi:
i.  éléments qui compromettraient la sécurité de l'établissement;
ii.  éléments qui aideraient ou encourageraient à commettre une infraction disciplinaire ou pénale;
iii.  éléments qui pourraient compromettre la sécurité nationale;
iv.  description du mode de fabrication de certains moyens de destruction;
v.  certains messages obscurs ou codés;
vi.  menaces de violence ou de dommages aux biens, propres à inspirer de la peur au destinataire;
vii.  chantage ou extorsion;
viii.  certains éléments indécents ou obscènes;
ix.  renseignements qui exposeraient quelqu'un à une menace ou à un danger actuel de violence ou de dommage corporel;
x.  griefs visant les conditions de détention et pour lesquels la "règle de l'examen simultané" (simultaneous ventilation rule, paragraphe 49 ci-après) n'a pas été respectée;
xi.  actes introductifs de poursuites privées;
xii.  certains éléments destinés à la publication ou à être utilisés par la radio ou la télévision;
xiii.  dans le cas d'un condamné détenu, ce qui constitue la conduite d'une activité lucrative, expression définie de manière à exclure certaines affaires personnelles déterminées.
Cette liste ne vaut pas pour la correspondance échangée avec des agents consulaires et des fonctionnaires du Commonwealth ni, sauf en ce qui concerne la rubrique x., pour la correspondance avec des membres du Parlement britannique (nouvelles instructions 5D 5 et 5E 6).
Pour la rubrique xiii. ci-dessus, le principe de base reste que les détenus ne peuvent mener de prison aucune activité lucrative, mais Il ne s'applique plus aux détenus non condamnés qui peuvent correspondre sans restriction sur de tels sujets (version révisée des instructions 1C 4 et 1C 5).
49.     À la "règle de l'examen préalable" (paragraphe 47 ci-dessus) a succédé celle de "l'examen simultané", énoncée dans l'instruction 5B34 j).  Une lettre peut mentionner un grief relatif aux conditions de détention dès lors qu'il a été soulevé selon les modalités prescrites et sans que le détenu ait besoin d'attendre le résultat de l'enquête interne.  La règle ne vaut pas pour les plaintes n'exigeant pas de recherches, ni pour les plaintes d'ordre général pour lesquelles il n'y a pas de remède possible (par exemple le surpeuplement des prisons); elles peuvent figurer dans la correspondance même en l'absence de tout examen interne.  De plus, en vertu des nouvelles instructions un grief régulièrement présenté peut désormais figurer dans toute lettre, quelle que soit l'identité du correspondant.
E. Pratique de la censure (avant et après le 1er décembre 1981)
50.     Jusqu'au 1er juin 1974, le règlement pénitentiaire prescrivait en son article 33 § 3, et sauf disposition contraire (tel l'article 37A (1), paragraphe 31 ci-dessus), la lecture et l'examen de toute communication adressée à ou par un détenu, encore que l'instruction 5A 26 laissa les directeurs de prison libres de se contenter d'un survol rapide pour certaines lettres domestiques (destinées au conjoint ou à un proche parent).  Depuis un amendement entré en vigueur à cette date, l'article 33 § 3 rend facultatifs lecture et examen, mais les directeurs de prison restent soumis en la matière aux consignes du ministre de l'Intérieur.  Ainsi, à l'heure actuelle les lettres "domestiques" à expédier ne sont en principe ni lues ni examinées dans les établissements ouverts; ailleurs, toute correspondance doit ètre examinée mais pas nécessairement lue (nouvelle instruction 5B 32).
Un prisonnier dont on intercepte une lettre en raison de son contenu se voit offrir l'occasion de la récrire.  Il peut, lorsque l'interception s'explique par l'identité du destinataire, utiliser son droit à cette lettre pour écrire à une autre personne.
F. Plaintes relatives à la censure (avant et après le 1er décembre 1981)
1.  Voies internes
51.     Un détenu mécontent de la décision d'intercepter ou censurer sa correspondance peut se plaindre au directeur de la prison, au comité des visiteurs de la prison ou à un inspecteur délégué par le ministre de l'Intérieur, ou adresser une requête au ministre lui-même. Il peut emprunter l'une quelconque de ces voies ou chacune d'elles et, s'il en utilise plus d'une, suivre l'ordre de son choix.
a) Le comité des visiteurs de la prison
52.     Le comité des visiteurs de la prison peut examiner la compatibilité de la décision incriminée avec le règlement pénitentiaire et les consignes du ministre de l'Intérieur.  Il signale au directeur les irrégularités éventuelles ou rend compte au ministre; sauf circonstances exceptionnelles, on se conforme à son avis malgré le caractère consultatif de ses attributions.
b) requêtes au ministre de l'Intérieur
53.     Les détenus ont le droit de saisir le ministre de l'Intérieur de requêtes sur n'importe quel sujet, par exemple pour solliciter une permission que le directeur de la prison ne peut ou ne veut leur accorder, ou pour s'en prendre aux conditions de détention.
Dans l'hypothèse où un détenu se plaint à lui de ce que les autorités pénitentiaires ont décidé d'intercepter ou censurer son courrier, le ministre de l'Intérieur, s'il estime qu'elles ont mal interprété ou appliqué l'instruction pertinente, leur donne des ordres afin d'en garantir le respect.  Il peut s'écarter des instructions dans des cas particuliers, mais cela n'arrive sans doute que rarement, voire jamais, car elles ont pour but même d'assurer l'uniformité de pratique et d'empêcher des ingérences arbitraires dans la correspondance.
Avant le 1er décembre 1981, les consignes relatives à la présentation de requêtes figuraient dans les instructions 5B 1 à 16.  Elles prévoyaient notamment que, sous réserve de certaines exceptions, un détenu ne pouvait déposer une requête si et aussi longtemps qu'il attendait une réponse à une requête antérieure (instruction 5B 12 (2)).
A compter du 1er décembre 1981, les nouvelles ordonnances 5C 9 et 5C 10 ont assoupli les dispositions de l'instruction 5B 12 (2). Une requête peut désormais être introduite un mois après la précédente.  En outre, même lorsqu'une requête demeure pendante un détenu peut d'emblée en envoyer une sur certaines questions déterminées, par exemple des entraves à sa correspondance.
2.  Le médiateur parlementaire pour les questions administratives
54.     Les plaintes touchant le contrôle de la correspondance peuvent aussi être adressées au médiateur parlementaire pour les questions administratives (Parliamentary Commissioner for Administration, alias Ombudsman).  Selon l'article 5 de la loi de 1967 sur le médiateur, ce personnage, nommé par la Couronne, peut, si un député l'y invite, enquêter sur toute mesure prise par certains organes (dont le ministère de l'Intérieur) dans l'accomplissement de fonctions administratives, en cas de plainte d'une personne qui se prétend victime d'une injustice résultant d'une "mauvaise administration".  Il ne peut en principe mener pareille enquête s'il existe des voies de recours judiciaires.  Aux termes de l'article 12 de la loi, il ne peut contester le bien-fondé d'une décision discrétionnaire arrêtée sans qu'il y ait mauvaise administration; sa compétence ne s'étend donc pas aux ingérences dans la correspondance d'un détenu opérées au titre d'un exercice correct du pouvoir discrétionnaire conféré par le règlement pénitentiaire ou les consignes du ministre de l'Intérieur. En outre, le médiateur ne peut redresser lui-même le grief tiré de la mauvaise administration, mais seulement communiquer les résultats de son enquête au député qui l'a demandée, à l'organe intéressé et, dans certaines circonstances, à chacune des chambres du Parlement (article 10).
Jusqu'au 23 août 1979, les détenus ne pouvaient communiquer avec le médiateur que par l'intermédiaire d'un député prèt à les aider. Bien que cela reste la manière habituelle d'agir, ils peuvent désormais lui écrire directement.  Toutefois, leurs lettres à l'Ombudsman obéissent, comme leur correspondance avec les parlementaires, à la règle de l'examen simultané des griefs relatifs aux conditions de détention (paragraphes 48 et 49 ci-dessus) et le médiateur ne peut, aujourd'hui encore, mener une enquète que si le député de la circonscription de l'intéressé l'y invite.
3.  Saisine des juridictions internes
55.     Contre la manière dont les autorités usent des pouvoirs que le règlement pénitentiaire leur attribue dans le domaine considéré, un recours en contrôle judiciaire (proceedings for judicial review) s'ouvre devant les juridictions anglaises.  En exerçant leur compétence, celles-ci veillent au respect dudit règlement pour autant qu'il confère aux détenus le droit d'expédier et recevoir du courrier (par exemple en son article 37 (A) 1, paragraphe 31 ci-dessus); elles s'assurent aussi de l'absence d'arbitraire, de mauvaise foi, d'excès ou de détournement de pouvoir dans l'application des restrictions qu'il permet d'apporter à la correspondance.
Dans l'affaire Raymond contre Honey, la Cour le note dans ce contexte, Lord Wilberforce a souligné que d'après un principe de droit anglais un condamné détenu conserve, malgré son emprisonnement, tous les droits fondamentaux dont on ne l'a pas privé expressément ou par implication nécessaire (All England Law Reports, 1982, vol. 1, p. 759).
4.  Plaintes malintentionnées ou sans fondement
56.        Les détenus s'exposent à des sanctions s'ils se rendent coupables d'infractions disciplinaires.  Parmi ces dernières figurent, d'après l'article 47 du règlement pénitentiaire, le fait de proférer contre un gardien une allégation mensongère et malintentionnée et celui de ne pas cesser de récriminer sans fondement, que ce soit par voie de requête, par voie de lettre ou autrement.  Il faut en avertir tout détenu qui lance une accusation contre un membre du personnel pénitentiaire (directive 88/1961, remplacée par la directive 14/1980, non publiée.)
III. L'APPLICATION EN L'ESPÈCE DU DROIT ET DE LA PRATIQUE INTERNES EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DE LA CORRESPONDANCE
57.     La présente affaire tire son origine de l'interception de 62 lettres écrites par les requérants, à savoir sept par M. Silver, quatre par M. Noe, trois par Mme Colne, deux par M. Tuttle, quatorze par M. Cooper, dix par M. McMahon et vingt-deux par M. Carne; dans le cas de Mme Colne, il s'agit d'exemples de la correspondance qu'on l'a empêchée de poursuivre avec M. Williams.  En outre, M. Noe se plaint du retard apporté à poster l'une de ses lettres et M. McMahon de la non-délivrance de l'une de celles qui lui étaient destinées.
Le Gouvernement a indiqué à la Cour que l'on compte par an quelque dix millions de lettres envoyées et reçues par les détenus en Angleterre et au pays de Galles.  On aura une idée du volume de la correspondance de ceux des requérants qui séjournaient en prison si l'on sait que pendant les périodes mentionnées ci-dessous (celles pour lesquelles on accède le plus aisément aux archives), le nombre des lettres écrites par eux et expédiées telles quelles par les autorités pénitentiaires atteignit 419 pour M. Silver du 20 mars 1968 au 2 août 1973, 149 pour M. Noe du 14 novembre 1972 au 15 avril 1975 (dont près de deux années passées en liberté), 94 pour M. Tuttle du 2 janvier au 29 décembre 1975, 299 pour M. Cooper du 8 août 1974 au 24 juin 1976, 492 pour M. McMahon du 5 décembre 1974 au 9 février 1977 et 480 pour M. Carne du 14 octobre 1974 au 16 juin 1976.
58.     Les dispositions en vertu desquelles a eu lieu, selon le droit et la pratique applicables avant le 1er décembre 1981, l'interception ou le retardement des 64 lettres en question sont précisées plus loin. Là où l'interception se fondait sur plusieurs motifs, le ou les motifs subsidiaires se trouvent également indiqués.
Le texte de 59 desdites lettres figure à l'annexe III au rapport de la Commission; celui des cinq autres n'a pu être obtenu.  Les lettres disponibles sont désignées ci-après par un numéro, les manquantes par leur seule date.
A. Dispositions relatives à l'identité des correspondants
Restriction à la correspondance avec une personne autre qu'un parent ou ami (paragraphes 29-30 ci-dessus)
59.     Furent interceptées au motif qu'elles n'avaient pas pour expéditeur ou destinataire un parent ou ami:
a) les lettres n° 13, 14 et 15 de Mme Colne à M. Williams (voir aussi le paragraphe 16 ci-dessus);
b) les lettres n° 35, 36, 37, 38, 39, 40 et 41 de M. McMahon (adressées respectivement à une société de radiodiffusion-télévision, à un avocat, au présentateur d'une émission de télévision, à un journaliste, au policier chargé d'enquêter sur l'affaire de M. McMahon, à un professeur de droit et au maire d'Islington) et une lettre, du 31 décembre 1975, du même journaliste à M. McMahon.  Le requérant avait précédemment échangé trois lettres avec l'avocat en question, qu'il ne connaissait pas, mais on interdit leur correspondance quand il s'avéra qu'elle irait au-delà d'une demande de renseignements d'ordre général.  Malgré l'interception de la lettre n° 41, M. McMahon parait avoir été autorisé à écrire à un conseiller municipal.
Cette restriction a constitué aussi un motif subsidiaire de l'interception des lettres n° 4 de M. Silver et n° 48 de M. Carne (paragraphe 68 ci-dessous).
B.  Dispositions relatives au contenu de la correspondance
1.  Restriction aux communications concernant une affaire juridique ou autre (paragraphes 32, 35, 41 et 46 ci-dessus)
60.     a) La lettre n° 57 de M. Carne à un solicitor et sa lettre du 15 septembre 1975 au National Council for Civil Liberties, furent interceptées au motif qu'il n'avait pas d'abord prié le directeur de la prison de l'autoriser à consulter un juriste.  Toutes deux avaient été rédigées après l'entrée en vigueur de la directive 45/1975 (paragraphe 32 ci-dessus).
b) Elle aussi postérieure à cette directive et relative à des poursuites en cours, la lettre n° 27 de M. Cooper à un solicitor fut interceptée parce que, estima-t-on, il avait déjà eu assez de facilités pour consulter un juriste.
c) Furent interceptées faute de demande préalable au ministre de l'Intérieur:
i.   la lettre n° 10 de M. Noe à un solicitor, où l'on pouvait lire: "(...) la propriété sera perdue si vous ne venez pas vite.  Elle vaut de 100 à 125.000 £ - le solde (après remboursement des créanciers et compte tenu de bons honoraires de solicitor) se situera entre 50 et 75.000 £, dont une partie vous reviendra.";
ii.  la lettre n° 49 de M. Carne à la Crown Court du Devon, où il sollicitait la communication à son député de rapports médicaux produits à son procès.
2.  Interdiction des doléances relatives au procès ou à la condamnation du détenu (paragraphe 43 ci-dessus)
61.     Cette interdiction entraîna l'interception de la lettre n° 8 de M. Noe, adressée au Lord Chancelier mais qui traitait en réalité de la représentation juridique du requérant en appel.  Le ministère de l'Intérieur autorisa ultérieurement l'envoi de la lettre, après les audiences, semble-t-il.
Ce fut en outre une raison subsidiaire d'intercepter les lettres n° 35 et 37 de M. McMahon (paragraphe 59 ci-dessus).
3.  Interdiction des lettres éludant ou tournant les règles en vigueur (paragraphe 44 ci-dessus)
62.     La lettre n° 1 de M. Silver et la lettre n° 18 de M. Tuttle (paragraphe 68 ci-dessous), antérieures aux directives 45/1975 et 38/1977 respectivement (paragraphes 32 et 35 ci-dessus), furent aussi interceptées pour le motif subsidiaire qu'ils engageaient leur femme à faire une chose qu'ils n'avaient pas la permission de faire eux-mêmes: dans le premier cas, prendre contact avec un solicitor pour voir prononcer contre le ministère de l'Intérieur une injonction concernant les conditions de détention; dans le second, demander au National Council for Civil Liberties une consultation juridique sur le contrôle de la correspondance.
4.  Interdiction de commenter les infractions d'autrui (paragraphe 45 a)-ii. ci-dessus)
63.     La lettre n° 7 de M. Silver à son épouse fut interceptée parce qu'elle renfermait le passage suivant: "(...) l'un de mes proches voisins de prison est l'un des pirates du train (...).  Un autre, arrivé ici mercredi dernier, est l'un des deux frères asiatiques qui passent pour avoir tué (...) McKay (...)".
5.  Interdiction des griefs visant à attirer le mépris sur les autorités (paragraphe 45 a)-iii. ci-dessus)
64.     La lettre n° 17 de M. Tuttle, destinée à sa femme, fut interceptée pour la raison qu'il y usait de termes délibérément injurieux pour les autorités pénitentiaires.
Tel fut en outre un motif subsidiaire de l'interception de la lettre n° 51 de M. Carne (paragraphe 68 ci-dessous).
6.  Interdiction des menaces de recours à la violence et des grossièretés (paragraphe 45 a)-iv. et vi. ci-dessus)
65.     Les lettres n° 28, 29, 30 et 31 de M. Cooper, toutes adressées à ses parents, furent interceptées à un double titre: il y menaçait de recourir à la violence et y employait un langage ordurier.
7.  Interdiction des documents destinés à la publication (paragraphe 45 a)-v. ci-dessus)
66.     Furent interceptées parce qu'elles contenaient des éléments écrits destinés à la publication :
a) la lettre n° 5 de M. Silver, adressée au rabbin conseiller du Jewish Chronicle et sollicitant des conseils d'ordre diététique; elle portait pourtant la mention "non destinée à la publication" et demandait expressément qu'on n'en publiat aucune partie, en raison de la réglementation pénitentiaire;
b) les lettres n° 32, 34 et 42 de M. McMahon, les deux premières adressées au producteur d'une émission de télévision et la troisième à un journal.
Tel fut en outre un motif subsidiaire de l'interception de la la lettre n° 37 de M. McMahon (paragraphe 59 ci-dessus) et des lettres n° 60 et 61 de M. Carne (paragraphe 68 ci-dessous).
8.  Interdiction de formuler, dans des lettres à des conseillers juridiques et à des parlementaires, des griefs non encore examinés par les autorités et relatifs aux conditions de détention (paragraphes 45 a) et b) et 47 ci-dessus)
67.     Parce qu'elles formulaient, sans observation de la "règle de l'examen préalable", des griefs concernant les conditions de détention, furent interceptées les lettres suivantes à des parlementaires:
a) les lettres n° 9 et 11 de M. Noe;
b) les lettres n° 20, 22, 23, 24 et 26 de M. Cooper, et sa lettre du 3 avril 1974;
c) les lettres n° 43, 45, 53, 54, 58 et 59 de M. Carne, et ses lettres des 27 décembre 1974 et 11 janvier 1975.
L'interception de la lettre n° 43, écrite pendant la détention provisoire de M. Carne, donna lieu à une requête infructueuse au ministre de l'Intérieur; le Gouvernement a reconnu devant la Commission qu'il y avait eu erreur, car on ne pouvait considérer ladite lettre comme renfermant une plainte.
La même interdiction entraîna aussi l'interception de la lettre n° 56 de M. Carne à un solicitor.
La saisie des lettres n° 9 et 11 de M. Noe en vertu de cette règle se fondait sur une circonstance supplémentaire: leur destinataire avait la double qualité d'avocat et de membre du Parlement.
9.  Interdiction de formuler dans la correspondance ordinaire des griefs relatifs aux conditions de détention (paragraphe 45 a)-ix. ci-dessus)
68.     Furent interceptées parce qu'on y trouvait des griefs concernant les conditions de détention:
a) les lettres n° 1, 2, 3 et 6 de M. Silver à sa femme et sa lettre n° 4 au grand rabbin.  Il appert qu'une semaine après la saisie de cette dernière, où figuraient des doléances d'ordre diététique, on autorisa M. Silver à envoyer au même rabbin une lettre analogue;
b) la lettre n° 18 de M. Tuttle à sa femme;
c) les lettres n° 44, 46, 47, 48, 50, 51, 52, 55, 60 et 61 de M. Carne, adressées respectivement à un certain M. McAndrew (n° 44 et 50), au National Council for Civil Liberties (n° 46 et 55), à la Howard League for Penal Reform (n° 47), à un médecin (n° 48), au médiateur pour les questions de santé (n° 51), au secrétaire de la National Association for Mental Health (n° 52) et à des journalistes (n° 60 et 61).  Les lettres n° 46, 55 et 47 étaient toutes antérieures à la directive 38/1977 (paragraphe 35 ci-dessus).
10.  Interdiction des allégations dirigées contre des membres du personnel pénitentiaire (paragraphe 45 a)-x. ci-dessus)
69.     Cette interdiction constitua un motif subsidiaire de l'interception de la lettre n° 6 de M. Silver (paragraphe 68 ci-dessus).
11.  Interdiction de tenter de susciter une agitation ou une pétition publiques (paragraphe 45 a)-xi. ci-dessus)
70.     Un motif subsidiaire de la saisie des lettres n° 32 et 34 de M. McMahon (paragraphe 66 ci-dessus) résida dans le fait qu'elles cherchaient à susciter une pétition publique.
12.  Divers
71.     Le postage de la lettre n° 12 de M. Noe, adressée au consul des États-Unis et critiquant la censure de la correspondance, subit un retard de trois semaines parce qu'on en référa au ministère de l'Intérieur.  Il s'agit d'une missive antérieure à la levée des restrictions au contenu du courrier destiné à des agents consulaires (paragraphe 45 c) ci-dessus).
Les lettres n° 19, 21 et 25 de M. Cooper, destinées à des parents, furent interceptées en vertu de l'article 33 § 3 du règlement pénitentiaire, au titre de la censure des lettres "répréhensibles", mais sans explication officielle.  La Commission relève que la base légale de cette mesure n'apparaît pas clairement en dehors de l'habilitation générale résultant du texte précité.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
72.     M. Silver, M. Noe, Mme Colne, M. Tuttle, M. Cooper, M. McMahon et M. Carne ont saisi la Commission les 20 novembre 1972, 1er février 1973, 2 juin 1975, 20 mars 1975, 28 octobre 1974, 8 juillet 1975 et 5 avril 1975 respectivement.  D'après eux, la censure de leur correspondance par les autorités pénitentiaires avait enfreint les articles 8 et 10 (art. 8, art. 10) de la Convention.  M. Silver affirmait aussi que le rejet de deux demandes priant le ministre de l'Intérieur de l'autoriser à consulter un juriste l'avait privé de son droit d'accès aux tribunaux, garanti par l'article 6 § 1 (art. 6-1).
Les 5 mars 1976, 19 décembre 1975 et 4 octobre 1977 respectivement, la Commission a déclaré irrecevables les requêtes de MM. Silver, Noe et Cooper quant à certains griefs supplémentaires.  A cette dernière date, elle en a retenu le surplus ainsi que l'intégralité des quatre autres requêtes.  Le 11 mars 1977, elle avait ordonné la jonction des sept requêtes en vertu de l'article 29 de son règlement intérieur. Par la suite, chacun des requérants a invoqué en outre l'article 13 (art. 13): selon eux, il n'existait pas de recours effectif devant une "instance" nationale contre les violations alléguées des droits que leur reconnaissait la Convention.
73.     Le 3 avril 1979, le représentant de M. Silver a informé la Commission du décès de son client.  Le 8 mai 1979, elle a décidé de ne pas rayer la requête du rôle, en raison du désir des proches de M. Silver de voir l'affaire se poursuivre et des questions d'intérêt général soulevées par celle-ci.
Bien qu'il faille considérer aujourd'hui les membres de la famille comme ayant qualité de "requérants" (arrêt Deweer du 27 février 1980, série A n° 35, pp. 19-20, § 37), le présent arrêt continuera, pour des raisons de commodité, de désigner M. Silver comme un "requérant".
74.     Dans son rapport du 11 octobre 1980 (article 31 de la Convention) (art. 31), la Commission exprime l'avis:
- par une série de votes, unanimes à une exception près, que la censure du courrier des requérants par les autorités pénitentiaires a violé leur droit au respect de la correspondance, consacré par l'article 8 (art. 8) de la Convention, sauf dans le cas de six lettres (à savoir les lettres n° 7 de M. Silver, n° 28 à 31 de M. Cooper et n° 12 de M. Noe);
- qu'il ne s'impose pas d'examiner aussi la question sous l'angle de l'article 10 (art. 10);
- à l'unanimité, qu'il y a eu méconnaissance du droit d'accès de M. Silver aux tribunaux civils, garanti par l'article 6 § 1 (art. 6-1);
- par quatorze voix contre une, que l'absence de recours internes effectifs pour les griefs tirés de l'article 8 (art. 8) par les requérants a enfreint l'article 13 (art. 13).
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
75.     Lors des audiences du 22 septembre 1982, le Gouvernement a maintenu en substance les conclusions figurant dans son mémoire du 2 octobre 1981.  Elles demandent à la Cour:
"1.  Quant à l'article 8 (art. 8)
(i)  dans la mesure où la Commission a estimé que les faits constatés ne révèlent, de la part du Royaume-Uni, aucun manquement aux obligations qui lui incombent aux termes de l'article 8 (art. 8) de la Convention, de confirmer cet avis;
(ii) dans la mesure où le Gouvernement du Royaume-Uni conteste l'avis de la Commission sur les points relatifs à l'article 8 (art. 8) de la Convention, de statuer dans le sens de la thèse qu'il a développée dans son mémoire;
(iii) dans la mesure où le Gouvernement du Royaume-Uni, en raison des changements apportés par les nouvelles instructions à la pratique du Royaume-Uni en matière de correspondance des détenus, ne conteste pas les violations de la Convention relevées par la Commission,
a) de décider et déclarer que les faits constatés ne révèlent pas d'autres manquements que ceux indiqués dans le rapport de la Commission;
b) de prendre expressément acte, dans son arrêt, des changements apportés par les nouvelles instructions, comme redressant les manquements ainsi constatés par la Commission;
2.  Quant à l'article 6 (art. 6)
(i)  de prendre expressément acte, dans son arrêt, des changements que le droit et la pratique du Royaume-Uni en matière de contrôle de la correspondance entre les détenus et leurs conseillers juridiques ont subis depuis l'arrêt de la Cour en l'affaire Golder;
a) eu égard à ces changements, de refuser de poursuivre l'examen des violations alléguées de l'article 6 (art. 6) de la Convention;
en ordre subsidiaire
b) de décider et déclarer que les faits constatés ne révèlent pas d'autres manquements du Royaume-Uni aux obligations lui incombant aux termes de l'article 6 (art. 6) de la Convention que ceux indiqués dans le rapport de la Commission;
3.  Quant à l'article 13 (art. 13)
de décider et déclarer que les faits constatés ne révèlent pas de manquement du Royaume-Uni aux obligations lui incombant aux termes de l'article 13 (art. 13) de la Convention, en ordre subsidiaire qu'ils n'en révéleraient aucun après l'entrée en vigueur des nouvelles instructions relatives à la correspondance des détenus."
EN DROIT
I.  SUR L'OBJET DU LITIGE
76.     Les requérants se plaignent au premier chef de l'interception ou du retardement de lettres déterminées, mais ils allèguent en outre que des pratiques contraires à la Convention continuent à exister en la matière.
77.     La Cour n'a pas à connaître de ce grief supplémentaire.  En effet, l'objet d'un litige porté devant elle se trouve fixé par la décision de recevabilité qu'a rendue la Commission (voir notamment l'arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 63, § 157).  Or dans ses décisions retenant les requêtes dont il s'agit en l'espèce, la Commission a précisé que les questions à traiter au fond consistaient à savoir si l'ingérence découlant de la censure de la correspondance dans un certain nombre de cas se justifiait au regard de l'article 8 § 2 (art. 8-2) et soulevait d'autres problèmes sous l'angle de la Convention; elle n'a pas étendu son examen ultérieur au-delà de ces questions.
78.     Comme le signalent les paragraphes 25 à 56 ci-dessus, la pratique relative au contrôle de la correspondance des détenus en Angleterre et au pays de Galles a beaucoup évolué depuis la date du rapport de la Commission.  Aussi le Gouvernement ne conteste-t-il pas l'avis de celle-ci sur bien des points; il souligne que les instructions révisées ont été publiées et que sous leur empire la majorité des lettres en cause n'auraient pas été interceptées.  Ces circonstances ont permis au président de rendre, le 22 juillet 1982, une ordonnance limitant les débats aux questions qui demeuraient controversées (paragraphe 6 ci-dessus).
Les requérants critiquent à plusieurs titres le système désormais en vigueur.  Pour sa part, le Gouvernement invite la Cour à prendre acte des changements opérés en 1981, de même qu'en 1975 (paragraphe 32 ci-dessus).  S'il a laissé entendre que la Cour devrait au moins tenir compte du nouveau régime comme redressant les violations d'antan, il a déclaré, lors des audiences, qu'il ne lui demandait pas d'en déterminer la compatibilité avec la Convention.
79.     D'une façon générale, la Cour n'a point pour tâche de se prononcer in abstracto sur une législation; or le nouveau régime ne s'appliquait pas encore à l'époque des faits de la cause.  La Cour ne saurait donc rechercher s'il cadre ou non avec les engagements résultant de la Convention (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Syndicat national de la police belge du 27 octobre 1975, série A n° 19, p. 17, § 36, et l'arrêt Irlande contre Royaume-Uni, précité, série A n° 25, p. 72, § 189).  Elle constate cependant avec satisfaction qu'à la suite de son arrêt Golder du 21 février 1975 (série A n° 18), d'une part, et, de l'autre, des requêtes dont la présente affaire tire son origine, le Royaume-Uni a introduit de profondes modifications pour assurer le respect de ses engagements.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 (art. 6-1)
80.     Selon M. Silver, le rejet de ses requêtes de 1972 et 1973, priant le ministre de l'Intérieur de l'autoriser à consulter un solicitor (paragraphe 12 ci-dessus), s'analysait en un déni du droit d'accès aux tribunaux et enfreignait l'article 6 § 1 (art. 6-1) tel que la Cour l'a interprété dans son arrêt Golder précité.  Le passage pertinent de cet article se lit ainsi:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)."
La Cour s'en tient à la requête de 1972: la Commission estime non établi que celle de 1973 ait été repoussée et l'on n'en a plus discuté devant la Cour.
81.     En ordre principal, le Gouvernement plaide que la Cour devrait refuser de statuer sur le grief, en raison des changements apportés à la législation et à la pratique depuis l'arrêt Golder (voir notamment le paragraphe 32 ci-dessus).
La Cour ne souscrit pas à cette thèse.  Lesdits changements s'expliquent à la fois par le souci de donner effet aux termes de l'arrêt susmentionné et par la procédure suivie en l'espèce devant la Commission.  Cependant, comme ils remontent à 1975 et 1981 ils n'ont manifestement pas pu rendre à M. Silver le droit qu'il revendiquait au titre de l'article 6 (art. 6); on ne saurait donc parler d'une "solution", même partielle, "du litige" (voir, mutatis mutandis, l'article 47 § 2 du règlement et l'arrêt X contre Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A n° 46, p. 27, § 64).  En outre, le mémoire du 22 septembre 1982 (paragraphe 8 ci-dessus) réclame au nom du requérant une satisfaction équitable au sens de l'article 50 (art. 50); une décision de la Cour sur le problème relatif à l'article 6 § 1 (art. 6-1) peut offrir un intérèt à cet égard.
82.     En ordre subsidiaire, le Gouvernement déclare qu'à la lumière de l'arrêt Golder il ne conteste pas l'avis de la Commission concluant à la violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1).  La Cour confirme cet avis puisqu'il n'existe pas de différence de fait pertinente entre les cas de MM. Silver et Golder.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 8 (art. 8)
83.     Selon les requérants, l'interception ou le retardement des 64 lettres en question ont  violé l'article 8 (art. 8), ainsi libellé:
"1.   Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.    Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."
84.     De toute évidence, et du reste la chose n'a pas prêté à discussion, il y a eu "ingérence d'une autorité publique" dans l'exercice du droit des requérants au respect de leur correspondance, garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1).  Pareilles ingérences se heurtent à cet article si elles ne relèvent pas de l'une des exceptions ménagées au paragraphe 2 (art. 8-2).  Il y a donc lieu de rechercher successivement si elles étaient, en l'occurrence, "prévues par la loi", inspirées par un ou des buts légitimes au regard de l'article 8 § 2 (art. 8-2) et "nécessaires, dans une société démocratique", pour atteindre ce ou ces buts (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 29, § 45).
A. Les ingérences étaient-elles "prévues par la loi"?
1.  Principes généraux
85.     Dans son arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, la Cour a étudié le sens du membre de phrase "prévue par la loi"; elle a relevé à cette occasion certaines différences entre les versions française et anglaise des articles 8, 9, 10 et 11 (art. 8, art. 9, art. 10, art. 11) de la Convention, 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et 2 du Protocole n° 4 (P4-2) (ibidem, p. 30, § 48).
Le Gouvernement admet que les principes énoncés dans ledit arrêt quant aux termes "prévues par la loi/prescribed by law", figurant à l'article 10 (art. 10), valent aussi pour les mots "prévue par la loi/in accordance with the law", employés à l'article 8 (art. 8).  Il en est bien ainsi, notamment parce que les deux dispositions se chevauchent quant à la liberté d'expression par voie de correspondance; à ne pas les interpréter de manière identique, on risquerait d'aboutir à des conclusions dissemblables pour une même ingérence.
86.     Un premier principe ressort de l'arrêt Sunday Times: l'ingérence doit avoir une base en droit interne (ibidem, p. 30, § 47).  En l'espèce, Gouvernement, Commission et requérants s'accordent à penser que cette base réside dans la loi sur les prisons et dans le règlement pénitentiaire, mais non dans les instructions et directives, lesquelles n'ont pas force de loi (paragraphe 26 ci-dessus).  Personne n'a non plus contesté la conformité des mesures litigieuses avec le droit anglais.
87.     D'après un deuxième principe, "il faut (...) que la 'loi' soit suffisamment accessible: le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné" (ibidem, p. 31, § 49).  La loi sur les prisons et le règlement pénitentiaire remplissaient à coup sur cette condition, mais les instructions et directives n'étaient pas publiées.
88.     Troisième principe: "on ne peut considérer comme une 'loi' qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit ètre à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé" (ibidem).
Une loi conférant un pouvoir d'appréciation doit en fixer la portée, mais la Cour a déjà reconnu l'impossibilité d'arriver à une certitude absolue dans la rédaction des lois et le risque de voir le souci de certitude engendrer une rigidité excessive (ibidem).  Ces considérations acquièrent un poids particulier dans les "circonstances" de la présente affaire qui a trait au filtrage, dans le contexte spécifique de l'emprisonnement, d'environ dix millions d'objets de correspondance par an (paragraphe 57 ci-dessus).  On ne saurait guère libeller une loi capable de parer à toute éventualité; les requérants eux-mêmes ne contestent d'ailleurs pas la nécessité de laisser aux autorités une certaine marge d'appréciation.
Dès lors, la Cour souligne à nouveau que "beaucoup de lois se servent", inévitablement, "de formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique" (ibidem). En l'espèce, le fonctionnement du système de contrôle de la correspondance ne relevait pas d'une simple pratique variant de cas en cas: instructions et directives instauraient une pratique à suivre sauf circonstances exceptionnelles (paragraphes 26 et 27 ci-dessus). Bien qu'elles n'eussent pas en soi force de loi, la Cour peut donc les prendre en compte - dans la mesure, à vrai dire limitée, où l'on en révélait suffisamment le contenu aux intéressés - pour rechercher si la condition de prévisibilité se trouvait respectée dans l'application du règlement pénitentiaire.
89.     Partant, la Cour ne saurait souscrire à une thèse supplémentaire des requérants, selon laquelle les normes et procédures à observer en matière d'ingérences dans la correspondance - et notamment les consignes énoncées dans les instructions et directives - devraient figurer dans la législation elle-même.
90.     Les requérants soutiennent de surcroît que cette dernière doit fournir des garanties contre les abus.
Le Gouvernement admet que le système de contrôle de la correspondance doit lui aussi se prêter à un contrôle et la Cour estime évidente la nécessité de certaines sauvegardes.  L'un des principes sous-jacents à la Convention, la prééminence du droit, veut qu'une immixtion des autorités dans les droits d'un individu puisse subir un contrôle efficace (voir notamment l'arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, pp. 25-26, § 55).  Il en est spécialement ainsi lorsque, comme en l'occurrence, la loi investit l'exécutif d'amples pouvoirs discrétionnaires dont l'exercice relève d'une pratique sujette à évolution mais échappant à tout examen au Parlement (paragraphe 26 ci-dessus).
La Cour n'interprète pourtant pas les termes "prévue par la loi" comme signifiant qu'il faille insérer les garanties dans le texte même qui permet d'imposer des restrictions.  En réalité, il existe un lien étroit entre la question des garanties contre les abus et celle des recours effectifs.  Aussi la Cour juge-t-elle préférable de l'aborder dans le contexte plus large de l'article 13 (art. 13) (paragraphes 111-119 ci-dessous).
2.  Application desdits principes en l'espèce
a) Points non contestés
91.     La Commission estime non prévisible et, partant, non "prévue par la loi" l'interception, pour les motifs principaux ou subsidiaires indiqués ci-dessous, des lettres suivantes:
a) restriction à la correspondance avec un conseiller juridique, pour la raison que le requérant avait déjà bénéficié d'assez de facilités pour en consulter (paragraphes 32 et 60 ci-dessus): lettre n° 27 de M. Cooper;
b) interdiction des doléances relatives au procès et à la condamnation du détenu (paragraphes 43 et 61 ci-dessus): lettres n° 8 de M. Noe, n° 35 et 37 de M. McMahon;
c) interdiction d'employer un langage ordurier (paragraphes 45 a)-vi. et 65 ci-dessus): lettres n° 28 à 31 de M. Cooper;
d) interdiction des écrits destinés à être publiés (paragraphes 45 a)-v. et 66 ci-dessus): lettres n° 5 de M. Silver, n° 32, 34, 37 et 42 de M. McMahon, n° 60 et 61 de M. Carne;
e) interdiction de formuler, dans des lettres à des conseillers juridiques et à des parlementaires, des griefs non encore examinés par les autorités et portant sur les conditions de détention (paragraphes 45 a) et b), 47 et 67 ci-dessus): lettres n° 9 et 11 de M. Noe, n° 20, 22, 23, 24 et 26 de M. Cooper ainsi que celle du 3 avril 1974, n° 43, 45, 53, 54 et 56 de M. Carne de même que celles des 27 décembre 1974 et 11 janvier 1975;
f) interdiction de formuler, dans la correspondance ordinaire, des griefs portant sur les conditions de détention (paragraphes 45 a)-ix. et 68 ci-dessus): lettres n° 1, 2, 3, 4 et 6 de M. Silver, n° 18 de M. Tuttle, n° 44, 46, 47, 48, 50, 51, 52, 55, 60 et 61 de M. Carne;
g) interdiction des allégations dirigées contre des membres du personnel pénitentiaire (paragraphes 45 a)-x. et 69 ci-dessus): lettre n° 6 de M. Silver;
h) l'aspect "pétition" de l'interdiction de tenter de susciter une agitation ou pétition publiques (paragraphes 45 a)-xi. et 70 ci-dessus): lettres n° 32 et 34 de M. McMahon;
i) contrôle général des lettres "répréhensibles" (sans qu'une explication officielle ait été fournie - paragraphe 71 ci-dessus): lettres n° 19, 21 et 25 de M. Cooper.
Dans les cas mentionnés sous a) et i), l'imprévisibilité aurait marqué la mesure concrète d'ingérence litigieuse; dans les autres, la règle même en vertu de laquelle a eu lieu l'interception.
Le Gouvernement ne combat pas ces constatations de la Commission et la Cour ne voit pas de raisons de s'en écarter.  Elle juge donc que la saisie desdites lettres pour les motifs précisés plus haut n'était pas "prévue par la loi".
b) Points contestés
92.     Pour trois groupes distincts de lettres, le Gouvernement ou les requérants contestent l'opinion de la Commission quant au respect de l'exigence de "prévision par la loi".  Conformément à l'ordonnance rendue par le président le 22 juillet 1982 (paragraphe 6 ci-dessus), les comparants ont plaidé devant la Cour au sujet de ces groupes qu'il échet d'examiner successivement.
93.     Le premier comprend les lettres n° 13 à 15 de Mme Colne, les lettres n° 35 à 41 de M. McMahon et une lettre adressée à celui-ci par un journaliste le 31 décembre 1975; elles ont toutes été retenues parce qu'elles n'avaient ni pour expéditeur ni pour destinataire un parent ou ami (paragraphes 29-30 et 59 ci-dessus).  Selon la Commission, en excluant la correspondance avec des personnes de bonne réputation la pratique suivie en la matière allait au-delà de ce qui pouvait raisonnablement se déduire de l'article 34 § 8 du règlement pénitentiaire, combiné avec l'article 33 § 1, de sorte que l'interception desdites lettres n'était pas "prévue par la loi"; le Gouvernement exprime son désaccord.
Les instructions qui complétaient l'article 34 § 8 ne sauraient entrer en ligne de compte pour déterminer si la condition de prévisibilité se trouvait remplie en l'occurrence: on n'en communiquait pas le texte aux prisonniers et on ne parait pas non plus leur en avoir expliqué le contenu au moyen de notes affichées dans les cellules (paragraphes 26, 30 et 88 ci-dessus).  Cependant, l'article 34 § 8 use de termes fort clairs (paragraphe 29 ci-dessus): une simple lecture montre que loin de permettre, sous réserve de certaines exceptions, la correspondance avec des personnes autres que des parents et amis, il la prohibe au contraire sauf autorisation consentie par le ministre.  En outre, la Cour considère qu'il faut avoir égard aussi à l'article 33 § 2 - où figure une interdiction semblable à celle de l'article 34 § 8 - et à l'article 34 § 2 d'où ressort l'existence de limites au volume de la correspondance des condamnés détenus (paragraphes 29 et 38 ci-dessus).
La Cour en conclut que les ingérences dont il s'agit étaient "prévues par la loi".
94.     Le second groupe englobe les lettres n° 58 et 59 de M. Carne, adressées les 12 décembre 1975 et 2 janvier 1976 à un parlementaire et interceptées parce qu'elles renfermaient des griefs relatifs aux conditions de détention et pour lesquels la "règle de l'examen préalable" n'avait pas été observée (paragraphes 45 b), 47 et 67 ci-dessus).  Le Gouvernement ne conteste pas l'opinion de la Commission d'après laquelle l'interception de certaines autres lettres de la même catégorie n'était pas prévisible puisque ladite règle n'apparaissait pas dans le règlement pénitentiaire lui-même. Toutefois, il affirme qu'il en va différemment de ces deux lettres-ci; il invoque une note explicative diffusée en novembre 1975, avant leur envoi, pour l'information des détenus (paragraphe 45 b) ci-dessus).
Aux yeux de la Cour, la notice en question était rédigée de manière propre à éclairer suffisamment les intéressés sur la pratique en la matière (paragraphe 88 ci-dessus).  Partant, l'interception desdites lettres constituait une application prévisible du règlement pénitentiaire, donc "prévue par la loi".
95.     Dans le troisième groupe figurent les lettres suivantes, interceptées ou retardées pour les motifs principaux ou subsidiaires indiqués ci-dessous:
a) restrictions aux communications relatives à des affaires juridiques ou autres (paragraphes 32, 35, 41, 46 et 60 ci-dessus): lettres n° 10 de M. Noe, n° 49 et 57 de M. Carne ainsi que sa lettre du 15 septembre 1975 au National Council for Civil Liberties;
b) interdiction des lettres éludant ou tournant les règles en vigueur (paragraphes 44 et 62 ci-dessus): lettres n° 1 de M. Silver et n° 18 de M. Tuttle;
c) interdiction de commenter les infractions d'autrui (paragraphes 45 a)-ii. et 63 ci-dessus): lettre n° 7 de M. Silver;
d) interdiction des griefs visant à attirer le mépris sur les autorités (paragraphes 45 a)-iii. et 64 ci-dessus): lettre n° 17 de M. Tuttle;
e) interdiction des menaces de recours à la violence (paragraphes 45 a)-iv. et 65 ci-dessus): lettres n° 28 à 31 de M. Cooper;
f) lettre n° 12 de M. Noe, retenue dans l'attente d'instructions du ministère de l'Intérieur (paragraphe 71 ci-dessus).
Selon la Commission, chacune de ces ingérences était prévisible à la lumière du texte du règlement pénitentiaire et, partant, "prévue par la loi".  Les requérants le contestent: les deux exigences supplémentaires qui, d'après leur thèse, découlent des mots précités (paragraphes 89 et 90 ci-dessus) n'auraient pas été observées.
Eu égard à la position qu'elle a prise sur ladite thèse (ibidem), la Cour souscrit à l'opinion de la Commission.
B. Les ingérences poursuivaient-elles des buts légitimes au regard de l'article 8 § 2 (art. 8-2)?
96.     Les requérants n'allèguent pas que les restrictions incriminées aient été décidées ou appliquées à des fins non mentionnées au paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2).  Devant la Commission, le Gouvernement a plaidé qu'il s'agissait de "la défense de l'ordre", de "la prévention des infractions pénales", de "la protection de la morale" et de "la protection des droits et libertés d'autrui"; la Commission a recherché si un ou plusieurs de ces objectifs rendaient "nécessaire" chacune des ingérences.
Le problème n'a pas prêté à discussion devant la Cour; elle n'aperçoit pas de raison de douter que lesdites ingérences poursuivaient toutes un but légitime au regard de l'article 8 (art. 8).
C. Les ingérences étaient-elles "nécessaires dans une société démocratique"?
1.  Principes généraux
97.    La Cour a plusieurs fois précisé comment elle comprend les termes "nécessaire dans une société démocratique", la nature de ses fonctions lors de l'examen des questions les concernant et la manière dont elle s'en acquittera.  Il suffit ici de résumer certains principes:
a) l'adjectif "nécessaire" n'est pas synonyme d' "indispensable", mais n'a pas non plus la souplesse de termes tels qu' "admissible", "normal", "utile", "raisonnable" ou "opportun" (arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 22, § 48);
b) les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation - non illimitée - en matière de recours à des restrictions, mais la décision finale sur la compatibilité de celles-ci avec la Convention appartient à la Cour (ibidem, p. 23, § 49);
c) "nécessaire dans une société démocratique" signifie que pour se concilier avec la Convention, l'ingérence doit notamment correspondre à un "besoin social impérieux" et être "proportionnée au but légitime poursuivi" (ibidem, pp. 22-23, §§ 48-49);
d) appellent une interprétation restrictive celles des clauses de la Convention qui ménagent une exception à un droit garanti (arrêt Klass et autres précité, série A n° 28, p. 21, § 42).
98.    La Cour a aussi jugé qu'en recherchant si une ingérence dans l'exercice du droit d'un condamné détenu au respect de sa correspondance était "nécessaire" à la poursuite de l'un des buts énumérés à l'article 8 § 2 (art. 8-2), il y a lieu d'avoir égard aux exigences normales et raisonnables de l'emprisonnement (arrêt Golder précité, série A n° 18, p. 21, § 45).  Elle reconnaît en effet qu'un certain contrôle de la correspondance des détenus se recommande et ne se heurte pas en soi à la Convention.
2.  Application desdits principes en l'espèce
a) Points non contestés
99.     La Commission n'estime pas "nécessaire dans une société démocratique" l'interception, pour les motifs principaux ou subsidiaires indiqués ci-dessous, des lettres suivantes:
a) restrictions à la correspondance avec une personne autre qu'un parent ou ami (paragraphes 29-30 et 59 ci-dessus): lettres n° 13 à 15 de Mme Colne et n° 35 à 41 de M. McMahon ainsi qu'une lettre adressée à lui par un journaliste le 31 décembre 1975, lettres n° 4 de M. Silver et n° 48 de M. Carne;
b) restrictions aux communications relatives à des affaires juridiques ou autres (paragraphes 32, 35, 41 et 60 ci-dessus): lettres n° 27 de M. Cooper, n° 49 et 57 de M. Carne et sa lettre du 15 septembre 1975 au National Council for Civil Liberties;
c) interdiction des griefs visant à attirer le mépris sur les autorités (paragraphes 45 a)-iii. et 64 ci-dessus): lettres n° 17 de M. Tuttle et n° 51 de M. Carne;
d) interdiction de formuler, dans des lettres à des conseillers juridiques et à des parlementaires, des griefs non encore examinés par les autorités et portant sur les conditions de détention (paragraphes 45 a) et b), 47 et 67 ci-dessus): lettres n° 9 et 11 de M. Noe, n° 20, 22, 23, 24 et 26 de M. Cooper ainsi que celle du 3 avril 1974, lettres n° 43, 45, 53, 54, 56, 58 et 59 de M. Carne de même que celles des 27 décembre 1974 et 11 janvier 1975;
e) l'aspect "pétition" de l'interdiction de tenter de susciter une agitation ou une pétition publiques (paragraphes 45 a)-xi. et 70 ci-dessus): lettres n° 32 et 34 de M. McMahon;
f) interdiction des lettres éludant ou tournant les règles en vigueur (paragraphes 44 et 62 ci-dessus): lettres n° 1 de M. Silver et n° 18 de M. Tuttle.
Dans les cas mentionnés sous f), il s'agirait d'une mesure excessive bien que prise pour une raison légitime en soi.  Dans les autres au contraire, le motif lui-même, tout comme la mesure, ne correspondrait pas à une nécessité au sens de l'article 8 § 2 (art. 8-2); la Commission exprime un avis analogue quant à l'interception, pour les raisons principales ou subsidiaires indiquées aux alinéas b), c), d), f) et g) du paragraphe 91 ci-dessus, des lettres énumérées dans ces alinéas.  Enfin, elle considère qu'il n'était pas "nécessaire" de saisir les lettres n° 19, 21 et 25 de M. Cooper (paragraphe 71 ci-dessus).
Le Gouvernement ne combat pas ces constatations de la Commission et la Cour ne voit pas de raisons de s'en écarter.  Elle juge donc que l'interception des lettres en question n'était pas "nécessaire dans une société démocratique".
b) Points contestés
100.    Pour certaines lettres, le Gouvernement ou les requérants contestent l'opinion de la Commission quant au problème de la "nécessité".  Conformément à l'ordonnance rendue par le président le 22 juillet 1982 (paragraphe 6 ci-dessus), les comparants ont plaidé devant la Cour au sujet de ces lettres qu'il échet d'examiner successivement.
101.    La lettre n° 10 de M. Noe à un solicitor a été interceptée parce qu'elle mentionnait une transaction commerciale (paragraphes 41, 46 et 60 ci-dessus).  La Commission ne tient pas pour établie la "nécessité" de pareille ingérence "dans une société démocratique", notamment faute de preuve à l'appui; le Gouvernement marque son désaccord.
La Cour relève que ladite lettre - écrite par un détenu condamné pour escroquerie (paragraphe 13 ci-dessus) - ne traitait pas seulement de questions juridiques, mais parlait aussi d'une opération immobilière en des termes qui se prêtaient à plusieurs interprétations (paragraphe 60 ci-dessus).  Sans se prononcer sur l'ensemble des restrictions en vigueur à l'époque en matière d'exercice d'activités lucratives par les détenus, la Cour considère, eu égard à la marge d'appréciation du Royaume-Uni, que les autorités étaient en droit de croire à la nécessité de saisir cette lettre-là pour assurer "la défense de l'ordre" et "la prévention des infractions pénales", au sens de l'article 8 § 2 (art. 8-2) de la Convention.
102.    La lettre n° 7 de M. Silver a été interceptée pour la raison qu'il y faisait allusion à la présence, dans sa prison, de certains autres délinquants (paragraphes 45 a)-ii. et 63 ci-dessus).  Selon la Commission, l'ingérence peut passer pour "nécessaire", notamment parce que M. Silver aurait pu remanier sa lettre en éliminant le passage critiquable.  Le Gouvernement, objecte le conseil de l'intéressé, n'a pas établi que l'on en ait donné l'occasion à ce dernier; en outre, en déclarant que la lettre n'eut pas été retenue sous l'empire du régime applicable depuis décembre 1981 il aurait reconnu l'absence de "nécessité" de la mesure prise en 1973.
Faute de preuve en sens contraire, la Cour doit présumer que M. Silver a bien eu ladite occasion, conformément à la procédure habituelle (paragraphe 50 ci-dessus).  Comme les autres délinquants mentionnés relevaient de la "catégorie A" (paragraphe 16 ci-dessus), elle juge que les autorités étaient en droit d'estimer la saisie de la lettre en question nécessaire "à la sureté publique", "à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales", au sens de l'article 8 § 2 (art. 8-2).
103.    Quant à M. Cooper, ses lettres n° 28 à 31 ont été interceptées non seulement à cause du langage ordurier qu'il y employait, mais aussi parce qu'il y menaçait de recourir à la violence (paragraphes 45 a)-iv. et 65 ci-dessus).  Son conseil conteste l'avis de la Commission concluant à la "nécessité" de l'ingérence pour la seconde raison.
La Cour souscrit à l'opinion de la Commission.  Les lettres n° 28 à 30 renfermaient nettement des menaces et l'on peut considérer la lettre n° 31 comme leur complément.  Dès lors, les autorités avaient suffisamment lieu de penser qu'il fallait les retenir pour assurer "la défense de l'ordre" et "la prévention des infractions pénales", au sens de l'article 8 § 2 (art. 8-2).
104.    Enfin, la lettre n° 12 de M. Noe au consul des États-Unis n'a été postée qu'après trois semaines (paragraphe 71 ci-dessus).  Le conseil du requérant doute de la nécessité de cette mesure.  La Commission, elle, ne constate aucune violation de l'article 8 (art. 8): rien ne montre, d'après elle, que l'ingérence ne se justifiat pas comme "nécessaire" à la poursuite d'un ou plusieurs des buts énoncés au paragraphe 2 (art. 8-2).
De l'avis de la Cour, quand des autorités pénitentiaires subalternes éprouvent des doutes, dans un cas donné, sur la manière d'exercer leurs fonctions de contrôle de la correspondance des prisonniers, elles doivent pouvoir demander des instructions à un supérieur. S'agissant de la lettre n° 12 de M. Noe, la direction de la prison a estimé nécessaire, eu égard au droit et à la pratique en vigueur à l'époque, d'en référer au ministre de l'Intérieur; il a ordonné de ne pas l'intercepter.  En outre, ladite lettre ne présentait pas une urgence réelle par son objet.  Dès lors, le retard de trois semaines apporté à la poster n'apparaît pas assez grave pour se heurter à l'article 8 (art. 8).
D. Récapitulation quant à l'article 8 (art. 8)
105.    En résumé, l'interception des lettres n° 7 de M. Silver, n° 10 de M. Noe et n° 28 à 31 de M. Cooper n'a pas enfreint l'article 8 (art. 8) car elle était à la fois "prévue par la loi" et justifiable comme "nécessaire dans une société démocratique" (paragraphes 95 et 101-103 ci-dessus).  Il en va de même du retardement de la lettre n° 12 de M. Noe (paragraphes 95 et 104 ci-dessus).
Au contraire, l'interception des 57 lettres restantes n'était pas "nécessaire dans une société démocratique" (paragraphe 99 ci-dessus) et, partant, a violé ce même article.
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 10 (art. 10)
106.    Les requérants ont soutenu de surcroît que le contrôle de leur courrier par les autorités pénitentiaires méconnaissait leur droit à la liberté d'expression, garanti par l'article 10 (art. 10) de la Convention.
107.    Selon la Commission, il ne s'impose pas d'examiner l'affaire plus avant sous l'angle de l'article 10 (art. 10) puisqu'en matière de correspondance le droit dont il s'agit se trouve protégé par l'article 8 (art. 8).
Ni le Gouvernement ni les requérants ne désapprouvent cette opinion; la Cour y souscrit.
V. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 13 (art. 13)
108.    Les requérants affirment qu'il n'existait au Royaume-Uni aucun recours effectif pour leurs griefs au titre des articles 6, 8 et 10 (art. 6, art. 8, art. 10); aussi invoquent-ils l'article 13 (art. 13), ainsi libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."
A. Article 13 combiné avec les articles 6 et 10 (art. 13+6, art. 13+10)
109.    La Commission formule l'avis suivant, que les requérants ne contestent pas devant la Cour:
- pour autant que M. Silver, s'appuyant sur l'article 6 § 1 (art. 6-1), dénonçait le rejet de sa demande de 1972 (paragraphe 12 ci-dessus), aucun problème distinct ne surgit sur le terrain de l'article 13 (art. 13);
- quant aux aspects des requêtes qui touchent à l'article 10 (art. 10), la conclusion relative à ce dernier (paragraphe 107 ci-dessus) dispense de les étudier sous l'angle de l'article 13 (art. 13).
110.    La Cour partage cette opinion.  Sa décision concernant l'article 6 § 1 (art. 6-1) (paragraphes 80-82 ci-dessus) la dispense d'examiner au regard de l'article 13 (art. 13) la plainte de M. Silver: les exigences du second sont moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l'espèce (voir notamment l'arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 32, § 88).  Il n'y a pas lieu non plus d'étudier sous l'angle de l'article 13 (art. 13) les aspects des requêtes qui touchent à l'article 10 (art. 10) puisque celui-ci et l'article 8 (art. 10, art. 8) se chevauchent en l'occurrence (paragraphe 107 ci-dessus).
B. Article 13 combiné avec l'article 8 (art. 13+8)
111.    Il n'en va pas de même des aspects relevant de l'article 8 (art. 8), d'autant que la Cour a décidé de traiter dans le contexte de l'article 13 (art. 13) la question des garanties contre l'abus du pouvoir de contrôler la correspondance des détenus (paragraphe 90 ci-dessus).
Après avoir passé en revue diverses voies de recours internes possibles, la Commission conclut qu'il n'en existait pas d'efficace et qu'il y a donc violation de l'article 13 (art. 13).  Le Gouvernement invite la Cour à juger que les faits de la cause ne révèlent nul manquement aux exigences de ce texte ou, en ordre subsidiaire, n'en révéleraient aucun depuis l'entrée en vigueur des nouvelles instructions.
112.    Ayant constaté que l'objet du litige ne s'étend pas au système de contrôle en vigueur depuis décembre 1981 (paragraphe 79 ci-dessus), la Cour ne saurait connaître de la conclusion subsidiaire du Gouvernement.
113.    De sa jurisprudence relative à l'interprétation de l'article 13 (art. 13) se dégagent notamment les principes suivants:
a) un individu qui, de manière plausible, se prétend victime d'une violation des droits reconnus dans la Convention doit disposer d'un recours devant une "instance" nationale afin de voir statuer sur son grief et, s'il y a lieu, d'obtenir réparation (arrêt Klass et autres précité, série A n° 28, p. 29, § 64);
b) l'"instance" dont parle l'article 13 (art. 13) n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'efficacité du recours s'exerçant devant elle (ibidem, p. 30, § 67);
c) l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13 (art. 13) même si aucun d'entre eux n'y répond en entier à lui seul (voir, mutatis mutandis, l'arrêt X contre Royaume-Uni, précité, série A n° 46, p. 26, § 60, et l'arrêt Van Droogenbroeck du 24 juin 1982, série A n° 50, p. 32, § 56);
d) ni l'article 13 (art. 13) ni la Convention en général ne prescrivent aux États contractants une manière déterminée d'assurer dans leur droit interne, par exemple en les y incorporant, l'application effective de toutes les dispositions de cet instrument (arrêt Syndicat suédois des conducteurs de locomotives, du 6 février 1976, série A n° 20, p. 18, § 50).
De ce dernier principe, il découle que le jeu de l'article 13 (art. 13) dans un cas donné dépend de la manière dont l'État contractant intéressé a choisi de s'acquitter de l'obligation assumée par lui en vertu de l'article 1 (art. 1): reconnaître directement à quiconque relève de sa juridiction les droits et libertés du Titre I (arrêt Irlande contre Royaume-Uni, précité, série A n° 25, p. 91, § 239).
114.     En l'espèce, nul n'a soutenu que s'ouvraient aux requérants d'autres voies de recours que celles, au nombre de quatre, examinées par la Commission: une demande au comité des visiteurs de la prison, une démarche auprès du médiateur parlementaire pour les questions administratives, une requête au ministre de l'Intérieur et la saisine des tribunaux anglais.
115.    La Cour estime, avec la Commission, que les deux premières ne constituent pas des "recours effectifs" aux fins de la cause.
Le comité des visiteurs ne peut ni imposer ses conclusions (paragraphe 52 ci-dessus) ni connaître de demandes émanant d'individus non détenus, telle Mme Colne.
Quant au médiateur parlementaire, il suffit de noter qu'il n'a pas qualité pour rendre une décision obligatoire accordant réparation (paragraphe 54 ci-dessus).
116.    De son coté le ministre de l'Intérieur, si l'on contestait devant lui la régularité d'une instruction ou directive sur laquelle se fonde une mesure de contrôle de la correspondance, ne saurait passer pour avoir un point de vue assez indépendant au regard de l'article 13 (art. 13) (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Klass et autres précité, série A n° 28, p. 26, § 56): auteur des consignes incriminées, il serait en réalité juge et partie.  En revanche, il en irait autrement si l'on alléguait que la mesure résulte d'une mauvaise application d'une telle consigne.  Une requête au ministre, la Cour l'admet, serait alors apte, en général, à assurer le respect de cette dernière dans l'hypothèse d'un grief justifié.  Il échet pourtant de rappeler que même dans les cas de ce genre la présentation de pareille requête obéissait, au moins avant le 1er décembre 1981, à des conditions qui limitaient parfois la disponibilité du recours (paragraphe 53 ci-dessus).
117.    Les juridictions anglaises, elles, jouissent d'une certaine compétence pour contrôler l'exercice des attributions dont la loi sur les prisons et le règlement pénitentiaire dotent le ministre de l'Intérieur et l'administration des établissements (paragraphe 55 ci-dessus).  Leur tache se borne cependant à déterminer si ces autorités ont excédé leurs pouvoirs ou en ont usé arbitrairement, de mauvaise foi ou dans un but illicite.
A ce sujet, les requérants soulignent que la Convention, non incorporée au droit interne, ne peut être directement invoquée devant les juridictions britanniques; ils reconnaissent néanmoins qu'elle entre en ligne de compte pour l'interprétation de textes législatifs ambigus, en vertu de la présomption de conformité de ceux-ci aux traités liant le Royaume-Uni.
118.    Ils n'allèguent pas que les ingérences dans leur correspondance aient enfreint le droit anglais (paragraphe 86 ci-dessus).  Avec la Commission, la Cour a constaté que dans leur majorité les mesures litigieuses se heurtaient à la Convention (paragraphe 105 ci-dessus).  En général, le Gouvernement n'a pas combattu les conclusions de la Commission.  Il n'a pas non plus soutenu que les juridictions anglaises auraient pu juger lesdites mesures entachées d'arbitraire, de mauvaise foi, d'excès ou de détournement de pouvoir.
Aux yeux de la Cour, pour autant que les normes applicables, figurant soit dans le règlement pénitentiaire soit dans les instructions ou directives pertinentes, ne se conciliaient pas avec la Convention, il ne pouvait exister de recours efficace au sens de l'article 13 (art. 13) qui a donc été méconnu.
En revanche, pour autant que ces normes cadraient avec l'article 8 (art. 8), l'ensemble des recours accessibles répondait aux conditions de l'article 13 (art. 13), au moins dans les cas où l'intéressé pouvait adresser une requête au ministre de l'Intérieur (paragraphe 116 ci-dessus); pareille requête permettait d'imposer l'observation des consignes du ministre et, quant à celle du règlement pénitentiaire, les juridictions anglaises jouissaient de la compétence de contrôle décrite au paragraphe 117 ci-dessus.
119.   En résumé, là où les normes en question se heurtaient à la Convention et où la Cour a relevé un manquement aux exigences de l'article 8 (art. 8), il n'y avait pas de recours effectif et l'article 13 (art. 13) a donc été violé lui aussi.  Dans les autres hypothèses, rien ne donne à penser que le ministre de l'Intérieur, les juridictions anglaises ou les deux n'auraient pu examiner comme il se devait les griefs des requérants, de sorte que l'article 13 (art. 13) n'a pas été transgressé.  A une exception près: pour la lettre n° 7 de M. Silver, le recours au ministre ne s'offrait pas à l'intéressé (paragraphes 11 et 53 ci-dessus).
VI. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
120.    L'article 50 (art. 50) de la Convention se lit ainsi:
"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la présente Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
121.    Dans le mémoire déposé le 22 septembre 1982 (paragraphe 8 ci-dessus), les requérants ont réclamé une indemnité "générale" pour la violation de leurs droits, ainsi que le remboursement de frais et dépens déterminés; une demande de dommages-intérèts "spéciaux" a en outre été formulée au nom de MM. Silver, McMahon et Carne.
122.    La procédure écrite n'ayant pas encore pris fin sur ce point (paragraphe 8 ci-dessus), la question de l'application de l'article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état et il y a donc lieu de la réserver. La Cour délègue au président le soin de fixer la procédure ultérieure.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE
1.  Dit que le rejet de la requête de M. Silver au ministre de l'Intérieur, du 20 novembre 1972, a entraîné une violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention;
2.  Dit que l'interception ou le retardement de toutes les lettres litigieuses écrites par les requérants ou adressées à eux, sauf les lettres n° 7 de M. Silver, 10 et 12 de M. Noe et 28 à 31 de M. Cooper, a enfreint l'article 8 (art. 8);
3.  Dit qu'il ne s'impose pas d'examiner aussi l'affaire sous l'angle de l'article 10 (art. 10);
4.  Dit qu'il n'y a pas non plus lieu d'étudier au regard de l'article 13 (art. 13) ceux des aspects des griefs des requérants qui relèvent des articles 6 § 1 et 10 (art. 6-1, art. 10);
5.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13) dans la mesure précisée au paragraphe 119 des motifs;
6.  Dit que la question de l'application de l'article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve en entier;
b) délègue à son président le soin de fixer la procédure ultérieure.
Rendu en français et en anglais, le texte anglais faisant foi, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg, le vingt-cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-trois.
Gérard WIARDA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* Note du greffier: Il s'agit du règlement applicable lors de l'introduction de l'instance.  Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l'a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT SILVER ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
ARRÊT SILVER ET AUTRES c. ROYAUME-UNI


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 5947/72;6205/73;7052/75;...
Date de la décision : 25/03/1983
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Violation de l'Art. 8 ; Violation de l'Art. 13 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PREVENTION DES INFRACTIONS PENALES, (Art. 8-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA MORALE, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA SANTE


Parties
Demandeurs : SILVER ET AUTRES
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1983-03-25;5947.72 ?

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