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16/04/1986 | CEDH | N°10519/83

CEDH | SALABIAKU contre la FRANCE


AS TO THE ADMISSIBILITY OF de la requête N° 10519/83 présentée par Amosi SALABIAKU contre la France _________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 16 avril 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON G. TENEKIDES B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J

.C. SOYER H. DANELIUS J. CAMPINOS ...

AS TO THE ADMISSIBILITY OF de la requête N° 10519/83 présentée par Amosi SALABIAKU contre la France _________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 16 avril 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON G. TENEKIDES B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 29 juillet 1983 par Amosi SALABIAKU contre la France et enregistrée le 1er août 1983 sous le N° de dossier 10519/83 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 27 juin 1985 et les observations en réponse présentées par le requérant le 7 octobre 1985 ; Vu les conclusions des parties développées à l'audience le 16 avril 1986 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit : Le requérant, de nationalité zaïroise, est né en 1951 à Kinshasa. Il est étudiant et réside à Paris. Dans la procédure devant la Commission il est représenté par Me Jean-Paul Combenegre, avocat à la cour d'appel de Paris. Courant juillet 1979, le requérant qui avait eu à l'époque le projet de se marier en France avec une jeune Ivoirienne, avait demandé à l'un de ses parents employé de la compagnie Air Zaïre de lui faire parvenir quelques échantillons de nourriture de son pays. Le 25 juillet 1979, le requérant a reçu, par l'intermédiaire de l'agence de la compagnie susvisée à Paris, un télex lui indiquant de se rendre à l'aéroport le samedi 28 juillet 1979 pour y retirer un "colis" pour son mariage, arrivant par un vol QC 010. Le samedi 28 juillet, il s'est donc rendu à l'aéroport pour y retirer ce colis. Cependant, il n'a trouvé à l'aéroport aucun colis à son nom. Le requérant s'est alors adressé à un agent d'Air Zaïre à Roissy, qui lui a désigné une malle qui ne portait aucun nom mais qui n'avait pas été retirée. En même temps, cet agent a tenté de faire discrètement comprendre au requérant que cette malle était susceptible de contenir des marchandises prohibées et lui a suggéré de ne pas s'en emparer. Le requérant s'est néanmoins emparé de la malle et, celle-ci étant plus importante que le colis qu'il attendait, il est allé téléphoner à son frère pour lui demander de venir l'attendre au terminal de la Porte Maillot près de leur domicile, afin de l'aider à porter la malle. C'est dans ces conditions, qu'après avoir passé la douane sans encombre, le requérant a été interpellé, d'ailleurs en compagnie de trois autres Zaïrois qu'il venait de rencontrer à l'aéroport et avec lesquels il avait engagé la conversation. Le requérant a alors immédiatement reconnu être le destinataire de la malle et a mis hors de cause ses trois compatriotes. L'ouverture de la malle a permis d'y découvrir 10 kilos de cannabis. Le frère du requérant était lui-même interpellé Porte Maillot. Mais, entre temps, le vol d'Air Zaïre N° QC 010 était reparti pour sa destination finale : Bruxelles. C'est à cet endroit qu'a été débarqué un sac au nom et à l'adresse du requérant et contenant des denrées alimentaires africaines en mauvais état. Le requérant et son frère ont été inculpés d'importation en contrebande de marchandises prohibées. Au cours de l'instruction, deux des trois Zaïrois qui avaient assisté à la scène à l'aéroport ont déclaré qu'une femme zaïroise était également présente et que celle-ci aurait déclaré que la malle litigieuse lui appartenait. Ces déclarations ont abouti à l'inculpation de M. K., parent de cette femme. Par une ordonnance en date du 25 août 1980, le magistrat instructeur a renvoyé les deux frères Salabiaku et M. K. devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Par jugement du 27 mars 1981, cette juridiction a prononcé la relaxe du frère du requérant et de M. K. Elle a déclaré coupable le requérant d'avoir (a) contrevenu aux dispositions d'administration publique concernant les substances vénéneuses classées comme stupéfiants (articles L 626, L 627, L 629 et L 630-1 et R 5165 et suiv. du Code de la Santé Publique) (b) commis le délit réputé importation en contrebande de marchandises prohibées (articles 38-414, 417, 419, 215, 435 du Code des Douanes et 42, 43-1 et suiv., 44 du Code pénal). Elle a condamné le requérant à une peine d'emprisonnement de 2 ans. En outre, sur les conclusions de l'Administration des Douanes, le tribunal a condamné le requérant à payer une amende douanière de 100.000 francs. Le requérant a interjeté appel de cette décision. Devant la cour d'appel, il a insisté sur le fait qu'il ignorait le contenu réel de la malle qu'il avait appréhendée à Roissy et qu'il s'était trompé en croyant emporter le colis, arrivé en réalité à Bruxelles et qui lui était destiné. Le requérant a donc conclu à sa relaxe sur le plan des poursuites pénales, ainsi qu'à l'irrecevabilité par voie de conséquence de la constitution de partie civile de l'administration des douanes. En particulier, le requérant soulignait qu'il avait commis une erreur invincible l'exonérant de toute présomption de fraude attachée à la détention des marchandises. Par arrêt du 9 février 1982, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement et prononcé la relaxe du requérant au bénéfice du doute du point de vue de la poursuite pénale pour infraction à la législation sur les stupéfiants (Code de la santé). Cependant, la cour a confirmé le jugement sur le délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées (Code des douanes) et maintenu la condamnation du requérant au paiement d'une amende de 100.000 francs au profit des douanes. Le requérant a formé un pourvoi en cassation contre cette décision en soulevant un moyen tiré de ce que, d'une part, en mettant à la charge du prévenu une présomption de culpabilité, profitant à l'administration des douanes, la cour d'appel avait violé l'article 6, par. 1, de la Convention, et que, d'autre part, en mettant à la charge du prévenu une présomption de culpabilité quasiment irréfragable, la cour d'appel avait encore violé l'article 6, par. 2. Mais par un arrêt rendu le 21 février 1983, la chambre criminelle de la cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant.
GRIEFS Les griefs peuvent se résumer comme suit : Le requérant allègue la violation de l'article 6, par. 1 et 2 de la Convention. L'article 392 du Code des Douanes français dispose que : "Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude". Cette disposition ne répond pas à certaines exigences de l'article 6 de la Convention. En effet, l'article 392 du Code des Douanes édicte à la charge du détenteur une double présomption d'imputabilité matérielle et de culpabilité. Selon ce système l'élément moral de l'infraction se trouve réduit par le jeu d'une présomption d'imputabilité à une exigence minimum : le législateur induit des faits matériels l'existence préalable d'une volonté délictueuse, la simple constatation du fait laissant supposer l'existence de l'infraction. Suivant les catégories juridiques du droit français, les délits douaniers, dont celui visé par l'article 392 du Code des Douanes, constituent des infractions dites "non intentionnelles" ou "matérielles". Le fardeau de la preuve qui incombe à la partie poursuivante (le ministère public, l'Administration des Douanes et des Droits Indirects) se trouve donc considérablement allégé puisqu'en démontrant l'existence des faits constitutifs d'une violation de la loi pénale, la partie poursuivante démontre à la fois l'élément matériel de l'infraction et son élément moral. A cela s'ajoute que le détenteur, ainsi présumé coupable de l'infraction, ne peut pas renverser la présomption, la jurisprudence française se montrant particulièrement sévère en exigeant la démonstration d'une erreur invincible ; comme l'ont souligné certains auteurs, il s'agit en réalité d'une présomption "pratiquement irréfragable". Les raisons politiques criminelles propres à la matière douanière, ainsi que les nécessités de l'ordre public, la sauvegarde des intérêts nationaux, mises en avant par le législateur français et l'administration pour justifier l'existence des dipositions en cause, ne sauraient faire perdre de vue que celles-ci méconnaissent plusieurs principes de la Convention.
1. Prétendue violation de l'article 6 par. 1 de la Convention A partir du moment où l'une des parties au procès pénal dispose d'un principe qui lui fait directement présumer la volonté coupable du prévenu d'un fait matériel, telle la simple détention d'un objet, et voit l'objet de la preuve dont la charge lui incombe, considérablement allégé, il faut admettre que les parties au procès ne se trouvent plus sur le terrain d'égalité théorique que les principes généraux de la procédure pénale sont censés garantir. Il s'ensuit que l'article 392 du Code des Douanes méconnaît ouvertement le principe du procès équitable. En l'espèce, la Cour de cassation a précisément mis en lumière la méconnaissance de la règle du procès équitable en décidant que l'article 392 du Code des Douanes n'avait pas été implicitement abrogé par l'adhésion de la France à la Convention et devait recevoir application dès lors que la cour d'appel, qui s'est déterminée au vu des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, a constaté la prise de possession par le prévenu du colis en cause et a tiré de ce fait matériel de détention une présomption qu'aucun élément résultant d'un évènement non imputable à l'auteur de l'infraction ou qu'il lui était dans l'impossibilité d'éviter, n'est venue détruire.
2. Prétendue violation de l'article 6, par. 2, de la Convention De même, la double présomption d'imputabilité matérielle et de culpabilité édictée par l'article 392 du Code des Douanes, ainsi que la jurisprudence très restrictive de la chambre criminelle de la Cour de cassation française et des juridictions du fond, aboutissent à remettre en cause la présomption d'innocence qui doit bénéficier au prévenu. En effet, celui-ci, dès lors que le fait matériel, telle que la détention, est démontré, ne pourra quasiment pas faire valoir la présomption d'innocence pourtant édictée à son profit. A tout le moins, c'est au contraire une présomption de culpabilité qui pèsera en définitive sur le prévenu. En l'espèce, il est particulièrement significatif que la cour d'appel de Paris ait pu relaxer, même au bénéfice du doute, le requérant de la poursuite pénale pour importation illicite de stupéfiants, tout en le déclarant coupable du délit douanier et en le condamnant au paiement d'une somme de 100.000 francs au profit de l'Administration des Douanes. Seul le système de la double présomption d'imputabilité et de culpabilité édictée par l'article incriminé permet d'expliquer que pour les mêmes faits le même prévenu puisse être dans un cas présumé innocent et dans l'autre se voir refuser l'application de la présomption d'innocence. De l'avis du requérant cette situation ne répond ni aux exigences du paragraphe 1er de l'article 6 ni à celles du paragraphe 2 du même article.
Procédure La requête a été introduite le 29 juillet 1983 et enregistrée le 1er août 1983. Le 10 décembre 1984, la Commission a décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. En particulier, la Commission a invité le Gouvernement à se prononcer sur les questions suivantes : Peut-on considérer que le principe du procès équitable, posé à l'article 6 par. 1, et la présomption d'innocence, posée à l'article 6 par. 2 de la Convention, ont été respectés lorsque dans un système, tel que celui qui est prévu par l'article 392 du Code des Douanes, le renversement de la charge de la preuve aboutit à ce que, tout en étant accusé, le requérant doit apporter la preuve de sa non-responsabilité et que le principe "in dubio pro reo" ne peut lui être appliqué ? En d'autres termes, les dispositions de l'article 392 du Code des Douanes sont-elles compatibles avec les garanties énoncées à l'article 6 ? Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé le 27 janvier 1985 et les observations en réponse du requérant sont parvenues le 7 octobre 1985. Le 5 décembre 1985, la Commission a décidé de tenir une audience contradictoire en ce qui concerne les griefs tirés de l'article 6 par. 1 et 2. A cet égard, la Commission a prié les parties de bien vouloir répondre aux questions suivantes :
1. L'article 392 du Code des Douanes, tel qu'il a été appliqué en l'espèce, dispose : "Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude". Peut-on considérer que dans les circonstances de la cause, le principe de l'égalité des armes découlant de la notion de procès équitable, posé à l'article 6 par. 1 de la Convention, et qui exige un certain "équilibre" de la procédure, tel qu'il ressort de la jurisprudence de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l'Homme (voir notamment l'arrêt de la Cour dans l'affaire Bönisch, Cour europ. D.H., arrêt du 6 mars 1985, par. 28 et suiv.), a été respecté ? Dans cet ordre d'idées, peut-on considérer, ainsi que le soutient le Gouvernement défendeur, que la Convention n'exige pas que toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante et que par conséquent cet "allègement de la charge de la preuve de la partie poursuivante peut s'inscrire dans le cadre d'un procès équitable" ?
2. D'autre part, peut-on considérer que le principe de la présomption d'innocence posé à l'article 6 par. 2, a été respecté alors que le renversement de la charge de la preuve semble aboutir à ce que tout en étant accusé, le requérant doit apporter la preuve de sa non-culpabilité ?
3. Dans ses observations écrites, le Gouvernement exprime l'avis que les dispositions de l'article 392 du Code des Douanes n'édictent pas une présomption de culpabilité mais une présomption de responsabilité. La Commission souhaiterait obtenir des précisions sur cette distinction. S'appuie-t-elle sur la jurisprudence française ? Si oui, laquelle ? L'audience contradictoire eut lieu le 16 avril 1986. Les parties étaient représentées comme suit :
pour le Gouvernement français : - Mlle Alice PEZARD : Magistrat détaché à la Direction des Affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, agent - M. Claude MERLIN : Sous-Directeur à la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects du Ministère de l'Economie, des Finances et de la Privatisation - Mme Isabelle TOULEMONDE : Magistrat à la Direction des Affaires criminelles et des Grâces du Ministère de la Justice
pour le requérant : - Maître Jean-Paul COMBENEGRE : Avocat au barreau de Paris, assisté de - Maître Lucien ACCAD : Avocat au barreau de Paris, conseils.
Argumentation des Parties
Le Gouvernement Le principe de l'égalité des armes, découlant de la notion de procès équitable posée à l'article 6 par. 1 et qui exige un certain équilibre de la procédure a été respecté en l'espèce. En effet, au regard de la jurisprudence de la Commission et de celle de la Cour, l'égalité implique l'égalité des armes entre les parties, notamment en matière pénale, entre le ministère public et l'accusé. En l'espèce, il s'agit de savoir si l'allègement de la charge de la preuve dont bénéficie l'administration des douanes rompt ou non l'équilibre de la procédure entre les parties au procès. L'équilibre exigé par la Convention existe pour trois raisons. D'une part, il appartient à l'administration des douanes d'apporter la preuve du délit de contrebande c'est-à-dire de démontrer l'existence matérielle des faits ; la charge de la preuve n'est donc pas renversée. En second lieu, le prévenu peut soumettre tout au long de la procédure tout élément à sa décharge ; enfin, les juridictions ont un pouvoir souverain d'appréciation jusqu'à la décision ultime. Quant à ces deux derniers points, le requérant prétend que la présomption de responsabilité, visée à l'article 392 du Code des Douanes méconnaît cette égalité entre les parties à la procédure parce que pour lui, il s'agirait d'une présomption de culpabilité. Or, cette disposition n'édicte pas une présomption de culpabilité mais une présomption de responsabilité, laquelle implique seulement la recherche de l'imputabilité matérielle de l'infraction. Il s'agit donc d'un aménagement de la preuve spécifique au droit douanier. Il résulte d'ailleurs de la jurisprudence des organes de la Convention que celle-ci n'exige pas que toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante. Ainsi la Cour de cassation permet au prévenu de s'exonérer de sa présomption de responsabilité, soit en démontrant que les faits reprochés ont été commis à cause d'un événement qui ne lui est pas imputable, soit que les faits reprochés aient été commis s'il était dans l'impossibilité d'éviter l'infraction. Les juges peuvent donc décharger les prévenus en matière douanière de toute responsabilité non seulement si la détention matérielle et objective de la marchandise prohibée n'est pas confirmée, mais également si la volonté du détenteur de la marchandise en question n'a pas pris part au fait matériel reproché. Enfin, la préscription de l'article 392 du Code des Douanes n'est pas contraire à la présomption d'innocence posée à l'article 6 par. 2 et en aucun cas ne s'y substitue. En effet, à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention l'article 6 par. 2 ne vise que les accusations portées contre un individu et non les moyens de preuve utilisés devant les juridictions internes.
Le requérant On se trouve en présence d'une procédure pénale ouverte contre le requérant sur la base d'une poursuite pour délit d'importation illicite de stupéfiants (articles L 626 et L 627 du Code de la Santé publique) et délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées (articles 414 et 392 du Code des Douanes). Ces délits relèvent des lois pénales annexes au Code pénal et présentent, notamment en matière douanière, leurs caractéristiques propres. Cette qualification juridique interne des infractions a conduit la cour d'appel de Paris à condamner le requérant au plan du délit douanier sur la base des articles susvisés du Code des Douanes alors que, au plan du délit pénal, il l'a relaxé au bénéfice du doute et pour les mêmes faits. D'une part, il y a délit pénal de droit commun qui est fondé sur la notion d'illicéité : il s'agit du droit commun de la preuve. Du point de vue de l'intention coupable, la charge de la preuve pèse sur le ministère public. D'autre part, il y a eu délit douanier qui est fondé sur la notion de fraude. Celui-ci bénéficie d'un régime de preuve exorbitant du droit commun. En effet, le délit douanier, dont celui visé par l'article 392 du Code des Douanes, constitue, selon les catégories juridiques du droit français, une infraction dite "non intentionnelle" ou "matérielle". Cela veut dire que lorsque l'infraction est simplement caractérisée par la situation irrégulière dans laquelle se trouve une marchandise, c'est le détenteur des marchandises en fraude qui est réputé auteur et qui est, à ce titre, pénalement responsable sans que l'administration des douanes soit tenue d'établir à sa charge un acte de participation personnelle. Bien au contraire, il appartient au détenteur d'apporter la preuve de sa non-responsabilité. Au vu de ce système l'élément moral de l'infraction se trouve réduit par le jeu d'une présomption d'imputabilité à une exigence minimum ; en effet, le législateur induit des faits matériels l'existence d'une volonté délictueuse. Le fardeau de la preuve qui incombe à la partie poursuivante (ministère public, administration des douanes) se trouve donc considérablement allégé. En outre, le détenteur, ainsi présumé coupable de l'infraction, ne peut quasiment pas renverser la présomption. Il s'agit en l'occurrence d'une "présomption irréfragable" profitant à l'administration des douanes sur la base de la simple détention d'un objet. On ne saurait dès lors soutenir que le principe de l'égalité des armes découlant de la notion de procès équitable, posé au par. 1er de l'article 6 de la Convention, a été respecté. On ne saurait davantage soutenir que le principe de la présomption d'innocence, énoncé au paragraphe 2 de l'article 6 de la Convention, a été respecté alors que le renversement du fardeau de la preuve aboutit à ce que tout en étant accusé, le prévenu doit apporter la preuve de sa non-culpabilité.
En Droit Le requérant allègue la violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 (art. 6-1, 6-2) de la Convention dans la mesure où il considère que l'article 392 du Code des Douanes, tel qu'il a été appliqué en l'espèce, et qui dispose que "le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude" ne répond pas à certaines exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Cette disposition stipule : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. ... 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie." Le requérant estime qu'il ne peut être soutenu en l'espèce que le principe de l'égalité des armes découlant de la notion de procès équitable,posé au paragraphe 1er de l'article 6 (art. 6) de la Convention, a été respecté lorsqu'est mise à la charge du prévenu une présomption de culpabilité quasiment irréfragable profitant à l'administration des douanes, sur la base de la simple détention d'un objet. Le requérant estime en outre que l'on ne saurait non plus soutenir que le principe de la présomption d'innocence, énoncé au paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) de la Convention, a été respecté dans la mesure où le renversement du fardeau de la preuve aboutit à ce que, tout en étant accusé, le prévenu doit apporter la preuve de sa non- culpabilité. Le Gouvernement conteste ces points de vue. Il a fait valoir que les dispositions de l'article 392 du Code des Douanes, telles qu'elles ont été appliquées, ne contreviennent à aucun des principes énoncés à l'article 6 (art. 6) de la Convention. Selon le Gouvernement ces dispositions n'édictent pas une présomption de culpabilité mais une présomption de responsabilité, qui n'implique que la recherche de l'imputabilité matérielle de l'infraction. Il s'agit donc d'un aménagement du régime de la preuve spécifique au droit douanier. Le Gouvernement a encore soutenu que l'allègement de la charge de la preuve incombant à la partie poursuivante peut s'inscrire dans le cadre d'un procès équitable, en conformité avec l'article 6 paragraphe 1(art. 6-1). Au demeurant, la Convention n'exige pas que toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante. Enfin, pour le Gouvernement la présomption de l'article 392 du Code des Douanes n'est pas contraire à la présomption d'innocence posée à l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention et en aucun cas ne s'y substitue. En effet, il relève qu'au vu de la jurisprudence des organes de la Convention, l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) ne vise que les accusations portées contre un individu et non les moyens de preuve utilisés devant les juridictions internes. Il n'est pas contesté entre les parties que les délits douaniers, tels que ceux visés par l'article 392 du Code des Douanes, entrent dans la catégorie des délits pénaux. Ceux-ci relèvent des lois pénales annexes au code pénal et présentent, il est vrai, notamment en matière douanière, leurs caractéristiques propres. Il n'en demeure pas moins que la procédure mise en cause entre dans le domaine de l'application de l'article 6 (art. 6) de la Convention, qui s'étend à toute procédure portant sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale. La question se pose dès lors de savoir si, ainsi que le prétend le requérant, l'application faite de l'article 392 du Code des Douanes dans le cas d'espèce a engendré une inégalité des armes entre les parties au procès, compte tenu de la présomption quasiment irréfragable profitant à l'une d'elles, sur la base de la détention d'un objet. Cette situation a-t-elle ou non pour conséquence l'inéquité du procès, en violation de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention, qui exige un certain "équilibre" de la procédure, tel qu'il ressort de la jurisprudence de la Commission et de la Cour Européennes des Droits de l'Homme (Cour Eur. D.H. arrêt Bönisch du 6.5.85, série A No 92, par. 28 et suiv.) ? La Commission rappelle en outre qu'en matière pénale, tout prévenu ou accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été reconnue par une décision judiciaire définitive c'est-à-dire ayant acquis l'autorité de la chose jugée. Cette présomption a pour conséquence que le doute profite à l'accusé ou prévenu et que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation. Dès lors, peut-on considérer que le principe de la présomption d'innocence posé à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention a été respecté en dépit de la double présomption d'imputabilité matérielle et de responsabilité édictée par l'article 392 du Code des Douanes, qui pourrait conduire un accusé à devoir apporter la preuve de sa non- culpabilité (voir No 5124/71, déc. 19.7.72, Rec. 42, p. 135) ? La Commission considère à la lumière d'un examen préliminaire de l'argumentation des parties, de sa propre jurisprudence et de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que les griefs soulevés par le requérant au titre des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 (art. 6) posent des problèmes d'interprétation suffisamment complexes et importants pour que la solution doive relever d'un examen du bien-fondé de la requête et, partant, que celle-ci ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 10519/83
Date de la décision : 16/04/1986
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Non-violation de P1-1 ; Non-violation de l'Art. 14+P1-1 ; Non-violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de l'Art. 13

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (P1-1-1) PREVUE PAR LA LOI, (P1-1-1) PRINCIPES GENERAUX DU DROIT INTERNATIONAL, (P1-1-1) PRIVATION DE PROPRIETE, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : SALABIAKU
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1986-04-16;10519.83 ?

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