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12/05/1986 | CEDH | N°10291/83

CEDH | B. contre la FRANCE


La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 12 mai 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON G. TENEKIDES S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Com

mission ;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde de...

La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 12 mai 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON G. TENEKIDES S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 6 mai 1982 par Dominique BARRO contre la France et enregistrée le 4 mars 1983 sous le N° de dossier 10291/83 ;
Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause tels qu'ils ont été présentés par le requérant peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est un ressortissant suisse né en 1951 et domicilié à Carouge près de Genève. Il exerce la profession d'architecte d'intérieur.
Devant la Commission, le requérant est représenté par Maîtres Alain Berger et Philippe Neyroud, avocats au barreau de Genève.
Le 28 août 1977, le requérant se trouvait au volant de sa voiture à Annemasse en France en compagnie de deux autres personnes, J. et M., M. devant fournir de l'héroine au requérant et à J.
Selon le requérant, J. aurait assassiné M. par balle à l'intérieur de la voiture. Une fois la voiture arrêtée, le requérant aurait aidé J. à transporter le corps inerte de M. en bordure de route. J. aurait alors pris sur le corps de M. deux sachets d'héroine dont l'un aurait été remis au requérant. A la demande de J., le requérant reconduisit ensuite celui-ci dans la banlieue d'Annemasse où il le déposa.
Sur le chemin du retour vers la Suisse, le requérant se fit arrêter pour excès de vitesse par les douaniers suisses qui découvrirent sur sa personne le sachet d'héroine.
Le requérant fut alors arrêté et inculpé à Genève d'infraction à l'article 19 de la loi fédérale suisse sur les stupéfiants en ce qui concerne la détention du sachet saisi, d'une part et d'autre part, des achats et des ventes d'héroine effectués en 1975 et 1976.
Cependant, le 19 septembre 1977, le requérant fut remis en liberté sous caution par la chambre d'accusation de Genève.
Le 21 septembre 1977, après un entretien avec son conseil, le requérant décida d'informer le juge d'instruction genevois de l'assassinat commis selon lui le 28 août 1977 par J. sur la personne de M.
Suite à un interrogatoire de près de cinq heures auquel selon le requérant, des policiers français ont assisté au moins en partie, le requérant fut inculpé par le juge d'instruction suisse de mise en danger de la vie d'autrui pour avoir laissé M. sur le bord de la route sans lui porter secours. Le requérant ne fut pas inculpé d'assassinat.
Le requérant indique par ailleurs qu'entretemps, et sans qu'il en ait eu connaissance, le cadavre de M. avait été découvert le 9 septembre 1977 en France. La procédure engagée à Genève contre le requérant, du fait de mise en danger de la vie d'autrui, fut cependant classée sans renvoi en jugement.
En France, après l'arrestation de J. et d'une autre personne à Annecy le 26 septembre 1977, une information était ouverte par le parquet de Thonon, le 27 septembre 1977, pour assassinat et complicité d'assassinat, vol qualifié et complicité de vol qualifié contre J., le requérant et une autre personne.
L'inculpation fut notifiée au requérant à Genève, le 4 novembre 1977. Le 17 novembre 1977, le requérant bénéficiant d'un sauf-conduit sur le territoire français participa, avec les autres inculpés, à une reconstitution. Le 22 décembre 1977, un mandat d'arrêt international fut délivré contre le requérant par les autorités françaises.
Toutefois, par la suite, le requérant participa aux divers actes d'instruction effectués en France.
Le 4 janvier 1978, le juge français adressa une commission rogatoire au juge d'instruction de Genève pour notifier au requérant le résultat de l'autopsie de M. et lui notifier également le mandat d'arrêt le concernant. Cette notification fut exécutée le 23 janvier 1978.
Le 6 février 1978, le requérant demanda un complément d'expertise à laquelle il fut fait droit partiellement par ordonnance du juge d'instruction de Thonon du 14 février 1978.
Le 18 août 1978, le requérant fut arrêté au bureau des douanes de Gaillard, où il affirma qu'il avait été appréhendé en territoire suisse. Le 28 août 1978, soit dix jours plus tard, et après enquête sur les conditions de son arrestation, le parquet de Thonon prit un réquisitoire tendant à la remise en liberté du requérant lequel fut reconduit à la frontière et remis au substitut du procureur général de Genève.
Le 4 janvier 1979, les autorités françaises délivrèrent un nouveau mandat d'arrêt international contre le requérant pour les mêmes faits.
Le 16 janvier 1979, le juge d'instruction français adressa une commission rogatoire au juge d'instruction de Genève pour qu'il soit procédé à la notification au requérant du rapport d'expertise, ce qui fut fait le 30 janvier 1979.
Le 12 mars 1979, bénéficiant d'un sauf-conduit pour se rendre en France, eut lieu un interrogatoire du requérant pour recevoir ses observations.
Le 11 juin 1981, sur réquisition conforme prise le même jour par le parquet, le juge d'instruction de Thonon-les Bains prit une ordonnance de non lieu du chef de vol qualifié et assassinat pour les deux autres inculpés, disjonction pour J. et renvoi de celui-ci devant le tribunal correctionnel de Thonon pour recel de cadavre et en ce qui concernait le requérant, disqualifia l'assassinat en meurtre et vol avec port d'arme.
Le 27 juillet 1981, la chambre d'accusation de Chambéry prit un arrêt ordonnant le renvoi du requérant devant la cour d'assises de la Haute Savoie pour meurtre et vol avec port d'arme et ordonnant sa prise de corps.
En vertu de l'article 268 du code de procédure pénale, l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises doit être signifié à l'accusé à qui il doit être laissé copie. Toutefois, si la personne visée par l'exploit habite à l'étranger, elle est citée au parquet du Procureur de la République près du tribunal saisi qui vise l'original et envoie la copie au ministre des Affaires étrangères ou à toute autre autorité déterminée par les conventions diplomatiques (article 562 du code de procédure pénale). Dès lors, le 4 août 1981, l'arrêt rendu par la chambre d'accusation fut signifié au parquet général de Chambéry, lequel en a adressé, le 7 août 1981, une copie au procureur général de Genève pour remise à Dominique Barro.
Le 18 septembre 1981, cette copie revint avec la mention "refusée par Maître Berger" qui est le conseil du requérant, après que celui-ci en ait pris connaissance.
Le 16 octobre 1981, le Président de la cour d'assises du département de la Haute Savoie, siégeant à Annecy, après avoir constaté que plus de dix jours s'étaient écoulés depuis la date de signification de l'arrêt de renvoi en cour d'assises, à savoir depuis le 3 août 1981, ordonna en application des articles 627 et 628 du code de procédure pénale que "le requérant sera tenu de se représenter dans un délai de dix jours, sinon qu'il se verra déclarer rebelle à la loi, qu'il sera suspendu de l'exercice de ses droits de citoyen, que ses biens seront séquestrés pendant l'instruction de sa contumace, que toute action en justice lui sera interdite pendant le même temps, qu'il sera procédé contre lui et que toute personne sera tenue d'indiquer le lieu où il se trouve. Disons que la présente ordonnance sera insérée dans le journal d'annonces légales paraissant à Annecy, dénommé l'Essor savoyard, et qu'un extrait en sera affiché à la porte de la mairie de la ville d'Annecy et à celle de l'auditoire de la cour d'assises, disons qu'une expédition des présentes sera adressée à Monsieur le Directeur des domaines du département de la Haute Savoie à Annecy, siège de la cour d'assises.
En exécution de l'ordonnance de contumace du 16 octobre 1981, une copie de celle-ci fut insérée dans le numéro du 23 octobre 1981 du journal l'Essor savoyard publié à Annecy. Les autres formalités, à savoir affichage à la porte de la mairie d'Annecy et à la porte de l'auditoire de la cour d'assises furent également remplies.
En outre, en application de l'article 559 du code de procédure pénale, une copie de la signification fut remise au parquet d'Annecy le 22 octobre 1981.
En effet, la signification de l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981 ayant été refusée par le conseil du requérant le 18 septembre 1981, le requérant fut considéré comme n'ayant pas de domicile connu.
Dès lors, par application de l'article 559 du code de procédure pénale, l'ordonnance de contumace fut donc signifiée à parquet.
Le 18 novembre 1981, plus de dix jours s'étant écoulés depuis l'accomplissement des formalités prévues par l'article 628 du code de procédure pénale, la cour d'assises de la Haute Savoie, après avoir constaté la régularité de la procédure, condamna le requérant à la peine de réclusion criminelle à perpétuité.
La cour d'assises eut égard, pour examiner la régularité de la procédure, en particulier à la signification de l'arrêt de renvoi, fait au parquet général près la cour d'appel de Chambéry, le 3 août 1981, à l'ordonnance de prise de corps décernée contre l'accusé et insérée dans l'arrêt de mise en accusation susvisé, à l'ordonnance de se représenter rendu le 16 octobre 1981, à l'exploit d'un huissier de justice en date du 22 octobre 1981 contenant signification de ladite ordonnance au requérant faite au parquet de Monsieur le Procureur de la République près du tribunal de grande instance d'Annecy.
Puis, la cour, après avoir constaté la régularité de la procédure, entendu la lecture des pièces prévues par l'article 632 du code de procédure pénale, ouï Monsieur l'avocat général en ce qui concerne la réquisition tendant à l'application de la peine prévue par la loi, estima que des faits reconnus constants par la cour, il résultait que le requérant s'était rendu coupable d'un vol qualifié et d'un homicide volontaire, crime prévu et puni par les articles 379, 384, 295 et 304 du code pénal.
Par ce même arrêt du 18 novembre 1981, la cour d'assises de la Haute Savoie, statuant par contumace, ordonna également qu'un extrait de l'arrêt serait, conformément à l'article 634 du code de procédure pénale, inséré dans l'un des journaux d'annonces légales du département de la Haute Savoie, qu'un extrait du même arrêt serait affiché à la porte de la mairie de la commune où le crime avait été commis et à celle du prétoire de la cour d'assises.
Les mesures de publicité de l'arrêt de condamnation rendu par la cour d'assises le 18 novembre 1981 furent exécutées par l'affichage, le 9 juillet 1984, soit près de trois ans plus tard, d'un extrait de l'arrêt de condamnation à la poste de la mairie du lieu où le crime avait été commis et le 19 juillet 1984, à la porte de l'auditoire de la cour d'assises. En outre, un extrait de l'arrêt fut inséré dans le numéro du 13 juillet 1984 de l'Essor savoyard, journal publié à Annecy.
Le 20 novembre 1981, le requérant apprenait par les journaux genevois que la cour d'assises de Savoie l'avait condamné par contumace à la réclusion à perpétuité pour meurtre et vol à main armée.
GRIEFS
Le requérant se plaint d'avoir été condamné par contumace par les juridictions françaises à une peine de détention à perpétuité, alors qu'il n'a reçu notification, ni de l'ordonnance du 16 octobre 1981 lui enjoignant de se représenter dans un délai de dix jours, faute de quoi il serait déclaré contumax et alors qu'il n'a été informé à aucun moment de la date d'audience devant la cour d'assises.
Le requérant allègue la violation des articles 5 et 6 de la Convention en faisant valoir que dans la procédure française de contumace, il n'a pas eu droit à un procès équitable, qu'il n'a pas bénéficié de la présomption d'innocence, qu'il n'a pu se faire représenter par un avocat et n'a pas été informé de la date de l'audience de jugement.
A cet égard, le requérant précise qu'aucune notification ne lui a été faite préalablement au jugement par contumace, que dans la procédure par contumace, l'article 630 du code de procédure pénale interdit à l'accusé d'être représenté par un conseil et que, aux termes de l'article 632 du code de procédure pénale, la cour d'assises rend un jugement par contumace sans l'assistance des jurés et sans pouvoir accorder de circonstances atténuantes à l'accusé.
Le requérant précise encore que d'après le droit français, il n'est pas recevable, parce qu'il est absent, à former un pourvoi en cassation, ni contre l'arrêt de renvoi en cour d'assises du 27 juillet 1981, arrêt qui a donc maintenant acquis autorité de la chose jugée, ni contre l'arrêt de condamnation rendu par contumace par la cour d'assises de la Haute Savoie le 18 novembre 1981.
Enfin, l'arrêt de la cour d'assises rendu par contumace entraîne la déchéance des droits civiques du contumax et la séquestration de ses biens sis en France.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 6 mai 1982 et enregistrée le 4 mars 1983 sous le n° 10291/83.
La Commission a décidé, le 7 mai 1984, de porter la présente requête à la connaissance du gouvernement français et d'inviter ce dernier à présenter, dans un délai échéant le 30 septembre 1984, ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le gouvernement fut plus particulièrement invité à se prononcer sur les questions suivantes : - Quel a été le déroulement chronologique de la procédure pénale suivie à l'encontre du requérant depuis son inculpation jusqu'à l'arrêt de condamnation, rendu par contumace par la cour d'assises de Savoie, vers le 20 novembre 1981 ? - Sous quelles formes ont été effectuées les notifications prévues aux articles 627 et 628 du code de procédure pénale en ce qui concerne la signification au domicile de l'accusé ? - Le procureur général a-t-il procédé, conformément à l'article 634 du code de procédure pénale, à la publication de l'extrait de l'arrêt de condamnation dans un des journaux du département du dernier domicile du condamné ? Dans l'affirmative, dans quel journal cette publication a-t-elle eu lieu ? - Quelles ont été les démarches effectuées par les autorités, notamment par le juge d'instruction pour s'assurer de la personne du requérant ? Un mandat d'arrêt international a-t-il été lancé à un moment quelconque de la procédure et après la condamnation ? - Compte tenu des dispositions pertinentes figurant aux articles 627 à 640 du code de procédure pénale, le gouvernement français estime-t-il que le requérant a bénéficié des garanties prévues à l'article 6, par. 3a, b, c et d de la Convention ?
Après une prorogation de délai accordée par le Président de la Commission, le gouvernement communiqua son mémoire le 3 octobre 1984. Ce mémoire fut envoyé au requérant qui présenta ses observations en réponse le 14 décembre 1984, après qu'une prorogation de délai lui ait été également accordée par le Président de la Commission.
Le 20 février 1986, le conseil du requérant a, par ailleurs, fait parvenir un mémoire additionnel.
ARGUMENTATION DES PARTIES
A Le gouvernement
1. Quant à la recevabilité
A titre principal, le gouvernement français soutient que les griefs du requérant doivent être rejetés pour non épuisement des voies de recours internes.
En effet, selon le gouvernement, le requérant aurait du se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la chambre d'accusation de Chambéry en date du 27 juillet 1981. Cet arrêt mettait en accusation et renvoyait le requérant devant la cour d'assises du département de la Haute Savoie du fait d'avoir frauduleusement soustrait de l'héroine au préjudice de Monsieur M. et d'avoir commis un homicide volontaire sur la personne de celui-ci. Cet arrêt ordonnait par ailleurs "qu'il sera pris de corps, conduit et écroué dans la maison de justice établie à Bonneville, près la cour d'assises où il est renvoyé". Cet arrêt du 27 juillet 1981 a été signifié au requérant par l'intermédiaire de son représentant légal en Suisse qui l'a refusé le 18 septembre 1981. Le gouvernement estime d'ailleurs que le requérant n'a nié, à aucun moment, avoir reçu notification de cet arrêt. Dès lors, selon le gouvernement, le requérant aurait pu se pourvoir en cassation contre cet arrêt en application de l'article 567 du code de procédure pénale. Mais il lui fallait bien évidemment pour cela se représenter. En effet, la chambre criminelle de la cour de cassation déclare un tel pourvoi irrecevable lorsque l'accusé est en fuite, le demandeur se privant par là de la qualité nécessaire pour introduire le pourvoi.
Dès lors, le gouvernement de la République française comprend mal comment le requérant pourrait se faire valoir d'une irrecevabilité qui lui aurait été éventuellement imposée dans la mesure où il a lui-même refusé la signification de l'arrêt de renvoi, se privant ainsi lui-même d'une possibilité de recours.
En effet, s'il est vrai qu'en vertu de l'article 636 du code de procédure pénale qui dispose que le pourvoi en cassation n'est pas ouvert au contumax, le requérant ne saurait s'en prendre qu'à lui-même, puisque c'est en connaissance de cause qu'il n'a pas utilisé la voie de recours qui lui était ouverte avant l'ordonnance de contumace, à savoir se pourvoir en cassation de l'arrêt de mise en accusation. Selon le gouvernement, il est certain que le requérant n'ignorait pas les conséquences qui s'attacheraient à son refus de se voir notifier l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981.
Le gouvernement français estime donc que le requérant n'a pas valablement épuisé les voies de recours internes dont il disposait en droit français.
En deuxième lieu, le gouvernement soutient que le requérant n'est pas recevable à se plaindre d'une décision, en l'occurrence l'arrêt rendu par contumace par la cour d'assises de Savoie du 18 novembre 1981, qui n'a pas encore revêtu un caractère définitif.
A cet égard, le gouvernement de la République française estime utile de donner les précisions suivantes sur la procédure de contumace. Il s'agit d'une procédure criminelle suivie contre un accusé qui a réussi à se soustraire à la justice et qui ne se présente pas pour être jugé. L'arrêt de contumace auquel aboutit cette procédure peut décider l'acquittement ou la condamnation. La décision d'acquittement a les mêmes effets qu'un arrêt contradictoire, c'est-à-dire qu'elle est définitive.
En revanche, la décision de condamnation n'est jamais définitive si l'intéressé se constitue prisonnier ou est arrêté.
En effet, aux termes de l'article 639 du code de procédure pénale : "si le contumax se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par prescription, l'arrêt et la procédure faite depuis l'ordonnance de se présenter sont anéantis de plein droit et le procédé à son égard dans la forme ordinaire". La représentation volontaire ou forcée du contumax amène donc à reprendre la procédure dans l'état antérieur à l'ordonnance de contumace.
Ainsi, conformément à l'arrêt de renvoi qui a régulièrement mis fin à la phase de l'instruction préparatoire, l'accusé devra comparaitre devant la cour d'assises. Les débats se dérouleront selon la forme ordinaire. Bien évidemment, au moment de prendre sa décision, la cour d'assises n'est liée par aucune des dispositions de l'arrêt de contumace.
Enfin, la représentation du contumax entraîne l'anéantissement des mesures restreignant sa capacité et organisant le séquestre de ses biens, ainsi que le retour au libre exercice de ses droits politiques et civils.
Une fois prise par la cour d'assises la décision de condamnation par contumace, la situation du contumax n'est donc pas irrévocable. Le caractère provisoire de cette situation s'oppose à ce que les voies de recours ordinaires permettent de la remettre en cause d'une manière définitive. Ce qui la remet en cause de manière définitive, c'est la représentation du condamné.
C'est tout l'intérêt de la procédure qui est faite pour inciter le condamné à se soumettre à la justice. Dès lors, en raison des caractéristiques propres à la procédure par contumace française, le gouvernement estime que le requérant ne saurait se plaindre d'une décision qui n'est pas définitive.
2. Quant au bien-fondé des griefs
Le requérant allègue la violation des articles 5 et 6 de la Convention, en tant notamment que le requérant, dans la procédure française de contumace, n'a pas droit à un procès équitable, ne bénéficie pas de la présomption d'innocence, ne peut se faire représenter par un avocat et n'est pas informé de la date de l'audience de jugement.
En ce qui concerne le grief soulevé par le requérant au titre de l'article 5 qui protège le droit de toute personne à la liberté et à la sureté, le gouvernement de la République française observera d'une manière liminaire que le requérant n'expose pas en quoi la procédure par contumace poursuivie contre lui a violé cet article. Il semble au contraire ressortir des faits qu'il a usé de ce droit de la manière la plus large. Le gouvernement français estime donc que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement.
Le requérant allègue en outre la violation de l'article 6 de la Convention. Répondant sur ce point à la question de la Commission, le gouvernement fera observer au préalable que les droits de l'inculpé ont été scrupuleusement observés au cours de la procédure d'instruction et que le requérant a été tenu informé tant qu'il a répondu aux convocations du magistrat genevois agissant sur commission rogatoire de tous les actes le concernant.
Le gouvernement français relèvera également que la procédure pénale ordinaire s'est appliquée au requérant jusqu'à la notification de l'arrêt de la chambre d'accusation de Chambéry en date du 27 juillet 1981, le renvoyant devant la cour d'assises de la Haute Savoie, notification qui a été refusée par son avocat le 18 septembre 1981. Cet arrêt l'informe en effet de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Le requérant ne s'étant pas présenté à la suite de l'ordonnance de contumace du 16 octobre 1981 qui a été diffusé selon les prescriptions de l'article 628 du code de procédure pénale, les règles de procédure ordinaire ne pouvaient s'appliquer en son absence.
Selon le gouvernement, l'accusé avait cependant la possibilité de "se faire excuser". L'article 630 du code de procédure pénale dispose en effet que si l'accusé est dans l'impossibilité absolue de déférer à l'injonction contenue dans l'ordonnance de contumace, ses parents ou ses amis peuvent proposer son excuse à la cour. Si la cour trouve l'excuse légitime, elle ordonne qu'il soit sursis au jugement de l'accusé et s'il y a lieu, au séquestre de ses biens. La durée du sursis est fixée eu égard à la nature de l'excuse et à la distance des lieux.
Dans le cas contraire, le jugement a lieu selon la procédure de la contumace. Cette procédure aboutit à un arrêt de contumace, qui n'a pas un caractère irrévocable, puisqu'en vertu de l'article 639 du code de procédure pénale, la représentation du contumax permet la réouverture au fond de la procédure (purge de la contumace, qui a eu lieu dans la forme ordinaire).
A cet égard, le gouvernement se référera au rapport de la Commission dans l'affaire Colozza et Rubinat contre l'Italie où la Commission pour apprécier la notion de procès équitable dans des procédures par contumace et par défaut, a noté que dans cette matière "certains systèmes juridiques, tel le système français, prévoient la possibilité de réouverture de la procédure" (rapport du 5 mai 1983, par. 120).
Le gouvernement de la République française considère donc, du point de vue des droits de la défense, qu'on ne saurait envisager la procédure de contumace indépendamment de la purge de celle-ci, les deux procédures étant étroitement liées, et la seconde revêtant un caractère contradictoire. En conclusion, le gouvernement français soutient donc que le requérant a bien eu connaissance des poursuites engagées contre lui, que la condamnation qui lui a été infligée n'a pas acquis pleine autorité de la chose jugée, et que la purge de la contumace permet la réouverture de la procédure sur le fond de l'affaire.
Dès lors, le gouvernement estime que les griefs du requérant sont manifestement mal fondés.
B Le requérant
1. Quant à l'épuisement des voies de recours internes
A cet égard, le requérant précise qu'il est exact qu'après avoir pris connaissance de l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981, le conseil du requérant en a refusé la signification et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, parce que cet arrêt de la chambre d'accusation prononçait le renvoi du requérant en cour d'assises en France, alors qu'il bénéficiait en Suisse d'une mise en liberté provisoire et qu'il pouvait y être jugé, les crimes ou délits commis à l'étranger par un Suisse pouvant être instruits et jugés par les juridictions suisses, conformément à l'article 6 du code pénal suisse.
En outre, cette décision française ne comportait pas l'invitation à comparaître devant une juridiction de jugement.
La seconde, car la prise de corps décidée par la chambre d'accusation, ainsi que la procédure ultérieure qui devait suivre, en cas de non représentation pour déclarer le requérant rebelle et contumax, constituaient un détournement des règles d'extradition et d'entraide entre la France et la Suisse.
En effet, et contrairement d'ailleurs à ce que prétend le gouvernement, la Suisse peut extrader ses nationaux. De surcroit, la Convention européenne en matière d'entraide aurait permis, par exemple, que le requérant soit "prêté" aux autorités françaises par la Confédération helvétique pour assister à son jugement, mais avec une garantie de retour. Or, à aucun moment, le gouvernement défendeur n'a requis l'extraditon ou l'entr'aide des autorités helvétiques dans ce sens, ni ne leur a formellement dénoncé les faits.
Enfin, il est certes exact qu'aux termes de l'article 567 du code de procédure pénale français le requérant aurait pu recourir contre l'arrêt de mise en accusation du 27 juillet 1981.
Mais il convient de préciser que ce recours aurait été de nature cassatoire et qu'il ne pouvait être formé que pour violation de la loi.
Or, l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981 ne présentait aucun vice de forme, et le requérant n'avait pas de grief à formuler quant au déroulement de l'instruction.
De plus, en admettant que cet arrêt du 27 juillet 1981 ait présenté des vices, le requérant aurait du se constituer prisonnier pour être recevable à former son pourvoi en cassation, procédure dont il soutient justement qu'elle est contraire à la Convention européenne.
2. Quant au fond
En ce qui concerne, au regard de l'article 5 de la Convention, le droit de toute personne à la liberté et à la sûreté, le requérant se détermine comme suit.
Le requérant estime que le droit à la liberté et à la sûreté ne sont pas respectés en France par l'existence des procédures de la contumace, sans lesquelles une personne qui n'a pu être saisie ou qui ne se représente pas, est, d'une part, privée de son droit de recourir contre certaines décisions judiciaires (cf. pourvoi en cassation irrecevable contre l'arrêt de mise en accusation), et d'autre part, voit ses biens séquestrés et ne peut plus ester en justice. En ce qui concerne ce deuxième point, il s'agit là d'une atteinte au droit à la sûreté, dans la mesure où si le contumax est attaqué par des tiers ou menacé de l'être, il ne peut demander protection aux autorités judiciaires civiles ou pénales.
Quant aux griefs tirés de la violation alléguée de l'article 6 de la Convention, le requérant remarque tout d'abord que, en ce qui concerne la procédure d'instruction, il ne se plaint d'aucune violation de la Convention et que ces griefs portent sur la procédure suivie à son encontre, depuis la "notification" de l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981.
En ce qui concerne cette procédure, le requérant articule deux griefs principaux.
Tout d'abord, en ce qui concerne les modalités de la signification de l'ordonnance du 16 octobre 1981 qui fixait au requérant un délai de dix jours, faute de quoi il serait considéré comme contumax, n'a pas été diffusé selon les prescriptions de l'article 628 du code de procédure pénale. En effet, cet article 628 prévoit que, dans un délai de huit jours, l'ordonnance est insérée dans l'un des journaux du département et affichée à la porte du domicile de l'accusé, à celle de la mairie de sa commune et à celle de l'auditoire de la cour d'assises et que le procureur général adresse une expédition de cette ordonnance au directeur des domaines du domicile du contumax. Le requérant rappelle, tout d'abord, que ces formalités ne paraissent pas avoir été appliquées et qu'au demeurant, le gouvernement défendeur n'a produit aucune pièce attestant l'affichage et la parution de l'ordonnance. De surcroît, les modalités de publicité prévues par l'article 628 du code de procédure pénale, si même elles avaient été prises, n'étaient pas de nature à parvenir à la connaissance du requérant. Deuxièmement, le requérant soutient qu'il n'a pas eu non plus connaissance, et c'est là l'un de ses griefs principaux, de la date de l'audience de la cour d'assises. Le caractère secret de cette audience devant la cour d'assises semble résulter de la volonté même du législateur français, dans la mesure où aucune procédure de signification ou de publicité n'est prévue par la loi. En effet, seul l'article 629 du code de procédure pénale prévoit qu'il est procédé au jugement de la contumace après un délai de dix jours courant depuis la signification de l'ordonnance de contumace, en l'occurrence le 16 octobre 1981. A cet égard, le requérant observe d'ailleurs que l'audience de la cour d'assises s'est tenue, selon les indications du gouvernement, le 18 novembre 1981, soit 25 jours après la prétendue signification de l'ordonnance de contumace.
Selon le requérant, il est dès lors parfaitement vain de souligner, comme l'a fait le gouvernement, que l'accusé aurait eu cependant la possibilité de se faire excuser pour son absence à cette audience, puisque ne connaissant pas la date de celle-ci, il n'était pas en mesure de s'y faire excuser le cas échéant.
En ce qui concerne l'audience de jugement devant la cour d'assises du 18 novembre 1981, le requérant rappellera tout d'abord les termes de l'article 632 du code de procédure pénale qui prévoit qu'en cas de contumace, il est procédé à la lecture de l'arrêt de renvoi à la cour d'assises, de l'exploit de signification de l'ordonnance ayant pour objet la représentation du contumax et des procès verbaux dressés pour en constater la publication et l'affichage. Après cette lecture, la cour, sur réquisition du procureur général, prononce la contumace. Si les formalités prescrites par les articles 627 et 628 ont été remplies, la cour prononce sans l'assistance de jurés sur l'accusation, sans pouvoir, en cas de condamnation, accorder le bénéfice des circonstances atténuantes au contumax, la cour statue ensuite sur les intérêts civils. Le requérant souligne que, compte tenu des exigences de l'article 632 du code de procédure pénale, l'audience devant la cour d'assises a dû durer approximativement un quart d'heure. Il rappelle à cet égard qu'une peine de réclusion à perpétuité a été prononcée et que l'arrêt du 18 novembre 1981 ne consacre pas une seule ligne à la prétendue culpabilité du requérant, alors même qu'il a toujours protesté de son innocence et que, pour les mêmes faits, il était à l'époque en liberté provisoire sans caution en Suisse. La cour en effet s'est bornée à constater que les faits étaient constants.
Le requérant en déduit que la cour d'assises a prononcé la peine la plus grave comme s'il s'agissait d'une simple formalité d'un pastiche de justice.
Enfin, pour répondre à l'argument du gouvernement selon lequel la procédure par contumace n'aurait qu'un caractère provisoire, le requérant soutient que la procédure par contumace en France est contraire à l'article 6 de la Convention et plus précisément, qu'elle était contraire au paragraphe 1 de l'article 6, en ce sens que la cour d'assises n'a pas entendu équitablement sa cause, ni n'a examiné le bien-fondé de l'accusation dirigée contre lui, sa culpabilité étant acquise d'avance. Et, au surplus, que l'on ne saurait qualifier de publique, une audience auquel le prévenu, dont l'adresse était connue, n'a pas été convoqué.
La procédure est également contraire au paragraphe 2 de l'article 6, en ce sens que le contumax est présumé coupable et ne peut faire l'objet de circonstances atténuantes, tous éléments permettant d'affirmer que sa culpabilité n'est pas légalement établie. La procédure enfreint le paragraphe 3a et b de l'article 6, en ce sens qu'il n'a jamais été convoqué à l'audience du jugement, alors que son domicile était connu, qu'il n'a pas été informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, ni n'a pu, en conséquence, disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.
Il y a aussi une violation du paragraphe 3c de l'article 6, en ce sens que l'article 630 du code de procédure pénale interdit à l'avocat du prévenu de se présenter pour le contumax.
Enfin, la procédure est contraire au paragraphe 3d, en ce sens que non convoqué à l'audience de jugement, et ne pouvant être présenté par son conseil, le prévenu n'a pu interroger ou faire interroger les témoins à charge, ni obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge.
Selon le requérant, il tombe en effet sous le sens que la Convention s'applique à toutes les procédures, les Etats n'étant pas autorisés à satisfaire à ses exigences lors d'une seconde procédure qui aurait en quelque sorte un effet guérisseur sur la première.
Si le bon sens ne devait suffire, le requérant soutient que la rédaction des articles 5 et 6 de la Convention visent expressément toute personne, soit également le contumax, sa cause, soit encore celle du contumax, toute accusation en matière pénale, soit toujours celle du contumax. En aucun cas, la Convention européenne dans ses articles 5 et 6 n'a restreint son champ d'application à des procédures autres que celles par contumace.
Il est d'ailleurs à remarquer que le gouvernement défendeur, en évoquant la procédure par contumace, a lui-même précisé que c'est tout l'intérêt de la procédure qui est faite pour inciter le condamné à se soumettre à la justice. Selon le requérant, on ne saurait être plus clair, selon le gouvernement français, la fin justifie les moyens, et une procédure contraire à la Convention européenne des Droits de l'Homme servirait mieux la justice qu'une procédure conforme à la Convention.
Enfin, le requérant pour démontrer la violation à son sens flagrante des articles 5 et 6 de la Convention, par les procédures de contumace française, rappellera l'existence de la résolution 7511 sur "les critères à suivre dans la procédure de jugement en l'absence du prévenu", résolution adoptée par le Comité des ministres le 21 mai 1975.
Cette résolution prévoit notamment que nul ne peut être mis en jugement s'il n'a été au préalable atteint effectivement par une citation remise en temps utile pour lui permettre de comparaître et de préparer sa défense, sauf s'il est établi qu'il s'est soustrait volontairement à la justice. La citation doit préciser les conséquences d'une absence éventuelle du prévenu à la procédure de jugement.
Par ailleurs, lorsque le juge constate que le prévenu qui ne comparait pas à l'audience, a été atteint par la citation, il ordonne le renvoi s'il estime que la comparution personnelle du prévenu est indispensable ou qu'il a des raisons de croire que le prévenu a été empêché de comparaitre. Il n'y a pas lieu de juger le prévenu en son absence s'il est possible et opportun de transmettre la procédure à un autre Etat ou de présenter une demande d'extradition. Lorsque le prévenu est jugé en son absence, il est procédé à l'administration des preuves dans les formes usuelles et la défense a le droit d'intervenir. Le jugement rendu en l'absence du prévenu doit lui être signifié selon les règles relatives à la citation et les délais de recours ne doivent courir qu'à partir du moment où le condamné a eu connaissance effective du jugement signifié, sauf s'il est établi qu'il s'est soustrait volontairement à la justice. Toute personne jugée en son absence doit pouvoir attaquer le jugement par toutes les voies de recours qui seraient ouvertes s'il avait été présent. Enfin, la personne jugée en son absence, alors qu'elle n'a pas été citée régulièrement, doit disposer d'une voie de recours pour faire constater la nullité du jugement.
En rappelant que le requérant n'a pas été cité à son audience de jugement, qu'il n'a pas été non plus avisé de l'ordonnance lui enjoignant de se représenter dans un délai de dix jours, daté du 16 octobre 1981, que son extradition n'a pas été demandée à la Suisse, que la procédure n'a pas été transmise à la Suisse, qu'il n'a pas été assisté d'un conseil, que l'administration des preuves n'a pas eu lieu dans la forme usuelle, que le jugement ne lui a pas été signifié à personne, que le contumax ne peut recourir en cassation, qu'il ne dispose pas de voies de recours internes lui permettant de faire constater l'irrégularité de la citation, le requérant estime avoir démontré que la procédure française de contumace contrevient à toutes les recommandations de la résolution du Comité des Ministres.
Sur la violation de l'article 6 en ce qui concerne l'arrêt de contumace du 18 novembre 1981, le requérant tient tout d'abord à rappeler que préalablement à cet arrêt, il y a eu une ordonnance datée du 16 octobre 1981, fixant au requérant un délai de 10 jours pour se représenter, sinon "il sera déclaré rebelle à la loi, .. il sera suspendu de l'exercice de ses droits de citoyen, .. ses biens seront séquestrés pendant l'instruction de sa contumace, .. toute action en justice lui sera interdite pendant le même temps, .. il sera procédé contre lui, et .. toute personne sera tenue d'indiquer le lieu où il se trouve".
Pour le requérant, cette ordonnance ordonnant au requérant de se représenter dans un délai de dix jours constitue le premier élément de la mascarade que constitue la procédure de contumace.
En effet, la décision précédente, à savoir l'arrêt de la chambre d'accusation en date du 27 juillet 1981, devait être notifiée au requérant et celui-ci en a refusé la signification. Son adresse était dès lors connue des autorités françaises ; elle était d'ailleurs indiquée sur la première page de l'arrêt.
Sur l'ordonnance du 16 octobre 1981, figure encore l'adresse du requérant. Mais, fiction qui se poursuivra ultérieurement, le requérant est considéré comme étant en fuite.
Dès lors, cette ordonnance ne lui sera pas signifiée à personne mais devra être insérée dans un journal paraissant à Annecy, l'Essor savoyard, affichée à la porte de la mairie de la ville d'Annecy et à celle de l'auditoire de la cour d'assises. Le requérant précise que l'Essor savoyard n'est ni vendu, ni diffusé en Suisse, ainsi que l'attestent les plus grands distributeurs et vendeurs de journaux à Genève et en Suisse.
C'est dire que la parution de l'ordonnance du 16 octobre 1981 dans l'Essor savoyard, si elle a réellement eu lieu, le gouvernement n'ayant produit aucune pièce à l'appui de son affirmation à cet égard, aurait été en tout état vaine : jamais le requérant dont on rappelle que les autorités françaises connaissaient pourtant le domicile exact, n'aurait pu prendre connaissance de cette ordonnance en Suisse.
En réalité, le gouvernement défendeur qui ne produit aucune pièce à cet égard, ne prouve pas que l'ordonnance du 16 octobre 1981 apparut dans l'Essor savoyard.
Il résulte en effet du procès verbal de signification d'ordonnance du 22 octobre 1981, rédigé par un huissier judiciaire, que la décision du 16 octobre 1981 a été en fait remise au Procureur de la République, soit à l'accusation.
Le procès verbal de signification d'ordonnance daté du 22 octobre 1981 précise en effet : "avons signifié et laissé copie des présentes à M. Barro Dominique, demeurant précédemment à Genève, 3 chemin du Vieux Canal à Carouge, actuellement en fuite et sans domicile connu. Et attendu que l'intéressé est actuellement sans domicile connu en France ou à l'étranger, nous avons remis copie du présent acte au parquet de Monsieur le Procureur de la République".
Le requérant précisera que l'huissier en question interrogé le 13 novembre 1984 sur ces faits, a indiqué que sa signification du 22 octobre 1981 avait été faite au parquet, conformément aux dispositions des articles 683 et suivants du code de procédure civile.
Le requérant soutient que le fait que cette ordonnance ait été signifiée au parquet, est un vice qui découle de la procédure de contumace in abstracto, selon laquelle par une fiction, le prévenu refusant de se constituer prisonnier est réputé en fuite, sans plus de domicile connu et refusant de se présenter par devant un tribunal.
Le gouvernement soutient, il est vrai, que le requérant ne saurait s'en prendre qu'à lui-même d'avoir été condamné par contumace puisqu'il n'aurait pas ignoré les conséquences qui s'attacheraient à son refus de se voir notifier l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981.
A cet égard, le requérant affirme que s'il savait qu'une ordonnance lui enjoignant de se constituer prisonnier serait prise contre lui, non pas pour avoir refusé la notification de l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981 mais pour ne pas s'être livré en prison, le requérant ignorait qu'il ne recevrait plus aucune communication des autorités judiciaires françaises, telles que : l'ordonnance du 16 octobre 1981 lui fixant un délai de dix jours pour se constituer prisonnier, la convocation à l'audience de jugement de la cour d'assises, etc.
Or, s'il est vrai que l'arrêt de mise en accusation du 27 juillet 1981 ordonnait la prise de corps du requérant, il échet de constater toutefois que, dans cet arrêt, aucun délai n'avait été fixé au requérant pour se représenter. Dès lors, le requérant affirme que le fait de ne pas avoir accepté la signification de cet arrêt ne peut en aucun cas être considéré comme manifestant une volonté de se soustraire à la justice et à l'audience de jugement en particulier.
Selon le requérant, cela est d'ailleurs si vrai, que l'ordonnance de prise de corps figurant dans l'arrêt de la chambre d'accusation du 27 juillet 1981 a été suivie, le 16 octobre 1981, d'une ordonnance lui fixant un délai de dix jours pour se constituer prisonnier, ordonnance qui, comme il l'a été exposé précédemment, a été signifiée à l'accusation, et jamais au requérant en personne.
Le gouvernement français soutient également que la procédure par contumace n'est pas inéquitable, en ce que statuant par contumace, la cour d'assises a théoriquement le pouvoir de prononcer un acquittement.
A cet égard, s'il est vrai que le code de procédure française pénale n'interdit pas en théorie le prononcé d'un acquittement, le requérant relève qu'en pratique, un acquittement n'est jamais prononcé. Selon lui, l'impossibilité d'un arrêt d'acquittement résulte des termes mêmes de l'article 632, alinéa 4, du code de procédure pénale française, selon lequel la cour d'assises ne peut pas accorder des circonstances atténuantes au contumax.
Le gouvernement français soutient enfin, en se fondant sur l'article 639 du code de procédure pénale, que l'arrêt rendu par contumace n'est pas définitif si le contumax se constitue prisonnier ou est arrêté avant que la peine soit atteinte par prescription. En effet, s'il y a représentation volontaire ou forcée du condamné, l'arrêt et les procédures faites depuis l'ordonnance de se représenter sont anéantis de plein droit et il est procédé à son égard dans la forme ordinaire.
Selon le requérant, cette disposition du code de procédure pénale français signifie que la condamnation par contumace est définitive en cas de décès du condamné ou en cas de prescription de la peine. C'est justement ces conséquences dont le requérant prétend qu'elles sont contraires aux articles 5 et 6 de la Convention (art. 5, art. 6).
Dès lors, le requérant estime que le gouvernement français ne saurait soutenir que la situation du contumax n'est pas irrévocable et qu'elle n'a qu'un caractère provisoire.
Par ailleurs, il est à noter que dès l'écoulement d'un délai de huit jours, compté de la signification de l'ordonnance du 16 octobre 1981, les biens du contumax sont séquestrés et gérés par l'administration des domaines française. Le requérant est, en outre, déchu de ses droits civiques et civils, toute action en justice lui étant interdite, même la poursuite d'un débiteur par exemple. Il convient là aussi de noter que les conséquences civiles de la contumace (séquestration notamment des biens du condamné) deviennent également définitives si le prévenu décède ou si la peine se prescrit. Le requérant cite, à cet égard, une jurisprudence de la cour de cassation française du 29 novembre 1914 in bulletin criminel n° 209, selon laquelle l'arrêt par contumace, s'il ne peut être exécuté sur la personne du condamné, pendant les délais de prescription de la peine, est cependant à certains égards exécutoire et produit les effets définitifs dont il est susceptible. Notamment (même arrêt), les dommages et intérêts auxquels le contumax et le civilement responsable ont été condamnés, peuvent être récupérés par la partie civile pendant les délais de prescription de la peine.
EN DROIT
Le requérant se plaint d'avoir été condamné par contumace en France à une peine de détention à perpétuité. Il soutient que la procédure par contumace française contrevient à l'article 6, par. 1, 6 par. 2 et 6, par. 3 (b), (c) et (d) de la Convention (art. 6-1-2-3-b-c-d).
La Commission relève en premier lieu que le requérant a participé à tous les actes d'instruction diligentés contre lui en France entre le 4 novembre 1977, date de son inculpation, jusqu'au 27 juillet 1981, date à laquelle la Chambre d'accusation de Chambéry prit un arrêt ordonnant le renvoi du requérant devant la Cour d'assises de Haute Savoie pour meurtre et vol à main armée.
La Commission relève également que le requérant a refusé, par l'intermédiaire de son conseil, de recevoir notification en Suisse de l'arrêt du 27 juillet 1981, ordonnant son renvoi en Cour d'assises.
De l'avis de la Commission, la procédure par contumace prise en elle-même se déroule dans des conditions qui peuvent soulever, à première vue, des doutes quant à sa conformité avec les exigences posées à l'article 6 de la Convention (art. 6).
En effet, aux termes notamment des articles 630 et 632 du Code de procédure pénale, aucun avocat ne peut se présenter pour défendre l'accusé déclaré rebelle à la loi selon les termes de l'article 627 ; de même la Cour d'assises se prononcera sans l'assistance de jurés sur l'accusation et sans pouvoir, en cas de condamnation, accorder le bénéfice de circonstances atténuantes au contumax.
Toutefois, ainsi que l'a soutenu le Gouvernement défendeur, la Commission relève que la condamnation prononcée par contumace n'a pas un effet définitif puisqu'aux termes de l'article 639 du Code de procédure pénale, si le contumax se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine prononcée contre lui soit prescrite, l'arrêt de condamnation rendu par contumace est anéanti de plein droit.
La Commission rappelle que les droits garantis par l'article 6 (art. 6) sont certes reconnus à tout accusé, qu'il s'agisse d'un accusé libre, en détention ou bien en fuite. (cf Rapport de la Commission dans l'affaire Colozza et Rubinat du 5 mai 1983, par. 124). Toutefois, la Commission rappelle qu'elle a estimé (cf. par. 126 du rapport précité) que si l'accusé condamné par défaut, sans son consentement exprès, a la possibilité, lorsqu'il a effectivement connaissance de ladite condamnation, d'obtenir à sa demande la réouverture de la procédure sur le fond de l'affaire, il n'y a pas diminution du droit d'être entendu et donc des droits concrets de la défense telle qu'elle aboutisse à vider de sa substance l'exercice effectif de tels droits.
De l'avis de la Commission, il se poserait une question de cet ordre s'il était établi dans les circonstances de la cause, l'accusé condamné par contumace n'avait eu à aucun moment connaissance des poursuites engagées contre lui et qu'il n'a donc pu participer à la phase d'instruction du procès pénal diligenté contre lui.
En l'espèce tel n'a pas été le cas et la question ne se pose donc pas puisque, ainsi que le jugement l'admet lui-même, il a participé à toute la procédure d'instruction diligentée contre lui.
Or, il résulte de l'article 627 du Code de procédure pénale lu en corrélation avec l'article 639 du même code, que bien que la purge de la contumace anéantisse de plein droit le jugement de condamnation, la procédure préalablement effectuée jusqu'à l'arrêt de mise en accusation demeure valable.
En conclusion, compte tenu des circonstances de la cause, et en particulier du fait que le requérant d'une part a participé à la procédure d'instruction et d'autre part a refusé de recevoir notification de l'arrêt de mise en accusation, la Commission est d'avis que la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement conformément à l'article 27, par. 2 de la Convention (art. 27-2).
Par ces motifs, la Commission
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 10291/83
Date de la décision : 12/05/1986
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Non-violation de P1-1 ; Non-violation de l'Art. 14+P1-1 ; Non-violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de l'Art. 13

Analyses

(Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) EGALITE DES ARMES, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) PROCES ORAL, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE, (Art. 6-3-b) ACCES AU DOSSIER


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1986-05-12;10291.83 ?

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