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09/12/1986 | CEDH | N°10938/84

CEDH | KAUFMAN contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 10938/84 présentée par J. et R. KAUFMAN contre la Belgique _________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 9 décembre 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN F. ERMACORA G. TENEKIDES S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C.

SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 10938/84 présentée par J. et R. KAUFMAN contre la Belgique _________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 9 décembre 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN F. ERMACORA G. TENEKIDES S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Sir Basil HALL M. F. MARTINEZ M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 11 avril 1983 par J. et R. KAUFMAN contre la Belgique et enregistrée le 2 mai 1984 sous le N° de dossier 10938/84 ; Vu les observations écrites du Gouvernement datées du 9 septembre 1985 et les observations en réponse des requérants datées du 17 décembre 1985, parvenues le 28 janvier 1986 ; Vu les observations orales des parties développées à l'audience du 9 décembre 1986 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se présenter comme suit : Les deux requérants, ressortissants américains, sont domiciliés à Allentown (Pennsylvanie, Etats-Unis). Le premier requérant est attorney-at-law à Allentown et est le père du deuxième requérant. Ce dernier, né en 1949, n'exerce aucune profession. Devant la Commission, ils sont représentés par Me Claude Serge Aronstein, avocat du barreau de Bruxelles. Le 2 mai 1975, le deuxième requérant, alors étudiant en médecine en Belgique, fut victime d'un accident de la circulation. L'accident, survenu entre le deuxième requérant circulant à motocyclette et M.V. conduisant un camion avec remorque, provoqua des conséquences dommageables graves pour le deuxième requérant. Les démarches pour obtenir un règlement amiable de l'affaire échouèrent et l'information pénale ouverte par le procureur du Roi de l'arrondissement judiciaire de Louvain fut clôturée par un classement sans suite. Par citation du 13 septembre 1979, les requérants introduisirent une action civile, fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil, contre les Assurances Générales de France (ci-dessous A.G.F.), subrogées au nom de leur assuré M.V., pour obtenir à titre de réparation des dommages causés par l'accident la somme de 50.000.000 F.B. Le 27 mars 1979, le tribunal de première instance de Bruxelles déclara que l'accident dont le deuxième requérant avait été victime était la conséquence directe des fautes et imprudences commises par M.V., assuré des A.G.F. En conséquence, le tribunal condamna les A.G.F. à payer, à titre de dommages-intérêts et provisionnellement, la somme de cent mille francs au deuxième requérant et un franc au premier. Avant de statuer au surplus, le tribunal désigna un expert judiciaire. Sur appel de la compagnie d'assurances, la cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 19 mai 1981, débouta les demandeurs au motif que M.V. n'avait commis aucune faute. Le 8 septembre 1981, les requérants, représentés par un avocat près la Cour de cassation, Me J. Dassesse, se pourvurent en cassation. Dans leur requête, ils se plaignirent du défaut de motivation du fait que l'arrêt n'avait pas répondu à leurs conclusions selon lesquelles M.V. pouvait aisément voir la motocyclette et que son camion devait être équipé de manière à ce qu'il puisse voir à droite. Ils alléguèrent également que la cour n'avait pas non plus répondu à leurs conclusions selon lesquelles le deuxième requérant ne pouvait prévoir la manoeuvre de M.V. Le 20 novembre 1981, le conseil des A.G.F. déposa un mémoire en réponse dans lequel était discuté le fondement de moyens en droit invoqués par les requérants. Le 28 décembre 1981, Me J. Dassesse, sur projet et réquisitions de Me C.S. Aronstein, avocat des requérants devant la Commission, déposa un mémoire en réplique. Dans la mesure où le dépôt de ce mémoire n'était pas prévu par l'article 1094 du code judiciaire, les requérants expliquèrent qu'il était néanmoins recevable compte tenu des exigences du procès équitable et des droits de la défense. Ils critiquèrent également le mémoire en réponse précité dans la mesure où ce dernier faisait référence à une jurisprudence de la Cour de cassation belge selon laquelle "l'obligation de motiver les jugements et arrêts n'implique pas celle de répondre à des engagements ne constituant pas des moyens distincts". Enfin, ils précisèrent que les violations de la loi, exposées dans leur mémoire, constituaient des violations de la Convention et entre autres des articles 6, 13, 14 et 18. Le 14 octobre 1982, une audience publique se déroula devant la première chambre de la Cour de cassation. A cette audience, le conseiller rapporteur fit rapport. Me Dassesse, auquel la parole avait été donnée, déclara s'en référer à son pourvoi. De même, l'avocat des A.G.F. se référa à son mémoire en réponse. Immédiatement après, l'avocat général Ballet donna des conclusions orales concluant au rejet du pourvoi. La cause fut alors mise en délibéré. Le même jour, après avoir délibéré en chambre du conseil en présence de l'avocat général Ballet, la Cour rejeta le pourvoi. Dans son arrêt, elle déclara tout d'abord qu'elle ne pouvait avoir égard au mémoire en réplique. A cet égard, elle considèra que l'interdiction faite par la loi à la partie demanderesse de répliquer au mémoire de la partie défenderesse, sauf dans le cas où celle-ci opposait une fin de non-recevoir au pourvoi, n'était pas incompatible avec les exigences d'un procès équitable formulées par l'article 6 de la Convention et notamment avec les droits de la défense qu'elle commande, les parties pouvant dans les mémoires qu'elles ont le droit de déposer faire valoir tous leurs moyens sur l'objet du litige. Quant aux moyens déduits du défaut de motivation de l'arrêt, la Cour, examinant chacun des moyens, estima que l'arrêt avait répondu aux conclusions selons lesquelles M.V. pouvait aisément voir le motocycliste et qu'elle n'était pas tenue de répondre aux conclusions relatives à l'équipement du camion, celles-ci étant devenues sans pertinence. Quant aux conclusions selon lesquelles le deuxième requérant ne pouvait prévoir la manoeuvre de M.V., la Cour considéra que l'arrêt avait justifié légalement et motivé régulièrement sa décision.
GRIEFS Les griefs des requérants peuvent se résumer comme suit :
1. Les requérants se plaignent que l'arrêt de la cour d'appel et celui de la Cour de cassation ne sont pas motivés de manière suffisamment rigoureuse ni à suffisance de droit. Comparant la longueur de leurs conclusions d'appel et de leur mémoire en cassation avec celle des arrêts des deux cours, ils considèrent que sur le seul plan quantitatif les juridictions n'ont pas satisfait aux exigences du procès équitable de l'article 6. Selon les requérants, une bonne administration de la justice requiert qu'il soit répondu adéquatement, pleinement et logiquement à chacun des moyens et des arguments - tant en droit qu'en fait - avancés par chaque partie.
2. Les requérants se plaignent également que la Cour de cassation, en refusant d'avoir égard à leur mémoire en réplique du 28 décembre 1981, a méconnu les prescriptions de l'article 6 de la Convention et en particulier le principe de l'égalité des armes. Les requérants soutiennent que parmi les exigences d'un procès équitable se trouve le droit, pour un demandeur en cassation, de répliquer par un mémoire, au mémoire en réponse de la partie défenderesse. Ils exposent qu'il n'est pas possible de rédiger un seul acte de procédure qui contienne à l'avance la réponse et la réfutation aux objections qui pourraient être posées ultérieurement.
3. Les requérants se plaignent que leur avocat n'a pas été autorisé à prendre la parole après l'avocat des A.G.F., alors que ce dernier, recevant la parole après leur avocat, peut immédiatement lui répondre. Ce fait constitue à leur avis une atteinte aux principes de l'oralité des débats et du contradictoire, dont le respect constitue un élément essentiel du droit au procès équitable, ainsi qu'au principe de l'égalité des armes devant la Cour de cassation.
4. Les requérants soutiennent que la Cour de cassation, ayant rendu son arrêt le jour même de l'audience, n'a pas pu sérieusement avoir égard ni aux éventuels développements oraux présentés par les parties devant la Cour, à l'audience publique du même jour, ni aux conclusions orales du ministère public. Ils allèguent que cette pratique porte atteinte aux principes de l'oralité des débats et du contradictoire et en déduise que la publicité devant la Cour de cassation est imparfaite.
5. Les requérants se plaignent encore de ne pas avoir eu connaissance avant l'audience des conclusions du ministère public, ce qui les a mis dans l'impossibilité d'y répondre. Ils exposent que le ministère public donne souvent connaissance de son avis aux conseillers de la Cour de cassation formant la chambre et, dans tous les cas, au conseiller rapporteur. Ce dernier et l'avocat général désigné par le Procureur général s'entretiendraient du dossier et du projet d'arrêt du conseiller. A l'issue de contacts étroits, ils se mettraient d'accord sur un texte de projet d'arrêt. Selon les requérants, cette procédure porte atteinte aux principes de l'égalité des armes, de contradiction et de l'oralité des débats ainsi qu'à celui des droits de la défense, les principales étapes du "decision marketing" ayant lieu en dehors de l'audience publique.
6. Les requérants se plaignent également du fait qu'ils n'ont pu répondre aux conclusions orales du ministère public, celui-ci ayant eu, lors de l'audience, la parole en dernier lieu.
7. Les requérants se plaignent d'une atteinte au droit à un procès équitable et au principe d'égalité des armes du fait que l'avocat général près la Cour de cassation a participé au délibéré de la Cour. Ils estiment que le principe "justice must not only be done, it must also be seen to be done" s'oppose à ce que l'avocat général participe, de quelque manière que ce soit, au délibéré de la Cour suprême. Même si la substance est parfaite, les apparences doivent être tout aussi parfaites.
8. Enfin, les requérants, faisant une synthèse des moyens précédents, invoquent que la procédure en cassation ne respecterait pas de manière générale les droits fondamentaux de la défense.
PROCEDURE La présente requête a été introduite le 11 avril 1983 et, conformément à la pratique, a été enregistrée le 2 mai 1984, date à laquelle est parvenue au Secrétariat de la Commission européenne le formulaire de requête dûment rempli et signé. Par décision du 8 mai 1985, la Commission, en application de l'article 42 par. 1 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement belge et d'inviter ce dernier à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, à l'exception des griefs déduits de la violation du droit à un procès équitable du fait du défaut de motivation de l'arrêt du 19 mai 1981 de la cour d'appel de Bruxelles et de celui du 14 octobre 1982 rendu par la Cour de cassation belge. A cet effet, la Commission a fixé au Gouvernement belge un délai échéant le 26 juillet 1985. A la demande du Gouvernement, l'échéance a été reportée par décision du Président de la Commission au 26 août 1985. Les observations du Gouvernement sont parvenues le 9 septembre 1985. Les requérants ont été invités à présenter leurs observations en réponse dans un délai échéant le 25 octobre 1985. Ce délai a été prorogé jusqu'au 31 janvier 1986. Les requérants ont communiqué leurs observations le 28 janvier 1986. Le 17 juillet 1986, la Commission a décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement au cours d'une audience des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Elle a toutefois limité l'audience aux griefs relatifs au fonctionnement de la Cour de cassation et a demandé aux parties d'insister particulièrement sur les aspects de la requête concernant le rôle et les fonctions du ministère public près la Cour de cassation. Cette audience ainsi limitée a eu lieu le 9 décembre 1986 et les parties y étaient représentées comme suit : Pour le Gouvernement, Monsieur José Niset, Agent ; Me Gilbert Kirschen, du barreau de Bruxelles, en qualité de conseil, et Me Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, en qualité de conseil. Pour les requérants, Me C.S. Aronstein, du barreau de Bruxelles.
ARGUMENTATION DES PARTIES A titre préliminaire, le Gouvernement observe que les griefs des requérants visent bien plus la procédure en cassation en matière civile elle-même telle qu'elle est organisée par la loi que l'arrêt de la cour du 14 octobre 1982.
A. Quant à la recevabilité de la requête Selon le Gouvernement, la requête est recevable en la forme et quant au délai. Toutefois, il estime que la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en tant qu'elle invoque des moyens rejetés par la Commission puis la Cour statuant à l'unanimité dans l'affaire Delcourt (Cour. eur. D.H., arrêt du 17 janvier 1970, série A n° 11) et dont rien ne saurait justifier la remise en cause. En tant que la requête porte sur le défaut de motivation, elle doit également être déclarée irrecevable pour défaut de fondement (voir infra). Les requérants rétorquent que seuls trois des huit moyens de la requête ont déjà été examinés par la Cour dans l'arrêt Delcourt, que les faits et les procédures de l'affaire Delcourt sont très différents de la présente espèce et qu'il y a lieu de tenir compte du caractère évolutif, téléologique et progressiste de l'interprétation de la Convention. Ils estiment que les griefs relatifs au fonctionnement et à la procédure de la Cour de cassation ont un effet cumulatif augmentant la gravité de chacun des griefs.
B. Quant au bien-fondé de la requête
a) Quant au défaut de motivation Le Gouvernement estime que les griefs relatifs au défaut de motivation sont manifestement mal fondés dans la mesure où sous le couvert de l'invocation de la violation de l'article 6 de la Convention les requérants font valoir en réalité un prétendu mal jugé de la cour d'appel de Bruxelles d'abord et de la Cour de cassation ensuite, mal jugé que la Commission, ne constituant pas un quatrième degré de juridiction, n'est pas appelée à sanctionner. Les requérants rétorquent que le problème posé par la requête est tout autre et est de savoir si les exigences du procès équitable ont été méconnues par la série d'erreurs, omissions, déficiences ou silences dans la motivation des deux cours.
b) Impossibilité de répondre au mémoire en réponse du défendeur en cassation
1. Le Gouvernement --------------- Se référant à l'article 1094 du code judiciaire, le Gouvernement déclare que la partie adverse, les A.G.F., n'ayant opposé aucune fin de non-recevoir au pourvoi, le mémoire en réplique déposé par les requérants était irrecevable. Ce refus n'est pas contraire aux règles du procès équitable. A cet égard, le Gouvernement explique que le code judiciaire donne à la partie demanderesse toute latitude de faire valoir ses moyens dans la requête introductive (article 1080) et, le cas échéant, de compléter ladite requête dans un mémoire ampliatif, lequel ne peut invoquer de nouveaux moyens (art. 1087). Dans son mémoire en réponse, la partie défenderesse fait valoir les arguments qu'elle oppose à ses moyens (art. 1092). Le défendeur ne pourrait, par son mémoire en réponse, introduire un pourvoi incident et donc invoquer des moyens de cassation. Au cas où le défendeur invoquerait un moyen d'irrecevabilité, l'article 1094 précité autorise le demandeur à répliquer à ce moyen. Les moyens sont donc une fois pour toutes délimités par la requête. En matière civile, ni les parties, ni le ministère public, ni la Cour ne peuvent invoquer d'autres moyens en cours de procédure. Cette règle obligeant le demandeur en cassation à formuler en une fois la totalité de ses moyens tient à la nature du débat devant la Cour laquelle a uniquement pour tâche d'examiner la légalité de la décision attaquée. Les termes du débat devant la Cour ne sont pas de nature à évoluer. La décision est légale ou illégale au moment où elle est rendue et la situation est figée. Il y a lieu de remarquer qu'en matière civile, le demandeur en cassation est obligatoirement assisté d'un avocat à la Cour de cassation qui l'aidera à formuler, dès l'introduction de la procédure, ses moyens. Si, exception faite du cas où le défendeur oppose une fin de non recevoir au pourvoi (article 1094), l'on autorisait le demandeur à répliquer un mémoire en réponse, il y aurait lieu de permettre au défendeur de répondre à son tour au mémoire en réplique et ainsi de suite. La procédure pourrait de la sorte s'éterniser au préjudice de la célérité de la procédure et du respect du délai raisonnable. Il ne faut pas perdre de vue que si la procédure en cassation est écrite, l'article 1107 du code judiciaire permet aux parties qui en ont respecté les règles de faire développer oralement leurs moyens à l'audience par un avocat inscrit au tableau d'un barreau ou, sans plaider effectivement l'affaire, de déposer une note de plaidoirie. Le Gouvernement précise que le droit de plaider en vertu de l'article 1107 du code judiciaire n'est pas réservé par la loi aux avocats à la Cour de cassation mais s'étend aux avocats d'un autre barreau. Me Aronstein aurait dès lors eu la possibilité de plaider aux côtés de Me Dassesse. Rien n'empêchait donc l'avocat des requérants de rencontrer à l'occasion de l'audience les arguments soulevés par le défendeur en réponse à leur pourvoi, en prenant la parole à l'audience ou en déposant à l'audience ou devant celle-ci une note de plaidoirie. Il est par ailleurs inexact de soutenir que l'avocat des requérants devant la Cour de cassation aurait été empêché à l'audience de répliquer aux plaidoiries du défendeur. Le Gouvernement admet que ces plaidoiries sont rares, mais cette particularité tient, à la fois, à la nature de l'instance en cassation qui ne pose que des questions de droit et au caractère très complet des mémoires et notes éventuelles des parties. De ce qui précède, le Gouvernement en déduit que, tant dans son aspect écrit que dans son aspect oral, la procédure en cassation respecte parfaitement le droit de défense de chacune des parties et le principe de l'égalité des armes entre parties.
2. Les requérants -------------- Les requérants rétorquent qu'entre la faculté de répondre un nombre indéfini de fois au mémoire en réponse du défendeur et l'interdiction de toute réponse, il existe un moyen terme : le droit de répondre deux fois. Cette dernière solution concilierait les divers objectifs : ceux des droits de la défense et ceux de la célérité. En l'espèce, le dépôt d'un mémoire en réplique n'aurait causé aucun préjudice à la célérité de la procédure ni au respect du délai raisonnable. Quant à la faculté de prendre la parole lors de l'audience pour rencontrer les arguments soulevés par le défendeur en réponse au pourvoi, l'avocat des requérants explique que, suivant le conseil de Me Dassesse, il n'a pas assisté à l'audience de la Cour de cassation et que Me Dassesse lui-même n'a pas pris la parole. Il s'étonne par ailleurs du fait que les plaidoiries en réplique et en duplique soient autorisées. Ils exposent encore que la faculté de plaider est limitée et illusoire. Limitée puisque les avocats peuvent traiter des questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi et illusoire puisque dans la majorité des cas le conseiller rapporteur et l'avocat général, à la suite de contacts étroits, se sont mis d'accord sur un texte de projet d'arrêt dès avant l'audience. Il s'ensuit que ce que l'avocat peut plaider à l'audience n'a que fort rarement de l'influence réelle sur l'arrêt. Quant à la possibilité de déposer une note de plaidoirie avant l'audience, les requérants, qui posent plusieurs questions relatives à la distinction à faire entre mémoire et note, observent que cette note n'a aucun effet juridique et estiment que le fait que la Cour de cassation autorise le dépôt de pareille note démontre la nécessité d'un large dialogue devant la Cour de cassation. Le grand avantage d'avoir des notes et non pas des mémoires, c'est que d'après la doctrine belge, les juges ont l'obligation de répondre au mémoire et à leur contenu mais n'ont pas l'obligation de répondre à la note, qu'elle soit appelée note d'audience ou note de plaidoirie.
c) Prononcé de l'arrêt le jour même de l'audience
1. Le Gouvernement --------------- Le Gouvernement expose que la rapidité avec laquelle la Cour de cassation rend normalement ses arrêts n'est nullement la marque de ce qu'elle n'examinerait pas les arguments des parties ni les conclusions du ministère public. Si la Cour peut en principe délibérer après l'audience, c'est le résultat du caractère essentiellement écrit de la procédure et du travail préliminaire à l'audience effectué par chacun des conseillers qui étudient les mémoires des parties, le cas échéant, leurs notes d'audience, le rapport et le ou les projets d'arrêt du rapporteur. Les membres du siège peuvent donc suivre utilement les conclusions du ministère public et, s'il y en a, les éventuelles observations des parties. En outre, les questions soumises à la Cour de cassation ne posent dans la majorité des cas que peu de difficultés juridiques. Il en est ainsi des pourvois invoquant, comme en l'espèce, un défaut de motivation.
2. Les requérants -------------- Les requérants, après avoir rappelé que dans la majorité des cas tout est pratiquement joué en raison de l'accord existant entre le conseiller rapporteur et le magistrat du ministère public, remarquent qu'il est exceptionnel que suite aux arguments oraux des demandeurs en cassation, l'affaire soit remise à une audience pour procéder à un nouvel examen du litige. Les requérants en déduisent que la publicité devant la Cour de cassation est imparfaite.
d) Non communication avant l'audience de l'avis du ministère public aux parties et impossibilité de répondre oralement à cet avis
1. Le Gouvernement --------------- Le Gouvernement expose qu'en effet, l'avis du ministère public n'est en principe pas communiqué aux parties avant l'audience et qu'en application de l'article 1107 du code judiciaire, qui énonce que plus aucune note ne sera reçue après que le ministère public ait donné ses conclusions, les parties ne peuvent y répondre. Il n'est fait exception à cette règle que lorsque le ministère public estime devoir opposer d'office une fin de non-recevoir au pourvoi déduite de la méconnaissance d'une règle d'ordre public (article 1097 du code judiciaire). Le Gouvernement estime qu'on ne peut déduire de cette règle aucune violation des principes de la contradiction ou de l'oralité des débats ni des principes de l'égalité des armes ou de manière plus générale des droits de la défense du fait que ces principes s'appliquent aux parties en litige et que le ministère public à la Cour de cassation n'est ni en matière pénale - ce qui était le cas de l'affaire Delcourt - ni a fortiori en matière civile partie à la procédure en cassation. Le ministère public se borne en effet à donner, en toute indépendance, à la Cour un avis scientifique sur les questions de droit soulevées par le pourvoi. L'on ne saurait donc lui appliquer des règles qui concernent les rapports entre les parties. C'est pourquoi la Cour européenne a décidé dans son arrêt Delcourt du 17 janvier 1970 (par. 41) : "Si le parquet de cassation exprime son avis à l'issue de l'audience, sans le notifier préalablement aux parties, cela tient à la nature même de sa tâche... L'article 6 de la Convention n'exige pas, fût-ce par implication, qu'un accusé ait la faculté de répondre aux conclusions purement juridiques des magistrats indépendants, attachés à la Cour suprême de Belgique en qualité d'auxiliaires et de conseillers." Cette décision qui concerne la matière pénale s'applique a fortiori à la matière civile. Le Gouvernement observe encore que la communication au préalable de l'avis du ministère public n'existe au demeurant pas devant les juridictions de fond lorsque le ministère public est appelé à donner son avis dans une cause civile. Le même système prévaut devant la Cour de justice des communautés européennes ainsi que devant diverses autres juridictions européennes. Dans la mesure où les requérants soutiennent que cette situation serait aggravée par le fait qu'avant l'audience, l'avocat général confère fréquemment de l'affaire avec le conseiller rapporteur, le Gouvernement déclare qu'il est constant qu'avant l'audience le ministère public a des contacts avec le conseiller rapporteur. Ces contacts sont d'ailleurs dans une certaine mesure institutionnalisés, puisque le dossier transmis au parquet comporte le rapport et les notes du conseiller rapporteur ainsi que le projet d'arrêt. L'on ne saurait cependant déduire des discussions qui peuvent intervenir entre le rapporteur et l'avocat général que ces deux magistrats se mettraient d'accord dès avant l'audience sur la solution à adopter, ni a fortiori, que ces accords lieraient la cour de sorte qu'il y aurait préjugé puisque la cour, composée de cinq conseillers, statue à la majorité d'au moins trois conseillers. Dans la mesure où le ministère public n'est pas une partie à la cause, où il est totalement indépendant et du pouvoir politique et des parties et où son rôle est non seulement de donner un avis sur les problèmes de droit posés par le pourvoi, mais aussi d'attirer l'attention de la cour sur les risques de contradiction dans sa jurisprudence, l'on n'aperçoit pas en quoi ce colloque entre deux magistrats d'un statut différent mais qui sont neutres serait répréhensible. Au contraire, leur collaboration permet que la justice se dégage dans les meilleures conditions possibles.
2. Les requérants -------------- Selon les requérants, la faculté de contredire tout ce qui se dit ou qui s'écrit est un droit fondamental sans lequel il n'est point de bonne administration de la justice et donc point de procès équitable. Cette exigence de base s'applique, quelle que soit la qualité, le rôle, la qualification des interlocuteurs et des acteurs à la Cour de cassation. Ainsi, ce qui est important, ce n'est point que tel ou tel des interlocuteurs devant la Cour de cassation ait la qualité ou non de partie, ce qui est souhaitable et nécessaire, c'est que le dialogue entre tous les interlocuteurs puisse se nouer sans traitement préférentiel. La nature de la tâche du ministère public n'est pas en soi une raison suffisante pour soustraire le parquet de cassation aux débats ou pour le mettre à l'abri de la contradiction, quelles que soient les imminentes qualités du magistrat qui représente le ministère public. Il demeure un être humain, donc non infaillible. Il y a lieu de relever qu'il arrive que le ministère public soit une partie poursuivante (jugement des ministres, procès disciplinaire, répression des crimes et délits commis par certains magistrats).
e) Participation du ministère public au délibéré de la Cour de cassation
1. Le Gouvernement --------------- Le Gouvernement reconnaît que l'article 1109 du code judiciaire qui prévoit la participation sans voix délibérative du ministère public au délibéré de la Cour de cassation consacre une pratique inhabituelle tant en droit interne belge qu'en droit comparé. Cette pratique belge s'explique d'une part par le fait que le ministère public n'est pas partie à la cause, comme il ressort clairement de la disposition précitée, et d'autre part par le rôle limité du procureur général à la Cour de cassation qui se borne à donner à la Cour un avis indépendant sur les questions de droit posées par le pourvoi. En assistant au délibéré, le ministère public ne fait que continuer sa mission d'assistance juridique et de conseil en attirant éventuellement l'attention de la Cour sur les risques de divergence de jurisprudence entre les différentes chambres, non seulement sur la solution à donner à un problème mais aussi sur la motivation de cette solution. M. Hayoit de Termicourt avait déjà, lors des discussions relatives à la réforme judiciaire de 1967, insisté sur le fait que, lors du délibéré, le ministère public veillait essentiellement à ce que les motifs des arrêts de la Cour, qu'ils soient ou non conformes à ses conclusions, soient précis, exempts d'ambiguité et "à ce que ne puissent s'élever des controverses sur le sens exact et l'étendue d'une règle légale en raison de la discordance que présenteraient dans leurs motifs plusieurs arrêts l'énonçant" (Delcourt c/Belgique, rapport Comm. 1.10.68, par. 68, Cour. eur. D.H., série B, n° 9 p. 54 et p. 123). Ce rôle est d'autant plus impérieux aujourd'hui que les chambres sont divisées en sections linguistiques et que les magistrats du ministère public, qui sont de facto bilingues, sont les seuls magistrats qui siègent tant dans les affaires en langue française, que dans les affaires en langue néerlandaise. Le ministère public permet ainsi aux informations de circuler plus facilement entre l'ensemble des conseillers à la Cour qui ont moins de contacts entre eux. Cet échange d'informations est d'ailleurs organisé lors de réunions hebdomadaires ce qui a fait dire à M. le bâtonnier Faurès, à l'occasion de l'audience du 30 septembre 1969, que le parquet de la Cour de cassation jouait en fait le rôle d'un centre de documentation de la Cour. Dans son arrêt du 17 janvier 1970 dans l'affaire Delcourt, la Cour européenne, statuant à l'unanimité, a consacré cette analyse à raison de l'indépendance et de l'impartialité de droit et de fait du parquet général près la Cour de cassation. La solution de cet arrêt rendu à propos d'une procédure pénale s'impose a fortiori en matière civile. Comme le soulignait la Cour européenne (par. 33) personne n'a jamais pensé soutenir que le ministère public, dans une procédure civile, "se mue en adversaire d'un plaideur avec l'argumentation duquel ses conclusions ne concordent pas". En matière civile, il est en effet inconcevable que le justiciable puisse assimiler le ministère public à un adversaire ni même à une partie puisqu'il est étranger au litige. Il ne peut donc y avoir aucune apparence d'impartialité. Il en est d'autant plus ainsi qu'en matière civile les parties n'ont accès à la Cour de cassation qu'en faisant appel aux officiers ministériels spécialisés que sont les avocats à la Cour de cassation. Ceux-ci pourront lever un doute existant dans le chef du justiciable. Il y a encore lieu de remarquer que le système procédural attaqué par le requérant n'a jamais fait l'objet de la moindre critique ni de la part de la doctrine spécialisée, ni de la part de la jurisprudence, ni, enfin, de la part de l'opinion publique belge. Le ministère public a ainsi un rôle utile de conseil, sans qu'il puisse imposer sa position à la Cour qui reste, comme on l'a vu, maîtresse de ses arrêts. Nombre d'arrêts sont d'ailleurs rendus sur conclusions contraires ou partiellement contraires. Sans doute la majorité des décisions de la Cour sont-elles rendues sur conclusions conformes du ministère public, ce qui ne tient cependant nullement en un "accord" entre le ministère public et la Cour mais au fait que la majorité des conseillers composant le siège sont convaincus par la qualité de l'argumentation juridique défendue par le ministère public.
2. Les requérants -------------- Les requérants adoptent les observations présentées par Me Georges Aronstein, conseil du requérant dans l'affaire Delcourt (Cour eur. D.H., série B n° 9, pp. 24-32 et pp. 136-139) et font leurs les arguments développés par la minorité de la Commission dans ladite affaire, le vote ayant été pris à une majorité de 7 contre 6, ainsi que les arguments, relevés par la Cour européenne elle-même dans son arrêt (par. 30), arguments qui permettent de comprendre la manière de voir de M. Delcourt, à savoir principalement qu'il est parfois difficile, surtout pour un non-initié, d'établir la distinction entre parquet de cassation et celui des juridictions de fond. Les requérants remarquent que le ministère public près la Cour de cassation ne réunit pas les conditions d'indépendance et d'impartialité. Les membres du ministère public près la Cour de cassation sont nommés par l'exécutif et ne sont pas inamovibles. En outre, ils peuvent recevoir des instructions de la part du ministère de la justice, qui peut leur ordonner d'entamer des poursuites. En plus, les membres du ministère public ne sont pas à l'abri de pressions politiques. Les requérants précisent encore qu'ils ne suspectent pas l'impartialité du membre du ministère public ayant conclu dans leur affaire. Ils sont convaincus qu'aucune pression n'a été exercée sur ledit membre mais ils estiment qu'il faut voir le système dans son ensemble du fait qu'il y a des cas dans lesquels l'impartialité des membres du ministère public n'est pas nécessairement assurée à 100 % par les textes en vigueur.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent du défaut de motivation de l'arrêt de la cour d'appel et de la Cour de cassation. Ils estiment que les exigences du procès équitable ont été méconnues non seulement par la série d'erreurs, omissions ou de silences dans la motivation des deux cours mais également du fait que les arrêts en question sont moins longs. Ils invoquent l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont la première phrase est libellée comme suit : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle." La Commission rappelle la jurisprudence constante selon laquelle l'article 6 (art. 6) est applicable à la procédure de cassation (voir notamment Cour Eur. D.H., arrêt Delcourt précité, Série A n° 11, p. 15, par. 26 et arrêt Axen du 8 décembre 1983, Série A n° 72, p. 12, par. 27). La manière dont il s'y applique dépend toutefois des particularités de la procédure dont il s'agit (ibidem). Ainsi, il y a lieu de tenir compte du fait que le pourvoi des requérants avait une portée limitée en ce sens que seuls des points de droit et non de fait pouvaient être invoqués. Dans la mesure où les requérants se plaignent que les arrêts de la cour d'appel et de cassation rendus dans leur affaire ne sont pas motivés suffisamment, la Commission rappelle tout d'abord qu'elle n'est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention (N° 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 p. 31). Elle reconnaît que, dans certaines circonstances spécifiques, l'absence de motivation d'une décision peut mettre en jeu le droit à un procès équitable que garantit l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (déc. N° 8769/79, 16.7.1981, D.R. 25 p. 240). Toutefois, lorsqu'un tribunal expose ses motifs, il y a présomption que les exigences de l'article 6 (art. 6) soient respectées. Elle précise par ailleurs qu'il ne découle pas de cette disposition que les motifs exposés par une juridiction doivent traiter en particulier de tous les points que l'une des parties peut estimer fondamentaux pour son argumentation et qu'une partie n'a pas le droit absolu d'exiger du tribunal qu'il expose les motifs qu'il y a de rejeter chacun de ses arguments. Comme en ce qui concerne le droit garanti par l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, la juridiction interne conserve en la matière un certain pouvoir discrétionnaire (déc. N° 5460/72, 2.4.1973, Annuaire 16 p. 153). En l'espèce, la Commission constate que la Cour de cassation, après avoir examiné chacun des moyens des requérants tirés du défaut de motivation de l'arrêt de la cour d'appel et précisé que l'arrêt n'était pas tenu de répondre aux conclusions devenues sans pertinence, a estimé que la cour d'appel avait justifié légalement et motivé régulièrement sa décision. Elle constate également que les requérants n'ont pas démontré que la cour d'appel de Bruxelles ou la Cour de cassation, eu égard aux particularités de la procédure devant elle, avait méconnu un moyen de défense essentiel. Le seul fait que les arrêts critiqués sont moins longs et détaillés que les conclusions d'appel et le mémoire en cassation des requérants n'est pas suffisant pour renverser la présomption selon laquelle les exigences de l'article 6 (art. 6) sont remplies en l'espèce. Dans ces circonstances, l'examen de ce grief, tel qu'il a été soulevé, ne permet de déceler aucune apparence de violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Il ressort que le grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Les requérants se plaignent d'une violation du droit à un procès équitable du fait que la Cour de cassation a refusé d'avoir égard à leur mémoire en réplique daté du 28 décembre 1981. Ils prétendent que l'article 1094 du code judiciaire, qui limite l'objet du mémoire en réplique à la réponse au fin de non-recevoir au pourvoi, crée une inégalité au profit du défendeur, puisque celui-ci peut répondre par écrit au moyen du demandeur, alors que le contraire n'est pas vrai. Le Gouvernement considère que l'obligation de formuler en une fois la totalité de ces moyens, règle tenant à la lecture du débat devant la Cour, ne porte pas atteinte au principe de l'égalité des armes et, à cet égard, fait valoir principalement que le défendeur, dans son mémoire en réplique, doit se borner à combattre l'argumentation juridique que les demandeurs invoquent à l'appui de ces moyens et le fait que, lors de la phase orale, le demandeur peut développer son argumentation soit en déposant une note de plaidoirie, soit en prenant la parole. En plus, il est à craindre que le dépôt de mémoire en réplique porte atteinte à la célérité de la procédure, ce que contestent les requérants. La Commission relève que l'article 1094 du code judiciaire ne prévoit la faculté de déposer un mémoire en réplique qu'au cas où le défendeur en cassation a opposé une fin de non-recevoir au pourvoi. En l'espèce, le mémoire en réponse du défendeur se bornant à contester le fondement des moyens et ne comportant aucune fin de non-recevoir, la Cour de cassation a refusé d'avoir égard au mémoire en réplique des requérants. La Commission est d'avis que le droit à un procès équitable, droit qui inclut le principe de l'égalité des armes, ne s'oppose pas à ce que les Etats règlementent l'échange de mémoires. Elle rappelle par ailleurs qu'elle a à maintes reprises considéré que le droit à un procès équitable, tant dans une action civile que dans une action pénale, impliquait que toute partie à une telle action devait avoir une possibilité raisonnable d'exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantageaient pas d'une manière appréciable vis-à-vis de la partie adverse (voir notamment n° 2804/66, déc. 16.7.68, Annuaire 11 p. 381). Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu du fait que la Cour de cassation ne connaît que des questions de droit, la Commission estime que l'équité de la procédure n'a pas été mise en cause par le fait que les requérants n'ont pu répliquer au mémoire en réponse des A.G.F. En effet, ce dernier mémoire se bornait à discuter l'argumentation juridique des moyens invoqués par l'avocat des requérants dans le mémoire en cassation. En outre, lors des plaidoiries, Me Dassesse et Me Aronstein avaient la possibilité soit en prenant la parole, soit en déposant une note de plaidoirie, de développer les moyens invoqués dans la requête en cassation et ce faisant de répondre aux considérations juridiques figurant dans le mémoire en réponse du défendeur. Dans ces conditions, la Commission estime que les requérants ont eu la possibilité d'exposer leur argumentation d'une manière qui ne les désavantage pas par rapport à la partie adverse. L'examen du grief, tel qu'il a été soumis, ne permet donc de déceler aucun indice selon lequel il aurait été porté atteinte au droit au procès équitable des requérants, garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Il s'ensuit que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Les requérants se plaignent que lors de l'audience de la Cour de cassation, leur avocat n'a pas été autorisé à répondre oralement à l'avocat des A.G.F. Ils invoquent une violation du droit à un procès équitable et une méconnaissance des principes de l'oralité des débats et du contradictoire. Le Gouvernement, relevant que ni Me Dassesse ni Me Aronstein n'ont pris la parole lors de l'audience, soutient que l'avocat des requérants devant la Cour de cassation aurait pu répliquer, le cas échéant, aux plaidoiries du défendeur. Il admet que les plaidoiries devant la Cour de cassation sont rares mais cette particularité tient à la fois à la nature de l'instance en cassation qui ne pose que des questions de droit et au caractère très complet des mémoires et notes éventuelles des parties. Les requérants rétorquent que la faculté de plaider est limitée et illusoire. La Commission rappelle que les organes de la Convention se sont déjà prononcés à plusieurs reprises sur la question de l'absence de débat public devant une cour suprême ou une cour de cassation. Ainsi, elle a déjà admis qu'eu égard à la technicité des questions débattues devant les cours suprêmes et à la dépersonnalisation des éléments juridiques du litige qui leur sont soumis, l'absence de procédure orale devant de telles juridictions n'enfreignait pas l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (voir notamment N° 7211/75, Déc. du 6.10.76, D.R. 7 p. 104). La Cour européenne dans les affaires Axen (arrêt du 8 décembre 1983, série A n° 72 p. 13 par. 28) et Sutter (arrêt du 22 février 1984, série A n° 74 p. 13 par. 30) a considéré en substance que l'absence de débat public devant une instance de haut niveau ne connaissant que des questions de droit et intervenant après que la cause ait été entendue publiquement à un degré inférieur n'était pas contraire à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En l'espèce, toutefois, les requérants ne se plaignent pas de l'absence de débat public devant la Cour de cassation dont la procédure est en partie orale mais de l'impossibilité de répondre à la plaidoirie du défendeur. Dans la mesure où la législation belge prévoit une procédure orale devant la Cour de cassation, il est évident que cette procédure doit répondre aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En l'espèce, la Commission relève que ni l'avocat des requérants devant la Cour de cassation ni l'avocat du défendeur n'ont pris la parole devant la Cour de cassation mais se sont contentés de se référer à leurs mémoires respectifs. Il apparaît que les seules interventions au cours de l'audience furent celles du conseiller rapporteur et de l'avocat général Ballet. Il s'ensuit que les requérants sont mal fondés à se plaindre du fait que leur avocat n'a pu répondre à celui du défendeur. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Les requérants se plaignent que la Cour de cassation, ayant rendu son arrêt le jour même de l'audience, n'a pu avoir égard ni aux éventuels développements oraux par les parties devant la Cour ni aux conclusions orales du ministère public de cassation. Ils allèguent une violation du principe de l'oralité des débats et du contradictoire. L'audience apparaîtrait ainsi inutile. Le Gouvernement expose que la rapidité avec laquelle la Cour de cassation rend normalement ses arrêts est le résultat du caractère essentiellement écrit de la procédure et du travail préliminaire à l'audience effectué par chacun des conseillers à la Cour de cassation qui étudie les mémoires des parties, le cas échéant, leurs notes d'audience, le rapport et le ou les projets du Rapporteur. En outre, il relève que les questions soumises en l'espèce à la Cour de cassation ne posaient que peu de difficultés juridiques puisque les pourvois invoquaient un défaut de motivation. Eu égard au caractère essentiellement écrit de la procédure devant la Cour de cassation et tenant compte du fait que le pourvoi des requérants ne posait pas de questions juridiques difficiles, la Commission considère que le fait que la Cour de cassation, après avoir délibéré, ait rendu son arrêt le jour même de l'audience devant elle n'est pas suffisant en lui-même pour démontrer que les règles de l'article 6 (art. 6) ont été méconnues. Rappelant qu'elle a déjà considéré qu'il ne ressortait pas des faits, tels que soumis par les requérants, qu'un moyen de défense essentiel ait été méconnu par la Cour de cassation, la Commission ne constate aucune apparence de violation des principes de la contradiction, de l'oralité et de la publicité des débats dont l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect. En conséquence, la requête est, sur ce point également, manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
5. Les requérants se plaignent encore qu'ils n'ont pas eu connaissance avant l'audience des conclusions du ministère public de cassation et de l'impossibilité pour les parties lors de l'audience de prendre la parole après celui-ci. Ils estiment que cette situation est d'autant plus grave que dans la pratique le ministère public donne connaissance de son avis aux conseillers de la Cour et, à tout le moins, au conseiller rapporteur. Des contacts étroits se noueraient entre le conseiller rapporteur et le membre du ministère public, contacts à l'issue desquels ils se mettraient d'accord sur un texte de projet d'arrêt. Les requérants invoquent une méconnaissance des principes de l'égalité des armes, de la contradiction et de l'oralité des débats ainsi que de celui des droits de la défense. Le Gouvernement estime que les principes invoqués par les requérants ne s'appliquent pas au ministère public de cassation, non partie à la procédure en cassation, et se réfère à l'arrêt Delcourt dans lequel la Cour européenne a déclaré que l'article 6 (art. 6) de la Convention n'exigeait pas qu'un accusé ait la faculté de répondre aux conclusions purement juridiques d'un magistrat indépendant attaché à la Cour de cassation en qualité d'auxiliaire et de conseiller (arrêt précité, série A n° 11, p. 20, par. 41). Le Gouvernement admet que le ministère public a des contacts avec le conseiller rapporteur, toutefois ce colloque entre deux magistrats neutres n'est en rien répréhensible et, au contraire, aide la justice à se dégager dans les meilleures conditions possibles. Les requérants rétorquent que la nature de la tâche du ministère public n'est pas en soi une raison suffisante pour soustraire le parquet de cassation au débat. La Commission se concentrera sur les circonstances de la présente affaire et souligne, qu'à l'encontre de l'affaire Delcourt précitée, le parquet des juridictions de fond n'était pas partie en cause. Il s'agit d'un litige civil dans lequel la partie défenderesse était une compagnie d'assurances, à savoir les A.G.F. Les requérants pouvaient donc prétendre à une égalité de traitement par rapport à cette compagnie d'assurances. A cet égard, la Commission rappelle qu'elle vient de constater que les requérants avaient eu une possibilité raisonnable de défendre leurs intérêts dans des conditions qui ne les avaient pas désavantagés par rapport à la partie adverse. Elle constate qu'il n'est pas contesté que, dans la présente affaire, le ministère public près la Cour de cassation ne pouvait être considéré comme partie au procès devant celle-ci. Assistant la Cour de cassation dans sa mission qui est de contrôler la légalité des décisions attaquées, la tâche essentielle du ministère public près la Cour de cassation est de donner un avis sur les questions de droit qui sont soumises à la Cour. Ainsi, les conclusions du ministère public tendent à assister la Cour de cassation en supputant les solutions qui pourraient être envisagées. En l'occurrence, les conclusions du ministère public ne pouvaient contenir que des considérations juridiques dans lesquelles était discuté le fondement des moyens en droit invoqués par les requérants. Par ailleurs, la Commission relève qu'il est difficile d'établir la nature d'éventuelles concertations entre le membre du ministère public de cassation et le conseiller rapporteur près la Cour de cassation. Toutefois, il s'agit d'un échange de vues sur des questions juridiques délimitées par le pourvoi des requérants. A supposer même qu'il y ait accord entre les deux magistrats sur la solution à adopter, cet accord ne lierait pas la Cour puisque celle-ci, composée de cinq conseillers, statue à la majorité d'au moins trois conseillers. La Commission rappelle que la Cour européenne, dans l'affaire Delcourt (arrêt précité, série A n° 11, p. 20, par. 41), a considéré que l'article 6 (art. 6) de la Convention n'exigeait pas, fût-ce par implication, qu'un accusé ait la faculté de répondre aux conclusions purement juridiques d'un magistrat indépendant, attaché à la Cour suprême de Belgique en qualité d'auxiliaire et de conseiller. La présente affaire concernant un litige civil, la Commission estime a fortiori que cette considération s'applique au cas d'espèce. Dès lors, eu égard à la tâche du parquet de cassation, la Commission considère que le fait que les requérants n'ont pas eu l'occasion de répondre, ni par écrit ni oralement, aux conclusions du membre du ministère public et n'ont pas eu connaissance du contenu d'éventuelles concertations entre celui-ci et le conseiller rapporteur ne porte pas atteinte aux droits garantis par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que la requête, sous cet aspect, doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
6. Dans la même ligne d'idées, les requérants mettent en cause la participation du ministère public de la Cour de cassation au délibéré de celle-ci et estiment qu'il y a là atteinte au droit à un procès équitable et au principe d'égalité des armes contenu dans ce droit. Le Gouvernement expose que la pratique belge, consacrée par l'article 1109 du code judiciaire, s'explique, d'une part, par le fait que le ministère public de cassation n'est pas partie à la cause et, d'autre part, par le rôle limité de celui-ci qui se borne à donner un avis indépendant sur les questions de droit posées par le pourvoi. En matière civile, il est par ailleurs inconcevable que le justiciable, obligatoirement assisté par un avocat à la Cour de cassation, puisse assimiler le ministère public à un adversaire ni même à une partie puisqu'il est étranger au litige. Il ne peut donc y avoir aucune apparence de partialité. Les requérants se réfèrent pour l'essentiel aux arguments développés par la minorité de la Commission dans l'affaire Delcourt et aux arguments relevés par la Cour qui permettent de comprendre qu'il est parfois difficile, surtout pour un non initié, d'établir la distinction entre le parquet de cassation et celui des juridictions de fond. Sans mettre en cause l'impartialité personnelle de l'avocat général Ballet ayant conclu dans leur affaire, ils estiment que le ministère public près la Cour de cassation ne réunit pas les conditions d'indépendance et d'impartialité suffisantes et se réfèrent à l'adage "Justice must not only be done; it must also be seen to be done". Même en tenant compte de cet adage, cité dans l'arrêt Delcourt précité (série A n° 11, p. 17, par. 31) et auquel la Cour a fait allusion à l'occasion d'affaires posant un problème d'impartialité dans le chef de magistrats ayant participé en deux qualités distinctes à l'examen d'une même affaire pénale (voir notamment Cour eur. D.H., arrêt Piersack du 1er octobre 1982, série A N° 53, p. 15-16, par. 31 et arrêt De Cubber du 26 octobre 1984, série A N° 86, p. 14, par. 26), la Commission admet qu'il est difficilement concevable de soutenir que, dans une affaire civile, le justiciable puisse assimiler à un adversaire le ministère public de cassation dont les conclusions tendent au rejet de son pourvoi. En effet, en matière civile, la distinction entre parquet de cassation et celui des juridictions de fond est plus évidente qu'en matière pénale (à cet égard, voir arrêt Delcourt précité, série A n° 11, p. 16 par. 30) puisque, en principe, le ministère public des juridictions de fond est étranger au litige. Certes, dans des cas déterminés par la loi, il peut intervenir soit comme partie principale soit comme partie jointe. Toutefois, ces cas ne concernent pas la présente affaire. En outre, le ministère d'un avocat près la Cour de cassation étant obligatoire en matière civile, l'éventuel doute existant dans le chef du justiciable pourra être dissipé par cet avocat. La Commission se doit de relever qu'aucun doute ne surgissait dans le chef des requérants ni quant au statut de l'avocat général Ballet ni quant à son impartialité. Par ailleurs, quant au rôle du ministère public de cassation, la Commission relève qu'en participant sans voix délibérative au délibéré de la Cour de cassation, le ministère public ne fait que continuer sa mission d'assistance juridique et de conseil en attirant éventuellement l'attention de la Cour sur les risques de divergence de jurisprudence entre les chambres de la Cour, risques qui peuvent n'apparaître qu'au cours de délibéré. Le ministère public veille donc, pendant le délibéré, au maintien de l'unité de la jurisprudence. Dans ces conditions, eu égard au statut et au rôle d'organe judiciaire indépendant et impartial joué par le ministère public de cassation en matière civile, la Commission estime que le fait que l'avocat général Ballet a participé au délibéré de la Cour de cassation n'a pas placé les requérants dans une situation heurtant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et plus particulièrement le droit à un procès équitable. Il s'ensuit que ce grief doit également être rejeté pour défaut manifeste de fondement au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
7. Enfin, les requérants, faisant la somme des six griefs précédents, se plaignent que la procédure en cassation, vue dans son ensemble, méconnaît les droits fondamentaux de la défense. Ils estiment que la gravité de leurs griefs est cumulée du fait qu'ils s'interpénètrent les uns dans les autres. La Commission, ayant déclaré que chacun des six griefs précédents était mal fondé, estime qu'il y a également lieu de déclarer mal fondé le grief déduit de la somme de ceux-ci. En conséquence, le grief doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 10938/84
Date de la décision : 09/12/1986
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Non-violation de P1-1

Analyses

(Art. 12) SE MARIER, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE


Parties
Demandeurs : KAUFMAN
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1986-12-09;10938.84 ?

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