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27/11/1987 | CEDH | N°9976/82

CEDH | AFFAIRE BEN YAACOUB c. BELGIQUE


En l'affaire Ben Yaacoub*,
_______________ * Note du greffier: L'affaire porte le n° 8/1985/94/142. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. _______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règl

ement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: ...

En l'affaire Ben Yaacoub*,
_______________ * Note du greffier: L'affaire porte le n° 8/1985/94/142. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. _______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, MM. B. Walsh, R. Bernhardt, J. De Meyer,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 septembre et 23 novembre 1987,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 11 juillet 1985, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 9976/82) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant tunisien, M. Borhane Ben Yaacoub, avait saisi la Commission le 30 juin 1982 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration belge de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux obligations découlant de l'article 6 § 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 § 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné son représentant (article 30).
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. W. Ganshof van der Meersch, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 2 octobre 1985, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. G. Wiarda, Mme D. Bindschedler-Robert, M. F. Matscher, Sir Vincent Evans et M. B. Walsh, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).
Par la suite, M. J. De Meyer, nouveau juge élu de nationalité belge entré en fonctions le 21 février 1986, a succédé à M. Ganshof van der Meersch dont le mandat de membre de la Cour avait expiré le 20 janvier (articles 43 de la Convention et 2 § 3 du règlement) (art. 43). De leur côté, MM. J. Pinheiro Farinha et R. Bernhardt, suppléants, ont remplacé M. Wiarda, qui se trouvait dans le même cas, et Mme Bindschedler-Robert, empêchée (articles 2 § 3, 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement belge ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil de M. Ben Yaacoub au sujet de la nécessité de mémoires (article 37 § 1). Le 8 octobre 1985, il a décidé que lesdits agent et conseil auraient chacun jusqu'au 8 janvier 1986 pour en déposer un, puis le délégué deux mois pour y répondre.
Le président a toutefois suspendu la procédure écrite le 16 décembre 1985 à la demande du Gouvernement, lequel avait exprimé le souhait d'examiner avec l'intéressé la possibilité d'aboutir à un arrangement amiable.
5. La recherche d'une telle solution a donné lieu, du 16 décembre 1985 au 14 septembre 1987, à une série de lettres et d'entretiens entre le Gouvernement, l'avocat du requérant et le greffier.
Pour faciliter le déroulement des négociations, le président a octroyé au requérant, le 17 juin 1986, le bénéfice de l'assistance judiciaire (article 4 de l'addendum au règlement).
6. Le 14 septembre 1987, l'agent du Gouvernement a communiqué au greffier les termes d'un accord conclu avec le conseil de l'intéressé. Consulté, le délégué de la Commission a indiqué, le 24 septembre, qu'ils n'appelaient pas d'observations de sa part. Ultérieurement, M. Ben Yaacoub lui-même a entériné ledit accord; son avocat en a informé le greffier le 10 novembre.
7. Le 23 novembre, la Cour a décidé de se passer d'audiences en l'espèce, après avoir constaté la réunion des conditions à remplir pour déroger de la sorte à sa procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement).
EN FAIT
8. Le requérant, ressortissant tunisien né en 1955, résidait à Bruxelles à l'époque où il a saisi la Commission.
9. Le 5 février 1981, le juge d'instruction de Termonde décerna contre lui un mandat d'arrêt après l'avoir inculpé de plusieurs vols qualifiés.
La chambre du conseil du tribunal correctionnel de la même ville, composée d'un juge unique, M. De Neve, confirma le mandat le 7 avril 1981. Les 28 avril, 26 mai et 12 juin elle décida de prolonger la détention préventive; dans le dernier cas, elle statua sur les conclusions conformes du parquet mais contre l'avis du magistrat instructeur. Le 23 juin, elle ordonna le renvoi en jugement de l'intéressé - ainsi que de trois coïnculpés - devant le tribunal correctionnel (article 130 du code d'instruction criminelle). Sans doute les infractions reprochées à M. Ben Yaacoub relevaient-elles en principe de la compétence d'une cour d'assises (article 471 du code pénal), mais la chambre du conseil décida de les "correctionnaliser" en raison de l'existence d'une circonstance atténuante: l'absence de condamnations antérieures à des peines criminelles (article 2 de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes).
10. Le 20 juillet 1981 le tribunal correctionnel de Termonde, siégeant sous la présidence de M. De Neve, infligea au prévenu trois années d'emprisonnement pour vols avec violences ou menaces.
Le requérant recourut contre ce jugement, mais la cour d'appel de Gand le débouta le 12 novembre. Elle estima notamment que l'exercice successif, par M. De Neve, des fonctions de président de la chambre du conseil et de président du tribunal n'allait à l'encontre ni du droit belge ni de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention.
M. Ben Yaacoub introduisit alors un pourvoi que la Cour de cassation (2e chambre) rejeta le 19 janvier 1982. En ce qui concerne le moyen tiré de l'article 6 § 1 (art. 6-1), ainsi que "du principe général du droit de l'indépendance et de l'impartialité du juge", elle se fonda sur les motifs ci-après: "(...) aucune disposition légale n'interdit au juge qui a statué en chambre du conseil sur la détention préventive d'un inculpé et sur son renvoi au tribunal correctionnel, de participer ensuite, en qualité de président ou de membre de ce tribunal, au jugement de ce même prévenu; (...) il ne ressort pas des pièces de la procédure que les prévenus aient, avant le début des plaidoiries ou au cours de l'instruction de la cause faite devant le tribunal correctionnel, invoqué une cause de récusation contre le juge susvisé; (...) il ne peut être déduit des seules circonstances visées au moyen que le droit des demandeurs à une instruction équitable faite par un tribunal indépendant et impartial ait été méconnu (...)." (Pasicrisie belge, 1982, I, pp. 613-614)
11. Ayant fait l'objet d'un arrêté de renvoi de Belgique à la suite de ses démêlés judiciaires, le requérant vit actuellement à Genève.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
12. Devant la Commission, qu'il a saisie le 30 juin 1982, M. Ben Yaacoub se plaignait d'une atteinte à son droit à un examen de sa cause par un "tribunal impartial", au sens de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Elle résultait, selon lui, de ce qu'un seul et même magistrat, M. De Neve, avait d'abord statué, au sein de la chambre du conseil, sur son maintien en détention préventive et ordonné son renvoi en jugement puis présidé la juridiction qui l'a condamné en première instance.
13. La Commission a déclaré la requête (n° 9976/82) recevable le 4 mai 1983. Dans son rapport du 7 mai 1985 (article 31) (art. 31), elle conclut par six voix contre quatre à la violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt.
EN DROIT
14. Gouvernement et requérant ont abouti au règlement amiable suivant (paragraphe 6 ci-dessus): "(...)
1. Le Gouvernement belge s'engage à lever les effets de l'arrêté de renvoi pris à l'égard de M. Ben Yaacoub à dater du 30.8.1992.
2. Avant cette date, toute demande à l'appui d'un sauf-conduit lui permettant de se rendre en Belgique sera examinée, à condition qu'elle repose sur des raisons valables et soit dûment justifiée.
3. Le Gouvernement versera au requérant 100.000 francs [belges, FB] à titre de dédommagement accord.
4. Les frais et honoraires relatifs tant au pourvoi en cassation qu'à la procédure devant les organes de la Convention seront remboursés à concurrence de 200.000 [FB]. (...)."
Le Gouvernement invite la Cour, avec le consentement de M. Ben Yaacoub (paragraphe 6 ci-dessus), à entériner cet accord en vertu de l'article 48 § 2 du règlement, aux termes duquel "Lorsque la chambre reçoit communication d'un règlement amiable (...), elle peut, le cas échéant, après avoir consulté (...) les délégués de la Commission (...), rayer l'affaire du rôle."
Consulté, le délégué de la Commission n'a formulé aucune objection (paragraphe 6 ci-dessus).
15. La Cour donne acte au Gouvernement et au requérant du règlement amiable auquel ils ont abouti et que le second d'entre eux juge conforme à ses intérêts. Elle pourrait néanmoins, eu égard aux responsabilités lui incombant aux termes de l'article 19 (art. 19) de la Convention, décider de poursuivre la procédure si un motif d'ordre public lui paraissait l'exiger (article 48 § 4 du règlement).
Il y a lieu de constater, à ce sujet, que la Cour de cassation de Belgique a récemment opéré un revirement de jurisprudence par rapport à sa décision du 19 janvier 1982 en l'espèce (paragraphe 10 ci-dessus). Statuant sur les conclusions conformes du ministère public qui se référait à deux arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme (Piersack, 1er octobre 1982, et De Cubber, 26 octobre 1984, série A n° 53 et 86), elle s'est exprimée le 29 mai 1985 dans les termes suivants: "(...) le tribunal correctionnel, dont la décision est partiellement confirmée par l'arrêt [de la cour d'appel de Liège], était composé notamment du président Michaëlis, qui avait connu précédemment de la cause en présidant la chambre du conseil qui a ordonné le renvoi du défendeur à la juridiction du jugement; (...) cette circonstance pouvait susciter dans l'esprit du défendeur, prévenu, un doute légitime quant à l'aptitude du tribunal correctionnel, ainsi composé, à juger la cause de manière impartiale; (...) il s'ensuit que le jugement est entaché de nullité; (...) en rejetant le moyen proposé par le demandeur" - le procureur général près la cour d'appel - "et déduit de l'incompatibilité des fonctions de président de la chambre du conseil ayant statué sur le règlement de la procédure et de celles de membre du tribunal correctionnel dans la même affaire, la cour d'appel s'est approprié cette nullité; (...) le moyen [tiré de la violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention] est [donc] fondé (...)." (Claude et Kirschenbilder, Pasicrisie belge, 1985, I, p. 1228; voir aussi, aux pp. 1221-1224, les conclusions de l'avocat général Piret dans une affaire Vidal)
Plusieurs arrêts ultérieurs vont dans le même sens (11 septembre 1985, Paquet, Pasicrisie belge, 1986, I, p. 23; 2 octobre 1985, Delhausse, ibidem, 1986, I, p. 93; 27 mai 1986, Weckx et consorts, ibidem, 1986, I, p. 1163).
Partant, le problème que soulevait la requête apparaît désormais dépassé en Belgique.
16. La Cour estime, dès lors, qu'il échet de rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
Décide de rayer l'affaire du rôle.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 27 novembre en application de l'article 54 § 2, second alinéa, du règlement.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 9976/82
Date de la décision : 27/11/1987
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Radiation du rôle (règlement amiable)

Analyses

(Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : BEN YAACOUB
Défendeurs : BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1987-11-27;9976.82 ?

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