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07/12/1987 | CEDH | N°11285/84

CEDH | CLAES contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11285/84 présentée par Anna CLAES contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 7 décembre 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS

G. BATLINER Mme G.H. THUNE Sir Ba...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11285/84 présentée par Anna CLAES contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 7 décembre 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 26 mars 1984 par Anna CLAES contre la Belgique et enregistrée le 3 décembre 1984 sous le No de dossier 11285/84 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause tels qu'ils ont été présentés par la requérante peuvent se résumer comme suit. La requérante, de nationalité belge, née en 1937, était lors de l'introduction de sa requête domiciliée à Bree. Devant la Commission, elle est représentée par J. Haagdorens, représentant syndical. Le 7 juillet 1978, la requérante, avec l'accord de son employeur, quitta volontairement l'emploi de piqueuse qu'elle occupait à Heusden depuis 1966 du fait que, ayant déménagé de Heusden à Bree où elle et son mari avaient fait construire une maison, son emploi devait être déclaré "non convenable" du fait que sa poursuite entraînait une absence journalière du foyer de plus de 13 heures (art. 42 et 47 de l'arrêté ministériel du 4 juin 1964 relatif au chômage). En attendant de retrouver un autre travail, la requérante demanda son admission au bénéfice des allocations de chômage. Par décision du 5 octobre 1978, le directeur régional de l'Office national de l'emploi de Hasselt décida d'exclure la requérante du bénéfice des allocations de chômage durant une période de 13 semaines en application de l'article 134 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 relatif à l'emploi et au chômage. Cette disposition limite le droit du travailleur aux allocations de chômage au cas notamment d'abandon de travail sans motif légitime. Contre cette décision, la requérante introduisit une action devant le tribunal de travail de l'arrondissement de Tongres. Elle soutint que la sanction n'était pas justifiée au motif que suite à son déménagement, la poursuite de son travail l'aurait obligée à s'absenter du foyer pendant plus de 13 heures. Cette circonstance, selon elle, l'autorisait à quitter le travail en application de l'article 47 de l'arrêté ministériel du 4 juin 1964 lequel stipule que l'emploi peut être déclaré non convenable lorsque le départ du lieu de résidence ou le retour à celui-ci doit s'effectuer dans les conditions et à des heures qui soulèvent de sérieuses objections. Par décision du 29 mai 1979, le tribunal annula la décision du directeur régional du fait que l'absence du foyer s'élevait à plus de 13 heures et que dès lors l'intéressée pouvait quitter ce travail en application de l'article 47 précité. L'Office national de l'emploi ayant interjeté appel de cette décision, la requérante déposa devant la cour d'appel d'Anvers des conclusions dans lesquelles elle invoqua le droit au libre choix du domicile. Par arrêt du 13 janvier 1983, la cour d'appel d'Anvers confirma la décision administrative du 5 octobre 1978 et ainsi exclut la requérante du droit aux allocations de chômage pendant une période de 13 semaines du chef d'abandon de travail sans motif légitime. Dans son arrêt, la Cour, constatant que la requérante avait abandonné son travail parce qu'elle était allée habiter dans une autre commune où elle avait construit une maison, considéra qu'elle devait être considérée comme chômeuse volontaire et que l'allocation de chômage n'était pas destinée à financer une réorganisation de la vie privée. Elle ajouta que l'argument de la requérante selon lequel elle n'avait fait qu'exercer son droit au libre choix de son domicile n'était pas pertinent vu qu'il ne s'ensuivait nullement que suite à son déménagement, la requérante avait droit à une rente. La requérante se pourvut en cassation et se plaignit du fait que la cour d'appel, en constatant que la requérante avait abandonné son travail pour déménager et en considérant que les allocations de chômage n'étaient pas destinées à financer la réorganisation de la vie privée, avait basé sa décision sur des critères étrangers à ceux de l'emploi convenable, établi par les articles 34 à 62 bis de l'arrêté ministériel du 4 juin 1964. Par arrêt du 30 janvier 1984, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif que lors de l'appréciation de la légitimité d'un motif d'abandon de travail, le juge pouvait tenir compte d'autres éléments que les critères de l'emploi convenable, lorsque le litige à trancher tombait, comme en l'espèce, hors du champ d'application de ces critères. Le 23 mars 1986, la requérante est décédée.
GRIEFS
1. La requérante se plaint d'une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et elle soutient qu'il ne peut y avoir vie familiale si les conditions de travail des époux sont telles qu'en raison de l'absence prolongée du domicile, ils deviennent étrangers l'un à l'autre et ne peuvent veiller aux membres de la famille. L'ingérence de l'Etat dans leur vie privée et familiale n'est pas prévue par la loi puisque celle-ci au contraire prévoit qu'un travail n'est plus convenable lorsqu'il entraîne une absence du foyer de plus de 13 heures. A l'appui de ce grief, la requérante invoque également l'article 12 de la Convention du fait que celui-ci ne garantit pas seulement le droit de se marier et de fonder une famille mais également la poursuite de ce droit. Invoquant encore l'article 14 de la Convention, elle estime qu'il y a un manque de proportionnalité du fait que la famille est mise sous une pression injustifiée, d'un côté en ce qui concerne la possibilité de vivre comme époux et, de l'autre de veiller aux autres membres de la famille.
2. La requérante, invoquant l'article 2 du Protocole N° 4, se plaint encore d'une violation du droit de choisir librement sa résidence en ce que le changement de domicile n'est pas considéré comme un motif légitime pour quitter son emploi, même lorsque l'absence quotidienne du foyer dépasse 13 heures. Elle invoque également une violation combinée de ce droit avec l'article 14 de la Convention du fait que le droit au libre choix de sa résidence ne peut être limité par des motifs non légitimes.
3. La requérante se plaint enfin d'une violation de l'article 1er du Protocole additionnel du fait que pendant trois mois elle n'a pas perçu les allocations familiales auxquelles elle avait prétendument droit. Invoquant l'article 14, elle se plaint qu'il a été porté atteinte à son droit de propriété d'une façon disproportionnée.
EN DROIT A titre préliminaire, la Commission observe que la requérante est décédée le 23 mars 1986 et que, par lettre du 22 août 1986, le représentant de la requérante a informé la Commission du fait que le mari de la requérante et ses deux enfants mineurs nés respectivement en 1976 et 1977, en qualité d'héritiers de la requérante, désiraient poursuivre la procédure introduite par la requérante devant la Commission . La Commission estime cependant que la question de savoir si la nature particulière des griefs de la requérante permet ou non de considérer ceux-ci comme transmissibles (Kofler c/Italie, rapport Comm. 9.10.82, par. 16, D.R. 30 p. 13) peut rester ouverte étant donné qu'en tout état de cause, les griefs peuvent être rejetés pour d'autres motifs.
1. La requérante paraît se plaindre tout d'abord que l'exclusion du bénéfice des allocations de chômage durant treize semaines constitue une atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale du fait que la poursuite du travail qu'elle effectuait à Heusden et qu'elle a abandonné suite à son déménagement ne lui aurait pas permis de mener une vie familiale normale. Elle se plaint également d'une violation de son droit au libre choix de sa résidence. A l'appui de ces griefs, elle invoque les articles 8, 12 (art. 8, 12) et 14 (art. 14) de la Convention ainsi que l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2). Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par la requérante révèlent l'apparence d'une violation de ces dispositions. En effet, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que la requérante a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore que les griefs formulés devant la Commission aient été soulevés, au moins en substance, pendant la procédure en question. En l'espèce la requérante n'a soulevé ni formellement ni même en substance devant la Cour de cassation les griefs déduits principalement de la violation des articles 8 (art. 8) de la Convention et 2 du Protocole N° 4 (P4-2). Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. La requérante se plaint également d'une atteinte au respect de ses biens du fait que pendant treize semaines elle n'a pas bénéficié d'allocations de chômage. Elle invoque l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1), lequel reconnaît à toute personne le droit au respect de ses biens, ainsi que l'article 14 (art. 14) de la Convention. L'article 1 du Protocole additionnel (P1-1) est ainsi libellé : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." Bien que la requérante n'ait pas formulé expressément devant la Cour de cassation le grief qu'elle déduit de la violation de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1) pris isolément et lu en combinaison avec l'article 14 (art. 14) de la Convention, il y a lieu de considérer que ce grief a été soumis en substance aux autorités de recours et dès lors qu'il y a épuisement des voies de recours internes quant à l'aspect de la requête examiné. Quant à l'application de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1), la Commission a déjà eu l'occasion de dire que le droit aux allocations de chômage, en soi, ne saurait être considéré comme un droit de propriété pouvant être qualifié de "bien" au motif que personne ne possédait une part identifiable et exigible du capital commun (cf. N° 10503/83, Kleine Staarman c/Pays-Bas, déc. 16.5.85, D.R. 42 p. 162). Toutefois, lorsque comme en Belgique, l'organisme chargé d'octroyer des allocations de chômage est partiellement financé par l'Office national de sécurité sociale auquel le requérant a versé des cotisations en tant que travailleur, il peut se poser la question de savoir si les allocations de chômage ne pourraient être considérées comme un "bien" au sens de l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1). A supposer que le versement de cotisations à l'Office national de sécurité sociale, ait donné ouverture à un droit protégé par l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1), à savoir le droit de bénéficier d'allocations de chômage, encore faut-il pour qu'un tel droit prenne naissance que l'intéressé ait rempli les conditions fixées par la législation nationale pour avoir droit auxdites allocations (N° 7459/76, déc. 5.10.77, D.R. 11 p. 114). Or, la requérante a été exclue du bénéfice d'allocations de chômage en application de l'article 134 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 lequel permet de limiter le droit aux allocations de chômage lorsqu'il y a, comme en l'espèce, abandon du travail sans motif légitime. Il n'apparaît donc pas que l'exclusion de la requérante pendant treize semaines du bénéfice des allocations de chômage constitue une privation d'un "bien" au sens de l'article 1er du Protocole N° 1 (P1-1). Par ailleurs, dans la mesure où la requérante invoque l'article 14 (art. 14) de la Convention combiné avec l'article 1er du Protocole additionnel, la Commission estime que la sanction infligée à la requérante n'est ni arbitraire ni disproportionnée. A ce dernier égard, elle remarque qu'une exclusion plus longue aurait pu être décidée. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11285/84
Date de la décision : 07/12/1987
Type d'affaire : Decision
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : CLAES
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1987-12-07;11285.84 ?

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