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02/05/1988 | CEDH | N°11794/85

CEDH | A.-J. contre la France


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11794/85 présentée par A.-J. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 2 mai 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G

.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11794/85 présentée par A.-J. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 2 mai 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 23 septembre 1985 par A.-J. contre la France et enregistrée le 4 octobre 1985 sous le No de dossier 11794/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant, ressortissant français né en 1930, est retraité et réside à C. Il est représenté devant la Commission par Me Michel Petit-Perrin, avocat au barreau de Paris. En 1981 une vérification comptable, effectuée par C., inspecteur des finances à la Caisse d'épargne de S., a relevé diverses anomalies portant sur la comptabilité et la gestion de cet établissement. Sur la base du rapport de l'inspecteur des finances, le requérant, alors directeur général de la Caisse d'épargne de S., a été inculpé d'escroqueries et d'abus de confiance. Le 1er février 1983 le juge d'instruction du tribunal de grande instance de V. a rendu une ordonnance de renvoi du requérant devant le tribunal correctionnel de V. Il a en outre ordonné le maintien du requérant sous contrôle judiciaire. Le requérant s'est plaint de certaines irrégularités dans la notification de cette dernière ordonnance devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de V. Le 22 février 1983 la chambre d'accusation a confirmé l'ordonnance de maintien sous contrôle judiciaire. Le 7 avril 1983 le requérant a porté plainte contre l'inspecteur des finances C., ainsi que contre le juge d'instruction du tribunal de grande instance de V. et le substitut du procureur de la République près ce même tribunal. Le 4 mai 1983 la Cour de cassation, saisie d'une demande de désignation de la chambre qui aurait dû instruire la plainte contre les magistrats, a estimé qu'il n'y avait pas lieu de suivre l'information, les actes reprochés en l'espèce aux magistrats ne pouvant être constitutifs d'un crime ou d'un délit. Le procès devant le tribunal correctionnel de V. concernant les accusations portées contre le requérant a été ouvert le 9 mai 1983. Au début de l'audience le procureur de la République a lu en public l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1983 concernant les plaintes du requérant à l'encontre des magistrats. Par ailleurs, le requérant a demandé au tribunal que certains des 76 témoins qu'il avait fait citer et qui ne s'étaient pas présentés, soient amenés à l'audience par la force publique. Le tribunal a joint cet incident au fond. Le 15 juin 1983 le tribunal correctionnel a rendu son jugement. Il a estimé que "l'information à laquelle il (avait) été procédé, d'une part, l'instruction qui (avait) été faite à l'audience, au cours de laquelle 51 témoins ont été entendus, d'autre part, (avaient) permis aux parties d'apporter au tribunal tous les éclaircissements qui leur ont paru nécessaires, d'instaurer un débat contradictoire au cours duquel les droits de la défense (avaient) été respectés" et que dans ces conditions il n'y avait pas lieu d'ordonner la réouverture des débats. Le tribunal a reconnu le requérant coupable d'abus de confiance et de complicité d'escroqueries et l'a condamné à 8 mois d'emprisonnement et 100.000 F d'amende. Le requérant a en outre été condamné à payer 50.000 F de dommages-intérêts à la Caisse d'épargne de S. Le 20 décembre 1983 la cour d'appel de V. a confirmé ce jugement "en toutes ses dispositions". Le pourvoi en cassation formé par le requérant contre l'arrêt de la cour d'appel a été rejeté par la Cour de cassation le 25 mai 1985. Par ailleurs l'instruction concernant la plainte portée par le requérant contre l'inspecteur des finances C. a été poursuivie comme suit. Le 16 mai 1984 la Cour de cassation a rejeté une demande de renvoi déposée par le requérant devant une juridiction autre que le juge d'instruction de V. Le 5 juillet 1985 le juge d'instruction de V. a rendu une ordonnance de refus partiel d'informer, confirmée le 2 décembre 1986 par la chambre d'accusation de la cour d'appel. Le 3 novembre 1987 la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel. Par ailleurs, le requérant, licencié depuis le 28 septembre 1983, a saisi le conseil des prud'hommes d'une demande d'indemnité. Dans le cadre de cette procédure il a obtenu à titre provisionnel, par décision du bureau de conciliation du 14 mai 1984, la somme de 100.000 F. Le 30 octobre 1984 la cour d'appel de V. statuant sur appel de la Caisse d'épargne de S. a infirmé la décision du conseil de conciliation et débouté le requérant. Le 8 octobre 1987 la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation formé par le requérant contre cet arrêt.
GRIEFS
1. Le requérant allègue d'abord que sa cause n'a pas été entendue par des tribunaux impartiaux. Il fait valoir que le tribunal correctionnel et la cour d'appel de V., ainsi que la Cour de cassation, ont toujours rendu des décisions qui lui étaient défavorables et conclut à l'existence de préjugés à son encontre. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
2. Le requérant se plaint en outre du fait que les témoins qu'il avait fait citer n'ont pas été amenés à l'audience par la force publique et n'ont pas été entendus par le tribunal correctionnel. Il ajoute que les témoins à charge ont été entendus par le tribunal correctionnel pendant onze heures, alors que les témoins de la défense n'ont été interrogés que pendant trois heures. Il invoque l'article 6 par. 3 d) de la Convention.
3. Le requérant se plaint enfin de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable, les juridictions françaises ayant méconnu diverses dispositions du droit interne, tant en statuant sur le bien-fondé des accusations dirigées contre lui que dans le cadre de l'instruction des plaintes qu'il a portées contre l'inspecteur des finances C. et le litige qui l'opposait à la Caisse d'épargne de Saint-Germain-en-Laye.
EN DROIT
1. Le requérant allègue d'abord que les juridictions saisies de son affaire n'ont pas été impartiales. Il en infère une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui garantit à toute personne le droit à "un tribunal indépendant et impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle". Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que le requérant a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple les décisions sur la recevabilité des requêtes no 263/57, Annuaire 1, pp. 146, 147 ; no 6861/75, déc. 14.7.75, D.R. 3 p. 147 ; nos 5573/72 et 5670/72, déc. 16.7.76, D.R. 7 p. 8). En l'espèce le requérant n'a pas soulevé ni explicitement ni même en substance devant les juridictions internes le grief de la prétendue partialité des juges appelés à statuer sur son affaire, alors qu'il lui était loisible de le faire sur la base des dispositions de la Convention ou du droit interne. Elle relève en particulier que le requérant n'a aucunement fait usage de la possibilité de récuser les juges dont il contestait l'impartialité alors que cette possibilité est expressément prévue par les articles 668 et s. du code de procédure pénale. Il s'ensuit que par rapport à tous ces griefs le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. Le requérant se plaint en outre du fait que les témoins qu'il avait fait citer n'ont pas été tous entendus par les juridictions saisies de son affaire. Il soutient en outre que le tribunal correctionnel de Versailles a consacré onze heures à l'audition des témoins à charge, alors que les témoins à décharge n'ont été interrogés que pendant trois heures. Le requérant invoque l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention qui stipule : "Tout accusé a droit notamment à : ... d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge..." La Commission constate qu'ainsi qu'il ressort du jugement du tribunal correctionnel, cette juridiction a interrogé 51 témoins et a estimé que les parties ont pu apporter, durant l'information et l'instruction faite à l'audience, tous les éclaircissements qui leur ont paru nécessaires. La Commission observe en outre que le requérant n'a pas indiqué en quoi les témoins qui n'ont pas été entendus auraient pu contribuer à la manifestation de la vérité et que leur non-audition a conduit dès lors le tribunal correctionnel à prendre une décision arbitraire. Par ailleurs, pour autant que le requérant se plaint de la durée de l'audition des témoins à décharge par le tribunal correctionnel, la Commission estime que l'expression "dans les mêmes conditions" ne peut pas être interprétée comme imposant à une juridiction de consacrer à l'audition des témoins à décharge un temps égal à celui consacré à l'audition des témoins à charge. La Commission relève également que le requérant n'a pas montré que le temps consacré à l'audition des témoins à décharge aurait été insuffisant et, partant, susceptible d'avoir entraîné une méconnaissance des droits de la défense de la part du tribunal correctionnel. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint en outre de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable. Il précise que les juridictions françaises ont méconnu plusieurs dispositions de droit interne, tant dans le cadre de la procédure pénale concernant les accusations dirigées contre lui, que dans le cadre des procédures concernant le litige qui l'opposait à la Caisse d'épargne de Saint-Germain-en-Laye et sa plainte contre l'inspecteur des finances C. Pour autant que ce grief concerne la procédure afférente à la plainte pénale dirigée contre l'inspecteur des finances, la Commission rappelle que parmi les droits garantis par la Convention ne figure, comme tel, aucun droit d'accès à un tribunal en vue de provoquer des poursuites pénales contre des tiers (cf. p. ex. No 7116/75, déc. 4.10.76, D.R. 7 p. 91). Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Pour autant que le requérant conteste le caractère équitable de la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation et de celle relative au litige qui l'opposait à la Caisse d'épargne, et à supposer même qu'un tel grief ait été soulevé, pour le moins en substance, devant les juridictions internes, la Commission rappelle qu'elle a pour seule tâche, conformément à l'article 19 (art. 19) de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties Contractantes. En particulier, elle n'est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. La Commission se réfère sur ce point à sa jurisprudence constante (cf. par exemple no 458/59, déc. 29.3.60, Annuaire 3 pp. 223, 237 ; no 5258/71, déc. 8.2.73, Recueil 43 pp. 71, 77 ; no 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 pp. 31, 61). Tel n'a pas été le cas en l'espèce. En effet, l'examen de ces griefs n'a permis de déceler aucune apparence de violation de la Convention et en particulier de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) garantissant à toute personne contre laquelle une accusation pénale est dirigée ou dont les droits et obligations civils sont contestés, le droit à un procès équitable. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Violation de l'Art. 5-3 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : A.-J.
Défendeurs : la France

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 02/05/1988
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11794/85
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-05-02;11794.85 ?

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