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06/05/1988 | CEDH | N°11801/85

CEDH | KRUSLIN contre la France


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11801/85 présentée par Jean KRUSLIN contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 6 mai 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL A. WEITZEL J.C. SOYER H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENB

ERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11801/85 présentée par Jean KRUSLIN contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 6 mai 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL A. WEITZEL J.C. SOYER H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 16 octobre 1985 par Jean KRUSLIN contre la France et enregistrée le 17 octobre 1985 sous le No de dossier 11801/85 ; Vu le rapport du 23 janvier 1987 (article 40 du Règlement intérieur de la Commission) ; Vu les observations du Gouvernement défendeur sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête en date du 15 juin 1987 ; Vu les observations en réponse du requérant en date du 14 août 1987 ; Vu le rapport du 10 novembre 1987 (article 40 du Règlement intérieur de la Commission) ; Vu l'audience sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête du 6 mai 1988 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant est un ressortissant français né en 1943 à Soccia (Corse), sans profession ni domicile fixe. Il se trouve en détention au centre pénitentiaire de Perpignan. Le requérant est représenté devant la Commission par Me Philippe Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation à Paris. Le requérant a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Haute Garonne, par arrêt du 16 avril 1985 rendu par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse, pour avoir tenté avec des complices de soustraire frauduleusement du numéraire et des bijoux, d'avoir été porteur d'armes apparentes et de s'être rendu complice du crime d'homicide volontaire. Par ailleurs il était mis en accusation pour avoir frauduleusement soustrait différentes sommes au préjudice du Crédit Agricole. Il ressort de l'examen des pièces de la procédure que la ligne téléphonique d'un dénommé T. a été mise sur écoute en exécution d'une commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction de Saint- Gaudens dans le cadre d'une information ouverte contre X. au sujet d'un autre homicide volontaire. En raison de son intérêt, un enregistrement réalisé en vertu de cette commission rogatoire a été transcrit par des officiers de police judiciaire commis rogatoirement par le magistrat instructeur de Toulouse, dans le cadre d'une information elle aussi ouverte contre X. Cet enregistrement comportait des propos tenus par le requérant, qui était hébergé provisoirement chez T. et avait utilisé la ligne téléphonique de ce dernier. La transcription de la conversation enregistrée a constitué un élément déterminant dans la procédure dirigée à l'encontre du requérant. Les termes des propos enregistrés furent portés à la connaissance du requérant, lequel a été amené à s'en expliquer tant au cours de l'enquête sur commission rogatoire qu'à la suite de son inculpation. Dans son mémoire, déposé devant la chambre d'accusation de la cour d'appel, le requérant soutenait notamment que les écoutes téléphoniques avaient été ordonnées par le juge d'instruction de Saint-Gaudens dans le cadre d'une autre procédure et qu'en conséquence les enregistrements lui étant opposés devaient être annulés. Dans l'arrêt précité du 16 avril 1985 la cour d'appel déclare : "... si ces écoutes téléphoniques ont été ordonnées par le Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Saint- Gaudens dans une autre procédure, il demeure que ni l'article 11 ni les articles R 155 et R 156 du code de procédure pénale n'interdisent aux juges de décider que soient annexés à une procédure pénale les éléments d'une autre procédure dont la production peut être de nature à les éclairer et à contribuer à la manifestation de la vérité, la seule condition exigée étant, ce qui est bien le cas en l'espèce, qu'une telle jonction ait un caractère contradictoire et que les pièces communiquées aient été soumises à la discussion des parties et qu'en conséquence ce moyen ne saurait être admis." Le requérant s'est pourvu en cassation à l'encontre de cet arrêt. Il a soutenu en particulier que l'article 8 de la Convention était violé à son détriment. Selon lui l'arrêt attaqué encourait la cassation en ce qu'il refusait de prononcer la nullité des écoutes téléphoniques provenant d'une autre procédure, "alors que l'ingérence des autorités publiques dans la vie privée et familiale, le domicile et la correspondance d'une personne ne constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la prévention des infractions pénales que si elle est prévue par une loi, qui doit remplir la double condition suivante : être d'une qualité telle qu'elle use de termes clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à opérer pareille atteinte, secrète et virtuellement dangereuse, au droit au respect de la vie privée et de la correspondance, et définir l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir avec une netteté suffisante pour fournir à l'individu une protection adéquate contre l'arbitraire ; qu'aucune disposition de la loi française - et en particulier l'article 81 du code de procédure pénale - ne répond à ces conditions." La Cour de cassation rejeta le pourvoi en considérant au contraire dans son arrêt du 23 juillet 1985 : "... que l'examen des pièces de la procédure révèle qu'a été annexée à l'information, alors suivie par le juge d'instruction de Toulouse contre X... du chef d'homicide volontaire en raison de la mort de H. P., la transcription du contenu d'une bande magnétique supportant l'enregistrement de conversations tenues lors de communications passant par la ligne téléphonique dont le nommé T. est attributaire ; que cet enregistrement avait été réalisé en exécution d'une commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction de SAINT-GAUDENS dans le cadre d'une information, ouverte aussi contre X..., au sujet d'un autre homicide volontaire ; que c'est en raison de son intérêt pour l'information relative à la mort de P. que cette transcription a été effectuée par des officiers de police judiciaire, commis rogatoirement par le magistrat instructeur de TOULOUSE ; Que les termes des propos enregistrés ont été portés à la connaissance des divers intéressés, notamment de Kruslin, lequel a été amené à s'en expliquer, tant au cours de l'enquête sur commission rogatoire qu'à la suite de son inculpation ; qu'en outre une expertise portant sur la bande enregistrée, jointe ensuite à la procédure, a été pratiquée sur décision régulière du juge d'instruction ; Attendu qu'en cet état, en refusant de prononcer l'annulation des écoutes téléphoniques provenant d'une autre procédure, la Chambre d'accusation n'a pas encouru le grief énoncé au moyen ; Qu'en effet, en premier lieu, aucune disposition de la loi n'interdit d'annexer à une procédure pénale les éléments d'une autre procédure dont la production peut être de nature à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de la vérité ; que la seule condition exigée est qu'une telle jonction ait un caractère contradictoire, ce qui est le cas en l'espèce où les documents sont soumis à la discussion des parties ; Qu'en second lieu, il résulte des articles 81 et 151 du code de procédure pénale et des principes généraux de la procédure pénale que notamment, d'une part, des écoutes téléphoniques ne peuvent être ordonnées par un juge d'instruction, par voie de commission rogatoire, que sur présomption d'une infraction déterminée ayant entraîné l'ouverture de l'information dont le magistrat est saisi et que ces mesures ne sauraient viser, de façon éventuelle, toute une catégorie d'infractions ; que, d'autre part, les écoutes ordonnées doivent être réalisées sous le contrôle du juge d'instruction, sans que soit mis en oeuvre aucun artifice ou stratagème et sans qu'elles puissent avoir pour résultat de compromettre les conditions d'exercice des droits de la défense ; Que ces dispositions auxquelles est soumis le recours par le juge d'instruction aux écoutes téléphoniques et auxquelles il n'est pas établi qu'il ait été en l'espèce dérogé, répondent aux exigences résultant de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales".
GRIEFS Le requérant se plaint de l'interception de la conversation téléphonique qu'il a eue en utilisant la ligne surveillée de T. A son avis, aucune disposition de la loi française - et en particulier l'article 81 du code de procédure pénale - n'autorise la puissance publique à opérer des écoutes téléphoniques. Il invoque l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 16 octobre 1985. Elle a été enregistrée le 17 octobre 1985. Le 2 mars 1987 la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 15 juin 1987. Invité à répondre aux observations du Gouvernement, le requérant a présenté ses propres observations le 14 août 1987. Le 9 décembre 1987 la Commission a décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le 6 mai 1988 la Commission a tenu une audience sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. A l'audience les parties étaient représentées comme suit : - Pour le Gouvernement : M. J.C. Chouvet, Sous-directeur des Droits de l'Homme à la Direction des Affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, Agent du Gouvernement M. F. Le Gunehec, Magistrat à la Direction des Affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice, conseil Mme I. Chaussade, Magistrat, détachée à la Direction des Affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, conseil - Pour le requérant : Me Ph. Waquet, avocat au barreau de Paris Me Cl. Waquet, avocat au barreau de Paris
ARGUMENTATION DES PARTIES A. Législation pertinente Les parties se réfèrent toutes deux aux dispositions suivantes du code de procédure pénale et du code pénal français. Code de procédure pénale Article 81 "Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il est établi une copie de ces actes ainsi que de toutes les pièces de la procédure : chaque copie est certifiée conforme par le greffier ou l'officier de police judiciaire commis mentionné à l'alinéa 4. Toutes les pièces du dossier sont cotées et inventoriées par le greffier au fur et à mesure de leur rédaction ou de leur réception par le juge d'instruction. Toutefois, si les copies peuvent être établies à l'aide de procédés photographiques ou similaires, elles sont exécutées à l'occasion de la transmission du dossier. Il en est alors établi autant d'exemplaires qu'il est nécessaire à l'administration de la justice. Le greffier certifie la conformité du dossier reproduit avec le dossier original. Si le dessaisissement momentané a pour cause l'exercice d'une voie de recours, l'établissement des copies doit être effectué immédiatement pour qu'en aucun cas ne soit retardée la mise en état de l'affaire prévue à l'article 194. Si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d'information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152. Le juge d'instruction doit vérifier les éléments d'information ainsi recueillis (...)." Article 151 "Le juge d'instruction peut requérir par commission rogatoire tout juge de son tribunal, tout "juge d'instance" du ressort de ce tribunal, tout officier de police judiciaire compétent dans ce ressort ou tout juge d'instruction, de procéder aux actes d'information qu'il estime nécessaires dans les lieux soumis à la juridiction de chacun d'eux. La commission rogatoire indique la nature de l'infraction, objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la délivre et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes d'instruction se rattachant directement à la répression de l'infraction visée aux poursuites (...)." Article 152 "Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour l'exécution exercent, dans les limites de la commission rogatoire, tous les pouvoirs du juge d'instruction. Toutefois, les officiers de police judiciaire ne peuvent procéder aux interrogatoires et aux confrontations de l'inculpé. Ils ne peuvent procéder aux auditions de la partie civile qu'à la demande de celle-ci." Code pénal Article 368 "Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 2 000 à 50 000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque aura volontairement porté atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1. En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen d'un appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par une personne, sans le consentement de celle-ci ; 2. En fixant ou transmettant, au moyen d'un appareil quelconque, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement de celle-ci." B. Le Gouvernement Le Gouvernement soutient qu'en France, l'interception de communications téléphoniques par écoute téléphonique, ordonnée par un magistrat instructeur dans le cadre d'une instruction ouverte devant lui, est prévue par les articles 81 et 151 du code de procédure pénale et réglementée par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Celle-ci a admis la licéité des écoutes téléphoniques ordonnées dans le cadre d'une information par un juge d'instruction lorsque "l'opération (...) a été accomplie par délégation du juge d'instruction et sous le contrôle de ce magistrat sans qu'aucun artifice ou stratagème ait été mis en oeuvre" et "lorsqu'aucun élément ne permet d'établir que le procédé ainsi employé ait eu pour résultat de compromettre les conditions d'exercice des droits de la défense" (Cour de cassation, arrêt Tournet du 9 octobre 1980). Les écoutes qui ne rempliraient pas ces conditions seraient annulées (Cour de cassation, arrêt Imbert du 12 juin 1952). En l'espèce, la Cour de cassation, dans son arrêt du 23 juillet 1985, a effectivement vérifié que la loi et les principes fixés par sa jurisprudence en cette matière ont bien été respectés. Le Gouvernement précise en outre que les textes réglementant les écoutes téléphoniques judiciaires sont publics et suffisamment accessibles : les articles 81 et 151 figurent dans le code de procédure pénale, la jurisprudence de la chambre criminelle a été publiée dans le "Bulletin" de la chambre criminelle de la Cour de cassation et a été amplement commentée par la doctrine dans les principales revues juridiques françaises. Enfin, le Gouvernement rappelle que l'utilisation des écoutes téléphoniques fait l'objet d'un système de surveillance adapté qui vient ainsi délimiter les pouvoirs des autorités judiciaires en ce domaine. Les écoutes téléphoniques ont lieu en application d'une commission rogatoire et se déroulent sous le contrôle du juge d'instruction. Celui-ci adresse une réquisition aux services des P. et T. L'Instruction sur le service téléphonique de 1958 dispose que "les chefs du bureau central et les receveurs ou gérants sont tenus de déférer à toute réquisition du juge d'instruction ayant pour objet l'écoute de communications originaires ou à destination d'un poste téléphonique déterminé". Le juge d'instruction peut décider à tout moment de mettre fin aux écoutes. La commission rogatoire ordonnant de telles écoutes est versée au dossier de l'instruction ainsi que les procès-verbaux d'écoutes effectuées. La défense a donc accès à ces pièces lors de la consultation du dossier de l'instruction et peut demander, en cas d'irrégularité, l'annulation des actes. La Cour de cassation contrôle la conformité de ces commissions rogatoires à la loi et aux principes fixés par sa jurisprudence. Quant à l'interdiction d'enregistrer les paroles prononcées dans un lieu privé par une personne sans le consentement de celle-ci, prévue par l'article 368 du code pénal, le Gouvernement souligne, en se référant aux travaux préparatoires de la loi du 17 juillet 1970 introduisant cette disposition dans le code pénal et à un arrêt de la cour d'appel de Colmar du 9 mars 1984 (arrêt Chalvignac et autres), que cette disposition ne s'applique pas au juge d'instruction agissant légalement dans l'exercice de ses fonctions. Enfin, le Gouvernement soutient que l'existence d'une législation autorisant l'interception de communications téléphoniques dans le cadre d'une information a pour but d'aider les autorités judiciaires à s'acquitter de leurs tâches et est dès lors "nécessaire dans une société démocratique" à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention. Le Gouvernement conclut que l'ingérence en question est justifiée aux termes du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la Convention. C. Le requérant Les arguments du requérant peuvent se résumer comme suit : Une ingérence dans l'exercice du droit garanti par l'article 8 (art. 8) doit en premier lieu "être prévue par la loi" ; or, ni l'article 81 ni l'article 151 du code de procédure pénale ne constituent la "loi" susceptible de permettre une telle ingérence. Ces textes ne mentionnent aucunement les écoutes téléphoniques. L'article 81 du code de procédure pénale a pour unique propos de permettre au juge d'instruction de poursuivre l'information conformément à la loi. Ce texte ne peut donc être considéré comme la loi autorisant les écoutes téléphoniques. Quant à l'article 151 du même code, il n'autorise le juge qu'à déléguer une partie de ses pouvoirs par commission rogatoire ; il ne lui permet pas de déléguer un pouvoir qu'il n'a pas. Le requérant souligne encore que les écoutes téléphoniques sont interdites par l'article 368 du code pénal. Les termes généraux des dispositions des articles 81 et 151 du code de procédure pénale ne sauraient constituer une dérogation à cette interdiction. Par ailleurs, le requérant soutient que les articles 81 et 151 du code de procédure pénale ne présentent pas les qualités de clarté et précision requises par le paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la Convention. Enfin, le requérant soutient que le régime général des écoutes téléphoniques n'est pas une mesure nécessaire dans une société démocratique. Une mesure de procédure pénale reste à l'intérieur de ce qui est nécessaire dans une société démocratique à la condition qu'elle assortisse l'ingérence qu'elle autorise des garanties des droits de la défense. Or, s'agissant des écoutes téléphoniques, aucune garantie n'est prévue. En résumé, aucune des conditions prévues par l'article 8 par. 2 (art. 8-2) n'a, selon le requérant, été respectée.
EN DROIT Le requérant allègue que l'interception de la conversation téléphonique qu'il a eue en utilisant la ligne placée sur écoute de T. constitue une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance. Il invoque l'article 8 (art. 8) de la Convention, qui stipule : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." La Commission rappelle d'abord que selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme les conversations téléphoniques se trouvent comprises dans les notions de "vie privée" et de "correspondance", au sens de l'article 8 (art. 8) (Cour eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28 p. 21 par. 40). L'interception de conversations téléphoniques s'analyse, dès lors, en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1) (Cour eur. D.H., arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82 p. 30 par. 64). Il n'est pas contesté, en l'espèce, que l'interception et l'enregistrement de la conversation téléphonique qui a été à l'origine des poursuites pénales exercées contre le requérant constituent une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée ou de sa correspondance. Le Gouvernement défendeur soutient, toutefois, que cette mesure était "prévue par la loi" et "nécessaire dans une société démocratique", notamment à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales et que, dès lors, cette ingérence était justifiée aux termes du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2). Le requérant soutient que les dispositions sur la base desquelles les écoutes ont été effectuées, à savoir les articles 81 et 151 du code de procédure pénale, ne peuvent être considérées comme prévoyant la mesure en question. La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, à la lumière notamment des arrêts précités de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elle estime que des questions importantes se posent au regard du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2), notamment la question de savoir si les normes juridiques nationales qui constituent la base légale de la mesure en question, telles qu'elles ont été interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation, peuvent être considérées, d'une part, comme "suffisamment accessibles et énoncées avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite" (Cour eur. D.H., arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30 p. 31 par. 49) et, d'autre part, comme offrant "des garanties adéquates et suffisantes contre les abus" (Cour eur. D.H., arrêt Klass et autres précité, p. 23 par. 50). La Commission estime que, vu l'importance et la complexité des questions soulevées, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée et que, dès lors, elle doit être déclarée recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tout moyen de fond étant réservé. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 11801/85
Date de la décision : 06/05/1988
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Violation de l'Art. 5-3 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : KRUSLIN
Défendeurs : la France

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-05-06;11801.85 ?

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