La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/07/1988 | CEDH | N°11744/85

CEDH | GOBRECHT Heinrich contre l'AUTRICHE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11744/85 présentée par Heinrich GOBRECHT contre l'Autriche __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 6 juillet 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN E. BUSUTTIL A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F

. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDD...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11744/85 présentée par Heinrich GOBRECHT contre l'Autriche __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 6 juillet 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN E. BUSUTTIL A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 (art. 25) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 22 avril 1985 par Heinrich GOBRECHT contre l'Autriche et enregistrée le 5 septembre 1985 sous le No de dossier 11744/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations du Gouvernement défendeur sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête en date du 15 juin 1987 et les observations en réponse du requérant en date du 27 août 1987 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : Le requérant, ressortissant allemand et autrichien, né en 1909 à Brême, ancien professeur à l'université technique de Berlin, est domicilié à Ratzesberg (Autriche). Le requérant, qui habitait à Berlin depuis 1948 et désirant passer sa retraite à la campagne, a acheté en 1969 dans la province de Haute-Autriche un terrain avec une ferme qui menaçait ruine. En 1972 le requérant a acquis la nationalité autrichienne. Dans les années 1970/71 la ferme a été partiellement démolie et reconstruite. Les travaux d'installation d'eau et de gaz ont été effectués par l'entreprise G.S. Comme les travaux n'ont pas été terminés et que l'installation ne fonctionnait pas de manière satisfaisante, le requérant a résilié le 12 octobre 1971 le contrat et n'a pas payé le restant de la facture (28 %). Le 24 septembre 1974 G.S. a intenté une action contre le requérant en paiement de 108.247 Schillings, réduit par la suite à 105.747 Shillings. Le 14 octobre 1974, le requérant et son épouse ont intenté une action devant le tribunal régional de Linz contre G.S. en paiement de 280.000 Schillings. Cette somme a été ultérieurement augmentée à 330.932 Schillings. A l'audience du 18 février 1975 le juge (S.) a décidé de joindre les deux affaires, le requérant devenant demandeur, G.S. défendeur. Il a ordonné d'apporter certaines preuves. Enfin, il a désigné un expert (M.) pour examiner les installations de chauffage, d'eau et de gaz. Les 20 mai, 6 août et 20 août 1975, les installations litigieuses ont été examinées en présence des parties et de l'expert. Le 25 septembre 1975, l'expert a établi son premier rapport. Sur demande du requérant l'expert a établi le 8 janvier 1976 un deuxième rapport complémentaire. Le 28 janvier 1976 le tribunal a fixé l'audience au 17 mai 1976. Sur demande du requérant celle-ci a été reportée d'abord au 10 juin et ensuite le 4 octobre 1976. Entre-temps le juge S. a été dessaisi et par la suite chargé à nouveau de l'affaire. A l'audience du 4 octobre 1976 le défendeur, à savoir G.S., a modifié sa demande. Certaines preuves ont été examinées. Il a été donné lecture des deux rapports d'expert et le juge a ordonné l'interrogatoire d'un certain nombre de témoins. A l'audience du 11 janvier 1977 huit témoins ont été interrogés. Le 2 mars 1977, l'expert a examiné les installations de chauffage dans la maison du requérant. A l'audience du 29 mars 1977 le requérant a modifié sa demande. Le tribunal a examiné une série de preuves produites par les parties. Le requérant a demandé de nouvelles expertises. Le tribunal a décidé de charger deux experts en matière de construction (B.) et de menuiserie (F.) d'établir un rapport. Le 18 août 1977, les trois experts ont examiné en présence des parties les installations litigieuses. Le 22 septembre 1977, l'expert B. a établi son premier rapport. L'expert F. a établi son premier rapport le 12 octobre 1977. Le 16 janvier 1978, l'expert M. a établi son troisième rapport. Le 18 janvier 1978, le tribunal a convoqué les parties pour le 20 avril 1978. L'audience a été ultérieurement reportée sur demande du requérant au 22 mai 1978. Le 30 mars 1978 le requérant a demandé un complément des expertises effectuées. Lors de l'audience du 22 mai 1978 un nouveau juge (O.) a présidé. Le requérant a déclaré qu'aucun acte de récusation ne serait formulé contre l'expert M. Il a en outre demandé de présenter un mémoire complémentaire. Le mémoire a été reçu par le tribunal le 19 juin 1978. Le 31 août 1978, les experts M. et F. ont examiné les installations litigieuses. Le 18 septembre 1978, l'expert M. a établi un quatrième rapport, complété le 20 septembre 1978. Le 18 décembre 1978, l'expert F. a établi son deuxième rapport. Le 17 janvier 1979, le tribunal a convoqué les parties pour le 2 février 1979 dans la maison du requérant. Ce jour, le juge et les trois experts ont examiné les installations en présence des parties. Le cinquième rapport de l'expert M. est déposé le 18 avril 1979. Le deuxième rapport de l'expert B. est daté du 24 avril 1979. A l'audience du 8 mai 1979 les experts B. et M. ont été interrogés en présence des parties. Le requérant a demandé la non attribution complète des honoraires à l'expert M. L'affaire a été considérée comme affaire à traiter pendant les vacances judiciaires. Aux audiences des 13 et 14 août 1979 les parties ont été interrogées. L'expert M. a établi son sixième rapport le 27 août 1979. Le tribunal régional a rendu son jugement le 11 juillet 1980. Il a condamné le défendeur à payer au requérant 225.185 Schillings de dommages-intérêts et 200.599 Schillings de frais de procédure. Le 27 août 1980, les parties ont formé appel. La cour d'appel de Linz, donnant suite aux appels, a décidé le 16 décembre 1980 d'annuler le jugement et de renvoyer l'affaire au tribunal de première instance. Contre cette décision le défendeur a formé un recours, le 25 février 1981, que la Cour suprême a rejeté le 28 avril 1981. Le 27 juillet 1981 le tribunal régional décida de tenir une audience le 19 novembre 1981. Au cours de l'audience les parties ont été autorisées à soumettre par écrit des observations et moyens de preuve. Le requérant a présenté ses observations les 17 et 24 décembre 1981. Il a entre autres demandé de relever l'expert M. de ses fonctions. L'audience a été reprise le 19 janvier 1982. Les parties ont été autorisées à soumettre par écrit de nouvelles observations. Les parties se sont déclarées d'accord que le tribunal continue à consulter l'expert M. A l'audience du 31 mars 1982 les parties et deux témoins ont été interrogés en présence de l'expert M. Celui-ci a été chargé de réexaminer les installations le 2 avril 1982 et d'établir un complément à ses rapports. Par lettres des 30 avril et 6 mai 1982 le représentant du requérant a demandé au tribunal de ne pas fixer d'audience avant le 1er juin 1982. Le 30 août 1982 l'expert M. a présenté un complément de son rapport. Le 22 septembre 1982 l'audience a été fixée au 2 décembre 1982. A l'audience du 2 décembre 1982 les parties ont pu interroger l'expert sur ses conclusions. La partie défenderesse a demandé un complément du rapport. Le 19 janvier 1983, l'audience a eu lieu dans la maison du requérant. Elle a été consacrée à l'interrogatoire d'un témoin et à l'examen des installations en présence de l'expert. Les parties ont demandé de convoquer ultérieurement un autre témoin. Elles ont été d'avis cependant qu'à part l'interrogatoire final des parties, elles n'auraient vraisemblablement plus d'autres suggestions concernant l'administration des preuves. Le 20 mars 1983, le requérant a formé un recours hiérarchique se plaignant de la longueur de la procédure. Le Président du tribunal régional a rejeté le recours en informant le requérant que les organes de l'administration judiciaire ne pouvaient intervenir qu'en cas de retards, qu'un tel retard ne pouvait pas être constaté, la dernière audience datant du 19 janvier et la suivante ayant été prévue pour le 8 avril, et qu'un changement de juges ne pouvait pas toujours être évité. Le Président a ajouté que le juge O. ayant été nommé à une cour d'appel, c'était son successeur (H.) qui traiterait l'affaire et qu'il dépendait exclusivement des parties elles-mêmes si en raison de ce changement les preuves administrées pouvaient être utilisées ou si la procédure devait être répétée. En conséquence, il n'y aurait plus d'obstacle à ce que la procédure soit terminée rapidement si les autres parties se déclaraient d'accord qu'il fût donné lecture des résultats des preuves jusqu'alors administrées. A l'audience du 8 avril 1983 (nouveau juge : H.) le défendeur a refusé qu'il soit donné lecture des dépositions des témoins faites antérieurement. Il a été donc nécessaire de recommencer les débats conformément à l'article 412 du Code civil. Considérant que les avis de l'expert M. ne constituaient pas une base suffisante pour la décision, le juge a estimé qu'il était nécessaire de nommer un nouvel expert en matière d'installations sanitaires et de chauffage. Le 27 avril 1983, le nouvel expert a été désigné (P.), auquel le tribunal a communiqué le dossier de l'affaire. Le 27 juillet 1983, l'expert a examiné les installations litigieuses en présence des parties. Il a procédé à de nouveaux examens les 20 octobre 1983 et 11 janvier 1984, en présence du requérant. L'avis de l'expert est daté du 28 août 1984. Entre-temps, le tribunal avait réclamé la restitution du dossier. Le 11 septembre 1984 le tribunal a ordonné au défendeur de désigner un nouvel avocat, celui qui le représentait jusqu'alors ayant renoncé à l'exercice de son mandat depuis le 30 juillet 1983. Le défendeur a communiqué le nom de son nouveau représentant le 2 novembre 1984. Le 6 novembre 1984 le tribunal a demandé au requérant de produire certains documents. Ceux-ci ont été reçus par le tribunal le 28 novembre 1984. Une audience a été par la suite fixée pour le 20 décembre 1984, reportée sur demande du requérant au 21 février 1985. Le 21 février 1985 la dernière audience a eu lieu en présence des parties et de l'expert. Il a été donné lecture de l'avis de l'expert. A cette audience les parties ont conclu une transaction aux termes de laquelle le défendeur s'engageait à verser au requérant la somme de 105.000 Schillings et les parties ont convenu de mettre fin à cette procédure.
GRIEFS Le requérant se plaint de la longueur de la procédure. Il allègue une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. L'expert principal (M.) a établi entre septembre 1975 et août 1979 six rapports qui seraient en partie erronés et contradictoires. Ce n'est qu'après huit ans de procédure que le troisième juge qui s'est occupé de l'affaire, a remplacé cet expert, alors âgé de 80 ans. Comme à l'audience du 21 février 1985 ce juge aurait laissé entendre que le procès pourrait encore durer cinq ans, le requérant s'est déclaré d'accord pour conclure une transaction. Entre-temps, le requérant et son épouse étaient âgés de 75 et 70 ans respectivement. Comme les deux premiers juges ont enjoint au requérant de ne pas modifier les installations litigieuses, la maison était pratiquement inhabitable. Le requérant estime que l'affaire n'est pas complexe et que le délai raisonnable visé à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) a été dépassé.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 22 avril 1985. Elle a été enregistrée le 5 septembre 1985. Le 2 mars 1987 la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 15 juin 1987. Invité à répondre aux observations du Gouvernement le requérant a communiqué ses propres observations le 27 août 1987.
ARGUMENTATION DES PARTIES A. Le Gouvernement 1. Sur la question de savoir si, vu la transaction conclue entre les parties le requérant peut se prétendre victime d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le Gouvernement se réfère à l'avis de la Commission dans l'affaire Preikhzas (No. 6504/74, Rapport de la Commission du 13 décembre 1978, D.R. 16 p. 5 par. 86, 87). Selon cet avis, d'après l'arrangement conclu à l'amiable, un requérant ne peut plus formuler, au regard de l'article 6 par. 1 de la Convention, aucun grief auquel il pourrait être satisfait en donnant suite à la requête qu'il a adressée à la Commission. Toutefois, le Gouvernement estime que compte tenu du préjudice matériel et immatériel subi par le requérant, on ne peut pas conclure qu'en l'espèce, après la conclusion de la transaction, le requérant ne peut plus se prétendre victime d'une violation. Le Gouvernement estime que le requérant a toujours un intérêt légitime à ce que les organes de la Convention se prononcent sur la question de savoir s'il y a eu à son détriment violation de ses droits et libertés garantis par la Convention. 2. Sur le bien-fondé de la requête, le Gouvernement estime que la durée relativement longue de la procédure est due aux facteurs suivants : a) la complexité de l'affaire qui à cause des multiples questions techniques qu'elle soulevait a nécessité plusieurs expertises, et b) le comportement du requérant qui a, durant la procédure, produit 25 actes écrits, mis à part l'action introductive de l'instance et l'appel. Le Gouvernement soutient en outre qu'à plusieurs reprises les audiences ont dû être reportées à une date ultérieure, d'une part, du fait que le requérant était dans certains cas hospitalisé ou était soumis à un traitement post-opératoire, d'autre part, du fait qu'il résidait pour la plupart du temps en République fédérale d'Allemagne et que les audiences et inspections des lieux ne pouvaient être fixées et effectuées que pendant les séjours de celui-ci en Autriche. Par ailleurs, le Gouvernement estime que le requérant, lui-même technicien, a mis en doute un grand nombre des déclarations contenues dans les rapports d'expertise ou modifié les questions sur lesquelles les experts devraient se prononcer, ce qui a inévitablement causé des retards dans la procédure. Le Gouvernement a enfin soutenu que le comportement du défendeur a également contribué à la prolongation du procès, du fait que son représentant a renoncé à l'exercice de son mandat et que dès lors la procédure a dû être suspendue depuis le 30 juillet 1983 et n'a repris que le 2 novembre 1984. Le requérant, qui selon le paragraphe 2 de l'article 160 du code de procédure civile avait la possibilité de demander au tribunal d'ordonner à la partie adverse de constituer dans un délai déterminé un nouvel avocat, n'a déposé une demande en ce sens que le 10 septembre 1984. Par ailleurs, le défendeur, lors du changement des juges, le 8 avril 1983, ne s'est pas déclaré d'accord avec la lecture des dépositions des témoins recueillies antérieurement, ce qui a entraîné des retards du déroulement de la procédure. 3. Le Gouvernement estime que le comportement des juridictions saisies de l'affaire n'a pas été à l'origine d'un retard quelconque. Pour autant que le requérant soutient que l'expert M. était incompétent et a produit des rapports d'expertise erronés, le Gouvernement soutient que le requérant n'a formulé une demande visant à faire relever cet expert de ses fonctions que le 17 décembre 1981, c'est-à-dire presque sept ans après la première désignation de l'expert, et que cette demande a été retirée par la suite (le 19 janvier 1982), les deux parties s'étant expressément déclarées d'accord à ce que ce même expert soit à nouveau consulté. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que l'expert était le seul inscrit sur la liste des experts en la matière auprès de la cour d'appel de Linz, était d'une grande compétence et jouissait d'une grande expérience. Enfin, les délais dans lesquels cet expert a établi chacun de ses rapports n'ont pas dépassé les six mois. Le Gouvernement estime par ailleurs que le seul retard à imputer au compte des juridictions saisies de l'affaire est le laps de temps qui s'est écoulé entre la clôture des débats en première instance le 14 août 1979 et le jugement du tribunal régional de Linz rendu le 11 juillet 1980. De l'avis du Gouvernement, ce retard aurait pu être réduit si le requérant avait exercé un recours hiérarchique. Conclusion Le Gouvernement conclut que compte tenu de la complexité de l'affaire et du comportement des parties le délai de la procédure en cause n'a pas été déraisonnable. Il demande de déclarer la requête manifestement mal fondée. B. Le requérant 1. Sur la question de savoir si, vu la transaction conclue entre les parties, le requérant peut se prétendre victime d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le requérant précise d'abord qu'il n'a accepté la transaction que parce que lors de l'audience du 21 février 1985 le juge (H.) a déclaré que le procès pouvait encore durer 5 ou 6 ans. Au demeurant il fait valoir que les termes de la transaction lui sont particulièrement défavorables. Le requérant précise encore que durant la procédure devant les juridictions autrichiennes il a été obligé de résider à Berlin et a dû de ce fait dépenser la somme de 700.000 Schillings pour se loger, alors que seuls les frais judiciaires et les honoraires de l'avocat dépassent les 750.000 Schillings. Enfin, le requérant précise que le dommage immatériel résultant de l'impossibilité d'habiter la maison en Autriche est particulièrement important. Dans ces circonstances, il s'estime toujours victime d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention aux termes duquel toute contestation relative à des droits et obligations civils doit être tranchée dans un délai raisonnable. 2. Sur le bien-fondé de la requête, le requérant soutient que la durée excessive de la procédure est à imputer aux juridictions autrichiennes et en particulier au tribunal régional de Linz. a) La complexité de l'affaire De l'avis du requérant l'affaire ne présentait pas des éléments de complexité justifiant une procédure qui dépasse les dix ans. Il soutient qu'une seule expertise, menée avec la diligence requise, aurait été suffisante et qu'en tout état de cause les six rapports d'expertise établis par l'expert M. ne sauraient se justifier par la complexité des questions techniques. b) Le comportement des parties Le requérant précise qu'il a été obligé de produire plusieurs actes de procédure pour indiquer au tribunal les multiples erreurs contenues dans les rapports établis par l'expert M. Il soutient que de telles démarches étaient non seulement dans l'intérêt de la justice mais aussi indispensables pour protéger ses droits face aux conclusions erronées de l'expert. Le requérant conteste par ailleurs que ses absences à Berlin ou son traitement médical sont à l'origine de la longueur excessive de la procédure. Le retard éventuel dû à ces faits ne dépasse pas à son avis les trois mois. c) Le comportement des juridictions saisies de l'affaire Le requérant reproche au tribunal régional de Linz d'avoir tenu 17 audiences dans l'affaire. A son avis le nombre de ces audiences aurait pu être sensiblement réduit si l'expert M. n'avait pas établi des rapports contradictoires et erronés et si les juges successivement chargés de l'affaire avaient remplacé l'expert à temps. Le requérant précise que les rapports de l'expert M. contenaient des erreurs manifestes entre autres de calcul et de mesure et que ces erreurs n'ont été que partiellement corrigées dans les rapports successifs de cet expert, ce qui a entraîné plusieurs inspections des lieux et plusieurs compléments des rapports. Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement le requérant soutient que trois autres experts dans la même matière étaient inscrits sur la liste des experts du tribunal régional de Linz. Il estime que le remplacement de l'expert M. le 27 avril 1983 a été sensiblement tardif. Par ailleurs, pour autant qu'il lui est reproché de n'avoir demandé le remplacement de cet expert que sept ans après sa désignation, le requérant soutient qu'il avait déjà proposé le remplacement aux juges S. et O. et qu'il a déposé une demande formelle en ce sens le 17 décembre 1981. Il a dû retirer sa demande le 19 janvier 1982 lorsque le juge O. a attiré son attention sur le fait qu'un changement d'expert aurait pu entraîner de nouveaux retards. Le requérant reproche enfin à l'expert P. d'avoir mis huit mois pour rédiger son rapport (dernière inspection des lieux le 10 janvier 1984, dépôt du rapport le 1er septembre 1984). Il soutient que, vu la longueur déjà excessive du procès, le tribunal aurait dû impartir à l'expert un délai pour l'établissement du rapport.
EN DROIT Le requérant se plaint de la durée de la procédure concernant une action en dommages intérêts qu'il a introduite le 14 octobre 1974 et qui a pris fin par une transaction judiciaire conclue entre les parties le 21 février 1985. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui stipule : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle." La Commission a d'abord examiné la question de savoir si après la transaction judiciaire le requérant peut se prétendre victime d'une violation de la disposition susmentionnée. Le Gouvernement et le requérant estiment que la transaction conclue n'entraîne pas dans le chef du requérant un manque d'intérêt légitime. La Commission constate que le requérant a reçu aux termes de la transaction conclue le 21 février 1985 105.000 Schillings alors que celui-ci avait réclamé 330.000 Schillings au défendeur, qui, à son tour, avait réclamé au requérant 108.000 Schillings. Elle observe par ailleurs qu'il ne semble pas qu'il eût été tenu compte lors de la conclusion de la transaction des dommages matériels et immatériels subis par le requérant dus à la longueur de la procédure, dommages dont l'existence n'est pas mise en doute par le Gouvernement défendeur. La Commission note encore que le requérant soutient n'avoir accepté la transaction qu'après avoir été informé par le juge chargé de l'affaire de l'éventualité d'une prolongation du procès pendant 5 ou 6 ans encore, ce que le Gouvernement n'a pas contesté. La Commission rappelle en outre que l'issue même favorable d'une procédure ne prive en principe l'intéressé de la qualité de victime que "lorsque les autorités nationales ont reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, la violation de la Convention" (Cour eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 30 par. 66). Tel n'étant pas le cas en l'espèce, la Commission estime que le requérant a toujours un intérêt valable à ce qu'il soit statué sur le caractère raisonnable de la durée de la procédure en question, procédure qui portait sur la détermination de ses droits ou obligations de caractère civil. Elle estime, dès lors, qu'en l'espèce le requérant peut se prétendre victime d'une violation de la Convention au sens de l'article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention. La Commission a procédé à un examen préliminaire du grief du requérant et des arguments présentés par les parties. Elle rappelle à cet égard que la question de savoir si une procédure a excédé le délai raisonnable prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause (Cour eur. D.H., arrêt König du 28 juin 1978, série A no 27, p. 34 par. 99) et que les critères à prendre en considération à cette fin, tels qu'ils ont été dégagés dans la jurisprudence, sont essentiellement la complexité de l'affaire, la manière dont elle a été traitée par les autorités judiciaires et la conduite des parties. En matière civile, par ailleurs, l'exercice du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable est subordonné à la diligence de la partie intéressée (Cour eur. D.H., arrêt Capuano du 27 juin 1987, série A no 119, p. 11 par. 23 et suiv.). En l'espèce, le point de départ de la période à prendre en considération par la Commission quant à la durée de la procédure se situe au 14 octobre 1974, date à laquelle le requérant a saisi le tribunal régional de Linz. La procédure a été close par transaction judiciaire en date du 21 février 1985. Elle s'étale donc sur 10 ans 4 mois et 7 jours. La Commission estime que la requête pose des questions importantes de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate d'autre part que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond étant réservés. Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
ANNEXE
Chronologie des étapes de la procédure
14 octobre 1974 Dépôt de l'action du requérant.
18 février 1975 Audience devant le tribunal régional (juge : S.).
20 mai 1975 ) Examen des installations par l'expert M. en 6 août 1975 ) présence des parties. 20 août 1975 )
25 septembre 1975 Première expertise de M. M. 8 janvier 1976 Deuxième expertise de M. M. effectuée sur demande du requérant.
28 janvier 1976 Le tribunal fixe l'audience au 17 mai 1976. Sur demande du requérant, l'audience est reportée d'abord au 10 juin et ensuite au 4 octobre 1976. 4 octobre 1976 Le requérant complète sa demande. Le tribunal ordonne l'audition de témoins.
11 janvier 1977 Interrogation de témoins. 2 mars 1977 Examen des installations par l'expert M.
29 mars 1977 Audience devant le tribunal régional. Sur demande du requérant, le tribunal ordonne de nouvelles expertises.
18 août 1977 Examen des installations par trois experts (MM. M., B. et F.) en présence des parties.
22 septembre 1977 Première expertise de M. B.
12 octobre 1977 Première expertise de M. F.
16 janvier 1978 Troisième expertise de M. M.
18 janvier 1978 Le tribunal convoque les parties pour le 20 avril. Sur demande du requérant, l'audience est reportée au 22 mars 1978.
30 mars 1978 Le requérant demande un complément des expertises.
22 mai 1978 Audience devant le tribunal régional (nouveau juge : M. O.). Le requérant déclare qu'aucun acte de récusation ne serait formulé contre l'expert M.
19 juin 1978 Le requérant présente un nouveau mémoire.
31 août 1978 Examen des installations par les experts M. et F.
18 septembre 1978 Quatrième expertise de M. M.
18 décembre 1978 Deuxième expertise de M. F. 2 février 1979 Audience dans la maison du requérant.
18 avril 1979 Cinquième expertise de M. M.
24 avril 1979 Deuxième expertise de M. B. 8 mai 1979 Audience devant le tribunal régional. Le requérant demande de ne pas attribuer à l'expert M. la totalité des honoraires. L'affaire est considérée comme affaire à traiter pendant les vacances judiciaires.
13 et 14 août 1979 Audiences devant le tribunal régional.
27 août 1979 Sixième expertise de M. M.
11 juillet 1980 Jugement du tribunal régional.
16 décembre 1980 Arrêt de la cour d'appel (renvoi de l'affaire au tribunal régional).
28 avril 1981 Arrêt de la Cour suprême (rejet du recours du défendeur contre l'arrêt de la cour d'appel).
27 juillet 1981 Le tribunal régional fixe une audience pour le 19 novembre 1981.
19 novembre 1981 Audience devant le tribunal régional. Le requérant demande de relever l'expert M. de ses fonctions.
17 et 24 décembre 1981 Le requérant présente des observations complémentaires.
19 janvier 1982 Audience devant le tribunal régional. Les parties se déclarent d'accord pour continuer à consulter l'expert M.
31 mars 1982 Interrogation des parties en présence de l'expert M.
30 avril 1982 Le requérant demande de ne pas fixer une audience avant le 1er juin 1982.
30 août 1982 L'expert M. présente un complément de son rapport.
22 septembre 1982 Une audience est fixée pour le 2 décembre 1982. 2 décembre 1982 Audience devant le tribunal régional. La partie défenderesse demande un complément d'expertise.
19 janvier 1983 Audience dans la maison du requérant.
20 mars 1983 Recours hiérarchique du requérant. 8 avril 1983 Audience devant le tribunal régional (nouveau juge : H. S.).
27 avril 1983 Remplacement de M. M. par M. P. comme expert.
27 juillet 1983 Examen des installations par le nouvel expert en présence des parties.
20 octobre 1983 ) Examens des installations par l'expert en 11 janvier 1984 ) présence du requérant.
28 août 1984 Expertise de M. P.
11 septembre 1984 Le tribunal demande au défendeur de désigner un nouvel avocat. 2 novembre 1984 Communication du nom du nouvel avocat. 6 novembre 1984 Le tribunal demande au requérant certains documents que celui-ci fait parvenir le 28 novembre 1984.
28 novembre 1984 Une audience est fixée au 20 décembre 1984. Elle est reportée, sur demande du requérant, au 21 février 1985.
21 février 1985 Audience devant le tribunal régional (fin du procès par transaction judiciaire).


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 11744/85
Date de la décision : 06/07/1988
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Frais et dépens - radiation du rôle (règlement amiable) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-2) PRESOMPTION D'INNOCENCE, (Art. 6-3-d) INTERROGATION DES TEMOINS, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE


Parties
Demandeurs : GOBRECHT Heinrich
Défendeurs : l'AUTRICHE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-07-06;11744.85 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award