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05/10/1988 | CEDH | N°11684/85

CEDH | AMY contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11684/85 présentée par Jean-Jacques AMY contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 octobre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERM

ERS H. DANELIUS G. BATLINER ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11684/85 présentée par Jean-Jacques AMY contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 octobre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 15 juillet 1985 par Jean-Jacques AMY contre la Belgique et enregistrée le 5 août 1985 sous le No de dossier 11684/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer ainsi. Le requérant est un ressortissant belge, né en 1940, docteur en médecine et domicilé à Uccle. Devant la Commission, le requérant est représenté par Maîtres René Bützler et Guy Meyns, avocats à Bruxelles, et par Maître Alain Tytgat, avocat à Gand. Le 2 février 1982, une instruction judiciaire fut ouverte par le ministère public de Bruxelles pour un acte d'interruption volontaire de grossesse accompli en août 1981 sur la personne d'une adolescente de 14 ans. Le 16 février 1982, le juge d'instruction chargé de l'affaire fit effectuer une perquisition à l'hôpital académique de la Vrije Universiteit van Brussel où le dossier médical ouvert au nom de l'adolescente en cause fut saisi. Le 16 novembre 1982, la chambre du conseil renvoya le requérant, un autre médecin et la mère de l'adolescente devant le tribunal correctionnel. Par son jugement du 23 septembre 1983, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamna le requérant à une peine d'emprisonnement d'un mois, assortie d'un sursis de trois ans pour avoir, le 28 août 1981, accompli un délit d'avortement sur la personne d'une adolescente qui y avait consenti. Le requérant introduisit un recours contre ce jugement alléguant entre autres que compte tenu de la situation de sa patiente, il y avait eu, vis-à-vis de celle-ci, atteinte à la vie en violation de l'article 2, traitement inhumain en violation de l'article 3 et atteinte au droit à la vie privée garanti par l'article 8. Il soulevait également que l'absence de poursuite contre d'autres médecins ayant pareillement procédé à des avortements créait un doute quant au caractère équitable du jugement du tribunal correctionnel et faisait enfin valoir que la législation belge sur l'avortement, reflet d'une morale de 1867 aujourd'hui désuète, violait les articles 9, 10 et 12. Il faisait enfin valoir qu'il ne pouvait se défendre de manière convenable puisqu'il ne pouvait faire mention, compte tenu de son obligation de garder le secret professionnel, des circonstances, raisons et motifs relatifs à l'opération effectuée. Par son arrêt du 14 mars 1984, la cour d'appel de Bruxelles confirma le jugement, estimant qu'il n'y avait pas eu violation des articles 2, 3, 6, 8, 9, 10 et 12 de la Convention. En ce qui concerne le grief de violation des droits de la défense en raison de l'obligation de garder le secret professionnel, la cour d'appel releva que compte tenu du fait que le dossier médical de la patiente du requérant avait été régulièrement joint au dossier pénal, le requérant pouvait se défendre en tous points sans violer le secret professionnel et ajoutait que reconnaître à certaines catégories de personnes un droit illimité à se retrancher derrière leur secret professionnel aurait pour conséquences qu'elles pourraient, sans pouvoir être poursuivies, commettre des délits dans l'exercice de leur profession. A l'appui de son pourvoi en cassation du 4 juin 1984, le requérant réitéra ses arguments de non-respect de la Convention déjà soulevés devant la cour d'appel. Il fit plus spécialement valoir qu'il y avait eu violation de l'article 6 de la Convention car des poursuites avaient été entamées dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles alors que, dans d'autres arrondissements judiciaires, de semblables faits n'étaient pas poursuivis. Il allégua également que la cour d'appel avait violé les articles 2 et 8 de la Convention en déclarant qu'il fallait mettre en balance la vie du foetus avec le droit à la vie et le droit à la vie privée de la mère. Il fit plus particulièrement valoir que le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention s'étendait au droit à la santé physique et psychique. Il souleva enfin qu'il n'avait pas pu se défendre utilement en raison de son devoir de garder le secret professionnel, arguant que même si le dossier médical de sa patiente était joint au dossier pénal, il ne pouvait se défendre que sur base des données du dossier médical et ne pouvait faire valoir d'autres données que celles du dossier médical ou des explications, raisons et motifs relatifs à cette opération, sans violer le secret médical. Statuant sur ces moyens, la Cour de cassation, en son arrêt du 5 février 1985, estima que les griefs formulés par le requérant n'étaient pas fondés. La Cour déclara que le droit à un procès équitable, garanti par la Convention, n'implique pas que toute personne pouvant être traduite en justice doit nécessairement être poursuivie et que la législation sur l'interruption volontaire de grossesse ne constitue pas une ingérence injustifiée dans la vie privée des personnes. La Cour fit particulièrement remarquer que l'article 2 de la Convention ne protége que le droit à la vie physique dans son acception habituelle et non la notion subjective de droit à la dignité de la personne humaine. La Cour de cassation a enfin estimé qu'il n'y avait pas eu atteinte aux droits de la défense en raison de l'obligation de garder le secret médical. Elle rappela que la cour d'appel avait jugé que le requérant pouvait faire valoir tous les éléments qu'il estimait utiles à sa défense, même ceux ne se trouvant pas dans le dossier pénal, sans pour cela violer le secret professionnel. Il souligna ensuite que le devoir de secret professionnel n'impose pas en toutes circonstances l'obligation absolue de ne rien révéler et que le secret peut être brisé lorsque la personne à laquelle ce secret est imposé doit elle-même se défendre en justice, sans préjudice du fait que la personne protégée par le secret professionnel le délie de son devoir de secret ou exige au contraire qu'il garde le silence.
GRIEFS
1. Le requérant fait valoir que le fait d'ériger en infraction et de poursuivre une interruption de grossesse dans le cas d'espèce porte atteinte aux articles 2 et 8 de la Convention. Il rappelle à cet égard que, selon l'article 375 alinéa 4 du Code pénal, le rapprochement charnel des sexes commis sur la personne d'un enfant de moins de quatorze ans est réputé viol commis à l'aide de violence et que la grossesse de sa patiente résulte sans équivoque de relations ayant eu lieu avant qu'elle n'ait atteint l'âge de quatorze ans, puisque l'interruption de grossesse a été effectuée deux jours après son quatorzième anniversaire. Il allègue que les poursuites qui ont été intentées portent atteinte au droit à la vie de sa patiente garanti par l'article 2 de la Convention, ce droit protégeant non seulement le droit à la vie physique proprement dit, mais encore le droit à la dignité de la personne humaine. Il observe à ce sujet que, d'une part, la mise au monde d'enfants comporte beaucoup plus de risques pour des personnes d'un très jeune âge et, d'autre part, on ne saurait exiger d'une personne de cet âge de pourvoir à l'entretien d'un enfant sans porter atteinte à son droit à la dignité de la personne humaine. Il se plaint également d'une atteinte à la vie privée de sa patiente. Il soulève entre autres que l'interdiction de l'interruption de grossesse emportait, pour sa patiente, l'obligation de subvenir à l'entretien de l'enfant ou bien de l'abandonner après la naissance, que l'interruption de grossesse effectuée à l'étranger n'est pas punissable selon la loi belge (et n'entraîne donc pas de poursuite contre la personne en ayant fait l'objet) et qu'en outre, l'obligation qui lui était faite en tant que médecin de garder le secret professionnel constituait également une atteinte à la vie privée de sa patiente.
2. Le requérant se plaint également de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable du fait que des poursuites ont été entamées contre lui, alors que d'autres personnes ayant procédé à des interruptions de grossesse (certaines ayant eu lieu dans le même hôpital que celui où le requérant a opéré) n'ont pas fait l'objet de poursuites. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention qui garantit le droit à un procès équitable.
3. Le requérant se plaint enfin que l'obligation qui lui était faite de garder le secret professionnel imposé par l'article 458 du Code pénal et sa déontologie, eu égard au refus de sa patiente de le délier du secret professionnel, porte atteinte à son droit à la liberté de conscience garanti par l'article 9 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant fait valoir que le fait d'ériger en infraction et de poursuivre une interruption de grossesse dans le cas d'espèce porte atteinte aux articles 2 et 8 (Art. 2, 8) de la Convention. La Commission rappelle qu'il incombe au requérant de montrer que les mesures dont il se plaint ont été appliquées à son détriment (Cour eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 décembre 1978, Série A n° 28, pp. 7 et 18, par. 33 ; N° 10039/82, déc. 11.5.84, D.R. 38, p. 74) et que, lorsqu'une requête porte sur des faits qui affectent, outre le requérant, d'autres personnes, elle ne l'examine que pour autant que le requérant soit lui-même affecté (N° 7806/77, D.R. 12, pp. 168 et suivantes). Dans la mesure où le requérant se plaint d'une violation, dans le chef de sa patiente, des droits garantis par les articles 2 et 8 (Art. 2, 8) de la Convention, la Commission a examiné si le requérant pouvait être considéré comme une victime indirecte des violations de ces articles ou s'il avait la qualité pour agir au nom de sa patiente. Aux termes de l'article 25 par. 1 (Art. 25-1) de la Convention, "la Commission peut être saisie d'une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la présente Convention (...)". La Commission rappelle qu'elle a déjà constaté que, par "victime", le texte précité vise non seulement la ou les victimes directes de la violation alléguée, mais encore toute victime indirecte à qui cette violation causerait un préjudice ou qui aurait un intérêt personnel valable à obtenir qu'il y soit mis fin (cf. N° 1420/62, 1477/62, 1478/62, déc. 18.12.64, Annuaire N° 6, p. 591). Dans le cas d'espèce, la Commission estime que le requérant ne peut se prétendre victime même indirecte de la violation des articles 2 et 8 (Art. 2, 8) de la Convention, lesquels garantissent des droits étroitement liés à la personne de la patiente du requérant. Par ailleurs, elle constate que le requérant n'a apporté aucun élément permettant de croire qu'il aurait été personnellement victime d'une atteinte aux droits garantis par les articles 2 et 8 (Art. 2, 8) de la Convention. En outre, la Commission relève que le requérant n'a jamais mentionné qu'il aurait reçu un mandat de sa patiente pour agir en son nom devant la Commission. Cette partie de la requête est donc incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée au sens de son article 27 par. 2 (Art. 27-2).
2. Le requérant se plaint également de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable du fait que des poursuites ont été entamées contre lui, alors que d'autres personnes ayant procédé à des interruptions de grossesse n'ont pas fait l'objet de poursuites. Il invoque à cet égard l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui garantit le droit à un procès équitable. La Commission, estime tout d'abord que le simple fait, à le supposer établi, que d'autres personnes n'aient pas été poursuivies pour des faits similaires ne constitue pas un élément pouvant porter atteinte à l'équité du procès diligenté contre le requérant. Par ailleurs, la Commission relève que le requérant n'est pas la seule personne à avoir été poursuivie pour avoir effectué une interruption volontaire de grossesse. Le seul fait que, selon les dires du requérant, seuls certains médecins soient poursuivis pour avoir procédé à des interruptions volontaires de grossesse et que ces poursuites soient circonscrites au ressort territorial de la cour d'appel de Bruxelles ne suffit pas à établir que le requérant n'a pas bénéficié d'un procès équitable, pas plus que la circonstance alléguée que des médecins ayant effectué des interruptions volontaires de grossesse dans le même établissement que celui où le requérant a opéré n'ont pas été poursuivis. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint enfin que l'obligation de garder le secret professionnel imposé par l'article 458 du Code pénal belge et sa déontologie, eu égard au refus de sa patiente de le délier du secret professionnel, porte atteinte à son droit à la liberté de conscience garanti par l'article 9 (Art. 9) de la Convention. La Commission rappelle à cet égard que la cour d'appel de Bruxelles et la Cour de cassation ont souligné que le devoir de garder le secret professionnel n'est pas absolu, que, plus particulièrement, le secret peut être rompu lorsque la personne à qui ce secret est imposé doit elle-même se défendre en justice, même lorsque la personne protégée par ledit secret professionnel refuse de le délier de son devoir de garder le silence et que le requérant pouvait, devant les juridictions pénales belges, faire valoir tous les éléments qu'il jugeait utiles à sa défense, même si ces éléments ne se trouvaient pas dans le dossier pénal, sans pour cela violer le secret professionnel. La Commission, se référant à ces constatations des juridictions belges, estime que dans ces conditions, le requérant avait le droit de faire valoir tous les éléments qu'il estimait utile à sa défense sans pour cela violer le secret professionnel. La Commission n'a, en conséquence, décelé ni dans le dossier, ni dans l'argumentation du requérant, aucun élément montrant que les droits garantis par l'article 9 (Art. 9) ont été violés du fait qu'il n'a pas été délié du secret professionnel. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Radiation du rôle (règlement amiable)

Analyses

(Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS


Parties
Demandeurs : AMY
Défendeurs : la BELGIQUE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 05/10/1988
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11684/85
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-10-05;11684.85 ?

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