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11/10/1988 | CEDH | N°10868/84

CEDH | AFFAIRE WOUKAM MOUDEFO c. FRANCE


En l'affaire Woukam Moudefo*,
_______________ * Note du greffe: L'affaire porte le n° 12/1987/135/189. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. _______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement

, en une chambre composée des juges dont le nom suit: M...

En l'affaire Woukam Moudefo*,
_______________ * Note du greffe: L'affaire porte le n° 12/1987/135/189. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. _______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, Sir Vincent Evans, MM. C. Russo, J.A. Carrillo Salcedo, N. Valticos,
ainsi que de M. M.-A. Eissen, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 août et 7 octobre 1988,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 16 octobre 1987, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 10868/84) dirigée contre la République française et dont un citoyen camerounais, M. Gabriel Woukam Moudefo, avait saisi la Commission le 8 septembre 1983 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux obligations qui découlent des articles 5 (paras. 3 et 4) et 6 (par. 1) (art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné ses conseils (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 30 novembre 1987, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir Sir Vincent Evans, M. C. Russo, M. R. Bernhardt, M. J.A. Carrillo Salcedo et M. N. Valticos, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. J. Pinheiro Farinha, suppléant, a remplacé M. Bernhardt, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et les avocats du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 8 avril 1988 et celui du requérant le 21.
Par une lettre arrivée le 17 mai, le secrétaire de la Commission lui a fait savoir que le délégué s'exprimerait lors des audiences.
5. Le 18 mai, le président a fixé au 27 septembre 1988 la date d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).
6. Le 12 juillet, les conseils du requérant ont communiqué une déclaration par laquelle leur client consentait à se "désister" moyennant le versement d'une indemnité proposée par l'Etat défendeur.
De son côté, l'agent du Gouvernement a écrit au greffier le 22 juillet pour demander si la Cour pouvait ou non accepter la solution amiable ainsi adoptée et, dans l'affirmative, rayer l'affaire du rôle en vertu de l'article 48 par. 2 du règlement.
Consulté, le délégué de la Commission a indiqué, le 5 août, qu'il n'avait pas d'observations à formuler.
En conséquence, la Cour a décidé, le 27 août, d'annuler l'audience qui devait se dérouler le 27 septembre.
EN FAIT
7. Ressortissant camerounais né en 1951, M. Woukam Moudefo vit actuellement à Douala.
Alors qu'il résidait en France dans la région parisienne, la police l'arrêta le 1er octobre 1980 car elle le soupçonnait d'avoir participé à une attaque à main armée contre une banque, le 28 mars 1980 à Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d'Oise). Le surlendemain, il comparut à Pontoise devant un juge d'instruction qui le plaça en détention provisoire et l'inculpa de vol qualifié ainsi que de tentative de meurtre.
8. Le requérant présenta une série de demandes d'élargissement, dans certaines au moins desquelles il s'appuya, notamment, sur la Convention. Il adressa sept d'entre elles au magistrat instructeur, qui les repoussa toutes (19 décembre 1980, 21 février 1981, 22 mai 1981, 23 juin 1981, 10 juillet 1981, 18 décembre 1981 et 2 avril 1982). Il appela en vain de deux de ces décisions devant la chambre d'accusation de Versailles (arrêts des 13 août 1981 et 27 avril 1982). En outre, il la saisit directement à quatre reprises en vertu, selon le cas, de l'article 148-4 ou de l'article 196-1 paras. 2 et 3 (abrogé par une loi du 10 juin 1983) du code de procédure pénale, mais sans plus de succès (arrêts des 3 juillet 1981, 24 février 1982, 8 juin 1982 et 4 janvier 1983). Enfin, il déféra deux des arrêts de la chambre d'accusation - ceux des 27 avril 1982 et 4 janvier 1983 - à la Cour de cassation, qui rejeta ses recours les 4 juin 1982 et 12 avril 1983.
9. Avant d'introduire son second pourvoi, l'intéressé avait invité le président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, le 7 janvier 1983, à lui désigner un défenseur. Le président lui répondit, le 13, que le ministère d'avocat n'était pas obligatoire en matière pénale; il ajouta cependant qu'il allait prier un confrère d'examiner le dossier et qu'il en commettrait un d'office s'il existait un moyen sérieux à soulever.
En conséquence, M. Woukam Moudefo déposa lui-même ledit pourvoi le 26 janvier, suivi le 3 février d'un mémoire personnel. Le président de l'Ordre, à qui il avait écrit à nouveau les 29 mars et 12 mai, lui confirma le 12 avril qu'il avait confié l'étude de l'affaire à un collègue puis, le 17 mai, que celui-ci n'avait pas découvert de moyen à invoquer utilement et que la chambre criminelle de la Cour de cassation avait rejeté le recours le 12 avril (date de la lettre précédente).
10. Le 26 décembre 1983, le juge d'instruction rendit une ordonnance de non-lieu, faute de charges suffisantes.
Le requérant, qui se trouvait détenu à Loos (Nord) pour autre cause, recouvra sa liberté le 18 janvier 1984. Le 20 juin 1984, il forma devant la Commission d'indemnisation près la Cour de cassation une demande fondée sur l'article 149 du code de procédure pénale. D'après ce texte, "(...) une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu (...) devenue définitive, lorsque cette détention lui a causé un préjudice manifestement anormal et d'une particulière gravité".
Par une décision non motivée du 21 février 1986, la Commission d'indemnisation octroya 30.000 francs français (FF) à l'intéressé. Dans ses conclusions, le Procureur général avait reconnu que "la durée de la détention provisoire" litigieuse - environ trois ans et trois mois - paraissait "manifestement excessive".
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. Dans sa requête du 8 septembre 1983 à la Commission (n° 10868/84), M. Woukam Moudefo dénonçait la longueur tant de sa détention provisoire (article 5 par. 3 de la Convention) (art. 5-3) que de la procédure pénale (article 6 par. 1) (art. 6-1). Il se plaignait aussi de ne pas avoir bénéficié de l'assistance d'un avocat devant la Cour de cassation (article 6 par. 3 c)) (art. 6-3-c).
12. La Commission a retenu la requête le 21 janvier 1987. Elle a cependant précisé qu'à ses yeux, le grief présenté sur le terrain de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) devait en réalité se traiter sur celui de l'article 5 par. 4 (art. 5-4).
Dans son rapport du 8 juillet 1987 (article 31) (art. 31), elle aperçoit une infraction aux articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) (onze voix, avec une abstention) ainsi qu'à l'article 5 par. 4 (art. 5-4) (six voix contre cinq, avec une abstention). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
13. Dans leurs mémoires respectifs, M. Woukam Moudefo et le Gouvernement invitaient la Cour - le premier, à constater qu'il avait "été victime, de la part de l'Etat français, d'une violation des articles 5 par. 3, 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1) de la Convention", et à lui accorder une satisfaction équitable en vertu de l'article 50 (art. 50); - le second, à "déclarer la requête (...) irrecevable" quant aux articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1), pour perte de la qualité de "victime" ou non-épuisement des voies de recours internes, et à relever l'absence de manquement aux exigences de l'article 5 par. 4 (art. 5-4).
EN DROIT
14. Par une déclaration communiquée au greffier le 12 juillet 1988 (paragraphe 6 ci-dessus), le requérant accepte une indemnité de 134.000 FF que lui offre le Gouvernement; elle s'ajoutera aux 30.000 FF qui lui ont été alloués en 1986 au titre de l'article 149 du code de procédure pénale (paragraphe 10 ci-dessus). Il reconnaît qu'elle "constituera le dédommagement intégral et définitif de l'ensemble des préjudices matériels et moraux allégués" par lui et "couvrira également la totalité [de ses] frais d'avocat et autres". Il consent donc, "moyennant le versement" de ladite somme, à se "désister" de l'instance pendante devant la Cour et à "renoncer à toute action ultérieure de ce chef contre l'Etat français devant les juridictions nationales et internationales". Il note que le paiement aura lieu "aussitôt après que la Cour aura décidé de rayer [l']affaire du rôle".
De son côté, le Gouvernement demande à la Cour si elle peut ou non souscrire à la solution ainsi adoptée et appliquer l'article 48 par. 2 de son règlement, selon lequel "Lorsque la chambre reçoit communication d'un règlement amiable (...), elle peut, le cas échéant après avoir consulté (...) les délégués de la Commission (...), rayer l'affaire du rôle."
Consulté, le délégué de la Commission n'a présenté aucune observation.
15. La Cour donne acte au Gouvernement et au requérant du règlement amiable auquel ils ont abouti. Elle pourrait néanmoins y passer outre, eu égard aux responsabilités lui incombant aux termes de l'article 19 (art. 19) de la Convention, si un motif d'ordre public lui paraissait l'exiger (article 48 par. 4 du règlement).
A ce sujet, elle rappelle d'abord que plusieurs litiges antérieurs l'ont amenée à contrôler le caractère "raisonnable" de la durée d'une détention provisoire ou de poursuites pénales (articles 5 par. 3 et 6 par. 1 de la Convention (art. 5-3, art. 6-1) - arrêts Wemhoff du 27 juin 1968, Neumeister du 27 juin 1968, Stögmüller du 10 novembre 1969, Matznetter du 10 novembre 1969, Ringeisen du 16 juillet 1971, Eckle du 15 juillet 1982, Foti et autres du 10 décembre 1982, Corigliano du 10 décembre 1982, Baggetta du 25 juin 1987 et Milasi du 25 juin 1987, série A n° 7, 8, 9, 10, 13, 51, 56, 57 et 119). Par là même, elle a précisé la nature et l'étendue des obligations assumées en ces matières par les Etats contractants.
Quant au grief tiré de l'absence de défenseur devant la Cour de cassation, à l'appui duquel M. Woukam Moudefo a invoqué l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) et que la Commission a examiné sous l'angle de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) (paragraphes 9, 11 et 12 ci-dessus), la jurisprudence de la Cour fournit déjà certains éléments relatifs à l'interprétation des deux textes en cause.
Partant, il échet de rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
Décide de rayer l'affaire du rôle.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 11 octobre 1988 en application de l'article 54 par. 2, second alinéa, du règlement.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 10868/84
Date de la décision : 11/10/1988
Type d'affaire : Arrêt (Au principal)
Type de recours : Radiation du rôle (règlement amiable)

Analyses

(Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS


Parties
Demandeurs : WOUKAM MOUDEFO
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-10-11;10868.84 ?

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