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12/10/1988 | CEDH | N°11994/86

CEDH | HELLEGOUARCH contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11994/86 présentée par Jean-Pierre HELLEGOUARCH contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 12 octobre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DA

NELIUS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11994/86 présentée par Jean-Pierre HELLEGOUARCH contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 12 octobre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 14 janvier 1986 par Jean-Pierre HELLEGOUARCH contre la France et enregistrée le 3 février 1986 sous le No de dossier 11994/86 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant est un ressortissant français né en 1943. Il est détenu depuis 1983 à la Maison d'Arrêt de Fleury-Mérogis. Première procédure pénale Le soir du 6 janvier 1983, le requérant a été interpellé à Paris et placé en garde à vue car soupçonné d'avoir contrevenu aux règlements sur la détention, le commerce ou l'emploi de stupéfiants et à la législation sur les douanes. Le 11 janvier 1983, le requérant a été inculpé d'infractions à la législation sur les douanes et les stupéfiants et mis en détention provisoire par ordonnance du remplaçant du juge d'instruction. Par ordonnance du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris en date du 24 octobre 1983, le requérant a été renvoyé devant le tribunal correctionnel accusé des infractions susindiquées. Le 19 janvier 1984, le tribunal correctionnel a condamné le requérant à 6 ans d'emprisonnement, 5 ans d'interdiction de séjour et au paiement d'environ 5 000 000 FF à l'administration des douanes conjointement et solidairement avec trois autres co-accusés. En application de l'article 464-1 du code de procédure pénale (1) le tribunal a ordonné le maintien en détention du requérant. Par ailleurs, il a ordonné le maintien en détention jusqu'au paiement des pénalités douanières en vertu de l'article 388 du code des douanes (2) et fixé au minimum la durée de la contrainte par corps. Le requérant a interjeté appel de ce jugement. ---------- (1) Article 464-1 CPP : A l'égard du prévenu détenu, le tribunal peut, en tout état de cause, par décision spéciale et motivée, lorsque les éléments de l'espèce justifient la prolongation d'une mesure particulière de sûreté, maintenir la détention. Pour l'exécution de cette décision, le mandat continue à produire ses effets. (2) Article 388 CD : Par décision expresse du tribunal, celui qui est condamné pour un délit douanier ... peut, nonobstant appel ou pourvoi en cassation, être maintenu en détention jusqu'à ce qu'il ait acquitté le montant des sanctions fiscales prononcées contre lui ; sauf dans le cas de trafic de stupéfiants, la durée de la détention accomplie dans ces conditions à compter de la condamnation s'impute sur celle de la contrainte par corps prononcée par le tribunal et ne peut excéder le minimum prévu par le code de procédure pénale pour une condamnation pécuniaire de même montant que celui des sanctions fiscales prononcées. Le 5 juillet 1984, la cour d'appel a demandé un complément d'information ordonnant en même temps le maintien en détention du requérant. Elle a en outre fixé la date de l'audience sur le fond au 6 décembre 1984. Le 14 août 1984 le requérant a demandé sa mise en liberté en vertu de l'article 148.1 du code de procédure pénale. Toutefois, le délai des 20 jours imparti selon l'alinéa 2 de ce même article à la juridiction compétente pour décider de la demande de mise en liberté ayant expiré sans qu'une quelconque décision soit prise, le requérant a demandé le 7 septembre 1984 qu'il soit mis en liberté d'office (1). La libération du requérant a été initialement refusée au motif que sa demande n'était pas parvenue à la cour d'appel. Le requérant a été finalement mis en liberté d'office sur ordre du parquet général en date du 18 septembre 1984. Il a été toutefois maintenu en détention en exécution de la contrainte douanière. Le 26 septembre 1984 le requérant a proposé de verser à la direction générale des douanes la somme de 30 000 FF afin d'obtenir la levée de la contrainte douanière. Par lettre du 1er octobre 1984 la direction des douanes a informé le requérant que la justice étant saisie de la question de la contrainte, il ne lui était pas possible de réserver une suite favorable à la requête. Par lettre du 31 octobre 1984 adressée aux autorités pénitentiaires le requérant a contesté la légalité de sa détention faisant valoir que la contrainte avait commencé le jour de son incarcération, à savoir le 6 janvier 1983 et qu'elle avait dès lors pris fin bien avant le 18 septembre 1984. Par arrêt du 29 novembre 1984 rendu sur une procédure de référé la cour d'appel a dit que la contrainte douanière avait reçu effet à l'égard du requérant le 6 septembre 1984. Le 20 décembre 1984, la cour d'appel, statuant sur l'arrêt interjeté par le requérant contre le jugement du 19 janvier 1984, a confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris. ---------- (1) Article 148-1 CPP : La mise en liberté peut ... être demandée en tout état de cause par tout inculpé, prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure. Lorsqu'une juridiction de jugement est saisie, il lui appartient de statuer sur la liberté provisoire... Article 148-2 al. 2 CPP : La juridiction saisie, selon qu'elle est du premier ou du second degré, rend sa décision dans les dix jours ou dans les vingt jours de la réception de la demande ; ... faute de décision à l'expiration de ce délai, il est mis fin au contrôle judiciaire ou à la détention provisoire, le prévenu, s'il n'est pas détenu pour autre cause, étant mis d'office en liberté. En application de l'article 465 du code de procédure pénale (1) la cour a, par ailleurs, décerné à l'encontre du requérant un mandat de dépôt. La cour a estimé que "les antécédents judiciaires (du requérant), (ses) relations avec des malfaiteurs internationaux vivant à l'étranger, (son) système même de défense tendant à substituer au trafic de stupéfiants un autre trafic tout aussi repréhensible, attestent qu'(il) vit d'expédients et défie toute légalité ; (sa) détention est dès lors nécessaire autant pour garantir (son) maintien à la disposition de la justice que pour prévenir le renouvellement d'infraction de même nature." Le requérant s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Il a soutenu que l'arrêt attaqué était denué de base légale et que sa condamnation au paiement de la dette douanière n'était pas conforme au droit communautaire. Il a en outre demandé la saisine de la cour de justice de Luxembourg d'une question préjudicielle sur ce point. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi le 6 janvier 1986. Le requérant indique qu'il a été consideré comme ayant purgé la peine qui lui a été infligée le 27 fevrier 1987. Deuxième procedure pénale Le 27 novembre 1984 le requérant, alors détenu en execution de la contrainte par corps douanière, a été interrogé par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris chargé d'une information contre X, pour vols aggravés, recels de vols, escroqueries et falsifications de documents administratifs. Par ordonnance du même jour le requérant a été placé en détention provisoire. Le requérant a présenté au juge d'instruction chargé de cette affaire plusieurs demandes de mise en liberté. Entre autres, il a invoqué à l'appui de ses demandes l'article 5 par. 3 de la Convention. Par ailleurs, marié depuis le 11 janvier 1985, il a soutenu que sa détention constituait une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale et de fonder une famille. Il a encore fait valoir qu'il avait besoin de soins médicaux spécialisés. Ses demandes ont été rejetées aux motifs que les faits qui lui étaient reprochés étaient graves, qu'il ne disposait pas de garanties de représentation et que sa détention était l'unique moyen d'empêcher une concertation frauduleuse avec ses complices, pour prévenir le renouvellement des infractions et garantir son maintien à la disposition de la justice. ---------- (1) Article 465 CPP : Dans le cas visé à l'article 464, premier alinéa, s'il s'agit d'un délit de droit commun et si la peine prononcée est au moins d'une année d'emprisonnement, le tribunal peut, par décision spéciale et motivée, lorsque les éléments de l'espèce justifient une mesure particulière de sûreté, décerner mandat de dépôt ou d'arrêt contre le prévenu. ... En toutes circonstances, les mandats décernés dans les cas susvisés continuent à produire leur effet, nonobstant le pourvoi en cassation... Le requérant s'est encore adressé, conjointement avec son épouse, au Ministère de la Justice et à la Présidence de la République, sollicitant sa libération. Ces démarches n'ont pas abouti, les autorités dont l'intervention avait été sollicitée s'étant déclarées incompétentes pour intervenir dans une affaire dont la justice avait été saisie. Le 3 février 1987 le requérant a directement saisi, en vertu de l'article 148-4 du code de procédure pénale (1), la chambre d'accusation de la cour d'appel d'une demande de mise en liberté, le juge d'instruction ne l'ayant pas interrogé depuis le 26 juin 1986. Par arrêt du 19 février 1987 la chambre d'accusation de la cour d'appel a rejeté la demande. Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation en date du 12 juin 1987. Une demande ultérieure de mise en liberté a été rejetée par ordonnance du juge d'instruction du 15 avril 1987. Le 30 juillet 1987 la cause du requérant a été disjointe de l'information diligentée contre X du chef de vol aggravé et le requérant a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris accusé de recel de vol aggravé, tentative d'escroquerie et falsification de document administratif. Le 18 septembre 1987 le tribunal a tenu une audience dans l'affaire. Le 9 octobre 1987 ce tribunal a déclaré le requérant coupable et l'a condamné à 4 ans d'emprisonnement. Statuant sur appel du Procureur de la République et appel incident du requérant, la cour d'appel, par arrêt du 7 janvier 1988, a relaxé le requérant de l'accusation de falsification et a fixé la peine à 30 mois d'emprisonnement. Le requérant ne s'est pas pourvu en cassation.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint d'avoir été condamné à tort. Il estime que les juridictions qui ont connu de ses deux affaires, à savoir de l'accusation de trafic de stupéfiants et de celle de recel de vol, ont mal apprécié les éléments qui leur ont été présentés. Le requérant fait valoir que ses condamnations reposent plutôt sur des considérations d'ordre politique que sur les éléments qui ont été fournis aux juridictions compétentes durant les procédures. Le requérant conteste en outre sa condamnation au paiement des dettes douanières. Il soutient que les juridictions qui ont reconnu ces dettes ont violé les principes du droit communautaire européen. ---------- (1) Article 148-4 CPP : A l'expiration d'un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution devant le juge d'instruction ou le magistrat par lui délégué et tant que l'ordonnance de règlement n'a pas été rendue, l'inculpé détenu ou son conseil peut saisir directement d'une demande de mise en liberté la chambre d'accusation... Enfin, le requérant prétend que l'instruction de ses affaires était sommaire et incomplète - malgré sa durée - et que dès lors les juridictions de jugement n'ont pu apprécier pleinement les circonstances des causes. Le requérant estime ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable et invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
2. Le requérant se plaint encore de sa détention.
i. Il se plaint d'abord de la durée de la garde à vue et allègue qu'il n'a pas été aussitôt après son arrestation traduit devant un juge. Il invoque l'article 5 par. 3 de la Convention.
ii. Il se plaint en outre d'avoir été arbitrairement détenu du 18 septembre au 27 novembre 1984. Il soutient qu'aucun titre ne justifiait sa détention pendant cette période. Il invoque l'article 5 par. 1 de la Convention.
iii. Le requérant se plaint encore de la durée de sa détention provisoire dans l'affaire de recel de vol. Il précise que cette détention a débuté le 27 novembre 1983 et a pris fin le 7 janvier 1988 par l'arrêt de la cour d'appel confirmant sa culpabilité. Le requérant fait valoir en particulier que sa détention provisoire a excédé la peine qui lui a été finalement infligée. Il invoque l'article 5 par. 3 de la Convention.
3. Le requérant se plaint encore d'une violation à son détriment du principe de la présomption d'innocence. Vu la longueur de la détention provisoire, il estime qu'il n'a pas été présumé innocent et a dû purger sa peine avant que sa culpabilité ait été établie. Il invoque l'article 6 par. 2 de la Convention.
4. Le requérant soutient encore que sa détention constitue une violation de ses droits au respect de sa vie familiale et de fonder une famille. Il invoque les articles 8 et 12 de la Convention.
5. Le requérant se plaint enfin de la peine de l'interdiction de séjour de 5 ans à laquelle il a été condamné par le jugement du 19 janvier 1984 du tribunal correctionnel de Paris, confirmé par arrêt du 20 décembre 1984 de la cour d'appel et du 6 janvier 1986 de la Cour de cassation. Il estime que cette peine constitue une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée et invoque l'article 8 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'une violation à son détriment de son droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention. Il fait valoir de façon générale que les juridictions qui l'ont condamné ont apprécié les preuves qui leur ont été présentées de manière erronée et ont commis des erreurs dans l'interprétation du droit communautaire. Ses condamnations reposeraient plutôt sur des considérations d'ordre politique. De plus, l'instruction concernant les accusations dirigées contre lui ayant été incomplète n'aurait pas permis aux juridictions de jugement de fonder leurs décisions sur l'ensemble des éléments pertinents. En ce qui concerne les procédure concernant les infractions à la législation sur les douanes et les stupéfiants, la Commission rappelle qu'elle a pour seule tâche, conformément à l'article 19 (Art. 19) de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Elle n'est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. La Commission se réfère sur ce point à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 458/59, déc. 29.3.60, Annuaire 3 pp. 223-237 ; No 5258/71, déc. 8.2.73, Recueil 43 pp. 71-77 ; No 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 pp. 31-61). Tel n'a pas été le cas en l'espèce. En particulier, pour ce qui est du grief relatif à l'appréciation des preuves, la Commission rappelle qu'il s'agit là d'une question qui relève, en principe, du pouvoir d'appréciation de tribunaux indépendants et impartiaux. Il n'incombe pas à la Commission de se prononcer sur la question de savoir si les tribunaux nationaux ont correctement apprécié les preuves, mais d'examiner si les moyens de preuve fournis pour et contre l'accusé ont été présentés de manière à garantir un procès équitable et de s'assurer que le procès, dans son ensemble, a été conduit de manière à obtenir ce même résultat (cf. par exemple No 7450/76, déc. 28.2.77, D.R. 9 pp. 108-109 ; No 8876/80, déc. 16.10.80, D.R. 23 pp. 233-234 ; Nos 10588 et 10590/83, Barbera et autres c/Espagne, Rapport de la Commission du 16 octobre 1986, pars. 100-102). Or, en l'espèce, les juridictions en cause ont fondé leurs décisions sur les éléments qui leur ont été fournis par les parties dans le cadre de procédures contradictoires. Rien dans le dossier n'indique que l'appréciation des preuves à laquelle les juridictions se sont livrées ait pu revêtir un caractère arbitraire et porter ainsi atteinte à l'équité de la procedure. La Commission remarque, en particulier, que la cour d'appel, saisie par appel interjeté par le requérant contre le jugement du 19 janvier 1984 du tribunal correctionnel, a ordonné le 5 juillet 1984 un complément d'information. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention. Quant aux griefs du requérant visant la procédure pénale diligentée contre lui du chef de recel de vol, la Commission estime qu'elle n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, aux termes de l'article 26 (Art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". En l'espèce, le requérant a omis de se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel du 7 janvier 1988 et n'a, par conséquent, pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit français. De plus, l'examen de l'affaire n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, d'épuiser les voies de recours internes. Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que cette partie de la requête doit être rejetée, conformément à l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention.
2. Le requérant se plaint en outre de sa détention. Il allègue que, contrairement à ce que prévoit l'article 5 par. 3 (Art. 5-3) de la Convention, il n'a pas été aussitôt après son arrestation traduit devant un juge, que sa détention entre le 18 septembre et le 27 novembre 1984 était illégale et ne saurait être justifiée au regard de l'article 5 par. 1 (Art. 5-1) de la Convention et que la durée de sa détention provisoire relative à l'accusation de recel de vol a été excessive au regard de l'article 5 par. 3 (Art. 5-3) de la Convention. Pour autant que le requérant se plaint de sa détention pendant la garde à vue et pendant la période du 18 septembre au 27 novembre 1984 en exécution de la contrainte par corps douanière ordonnée par décision du tribunal correctionnel du 19 janvier 1984, la Commission estime qu'elle n'est pas appelée à se prononcer sur ses griefs. La Commission constate en effet que le requérant n'a ni contesté la légalité de la garde à vue ni recouru contre l'arrêt de la cour d'appel du 29 novembre 1984 disant que la contrainte douanière avait reçu effet à son égard le 6 septembre 1984 et n'a, par conséquent, pas satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes conformément à l'article 26 (Art. 26) de la Convention quant aux griefs considérés. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention. Pour autant que le requérant fait valoir que la durée de sa détention provisoire concernant l'accusation du chef de recel de vol a excédé le "délai raisonnable" prévu à l'article 5 par. 3 (Art. 5-3) de la Convention, la Commission a d'abord déterminé la période à prendre en considération au regard de la disposition invoquée. La Commission rappelle sur ce point que la détention d'une personne condamnée en première instance tombe sous le coup de l'article 5 par. 1 a) (Art. 5-1-a) de la Convention, lequel autorise la privation de liberté des personnes "après condamnation" (Cour Eur. D.H., arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, Série A n° 7 par. 9 de la partie EN DROIT, pp. 23 et s.). A la lumière de ce principe la Commission relève que le requérant a été détenu du 20 décembre 1984 au 27 février 1987 pour des motifs liés à sa condamnation pour trafic de stupéfiants, après jugement rendu le 19 janvier 1984 par le tribunal correctionnel et à partir du 9 octobre 1987, il a été détenu après condamnation par jugement du tribunal correctionnel dans l'affaire du recel de vol. La Commission estime que les périodes de détention susmentionnées sont des détentions "régulières après condamnation par un tribunal compétent" aux termes du paragraphe 1 a) de l'article 5 (Art. 5-1-a) de la Convention et ne sauraient, dès lors, entrer en ligne de compte aux fins de l'examen du grief consideré. Ainsi délimitée, la période à prendre en considération par la Commission pour apprécier la durée de la détention provisoire dont le requérant peut se plaindre s'étend du 27 novembre au 20 décembre 1984 (23 jours) et du 27 février au 9 octobre 1987 (7 mois et 10 jours). La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une détention provisoire ne peut être apprécié in abstracto, mais essentiellement sur la base des motifs indiqués dans les décisions relatives à la privation de liberté ainsi que des faits non controuvés indiqués par le requérant dans ses recours (Cour Eur. D.H., arrêt Neumeister du 27 juin 1968, par. 5 de la partie EN DROIT, Série A n° 8, p. 37). En l'espèce, la Commission constate que les autorités compétentes ont fondé leurs décisions de rejet des demandes de mise en liberté provisoire présentées par le requérant sur la gravité des faits qui lui étaient reprochés, le défaut de garanties suffisantes de représentation de sa part et la nécessité d'empêcher une concertation frauduleuse avec des complices, de maintenir le requérant à la disposition de la justice et de prévenir le renouvellement des infractions. La Commission constate, par ailleurs, que pendant la période considérée les juridictions compétentes ont pris soin de disjoindre la cause du requérant de l'information suivie contre X, estimant qu'il existait à son encontre des charges suffisantes, alors que l'instruction contre X a continué. Elle constate en outre qu'une ordonnance de renvoi a été rendue au sujet des accusations portées contre le requérant en date du 30 juillet 1987 et que le tribunal correctionnel, régulièrement saisi, a tenu une audience dans l'affaire le 18 septembre 1987 et rendu son jugement le 9 octobre 1987. Compte tenu de ce qui précède la Commission estime, d'une part, que les motifs invoqués par les juridictions compétentes pour maintenir le requérant en détention tenant à des exigences d'intérêt public sont pertinents et suffisants et, d'autre part, que les autorités compétentes ont conduit l'affaire pendant la période considérée, de manière à respecter les obligations qui leur sont imposées par l'article 5 par. 3 (Art. 5-3) de la Convention en veillant à ce que la privation de la liberté du requérant ne soit pas un sacrifice disproportionné à l'intérêt public justifiant sa détention. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint encore d'une violation du principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 6 par. 2 (Art. 6-2) de la Convention. Il estime que, vu la longueur de sa détention provisoire, il a dû purger sa peine avant que sa culpabilité ait été légalement établie. La Commission estime toutefois que la décision de mise en détention provisoire du requérant ne saurait être considérée comme impliquant une décision de culpabilité. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant soutient que sa détention constitue une violation de ses droits au regard de sa vie familiale et de fonder une famille. Il invoque les articles 8 et 12 (Art. 8, 12) de la Convention. La Commission constate toutefois que le requérant n'a pas montré que les ingérences qui découlent de sa détention à l'exercice de son droit au respect de sa vie familiale et à son droit de fonder une famille sont autres que celles strictement nécessaires et inévitablement créées par le fait même de la détention. Il s'ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention.
5. Le requérant se plaint enfin de la peine de l'interdiction de séjour qui lui a été infligée par le jugement du 19 janvier 1984 du tribunal correctionnel de Paris. Il estime que cette peine constitue une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée et invoque l'article 8 (Art. 8) de la Convention. Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de la disposition invoquée. En effet, aux termes de l'article 26 (Art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que le requérant a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Encore faut il que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 1103/61, déc. 12.3.62, Annuaire 5 pp. 169, 187 ; No 5574/72, déc. 21.3.75, D.R. 3 pp. 10, 22 ; No 10307/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 pp. 113, 127). En l'espèce, le requérant n'a soulevé ni formellement, ni même en substance au cours de la procédure devant la Cour de cassation le grief dont il se plaint devant la Commission. De plus, l'examen de l'affaire n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, de soulever ce grief dans la procédure susmentionnée. Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD) .PA:11994/86
ANNEXE
Etapes importantes des procédures concernant les deux affaires pénales du requérant
Affaire du trafic des stupéfiants Affaire de recel de vol
6.1.83-11.1.83 : garde à vue
11.1.83 : mise en détention provisoire
19.1.84 : jugement du tribunal correctionnel, maintien en détention
18.9.84 : le requérant est mis en liberté d'office mais est maintenu en exécution de la contrainte par corps douanière 27.11.84 : mise en détention provisoire
20.12.84 : arrêt de la cour d'appel, mandat de dépôt
6.1.86 : arrêt de la Cour de cassation (à partir de cette date sa détention est définitive en droit français) 19.2.87 : arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel refusant une demande de mise en liberté
27.2.87 : fin de la détention 15.4.87 : rejet par le juge d'instruction d'une demande de mise en liberté du requérant 12.6.87 : arrêt de la Cour de cassation confirmant l'arrêt de la chambre d'accusation du 19.2.87 9.10.87 : jugement du tribunal correctionnel 7.1.88 : arrêt de la cour d'appel


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11994/86
Date de la décision : 12/10/1988
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS


Parties
Demandeurs : HELLEGOUARCH
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-10-12;11994.86 ?

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