La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/10/1988 | CEDH | N°11371/85

CEDH | AFFAIRE MARTINS MOREIRA c. PORTUGAL


En l'affaire Martins Moreira*,
_______________ * Note du greffier: L'affaire porte le n° 21/1987/144/198. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. _______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlem

ent, en une chambre composée des juges dont le nom suit: ...

En l'affaire Martins Moreira*,
_______________ * Note du greffier: L'affaire porte le n° 21/1987/144/198. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. _______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Gölcüklü, J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, MM. R. Macdonald, J.A. Carrillo Salcedo, N. Valticos;
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 juin et 7 octobre 1988,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") et par le gouvernement du Portugal ("le Gouvernement"), les 18 décembre 1987 et 29 janvier 1988 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 11371/85) dirigée contre le Portugal et dont un ressortissant de cet Etat, M. José Martins Moreira, avait saisi la Commission le 24 juillet 1984 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration portugaise de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement aux articles 45, 47 et 48 (art. 45, art. 47, art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux obligations qui découlent de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. Pinheiro Farinha, juge élu de nationalité portugaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 30 janvier 1988, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres à savoir M. G. Lagergren, M. F. Gölcüklü, Sir Vincent Evans, M. R. Macdonald et M. J.A. Carrillo Salcedo, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. N. Valticos, suppléant, a remplacé M. Lagergren, qui avait donné sa démission et dont le successeur à la Cour était entré en fonctions avant les audiences (articles 2 par. 3 et 22 par. 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le représentant du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue le 11 février 1988, le greffe a reçu le 27 avril le mémoire du Gouvernement et, le 17 mai, les prétentions du requérant au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.
En outre, la Commission a déposé le 25 mars des documents que le président avait chargé le greffier de se procurer auprès d'elle.
5. Le 17 mai 1988, le président a fixé au 21 juin la date d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu: - pour le Gouvernement M. I. Cabral Barreto, procureur général adjoint de la République, agent, Mme Marta Santos Pais, greffe du procureur général de la République, conseil; - pour la Commission M. J.J. Campinos, délégué; - pour le requérant (lui aussi présent) Me N. Neves Anacleto, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, M. Cabral Barreto pour le Gouvernement, M. Campinos pour la Commission et Me Neves Anacleto pour le requérant. Les représentants respectifs du Gouvernement et du requérant ont produit certaines pièces à l'occasion des audiences.
7. Le 4 août, Me Neves Anacleto a communiqué au greffe les demandes de son client quant aux honoraires d'avocat. Le Gouvernement a présenté ses observations sur ce point le 9 septembre.
EN FAIT
8. M. José Gonçalves Martins Moreira, ressortissant portugais né en 1929, est employé de banque et réside à Loures (Portugal).
Le 12 novembre 1975, il se trouvait dans une voiture avec M. Virgilio da Silva Pontes qui la conduisait et en était le propriétaire. Près d'Evora, ils entrèrent en collision avec un autre véhicule, propriété de M. Antonio dos Reis et piloté par M. Francisco Techana.
Blessé, le requérant fut hospitalisé jusqu'au 14 mai 1976. En août 1976 et en août 1977, il subit des interventions chirurgicales à Londres. Il demeure frappé d'une invalidité permanente de 25 %.
9. Informé de l'accident par la police locale, le parquet près le tribunal de première instance d'Evora engagea des poursuites pénales contre les deux conducteurs pour dommages corporels involontaires. L'affaire fut classée en 1976 en vertu d'un décret-loi d'amnistie.
1. Procédure devant le tribunal de première instance
10. Le 20 décembre 1977, MM. Martins Moreira et Pontes ("les demandeurs") assignèrent au civil, devant le tribunal de première instance d'Evora, M. Francisco Techana, M. Antonio dos Reis, la société Gestetner, pour le compte de laquelle le trajet s'effectuait, et la compagnie d'assurances "Império", dont la responsabilité était limitée par contrat à 200.000 escudos ("les défendeurs"). Le requérant réclamait une indemnité de 1.393.737 escudos 80, ainsi que les montants à liquider lors de la procédure d'exécution (liquidação em execução de sentença) pour tous les frais futurs résultant de la collision.
En application de l'article 68 du code de la route, l'action devait être examinée selon la procédure sommaire, qui se caractérise par la réduction de certains délais (articles 783 à 792 du code de procédure civile et arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 8, par. 10).
a) Phase préparatoire
11. Le 13 janvier 1978, le juge ordonna la citation des défendeurs au moyen, pour ceux qui n'habitaient pas Evora, de commissions rogatoires (cartas precatórias).
La compagnie "Império" présenta ses conclusions (contestação) le 9 février, les autres défendeurs le 14 mars 1978.
La société Gestetner souleva en outre une exception préliminaire: elle contestait sa qualité de partie défenderesse au motif qu'elle n'avait pas eu la "direction effective du véhicule ayant causé l'accident", au sens de l'article 503 n° 1 du code civil. Les demandeurs se prononcèrent sur l'exception dans le délai de cinq jours qui leur avait été imparti, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
De son côté, la compagnie d'assurances "Império" introduisit une demande incidente tendant à l'intervention (intervenção principal) des hôpitaux civils d'Evora et Santa Maria de Lisbonne, ainsi que de la compagnie d'assurances "Comércio e Indústria".
12. Après avoir déféré à cette demande le 31 mars 1978, le juge invita les parties intervenantes à indiquer leurs prétentions.
Le 27 avril 1978, il donna au ministère public jusqu'au 7 mai pour présenter les observations des hôpitaux intervenants. Il lui consentit par la suite une prorogation de trois mois, en vertu de l'article 486 n° 3 du code de procédure civile; en raison des vacances judiciaires, le nouveau délai n'expira que le 1er octobre 1978.
13. A l'issue de la procédure écrite, le juge décida le 6 novembre 1978 de tenir dans les dix jours (article 508 n° 1 du code de procédure civile) une audience préparatoire en vue, notamment, d'examiner l'exception préliminaire de la société Gestetner.
Le 21 décembre, il accorda l'assistance judiciaire aux demandeurs, la refusant à MM. Techana et dos Reis.
14. Le 18 janvier 1979, le greffe du tribunal transmit le dossier au juge, qui rendit une décision préparatoire (despacho saneador) le 3 mars. Longue de trente-cinq pages, elle rejetait ladite exception et dressait la liste tant des faits incontestés (especificação) que de ceux à éclaircir pendant les débats (questionário). Il restait cent trente-trois faits à établir (quesitos). En outre, le juge relevait que le retard apporté à statuer (au-delà des dix jours prévus par l'article 787 du code de procédure civile) s'expliquait par une grande surcharge de travail et la complexité de l'exception considérée.
15. MM. Techana et dos Reis, ainsi que la société Gestetner, firent opposition (reclamação, article 511 n° 2) en ce qui concerne la liste susmentionnée. Les demandeurs répondirent le 17 avril 1979. Le 19, le greffe transmit le dossier au juge qui, par une ordonnance du 26 mai, accueillit partiellement l'opposition des deux premiers mais écarta celle de la dernière. Le 6 juin, la société Gestetner attaqua cette décision et la décision préparatoire du 3 mars 1979 devant la cour d'appel (tribunal de relação) d'Evora.
Le juge d'Evora reçut les deux recours le 8 juin. Le 6 juillet, il décida qu'ils ne seraient communiqués à la cour d'appel qu'avec le recours éventuel contre le jugement sur le fond.
b) Phase d'instruction
16. Les parties furent ensuite invitées à produire leurs listes de témoins et d'autres moyens de preuve. Le 11 octobre 1979, les demandeurs prièrent le juge, notamment, d'ordonner une expertise médicale à propos d'un certain nombre de faits ou questions à élucider pendant les audiences; elle devait avoir lieu à l'Institut de médecine légale de Lisbonne ("l'Institut") conformément à l'article 600 nos. 2 et 3 du code de procédure civile, aux termes duquel: "2. Dans les ressorts de Lisbonne, Porto et Coïmbra, les instituts de médecine légale effectuent les examens médicaux légaux et les autres examens qu'ils sont particulièrement aptes à exécuter; les autres examens exigeant des connaissances particulières dans une spécialité médicale ou des recherches relevant de laboratoires ou d'autres institutions spécialisées sont exécutés dans un établissement officiel par les professeurs ou les cadres techniques y exerçant des fonctions.
3. Ce qui précède s'applique à tous les autres ressorts lorsque les choses ou personnes à examiner peuvent, sans inconvénient, être transportées au siège de l'institut ou établissement. L'examen a lieu à Lisbonne, Porto ou Coïmbra suivant la cour d'appel dont relève la juridiction compétente."
17. Le juge, à qui le greffe avait transmis le dossier le 31 octobre 1979, ne fit droit à la demande que le 13 février 1980. Il justifia par une surcharge de travail le délai écoulé, supérieur aux cinq jours que prévoit l'article 159 n° 2 du code. Il invita aussi les défendeurs à lui indiquer dans les cinq jours les faits contenus dans le questionário et sur lesquels les médecins experts devraient se prononcer.
Ayant reçu notification de cette ordonnance le 28 février, la société Gestetner fournit le 7 mars 1980 les renseignements sollicités.
18. Le juge, qui avait reçu du greffe le dossier le 12 mars 1980, ordonna le 29 avril seulement, en invoquant une surcharge de travail, que la Faculté de médecine de Lisbonne fixât la date et l'heure auxquelles un médecin spécialiste en orthopédie et traumatologie pourrait examiner les demandeurs.
Le 14 mai, le président du conseil de la Faculté de médecine de Lisbonne l'informa que les expertises médicales en orthopédie étaient suspendues, faute de médecins spécialistes disponibles.
19. Le 23 mai, le juge chargea de l'expertise médicale l'hôpital civil de Lisbonne. Cependant, le service d'orthopédie de celui-ci l'informa, le 20 juin 1980, qu'il ne pouvait la mener à bien, car les intéressés n'y avaient jamais été hospitalisés et il y avait une surcharge de travail.
20. Le greffe lui ayant communiqué le dossier le 26 juin 1980, le juge ordonna, le 3 juillet, que les examens médicaux eussent lieu à l'Institut; il invita le directeur à en fixer la date et précisa qu'ils devaient être terminés dans le délai d'un mois. En outre, il expliqua pourquoi il n'avait pas déféré plus tôt à la requête des demandeurs tendant à confier lesdits examens à l'Institut: à sa connaissance, ce dernier ne comptait pas de spécialistes en orthopédie. Vu l'impasse dans laquelle se trouvait la procédure, il revenait cependant sur sa position. Par la même occasion, il avisa de la situation le directeur de cabinet du ministre de la Justice et le pria d'indiquer dans quel établissement on pouvait exécuter des expertises médicales en orthopédie et en traumatologie.
Le 17 juillet, le sous-directeur de l'Institut annonça au juge que les demandeurs seraient examinés le 6 octobre. Le 23 juillet, celui-ci ordonna leur comparution à cet effet.
21. Deux médecins de l'Institut procédèrent aux examens le jour prévu; ils établirent un rapport à l'intention du tribunal. Ils y concluaient que les demandeurs devraient être soumis à un nouvel examen après la production d'un certain nombre de documents relatifs à leur état de santé, entre autres les rapports des hôpitaux où ils avaient été traités et la traduction portugaise des rapports d'un spécialiste anglais qui les avait soignés à Londres en 1977. En outre, et conformément à l'article 600 n° 2 du code de procédure civile, les intéressés auraient à subir, dans une institution publique appropriée, un examen pratiqué par des experts en orthopédie qui répondraient aux questions posées dans la décision préparatoire du 3 mars 1979.
Parvenu au tribunal le 15 octobre 1980, le rapport fut communiqué le lendemain à MM. Pontes et Martins Moreira.
22. Ces derniers invitèrent le tribunal, le 20 octobre, à obtenir directement des hôpitaux concernés certains documents, à leur octroyer un délai de trente jours pour en déposer d'autres (notamment la traduction portugaise des rapports médicaux rédigés en anglais) et à demander à l'Institut à quel établissement de caractère public ils pouvaient s'adresser pour les expertises en orthopédie.
Le greffe transmit le dossier au tribunal le 28.
23. Le 5 janvier 1981, les demandeurs introduisirent une nouvelle requête tendant à ce que le juge nommât lui-même des experts médicaux spécialistes en orthopédie et exerçant à Evora. Ils y affirmaient avoir ignoré que l'Institut n'était pas en mesure de procéder à tels examens et que son rôle se limitait à coordonner les éléments fournis par eux ou réclamés à d'autres hôpitaux, sans quoi ils n'auraient pas recouru à lui. Ils ajoutaient qu'ils espéraient être examinés plus rapidement à Evora, compte tenu des longues listes d'attente dans les hôpitaux de Lisbonne.
24. Le juge leur donna satisfaction le 23 février: il requit les hôpitaux concernés de produire les documents réclamés par l'Institut et invita l'hôpital civil d'Evora à fixer une date pour l'examen des intéressés. Cependant, l'administration de cet établissement l'informa le 24 mars qu'il devait désigner lui-même des experts, l'hôpital n'étant pas compétent pour réaliser des expertises médico-légales.
Dans cette perspective, le juge pria l'hôpital, le 27 mars, de lui communiquer la liste des orthopédistes y travaillant. Il la reçut le 7 avril.
25. Le 21 avril 1981, le greffe transmit le dossier au juge qui, le jour même, décida de nommer les experts le 4 mai. A cette date il en désigna trois, l'un proposé par les demandeurs, un autre par les défendeurs et le troisième choisi par lui, et ce en présence de toutes les parties en cause.
Le 6 mai, il convoqua les experts pour le 1er juin aux fins de leur prestation de serment. Elle eut lieu comme prévu et il leur assigna aussitôt un délai de quinze jours pour s'acquitter de leur tâche.
26. Le 1er juin aussi, les demandeurs déposèrent au greffe du tribunal la traduction portugaise des rapports dressés par leur médecin anglais.
27. Le 15 juin 1981, les experts annoncèrent au juge qu'ils étaient en mesure de répondre aux questions sur lesquelles portait l'expertise. Le même jour, il fixa au 23 juin la date de leur audition.
Dans leurs réponses, ils conclurent à l'unanimité que le requérant avait un taux d'incapacité permanente de 25 % et M. Pontes de 50 %, qu'ils se trouvaient tous deux dans un état de santé stable et qu'il ne fallait s'attendre ni à une aggravation ni à la nécessité d'un traitement ultérieur.
28. Le 9 juillet 1981, le juge prit acte de ce que M. Pontes avait omis de fournir la version portugaise d'un rapport médical réclamé par l'Institut. Le 20 juillet, il invita ce dernier à fixer la date d'un nouvel examen médical des demandeurs. Le 1er septembre, l'Institut opta pour le 6 octobre 1981.
Les deux intéressés furent examinés le jour dit sur la base des documents produits. L'Institut rédigea un rapport final relatif à M. Martins Moreira, mais requit encore certaines pièces concernant l'état de santé de M. Pontes - notamment une traduction portugaise de deux rapports en anglais, d'août et septembre 1981 -, lequel les transmit au juge le 9 novembre.
Le 18 novembre, le juge proposa à l'Institut un nouvel examen de M. Pontes. Le 4 décembre, la date en fut fixée au 25 janvier 1982 et les résultats communiqués au tribunal le 5 février.
c) Audience de jugement
29. Le 26 mars 1982, le juge décida que la procédure orale s'ouvrirait le 12 mai. Toutefois, les compagnies d'assurances "Comércio e Indústria", partie intervenante, et "Império", défenderesse, ne comparurent pas et le juge ajourna les débats au 1er juillet.
Ils se déroulèrent finalement les 1er, 2 et 5 juillet 1982. Pour tenir compte de l'érosion monétaire, M. Martins Moreira porta le montant de sa demande d'indemnité à 2.787.479 escudos au lieu de 1.393.737,80 à l'origine (paragraphe 10 ci-dessus).
30. Le 15 juillet, le tribunal établit les faits de la cause lors d'une audience publique au cours de laquelle les parties plaidèrent aussi sur les points de droit.
31. Le 1er octobre 1982, il déclara partiellement fondée l'action de MM. Martins Moreira et Pontes; il condamna solidairement les défendeurs à verser au requérant 732.000 escudos de dommages-intérêts.
Cependant, le tribunal réserva pour la procédure ultérieure d'exécution, conformément à l'article 661 n° 2 du code de procédure civile, la question du remboursement des frais de transport exposés par les demandeurs pour recevoir des soins après l'accident.
2. Procédure devant la cour d'appel d'Evora
32. Le 13 octobre 1982, M. Martins Moreira attaqua le jugement devant la cour d'appel d'Evora. Sans contester les faits établis en première instance, il se plaignait de l'insuffisance de l'indemnité allouée.
Son recours et celui de la société Gestetner furent déclarés recevables par une décision du 19 octobre, notifiée aux intéressés le 16 novembre.
Après le calcul et le paiement des frais et dépens de la procédure, le greffe du tribunal d'Evora transmit le dossier à la cour d'appel le 23 juin 1983. Enregistrée le 30 juin, l'action suivit son cours normal.
Conformément à une ordonnance rendue par elle le 14 novembre 1983, la cour reçut les mémoires du requérant le 20 décembre 1983, de la société Gestetner le 25 janvier 1984 et de la compagnie "Império" le 24 avril 1984. La compagnie "Comércio e Indústria" et les hôpitaux d'Evora et Santa Maria de Lisbonne n'en présentèrent pas, mais il fallut attendre jusqu'au 30 juillet 1984 l'échéance du délai imparti au dernier d'entre eux.
33. Après avoir recueilli les visas (vistos) des membres chargés de l'affaire, la cour, par un arrêt du 30 mai 1985, porta de 732.000 à 1.032.000 escudos l'indemnité octroyée à M. Martins Moreira.
3. Procédure devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça)
34. La société défenderesse Gestetner se pourvut le 13 juin 1985 devant la Cour suprême, que de leur côté les demandeurs saisirent le 11 juillet d'un recours "subordonné" (recurso subordinado).
Après les formalités légales, le dossier parvint au greffe le 17 octobre 1985. Le 15 novembre, le juge rapporteur fixa un délai pour le dépôt des mémoires des parties. Il reçut le 6 janvier 1986 celui de la société Gestetner et le 3 février celui des demandeurs. MM. Martins Moreira et Pontes soutenaient notamment que les indemnités consenties pour préjudice moral étaient trop faibles et qu'ils devraient percevoir en outre une somme, à préciser au cours d'une procédure ultérieure d'exécution, pour les dommages futurs découlant de leur incapacité de travail.
Les délais pour le dépôt des mémoires des parties intervenantes expirèrent le 9 mai 1986. Le 9 juin, la société Gestetner présenta un contre-mémoire. Le dossier fut ensuite communiqué au ministère public pour avis et aux conseillers adjoints pour examen.
35. La Cour suprême statua le 5 février 1987. Vu l'invalidité permanente dont les demandeurs se trouvaient frappés à cause de l'accident, elle leur donna gain de cause sur ce point en leur accordant une indemnité supplémentaire, à déterminer lors de la procédure d'exécution, pour les dommages que l'on n'avait pu calculer en première instance. Elle confirma la décision de la cour d'appel pour le surplus; son arrêt fut notifié au requérant le 9 février.
4. Procédure d'exécution
36. Le 28 octobre 1987, M. Pontes et le requérant prièrent le tribunal d'Evora d'assurer le versement de la fraction déjà chiffrée de l'indemnité que leur avait allouée la cour d'appel; ils énumérèrent les biens saisissables de la société Gestetner. La saisie, réclamée par commission rogatoire à Lisbonne, se révéla impossible: le 18 janvier 1988, le tribunal compétent constata que ladite société faisait l'objet d'une procédure, laquelle a abouti, le 25 mars, à une déclaration de faillite. De son côté, la compagnie "Império" plaça en dépôt la somme de 184.334 escudos, à cause des difficultés rencontrées pour la répartir entre le requérant, M. Pontes et la compagnie "Comércio et Indústria".
Dans l'attente de l'indication, par les demandeurs, d'autres biens à saisir, la procédure d'exécution demeure pendante. Le greffe du tribunal n'en a pas moins dressé le décompte des frais y afférents et les intéressés ont déjà dû les payer.
Aussi le requérant n'a-t-il pas encore sollicité la détermination de la partie non liquide de l'indemnité.
5. Plaintes du requérant concernant la durée de la procédure
37. Le 26 janvier 1981, avant la fin de ses examens médicaux (paragraphe 23 ci-dessus), le requérant dénonça la longueur de la procédure auprès du médiateur (Provedor de Justiça). Celui-ci lui répondit, en mars 1981, qu'il avait porté le contenu de la plainte à la connaissance du Conseil supérieur de la magistrature, lequel lui avait communiqué une note du juge d'Evora exposant les problèmes, juridiques et autres, soulevés par l'affaire; il classa la demande le 20 juillet 1981.
38. Le 3 mars 1983, alors qu'il attendait la transmission à la cour d'appel du dossier du tribunal de première instance d'Evora (paragraphe 32 ci-dessus), M. Martins Moreira s'adressa derechef au médiateur pour le prier d'intervenir.
Le 7 avril, le médiateur lui indiqua qu'il avait signalé la situation au Conseil supérieur de la magistrature.
Il lui écrivit à nouveau le 28 décembre 1983 pour l'informer du résultat de ses démarches auprès de ce dernier et du ministère de la Justice. Il s'avérait que les retards observés s'expliquaient par le temps nécessaire pour établir le décompte des frais de l'un des experts et par le manque de personnel au tribunal de première instance d'Evora. Le médiateur décida en conséquence de classer la plainte.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
39. Dans sa requête du 24 juillet 1984 à la Commission (n° 11371/85), M. Martins Moreira s'en prenait à la durée de la procédure civile qu'il avait introduite le 20 décembre 1977 devant le tribunal de première instance d'Evora; il l'estimait contraire à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
40. La Commission a retenu la requête le 14 octobre 1986. Dans son rapport du 15 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS DU GOUVERNEMENT
41. A l'audience du 21 juin 1988, le Gouvernement a confirmé en substance la conclusion figurant dans son mémoire; elle consistait à inviter la Cour "à dire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans le cas d'espèce".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
42. D'après le requérant, l'examen de l'action civile intentée par lui et M. Pontes devant le tribunal de première instance d'Evora a duré au-delà du délai raisonnable visé à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)."
La Commission souscrit en substance à cette thèse, combattue par le Gouvernement.
A. Période à prendre en considération
43. En l'espèce, la période à considérer n'a pas commencé dès la saisine de la juridiction compétente (20 décembre 1977, paragraphe 10 ci-dessus), mais seulement avec la prise d'effet, le 9 novembre 1978, de la déclaration portugaise d'acceptation du droit de recours individuel. Pour vérifier le caractère raisonnable du laps de temps écoulé à partir de cette date, il faut cependant tenir compte de l'état où l'affaire se trouvait alors (voir en dernier lieu l'arrêt Milasi du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 45, par. 14).
44. D'après le Gouvernement et la Commission, le "délai" s'est achevé le 9 février 1987, quand l'arrêt rendu quatre jours plus tôt par la Cour suprême fut notifié aux parties (paragraphe 35 ci-dessus).
La Cour estime au contraire, avec M. Martins Moreira, qu'il couvre aussi la procédure ultérieure d'exécution (paragraphe 36 ci-dessus - arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 13, par. 29). Il s'agit d'une seconde phase dont le déclenchement dépendait de l'initiative des demandeurs. Elle n'a débuté que le 28 octobre 1987, soit huit mois après le jugement, et seulement pour la fraction déjà chiffrée de l'indemnité; elle demeure inachevée à cause, notamment, de la faillite de la société défenderesse Gestetner (paragraphe 36 ci-dessus). La première phase, qui va du 9 novembre 1978 au 9 février 1987, s'étend à elle seule sur huit ans et trois mois.
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
45. La caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour (voir en dernier lieu l'arrêt Baraona du 8 juillet 1987, série A n° 122, p. 19, par. 47).
46. Comme le souligne le Gouvernement, l'article 264 n° 1 du code portugais de procédure civile laisse aux parties l'initiative de la marche de l'instance. Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux d'assurer le respect des exigences de l'article 6 (art. 6) en matière de délai raisonnable (voir en dernier lieu l'arrêt Baraona précité, p. 19, par. 48). L'article 266 du même code leur prescrit d'ailleurs de prendre toute mesure propre à écarter les obstacles de nature à empêcher le déroulement rapide du procès. En outre, selon l'article 68 du code de la route l'action intentée par le requérant devait suivre la procédure sommaire, laquelle implique la réduction de certains délais (paragraphe 10 ci-dessus).
1. Complexité de l'affaire
47. D'après le Gouvernement, l'affaire offrait une grande complexité: il y avait deux demandeurs et plusieurs défendeurs et intervenants, qui disposèrent chacun de délais successifs pour présenter des mémoires; de surcroît, le dossier comportait non moins de 1,800 pages et le litige n'était pas aisé à trancher.
M. Martins Moreira insiste au contraire sur la banalité d'une action civile en réparation du préjudice causé par un accident de la route.
48. La Cour estime, avec la Commission, que l'affaire ne revêtait pas en soi un caractère complexe.
Sans doute certains des éléments énumérés par le Gouvernement eurent-ils des répercussions sur la marche de l'instance et l'établissement d'une expertise médicale rencontra-t-il des difficultés (paragraphes 55-57 ci-dessous), mais il s'agissait de simples incidents de procédure qui ne sauraient justifier une durée aussi longue. Au demeurant, quinze jours suffirent aux experts nommés par le tribunal pour s'acquitter de leur tâche (paragraphes 25-27 ci-dessus).
2. Comportement du requérant
49. Le Gouvernement tire argument du fait que M. Martins Moreira saisit le tribunal conjointement avec M. Pontes et qu'avec ce dernier, il demanda ultérieurement à être examiné par l'Institut de médecine légale de Lisbonne (paragraphes 10 et 16 ci-dessus).
Le comportement du requérant paraît pourtant naturel et compréhensible sur l'un et l'autre point. Quant au premier, il convient de rappeler que la responsabilité de la compagnie d'assurances Império était, par contrat, limitée à 200.000 escudos pour l'ensemble des dommages (paragraphe 10 ci-dessus) et de noter que l'introduction d'une action unique permit d'éviter une dualité de procédures, source de complications inutiles.
Au sujet de la seconde remarque du Gouvernement, la Cour relève que l'article 600 n° 2 du code de procédure civile (paragraphe 16 ci-dessus) vise expressément les instituts de médecine légale. Dès lors, les demandeurs et leurs avocats étaient en droit de présumer que ces établissements possédaient les moyens voulus; on ne pouvait guère exiger d'eux qu'ils s'en assurassent.
50. La Cour reconnaît en revanche, avec la Commission, que le requérant aurait pu alléger le travail des médecins de l'Institut s'il leur avait fourni plus rapidement les pièces nécessaires. En octobre 1980, ils réclamèrent certains rapports cliniques et la traduction portugaise des avis d'un spécialiste anglais (paragraphe 21 ci-dessus). Le juge se procura les premiers par la voie officielle, ainsi que les demandeurs l'y avaient invité le 20 octobre 1980 (paragraphe 22 ci-dessus), mais le requérant ne produisit la dernière que le 1er juin 1981 (paragraphe 26 ci-dessus). Il y a là un fait non imputable à l'Etat défendeur et qui entre en ligne de compte (voir, entre autres, l'arrêt Lechner et Hess du 23 avril 1987, série A n° 118, pp. 18-19, par. 49), mais en définitive il ne prolongea pas outre mesure la procédure: le juge ne désigna les experts en orthopédie que le 4 mai 1981 et ils ne prêtèrent serment devant lui que le 1er juin; à cette date, il leur donna quinze jours pour mener à bien leur tâche, délai qu'ils respectèrent (paragraphes 25 et 27 ci-dessus).
51. Pour le surplus, il ressort du dossier que le requérant entreprit des démarches en vue d'accélérer le déroulement de l'instance. En janvier 1981 et mars 1983 il écrivit au médiateur, qui porta sa plainte à l'attention du Conseil supérieur de la magistrature en lui communiquant ses lettres (paragraphes 37-38 ci-dessus). Devant la lenteur de la procédure d'expertise, M. Martins Moreira s'adressa aussi derechef au juge en dénonçant la passivité de l'Institut et en proposant une solution (paragraphe 23 ci-dessus).
3. Comportement des autorités compétentes
52. Requérant et Commission énumèrent plusieurs retards imputables aux autorités judiciaires portugaises et en particulier au tribunal de première instance d'Evora.
De fait, il lui fallut plus de trois mois pour rendre la décision préparatoire (despacho saneador) après l'audience tenue à cette fin; pareil laps de temps paraît excessif malgré la complication créée par l'exception préliminaire de la société Gestetner (paragraphes 11-14 ci-dessus). En outre, le juge n'accueillit que les 13 février 1980 et 23 février 1981, respectivement, les demandes d'expertise médicale et d'examen orthopédique présentées par MM. Martins Moreira et Pontes. Or la première remontait au 11 octobre 1979 (paragraphes 16-17 ci-dessus), la seconde - précédée d'un rapport de l'Institut - au 20 octobre 1980 (paragraphes 21-24 ci-dessus). Du reste, il s'agissait là de mesures d'ordre purement administratif.
Enfin, après que le requérant eut interjeté appel le 13 octobre 1982, le greffe du tribunal d'Evora attendit jusqu'au 23 juin 1983 pour transmettre le dossier à celui de la juridiction supérieure; dans l'intervalle, il se contenta de s'assurer qu'y figuraient certains mémoires et d'établir le décompte des frais et dépens de la procédure de première instance (paragraphe 32 ci-dessus).
53. Le tribunal invoquait à l'époque une surcharge de travail (paragraphes 17-18 ci-dessus).
De fait, selon les propres indications de M. Martins Moreira le juge chargé de la cause trouva, en occupant son poste à Evora, plus de mille affaires pendantes et dut exercer aussi ses fonctions dans cinq autres tribunaux proches de la ville.
La situation ainsi décrite avait acquis un caractère structurel; partant, elle commandait des dispositions de nature à la redresser (voir notamment l'arrêt Guincho précité, série A n° 81, p. 17, par. 40). Il n'apparaît pas que les autorités compétentes en aient pris d'efficaces.
54. De leur côté, les procédures devant la cour d'appel et la Cour Suprême comportèrent des retards, notamment pendant la phase consacrée à l'examen du dossier par les magistrats (paragraphes 33-35 ci-dessus).
D'après le Gouvernement, une comparaison avec la durée constatée à ce niveau dans les autres Etats membres du Conseil de l'Europe tournerait sûrement à l'avantage du Portugal.
Pareil argument, du reste non accompagné de données précises, ne saurait convaincre. Il pourrait aboutir à l'acceptation de pratiques contestables mais suffisamment générales, tandis que selon la jurisprudence de la Cour il y a lieu de tenir compte des circonstances de chaque espèce (paragraphe 45 ci-dessus) et, en tout cas, de veiller au respect de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
55. Si les divers retards observés plus haut dépassent un an et demi au total, ils n'expliquent pas à eux seuls la longueur de la procédure; elle découle surtout, les comparants s'accordent à le reconnaître, des difficultés rencontrées pour l'examen des demandeurs par des experts en orthopédie.
56. A cet égard, le tribunal de première instance d'Evora ne manqua pas de diligence; il essaya notamment de trouver des solutions de rechange, mais en vain.
Réclamée par les demandeurs le 11 octobre 1979 (paragraphe 16 ci-dessus), l'expertise médicale ne fut terminée qu'en octobre 1981 pour M. Martins Moreira et en février 1982 pour M. Pontes (paragraphe 28 ci-dessus). Elle prit donc deux ans pour l'un et un peu davantage pour l'autre. De prime abord déraisonnables, ces laps de temps appellent un contrôle attentif.
57. La Cour constate que le juge consacra une grande partie du délai considéré à des démarches administratives. Sachant que l'Institut ne comptait pas d'experts en orthopédie, il s'adressa d'abord à la Faculté de médecine de Lisbonne, puis à un hôpital civil de la même ville. Seul l'échec de ces initiatives, dû soit au manque de spécialistes soit à la surcharge de travail, le conduisit à ordonner, le 3 juillet 1980, que les examens eussent lieu à l'Institut (paragraphes 18-20 ci-dessus). Il fallut donc près de neuf mois pour en organiser.
Les examens se déroulèrent le 6 octobre 1980 et les médecins communiquèrent leurs conclusions au tribunal neuf jours plus tard. Toutefois, ils ne dressèrent pas encore de rapports définitifs: n'étant pas spécialistes en orthopédie, ils recommandèrent d'inviter les intéressés à leur fournir certains documents et à subir un nouvel examen dans une institution publique appropriée (paragraphe 21 ci-dessus). Or le juge ne réussit que le 4 mai 1981 à désigner les experts appelés à s'acquitter de cette dernière tâche (paragraphes 24-25 ci-dessus).
58. L'expertise elle-même ne demanda que deux semaines: après avoir prêté serment le 1er juin 1981, les experts annoncèrent dès le 15 au juge qu'ils étaient en mesure de répondre à ses questions, ce qu'ils firent le 23 (paragraphes 25 et 27 ci-dessus).
Les médecins de l'Institut examinèrent derechef les intéressés le 6 octobre 1981. Ils rédigèrent aussitôt un rapport final concernant M. Martins Moreira, sur la base de l'expertise orthopédique et des autres documents cliniques produits, mais il fallut attendre jusqu'au 5 février 1982 pour M. Pontes: celui-ci avait suivi un nouveau traitement à Londres en août et septembre 1981, et la traduction portugaise des pièces correspondantes ne fut prête que le 9 novembre (paragraphe 28 ci-dessus).
La Cour s'étonne que l'on ait eu besoin de deux ans pour pratiquer trois examens médicaux, dont le plus long n'exigea que quinze jours. Seules des circonstances très exceptionnelles pourraient justifier un tel délai.
59. D'après le Gouvernement, on ne pouvait de toute manière déterminer les conséquences de l'accident avec la rigueur scientifique voulue avant de connaître l'évolution de l'état de santé des intéressés.
Cette considération ne manque pas d'un certain poids mais on ne saurait en déduire, avec le Gouvernement, que les retards constatés en l'espèce se justifiaient. Pareille conclusion équivaudrait à priver de leur droit à obtenir justice dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 (art. 6), les personnes qui en ont le plus besoin du fait même de la gravité particulière de leurs blessures. Au demeurant, les experts nommés par le tribunal d'Evora conclurent dès le 23 juin 1981 à la stabilité de l'état de santé de MM. Martins Moreira et Pontes (paragraphe 27 ci-dessus).
60. Toujours selon le Gouvernement, seul le comportement des autorités judiciaires en cause pourrait en la matière engager la responsabilité internationale du Portugal, et non des fautes éventuelles du législateur, de l'exécutif ou d'organes ou personnes ne relevant pas de la structure de l'Etat, en l'occurrence l'Institut qui n'aurait pas de rapports hiérarchiques avec les juridictions.
Cette thèse se heurte à la jurisprudence constante de la Cour. En ratifiant la Convention, l'Etat portugais a contracté l'obligation de l'observer et il doit, en particulier, en assurer le respect par ses différentes autorités (voir entre autres, mutatis mutandis, l'arrêt Guincho précité, série A n° 81, p. 16, par. 38).
Or, en l'occurrence, les diverses institutions que l'insuffisance de leurs ressources, ou leur surcharge de travail, empêchèrent de donner suite aux demandes du juge d'Evora, étaient toutes publiques. Leur caractère non judiciaire ne tire pas ici à conséquence.
Il en va notamment ainsi de l'Institut de médecine légale de Lisbonne, dont le manque de moyens provoqua des difficultés. L'article 600 n° 2 du code de procédure civile confie aux instituts de ce genre le soin d'opérer les examens médicaux légaux. En outre, ils ont été créés à cette fin et dépendent administrativement du ministère de la Justice. Dès lors, il incombe à l'Etat portugais de les doter de moyens appropriés, adaptés aux objectifs recherchés, de manière à leur permettre de remplir les exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Bouamar du 29 février 1988, série A n° 129, p. 22, par. 52).
En tout cas, l'expertise en question se situait dans le cadre d'une procédure judiciaire contrôlée par le juge, qui restait chargé d'assurer la conduite rapide du procès (voir notamment l'arrêt Capuano du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 13, par. 30).
4. Conclusion
61. Eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, la Cour constate que la durée excessive de la procédure découle pour l'essentiel du comportement des autorités compétentes. Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
62. Aux termes de l'article 50 (art. 50) de la Convention, "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
M. Martins Moreira demande une réparation pécuniaire pour préjudice matériel et moral, ainsi que le remboursement de frais et dépens exposés au Portugal puis devant les organes de la Convention.
Le Gouvernement conteste la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable des montants exigés; quant à elle, la Commission ne se prononce pas sur ce point mais elle exprime l'opinion que le requérant a droit en principe à une indemnité, pour dommage moral à tout le moins.
A. Dommage
63. D'après le requérant, la longue durée de la procédure l'a empêché d'obtenir le versement, même partiel, de l'indemnité de 1.032.000 escudos que lui avait allouée la cour d'appel d'Evora (paragraphe 33 ci-dessus). En effet, la responsabilité de la compagnie Império était limitée à 200.000 escudos (paragraphe 10 ci-dessus), à répartir entre la compagnie intervenante Comércio e Indústria et les demandeurs au principal, MM. Pontes et Martins Moreira (paragraphe 36 ci-dessus). Pour le reste, la faillite de la société défenderesse Gestetner n'aurait pas permis au requérant de recouvrer sa créance (paragraphe 36 ci-dessus) et il risque de ne rien recevoir du tout vu l'énormité du passif. Il en irait ainsi, notamment, des frais assumés par lui pour suivre des traitements médicaux; la juridiction compétente les a évalués à 532.000 escudos. Pour arriver à y faire face, il aurait contracté des emprunts dont les intérêts atteindraient déjà 200.000 escudos environ.
M. Martins Moreira affirme en outre ne pouvoir, faute d'avoir touché la somme accordée, subir à Londres une nouvelle opération que rendrait nécessaire son état de santé actuel. Cette situation lui causerait une angoisse justifiant l'octroi d'un montant de 2.000.000 escudos pour dommage moral.
64. Pour le Gouvernement, les critères consacrés par la jurisprudence de la Cour devraient conduire à une solution sensiblement différente de celle que propose le requérant.
65. Il y a lieu de rappeler que le requérant, après avoir essayé en vain d'amener la compagnie Império et la société Gestetner à lui payer spontanément la fraction chiffrée de sa créance, demanda l'exécution forcée de la décision prononcée en sa faveur et la saisie des biens de ladite société (paragraphe 36 ci-dessus). Toutefois, le tribunal de Lisbonne constata, le 18 janvier 1988, que cette dernière faisait l'objet d'une procédure, laquelle a abouti, le 25 mars 1988, à une déclaration de faillite.
Sans doute s'agit-il là d'une circonstance postérieure à l'arrêt de la Cour suprême du 5 février 1987 (paragraphe 35 ci-dessus). Cependant, et même s'il n'est pas certain que le requérant aurait recouvré l'intégralité de sa créance au cas où la procédure principale se serait achevée plus tôt, la Cour estime raisonnable de conclure qu'il a subi à cause du long retard, contraire à l'article 6 par. 1 (art. 6-1), relevé par le présent arrêt, une perte de chances justifiant l'octroi d'une satisfaction équitable pour préjudice matériel (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Lechner et Hess du 23 avril 1987, série A n° 118, p. 22, par. 64).
66. M. Martins Moreira a souffert de surcroît un tort moral indéniable: il a vécu et vit toujours dans l'incertitude et l'anxiété quant au résultat de la procédure litigieuse et à ses répercussions sur sa situation de fortune et sa santé.
67. Les divers éléments de dommage ainsi retenus ne se prêtent pas à un calcul exact. Les appréciant dans leur ensemble et, comme le veut l'article 50 (art. 50), en équité, la Cour alloue au requérant une indemnité de 2.000.000 escudos.
B. Frais et dépens
68. M. Martins Moreira réclame en outre le remboursement de 45.573 escudos de frais de procédure qu'il a dû payer au Portugal malgré l'octroi de l'assistance judiciaire (paragraphes 13, 32 et 36 ci-dessus), ainsi que de 12.000 escudos du chef de ses frais de déplacement à Evora.
Au titre des procédures suivies devant les organes de la Convention, qui lui ont octroyé le bénéfice de l'assistance judiciaire, il demande 12.086 escudos pour frais divers et 400.000 escudos pour les honoraires de ses deux avocats successifs, M. Rodrigues et Me Neves Anacleto.
69. Le Gouvernement invite la Cour à s'appuyer sur les principes ressortant de sa jurisprudence; ils militeraient pour une solution différente de celle que propose le requérant. Spécialement, la participation de deux avocats lui paraît superflue.
70. La Cour constate que le requérant a droit à recouvrer les frais exposés par lui au Portugal dans la mesure où la durée de la procédure, imputable pour l'essentiel au comportement des autorités compétentes (paragraphe 61 ci-dessus), a entraîné pour lui des dépenses supplémentaires et où il a essayé en vain de l'abréger par certaines initiatives (paragraphes 37-38 ci-dessus). Il a également droit au remboursement de ceux qu'il a supportés pour l'examen de l'affaire à Strasbourg. La Cour évalue à 35.000 escudos le montant global des uns et des autres.
Quant à la participation de Me Neves Anacleto à l'audience du 21 juin 1988, elle a eu lieu à la demande de Me Rodrigues, empêché de se rendre lui-même à Strasbourg. Une bonne administration de la justice exigeait la présence d'un nouvel avocat, lequel a dû se familiariser avec l'affaire avant les débats. Au surplus, le montant de 400.000 escudos revendiqué apparaît raisonnable.
Au total, le requérant a donc droit au remboursement de 435.000 escudos pour frais et dépens, moins les 5.180 francs français versés par le Conseil de l'Europe par la voie de l'assistance judiciaire.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant 2.000.000 (deux millions) escudos pour dommage et lui rembourser, pour frais et dépens, 435.000 (quatre cent trente-cinq mille) escudos, moins 5.180 (cinq mille cent quatre-vingts) francs français à convertir en escudos au taux applicable le jour du prononcé du présent arrêt;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg, le 26 octobre 1988.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : MARTINS MOREIRA
Défendeurs : PORTUGAL

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 26/10/1988
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11371/85
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-10-26;11371.85 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award