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29/11/1988 | CEDH | N°11209/84;11234/84;11266/84;...

CEDH | AFFAIRE BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(Requête no 11209/84; 11234/84; 11266/84; 11386/85)
ARRÊT
STRASBOURG
29 novembre 1988
En l’affaire Brogan et autres*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
MM.  F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,<

br> B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
(Requête no 11209/84; 11234/84; 11266/84; 11386/85)
ARRÊT
STRASBOURG
29 novembre 1988
En l’affaire Brogan et autres*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
MM.  F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
J. A. Carrillo Salcedo,
N. Valticos,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 mai et 28 octobre 1988,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 15 juillet 1987 puis par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ("le Gouvernement") le 3 août 1987, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouvent quatre requêtes (no 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85) dirigées contre le Royaume-Uni et dont MM. Terence Brogan, Dermot Coyle, William McFadden et Michael Tracey, citoyens britanniques, avaient saisi la Commission en vertu de l’article 25 (art. 25) les 18 octobre 1984, 22 octobre 1984, 22 novembre 1984 et 8 février 1985.
2.   La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration britannique de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Tout comme la requête du Gouvernement, elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux obligations qui découlent de l’article 5 (art. 5), auquel elle ajoute l’article 13 (art. 13).
3.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, chacun des requérants a exprimé le désir de participer à l’instance pendante devant la Cour et désigné son conseil (article 30).
4.   La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1987, le vice-président de celle-ci, agissant sur délégation du président, en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. B. Walsh, A. Spielmann, A. Donner, J. De Meyer et J. A. Carrillo Salcedo, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. J. Pinheiro Farinha, suppléant, a remplacé M. Donner, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5.   Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et l’avocat des requérants au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à ses ordonnances et directives, le greffe a reçu le mémoire du Gouvernement le 14 décembre 1987 et celui des requérants le 18 janvier 1988.
Le 14 mars 1988, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué y répondrait lors des audiences.
Les 24 février et 18 mars 1988, respectivement, l’agent du Gouvernement et les conseils des requérants ont fourni d’autres documents.
6.   Par une lettre arrivée le 23 novembre 1987, la Standing Advisory Commission on Human Rights (Commission consultative permanente pour les Droits de l’Homme), Belfast, a sollicité l’autorisation de formuler des observations écrites (article 37 par. 2). Le président la lui a octroyée, sous certaines conditions, le 2 décembre et les observations dont il s’agit sont parvenues au greffe le 19 janvier 1988.
7.   Le 15 mars 1988, le président a fixé au 25 mai la date d’ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).
8.   Le 23 mars 1988, la chambre s’est dessaisie au profit de la Cour plénière (article 50).
9.   Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. M. Wood, conseiller juridique,
Foreign and Commonwealth Office,  agent,
Sir Nicholas Lyell, Q.C., Solicitor General,
MM. A. Campbell, Q.C.,
N. Bratza, Q.C.,  conseils;
- pour la Commission
M. H. Danelius,  délégué;
- pour les requérants
MM. R. Charles Hill, Q.C.,
S. Treacy, Barrister-at-Law,  conseils,
J. Christopher Napier, solicitor.
10.  La Cour a entendu en leurs déclarations Sir Nicholas Lyell pour le Gouvernement, M. Danelius pour la Commission et M. Hill pour les requérants. Le Gouvernement a adressé ses réponses aux questions de la Cour et à celles d’un juge les 25 mai et 24 juin.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Terence Patrick Brogan
11.  Le premier requérant, M. Terence Patrick Brogan, est né en 1961. Agriculteur, il réside dans le comté de Tyrone, en Irlande du Nord.
12.  Le 17 septembre 1984 à 6 h 15, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 de la loi de 1984 portant dispositions temporaires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984, "la loi de 1984"). Conduit alors à la caserne de Gough, Armagh, il y resta détenu jusqu’à sa libération le 22 septembre 1984 à 17 h 20, soit pendant cinq jours et onze heures.
13.  Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé sur sa participation présumée à une attaque contre une patrouille mobile de la police, survenue le 11 août 1984 dans le comté de Tyrone et qui avait causé la mort d’un sergent et des blessures graves à un autre policier. On le questionna aussi sur son appartenance supposée à l’Armée républicaine irlandaise provisoire (Provisional Irish Republican Army, "l’I.R.A."), organisation interdite aux fins de la loi de 1984. Observant un silence total, il refusa de répondre. En outre, il se détournait des enquêteurs et fixait le sol, le plafond ou le mur et de temps à autre se mettait au garde-à-vous. Il reçut la visite de son solicitor (homme de loi) les 19 et 21 septembre.
B. Dermot Coyle
14.  Le deuxième requérant, M. Dermot Coyle, est né en 1953. Actuellement au chômage, il réside dans le comté de Tyrone, en Irlande du Nord.
15.  Le 1er octobre 1984 à 6 h 35, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 de la loi de 1984. Conduit alors à la caserne de Gough, Armagh, il y resta détenu jusqu’à sa libération le 7 octobre 1984 à 11 h 05, soit pendant six jours et seize heures et demie.
16.  Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé au sujet d’une mine terrestre placée dans le but de tuer des membres des forces de sécurité le 23 février 1984, ainsi que de l’explosion d’une bombe incendiaire le 13 juillet 1984, incidents qui avaient tous deux eu lieu dans le comté de Tyrone. On le questionna aussi sur son stock présumé d’armes à feu et sur son appartenance alléguée à l’I.R.A. provisoire. Il garda un silence total, sauf une fois où il demanda ses cigarettes. Au cours d’un interrogatoire, il cracha à plusieurs reprises par terre et par-dessus la table de la salle. Il reçut la visite de son solicitor les 3 et 5 octobre.
C. William McFadden
17.  Le troisième requérant, M. William McFadden, est né en 1959. Actuellement au chômage, il réside à Londonderry, en Irlande du Nord.
18.  Le 1er octobre 1984 à 7 h, il fut appréhendé chez lui par un policier en vertu de l’article 12 de la loi de 1984. Conduit alors au centre de détention de la police de Castlereagh, à Belfast, il y resta jusqu’à sa libération le 5 octobre 1984 à 13 h, soit pendant quatre jours et six heures.
19.  Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé au sujet du meurtre d’un soldat lors d’un attentat à la bombe, le 15 octobre 1983 à Londonderry, ainsi que de celui d’un autre militaire au cours d’un attentat à la bombe à essence, accompagné d’une fusillade, le 23 avril 1984 dans la même ville. On le questionna aussi sur son appartenance présumée à l’I.R.A. provisoire. Il garda un silence complet, sauf en une occasion où il répondit à des questions de caractère général. En outre, de temps à autre il se levait ou s’asseyait sur le sol de la salle. Il reçut la visite de son solicitor le 3 octobre.
D. Michael Tracey
20.  Le quatrième requérant, M. Michael Tracey, est né en 1962. Apprenti menuisier, il réside à Londonderry, en Irlande du Nord.
21.  Le 1er octobre 1984 à 7 h 04, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 de la loi de 1984. Conduit alors au commissariat de Castlereagh de la police royale de l’Ulster (Royal Ulster Constabulary, "la R.U.C."), à Belfast, il y resta détenu jusqu’à sa libération le 5 octobre 1984 à 18 h, soit pendant quatre jours et onze heures.
22.  Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé sur l’attaque à main armée, les 3 mars et 29 mai 1984, de bureaux de poste à Londonderry ainsi que sur un complot d’assassinat de membres des forces de sécurité. On le questionna aussi sur son appartenance présumée à l’Armée nationale irlandaise de libération (Irish National Liberation Army, "l’I.N.L.A."), organisation terroriste prohibée. Il garda un silence complet, sauf sur quelques points de caractère général, et essaya d’interrompre les interrogatoires en frappant sur les tuyaux de chauffage de la salle, en sifflant et en cognant sa chaise contre les murs et sur le sol. Il reçut la visite de son solicitor le 3 octobre.
E. Faits communs aux quatre requérants
23.  Les requérants furent tous informés par le policier procédant à leur arrestation qu’il les appréhendait au titre de l’article 12 de la loi de 1984 et qu’il existait des motifs plausibles de les soupçonner d’avoir commis, préparé ou incité à perpétrer des actes de terrorisme liés à la situation en Irlande du Nord. On les avisa qu’ils n’avaient pas l’obligation de parler, mais que toutes leurs déclarations pourraient servir d’éléments de preuve.
24.  Le lendemain de son arrestation, chacun d’eux apprit par des policiers que le ministre pour l’Irlande du Nord avait accepté de prolonger sa détention de cinq jours, en application de l’article 12 par. 4 de la loi de 1984. Ils ne furent ni traduits devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, ni inculpés après leur élargissement.
II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Introduction
25.  La situation critique qui régnait en Irlande du Nord au commencement des années 1970, et l’ampleur des menées terroristes dont elle s’accompagnait, se trouvent à l’origine de la loi de 1974 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1974, "la loi de 1974"). De 1972 à 1983, on attribua au terrorisme en Irlande du Nord plus de deux milliers de morts, contre une centaine en Grande-Bretagne. Au milieu des années 1980 on enregistra beaucoup moins de tués qu’au début de la décennie précédente, mais le terrorisme systématique persista.
26.  La loi de 1974 entra en vigueur le 29 novembre 1974. Elle proscrivait l’I.R.A., déjà interdite en Irlande du Nord, et réprimait tout soutien ouvert à cette organisation en Grande-Bretagne. En outre, elle dotait la police de pouvoirs spéciaux en matière d’arrestation et de garde à vue pour lui permettre de lutter plus efficacement contre la menace du terrorisme (paragraphes 30-33 ci-dessous).
27.  La loi de 1974 devait être reconduite tous les six mois par le Parlement afin qu’il pût contrôler, entre autres, la nécessité de maintenir les pouvoirs d’exception. Il en alla ainsi jusqu’en mars 1976, date à laquelle elle fut promulguée derechef moyennant certains amendements.
D’après l’article 17 de la loi de 1976, il fallait que le Parlement confirmât les pouvoirs spéciaux tous les douze mois. A son tour, ladite loi fut renouvelée chaque année jusqu’en 1984, date à laquelle elle fut repromulguée sous une forme modifiée. La loi de 1984, entrée en vigueur en mars, a prohibé l’I.N.L.A. en sus de l’I.R.A. Reconduite tous les ans, elle cessera de s’appliquer en mars 1989, date à laquelle le gouvernement compte proposer une législation permanente.
28.  La loi de 1976 fit l’objet de rapports de Lord Shackleton et de Lord Jellicoe, publiés en juillet 1978 et janvier 1983 respectivement. Des rapports annuels sur celle de 1984 furent présentés au Parlement par Sir Cyril Philips (pour 1984 et 1985) et par le Vicomte Colville (pour 1986 et 1987), qui réalisa aussi en 1987 une étude de plus grande ampleur sur le jeu de la loi de 1984.
29.  Ces diverses analyses furent demandées par le gouvernement et communiquées au Parlement pour aider à déterminer si la législation continuait à correspondre à un besoin. Leurs auteurs concluaient en particulier qu’eu égard aux problèmes inhérents à la prévention et à la détection du terrorisme, il se révélait indispensable de conserver les pouvoirs d’exception en matière d’arrestation et de garde à vue. Ils écartaient l’idée de confier aux tribunaux les décisions prolongeant la garde à vue, notamment parce qu’elles se fondaient sur des renseignements fort délicats que l’on ne pouvait divulguer aux détenus, ni à leurs conseils. Pour différentes raisons, pareille décision relevait bien du domaine de l’exécutif.
B. Le pouvoir d’arrestation sans mandat prévu par la loi de 1984 et par d’autres
30.  Les clauses pertinentes de l’article 12 de la loi de 1984, analogues à celles des lois de 1974 et 1976, sont les suivantes:
"12. (1) (...) un agent de police peut arrêter sans mandat une personne qu’il a des motifs plausibles de soupçonner
b) d’être ou avoir été impliquée dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme auxquels s’applique ce titre de la présente loi;
(3) Les actes de terrorisme auxquels s’applique ce titre de la présente loi sont:
a) les actes de terrorisme liés à la situation en Irlande du Nord;
(4) Une personne arrêtée en vertu du présent article ne demeure pas en garde à vue plus de quarante-huit heures après son arrestation; le ministre peut néanmoins prolonger ce délai d’une ou plusieurs périodes dont il précise la durée.
(5) Cette ou ces périodes supplémentaires n’excèdent pas cinq jours au total.
(6) Les dispositions ci-après (obligation de traduire l’inculpé en justice après son arrestation) ne s’appliquent pas aux personnes ainsi gardées à vue:
d) l’article 131 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates’ Courts d’Irlande du Nord;
(8) Le présent article ne porte pas atteinte aux pouvoirs d’arrestation utilisables indépendamment de lui."
31.  L’article 14 par. 1 de la loi de 1984 définit le terrorisme comme "le recours à la violence à des fins politiques", y compris le dessein "d’inspirer de la peur à la population ou à une fraction de celle-ci". La Chambre des Lords a jugé libellée en "termes larges" une définition identique figurant dans la loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1978); elle a refusé de donner au mot "terroriste" une interprétation plus étroite que le sens évoqué par son usage courant aux yeux d’un membre de la police ou d’un simple citoyen (Lord Roskill dans l’affaire McKee v. Chief Constable for Northern Ireland, All England Law Reports 1985, vol. 1, pp. 3-4).
32.  Selon l’article 131 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates’ Courts d’Irlande du Nord, déclaré inapplicable par l’article 12 par. 6 d) de la loi de 1984 (paragraphe 30 ci-dessus), une personne arrêtée sans mandat et non relâchée dans les vingt-quatre heures doit être traduite devant un tel tribunal dans les meilleurs délais, en aucun cas plus de quarante-huit heures après son arrestation.
33.  La loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord instituait elle aussi des pouvoirs spéciaux en matière d’arrestation sans mandat. Aux termes de son article 11, un agent de police pouvait arrêter sans mandat toute personne qu’il soupçonnait de terrorisme. L’intéressé pouvait rester en garde à vue jusqu’à soixante-douze heures sans comparaître en justice.
Ladite loi a été modifiée par celle de 1987 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord, entrée en vigueur le 15 juin 1987. Aux mesures d’arrestation prévues par la première, la seconde a substitué le pouvoir de pénétrer dans des locaux et d’y perquisitionner afin d’arrêter, en vertu de l’article 12 de la loi de 1984, un terroriste présumé.
C. Exercice du pouvoir d’arrestation prévu à l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984
34.  Pour opérer une arrestation régulière en vertu de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984, le policier doit avoir des raisons plausibles de soupçonner la personne en question d’être ou avoir été impliquée dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme. En outre, une arrestation sans mandat obéit aux règles de common law énoncées par la Chambre des Lords dans l’affaire Christie v. Leachinsky (Appeal Cases 1947, pp. 587 et 600): l’intéressé doit être informé du motif exact de son arrestation, normalement dès sa mise en garde à vue ou, si des circonstances particulières le justifient, dès que possible par la suite. Il n’y a pas besoin d’employer à cette fin un langage technique ou précis; il suffit que l’individu appréhendé sache en substance pourquoi.
Dans l’affaire Ex parte Lynch (Northern Ireland Reports, 1980, p. 131), où la personne arrêtée sollicitait une ordonnance d’habeas corpus, la High Court d’Irlande du Nord a examiné l’article 12 par. 1 b). Le policier qui avait appréhendé le demandeur lui avait déclaré s’appuyer sur l’article 12 de la loi de 1976 car il le soupçonnait de tremper dans des menées terroristes. La High Court a relevé qu’il avait donné ainsi le motif véritable de l’arrestation et avait agi de manière sensée, compte tenu des circonstances, pour indiquer à l’intéressé la nature du soupçon, à savoir celui de se trouver impliqué dans de telles menées. Elle en a déduit que la légalité de l’arrestation ne pouvait se contester à cet égard.
35.  Les soupçons du policier qui procède à l’arrestation doivent être raisonnables en l’occurrence; pour en juger, le tribunal doit disposer de certains renseignements sur leurs sources et leurs motifs (décision du juge Higgins dans l’affaire Van Hout v. Chief Constable of the RUC and the Northern Ireland Office, décision de la High Court d’Irlande du Nord, du 28 juin 1984).
D. But de l’arrestation et de la garde à vue autorisées par l’article 12 de la loi de 1984
36.  En droit commun, on ne saurait appréhender et garder à vue quelqu’un à seule fin d’enquêter à son sujet. Un interrogatoire motivé par des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis une infraction propre à justifier une arrestation constitue une cause légitime de privation de liberté sans mandat lorsqu’il a pour but de dissiper ou confirmer ces soupçons, à condition que le suspect soit traduit en justice dès que possible (R. v. Houghton, Criminal Appeal Reports 1979, vol. 68, p. 205, et Holgate-Mohammed v. Duke, All England Law Reports 1984, vol. 1, p. 1059).
En revanche, dans l’affaire Ex parte Lynch (loc. cit., p. 131) le Lord Chief Justice Lowry a estimé que la régularité d’une arrestation effectuée au titre de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984 ne dépend pas de l’existence du soupçon d’un crime ou délit déterminé. Il a ajouté:
"(...) [I]l échet de noter en outre qu’une arrestation opérée en vertu de l’article 12 par. 1 débouche (...) sur une garde à vue autorisée sans inculpation. Il peut n’y avoir en fin de compte aucune inculpation; ainsi, une arrestation ne représente pas forcément (...) la première étape de poursuites pénales exercées contre un suspect sur la base d’un reproche devant donner lieu à un examen judiciaire."
E. Prolongation de la garde à vue
37.  En Irlande du Nord, les demandes de prolongation de la garde à vue au-delà du délai initial de quarante-huit heures sont traitées au niveau des hauts fonctionnaires de la police à Belfast, puis soumises à l’agrément du ministre pour l’Irlande du Nord ou, à défaut, d’un secrétaire d’État.
La loi de 1984 (comme ses devancières) ne fixe pas de conditions à observer en la matière, mais des critères précis se sont dégagés de la pratique; les rapports et études annexés au mémoire du Gouvernement en fournissent la liste.
Selon les statistiques citées par la Commission consultative permanente pour les Droits de l’Homme (paragraphe 6 ci-dessus), de mars 1984, date de l’entrée en vigueur de la loi de 1984, à septembre 1987 le ministre a rejeté un peu plus de 2 % des demandes de prolongation présentées par la police pour l’Irlande du Nord.
F. Voies de recours
38.  Les principales voies de droit ouvertes aux personnes détenues en vertu de la loi de 1984 consistent à solliciter une ordonnance d’habeas corpus et à intenter au civil une action en dommages-intérêts pour détention illégale (false imprisonment).
1. Habeas corpus
39.  La loi de 1984 permet d’arrêter quelqu’un et de le garder à vue pendant sept jours en tout (article 12 paras. 4 et 5, paragraphe 30 ci-dessus). Le paragraphe 5 (2) de son annexe 3 précise qu’une telle personne "est réputée se trouver en garde à vue légale" (in legal custody), mais il n’exclut pas le recours de l’habeas corpus. Si l’arrestation initiale est illégale, il en va de même de la détention ultérieure (décision du juge Higgins dans l’affaire Van Hout, loc. cit., p. 18).
40.  L’habeas corpus est une procédure par laquelle une personne privée de sa liberté peut demander d’urgence son élargissement en alléguant l’illégalité de sa détention.
Le tribunal compétent ne connaît que de la régularité, et non du bien-fondé, de cette dernière. Son contrôle - dont l’ampleur n’a rien d’invariable mais dépend du contexte de la cause et, le cas échéant, des termes de la loi en vertu de laquelle s’exerce le pouvoir de détention - porte notamment sur le respect des exigences formelles de ladite loi et peut s’étendre, par exemple, au caractère raisonnable des soupçons sur lesquels repose l’arrestation (Ex parte Lynch, loc. cit., et Van Hout, loc. cit.). Une détention techniquement légale peut aussi donner lieu à un examen au motif qu’il y aurait eu abus de pouvoir car les autorités auraient agi de mauvaise foi, à la légère ou dans un but illicite (R v. Governor of Brixton Prison, ex parte Sarno, King’s Bench Reports 1916, vol. 2, p. 742, et R v. Brixton Prison (Governor), ex parte Soblen, All England Law Reports 1962, vol. 3, p. 641).
Le fardeau de la preuve pèse sur les autorités défenderesses: elles doivent justifier de la légalité de la décision de détenir, pourvu que le demandeur en habeas corpus ait fourni un commencement de preuve (Khawaja v. Secretary of State, All England Law Reports 1983, vol. 1, p. 765).
2. Détention arbitraire
41.  Quiconque se prétend illégalement arrêté et détenu peut en outre introduire de ce chef une action en dommages-intérêts. Lorsque la légalité de l’arrestation se trouve subordonnée à l’existence d’un motif raisonnable de suspicion, il incombe à l’autorité défenderesse de démontrer celle-ci (Dallison v. Caffrey, Queen’s Bench Reports 1965, vol. 1, p. 348, et Van Hout, loc. cit., p. 15).
Dans le cadre de pareille instance, le caractère raisonnable d’une arrestation peut être vérifié à partir des principes bien établis du contrôle juridictionnel de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif (Holgate-Mohammed v. Duke, loc. cit.)
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
42.  Les requérants ont saisi la Commission respectivement les 18 octobre 1984, 22 octobre 1984, 22 novembre 1984 et 8 février 1985 (requêtes no 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85). Ils affirmaient que leur arrestation et leur détention avaient enfreint le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention et qu’il y avait eu aussi violation des paragraphes 2, 3, 4 et 5 (art. 5-2, art. 5-3, art. 5-4, art. 5-5). Ils alléguaient en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), ils ne disposaient d’aucun recours effectif quant à leurs autres griefs.
Ils ont retiré par la suite le moyen relatif à l’article 5 par. 2 (art. 5-2).
43.  Le 10 juillet 1986, la Commission a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur; elle a retenu les requêtes le lendemain.
Dans son rapport du 14 mai 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut à la méconnaissance des paragraphes 3 et 5 de l’article 5 (art. 5-3, art. 5-5) dans le cas de MM. Brogan et Coyle (dix voix contre deux pour le paragraphe 3, neuf voix contre trois pour le paragraphe 5), mais non dans celui de MM. McFadden et Tracey (huit voix contre quatre pour les deux paragraphes). Elle n’aperçoit pas non plus de manquement aux exigences des paragraphes 1 et 4 (unanimité pour le paragraphe 1, dix voix contre deux pour le paragraphe 4). Enfin, elle estime que nulle question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
44.  À l’audience publique du 25 mai 1988, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire
"1) que les faits ne révèlent aucune infraction aux paragraphes 1, 3, 4 ou 5 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-3, art. 5-4, art. 5-5) de la Convention;
2) qu’ils ne révèlent aucune violation de l’article 13 (art. 13), en ordre subsidiaire que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de ce texte".
Le Gouvernement a en outre demandé à la Cour de ne pas examiner le grief soulevé sous l’angle de l’article 5 par. 2 (art. 5-2).
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DU LITIGE
45.  Dans leurs requêtes initiales, les intéressés invoquaient le paragraphe 2 de l’article 5 (art. 5-2), ainsi libellé:
"Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle."
Toutefois, ils ont retiré ce grief par la suite; dans sa décision de recevabilité, la Commission a constaté qu’ils ne le présentaient plus.
Par une lettre arrivée au greffe le 17 mai 1988, ils ont sollicité de la Cour l’autorisation de le réintroduire; Gouvernement et Commission s’y sont opposés en plaidoirie.
46.  La Cour rappelle que l’étendue de sa compétence se trouve déterminée par la décision de la Commission retenant la requête (voir, entre autres, l’arrêt Weeks du 2 mars 1987, série A no 114, p. 21, par. 37). Elle estime qu’il échet d’avoir égard à l’abandon explicite de l’allégation relative au paragraphe 2, à la suite duquel la Commission cessa d’en examiner la recevabilité. Laisser les requérants ressusciter le moyen devant elle contournerait le mécanisme de traitement des requêtes instauré par la Convention.
47.  En conséquence, la thèse d’une violation de l’article 5 par. 2 (art. 5-2) ne saurait entrer en ligne de compte.
II. PERSPECTIVE GENERALE
48.  Le Gouvernement insiste beaucoup sur l’existence, en Irlande du Nord, d’une situation des plus délicates en raison, notamment, de la menace du terrorisme organisé.
Devant l’extension du terrorisme dans la société moderne, la Cour a déjà reconnu la nécessité, inhérente au système de la Convention, d’un juste équilibre entre la défense des institutions de la démocratie dans l’intérêt commun et la sauvegarde des droits individuels (arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A no 28, pp. 23 et 27-28, paras. 48-49 et 59).
Le 22 août 1984, le Gouvernement a informé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe qu’il retirait un avis de dérogation notifié au titre de l’article 15 (art. 15) et motivé par l’état d’urgence en Irlande du Nord (Annuaire de la Convention, vol. 14 [1971], p. 33, vol. 16 [1973], pp. 27-29, vol. 18 [1975], p. 19, et vol. 21 [1978], p. 23, pour les avis de dérogation, et Bulletin d’information sur les activités juridiques au sein du Conseil de l’Europe et dans les États membres, vol. 21 [juillet 1985], p. 2, pour le retrait). Il a donc indiqué qu’à ses yeux "les dispositions de la Convention [recevaient] pleine application". Au demeurant, et il l’a relevé, la dérogation ne valait pas pour le domaine juridique dont il s’agit ici.
Dès lors, il n’y a pas lieu en l’espèce de rechercher si une campagne terroriste en Irlande du Nord permettait au Royaume-Uni de déroger, en vertu de l’article 15 (art. 15), aux obligations qui découlent pour lui de la Convention. Il faut aborder l’affaire en partant de l’idée que les articles invoqués par les requérants à l’appui de leurs griefs jouent intégralement. Cela n’empêche pourtant pas de prendre dûment en compte le cadre général de l’affaire. Il incombe à la Cour de préciser l’importance à y attribuer sur le terrain de l’article 5 (art. 5) et de vérifier si, en l’occurrence, l’équilibre réalisé a respecté les clauses pertinentes de ce texte, interprétées à la lumière des termes de chacune d’elles ainsi que de son objet et de son but globaux.
III.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR.. 1 (art. 5-1)
49.  Les requérants allèguent la violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1), d’après lequel
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction (...);
Au regard du droit nord-irlandais, nul n’a discuté la "régularité" des arrestations et détentions litigieuses et notamment leur conformité aux "voies légales", mais selon les requérants la privation de liberté subie par eux sur la base de l’article 12 de la loi de 1984 ne cadrait pas avec l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention: on ne les aurait pas appréhendés parce qu’on les soupçonnait d’une "infraction", ni pour les conduire devant l’autorité judiciaire compétente.
50.  Dans la première branche de leur thèse, les intéressés prétendent que leur arrestation et leur garde à vue se fondaient sur le soupçon non de telle ou telle infraction par eux commise, mais plutôt de participation à des actes indéterminés de terrorisme. Or cela ne constituerait pas un manquement au droit pénal nord-irlandais et ne saurait passer pour une "infraction" aux fins de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c).
Le Gouvernement ne conteste point que la loi de 1984 ne subordonnait pas une arrestation à l’existence du soupçon d’une infraction précise, mais la définition qu’elle donne du terrorisme lui paraît compatible avec la notion d’infraction et avec les exigences du paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) en la matière; cela ressortirait de la jurisprudence de la Cour. Il relève que les requérants étaient en réalité soupçonnés non de se trouver mêlés au terrorisme en général, mais d’avoir adhéré à une organisation interdite et trempé dans des actes précis de terrorisme dont chacun s’analysait en une infraction au droit nord-irlandais et leur fut expressément signalé au cours de leurs interrogatoires après leur arrestation.
51.  L’article 14 de la loi de 1984 définit le terrorisme comme "le recours à la violence à des fins politiques", y compris le dessein "d’inspirer de la peur à la population ou à une fraction de celle-ci" (paragraphe 31 ci-dessus). La Cour a déjà constaté que la même définition - figurant dans l’ordonnance de 1972 sur la détention des terroristes en Irlande du Nord et la loi de 1973 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord - "s’accordait bien avec l’idée d’infraction" (arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 74-75, par. 196).
En outre, les requérants furent tous interrogés, dans les heures qui suivirent leur arrestation, sur leur implication présumée dans des infractions précises et sur leur appartenance supposée à des organisations prohibées (paragraphes 13, 16, 19 et 22 ci-dessus).
Partant, leur privation de liberté s’appuyait sur des raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis une infraction, au sens de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c).
52.  Ce dernier exige aussi que le but de l’arrestation et de la détention consiste à traduire l’intéressé devant l’autorité judiciaire compétente.
D’après le Gouvernement et la Commission, il en alla ainsi en l’espèce et si la police, après avoir appréhendé les requérants, avait recueilli assez de preuves exploitables, ils auraient sans nul doute été accusés et renvoyés en jugement.
Quant à eux, ils combattent ces arguments et soulignent qu’ils ne furent ni inculpés ni déférés à une juridiction pendant leur garde à vue. Une accusation ne succédait pas forcément à une arrestation opérée en vertu de l’article 12 de la loi de 1984 et celle-ci avait rendu inapplicable aux détentions autorisées par elle l’obligation, résultant du droit commun, d’amener l’intéressé devant un tribunal (paragraphes 30 et 32 ci-dessus). Il s’agirait donc d’une sorte d’internement administratif, décidé pour se procurer des renseignements; la manière dont les pouvoirs d’exception s’exerçaient en pratique le confirmerait.
53.  La Cour ne se trouve pas appelée à examiner in abstracto la législation attaquée; elle doit se limiter aux circonstances de la cause.
L’absence d’inculpation et de renvoi en jugement n’implique pas nécessairement que la privation de liberté des requérants ne poursuivît pas un objectif conforme à l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c). Comme le relèvent Gouvernement et Commission, l’existence d’un tel but doit s’envisager indépendamment de sa réalisation et l’alinéa c) de l’article 5 par. 1 (art. 5-1-c) ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations, soit au moment de l’arrestation, soit pendant la garde à vue.
Peut-être ne pouvait-on en réunir ou, eu égard à la nature des infractions présumées, les produire en justice sans danger pour la vie de tiers. Rien ne donne à penser que la bonne foi n’ait pas présidé aux investigations de la police, ni que la détention incriminée n’ait pas eu pour finalité de les compléter en confirmant ou dissipant les soupçons concrets qui, la Cour l’a constaté, justifiaient l’arrestation des intéressés (paragraphe 51 ci-dessus). On est en droit d’admettre que la police, si elle l’avait pu, aurait dénoncé ceux-ci et qu’ils auraient alors comparu devant l’autorité judiciaire compétente.
Il faut donc considérer que les privations de liberté litigieuses tendaient au but indiqué au paragraphe 1 c) (art. 5-1-c).
54.  En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1).
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR. 3 (art. 5-3)
55.  Aux termes de la loi de 1984, la police peut garder à vue un individu appréhendé au titre de l’article 12, sur des soupçons raisonnables de participation à des actes de terrorisme, pour une période initiale de quarante-huit heures et, avec l’accord du ministre pour l’Irlande du Nord, pour un ou plusieurs laps de temps supplémentaires ne dépassant pas cinq jours en tout (paragraphes 30-37 ci-dessus).
Les requérants prétendent que l’arrestation et la détention subies par eux sur la base de ce texte a violé à leur détriment l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) [de cet] article (art. 5-1-c), doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience."
Ils relèvent qu’une personne appréhendée en vertu du droit commun d’Irlande du Nord doit être traduite devant une Magistrates’ Court dans les quarante-huit heures (paragraphe 32 ci-dessus) et que selon le droit commun anglais et gallois (loi de 1984 sur la police et les preuves en matière pénale), une détention sans inculpation ne peut durer plus de quatre jours, l’autorisation d’un juge étant nécessaire au-delà de trente-six heures. Aucun motif plausible n’exigerait une garde à vue de sept jours, si radicalement contraire au régime normal et même à la période de trois jours que ménage la loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (paragraphe 33 ci-dessus). Rien ne justifierait non plus de ne pas déférer de telles décisions aux juridictions des six comtés.
56.  Le Gouvernement invoque la nature et l’ampleur de la menace terroriste, ainsi que la difficulté de recueillir assez d’éléments pour fonder une inculpation. La période légale maximale de sept jours de détention représenterait un aspect indispensable de l’effort déployé afin de combattre cette menace, comme le confirmeraient une série de débats parlementaires et d’études de la législation (paragraphes 26-29 ci-dessus). En particulier, les forces de sécurité auraient du mal à se procurer des preuves à la fois recevables et exploitables, car les personnes impliquées dans le terrorisme seraient rompues aux techniques de résistance aux interrogatoires. Il faudrait aussi du temps pour entreprendre les examens scientifiques voulus, coordonner entre eux les renseignements fournis par les divers détenus et assurer la liaison avec les autres forces de sécurité. Les statistiques montreraient que la possibilité de prolonger la détention correspond à un besoin. En 1987 par exemple, elle joua en Irlande du Nord pour 365 personnes. 83 d’entres elles restèrent en garde à vue plus de cinq jours, dont 39 furent inculpées d’infractions terroristes graves pendant la période supplémentaire.
Quant à l’idée de confier à un juge le soin de contrôler, voire autoriser les prolongations au-delà des quarante-huit heures initiales, le Gouvernement souligne la difficulté de fournir à la justice, à cause de leur caractère extrêmement délicat, certaines des informations sur lesquelles reposent les soupçons. Non seulement le tribunal devrait siéger à huis clos, mais ni le détenu ni ses conseils ne pourraient assister aux débats ou se voir communiquer des précisions. Cela requerrait un changement fondamental et inopportun du droit et de la procédure du Royaume-Uni, qui permettent à un individu privé de sa liberté d’être représenté par ses défenseurs dans toute instance judiciaire concernant sa détention. Si on leur attribuait compétence pour consentir à des prolongations de détention, les magistrats paraîtraient remplir une fonction plus exécutive que juridictionnelle. On n’ajouterait rien aux garanties que le système en vigueur est destiné à offrir contre les abus et l’on risquerait de provoquer des critiques irréfutables contre le pouvoir judiciaire. En définitive, le ministre serait mieux placé pour adopter pareille décision et veiller à une démarche cohérente. En outre, lui-même ou, à défaut, l’un de ses collègues examinerait en personne le bien-fondé de chaque demande de prolongation (paragraphe 37 ci-dessus).
57.  Dans son rapport, la Commission cite sa jurisprudence constante: une période de quatre jours en cas d’infraction pénale de droit commun, et de cinq dans des hypothèses exceptionnelles, peut passer pour compatible avec la condition de célérité fixée à l’article 5 par. 3 (art. 5-3) (voir respectivement les décisions sur la recevabilité des requêtes no 2894/66, X c. Pays-Bas, Annuaire de la Convention, vol. 9 (1966), p. 569, et no 4960/71, X c. Belgique, Recueil de décisions, vol. 42 (1973), pp. 54-55). Un délai un peu plus long que d’ordinaire se justifierait en l’espèce, eu égard au contexte dans lequel s’inscrivait l’arrestation des requérants et aux problèmes particuliers soulevés par la recherche des infractions terroristes. La Commission conclut que ladite condition se trouve respectée dans le cas de MM. McFadden (quatre jours et six heures) et Tracey (quatre jours et onze heures), mais non de MM. Brogan (cinq jours et onze heures) et Coyle (six jours et seize heures et demie).
58.  Qu’un détenu ne soit pas accusé ou traduit devant un tribunal ne méconnaît pas en soi la première partie de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Il ne saurait y avoir de telle violation si l’intéressé recouvre sa liberté "aussitôt" avant qu’un contrôle judiciaire de la détention ait pu se réaliser (arrêt de Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, série A no 77, p. 25, par. 52). Si l’élargissement n’a pas lieu "aussitôt", la personne arrêtée a le droit de comparaître rapidement devant un juge ou "autre magistrat" judiciaire.
La célérité doit s’apprécier à la lumière de l’objet et du but de l’article 5 (art. 5) (paragraphe 48 ci-dessus). La Cour prend en compte l’importance de ce dernier dans le système de la Convention: il consacre un droit fondamental de l’homme, la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’État à sa liberté (arrêt Bozano du 18 décembre 1986, série A no 111, p. 23, par. 54). Le contrôle judiciaire de pareille ingérence de l’exécutif constitue un élément essentiel de la garantie de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), conçue pour réduire au minimum le risque d’arbitraire. Il va de pair avec la prééminence du droit, l’un des "principes fondamentaux" d’une "société démocratique", auquel "se réfère expressément le préambule de la Convention" (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres précité, série A no 28, pp. 25-26, par. 55) et "dont s’inspire la Convention tout entière" (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A no 22, p. 28, par. 69).
59.  L’obligation exprimée en français par l’adverbe "aussitôt" et en anglais par "promptly" se distingue clairement de l’exigence moins stricte formulée dans la seconde partie du paragraphe 3 (art. 5-3) ("délai raisonnable"/"reasonable time") et même de celle que définit le paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4) ("à bref délai"/"speedily"). Le terme "promptly" figure aussi dans le texte anglais du paragraphe 2 (art. 5-2), là où le texte français contient le membre de phrase "dans le plus court délai". Ainsi que le laisse entendre l’arrêt Irlande contre Royaume-Uni (18 janvier 1978, série A no 25, p. 76, par. 199), le mot "promptly" employé au paragraphe 3 (art. 5-3) peut se comprendre comme ayant un sens plus large qu’"aussitôt", qui littéralement signifie immédiatement. Placée ainsi devant des textes d’un même traité normatif faisant également foi mais ne concordant pas entièrement, la Cour doit les interpréter d’une manière qui les concilie dans la mesure du possible et soit la plus propre à atteindre le but et réaliser l’objet de ce traité (voir, entre autres, l’arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A no 30, p. 30, par. 48, et l’article 33 par. 4 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités).
L’utilisation dans le texte français de l’adverbe "aussitôt", lequel évoque avec force l’idée d’imminence, confirme que le degré de souplesse lié à la notion de promptitude ("promptness") est limité, même si l’on ne peut en aucun cas oublier les circonstances en se prononçant sur le terrain du paragraphe 3 (art. 5-3). Si la célérité s’apprécie suivant les particularités de chaque cause (arrêt de Jong, Baljet et van den Brink précité, série A no 77, p. 25, par. 52), le poids à leur accorder ne saurait jamais aller jusqu’à porter atteinte à la substance du droit protégé par l’article 5 par. 3 (art. 5-3), c’est-à-dire jusqu’à dispenser en pratique l’État d’assurer un élargissement rapide ou une prompte comparution devant une autorité judiciaire.
60.  Le présent litige concerne exclusivement l’arrestation et la détention, en vertu de pouvoirs conférés par une législation d’exception, de personnes soupçonnées de participation au terrorisme en Irlande du Nord. L’article 12 par. 6 de la loi de 1984 avait explicitement rendu inapplicables en la matière les règles du droit commun nord-irlandais relatives au renvoi d’un accusé devant un tribunal (paragraphes 30 et 32 ci-dessus). Il n’y a pas lieu de déterminer en l’occurrence si, dans une affaire pénale ordinaire, une période donnée de garde à vue policière ou administrative - quatre jours par exemple - pourrait en principe cadrer avec le début de l’article 5 par. 3 (art. 5-3).
Aucun des requérants ne fut traduit devant un juge ou "autre magistrat" pendant sa garde à vue. Il s’agit donc de savoir si, eu égard aux circonstances spéciales invoquées par le Gouvernement, on peut considérer qu’ils recouvrèrent tous leur liberté "aussitôt", aux fins de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.
61.  La recherche des infractions terroristes place sans nul doute les autorités devant des problèmes particuliers. La Cour en a déjà mentionné certains sur le terrain de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (paragraphe 53 ci-dessus); elle tient dûment compte des éléments signalés par le Gouvernement à cet égard. Il est aussi exact qu’en Irlande du Nord, la communication au ministre des demandes de prolongation émanant de la police et l’examen par lui de chacune d’elles assurent une sorte de contrôle par l’exécutif (paragraphe 37 ci-dessus). En outre, le Parlement n’a cessé de vérifier la nécessité de conserver les pouvoirs d’exception, dont des personnalités indépendantes ont périodiquement étudié le jeu (paragraphes 26-29 ci-dessus). La Cour reconnaît que sous réserve de l’existence de garanties suffisantes, le contexte du terrorisme en Irlande du Nord a pour effet d’augmenter la durée de la période pendant laquelle les autorités peuvent, sans violer l’article 5 par. 3 (art. 5-3), garder à vue un individu soupçonné de graves infractions terroristes avant de le traduire devant un juge ou un "autre magistrat" judiciaire.
La difficulté, soulignée par le Gouvernement, d’assujettir à un contrôle judiciaire la décision d’arrêter et détenir un terroriste présumé peut influer sur les modalités d’application de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), par exemple en appelant des précautions procédurales adaptées à la nature des infractions supposées. Elle ne saurait pour autant excuser, sous l’angle de cette disposition, l’absence complète de pareil contrôle exercé avec célérité.
62.  Encore une fois, en interprétant et appliquant la notion de "promptitude" on ne peut témoigner de souplesse qu’à un degré très faible (paragraphe 59 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, même la plus brève des quatre périodes litigieuses, à savoir les quatre jours et six heures de garde à vue de M. McFadden (paragraphe 18 ci-dessus), va au-delà des strictes limites de temps permises par la première partie de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). On élargirait de manière inacceptable le sens manifeste d’"aussitôt" si l’on attachait aux caractéristiques de la cause un poids assez grand pour justifier une si longue détention sans comparution devant un juge ou un "autre magistrat". On mutilerait de la sorte, au détriment de l’individu, une garantie de procédure offerte par l’article 5 par. 3 (art. 5-3) et l’on aboutirait à des conséquences contraires à la substance même du droit protégé par lui. Il faut donc conclure que pas un seul des requérants ne fut traduit "aussitôt". Le fait incontesté que les privations de liberté incriminées s’inspiraient d’un but légitime, prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme, ne suffit pas pour assurer le respect des exigences précises de l’article 5 par. 3 (art. 5-3).
Partant, il y a eu violation de ce texte dans le chef de chacun des quatre requérants.
V. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR. 4 (art. 5-4)
63.  L’article 5 (art. 5) ne se trouvant pas incorporé au droit britannique, les requérants allèguent que la légalité de leur détention ne pouvait donner lieu à un contrôle effectif comme l’aurait voulu le paragraphe 4 (art. 5-4), ainsi libellé:
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
64.  Le recours de l’habeas corpus s’ouvrait à eux en l’espèce, bien qu’ils aient choisi de ne pas s’en prévaloir. Il aurait entraîné l’examen de la conformité de leur arrestation et de leur garde à vue avec la loi de 1984 et les principes applicables se dégageant de la jurisprudence (paragraphes 39-40 ci-dessus).
La Commission estime remplies les conditions de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) car le contrôle existant en Irlande du Nord aurait englobé la base formelle et matérielle de la détention des intéressés au regard de la Convention. Le Gouvernement adopte un raisonnement identique.
65.  D’après la jurisprudence constante de la Cour, le concept de "lawfulness" ("régularité", "légalité") doit avoir la même portée au paragraphe 4 (art. 5-4) qu’au paragraphe 1 (art. 5-1) (voir entre autres l’arrêt Ashingdane du 28 mai 1985, série A no 93, p. 23, par. 52) et la "légalité" d’une "arrestation ou détention" s’apprécie sous l’angle non du seul droit interne, mais aussi du texte de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 par. 1 (art. 5-1) (voir entre autres l’arrêt Weeks précité, série A no 114, p. 28, par. 57). En vertu du paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4), les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la "légalité", au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Par conséquent, les requérants devaient disposer d’un recours qui permît au tribunal compétent de vérifier à la fois l’observation des règles de procédure de l’article 12 de la loi de 1984 et le caractère raisonnable des soupçons motivant l’arrestation, ainsi que la légitimité du but poursuivi par celle-ci puis par la garde à vue.
Or la pratique des juridictions d’Irlande du Nord en matière d’habeas corpus montre que tel était bien le cas; cela ressort notamment des arrêts Van Hout et Lynch (paragraphe 40 ci-dessus).
Il n’y a donc pas eu infraction à l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
VI. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 PAR. 5 (art. 5-5)
66.  Les requérants invoquent en outre l’article 5 par. 5 (art. 5-5), aux termes duquel
"Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation."
La possibilité de réclamer une compensation pour privation de liberté irrégulière (false imprisonment, paragraphe 41 ci-dessus) existe au Royaume-Uni en cas de non-conformité au droit interne. L’article 5 (art. 5) n’y étant pas considéré comme intégré à ce dernier, la transgression de l’une de ses clauses n’ouvre la voie à une action en dommages-intérêts que si elle se heurte en même temps au droit britannique.
Le Gouvernement plaide, entre autres, que le paragraphe 5 (art. 5-5) a pour but de garantir un droit à réparation à la victime d’une arrestation ou détention "irrégulières". Il ajoute qu’aux fins des divers paragraphes de l’article 5 (art. 5), l’adjectif "régulière" (lawful) doit s’entendre comme renvoyant pour l’essentiel au droit interne et comme impliquant de surcroît l’absence complète d’arbitraire. Il en déduit que même si la Cour relève un manquement aux exigences de l’un des quatre premiers paragraphes, le cinquième ne se trouve pas méconnu car les privations de liberté litigieuses étaient légales en droit nord-irlandais et exemptes d’arbitraire.
67.  Avec la Commission, la Cour estime pareille interprétation restrictive inconciliable avec le libellé du paragraphe 5 (art. 5-5), qui parle d’une arrestation ou détention "dans des conditions contraires aux dispositions de cet article".
En l’espèce, les requérants furent tous appréhendés puis gardés à vue régulièrement sous l’angle du droit interne, mais en violation du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3). Cette violation ne pouvait ni, même après le présent arrêt, ne peut donner lieu de leur part à aucune demande d’indemnité devant les juridictions nationales; le Gouvernement ne le conteste pas.
Partant, il y a eu aussi méconnaissance du paragraphe 5 (art. 5-5) dans le chef de chacun d’eux. Ce constat ne préjuge pas de la compétence de la Cour pour accorder une satisfaction équitable pécuniaire au titre de l’article 50 (art. 50) (arrêt Neumeister du 7 mai 1974, série A no 17, p. 13, par. 30).
VII. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
68.  Devant la Commission, les requérants ont prétendu ne disposer en Irlande du Nord d’aucun recours effectif quant à leurs griefs relatifs à l’article 5 (art. 5). Il en résulterait une infraction à l’article 13 (art. 13), ainsi libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
Ayant conclu à la non-violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en l’espèce, la Cour ne juge pas nécessaire de contrôler le respect des exigences, moins strictes, de l’article 13 (art. 13), d’autant que les intéressés n’ont pas répété devant elle l’allégation dont il s’agit (voir, entre autres, l’arrêt Bouamar du 29 février 1988, série A no 129, p. 25, par. 65).
VIII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
69.  Aux termes de l’article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
70.  Les requérants, dont trois ont bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Commission puis la Cour, ne sollicitent pas le remboursement de frais et dépens; or pareille question n’appelle pas un examen d’office (voir, en dernier lieu, l’arrêt Bouamar précité, ibidem, p. 26, par. 68).
71.  En revanche, le caractère "conscient" et "flagrant" des manquements dénoncés militerait pour l’octroi d’une indemnité "exemplaire" ou d’un montant élevé. Les intéressés suggèrent de la calculer sur la base d’environ 2.000 £ (deux mille livres) par heure de garde à vue irrégulière.
Le Gouvernement demande à la Cour de surseoir à statuer sur ce point.
Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état quant à la demande de réparation pour préjudice subi, de sorte qu’il échet de la réserver et de fixer la procédure ultérieure, en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et les requérants (article 53 paras. 1 et 4 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par seize voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1);
2. Dit, par douze voix contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) dans le chef de chacun des quatre requérants;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4);
4. Dit, par treize voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) dans le chef des quatre requérants;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13);
6. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’application de l’article 50 (art. 50) quant au remboursement de frais et dépens;
7. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50), soulevée au titre de la réparation du préjudice subi, ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve à cet égard;
b) invite le Gouvernement à lui adresser par écrit, dans les trois mois à venir, ses observations écrites sur la question et notamment à lui donner connaissance de tout accord qu’il pourrait conclure avec les requérants;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à son président le soin de la fixer au besoin.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 29 novembre 1988.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion dissidente commune à M. Thór Vilhjálmsson, Mme Bindschedler-Robert, MM. Gölcüklü, Matscher et Valticos;
- opinion, en partie dissidente, de M. Pinheiro Farinha;
- opinion dissidente de MM. Walsh et Carrillo Salcedo sur l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c);
- opinion, en partie dissidente, de Sir Vincent Evans;
- opinion concordante de M. De Meyer;
- opinion dissidente de M. Martens.
R.R.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À M. THÓR VILHJÁLMSSON, Mme BINDSCHEDLER-ROBERT, M. GÖLCÜKLÜ, M. MATSCHER ET M. VALTICOS, JUGES
1.   Le problème de l’application de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) est, dans le présent cas, complexe car il pose une question d’interprétation juridique - en fait déjà tranchée dans des cas antérieurs - et oppose des droits et intérêts différents. Nous ne pouvons partager l’avis de la majorité de la Cour sur la solution qu’elle a estimé devoir donner à ce problème.
Pour ce qui est de la question d’interprétation juridique, tout d’abord, il est constant que tant la Cour que la Commission ont, dans plusieurs cas précédents, estimé que la disposition prévoyant que "toute personne arrêtée ou détenue ... doit être aussitôt (en anglais promptly) traduite devant un juge ..." ne signifie pas, étant donné tant le terme anglais que le contexte général, que cette mesure doit être immédiate et instantanée, mais qu’elle doit avoir lieu aussitôt que possible compte tenu du lieu, de l’heure et des circonstances de chaque cas. Une certaine latitude, d’ailleurs limitée en l’occurrence, est laissée aux gouvernements sous réserve du contrôle des organes de la Convention.
Le problème est de savoir quelle est la latitude admise. Manifestement, le délai ainsi toléré ne saurait être identique dans tous les cas et il serait artificiel de fixer une limite arithmétique valable pour toutes les situations. La Cour a plus d’une fois considéré qu’il est impossible de traduire la notion de délai raisonnable en un nombre fixe de jours, de semaines, etc. (voir arrêt Stögmüller du 10 novembre 1969, série A no 9). Il se pose donc, dans chaque cas, un problème d’appréciation qui dépend des circonstances propres au cas considéré.
Dans des cas antérieurs, la Commission avait estimé qu’une période de quatre jours de détention respectait, s’agissant d’infractions pénales ordinaires, l’exigence de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) et une période de cinq jours avait aussi été acceptée dans un cas exceptionnel dans lequel le détenu avait dû être hospitalisé. En revanche, tant la Cour que la Commission avaient jugé incompatibles avec cette disposition divers cas concernant notamment la Suède et les Pays-Bas, dans lesquels les périodes de détention antérieures à la traduction devant un juge ou un autre magistrat avaient varié de sept à quinze jours.
Dans la présente affaire, il s’agissait d’une situation dont nul ne saurait contester le caractère exceptionnel. Le terrorisme a pris en Irlande du Nord des proportions dramatiques et plus de 2.000 personnes en ont été les victimes et ont trouvé la mort à la suite d’actions de ce type. La nature et l’organisation de l’action terroriste, la peur qu’elle provoque et le secret dont elle s’entoure rendent difficile, compte tenu aussi de la procédure pénale applicable - qui ignore l’intervention rapide d’un juge d’instruction -, une présentation prompte des détenus devant un juge. Par ailleurs, on ne saurait accepter des détentions prolongées, qui violeraient les droits des personnes détenues et qu’interdit du reste expressément l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, qui constitue une disposition fondamentale pour la protection de la liberté de la personne.
On doit donc peser attentivement les droits, d’une part, des personnes détenues et, d’autre part, de l’ensemble de la population qui est gravement menacée par les activités terroristes.
En l’occurrence, les quatre requérants ont été détenus sans être traduits devant une autorité judiciaire durant une période variant, selon les cas, de quatre jours et six heures à six jours et seize heures et demie.
On ne saurait, à notre sens, opérer de distinction selon chacun de ces cas, car ils se situent tous dans la même catégorie et ne diffèrent pas, quant à leur durée, de manière très considérable.
Compte tenu du caractère extraordinaire de la situation en Irlande du Nord, qui a été mentionné plus haut, il nous apparaît qu’en définitive, si un délai de quatre jours a été accepté dans le cas de situations normales, il serait raisonnable de considérer comme acceptable les délais précités qui sont tous inférieurs à une semaine. Une telle position se situe dans le cadre de la jurisprudence antérieure et se justifie par les conditions tout à fait exceptionnelles qui existent en Irlande du Nord.
En estimant donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) en l’occurrence, nous tenons à souligner que cette position ne peut être maintenue que dans la mesure où règnent dans le pays des conditions aussi exceptionnelles et que les autorités devraient suivre de près la situation pour revenir à des pratiques de droit commun dès que prévaudront des conditions plus normales et que même, d’ici là, un effort devrait être accompli pour réduire le plus possible la période de détention avant la présentation à un juge.
2.   Nous ne pouvons pas non plus suivre la majorité de la Cour lorsqu’elle constate une violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5). D’une part, comme nous estimons qu’il n’y a pas de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), la question d’une réparation ne se pose pas non plus; d’autre part, la détermination de la portée exacte de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) et des conditions auxquelles une détention considérée comme illégale peut donner droit à indemnisation soulève de difficiles problèmes et il ne nous paraît pas approprié de les discuter à ce stade.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
1.   A mon avis, il y a aussi violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1). En effet:
2.   "... la Cour a souligné le rôle essentiel de la juridiction internationale et la nécessité d’une interprétation restrictive des limites à la liberté personnelle compte tenu de l’importance extraordinaire du droit garanti, essentiel pour la liberté et la dignité de la personne humaine" (Louis-Edmond Pettiti, préface à l’ouvrage de Vincent Berger, "Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme").
3.   Une "personne au sujet de laquelle il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction" ne peut être arrêtée ou détenue qu’"en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente" (arrêt Lawless du 1er juillet 1961, série A no 3, pp. 51-52, par. 14). Or les requérants ont été détenus pour les besoins de l’enquête, pour la réunion d’éléments de preuve, et non "en vue d’être conduits devant l’autorité judiciaire compétente".
4.   La présentation à l’autorité judiciaire compétente vise le contrôle de la légalité de la détention; il s’agit d’apprécier si les soupçons des agents de police sont raisonnables.
Il ne me paraît pas conforme à la Convention qu’un agent de police arrête une personne qu’il a des motifs plausibles de soupçonner d’être ou d’avoir été impliquée dans la réalisation, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme et que la police ne soit pas amenée à rendre des comptes à l’autorité judiciaire en vue du contrôle de l’existence de "motifs plausibles de soupçon".
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES WALSH ET CARRILLO SALCEDO SUR L’ARTICLE 5 PAR. 1 c) (art. 5-1-c)
(Traduction)
Selon nous, l’article 5 (art. 5) de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’accorde à l’État aucune marge d’appréciation. Voir dans cet article (art. 5) la notion de marge d’appréciation changerait totalement la nature de cette disposition primordiale qui serait alors subordonnée aux décisions de l’exécutif.
Une arrestation effectuée au titre de l’article 12 de la loi de 1984 sur la prévention du terrorisme telle qu’elle a été modifiée ou amendée par les diverses ordonnances mentionnées en l’espèce et la garde à vue ainsi autorisée n’exigent à aucun moment l’inculpation de la personne appréhendée. Ainsi, pareilles arrestation et garde à vue
"ne représente(nt) pas forcément (...) la première étape de poursuites pénales exercées contre un suspect sur la base d’un reproche devant donner lieu à un examen judiciaire" (voir le jugement de Lord Lowry, Lord Chief Justice, dans l’affaire ex parte Lynch, à laquelle se réfère le paragraphe 36 de l’arrêt de la Cour).
Seul est requis dans le chef de l’autorité qui opère l’arrestation une raison plausible de soupçonner que la personne arrêtée est ou a été impliquée dans des
"actes de terrorisme liés à la situation en Irlande du Nord" (paragraphe 30 de l’arrêt de la Cour).
Bien qu’en fait il n’y ait pas d’infraction comme le "terrorisme" (dont la définition figure au paragraphe 31 de l’arrêt de la Cour), la loi n’exige pas d’informer la personne gardée à vue de l’infraction pénale précise dont on peut la soupçonner, ni de faire porter l’interrogatoire sur les infractions dont on peut la soupçonner. En réalité, l’interrogatoire pourrait se borner aux agissements dont on soupçonne d’autres personnes. Plus la garde à vue se prolonge, plus l’intéressé risque d’avouer quelque chose. A notre avis, l’article 5 (art. 5) ne permet pas l’arrestation et la détention de personnes pour interrogatoire dans l’espoir qu’un fait surviendra au cours de celui-ci qui pourra justifier l’inculpation.
A nos yeux les arrestations dans les présentes affaires furent opérées à fin d’interrogatoire à un moment où aucun élément de preuve ne justifiait une inculpation. Pareil élément ne fut jamais apporté et les intéressés durent pour finir être élargis. Prouve amplement que la législation en cause est utilisée à cette fin le fait que, depuis 1974, 15.173 personnes ont été arrêtées et détenues au Royaume-Uni en vertu de la législation et que pourtant moins de 25 % d’entre elles, soit 3.442, ont été inculpées pour des infractions pénales découvertes pendant l’interrogatoire, parmi lesquelles des infractions sans lien aucun avec l’arrestation et la garde à vue initiales. Moins nombreuses encore celles qui furent convaincues d’une infraction de type terroriste.
La Convention consacre la présomption d’innocence et donc un droit de l’homme des plus fondamentaux: la protection de l’individu contre l’ingérence arbitraire de l’État dans son droit à la liberté. Les circonstances de l’arrestation et de la garde à vue dans les présentes affaires n’étaient pas compatibles avec ce droit; selon nous, l’article 5 par. 1 (art. 5-1) a donc été violé.
Le fait incontesté que l’arrestation des requérants était inspirée par le souci légitime de protéger l’ensemble de la communauté contre le terrorisme ne suffit pas à notre sens à assurer le respect des exigences de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c). Celui-ci commande que l’arrestation ait pour but de traduire la personne appréhendée devant l’autorité judiciaire compétente parce qu’on a des raisons plausibles de la soupçonner de telle ou telles infractions. La Convention n’autorise pas une arrestation aux fins d’un interrogatoire dans l’espoir de recueillir assez de renseignements pour justifier l’inculpation.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE SIR VINCENT EVANS, JUGE
(Traduction)
1.   Je souscris à l’arrêt de la Cour pour dire qu’il n’y a eu violation ni de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) ni de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en l’espèce; il n’y a pas lieu non plus d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13). Je ne puis en revanche me rallier à la majorité de mes collègues selon laquelle il y a eu des violations des articles 5 par. 3 et 5 par. 5 (art. 5-3, art. 5-5).
2.   L’application de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) en l’occurrence tourne autour de la signification à donner au mot "aussitôt" à propos de l’exigence que "toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (art. 5-1-c), (soit) aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". L’article 12 de la loi de 1984 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme autorise à garder à vue jusqu’à sept jours, sous réserve de l’autorisation du ministre de l’Intérieur au-delà de 48 heures, une personne que l’on a des raisons plausibles de soupçonner d’implication dans des actes de terrorisme, avant de l’élargir ou de la déférer à un tribunal. Il s’agit de savoir si la détention des requérants pour des périodes allant de quatre jours et six heures à six jours et six heures et demie en vertu des dispositions dudit article sans qu’ils aient été traduits devant un tribunal, était compatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3).
3.   La Cour a déjà reconnu dans plusieurs affaires que l’adverbe "aussitôt" dans le contexte de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) ne saurait signifier "immédiatement". Ainsi dans l’affaire de Jong, Baljet et van den Brink elle a dit: "(...) la célérité (...) doit (...) s’apprécier dans chaque cas suivant les circonstances de la cause" (arrêt du 22 mai 1984, série A no 77, p. 25, par. 52). Dans cette affaire, elle a estimé que, "même si l’on prend en compte les impératifs de la vie et de la justice militaires", les délais de six, sept et onze jours constatés en l’espèce ne sauraient passer pour brefs ("aussitôt") (ibidem). Mais cette conclusion avait pour incidence manifeste que, selon la Cour, il était compatible avec l’emploi du mot "aussitôt" (et "promptly" dans le texte anglais) et avec l’objet et le but du paragraphe 3 de permettre une certaine souplesse - certes non sans limite - en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles les intéressés étaient détenus.
Pour sa part, la Commission considère depuis plus de vingt ans que dans les cas habituels, une période allant jusqu’à quatre jours avant de traduire la personne détenue devant un juge est compatible avec l’exigence de promptitude et qu’une période un peu plus longue se justifie dans certaines circonstances. La Cour n’a pas à ce jour remis en cause les vues de la Commission à ces égards. Tout au plus tend-elle à les confirmer implicitement par ses arrêts dans les affaires de Jong, Baljet et van den Brink et d’autres.
La Cour n’a en outre cessé de reconnaître que, pour contrôler la compatibilité de leurs lois et pratiques avec les exigences de la Convention, il échet de laisser aux États une "marge d’appréciation" et que la recherche d’un juste équilibre entre l’intérêt général de la communauté et la protection des droits fondamentaux individuels est inhérente à l’ensemble de la Convention. Dans l’affaire Klass, la Cour a jugé, avec la Commission, "inhérente au système de la Convention une certaine forme de conciliation entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des droits individuels" (arrêt du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 28, par. 59).
Selon moi, la jurisprudence élaborée jusqu’ici constitue une interprétation raisonnable de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), et en particulier de l’adverbe "aussitôt" ("promptly").
4.   La nécessité d’apprécier la question de la célérité en fonction des circonstances de la cause et de trouver un juste équilibre entre les différents droits et intérêts en jeu constituent des considérations certainement pertinentes au regard de la situation particulière en Irlande du Nord: plus de 30.000 personnes ont été tuées, mutilées ou blessées en conséquence directe de l’activité terroriste de ces vingt dernières années. L’équilibre à rechercher dans l’application de la Convention en pareille situation doit se faire entre, d’une part, les intérêts de la communauté et des simples citoyens honnêtes, hommes, femmes et enfants, qui sont souvent les victimes du terrorisme et, de l’autre, les droits des personnes que l’on a des raisons plausibles de soupçonner d’appartenir à une organisation terroriste prohibée ou de la soutenir, ou encore d’être impliquées dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme.
Les facteurs particuliers qui, selon le Gouvernement, justifient les pouvoirs d’exception de détenir dans les cas relevant de l’article 12 de la loi de 1984, se trouvent résumés au paragraphe 56 de l’arrêt de la Cour. Parmi eux figurent le mal qu’ont les forces de sécurité à se procurer des preuves à la fois recevables et exploitables, les terroristes étant rompus aux techniques de résistance aux interrogatoires, la difficulté de fournir à la justice en présence du détenu ou de son conseil, à cause de leur caractère extrêmement délicat, les informations sur lesquelles reposent les soupçons dans maintes affaires, et le temps supplémentaire qu’il faudrait pour examiner et coordonner entre eux les renseignements et assurer la liaison avec les autres forces de sécurité. La nécessité des pouvoirs d’exception visés à l’article 12 née de ces facteurs est confirmée par les statistiques citées au même paragraphe de l’arrêt - en 1987, par exemple, quelque 83 personnes restèrent en garde à vue plus de cinq jours, dont 39 furent inculpées d’infractions terroristes graves pendant la période supplémentaire.
Au chapitre 12 de son rapport de 1987 sur le jeu de la loi de 1984, le vicomte Colville admet qu’aucune raison technique n’empêche que la décision d’accorder une prolongation de la détention au-delà de 48 heures soit prise par un juge de la High Court au lieu du ministre, mais il écarte pareil changement. Il relève que les décisions dont il s’agit devraient être arrêtées par un juge siégeant à huis clos sans représentation effective du détenu et qu’à son avis, un tel changement n’ajouterait rien aux mesures de sauvegarde des libertés civiles mais exposerait le judiciaire à des critiques imparables. Ces considérations valaient tout autant en 1984 lors de la détention des requérants (voir, par exemple, le rapport de Lord Jellicoe de 1983 sur l’application de la loi de 1976 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme, par. 70). Elles sont à mon avis convaincantes et renforcent l’opinion que les dispositions pertinentes de l’article 12 de la loi de 1984 ménagent un juste équilibre entre les intérêts de la communauté et les droits des personnes détenues conformément au texte.
Au paragraphe 61 de son arrêt, la Cour prend acte des éléments signalés par le Gouvernement et ne les conteste pas; elle reconnaît les problèmes particuliers que la recherche des infractions terroristes pose aux autorités. Elle admet aussi que les difficultés d’un contrôle judiciaire des décisions d’arrêter et détenir un terroriste présumé peut appeler des "précautions procédurales" appropriées. La majorité de la Cour se voit néanmoins contrainte d’interpréter le mot "aussitôt" ("promptly") comme rendant en fait incompatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3) toute période de détention en vertu de l’article 12 de la loi de 1984 allant au-delà des quatre jours considérés d’abord, du moins par la Commission, comme acceptables en principe. A mon avis, la notion de promptitude dans le contexte de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) devant s’appliquer avec quelque souplesse, c’est là une interprétation indûment restrictive qui ne tient pas assez compte des facteurs particuliers qui sous-tendent les dispositions de l’article 12. Je conclus que les dispositions en cause se justifient par la nécessité de rechercher un juste équilibre dans cette situation et qu’elles se conforment aussi au but, au regard de la Convention, de protéger les droits de l’homme contre l’inhumanité persistante du terrorisme en Irlande du Nord.
5.   Pour ces motifs, je n’estime pas que le pouvoir visé à l’article 12 de la loi de 1984 de détenir une personne jusqu’à sept jours sans la traduire devant un tribunal soit en soi incompatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Quant à l’exercice de ce pouvoir dans les quatre affaires dont la Cour est saisie, il n’y a aucune raison de douter que chacun des requérants fut détenu d’une manière justifiée conformément à l’article 12; à mes yeux, il n’y a donc eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) dans aucun de ces cas.
6.   Il s’ensuit que, selon moi, il n’y a pas eu non plus violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5).
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE DE MEYER
Tout en souscrivant pleinement aux conclusions de l’arrêt, je voudrais observer, quant au paragraphe 48 de ses motifs, que, dans la présente affaire, il ne s’agit pas vraiment de "la défense des institutions de la démocratie", mais plutôt d’un problème de coexistence civile dans une société profondément déchirée par des antagonismes nationaux et religieux.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS
(Traduction)
I. Remarques liminaires
1.   Il m’est impossible de me rallier à l’opinion de la majorité selon laquelle le Royaume-Uni manque en l’espèce aux obligations que lui impose l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.
Je le regrette assez parce que, appelé à la Cour depuis peu, j’hésite à marquer mon désaccord avec tant de mes confrères plus expérimentés.
2.   Je le regrette d’autant plus que, d’une manière générale, je suis convaincu que l’autorité de la Cour se trouve grandie si l’on use avec parcimonie du droit d’exprimer une opinion dissidente. D’ailleurs, en l’occurrence, je partage dans une large mesure les avis de la majorité. Je pense moi aussi que: 1) on ne saurait trancher cette affaire sans prendre en compte la circonstance qu’elle a trait au terrorisme (paragraphe 48 de l’arrêt de la Cour); 2) il est possible de prendre ce facteur en compte bien que l’article 15 (art. 15) de la Convention ne joue pas (ibidem); et 3) "le contrôle judiciaire de pareille ingérence de l’exécutif constitue un élément essentiel de la garantie de l’article 5 par. 3 (art. 5-3)" (paragraphe 58 de l’arrêt de la Cour).
J’ai néanmoins abouti à une autre conclusion en raison, je crois, d’une différence d’opinion en ce qui concerne en premier lieu l’importance à accorder au terrorisme, ou plutôt à la liberté qu’il convient de laisser aux États pour le combattre ainsi que d’autres fléaux analogues de notre époque et, en second lieu, sur l’importance à attribuer au libellé de la Convention.
3.   Comme la Cour le rappelle à bon escient au paragraphe 48 de son arrêt, le terrorisme est un élément de la vie moderne, qui n’a pris son ampleur et son intensité actuelles qu’après la rédaction de la Convention. Le terrorisme - en particulier le terrorisme à l’échelle de celui qui frappe l’Irlande du Nord - est la négation même des principes que défend la Convention; il doit donc être combattu avec la plus grande vigueur. Il semble évident que pour réprimer le terrorisme, l’exécutif a besoin de pouvoirs extraordinaires, comme il semble également évident que les États doivent, à un large degré, pouvoir choisir les moyens qu’ils jugent les plus efficaces à cette fin. Certes, ce faisant les États parties à la Convention doivent respecter les droits et libertés qu’elle garantit à toute personne. Je souscris à cette idée et je réalise qu’on court le risque de prendre des mesures qui, comme la Cour l’a dit, peuvent saper, voire détruire, la démocratie dans le but de la défendre (arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 23, par. 49). Mais à mon sens on ne doit pas s’exagérer ce danger, notamment en ce qui concerne les États ayant une longue et solide tradition de la démocratie. Ce danger ne devrait pas conduire à trop brider les autorités nationales car ceux qui n’hésitent pas à piétiner les droits et libertés d’autrui en tireraient indûment profit.
4.   Un individu qu’on a des raisons plausibles de soupçonner d’être impliqué dans des actes de terrorisme doit être à l’abri de la torture ou de traitements inhumains ou dégradants, cela va sans dire. Mais il me paraît légitime de se demander s’il ne peut être détenu pendant une période un peu plus longue que celle qui serait acceptable en droit pénal commun avant d’être traduit devant un juge. A cet égard, j’estime que la Cour, lorsqu’elle déclare au second alinéa du paragraphe 58 de son arrêt, que l’article 5 (art. 5) "consacre un droit fondamental de l’homme", surestime quelque peu l’importance de cette disposition dans le système de la Convention. Certes, le droit à la liberté et à la sûreté est un droit important, mais il n’appartient pas à ce petit noyau de droits auxquels aucune dérogation n’est permise. Autrement dit, on peut mesurer l’intérêt général d’une lutte efficace contre le terrorisme aux intérêts individuels des personnes arrêtées sur le soupçon raisonnable de participation à des actes de terrorisme. La recherche de ce juste équilibre entre l’intérêt général de la collectivité et les intérêts de l’individu est, comme la Cour l’a déjà relevé à maintes reprises et le relève derechef dans le présent arrêt (paragraphe 48), inhérente à l’ensemble de la Convention.
5.   La Cour juge toutefois décisif le fait que le libellé de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) - en particulier "le sens manifeste d’’aussitôt’" - ne ménage pas (ou du moins guère) la possibilité de peser ces intérêts (paragraphes 59-62 de son arrêt). J’expliquerai aux paragraphes 6 à 13 ci-dessous pourquoi je ne partage pas ce point de vue. Je tiens à indiquer ici brièvement deux raisons qui permettent de penser qu’il n’est pas souhaitable d’accorder au libellé de la Convention une importance excluant l’application d’un principe qui paraît fondamental à cet égard et qui, selon la jurisprudence constante de la Cour, est inhérent à la Convention dans son ensemble.
La première raison est que la manière dont la Convention est rédigée porte encore des traces évidentes de son origine: il n’est pas rare que son libellé se prête davantage à un manifeste qu’à un traité international censé fournir, pour une durée considérable et pour un grand nombre d’ordres juridiques différents, des réponses à des questions de droit fondamentales mais souvent délicates.
La seconde raison de ne pas accorder trop de poids au libellé de la Convention est qu’à mon sens la Cour doit rester libre d’adapter l’interprétation de celle-ci aux changements de la situation sociale et des opinions morales. Ceci demande des méthodes d’interprétation qui ne s’arrêtent pas, prématurément, au libellé d’une disposition.
II. La période de sept jours prévue à l’article 12 de la loi de 1984 est-elle compatible avec l’exigence de promptitude?
6.   J’en arrive à ce qui est à mes yeux la question décisive, celle de savoir si la période de sept jours prévue à l’article 12 de la loi de 1984 est compatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3), en particulier avec l’exigence de "promptitude" de cette disposition.
7.   Toutefois, comme c’est la première fois que je suis appelé à exprimer une opinion sur des questions d’interprétation de la Convention, je me permettrai une brève digression qui servira à la fois d’explication de ma manière de poser la question ci-dessus et de point de départ pour la suite du raisonnement.
Nous avons à connaître d’une question d’interprétation de l’article 5 (art. 5) de la Convention; il vaut peut-être la peine d’établir d’abord exactement quels sont les engagements assumés par les Hautes Parties contractantes à la Convention au titre de cet article (art. 5).
Il me semble clair qu’ils sont de deux sortes:
1) de veiller à ce que leur droit national soit conforme aux dispositions de cet article (art. 5); et
2) d’appliquer ce droit, et de le faire appliquer2, conformément à ces dispositions.
Il en va de même, je pense, pour la Convention dans son ensemble. Le libellé de maintes de ses dispositions peut donner, à première vue, l’impression qu’elles contiennent des règles de droit uniforme mais, après réflexion, il apparaît clairement que, si elles peuvent exceptionnellement remplir cette fonction, d’une manière générale il s’agit de directives3. Des directives à l’intention des autorités législatives nationales (surtout les législateurs) pour modeler leurs lois, des autorités nationales exécutives pour régler leur conduite et à l’intention de la Cour pour vérifier si ces lois et cette conduite sont conformes aux normes de la Convention.
J’ai certes conscience que la Cour n’a cessé de souligner que, dans une procédure tirant son origine d’une requête individuelle, elle n’est pas appelée - en principe4 - à examiner in abstracto si la législation de l’État partie en cause est conforme à la Convention, mais seulement à vérifier si l’application de cette législation au requérant a enfreint un droit garanti par la Convention. A l’appui de cette théorie, reprise dans le présent arrêt (paragraphe 53), est avancée la différence de libellé des articles 24 et 25 (art. 24, art. 25), mais il me semble que la base fondamentale en est les limites que s’impose le juge.
J’estime en revanche que, dans les cas où le traitement incriminé par le requérant est à tous égards conforme à une ou plusieurs dispositions spécifiques et précises de la loi nationale, la logique comme le souci de la vérité commandent que, lorsqu’on examine si l’application de cette loi constitue une violation de la Convention, on commence par examiner si ladite loi est conforme à la Convention. Si cette dernière question appelle une réponse affirmative, la première en appellera presque toujours une négative. Mais si la loi interne est jugée incompatible avec la Convention, il reste possible que son application in concreto n’enfreigne pas la Convention.
La présente affaire en est une illustration. Si l’article 12 de la loi de 1984 est compatible avec l’article 5 (art. 5) de la Convention, il s’ensuit que les arrestations in concreto n’étaient pas contraires à cette disposition; mais si la loi de 1984 n’est pas conforme à la Convention, il demeure possible d’estimer que les arrestations (une ou plusieurs) in concreto n’ont pas enfreint l’article 5 (art. 5).
8.   Ayant expliqué pourquoi la question énoncée au paragraphe 6 ci-dessus est décisive, j’en viens à la réponse à cette question qui, bien entendu, dépend de la signification du mot "aussitôt". Donc, que signifie ce mot dans le contexte de l’article 5 par. 3 (art. 5-3)?
D’après moi, on peut donner deux types de réponse à cette question, selon que l’on incline, comme la Cour, à s’en tenir au libellé de cette disposition ou que l’on désire considérer aussi d’autres moyens d’interprétation.
9.   Commençons par le libellé. A première lecture, celui du paragraphe 3 (art. 5-3), en particulier de la version française5, semble suggérer qu’une personne arrêtée doit être traduite devant un juge immédiatement après l’arrestation. Dès ce stade, il apparaît toutefois qu’on ne saurait s’en tenir à une interprétation littérale, car ce serait une règle manifestement impraticable. On doit présumer la possibilité d’exceptions. Le principe doit donc être qu’une personne arrêtée sera traduite devant un juge immédiatement sauf si les circonstances le rendent impossible: si, au moment de l’arrestation, le juge n’est pas disponible ou si pour d’autres motifs il est impossible de traduire l’intéressé immédiatement devant lui, un ajournement peut être autorisé, à condition qu’il ne dure pas plus qu’il n’est absolument nécessaire dans les circonstances de la cause6.
10.  Après plus ample examen, il semble toutefois hautement improbable que l’interprétation exposée au paragraphe précédent soit celle voulue par les rédacteurs de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Il découle de ce que je dis au paragraphe 7 ci-dessus qu’ils élaboraient une norme en fonction de laquelle devraient s’apprécier leurs lois nationales ou, plus précisément, les dispositions nationales précisant la période pendant laquelle un individu peut être détenu sans être traduit devant un juge.
Selon Fawcett, dans la plupart des États parties à la Convention, cette période "dépasse rarement" deux jours7. Fawcett ne cite aucune autorité à l’appui de cette allégation, mais supposons-la exacte pour les besoins de l’argumentation. Supposant en outre, comme cela paraît raisonnable, que lorsqu’ils ont élaboré ce paragraphe, les auteurs de la Convention ont essayé d’énoncer une règle à respecter par leurs dispositions nationales susmentionnées (telles qu’elles étaient à l’époque), force est de conclure que "promptly" ne peut simplement pas avoir le sens assez strict mentionné au paragraphe 5 ci-dessus, car selon cette interprétation du paragraphe 3 (art. 5-3), presque chaque législation nationale aurait été d’emblée incompatible avec la Convention! Il apparaît clairement ici encore qu’on ne saurait simplement s’en tenir à une interprétation littérale de ce texte.
Ces considérations autorisent à mon sens à conclure que les Parties à la Convention entendaient donner au terme "promptly" dans le contexte de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) "une signification particulière"8 et que ce terme devait être compris comme: une période (assez) brève, mais pouvant néanmoins durer quelques jours, à être déterminée par les législations nationales des Hautes Parties contractantes.
Selon cette interprétation, "promptly" implique que le législateur national jouit d’une certaine marge d’appréciation et est libre de fixer la période qu’il juge la plus appropriée aux conditions spécifiques du pays concerné, sous réserve toutefois du contrôle ultime des organes de la Convention9.
La largeur de cette marge d’appréciation dépend de l’exactitude de l’affirmation susmentionnée de Fawcett: s’il existe une norme européenne établie de deux jours, trois jours paraîtraient tomber dans cette limite mais quatre jours la dépasser. J’ose toutefois penser que, du moins pour les premières décennies de la Convention, cette assertion n’était pas exacte. D’abord, si elle l’était, la Commission n’aurait guère pu juger - comme elle le fit dans sa décision du 6 octobre 1966, requête no 2894/66, Annuaire, vol. 9, p. 565 - une période de quatre jours "conforme (...) à la tendance générale relevée dans les autres États membres du Conseil de l’Europe". En second lieu, dans son rapport au Congrès sur le droit pénal européen qui a eu lieu à Bruxelles en novembre 1968, Hulsman déclarait: "La durée maximale de la détention provisoire qui précède le contrôle judiciaire a été fixée par la législation de la plupart des pays et va de 24 heures jusqu’à sept jours"!10 Ces données confirment la décision susmentionnée d’octobre 1966 de la Commission. Comme on n’a pas soutenu, ni moins encore établi, qu’une norme européenne nouvelle et plus sévère se soit développée entre-temps, je ne saurais souscrire à la critique impliquée par le paragraphe 60 de l’arrêt de la Cour (indépendamment de la question de savoir si, du point de vue de la certitude juridique, pareille critique soudaine d’une décision qui a constitué pendant des années la décision de principe en la matière est judicieuse).
11.  Les deux interprétations possibles de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) envisagées aux paragraphes 9 et 10 ci-dessus paraissent s’exclure mutuellement, en ce sens que si l’une est exacte, l’autre ne peut l’être. A mon sens, il découle toutefois de ce que j’ai dit au paragraphe 7 que la situation n’est pas aussi simple.
L’interprétation exposée au paragraphe 10 ("aussitôt" s’entend d’une période à fixer par les législations nationales et qui peut durer quelques jours) cadre avec le rôle de directive de cette disposition: en principe, c’est donc la bonne interprétation. Mais celle exposée au paragraphe 9 peut être utile lorsque, une fois établi que la législation nationale est conforme à la Convention, il échet d’examiner si son application in concreto a constitué une violation. Il peut alors être capital de savoir si les circonstances de la cause justifiaient de ne traduire l’intéressé devant un juge qu’après expiration du délai maximum fixé par la loi.
A mes yeux, cet argument est corroboré par les décisions de la Commission et explique la différence sensible entre sa décision de 1972, mentionnée à la note 5, et celle d’octobre 1966, mentionnée au paragraphe 10 ci-dessus: dans la première, la Commission ne se préoccupait que de l’application spécifique dont elle était saisie, alors que dans la seconde elle examinait au premier chef si la législation néerlandaise respectait l’article 5 par. 3 (art. 5-3).
Puisque ce dernier type de question m’importe en priorité dans le cas présent, il est intéressant de noter que dans sa décision de 1966, la Commission a clairement adopté l’interprétation exposée au paragraphe 10 ci-dessus:
"Considérant [que] (...) la Commission estime que les Parties contractantes ont une certaine marge d’appréciation pour interpréter et appliquer l’exigence de rapidité formulée à l’article 5 par. 3 (art. 5-3)."
Pour autant que j’ai été à même de conclure, la Cour ne s’est jamais expressément prononcée sur cette interprétation. Toutefois il peut être intéressant de noter que dans son arrêt de Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984 (série A no 77, p. 25, par. 52), elle a tenu compte non seulement des circonstances de chaque affaire - comme il l’eût fallu si elle était de l’avis exprimé au paragraphe 9 ci-dessus - mais s’est aussi référée aux "impératifs de la vie et de la justice militaires". Ceci semble impliquer qu’elle partageait aussi alors l’avis exprimé au paragraphe 10 ci-dessus.
Il découle du présent arrêt que la Cour rejette désormais cette interprétation, mais vu les considérations susmentionnées, j’ai le sentiment qu’en soulignant simplement que d’un point de vue linguistique "le degré de souplesse lié à la notion de promptitude (‘promptness’) est limité", elle n’a pas suffisamment motivé ce rejet.
12.  Parvenu à la conclusion que, sur le terrain de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), les États Parties à la Convention jouissent d’une certaine marge d’appréciation, j’en arrive à la question de savoir si le législateur britannique a outrepassé cette marge lorsqu’il a édicté l’article 12 de la loi de 1984.
S’il s’agissait d’une disposition du droit pénal commun, il n’y aurait pas eu d’affaire: après l’arrêt de Jong, Baljet et van den Brink de la Cour (série A no 77, p. 25, par. 53), on doit considérer comme établi qu’une disposition du droit pénal ordinaire autorisant une période de détention de sept jours sans que l’intéressé soit traduit devant un juge enfreint le paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3).
Cependant, nous n’avons pas à connaître du droit pénal ordinaire britannique sur la détention mais - je l’ai déjà relevé au paragraphe 3 ci-dessus - d’une disposition particulière d’une loi spéciale visant le terrorisme. Le gouvernement britannique soutient que pour savoir s’il a outrepassé sa marge d’appréciation au titre de l’article 5 (art. 5), il faut non seulement prendre en compte ce caractère spécial de cette législation, mais encore y attacher un grand poids.
Comme je l’ai déjà indiqué aux paragraphes 2 à 4 ci-dessus, je pense que la première de ces affirmations est exacte; en effet il est, selon moi, tout à fait conforme au système de la Convention qu’un État invoque les impératifs de la lutte contre le terrorisme pour fixer une plus longue durée que celle acceptable en temps normal pour la période pendant laquelle un individu arrêté sur des soupçons raisonnables de participation à des actes de terrorisme peut être détenu sans être traduit devant un juge.
Voilà qui m’amène bien entendu à la question-clé de savoir si, compte tenu de l’affirmation du gouvernement britannique selon laquelle les pouvoirs d’exception prévus à l’article 12 de la loi de 1984 sont nécessaires aux fins de la lutte contre le terrorisme, une période de sept jours, qui dans le contexte du droit pénal commun a déjà été condamnée comme incompatible avec la condition de rapidité, peut être admise.
Ma conviction est qu’à cet égard le principe énoncé par la Cour quant aux impératifs de la morale11 doit s’appliquer. Établir un juste équilibre entre les intérêts de la collectivité qui subit le terrorisme et ceux de l’individu est particulièrement difficile, et les autorités nationales, auxquelles une longue et douloureuse expérience a donné une meilleure perception des impératifs d’une lutte efficace contre le terrorisme et de la protection de leurs citoyens que celle qu’un juge international peut jamais espérer acquérir dans les livres, se trouvent en principe mieux placées à l’établir que celui-ci!
C’est à ce propos que trois facteurs me paraissent importants:
i) l’étendue, la virulence et la persistance singulières du terrorisme qui fait rage depuis 1969 en Irlande du Nord, communauté de 1.500.000 personnes. Dans son intervention devant la Cour, le Solicitor General a indiqué que depuis 1969, 2.646 personnes sont décédées en conséquence directe d’activités terroristes, que 30.658 ont été mutilées et blessées. Il y a eu, a-t-il dit, 43.649 fusillades et explosions de bombes. Ces chiffres n’ont pas été contestés.
ii) Nous nous trouvons sans nul doute devant une société qui est depuis longtemps une démocratie et, en tant que telle, a pleinement conscience aussi bien du droit de l’individu à la liberté que des dangers que comporte l’octroi à l’exécutif d’un trop large pouvoir de détention12.
iii) Le législateur britannique, apparemment conscient de ces dangers, n’a à chaque fois accordé les pouvoirs d’exception que pour une période limitée, soit un an, et après que des enquêteurs qui - le Gouvernement l’a affirmé et les requérants ne l’ont pas sérieusement contesté - étaient indépendants et professionnellement qualifiés pour cette tâche eurent dûment examiné si la législation continuait d’être nécessaire13. A chaque fois, ces enquêteurs comme le Parlement britannique conclurent qu’on ne pouvait se passer de l’article en cause.
A mon sens, en raison de ces trois facteurs, il est également hautement souhaitable qu’un juge international adopte une attitude de réserve.
Cela posé, je pense que la Cour peut juger que, lorsqu’il a promulgué et maintenu l’article 12 de la loi de 1984, le Royaume-Uni a franchi la marge d’appréciation que lui laisse l’article 5 par. 3 (art. 5-3) seulement si elle considère que les arguments en faveur du maintien de la période de sept jours ne sont nullement convaincants et ne sauraient raisonnablement se défendre. A mon avis, cette condition ne se trouve pas remplie.
Certes, comme le montrent les observations écrites de la Standing Advisory Commission on Human Rights, on peut se demander si la période maximale de détention prévue par la législation anti-terroriste doit être de sept ou de cinq jours (comme la Commission le suggère) et de soutenir qu’un contrôle judiciaire est tout à fait réalisable. Après avoir lu les arguments de part et d’autre, je suis même disposé à dire que, en particulier sur le dernier point, les arguments en faveur du contrôle judiciaire l’emportent peut-être légèrement sur ceux à son encontre14. Mais à mes yeux, ce sont des questions sur lesquelles des personnes raisonnables peuvent avoir des vues différentes. Il faut donc conclure que la Cour doit respecter le choix du gouvernement britannique et force lui est de dire qu’il n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation.
Ce ne sont pas cependant les seuls facteurs à prendre en compte.
Le gouvernement britannique a relevé que la période de sept jours est un maximum15, le ministère veillant dans chaque cas individuel à ce que la période de détention soit aussi brève que possible. Cette affirmation n’a pas été sérieusement contestée et la présente affaire donne à penser qu’en tout cas elle est pour le moins plausible.
Le Gouvernement a affirmé en outre qu’en principe, dans les 48 heures qui suivent l’arrestation la famille de la personne appréhendée est avertie16 et que l’intéressé peut consulter un avocat après 48 heures et après ce délai à des intervalles de 48 heures17. Ces affirmations n’ont pas été contestées non plus. Il n’a pas été davantage réfuté que la personne arrêtée puisse faire examiner par un tribunal au moyen d’une demande d’habeas corpus la régularité de sa détention, c’est-à-dire si les conditions de l’article 12 de la loi de 1984 se trouvent remplies18.
Il s’agit là, à mon sens, d’importantes garanties contre un abus potentiel du pouvoir de détention de l’article 12 de la loi de 198419.
Compte tenu de tous ces facteurs et sans oublier que - comme il découle du paragraphe 10 ci-dessus - pour les affaires pénales de droit commun une période de quatre jours peut encore passer pour acceptable, j’estime que la loi de 1984 est incompatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.
13.  La conclusion à laquelle je parviens au paragraphe précédent me relève de l’obligation d’examiner si l’application de la loi de 1984 in concreto a emporté violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3): la détention dénoncée par les requérants a duré moins de sept jours et ne saurait donc passer pour une violation, si ma conclusion qu’une détention de sept jours n’est pas incompatible avec la Convention est exacte.
* Note du greffe: L'affaire porte le no. 10/1987/133/184-187.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Voir l'arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 91, par. 239.
3 Arrêt du 23 juillet 1968 dans l'affaire "linguistique belge", série A n° 6, p. 35, par. 10 in fine; arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 22, par. 48; arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30, pp. 37-38, par. 61.
4 Ce principe souffre des exceptions: voir l'arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, pp. 17-18, par. 33.  Voir aussi l'arrêt X et Y contre Pays-Bas du 26 mars 1985, série A n° 91, en général et, en particulier, le titre de la page 13; l'arrêt Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A n° 102, en général et, en particulier, p. 52, par. 124; l'arrêt Leander du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 30, par. 79.
5 La version française contient le terme "aussitôt", qui suggère cependant "aussitôt que possible".  Le terme "promptly" du paragraphe 3 (art. 5-3) aurait donc une signification quelque peu plus large que le même mot du paragraphe 2 (art. 5-2), dont la version française emploie les termes "dans le plus court délai".
6 La décision de la Commission du 19 juillet 1972 (requête n° 4960/71) (Recueil de décisions, vol. 42, p. 49) donne un exemple du genre de circonstances entrant en ligne de compte selon cette interprétation: la personne appréhendée avait dû être hospitalisée immédiatement après son arrestation et n'avait pu être traduite devant un juge qu'une fois rétablie.
7 Voir J.E.S. Fawcett, The Application of the European Convention on Human Rights, p. 93.
8 Voir article 31 par. 4 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
9 Voir pour d'autres exemples d'une marge d'appréciation (implicite) en dehors du domaine des articles 8-11, 14 et 15 (art. 8, art. 9, art. 10, art. 11, art. 14, art. 15): l'arrêt Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen du 7 décembre 1976, série A n° 23, p. 26, par. 53; et l'arrêt Colozza du 12 février 1985, série A n° 89, pp. 15-16, par. 30.
10 Voir Droit pénal européen, Bruxelles, 1970, p. 491; voir aussi L.E. Teitelbaum, Revue des Droits de l'Homme, vol. V (1972), pp. 433 et suivantes.
11 Voir l'arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 22, par. 48.
12 Voir, mutatis mutandis, l'arrêt Klass et autres, série A n° 28, p. 27, par. 59.
13 Voir l'arrêt de la Cour, paragraphes 27-29.
14 Je ne peux m'empêcher de souligner que, selon moi, au paragraphe 61 de son arrêt, la Cour traite à la légère les arguments du Gouvernement. A savoir que 1) pour protéger les informateurs - protection d'autant plus indispensable qu'une enquête efficace dépend de la disposition à informer -, les données essentielles qui fondent les soupçons doivent être gardées secrètes aussi longtemps que possible; 2) divulguer lesdites données seulement au juge est tout à fait incompatible avec les concepts fondamentaux du rôle du juge en Angleterre; 3) après avoir comparé les inconvénients de la période de sept jours pour les individus appréhendés en raison de soupçons raisonnables de participation au terrorisme avec les effets négatifs sur l'estime général portée au judiciaire résultant peut-être de l'introduction d'un système administrant la justice sur des données dissimulées à l'une des parties, le Gouvernement a pensé que le premier de ces maux était le moindre.  Je trouve trop facile de rejeter ces arguments en se bornant à suggérer que "des précautions procédurales adaptées à la nature des infractions supposées" auraient été possibles, et à inférer que pareilles "précautions procédurales" auraient été compatibles avec les garanties qui se trouvent implicites dans les termes "juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires" de l'article 5 par. 3 (art. 5-3)!
15 Mémoire du Gouvernement, paragraphes 1.9 et 1.12.
16 Mémoire du Gouvernement, paragraphe 1.19.
17 Mémoire du Gouvernement, paragraphes 1.19 et 2.41.  Voir aussi le paragraphe 2.47, où il est précisé qu'en l'espèce leur solicitor a vu les requérants (voir aussi paragraphes 11-22 de l'arrêt de la Cour).
18 Voir l'arrêt de la Cour, paragraphes 39 et 40.  Le simple fait que cette voie de recours ne paraît pas être utilisée fréquemment ne semble pas important; ce qui l'est, c'est qu'elle est ouverte aux personnes détenues en vertu de l'article 12 de la loi de 1984 et qu'il ressort des réponses du Gouvernement aux questions de la Cour que sur treize demandes trois aboutirent à l'élargissement par le tribunal, alors que dans quatre autres la libération par la police s'est produite avant l'audience.
19 Au paragraphe 4 de ses réponses aux questions de la Cour, le Gouvernement énonce d'autres garanties; je ne pense pas devoir les  examiner car à mon sens celles envisagées dans mon texte sont les plus  importantes à cet égard.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À M. THÓR VILHJÁLMSSON, Mme BINDSCHEDLER-ROBERT, M. GÖLCÜKLÜ, M. MATSCHER ET M. VALTICOS, JUGES
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
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OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES WALSH ET CARRILLO SALCEDO SUR L'ARTICLE 5 PAR. 1 c) (art. 5-1-c)
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES WALSH ET CARRILLO SALCEDO SUR L'ARTICLE 5 PAR. 1 c) (art. 5-1-c)
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE SIR VINCENT EVANS, JUGE
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
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ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE DE MEYER
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS
ARRÊT BROGAN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MARTENS


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 11209/84;11234/84;11266/84;...
Date de la décision : 29/11/1988
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Violation de l'art. 5-3 ; Violation de l'Art. 5-5 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Non-violation de l'art. 5-4 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 15-1) DEROGATION, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-2) INFORMATION DANS LE PLUS COURT DELAI, (Art. 5-3) JUGE DANS UN DELAI RAISONNABLE, (Art. 5-5) REPARATION


Parties
Demandeurs : BROGAN ET AUTRES
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-11-29;11209.84 ?

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