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10/03/1989 | CEDH | N°12325/86

CEDH | KEMMACHE contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12325/86 présentée par Michel KEMMACHE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 mars 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H.

DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINO...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12325/86 présentée par Michel KEMMACHE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 mars 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 1er août 1986 par Michel KEMMACHE contre la France et enregistrée le 8 août 1986 sous le No de dossier 12325/86 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 15 février 1988 et les observations en réponse présentées par le requérant le 14 avril 1988 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, de nationalité française, né en 1942 est dirigeant de société et domicilié à Aulnay-sous-Bois. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Me Chantal Méral, avocate au barreau de Paris. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le 6 juillet 1981, MM. S.K. et L.C., ont été interpellés à l'aéroport de Nice, alors qu'ils tentaient d'échanger dans une banque de l'aéroport un billet de 100 US dollars contrefait. On devait retrouver dans leurs bagages 4 500 billets contrefaits, ainsi qu'un certain nombre de bandelettes permettant d'en enliasser le double. Ils ont été inculpés d'introduction de monnaie étrangère contrefaite sur le territoire français, d'usage, de détention et de circulation irrégulière de fausses coupures, et incarcérés. Le 16 février 1983, le requérant a été à son tour inculpé d'introduction de billets de banque contrefaits sur le territoire français, détention, circulation irrégulière et usage desdits faux billets dans le rayon douanier et incarcéré à la maison d'arrêt de Nice. Cinq semaines plus tard, par ordonnance rendue le 29 mars 1983, il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire, moyennant une caution de 500.000 francs. Le 22 mars 1984, le requérant fut réincarcéré puisqu'il n'avait pas déféré à une convocation du juge d'instruction, dont l'objet était de l'interroger sur les déclarations que venait de faire, le 23 février 1984, l'un des co-inculpés, L.C. Une information du chef de subornation d'autrui fut alors ouverte le 7 mars 1984. Quant à la procédure principale, le juge d'instruction a rendu, le 22 juin 1984, une ordonnance de clôture de l'instruction et transmis le dossier au Parquet. Après que cinq arrêts, cassant et annulant les arrêts de renvoi devant la cour d'assises des différentes chambres d'accusation saisies, eurent été rendus par la Cour de cassation, le requérant a été finalement renvoyé, par arrêt de la Cour de cassation du 26 octobre 1985, devant la cour d'assises du département des Alpes-Maritimes sous l'accusation de complicité avec connaissance par aide et assistance, d'une part, d'introduction et d'exposition sur le territoire français de billets de banque étrangers contrefaits et, d'autre part, du délit connexe de circulation irrégulière de ces faux billets dans le rayon douanier. Par arrêt du 29 octobre 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre cet arrêt de renvoi et l'affaire fut fixée à la session de la cour d'assises des Alpes-Maritimes du premier trimestre 1986. Or, le 20 février 1986, soit quelques jours avant la date prévue pour la comparution devant la cour d'assises, le requérant fut inculpé du chef de complicité de subornation d'autrui et ce, sur le fondement des déclarations de L.C. qui sont intervenues le 23 février 1984, c'est-à-dire deux ans plus tôt. Selon lui, il aurait été entendu pour la première fois le 26 février 1986 par le magistrat instructeur au sujet de cette inculpation et a été renvoyé par ordonnance en date du 4 mars 1987 devant le tribunal correctionnel de Nice. Par ordonnance du président de la cour d'assises du 11 mars 1986, l'affaire fut renvoyée à une session ultérieure, en raison du lien de corrélation existant entre la procédure principale et la procédure ouverte du chef de subornation d'autrui alors en cours d'information. Le requérant, détenu depuis plus de deux ans, a alors formé devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon une demande de mise en liberté fondée sur les dispositions de l'article 5 par. 3 de la Convention. Cette demande a été rejetée par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon par arrêt rendu le 18 avril 1986, au motif que "compte tenu de la complexité des faits, de leur particulière priorité et de la sévère répression encourue, une détention de deux à trois ans n'est pas anormale". Le requérant s'est pourvu en cassation contre cette décision. Par arrêt rendu le 16 juillet 1986, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi au motif que "la chambre d'accusation, abstraction faite d'énonciations surabondantes, a pu estimer comme elle l'a fait que le droit pour l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable n'avait pas été méconnu en l'espèce." Par arrêt de la cour d'assises des Alpes Maritimes en date du 8 décembre 1986, le requérant a été remis en liberté le 19 décembre 1986 après paiement d'un nouveau cautionnement de 300.000 francs, ce qui porte à 800.000 francs le montant total versé par le requérant à titre de caution depuis le début de cette affaire. La procédure principale se trouvait en état d'être évoquée au fond au cours de l'une des sessions de la cour d'assises des Alpes Maritimes du premier semestre 1988. A ce jour le requérant n'a pas encore comparu devant cette juridiction. Quant au délit de complicité de subornation d'autrui, l'audience devant le tribunal correctionnel de Nice s'est tenue le 29 septembre 1987 et, par jugement du 20 octobre 1987, le requérant et son co-inculpé ont été relaxés des fins de la poursuite et L.C. débouté de sa demande de dommages-intérêts. Le requérant a également introduit deux requêtes aux fins de restitution des cautions de 500.000 et de 300.000 francs, le 7 juillet 1988 auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon et le 20 juillet 1988 auprès de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
GRIEFS Les griefs du requérant peuvent se résumer comme suit : Le requérant allègue la violation des articles 5 par. 2 et 3 de la Convention et 6 par. 2 de la Convention.
1. Sur la prétendue violation de l'article 5 par. 2 de la Convention. La réincarcération du requérant, le 22 mars 1984, est intervenue au motif qu'il ne s'était pas présenté à une convocation du magistrat instructeur dont le but était de l'interroger et de le confronter avec L.C., à la suite des déclarations de ce dernier. Or, bien que le requérant, du fait de son incarcération, se soit trouvé d'une manière constante à la disposition de la justice, il n'aurait été entendu que le 26 février 1986. Le requérant estime donc qu'il n'a pas été informé "dans le plus court délai" de l'accusation portée contre lui, puisque c'est seulement deux ans plus tard qu'il a été interrogé au sujet de cette accusation. Le requérant a fait état de ce grief devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon qui l'a rejeté dans son arrêt du 18 avril 1986.
2. Sur la prétendue violation de l'article 5 par. 3 de la Convention. Compte tenu des lenteurs inexplicables de la procédure d'information ouverte le 7 mars 1984 du chef de subornation d'autrui, le requérant n'a pu comparaître devant la cour d'assises du département des Alpes Maritimes à sa session des 17, 18 et 19 mars 1986, alors que cette affaire se trouvait être en état depuis le 26 octobre 1985. Au demeurant, le requérant n'a pas encore comparu devant la cour d'assises. Toutefois, à la suite d'une nouvelle demande de mise en liberté, le requérant a été élargi en décembre 1986, moyennant une caution de 300.000 francs, ce qui porte à 800.000 francs le montant total versé par le requérant à titre de caution depuis le début de cette affaire. Sa détention provisoire a donc duré près de trois ans, en violation des dispositions de l'article 5 par. 3 de la Convention.
3. Sur la prétendue violation de l'article 6 de la Convention. Le requérant prétend n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable. D'autre part, le principe de la présomption d'innocence édictée au paragraphe 2 de cette disposition n'aurait pas été respecté et ce à un double titre : - en ce qui concerne le délit de complicité de subornation d'autrui : Le requérant qui avait été très rapidement mis en liberté fut, depuis sa réincarcération, présumé coupable du délit de complicité de tentative de subornation d'autrui. En effet, toutes les demandes de mise en liberté qu'il a présentées ont été rejetées au motif essentiel tiré des déclarations de L.C. Le requérant considère que le principe de la présomption d'innocence a été d'autant plus méconnu que l'on ne saurait tirer argument de déclarations d'un co-accusé, déclarations au cours desquelles celui-ci a également mis en cause son propre conseil. - en ce qui concerne les infractions relatives à la fausse monnaie : La culpabilité du requérant n'a jamais été établie dans la mesure où les différents arrêts de renvoi qui ont été rendus ont tous fait état de qualifications différentes et d'accusations différentes à l'encontre du requérant, ce qui montre que les faits ne sont aucunement établis, et les charges ni réelles, ni sérieuses.
PROCEDURE La requête a été introduite le 1er août 1986 et enregistrée le 8 août 1986. Le 6 octobre 1987, la Commission a procédé à l'examen de la requête. Elle a décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement français, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs formulés au titre de l'article 5 par. 2 et 3 de la Convention. Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête le 15 février 1988 après deux prorogations du délai fixé initialement au 18 décembre 1987. Les observations en réponse du requérant sont parvenues le 14 avril 1988.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint en premier lieu de ce qu'il n'aurait pas été informé dans le plus court délai de l'accusation portée contre lui, au sens de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention, dans la mesure où, incarcéré le 22 mars 1984, il n'aurait été entendu que le 26 février 1986. Aux termes de cette disposition de la Convention : "Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle." Le Gouvernement soulève d'emblée une exception d'irrecevabilité tirée de ce que l'épuisement des voies de recours internes ne serait pas réalisé. Il souligne que si le requérant a effectivement fait valoir devant le juge d'instruction le grief tiré de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention, il ne l'a pas fait lors des débats au fond à l'audience du 29 septembre 1987, devant le tribunal de grande instance de Nice. En effet, le requérant devait déposer des conclusions visant à voir annuler la procédure au motif que les dispositions de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) auraient été violées. En cas de rejet il pouvait faire appel et le cas échéant se pourvoir en cassation. Or, contrairement à son co-inculpé, le requérant n'a pas soulevé d'exceptions préjudicielles en ce sens. Le requérant ne conteste pas ce point. Toutefois, il précise qu'il a soulevé le grief tiré de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) dans le mémoire qu'il a déposé à l'appui de sa demande de mise en liberté devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon qui, lors de l'audience du 18 avril 1986, a rejeté ladite demande. Il suit de ce qui précède que le requérant a omis de faire usage des voies de droit dont il disposait en droit interne et qui étaient susceptibles de redresser la situation dénoncée. En effet, le requérant n'a pas soulevé de moyen tiré de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention dans son pourvoi en cassation dirigé contre la décision rendue par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon le 18 avril 1986. Il n'a non plus fait valoir devant la juridiction saisie du fond les exceptions de nullité qui ont été reprises comme griefs devant la Commission. La Commission considère dès lors que le requérant ne saurait être considéré comme ayant épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. En outre le requérant, qui s'est trouvé en détention provisoire durant une période de deux ans dix mois et dix jours, estime n'avoir pas été "jugé dans un délai raisonnable", en violation des prescriptions de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le Gouvernement soulève encore une exception d'irrecevabilité tirée de ce que l'épuisement des voies de recours ne serait pas réalisé. Il fait valoir que le requérant disposait d'une voie de recours pour mettre en cause la responsabilité de l'Etat à raison de la privation de liberté dénoncée par le requérant au titre de l'article 5 (art. 5) de la Convention. Il s'agit notamment de l'action en responsabilité de l'Etat du fait d'un fonctionnement défectueux du service de la justice, en application de l'article L-781 du Code d'organisation judiciaire. Le requérant admet n'avoir pas fait usage de cette voie de droit, considérant que l'action préconisée par le Gouvernement défendeur n'avait, dans les circonstances de l'espèce, aucune chance d'aboutir et ne constituait dès lors pas un recours efficace permettant d'obtenir au plan interne réparation du préjudice allégué. La Commission rappelle qu'à maintes reprises elle a affirmé que l'épuisement des voies de recours internes n'implique l'utilisation des voies de droit que pour autant qu'elles sont efficaces ou suffisantes, c'est-à-dire susceptibles de remédier à la situation dénoncée. D'entrée la Commission tient à souligner que dans son arrêt du 18 avril 1986 la Cour de cassation a déclaré que c'est à bon droit que la cour d'appel a estimé que le droit pour l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable n'avait pas été méconnu en l'espèce. Dans ces conditions, la voie de recours proposée par le Gouvernement défendeur n'avait aucune chance d'aboutir. D'autre part, la Commission souligne que le Gouvernement n'a pas été en mesure de faire état d'une jurisprudence qui serait véritablement établie et qui aurait ouvert au requérant un recours efficace en la circonstance au regard du grief soulevé (cf. No 10828/84, déc. 6.10.88 à paraître dans D.R.) La Commission estime par conséquent que la voie de droit suggérée par le Gouvernement ne pouvait constituer en l'occurrence un recours efficace au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement français ne saurait être retenue. La Commission est présentement appelée à examiner la question de savoir si la détention provisoire du requérant s'est prolongée au-delà du délai raisonnable prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention et s'il a été jugé dans un délai raisonnable au sens de ladite disposition. L'article 5 par. 3 (art. 5-3) se lit ainsi : "Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience." Le requérant a été détenu à deux périodes : du 16 février 1983, date de son inculpation, au 29 mars 1983, date de sa mise en liberté sous contrôle judiciaire après versement d'un cautionnement de 500.000 francs, soit près de cinq semaines, et du 22 mars 1984 au 19 décembre 1986, date à laquelle il a été mis en liberté après versement d'un nouveau cautionnement de 300.000 francs. Le Gouvernement français tient à faire observer à titre liminaire que selon la jurisprudence de la Commission (No 8234/78, déc. 3.10.1979, D.R. 17 p. 122), l'obligation assumée par les Etats aux termes de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, de faire juger une personne détenue dans un délai raisonnable prend fin dès que cette personne est mise en liberté. La période à prendre en considération se situe donc entre le 22 mars 1984, date à laquelle le requérant a été réincarcéré par le juge d'instruction, et le 8 décembre 1986, date à laquelle la cour d'assises des Alpes Maritimes a ordonné sa mise en liberté. Le Gouvernement soutient que, s'agissant d'une procédure criminelle, cette détention ne paraît pas excéder le délai raisonnable prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. A l'appui de son argumentation, le Gouvernement se réfère aux critères définis par les organes de la Convention dans leur jurisprudence. Il relève que la Commission et la Cour ont été d'avis que l'article 5 (art. 5) doit être interprété en tenant compte de tous les éléments de l'affaire en cause. Elles examinent chaque affaire "en prenant en considération d'abord les motifs sur lesquels les autorités judiciaires ont fondé leurs décisions relatives au maintien du requérant en détention préventive ou à sa mise en liberté sous caution, puis la manière dont les instances judiciaires ont mené la procédure engagée contre lui, compte tenu de la conduite du requérant lui-même" (Cour Eur. D.H., arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7 par. 5 et 16, arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8 par. 5, arrêt Stögmüller du 10 novembre 1969, série A no 9 par. 3, arrêt Matznetter du 10 novembre 1969, série A no 10 par. 12, et Bonnechaux c/Suisse, rapport Comm. 5.12.1979, par. 58, D.R. 18 p. 100/116). Pour le Gouvernement il existe des raisons plausibles de soupçonner le requérant d'avoir commis un crime et des délits d'une exceptionnelle gravité qui ont provoqué son renvoi devant une cour d'assises. Il suffit de rappeler à cet égard qu'après avoir été inculpé d'introduction de fausse monnaie étrangère sur le territoire national, d'usage, détention, circulation irrégulière de fausses coupures, le requérant est maintenant renvoyé devant la cour d'assises du département des Alpes Maritimes sous l'accusation de complicité du crime d'introduction et d'exposition sur le territoire français de billets de banque étrangers contrefaits et de complicité du délit connexe de circulation irrégulière desdits faux billets dans le rayon des douanes et il encourt notamment la peine de la réclusion criminelle à perpétuité. De tels faits ont constitué de troubles graves à l'ordre public, qui justifiaient la détention de l'intéressé. A la lumière de ces critères, le Gouvernement français estime donc qu'en raison du comportement du requérant, de la gravité des faits qui lui étaient reprochés, de la complexité de l'instruction, de la nécessité d'éviter une concertation frauduleuse avec les co-inculpés, la détention provisoire du requérant ne s'est pas prolongée au-delà du délai raisonnable prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le requérant, qui conteste ce point de vue, a réfuté chacun des arguments développés par le Gouvernement défendeur. Il estime que ni la gravité des faits et la nature des sanctions encourues, ni la notion de trouble à l'ordre public, ne peuvent, à elles seules, justifier la durée d'une détention provisoire de près de trois ans. Réincarcéré le 22 mars 1984, le requérant n'a été entendu sur les faits qualifiés de complicité de subornation d'autrui qu'en date du 26 février 1986 après avoir été inculpé de ces mêmes faits quelques jours plus tôt, soit le 20 février 1986. En conséquence, l'instruction de la procédure correctionnelle aurait "sommeillé" durant deux années entières et l'on ne saurait justifier la détention du requérant par "les nécessités de l'instruction" de la procédure correctionnelle alors qu'il a été inculpé dans cette procédure près de deux ans après sa réincarcération. C'est donc dans le cadre de la procédure criminelle que le requérant a été réincarcéré. Or, l'ordonnance de clôture de l'instruction de cette procédure a été rendue le 29 juin 1984 mais le requérant n'a été remis en liberté que le 19 décembre 1986, après qu'il eut acquitté le montant d'une nouvelle caution. A présent la Commission est amenée à rechercher si, compte tenu des circonstances de l'affaire en cause, le maintien du requérant en détention provisoire pendant une durée de deux ans dix mois et dix jours, s'est prolongé au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur ce point à la lumière de sa propre jurisprudence et de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, la Commission estime que le problème qui se pose à cet égard est suffisamment complexe pour nécessiter un examen au fond de l'affaire. Cette partie de la requête ne saurait donc être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Enfin, le requérant fait valoir des griefs au titre de l'article 6 (art. 6) de la Convention, en particulier de son paragraphe 2 en ce que le principe de la présomption d'innocence n'aurait pas été respecté tant en ce qui concerne la procédure correctionnelle que criminelle. Le requérant soutient à cet égard que sa réincarcération en date du 22 mars 1984 aurait fait peser sur lui une présomption de culpabilité. La Commission tient à relever que pour pouvoir se prononcer sur l'équité d'une procédure au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention, il faut tenir compte de l'ensemble du déroulement de cette procédure. Or, en l'occurrence, on se trouve à un stade préliminaire à la procédure portant sur le bien-fondé de l'accusation. En effet, le requérant n'a pas encore comparu devant la cour d'assises, alors que la procédure se trouvait en état d'être évoquée au fond devant cette juridiction depuis le 29 octobre 1985. En l'état de l'affaire, il n'est donc pas possible d'entrevoir une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention. En conséquence, les griefs formulés par le requérant au titre de cette disposition doivent être déclarés manifestement mal fondés et rejetés en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant la durée de la détention provisoire DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE quant au surplus. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD) ANNEXE
Chronologie des évènements Les diverses étapes des deux procédures, criminelle et correctionnelle, se présentent comme suit :
a. Procédure criminelle 6 juillet 1981 : interpellation à l'aéroport de Nice de MM. S.K. et L.C. inculpés d'introduction de monnaie contrefaite sur territoire français, usage et circulation irrégulière de fausses coupures. 16 février 1983 : inculpation du requérant d'introduction de billets de banque contrefaits sur territoire français. Placé sous mandat de dépôt. 29 mars 1983 : mise en liberté du requérant qui fut placé sous contrôle judiciaire après versement d'une caution de 500 000 francs. 13 mars 1984 : convocation du requérant par le magistrat instructeur. L'accusé ne se présente pas. 20 mars 1984 : deuxième convocation par le magistrat instructeur. L'accusé, prétextant un accident, ne se présente pas. 21 mars 1984 : expulsion du requérant de la Principauté de Monaco. 22 mars 1984 : interpellé sur mandat d'amener du juge d'instruction, le requérant est déféré au magistrat instructeur et placé de nouveau sous mandat de dépôt. 29 juin 1984 : ordonnance de clôture du juge d'instruction et transmission des pièces au Procureur Général. 28 août 1984 : arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence renvoyant le requérant devant la cour d'assises des Alpes Maritimes. 20 novembre 1984 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation annulant l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence renvoyant la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble. 7 janvier 1985 : arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble renvoyant le requérant devant la cour d'assises des Alpes Maritimes. 26 mars 1985 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation cassant et annulant l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble et ordonnant le renvoi de la cause et des parties devant la cour d'appel autrement composée. 15 mai 1985 : arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble renvoyant le requérant devant la cour d'assises des Alpes Maritimes. 17 juillet 1985 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation cassant et annulant l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble renvoyant la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon. 13 août 1985 : arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon renvoyant le requérant devant la cour d'assises des Alpes Maritimes. 29 octobre 1985 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetant le pourvoi formé par le requérant. 11 mars 1986 : ordonnance du Président de la cour d'assises des Alpes Maritimes, renvoyant l'affaire criminelle suivie contre le requérant à une prochaine session de la cour d'assises du Département des Alpes Maritimes. 18 avril 1986 : rejet de la demande de mise en liberté du requérant par la chambre d'accusation de Lyon. 16 juillet 1986 : arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetant le pourvoi du requérant. 8 décembre 1986 : arrêt de la cour d'assises des Alpes Maritimes ordonnant la mise en liberté du requérant après paiement d'un nouveau cautionnement de 300 000 francs. La procédure criminelle était prévue au rôle de l'une des sessions du 1er semestre 1988.
b. Procédure correctionnelle 24 février 1984 : l'un des co-inculpés, L.C., fait parvenir au magistrat instructeur de nouvelles déclarations. 7 mars 1984 : une information du chef de subornation d'autrui est ouverte par le magistrat instructeur. 22 mars 1984 : placé sous mandat de dépôt. 26 février 1986 : soit près de deux ans plus tard, le requérant est entendu pour la première fois dans le cadre de cette information, après avoir été inculpé le 20 février 1986 du chef de complicité de subornation d'autrui. 4 mars 1987 : ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Nice. 29 septembre 1987 : l'affaire est évoquée devant la 6ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Nice. 20 octobre 1987 : le tribunal relaxe le requérant des fins de la poursuite engagée à son encontre et ce sans peine ni dépens.


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 12325/86
Date de la décision : 10/03/1989
Type d'affaire : Decision
Type de recours : irrecevable (partiellement) ; recevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : KEMMACHE
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-03-10;12325.86 ?

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