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13/03/1989 | CEDH | N°11800/85

CEDH | EZELIN contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11800/85 présentée par Roland EZELIN contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 13 mars 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE

Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MA...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11800/85 présentée par Roland EZELIN contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 13 mars 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 16 octobre 1985 par Roland EZELIN contre la France et enregistrée le 17 octobre 1985 sous le No de dossier 11800/85 ; - ii -
11800/85 Vu la décision de la Commission en date du 29 février 1988 de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des observations écrites sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci ; Vu les observations du Gouvernement défendeur sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête en date du 17 mai 1988 ; Vu les observations en réponse du requérant en date du 7 juillet 1988 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, ressortissant français né en 1947, réside en Guadeloupe, où il exerce la profession d'avocat. Il est représenté devant la Commission par Me Philippe Waquet, avocat au barreau de Paris. En février 1983, certains syndicats de Guadeloupe ont organisé une manifestation publique, pour protester contre l'emprisonnement de syndicalistes, inculpés d'avoir inscrit des graffitis sur les murs de la ville de Basse-Terre. La manifestation, ayant été régulièrement autorisée, s'est déroulée le 12 février 1983. Le requérant a participé à cette manifestation en sa qualité de vice-président du syndicat des avocats de Guadeloupe. Il portait une pancarte "Syndicat des avocats de Guadeloupe contre la loi Sécurité-Liberté". Lors de la manifestation, des injures ont été adressées en créole aux gardiens de la paix. En outre, les murs de certains édifices publics ont été ornés de graffitis mettant en cause des personnalités publiques locales. Le 21 février 1983, une information a été ouverte contre X pour dégradation de bâtiments administratifs et outrages à magistrats. Le 24 février 1983, le procureur général a adressé au Bâtonnier de l'ordre des avocats de Guadeloupe un courrier libellé comme suit : "J'ai l'honneur de vous transmettre sous ce pli la photocopie d'un rapport de police en date du 21 février 1983 duquel il résulte que (le requérant), avocat au barreau départemental de la Guadeloupe, aurait participé, dans des conditions de nature à mettre en jeu sa responsabilité au regard de l'article 226 du Code pénal, à une manifestation publique dirigée contre l'institution judiciaire. Je vous prie de bien vouloir m'adresser votre avis sur cette affaire, après avoir recueilli les explications de votre confrère." Le 14 mars 1983, après avoir étudié le dossier et entendu le requérant, le Bâtonnier avisa le procureur général qu'il considérait qu'"aucun acte, aucun geste, aucun propos outrageant à l'encontre des magistrats" ne pouvait être imputé au requérant qui s'était borné à protester contre l'application de la loi "Sécurité-Liberté". Dans ces conditions, le Bâtonnier estimait que les dispositions de l'article 226 du Code pénal incriminant le discrédit jeté sur la justice ne pouvaient être invoquées contre le requérant. Le 25 avril 1983, le requérant, convoqué par le juge d'instruction pour déposer en tant que témoin, a déclaré n'avoir rien à dire sur l'affaire. Le 19 mai 1983,le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu concernant, entre autres, le requérant. Le 1er juin 1983, le procureur général a adressé au Bâtonnier une plainte contre le requérant ; il a précisé qu'à son avis, ce dernier, qui connaissait le but de la manifestation, "a voulu en y participant s'associer de façon exemplaire aux critiques faites par une organisation politique de la justice en Guadeloupe, et qu'en tout état de cause ni les menaces de mort proférées ni les inscriptions injurieuses faites à l'égard des magistrats devant lesquels il est appelé à plaider ne l'ont surpris ni même choqué en tant qu'avocat. Son refus de répondre en qualité de témoin au magistrat instructeur constituait de surcroît une attitude de mépris à l'égard de la justice". Le procureur général a demandé au Bâtonnier de saisir le Conseil de l'ordre d'une procédure disciplinaire à l'encontre du requérant. Par arrêté du 25 juillet 1983, le Conseil de l'ordre, siégeant comme conseil de discipline, a estimé qu'il n'y avait pas lieu à sanction contre le requérant. Le procureur général a introduit un appel contre cette décision devant la cour d'appel de Basse-Terre. Le 12 décembre 1983, la cour d'appel a infirmé la décision du Conseil de l'ordre et prononcé à l'encontre du requérant la peine disciplinaire du blâme. Le procureur général avait requis verbalement à l'audience la peine moins sévère de l'avertissement. La cour s'est fondée en effet sur l'article 106 du décret No 72-468 du 9 juin 1972 organisant la profession d'avocat qui stipule : "Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 107". Le requérant a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Il a soutenu en particulier que la sanction disciplinaire prononcée contre lui reposait sur une violation des articles 10 et 11 de la Convention. Le 19 juin 1985, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a déclaré : "Sans retenir contre l'avocat une responsabilité collective pour des faits délictueux commis par d'autres manifestants, la Cour d'appel a énoncé qu'au cours de la manifestation, qui avait pour objet de protester avec éclat contre de récentes condamnations pénales, des outrages avaient été proférés et des expressions injurieuses inscrites sur tous les murs du Palais de Justice, visant le corps des magistrats, ainsi qu'un conseiller à la Cour d'appel nommément désigné et une personnalité du département exerçant la profession d'avocat ; que la juridiction du second degré ajoute que le requérant qui se présentait à la manifestation en qualité d'avocat, qui avait entendu les menaces et outrages et qui avait vu les inscriptions injurieuses inscrites sur les murs du Palais de Justice, lieu de travail commun des magistrats et avocats, n'a à aucun moment, exprimé sa désapprobation de ces excès, ni abandonné le cortège pour se désolidariser de ces actes délictueux ; qu'elle a pu en déduire que ce comportement constituait un manquement à la délicatesse caractérisant une faute disciplinaire".
GRIEFS Le requérant soutient que la sanction disciplinaire prononcée à son encontre porte gravement atteinte à son droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique. Il précise, en ce sens, que le seul fait qui lui est reproché, est la participation à une manifestation autorisée contre l'application de la loi "Sécurité-Liberté". Aucun acte délictueux n'a été en effet retenu contre lui. Il invoque les articles 10 et 11 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 16 octobre et enregistrée le 17 octobre 1985. Le 29 février 1988 la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et d'inviter ce dernier à présenter des observations écrites sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement défendeur a présenté ses observations en date du 17 mai 1988. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 7 juillet 1988.
EN DROIT Le requérant se plaint de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre par la cour d'appel de Basse-Terre et confirmée par arrêt du 19 juin 1985 de la Cour de cassation. Il invoque les articles 10 et 11 (art; 10, 11) de la Convention. L'article 10 (art. 10) de la Convention dispose ce qui suit : "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire." Par ailleurs, l'article 11 (art. 11) de la Convention dispose ce qui suit : "1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat." Le Gouvernement défendeur estime que la sanction disciplinaire dont le requérant se plaint ne saurait en l'espèce être considérée comme une ingérence dans son droit à la liberté d'expression ou dans son droit à la réunion pacifique. Le Gouvernement relève que le requérant n'a pas été sanctionné pour avoir exprimé son opinion mais pour ne pas s'être désolidarisé avec les actes délictueux qui se sont déroulés pendant la manifestation en question. Par ailleurs, le droit du requérant de participer à une réunion pacifique n'a été aucunement restreint. Le Gouvernement observe, en outre, que la sanction infligée au requérant trouve sa source dans le régime particulier de la profession d'avocat. Celui-ci est, par son statut, soumis à des règles déontologiques dont le respect est une condition de la bonne administration de la justice. Le sanctionnement d'un manquement à ces règles ne saurait enfreindre la Convention que s'il est injustifié ou si la sanction encourue n'a pas été prononcée selon les règles régissant la matière. Or, selon le Gouvernement, tel n'a pas été le cas en l'espèce, étant donné que par son comportement le requérant a ipso facto approuvé les actes délictueux constatés pendant la manifestation. Le requérant combat la thèse du Gouvernement. Il estime que la sanction dont il se plaint, bien qu'infligée a posteriori, constitue une ingérence dans les droits garantis par les articles 10 et 11 (art. 10, 11) de la Convention. Il soutient, par ailleurs, que cette sanction a été infligée sur la base d'une norme trop générale qui ne présente pas la caractéristique de précision requise en matière de restriction des libertés fondamentales. Enfin, cette mesure ne poursuit pas, de l'avis du requérant, un but légitime au regard des dispositions des articles 10 par. 2 et 11 par. 2 (art. 10-2, 11-2) de la Convention et ne saurait passer pour nécessaire dans une société démocratique. La Commission a examiné les arguments des parties. Elle constate que la requête pose des questions importantes relatives à l'interprétation des dispositions des articles 10 et 11 (art; 10, 11) de la Convention, en particulier en ce qui concerne l'existence d'une ingérence à l'exercice des droits du requérant garantis par ces dispositions et, le cas échéant, sa justification sous l'angle des dispositions des articles 10 par. 2 et 11 par. 2 (art. 10-2, 11-2) de la Convention. Vu la complexité de ces questions, la Commission estime que la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée et que, dès lors, elle doit être déclarée recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond étant réservés. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11800/85
Date de la décision : 13/03/1989
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : EZELIN
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-03-13;11800.85 ?

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