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11/07/1989 | CEDH | N°13653/88

CEDH | F. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13653/88 présentée par F. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 juillet 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.

G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13653/88 présentée par F. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 juillet 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 2 mars 1988 par F. contre la France et enregistrée le 8 mars 1988 sous le No de dossier 13653/88 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant est un ressortissant algérien né à F. (département de l'Ain) en 1960, de parents algériens qui vivaient depuis 1954 sur le territoire français. Il demeure actuellement en Algérie. Devant la Commission, le requérant est représenté par Me Jean-Loup Cacheux, avocat au barreau de Lyon. Le requérant né en 1960 en France a vécu depuis sa naissance avec toute sa famille à Villefranche. Ses six frères et soeurs, sauf un, sont Français comme étant nés après 1963. Le requérant n'est jamais retourné en Algérie avant son expulsion et ne parle pas un mot d'arabe. Par décisions judiciaires en date des 10 juillet 1984, 21 janvier 1986 et 2 avril 1986, le requérant a été condamné pour un certain nombre de délits commis entre juin 1984 et avril 1986 tels que coups volontaires avec arme, voies de fait sur agents de la force publique, outrages à agents de la force publique, vols par effraction. Au total, le requérant a purgé environ 14 mois de prison ferme et est sorti de prison le 17 décembre 1986, suite à sa dernière condamnation à six mois de prison ferme. Le 24 novembre 1986, la commission d'expulsion émit un avis favorable concernant son expulsion vers l'Algérie. Par arrêté du 31 décembre 1986, le Ministère de l'Intérieur ordonna l'expulsion du requérant, considérant que le requérant avait commis des délits constatés par des décisions judiciaires en date des 10 juillet 1984, 21 janvier 1986 et 2 avril 1986, et qu'il en résultait que la présence de celui-ci constituait une menace pour l'ordre public. L'arrêté fut notifié au requérant le 10 janvier 1987. Le jour même, le requérant a été expulsé vers l'Algérie. Le 23 janvier 1987, le conseil du requérant introduisit un recours en excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Lyon pour obtenir l'annulation de l'arrêté d'expulsion. Par jugement du 1er avril 1987, le tribunal administratif de Lyon annula l'arrêté d'expulsion du 31 décembre 1986 en ce qu'il se fondait, par application de la loi du 9 septembre 1986 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, sur des faits qui avaient été commis et sanctionnés judiciairement avant la promulgation de cette loi, pratiquant ainsi une violation du principe de non-rétroactivité. L'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers avait été modifiée une première fois par une loi du 29 octobre 1981 aux termes de laquelle il a été posé le principe du caractère non expulsable des étrangers résidant habituellement en France depuis qu'ils ont atteint l'âge de dix ans ou depuis plus de quinze ans (article 25 2) et 3) de la loi du 29 octobre 1981). Toutefois, la loi du 9 septembre 1986 (article 25 alinéa 4) a rétabli la faculté d'expulser des personnes qui avaient leur résidence habituelle en France depuis l'enfance ou pendant plus de dix ans sous deux conditions : lorsqu'une telle personne avait été condamnée à un emprisonnement d'un seuil minimal de six mois sans sursis ou un an avec sursis ou plusieurs peines au moins égales à ces mêmes durées et lorsque sa présence constitue une menace pour l'ordre public. Sur appel du Ministère de l'Intérieur le Conseil d'Etat annula, par un arrêt en date du 20 janvier 1988, le jugement du tribunal administratif de Lyon au motif que l'expulsion d'un étranger n'avait pas le caractère d'une sanction pénale mais d'une mesure de police exclusivement destinée à protéger l'ordre et la sécurité publique, de sorte que l'application de la loi du 9 septembre 1986 à des faits commis et jugés antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi ne pouvait pas faire opposition à l'expulsion du requérant.
GRIEFS Le requérant, qui est né en France, a perdu sans le savoir la nationalité française parce que ses parents n'ont pas souscrit une déclaration recognitive de nationalité française alors qu'ils en auraient eu la possibilité en vertu d'une loi du 20 décembre 1966, qui disposait que toute personne originaire d'Algérie qui n'avait pas souscrit avant le 21 mars 1967 une telle déclaration était réputée avoir perdu la nationalité française le 1er janvier 1963. Le requérant se plaint du fait de son expulsion vers l'Algérie, d'une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel qu'il est garanti à l'article 8 de la Convention. Il soutient qu'ayant purgé les peines de prison auxquelles il a été condamné, il a payé sa dette à la société et que compte tenu de sa résidence habituelle en France depuis sa naissance il n'aurait pas dû être condamné à cette peine supplémentaire que constitue l'expulsion vers un pays qui lui est totalement étranger, même si officiellement il en possède la nationalité. De plus, selon le requérant, l'ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale n'est pas prévue par la loi au sens de l'article 8 par. 2. En effet, il a été expulsé sur le fondement d'une loi du 9 septembre 1986 pour l'application de laquelle le Ministère de l'Intérieur a pris en considération des faits commis et jugés avant l'entrée en vigueur de cette loi. Le requérant rappelle à cet égard qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 9 septembre 1986, il n'était pas expulsable en vertu de la loi du 29 octobre 1981 en vigueur à l'époque des faits pour lesquels il a été poursuivi et condamné. Le requérant se plaint enfin d'une violation de l'article 7 de la Convention qui exclut l'application rétroactive d'une nouvelle peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Selon le requérant, l'expulsion d'une personne dont toutes les racines sont en France n'est pas une mesure de police mais bien une sanction qui est ressentie comme le bannissement de la terre natale.
PROCEDURE La requête a été introduite le 2 mars 1988 et enregistrée le 8 mars 1988 sous le n° 13653/88. Le 4 juillet 1988, la Commission a décidé de communiquer la requête au Gouvernement français et de l'inviter à présenter des observations écrites sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs soulevés par le requérant. Les observations du Gouvernement ont été produites le 24 novembre 1988. Les observations en réponse du requérant sont parvenues le 24 janvier 1989.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'une violation des articles 7 et 8 (art. 7, 8) de la Convention en ce que la décision d'expulsion du 31 décembre 1986 a provoqué une rupture brutale dans sa vie privée et familiale et a été prise en violation du principe de non-rétroactivité garanti à l'article 7 (art. 7) de la Convention.
2. L'article 8 (art. 8) est ainsi libellé: "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Tout d'abord, la question se pose de savoir si les recours que le requérant a introduits devant les juridictions administratives étaient des recours efficaces au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. La Commission rappelle que dans une autre affaire (N° 13446/87 D. c/France, déc. 10.5.89), la Commission avait estimé que le requérant n'était pas tenu, pour se conformer à l'article 26 (art. 26) de la Convention, de recourir devant les juridictions administratives contre le rejet d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion. Néanmoins, la Commission constate qu'en l'espèce les recours dont le requérant s'est servi, n'étaient pas dépourvus de toute chance de succès, car un problème de l'application rétroactive des nouvelles règles d'expulsion se posait, et le requérant a même réussi à obtenir en première instance, devant le tribunal administratif, l'annulation de l'arrêté d'expulsion. Dans ces circonstances, l'arrêt du Conseil d'Etat doit être considéré comme la décision définitive au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention, et la requête ne peut être rejetée pour non-respect du délai de six mois prévu par cet article. En ce qui concerne l'objection du Gouvernement français, selon laquelle le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes du fait qu'il n'a pas, devant les juridictions administratives, expressément invoqué l'article 8 (art. 8) de la Convention, la Commission rappelle que dans l'affaire susmentionnée D. c/France, elle a souligné le contrôle restreint susceptible d'être exercé par le juge administratif quant à la proportionnalité de l'ingérence dans le droit au respect de sa vie privée et familiale et l'absence d'une jurisprudence établie dont il ressortirait qu'en matière d'expulsion le juge administratif procède effectivement à un tel examen de la proportionnalité. Pour les mêmes raisons, la Commission estime qu'en l'espèce l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue. Quant au fond, le requérant soulignant le caractère formel de sa nationalité algérienne, estime que son expulsion ne saurait être considérée comme une mesure nécessaire dans une société démocratique à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales. Le Gouvernement estime au contraire que la mesure d'expulsion se justifie au regard du par. 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la Convention. Il considère en effet que compte tenu du passé délictuel du requérant, sa présence sur le territoire constituait une menace pour l'ordre public. La Commission a procédé à un premier examen des faits et des arguments des parties. Elle estime que les problèmes qui se posent en l'espèce se révèlent suffisamment complexes pour que leurs solutions relèvent de l'examen du fond de l'affaire. Cette partie de la requête ne saurait dès lors être rejetée pour défaut manifeste de fondement, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint également du fait qu'il a été expulsé en violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales tel qu'il est reconnu à l'article 7 (art. 7) de la Convention. Il expose à cet égard que la loi du 9 septembre 1986 qui prévoit la possibilité d'expulser des étrangers même résidant en France depuis plus de quinze ans ou depuis l'âge de dix ans lorsqu'ils ont commis des infractions sanctionnées par au moins six mois sans sursis ou un an avec sursis, ne saurait s'appliquer lorsque les infractions qui motivent l'expulsion ont été commises et réprimées avant son entrée en vigueur. Le Gouvernement soutient pour sa part que l'expulsion n'est pas une condamnation pénale et que l'article 7 (art. 7) ne trouve dès lors pas à s'appliquer. La Commission estime qu'à ce stade le grief tiré de la violation alléguée de l'article 7 (art. 7) n'appelle pas un examen séparé.
4. Elle estime que la requête dans son ensemble pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues sans un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 13653/88
Date de la décision : 11/07/1989
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : F.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-07-11;13653.88 ?

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