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25/10/1989 | CEDH | N°10842/84

CEDH | AFFAIRE ALLAN JACOBSSON c. SUEDE (N° 1)


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ALLAN JACOBSSON c. SUEDE (No 1)
(Requête no10842/84)
ARRÊT
STRASBOURG
25 octobre 1989
En l’affaire Allan Jacobsson*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
B. Walsh,
R. Bernhardt,
J. De Mey

er,
N. Valticos,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ALLAN JACOBSSON c. SUEDE (No 1)
(Requête no10842/84)
ARRÊT
STRASBOURG
25 octobre 1989
En l’affaire Allan Jacobsson*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
B. Walsh,
R. Bernhardt,
J. De Meyer,
N. Valticos,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 mai et 25 septembre 1989,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 18 décembre 1987, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 10842/84) dirigée contre le Royaume de Suède et dont un ressortissant de cet État, M. Allan Jacobsson, avait saisi la Commission le 11 janvier 1984 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 6, 13, 17 et 18 (art. 6, art. 13, art. 17, art. 18) de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30 du règlement).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. G. Lagergren, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 30 janvier 1988, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, B. Walsh, R. Bernhardt, J. De Meyer et N. Valticos, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, Mme E. Palm, entrée en fonctions avant l’audience, a remplacé M. Lagergren, qui avait donné sa démission (article 2 par. 3 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement suédois ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à son ordonnance, les mémoires du Gouvernement et du requérant sont parvenus au greffe les 2 et 9 mai 1988, respectivement. Le 6 mars 1989, le secrétaire de la Commission a indiqué au greffier que le délégué s’exprimerait pendant la procédure orale.
5. Le 21 février 1989, le président a fixé au 24 mai 1989 la date d’ouverture de celle-ci après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. H. Corell, ambassadeur,
sous-secrétaire aux affaires juridiques et consulaires,  
ministère des Affaires étrangères,  agent,
S. Tell, conseiller juridique,
ministère du Logement et de l’Aménagement du territoire,
P. Boqvist, conseiller juridique,
ministère des Affaires étrangères,  conseillers;
- pour la Commission
M. Gaukur Jörundsson,  délégué;
- pour le requérant
MM. H.W. Tullberg, conseil juridique,  conseil,
U. Brunfelter, conseil juridique,
G. Petrén, ancien juge
à la Cour administrative suprême,
L. Magnusson, expert-géomètre,  conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, M. Corell pour le Gouvernement, M. Gaukur Jörundsson pour la Commission, MM. Tullberg, Petrén et Magnusson pour le requérant. Agent du Gouvernement et représentant du requérant ont produit plusieurs documents à l’audience.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. En 1974, M. Jacobsson acquit une propriété de 2.644 m² (Salem 23:1) dans le centre de Rönninge, commune de Salem, banlieue située à quelque 20 kilomètres au sud-ouest de Stockholm. Sur le terrain, qui se trouve à environ 400 m au nord-ouest de la gare de Rönninge, se dresse une maison monofamiliale où réside l’intéressé.
8. Lors de l’achat, le bien-fonds était englobé dans un plan de subdivision (avstyckningsplan - paragraphe 31 ci-dessous) de 1938, qui interdisait de construire sur un terrain de moins de 1500 m2 ne disposant pas de conduites d’eau et d’égouts suffisants (un système d’adduction d’eau et d’égouts avait été installé à la fin des années 60). Il relevait aussi d’un plan sectoriel (områdesplan - paragraphe 26 ci-dessous) de 1972, qui le décrivait comme destiné principalement à l’usage du public et renfermant des espaces verts, des rues et des aires de stationnement; en outre, il tombait sous le coup d’une interdiction de construire prononcée, le 26 août 1974 avec effet jusqu’au 1er septembre 1976, en vertu de l’article 35 de la loi de 1947 sur la construction (byggnadslagen, "la loi de 1947" - paragraphe 35 ci-dessous). Selon le Gouvernement, les règlements relatifs aux zones non planifiées (utomplansbestämmelser) s’appliquaient également, mais le requérant le conteste (paragraphe 33 ci-dessous).
9. La première interdiction frappant de la sorte la propriété du requérant avait été décrétée le 21 septembre 1965, pour un an, par la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Stockholm. Celle-ci la prorogea ultérieurement pour un ou deux ans chaque fois, en dernier lieu le 11 juillet 1985 jusqu’au 11 juillet 1987, et le terrain ne resta libre que pendant quelques brefs intervalles. Le 1er juillet 1987, l’entrée en vigueur de la loi de 1987 sur l’aménagement du territoire et la construction (Plan - och Byglagen, "la loi de 1987") entraîna l’abolition et le remplacement du système existant d’interdictions de construire (paragraphes 44-45 ci-dessous).
10. Le 1er janvier 1974, la commune de Salem fusionna avec celle de Botkyrka, mais le 1er janvier 1983 elle redevint une commune distincte.
11. Dans un avis préalable du 28 janvier 1975, sollicité par le requérant, la commission de la construction (byggnadsnämnden) de Botkyrka se déclara non disposée à permettre le fractionnement du terrain. Elle se référait notamment au plan sectoriel de 1972.
12. S’adressant à la préfecture, M. Jacobsson la pria d’ordonner à la commune d’adopter un plan d’urbanisme (stadsplan) pour le centre de Rönninge. Dans un avis du 31 mars 1976, elle souligna que seul le gouvernement avait compétence pour agir ainsi. Elle ajouta que la procédure de planification lui paraissait engagée à un point tel que pareille injonction n’était pas nécessaire.
13. Le requérant se plaignit aussi au médiateur parlementaire (justitieombudsmannen, J0). Par une lettre du 25 février 1976, celui-ci répondit être bien au fait des problèmes que pouvaient soulever des interdictions de construire de longue durée. Renvoyant à l’une de ses observations antérieures et aux travaux préparatoires de la nouvelle législation sur la construction, il concluait que la plainte n’appelait pas d’autres mesures.
14. Le 28 juin 1979, le conseil municipal (kommunfullmäktige) vota un schéma directeur (generalplan) relatif à une partie de la commune de Botkyrka et selon lequel la propriété de M. Jacobsson devait servir à la construction d’immeubles d’habitation de plus de deux étages.
15. Le 15 janvier 1980, la commission de la construction déclara, en réponse à une demande de l’intéressé, qu’elle n’était pas prête à lui accorder une dérogation à l’interdiction ou un permis de construire une maison monofamiliale et un garage sur son terrain. Il saisit la préfecture, plaidant l’invalidité de l’interdiction de construire, mais elle rejeta le recours le 25 avril 1980. Elle interprétait la décision de la commission comme un refus de consentir une dérogation et précisait qu’à ses yeux les constructions envisagées pourraient aller à l’encontre du but de l’interdiction en vigueur et entraver les plans d’urbanisme futurs tels que les indiquait le schéma directeur de 1979; elle n’apercevait pas de raisons spéciales de s’écarter de l’appréciation de la commission.
16. En avril 1983, cette dernière sollicita de la préfecture, en vertu de l’article 168 de la loi de 1947, le retrait du droit de construire prévu par le plan de subdivision de 1938. Le 23 mars 1984, elle essuya un refus fondé notamment sur les motifs ci-après:
"La longue durée de l’interdiction [de construire] découle en grande partie de modifications apportées aux objectifs de planification à la suite, entre autres, des changements de structure municipale survenus deux fois sous l’empire de l’interdiction (...). La préfecture estime que l’interdiction en vigueur donne à la municipalité assez de latitude pour la planification urbaine future. En dépit des objections de certains propriétaires [dont le requérant], elle juge qu’un abandon [du plan de subdivision] ne se justifie pas."
17. Le 6 juin 1983, la préfecture décida de proroger l’interdiction de construire pour la zone en question. Elle déclarait notamment que la commune nouvellement constituée (paragraphe 10 ci-dessus) devait avoir un peu de temps pour fixer sa position quant à l’aménagement de Rönninge; la demande d’une nouvelle interdiction de construire devait s’appuyer sur un calendrier des amendements au plan ou sur une autre proposition tendant à la levée de l’interdiction. Contestant, entre autres, la régularité de la décision de la préfecture, le requérant s’adressa au gouvernement qui rejeta le recours le 15 décembre 1983.
18. Le 13 février 1984, la commission exécutive de la commune (kommunstyrelsen) adopta un programme selon lequel la zone où se trouve le terrain de M. Jacobsson servirait à la construction de maisons multifamiliales en 1988; elle ajoutait qu’il fallait donner priorité à la planification. Le 23 février 1984, le conseil municipal approuva un programme sectoriel dans le même sens.
19. Le 11 juillet 1984, la préfecture frappa la zone en question d’une nouvelle interdiction de construire. Sa décision indiquait que la commune comptait effectuer en 1984 certains travaux afin d’établir les plans nécessaires. Le requérant saisit le gouvernement qui, tirant argument des travaux de planification en cours, le débouta le 8 novembre 1984.
20. Le 12 juin 1984, la commission de la construction déclara dans un nouvel avis préalable, sollicité par l’intéressé, qu’en raison de l’interdiction existante elle n’accorderait pas de permis de construire. Le requérant attaqua cette décision devant la préfecture, plaidant notamment que l’interdiction englobant son terrain avait expiré le 6 juin 1984. Le 21 août 1984, la commission concéda qu’il y avait eu erreur et annula sa décision du 12 juin, mais en prit une nouvelle de teneur semblable, car une autre interdiction de construire s’appliquait depuis le 11 juillet 1984.
A un stade ultérieur, la préfecture annula la décision prise par la commission le 21 août et rejeta le recours contre celle du 12 juin; elle relevait qu’une interdiction de construire se trouvait en vigueur lorsqu’elle avait examiné l’affaire. M. Jacobsson se pourvut alors devant la cour administrative d’appel (kammarrätten) de Stockholm et le gouvernement. Le 24 avril 1986, celui-ci annula la décision de la préfecture, estimant que l’avis de la commission ne revêtait pas un caractère contraignant et, partant, ne se prêtait pas à un recours. Le 16 mars 1987, la cour administrative d’appel débouta le requérant en se référant à la décision du gouvernement. Le 1er novembre 1988, la Cour suprême refusa au requérant l’autorisation de se pourvoir devant elle.
21. Le 20 mars 1986, le conseil municipal adopta un nouveau plan sectoriel couvrant entre autres le terrain litigieux et mentionnant la possibilité d’utiliser la zone pour y édifier des maisons mono- ou multifamiliales. Selon le Gouvernement, il s’agit de la dernière étape des travaux préparatoires à l’élaboration d’un plan d’urbanisme. Elle n’a eu aucune incidence sur la validité du plan de subdivision (paragraphe 8 ci-dessus).
22. Le 10 juillet 1987, le requérant déposa derechef une demande d’avis préalable concernant l’octroi d’un permis de construire sur son terrain (paragraphe 9 ci-dessus). La commission de la construction résolut toutefois, en vertu des règles introduites par la loi de 1987, de différer sa décision de deux ans (paragraphe 45 ci-dessous).
II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le système de la loi de 1947 sur la construction
1. Législation sur la construction et l’urbanisme
23. Jusqu’au 1er juillet 1987, le droit de construire sur son propre terrain était régi par la loi de 1947 sur la construction et par un décret que le gouvernement avait pris en 1959 en vertu de celle-ci (byggnadsstadgan, "le décret de 1959").
24. Aux termes de l’article 1 de la loi de 1947, on ne pouvait construire sur son terrain qu’avec un permis et sous les conditions fixées par le gouvernement. L’article 54 du décret de 1959 précisait qu’il fallait un permis pour toute construction nouvelle (paragraphes 37-39 ci-dessous), à l’exception de certains édifices publics et d’extensions mineures aux résidences et fermes existantes.
25. L’article 5 de la loi de 1947 subordonnait pareille construction à un examen préalable du point de savoir si la propriété s’y prêtait d’une manière générale. L’examen devait s’opérer selon une procédure de planification, sauf dans le cas des zones non urbanisées, pour lesquelles il pouvait avoir lieu lors de l’étude d’une demande de permis.
2. Plans et règlements
26. Un schéma directeur (generalplan) était dressé par la municipalité dans la mesure où il s’imposait pour servir de cadre à des plans plus détaillés. Plutôt qu’à des schémas directeurs complets, rarement tenus pour nécessaires, les municipalités avaient tendance à recourir en la matière à des plans plus simples et moins minutieux, dénommés d’habitude plans sectoriels (områdesplan) et non régis par la loi.
27. Quant aux plans d’urbanisme (stadsplan), il en existait pour celles des zones urbaines où le besoin s’en faisait sentir (article 24). Plus détaillés que le schéma directeur, ils définissaient la vocation des divers espaces - habitations, rues, places, espaces verts, etc. - et fournissaient aussi des indications précises sur leur destination (article 25).
28. Des plans de construction (byggnadsplan) étaient élaborés pour les zones devenues fortement peuplées, mais ils n’exigeaient pas les dispositions détaillées d’un plan d’urbanisme.
29. Adoptés par le conseil municipal, les plans d’urbanisme et de construction devaient être approuvés par la préfecture. Au cours de la procédure, les propriétaires avaient plusieurs occasions de présenter leurs observations.
30. Si une municipalité n’adoptait pas de plan d’urbanisme ou de construction, le gouvernement pouvait lui prescrire de le faire dans un délai donné.
31. Les plans de subdivision (avstyckningsplan) constituaient une catégorie ancienne. Se bornant à délimiter les espaces constructibles et ceux destinés à l’usage public, ils ne réglementaient pas la construction en soi.
Lors de l’introduction de la loi de 1947, il parut préférable de les conserver jusqu’à leur remplacement par d’autres plans. D’après les clauses transitoires des articles 168 de la loi de 1947 et 83 du décret de 1959, on devait les considérer à certains égards comme des plans de construction, sauf décision contraire de la préfecture.
32. En outre, la loi de 1947 reconnaissait aux communes un droit de préemption, jamais exercé en l’espèce, sur certains biens-fonds qu’un schéma directeur ou un plan d’urbanisme affectait à l’usage public; par exemple, elles pouvaient acquérir des zones qu’un plan d’urbanisme réservait à des espaces publics (article 41). Le prix d’achat était fixé par le tribunal foncier (fastighetsdomstolen) conformément aux règles de la loi de 1972 sur l’expropriation (expropriationslagen - "la loi de 1972").
33. La réglementation relative aux zones non planifiées (non englobées dans un plan d’urbanisme ou de construction) interdisait entre autres de construire de nouveaux bâtiments sur des propriétés jugées ne pas s’y prêter pour des raisons d’intérêt général. Selon le Gouvernement, elle valait aussi pour les zones couvertes par des plans de subdivision, mais d’après le requérant il n’en allait pas ainsi.
3. Les interdictions de construire
34. D’après l’article 56 du décret de 1959, les autorités ne pouvaient octroyer des permis pour de nouveaux édifices qui entraîneraient un aménagement urbain (tätbebyggelse) dans un secteur non englobé dans un plan d’urbanisme ou un plan de construction. Les zones régies par des plans de subdivision échappaient à cette défense, encore que la préfecture pût, aux termes de l’article 168 de la loi de 1947, les y assujettir.
35. Si l’on envisageait d’adopter un plan d’urbanisme, l’article 35 de la loi de 1947 habilitait la préfecture à interdire toute construction nouvelle dans la zone concernée. Pareille interdiction valait pour un an, mais pouvait être prolongée de deux ans chaque fois. Elle pouvait donner lieu à des dérogations si la procédure de planification ne s’en trouvait pas entravée.
36. Selon l’article 158 de la loi de 1947, les dispositions relatives aux constructions nouvelles s’appliquaient aussi à "toute transformation d’un bâtiment existant qui, selon des règles établies par le gouvernement, [pouvait] être classée parmi les constructions nouvelles". L’article 75 du décret de 1959 précisait:
"Par ‘construction nouvelle’ on entend:
a) l’édification d’un bâtiment entièrement nouveau;
b) l’extension latérale ou verticale d’un bâtiment existant;
c) la reconstruction de l’extérieur ou de l’intérieur d’un bâtiment, ou toute transformation assez importante pour que l’on puisse l’assimiler à une reconstruction;
d) l’adaptation, totale ou partielle, d’un bâtiment à un usage essentiellement différent du précédent;
e) toute transformation d’un bâtiment le rendant incompatible avec le schéma directeur, plan d’urbanisme ou plan de construction en vigueur ou avec les règlements relatifs à des activités de construction dans des zones non régies par des plans d’urbanisme ou de construction;
f) toute autre transformation d’un bâtiment qui, dans son état présent, ne cadre pas avec les plans ou règlements susmentionnés, sauf s’il s’agit d’un immeuble d’habitation comportant au maximum deux logements, ou de ses dépendances.
Ne constitue cependant pas une ‘construction nouvelle’, au sens du présent article, l’installation d’un chauffage central, de toilettes ou d’autres équipements sanitaires dans un bâtiment qui, même si pareille installation n’a pas été autorisée, doit subsister en l’état pendant une période considérable."
4. Les demandes de permis de construire
37. Toute demande de permis de construire était adressée à la commission locale de la construction. Si elle tombait sous le coup d’une interdiction de construire, on considérait en pratique qu’elle impliquait une demande de dérogation. L’intéressé pouvait toutefois solliciter d’abord une dérogation, sans plus, puis un permis s’il obtenait satisfaction.
38. L’instruction d’une demande de permis amenait à rechercher si la construction envisagée allait à l’encontre d’un plan adopté, des règlements relatifs aux zones non planifiées ou d’une interdiction de bâtir et si elle répondait aux impératifs techniques de la construction. En l’absence de pareils obstacles, il fallait octroyer le permis.
39. Les propriétaires fonciers avaient coutume de demander, au sujet de leurs possibilités de construire, des avis préalables. Ceux-ci n’étaient pas contraignants.
5. Les recours contre les décisions
40. Si la commission de la construction refusait un permis ou une dérogation, un recours s’ouvrait devant la préfecture.
41. À leur tour, les décisions de celle-ci pouvaient être attaquées devant le gouvernement, pour les dérogations, et devant la cour administrative d’appel pour les permis. Dans le second cas, il existait une possibilité de recours ultérieur à la Cour administrative suprême, moyennant une autorisation préalable. Si la préfecture tranchait les deux questions à la fois, le recours devait être porté devant la cour administrative d’appel. Si cette dernière estimait que la construction n’exigeait pas de dérogation à une interdiction de construire, elle poursuivait l’examen de la question du permis. Sinon, elle déférait le dossier au gouvernement en y joignant son avis sur la question du permis.
42. Il n’y avait pas de limite au nombre des demandes de permis ou de dérogation que pouvait présenter un propriétaire foncier. Les autorités étaient tenues d’examiner le problème chaque fois qu’elles en recevaient une.
43. Si la préfecture prononçait une interdiction de construire, ou refusait en première instance une dérogation, sa décision pouvait donner lieu à un recours au gouvernement.
En outre, celui-ci pouvait être saisi d’un recours sur les questions relatives à l’approbation, par la préfecture, de plans d’urbanisme et de construction. Toutefois, les propriétaires fonciers concernés ne pouvaient pas requérir formellement la municipalité ou la préfecture, respectivement, d’adopter et d’approuver un plan.
B. La loi de 1987 sur l’aménagement du territoire et la construction
44. Le 1er juillet 1987, la loi de 1987 sur l’aménagement du territoire et la construction a remplacé la loi de 1947.
45. Elle a supprimé la possibilité d’édicter le genre d’interdictions de construire dénoncées en l’espèce. Elle y a substitué la faculté, pour la commission de la construction, de différer de deux ans au maximum sa décision sur une demande de permis ou d’avis préalable. Passé ce délai le permis, ou un avis préalable favorable, doivent être délivrés sauf s’ils se heurtent à un plan détaillé et sous réserve du respect de certaines exigences d’ordre purement technique.
C. Constitution d’unités foncières
46. Le morcellement des propriétés relève des agences de constitution des biens immobiliers (fastighetsbildningsmyndigheterna). Les nouvelles unités doivent être conçues de manière telle que tous les biens en cause répondent en permanence à leur destination compte tenu de leur situation, de leur superficie et d’autres facteurs. Dans les secteurs assujettis à des plans d’urbanisme ou de subdivision, le morcellement doit se conformer au plan. Si d’autres règlements s’appliquent, une interdiction de construire par exemple, il doit les respecter eux aussi.
47. Contre les décisions des agences de constitution des biens immobiliers, un recours s’ouvre devant les juridictions ordinaires.
D. La loi de 1972 sur l’expropriation
48. En son chapitre 2, article 1, la loi de 1972 sur l’expropriation (paragraphe 32 ci-dessus) habilite les communes à exproprier à des fins de planification:
"Un terrain sis dans une zone à forte densité de population ne peut être exproprié que si l’on peut raisonnablement supposer qu’il sera, dans un avenir prévisible, touché par une activité de construction de grand intérêt pour la collectivité ou s’il importe, aux fins d’un aménagement planifié ou pour une autre raison analogue, que la commune l’acquière."
En matière d’indemnisation, les expropriations opérées en vertu de ce texte obéissent aux clauses générales du chapitre 4 de la même loi.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
49. Dans sa requête du 11 janvier 1984 à la Commission (no 10842/84), M. Allan Jacobsson se plaignait de ne pouvoir, en dépit des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, art. 13) de la Convention, contester en justice la légalité et la compatibilité avec la Convention et le Protocole no 1 (P1) des interdictions de construire frappant son terrain. Il dénonçait en outre la longue durée de validité de celles-ci, l’estimant contraire aux articles 17 et 18 (art. 17, art. 18) de la Convention ainsi qu’à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
50. La Commission a retenu la requête le 15 avril 1986.
Dans son rapport du 8 octobre 1987 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), mais non des articles 17 et 18 (art. 17, art. 18), et qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 (art. 13). Elle relève en outre, par sept voix contre quatre, l’absence de manquement aux exigences de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (P1-1)
51. D’après le requérant, les interdictions prolongées de construire qui ont frappé son immeuble ont méconnu l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi libellé:
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes."
Gouvernement et majorité de la Commission combattent cette thèse.
52. Il y a eu sans nul doute, et le Gouvernement ne le conteste pas, atteinte au droit de M. Jacobsson au respect de ses biens, mais encore faut-il rechercher si elle a enfreint l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
A. La règle de l’article 1 (P1-1) applicable en l’espèce
53. Selon la jurisprudence de la Cour, ce texte contient trois normes distinctes. La première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Elles ne sont pas pour autant dépourvues de rapport entre elles: la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, en dernier lieu, l’arrêt Tre Traktörer AB du 7 juillet 1989, série A no 159, pp. 21-22, par. 54).
54. Aux yeux du requérant, la situation incriminée par lui ressemble à celle dont il s’agissait dans l’affaire Sporrong et Lönnroth (arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52), où la Cour a jugé applicable la première règle: dans son cas aussi, prétend-il, les interdictions prolongées de construire se combinaient avec une menace d’expropriation, en particulier par le jeu des pouvoirs dont le chapitre 2, article 1, de la loi de 1972 dote les autorités municipales (paragraphe 48 ci-dessus).
La Cour estime néanmoins, avec la Commission et le Gouvernement, que l’ingérence litigieuse résultait d’une réglementation de l’usage de biens et, partant, appelle un examen sous l’angle de la troisième règle, à savoir le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Il ne fut jamais délivré en l’espèce, comme dans l’affaire Sporrong et Lönnroth, un permis d’exproprier qui ait entaché de précarité le droit de propriété de M. Jacobsson sur Salem 23:1. Il ne ressort pas davantage du dossier que d’autres mesures aient eu pour but ou effet de l’en priver au cours de la période considérée; ainsi, la commune n’adopta aucun plan lui conférant un droit de préemption sur l’immeuble (paragraphe 32 ci-dessus) et il n’apparaît pas qu’elle ait nourri, au sujet de ce dernier, des projets assez fermes pour que l’intéressé eût lieu de craindre l’application du chapitre 2, article 1, de la loi de 1972. La présente cause diffère donc nettement de l’affaire Sporrong et Lönnroth; elle ne porte que sur la réglementation de l’usage de Salem 23:1 dans l’attente de l’élaboration d’un plan d’urbanisme (paragraphes 8 et 35 ci-dessus).
55. Aux termes du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), les États contractants peuvent notamment réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires à cette fin. Cette disposition devant toutefois se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase du premier alinéa, il faut un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, en dernier lieu, l’arrêt Tre Traktörer AB précité, série no 159, p. 23, par. 59). Dans la recherche du juste équilibre à ménager de la sorte entre l’intérêt général de la communauté et les exigences de la protection des droits fondamentaux de l’individu, les autorités jouissent d’une large marge d’appréciation (arrêt AGOSI du 24 octobre 1986, série A no 108, p. 18, par. 52).
B. Sur le respect des conditions du second alinéa
1. Légalité et finalité de l’ingérence
56. Le requérant soutient d’abord que la pratique gouvernementale consistant à entériner des interdictions prolongées de construire constituait un abus de pouvoir en droit suédois. Il invoque notamment plusieurs observations du médiateur parlementaire la critiquant (paragraphe 13 ci-dessus). Le Gouvernement se reconnaît non satisfait de la situation juridique, mais nie que les interdictions incriminées fussent contraires à la législation en vigueur.
57. Ne disposant que d’une compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne (voir, entre autres, l’arrêt Tre Traktörer AB précité, série A no 159, p. 23, par. 58), la Cour n’aperçoit, avec la Commission, aucune raison de douter que l’ingérence litigieuse fût conforme à la législation nationale, car elle se fondait clairement sur la loi de 1947, en particulier son article 35 (paragraphes 8 et 35 ci-dessus). Quant aux critiques citées par M. Jacobsson, elles ne concernaient pas la compatibilité avec le droit suédois de l’usage prolongé d’interdictions de construire: le médiateur parlementaire se bornait à mettre en cause le caractère acceptable d’une telle pratique dans un État de droit, vu l’absence de textes assurant l’indemnisation des propriétaires touchés (arrêt Sporrong et Lönnroth précité, série A no 52, p. 17, par. 42); la Cour y reviendra (paragraphes 60-63 ci-dessous).
En outre, rien ne donne à penser que les interdictions incriminées n’avaient pas pour but de faciliter l’aménagement urbain, lequel relève assurément de l’intérêt général au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
58. À cet égard, le requérant allègue que l’abus des interdictions découlait probablement de l’absence de contrôle judiciaire de l’exercice, par les autorités, des pouvoirs dont les investissait la loi de 1947. Pourtant, il existe un lien étroit entre la question des garanties contre les abus et certains problèmes examinés plus loin, dont celui de l’observation de l’article 6 (art. 6), s’il s’applique (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Silver et autres du 25 mars 1983, série A no 61, p. 34, par. 90 - paragraphes 65-77 ci-dessous).
2. Proportionnalité de l’ingérence
59. M. Jacobsson plaide ensuite que la durée du recours à ces interdictions l’empêcha longtemps de se prévaloir du droit, consacré selon lui par le plan de subdivision, de partager son terrain et d’y édifier un second bâtiment, sans que l’on ait recherché un juste équilibre entre la charge à supporter par lui et la nécessité, pour l’autorité, d’aménager la zone.
Le Gouvernement le conteste; il invoque la large marge d’appréciation laissée à l’État dans le domaine du deuxième alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
60. En vérité l’intéressé resta très longtemps dans l’incertitude quant à ses perspectives de mise en valeur de son immeuble, mais la Cour ne juge pas établi qu’il eût acquis des droits inconditionnels à édifier une seconde maison. Il n’apparaît pas que les autorités eussent l’obligation de lui accorder le permis indispensable à l’époque: aucun droit absolu à construire une deuxième habitation ne pouvait se déduire du plan de subdivision (paragraphe 8 ci-dessus), encore que celui-ci n’exclût point pareille possibilité. En outre, il ne ressort pas du dossier que la réglementation relative aux zones non planifiées ne s’appliquât pas et que Salem 23:1 échappât à la condition générale de l’idonéité (paragraphes 25, 33 et 38 ci-dessus). D’après le Gouvernement, cette exigence rendait hautement improbable l’octroi d’un deuxième permis, en raison de la procédure d’aménagement en cours; thèse qui trouve appui dans les résultats préliminaires de celle-ci, disponibles au moment de l’achat et ultérieurement (paragraphes 8, 14, 18 et 21 ci-dessus).
On ne saurait non plus tenir pour constant que les interdictions attaquées aient lésé un droit acquis inconditionnel de scinder Salem 23:1 en deux lots (paragraphe 46 ci-dessus).
61. Avec la Commission, la Cour estime que M. Jacobsson ne pouvait raisonnablement ignorer l’état de la législation quand il acheta son immeuble. En outre, il a toujours pu continuer à y vivre dans les mêmes conditions qu’alors. Rien ne corrobore son allégation selon laquelle les interdictions de construire l’ont empêché de réparer sa maison: des travaux mineurs restaient autorisés (paragraphe 36 ci-dessus) et il ne semble pas avoir sollicité une dérogation pour en effectuer d’importants.
62. Les interdictions ne valaient d’ailleurs que pour un an, avec une possibilité de renouvellement par périodes de deux ans; la nécessité de les maintenir donnait donc lieu à un examen périodique. Des dérogations pouvaient aussi être accordées si elles n’entravaient pas la procédure d’aménagement (paragraphe 35 ci-dessus). Ces modalités fournissaient le moyen de mettre en balance l’intérêt général avec celui de l’individu.
63. Aménager la zone qui englobe l’immeuble du requérant soulevait sans conteste des problèmes fort complexes (paragraphes 8-10 ci-dessus). Eu égard aux raisons énoncées plus haut (paragraphes 60-62) et à la marge d’appréciation de l’État au titre du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), la Cour, bien que préoccupée avec la Commission par la longue durée des interdictions litigieuses, conclut à l’impossibilité de les juger disproportionnées aux exigences du but légitime que constituait, pour la commune, l’aménagement de la zone.
64. En résumé, aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ne se trouve établie.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
65. Le requérant reproche aussi au droit suédois de ne pas lui avoir offert la possibilité d’attaquer en justice les décisions qui maintenaient en vigueur les interdictions de construire sur son bien-fonds. Il invoque l’article 6 par. 1 (art. 6-1), aux termes duquel:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)."
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
66. Devant la Cour, le Gouvernement plaide l’inapplicabilité du texte en l’espèce. Pour trancher la question, la Cour doit rechercher s’il y avait contestation sur un "droit" que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne et, dans l’affirmative, s’il revêtait un "caractère civil" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir notamment l’arrêt Tre Traktörer AB précité, série A no 159, pp. 16-17, par. 36).
1. Existence d’une contestation sur un "droit"
67. Quant au premier point, la Cour renvoie aux principes énoncés dans sa jurisprudence (voir entre autres, l’arrêt Pudas du 27 octobre 1987, série A no 125-A, p. 14, par. 31). En particulier, la contestation doit être réelle et sérieuse; elle peut porter aussi bien sur l’existence même d’un droit que sur son étendue ou ses modalités d’exercice; enfin, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour un tel droit.
68. Selon le Gouvernement, nulle contestation de ce type n’a surgi concernant un droit.
La Cour estime au contraire qu’il y avait bien contestation réelle, notamment sur la légalité des décisions des autorités: devant la préfecture comme devant le gouvernement, le requérant alléguait entre autres que les prolongations incriminées ne respectaient pas la loi de 1947 et que les interdictions de construire constituaient un abus de pouvoir car aucun travail d’aménagement n’avait été accompli (paragraphes 15-16 ci-dessus).
69. Eu égard à la grande latitude laissée en la matière par le Parlement suédois aux autorités administratives, le Gouvernement soutient en outre que M. Jacobsson ne pouvait revendiquer aucun "droit" de construire avant la délivrance d’un permis.
La Cour considère cependant que sauf à réunir les conditions fixées par la loi de 1947 et le décret de 1959 (paragraphe 38 ci-dessus), l’intéressé pouvait de manière défendable s’affirmer titulaire d’un "droit" à pareil permis. Sans doute l’octroi de ce dernier en de telles circonstances aurait-il supposé l’exercice d’une certaine liberté d’appréciation, mais elle n’eût pas été illimitée, les autorités se trouvant liées par des principes juridiques et administratifs généralement reconnus (arrêt Pudas précité, série A no 125-A, p. 15, par. 34).
70. Les interdictions en cause, souligne le Gouvernement, touchaient les droits de nombreux autres propriétaires; selon lui, la contestation avait donc des liens si éloignés et ténus avec le "droit" du requérant à construire que l’article 6 (art. 6) n’entre pas en jeu.
On ne saurait pourtant douter que ce droit se trouvait gravement restreint par les interdictions (paragraphe 69 ci-dessus) et que son exercice dépendait directement du résultat de la procédure par laquelle M. Jacobsson discutait leur régularité.
71. Il y avait dès lors contestation sur un "droit", comme le pense aussi le délégué de la Commission.
2. Sur le "caractère civil" du droit
72. D’après la jurisprudence de la Cour, la notion de "droits et obligations de caractère civil" ne doit pas s’interpréter par simple référence au droit interne de l’État défendeur. L’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique indépendamment de la qualité des parties comme de la nature de la loi régissant la contestation et de l’autorité compétente pour trancher; il suffit que l’issue de la procédure soit déterminante pour des droits et obligations de caractère privé (voir en dernier lieu l’arrêt Tre Traktörer AB précité, série A no 159, p. 18, par. 41).
73. En l’occurrence, le "droit" contesté du requérant à construire sur son terrain revêt un "caractère civil" aux fins de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sporrong et Lönnroth précité, série A no 52, p. 29, par. 79). Ni la généralité des interdictions de construire ni le double fait que la planification relève, comme le soutient le Gouvernement, du droit public et qu’une interdiction de bâtir représente un élément nécessaire de l’aménagement urbain, n’y changent rien.
3. Conclusion
74. En résumé, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) entre en jeu.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
75. Pour le cas où la Cour conclurait à l’applicabilité, le Gouvernement concède que le requérant n’a pas bénéficié des garanties prévues à l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Il faut néanmoins rechercher si M. Jacobsson a joui du "droit à un tribunal" que lui assurait cette disposition (voir en dernier lieu l’arrêt Tre Traktörer AB précité, série A no 159, p. 20, par. 47).
76. D’après le droit suédois, seul le gouvernement pouvait trancher la contestation en dernier ressort. Ses décisions ne se prêtaient pas à un contrôle de leur légalité par les juridictions ordinaires ou administratives, ni par un autre organe pouvant être considéré comme un "tribunal" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphes 41 et 43 ci-dessus).
C. Conclusion
77. Il y a donc eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13) DE LA CONVENTION
78. Le requérant affirme ne pas avoir disposé d’un "recours effectif devant une instance nationale" quant à l’objet de ses griefs.
Vu sa décision relative à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la Cour estime, avec la Commission, qu’il n’y a pas lieu d’examiner de surcroît l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13): les exigences du second sont moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir en dernier lieu l’arrêt Tre Traktörer AB précité, série A no 159, pp. 20-21, par. 51).
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DES ARTICLES 17 ET 18 (art. 17, art. 18) DE LA CONVENTION
79. A l’origine, le requérant se prévalait aussi des articles 17 et 18 (art. 17, art. 18) de la Convention, mais il ne les invoque pas devant la Cour et point n’est besoin de traiter la question d’office.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
80. Aux termes de l’article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
Le requérant sollicite une indemnité pour préjudice matériel et le remboursement de ses frais et dépens.
A. Préjudice matériel
81. Le requérant réclame d’abord 800.000 couronnes suédoises (SEK) en échange de son immeuble, ensuite une compensation pour la perte de revenus causée par les interdictions de construire, à raison de 10 % de la valeur de la propriété par an, et enfin 213.000 SEK au titre de la baisse de niveau de vie résultant selon lui de l’impossibilité, due aux interdictions, de réparer et améliorer son immeuble. Il revendique en outre des intérêts sur ces montants.
82. La Cour souscrit cependant à la thèse du Gouvernement selon laquelle il n’existe pas de lien de causalité entre la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) constatée par le présent arrêt et le dommage matériel allégué. Le maintien en vigueur des interdictions de construire a certes nui aux perspectives d’utilisation et d’aménagement de Salem 23:1 par M. Jacobsson, mais la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel ce dernier aurait abouti s’il avait pu saisir un tribunal.
Elle ne peut donc accorder aucune indemnité de ce chef.
B. Frais et dépens
83. Le requérant demande 581.183 SEK 35 pour ses frais et dépens au niveau interne et devant les organes de la Convention.
84. Le Gouvernement conteste plusieurs postes. Il n’estime raisonnables pour l’ensemble de l’affaire que 39.301 SEK 80 de dépens et 187.480 SEK au titre des honoraires de M. Tullberg. De plus, il juge tantôt superflues, tantôt excessives des sommes s’élevant au total à 240.000 SEK pour la rétribution des experts engagés par celui-ci.
85. Eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris le fait qu’elle conclut à l’absence de violation sur le principal aspect du litige, le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), et statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50) de la Convention, la Cour considère que M. Jacobsson a droit au remboursement de 80.000 SEK pour frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1);
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle des articles 13, 17 et 18 (art. 13, art. 17, art. 18);
4. Dit que la Suède doit verser au requérant, pour frais et dépens, 80.000 (quatre-vingt mille) couronnes suédoises;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 25 octobre 1989.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 par. 2 du règlement, l’exposé de l’opinion concordante de M. De Meyer.
R.R.
M.-A.E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER
(Traduction)
Les raisons pour lesquelles je décide que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s’appliquait en l’occurrence sont moins complexes que celles développées dans l’arrêt2.
Le requérant avait soulevé "une question concernant la détermination"3 de ses droits de propriété tels qu’ils se trouvaient touchés par la réglementation de la construction et de l’aménagement du territoire et son application.
Cela suffit à mes yeux4, d’autant que le "droit de propriété (...) revêt sans aucun doute un caractère civil"5.
Nous n’avions pas à nous préoccuper de savoir si l’on pouvait dire ce droit, "au moins de manière défendable, reconnu en droit interne"6, ou si "la contestation" était "réelle et sérieuse"7. Si elles se posent, ces questions doivent être tranchées au niveau national. Sur le plan de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, nous devons seulement vérifier si le droit allégué pouvait ou non faire l’objet d’une décision à ce niveau conformément aux principes reconnus par cette disposition et, dans l’affirmative, s’il en a fait l’objet8.
* Note du greffier: L'affaire porte le n° 18/1987/141/195.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Paras. 66-74 de l'arrêt.
3 Voir H. c. Belgique, arrêt du 30 novembre 1987, série A n° 127-B, p. 31, par. 38.
4 Voir en outre la partie I de mon opinion séparée dans H. c. Belgique, ibidem, pp. 48-49.
5 Sporrong et Lönnroth, arrêt du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 29, par. 79.  Voir aussi Ringeisen, arrêt du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 39, par. 94.
6 Par. 66 de l'arrêt.
7 Par. 67 de l'arrêt.
8 Voir en outre l'opinion séparée du juge Lagergren dans Ashingdane, série A n° 93, p. 27, l'opinion séparée de six juges dans W. c. Royaume-Uni, série A n° 121, p. 39, mon opinion séparée dans Pudas, série A n° 125-A, p. 21, et la partie I, paras. 2 et 3, de mon opinion séparée dans H. c. Belgique, série A n° 127-B, loc. cit.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT ALLAN JACOBSSON c. SUEDE (N° 1)
ARRÊT ALLAN JACOBSSON c. SUEDE (N° 1)
ARRÊT ALLAN JACOBSSON c. SUEDE (N° 1)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner les art. 13, 17 et 18 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (P1-1-1) PREVUE PAR LA LOI


Parties
Demandeurs : ALLAN JACOBSSON
Défendeurs : SUEDE (N° 1)

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 25/10/1989
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 10842/84
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-10-25;10842.84 ?

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