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05/03/1990 | CEDH | N°15131/89

CEDH | GUIBERGIA ; GIUBERGIA-GAVEGLIA ; GIUBERGIA ; CRUZ contre l'ITALIE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15131/89 présentée par Francesco GIUBERGIA, Rosanna GIUBERGIA-GAVEGLIA, Nasario GIUBERGIA et Serena CRUZ contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL

A. WEITZEL J.C. SOYER H....

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15131/89 présentée par Francesco GIUBERGIA, Rosanna GIUBERGIA-GAVEGLIA, Nasario GIUBERGIA et Serena CRUZ contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 3 avril 1989 par Francesco GIUBERGIA, Rosanna GIUBERGIA-GAVEGLIA, Nasario GIUBERGIA et Serena CRUZ contre l'Italie et enregistrée le 16 juin 1989 sous le No de dossier 15131/89 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits, tels qu'ils sont été exposés par les requérants sont les suivants. La requête a été présentée par les époux Francesco Giubergia, né le 13 février 1951 à Sant'Albano Stira (Cuneo), et Rosanna Gaveglio Giubergia, née le 16 mai 1954 à Casalgrasso (Cuneo), en leur nom propre et au nom des mineurs Nasario Giubergia, fils adoptif du couple, et Serena Cruz, née le 20 mai 1986 à Manila, Philippines, que le premier requérant a déclaré être sa fille naturelle. Pour la procédure devant la Commission ils sont représentés par Me Michele Catalano, avocat à Milan. A l'automne 1986, les requérants avaient adopté, conformément aux règles prévues par la législation italienne en matière d'adoption internationale, le troisième requérant, Nasario, de nationalité philippine. En janvier 1988, ils effectuèrent un second voyage aux Philippines et rentrèrent à Turin accompagnés de Serena, la quatrième requérante, déclarée aux autorités philippines et italiennes comme étant la fille naturelle reconnue du premier requérant. Peu de jours après le retour en Italie des requérants, le tribunal des mineurs de Turin fut informé de la présence chez le couple d'une mineure pour laquelle aucune demande d'adoption n'avait été présentée. Le tribunal ouvrit une enquête. Les deux premiers requérants furent entendus par le magistrat chargé du dossier les 22 et 29 janvier 1988. Le premier requérant fit valoir qu'au cours du voyage qu'il avait effectué en 1986 aux Philippines pour adopter Nasario, il avait eu une liaison avec une ressortissante de ce pays et que de cette liaision était née Serena. La mère n'étant plus en mesure de subvenir aux besoins de l'enfant il s'était rendu aux Philippines pour reconnaître l'enfant et la ramener avec lui en Italie. En février 1988, le premier requérant demanda que Serena, sa fille naturelle, soit insérée dans sa famille légitime aux termes de l'article 252 du Code civil qui dispose que "l'insertion d'un enfant naturel dans la famille légitime de l'un des parents, peut être autorisée par le juge lorsqu'elle n'est pas contraire aux intérêts du mineur, une fois acquis le consentement de l'autre époux, celui des enfants légitimes de plus de seize ans qui vivent au foyer et de l'autre parent naturel". Avant de faire droit à cette demande, doutant de la véracité des déclarations faites par le premier requérant quant à sa paternité sur l'enfant, le 24 mars 1988 le tribunal ordonna une mesure d'instruction consistant en une analyse du sang. Le requérant attaqua cette décision devant la cour d'appel de Turin qui la confirma le 3 mai 1988. Le tribunal des mineurs convoqua donc à nouveau le requérant pour le 27 juin 1988. Ce dernier souleva alors sans succès divers incidents de procédure. Finalement le 19 juillet 1988 le tribunal confirma la mesure d'expertise et nomma à cet effet un expert. Cependant l'expertise ne put être effectuée, en raison des atermoiements du requérant. Le 11 novembre 1988 le tribunal, compte tenu de l'attitude du requérant, estimant que selon toute vraisemblance la reconnaissance de paternité qu'il avait effectuée était fausse et qu'elle avait eu pour seul but d'éluder une procédure régulière d'adoption internationale, prit les décisions suivantes : - il refusa d'insérer Serena dans la famille légitime du premier requérant ; - il décida d'éloigner immédiatement la mineure de la famille formée par les trois premiers requérants ; - il nomma à la mineure un curateur spécial pour lui permettre d'attaquer la reconnaissance de paternité ; - il ouvrit une procédure d'adoption de la mineure puisque cette dernière, abandonnée par sa mère, était dépourvue d'assistance matérielle et morale de la part de sa famille naturelle. Les mesures ainsi adoptées par le tribunal des mineurs de Turin furent attaquées par les requérants devant la cour d'appel de Turin. Avant d'examiner le recours, la cour d'appel de Turin décida le 6 décembre 1988 de procéder à une enquête plus approfondie concernant la reconnaissance de paternité effectuée par le premier requérant. A l'issue de l'enquête il apparut que le premier requérant n'avait à aucun moment effectué une reconnaissance de paternité valable en droit italien . En conséquence la cour d'appel infirma la décision du tribunal de Turin autorisant la mineure à attaquer la reconnaissance de paternité, cette action n'étant plus nécessaire ; elle confirma pour le reste la décision attaquée. Le 9 février 1989, les deux premiers requérants présentèrent au tribunal des mineurs de Turin une demande d'adoption de Serena et de placement de l'enfant chez eux en vue de son adoption. Le 21 février 1989, le tribunal des mineurs rejeta la demande d'adoption. Il fit valoir que par application de l'article 9 de la loi 184/1983, les requérants ne pouvaient adopter l'enfant. En effet l'article 9 prévoit que "quiconque, n'étant pas parent jusqu'au quatrième degré, accueille de façon stable dans sa famille un mineur, doit le signaler au juge des tutelles au cas où l'accueil se prolonge pour plus de six mois ; le juge des tutelles transmet alors les actes au tribunal des mineurs avec un rapport écrit. L'omission d'une telle information peut avoir pour conséquence l'inaptitude à obtenir le placement de l'enfant dans la famille en vue ou non d'une adoption et l'incapacité à exercer la tutelle ". Le tribunal releva en l'espèce que les requérants, qui n'avaient aucun lien de parenté avec la mineure, avaient frauduleusement introduit cette dernière dans leur foyer. Il releva en outre que les requérants, convoqués quelques jours seulement après l'arrivée de l'enfant en Italie par le tribunal des mineurs, savaient donc que la situation de la mineure allait faire l'objet de vérifications approfondies mais qu'ils avaient persisté pendant plus de dix mois dans des déclarations qui s'étaient révélées par la suite mensongères, et ce dans le but d'éluder une procédure d'adoption. Le tribunal souligna par ailleurs que les requérants avaient agi en pleine connaissance de cause puisqu'ayant déjà effectué une adoption internationale ils savaient quelles étaient les règles et les procédures à suivre pour adopter un enfant. Enfin par leurs atermoiements ils avaient essayé de créer une situation de fait insoutenable au mépris des intérêts bien compris de Serena. Pour tous ces motifs ils ne pouvaient être déclarés aptes à son adoption. Le tribunal décida par ailleurs que puisque les requérants ne pouvaient désormais adopter Serena, le placement de l'enfant dans leur famille n'était pas souhaitable étant donné que la mineure ne pouvait obtenir auprès d'eux le statut juridique auquel elle pouvait prétendre. La cour d'appel confirma cette decision le 14 mars 1989. Les deux premiers requérants s'adressèrent alors à nouveau au tribunal des mineurs de Turin et demandèrent à ce dernier de révoquer les mesures contenues dans sa décision du 21 février 1989. Se fondant sur un rapport d'expert, ils faisaient valoir qu'à la suite de son éloignement de la famille Serena avait subi un traumatisme si important qu'il compromettait dès à présent et pour l'avenir son bien-être psychique. Ils soutenaient que cette situation constituait à leurs yeux un fait susceptible d'amener le tribunal à révoquer sa décision du 21 février 1989. Le tribunal des mineurs de Turin fit alors procéder à des investigations visant à établir quelle était la situation de l'enfant dans le nouveau milieu dans lequel elle avait été placée et demanda un rapport au psychologue et au médecin chargés de suivre l'enfant. Il entendit également les témoignages des personnes chargées par les services sociaux de sa surveillance. Sur la base des informations ainsi recueillies le tribunal conclut qu'il n'avait été relevé chez Serena aucun signe de souffrance particulier rendant nécessaire la révocation de la mesure d'éloignement des requérants. Au contraire l'évolution de l'enfant montrait que la voie qui avait été choisie pour elle était la plus conforme à ses intérêts. En conséquence le 31 mars 1989, le tribunal rejeta la demande de révocation de la décision du 21 février 1989. Les requérants interjetèrent appel. La cour d'appel rejeta leur demande. Dans sa décision motivée de onze pages, la cour d'appel rappela que la loi 184/83 sur l'adoption édictait un certain nombres de règles visant à faire échec à toute fausse reconnaissance de paternité qui aurait pu éluder les procédures d'adoption et faire échec aux mesures de contrôle prévues par la loi pour la protection des mineurs contre tout trafic les concernant. En refusant comme dans le cas d'espèce de "légaliser" la fraude à cette loi, les juges avaient oeuvré au service de celle-ci et dans l'intérêt de tous les mineurs. La cour releva également que même en admettant que la stricte application de la loi ait pu causer en l'espèce quelques souffrances à l'enfant, celles-ci étaient dues à la fraude prolongée des requérants qui avaient fait obstacle à la solution rapide de l'affaire, commencée quelques jours seulement après l'arrivée de l'enfant en Italie. Elle souligna en particulier que la solution apportée par le tribunal était à long terme la plus conforme aux intérêts de l'enfant.
GRIEFS Les deux premiers requérants allèguent qu'en rejetant leur demande d'adoption de la quatrième requérante, les juges du tribunal de Turin ont agi arbitrairement et violé leur droit au respect de la vie familiale. Ils invoquent l'article 8 de la Convention. Ils allèguent également qu'en éloignant l'enfant alors que depuis un an et demi elle vivait dans leur foyer, les juges de Turin ont infligé un traitement inhumain et dégradant à Serena et au troisième requérant.
EN DROIT
1. Les deux premiers requérants ont introduit leur requête au nom de la quatrième requérante, Serena. La Commission constate toutefois qu'il ressort de façon non équivoque de l'ensemble des pièces du dossier qu'aucun lien de filiation n'existe entre le premier requérant et la mineure concernée. Par ailleurs les requérants n'ont pas non plus établi qu'ils ont disposé ou disposent à quelque titre que ce soit de l'autorité parentale sur Serena. Les requérants ne sauraient dès lors représenter Serena dans une procédure devant la Commission (cf. mutatis mutandis N° 9580/81, déc. 13.3.84, D.R. 36 p. 100). Il s'ensuit que la requête ne peut être considérée comme ayant été valablement introduite au nom de Serena. Dans cette mesure elle est incompatible avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Les requérants se plaignent également que la décision du 21 février 1989 du tribunal des mineurs de Turin refusant de faire droit à leur demande d'adoption et de placement de la quatrième requérante chez eux en vue de son adoption ainsi que les décisions ultérieures ont porté atteinte à leur droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 (art. 8) de la Convention. Aux termes de cet article : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." La Commission rappelle tout d'abord que sur la base des pièces versées au dossier il n'existe aucun lien de filiation naturelle établie ou juridique entre les deux premiers requérants et la mineure Serena, ni aucun autre lien de parenté entre les trois premiers requérants et la mineure Serena. Dans ces conditions la Commission pourrait se poser la question de savoir si la simple cohabitation entre les trois premiers requérants et la mineure Serena qui par ailleurs n'a existé, sans faire l'objet de contestations, que pendant moins d'un mois, pourrait être qualifiée de vie familiale au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention. En l'occurrence la question peut rester indécise. En effet même en admettant que d'une telle cohabitation aient pu naître des relations relevant de l'article 8 (art. 8) de la Convention, la Commission considère qu'une éventuelle ingérence des autorités était en l'espèce justifiée au titre du paragraphe 2 (art. 8-2) de cet article. La Commission constate à cet égard que les griefs des requérants se dirigent à la fois contre le refus du tribunal de faire droit à leur demande d'adoption de Serena et en second lieu contre le refus du tribunal de placer Serena dans leur famille. Quant au refus du tribunal des mineurs de Turin de faire droit à la demande d'adoption présentée par les deux premiers requérants, la Commission constate qu'il se base sur l'article 9 de la loi 184/83 en ce que les règles en matière d'adoption ne pouvaient être considérées comme remplies en l'espèce. Il est donc prévu par la loi au sens du par. 2 précité. Quant au but visé par la mesure litigieuse, la Commission relève - ce qui a d'ailleurs été souligné par les différentes instances judiciaires saisies de l'affaire - que cette disposition ainsi que les autres dispositions de la loi ont pour but de faire échec à de fausses reconnaissances de paternité et visent à éviter que soient éludées les procédures normales d'adoption et les mesures de contrôle édictées pour la protection des mineurs. La question se pose enfin de savoir si la mesure adoptée était nécessaire dans une société démocratique à la protection des intérêts d'autrui. S'agissant de mineurs la Commission rappelle que c'est l'intérêt de ceux-ci qui doit primer dans l'appréciation qu'elle est amenée à faire quant aux mesures prises par les autorités les affectant. A cet égard la Commission relève que les décisions des juges de Turin, longuement motivées, font apparaître que les juges ont pris en considération les répercussions que pouvait avoir sur Serena son éloignement du foyer des trois premiers requérants ainsi que l'intérêt à long terme de la mineure. Tout bien pesé, les juges ont estimé que l'intérêt de Serena n'exigeait pas qu'il soit dérogé aux règles d'ordre public établies par la loi 184/83. La Commission estime que ce faisant les juges du fond n'ont pas dépassé la marge d'appréciation dont ils disposaient en l'espèce. En conséquence, et à supposer que les requérants aient épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention, en invoquant devant les juridictions italiennes les dispositions de l'article 8 (art. 8) de la Convention, la Commission considère que les griefs des requérants sont manifestement mal fondés. Il s'ensuit que cette partie de la requête est, dans son ensemble, manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Quant au grief relatif au traitement inhumain et dégradant que les autorités judiciaires auraient infligé, en violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention, au troisième requérant en éloignant Serena de la famille formée par les trois premiers requérants, la Commission ne perçoit pas en quoi la mesure incriminée, dont elle vient de reconnaître le bien-fondé car elle ménage un juste équilibre entre les intérêts en présence en faisant prévaloir ceux, légitimes, du mineur, ait pu porter atteinte à la disposition précitée. Il s'ensuit qu'à cet égard la requête est également manifestement mal fondée (article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention). Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de Commission la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 15131/89
Date de la décision : 05/03/1990
Type d'affaire : Decision
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE


Parties
Demandeurs : GUIBERGIA ; GIUBERGIA-GAVEGLIA ; GIUBERGIA ; CRUZ
Défendeurs : l'ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-03-05;15131.89 ?

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