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09/03/1990 | CEDH | N°15393/89

CEDH | GUIZANI contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15393/89 présentée par Tahar GUIZANI contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 9 mars 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J.

CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. TH...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15393/89 présentée par Tahar GUIZANI contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 9 mars 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 10 mars 1988 par Tahar GUIZANI contre la France et enregistrée le 24 août 1989 sous le No de dossier 15393/89 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, né en 1951, est Tunisien et maçon de profession. Il est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Clairvaux. Il est marié à une Française et a 3 enfants français nés d'un premier mariage. Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : Le 12 novembre 1985, le requérant a été condamné par le tribunal de grande instance de Lyon à 8 ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français pour avoir contrevenu à la législation sur les stupéfiants. Il fut également condamné à payer à l'Administration des Douanes, solidairement avec 23 coïnculpés, une somme de 780.000 F à titre de confiscation et 924.800 F d'amende. Le 19 juin 1986, la cour d'appel de Lyon confirma ce jugement tout en y ajoutant une période de sûreté de 3 ans. Le pourvoi du requérant fut rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1987 au motif qu'il n'avait présenté aucun moyen à l'appui de son pourvoi. Le 16 mai 1988, le requérant a déposé devant la cour d'appel de Lyon une demande en relèvement d'interdiction définitive du territoire. Le 7 juillet 1988, la cour d'appel de Lyon a déclaré la demande irrecevable. Elle appliquait ce faisant la loi du 31 décembre 1987 qui a modifié l'article L 630-1 du Code de la santé publique en interdisant aux étrangers condamnés à l'interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants de demander à bénéficier des dispositions de l'article 55-1 du Code pénal. Ce dernier texte dispose notamment : "Le juge qui prononce une condamnation peut, dans son jugement, relever le condamné en tout ou en partie, y compris en ce qui concerne la durée, des interdictions, d'échéances, incapacités ou mesures de publication de quelque nature qu'elles soient, résultant de la condamnation". Le requérant s'est pourvu en cassation. Il a soutenu qu'il ne résultait pas de l'arrêt de la cour d'appel ni du dossier de procédure que son conseil avait été entendu le dernier à l'audience, que l'arrêt avait déclaré la requête irrecevable en application de la loi du 31 décembre 1987 alors que la décision de fond avait été rendue le 19 juin 1986, que la décision avait donc été prise en violation notamment de l'article 7 de la Convention. Le 28 juin 1989, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant. Elle a relevé notamment que "la loi du 31 décembre 1987 en ce qu'elle a modifié l'article L 630-1 du Code de la santé publique en interdisant aux étrangers condamnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants de demander à bénéficier des dispositions de l'article 55-1 du Code pénal est une loi de procédure concernant l'exécution des peines, immédiatement applicable aux situations en cours lors de son entrée en vigueur".
GRIEFS Devant la Commission, le requérant se plaint de ce que l'interdiction définitive du territoire porte atteinte à sa vie familiale. Il se plaint également d'avoir été condamné à une interdiction définitive du territoire alors qu'au sens de l'article 25 4°) et 5°) de l'ordonnance du 2 novembre 1945, il n'est pas expulsable. Le requérant expose encore qu'il ne ressort pas du dossier ni de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 7 juillet 1988 que son conseil ait été entendu le dernier. Il se plaint enfin de ce que l'arrêt de la cour d'appel du 7 juillet 1988 ayant déclaré sa requête irrecevable a été prise en violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d'abord d'avoir été condamné à une interdiction définitive du territoire alors qu'il ne serait pas expulsable. Il semble donc se plaindre du caractère inéquitable de la procédure au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention. La Commission relève d'emblée que le pourvoi en cassation du requérant a été rejeté car il n'avait présenté aucun moyen à l'appui. Le requérant n'a donc pas soulevé, devant la Cour de cassation, et au moins en substance, le grief soumis à la Commission et ne peut dès lors être considéré comme ayant épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. En tout état de cause la Commission note que la condamnation du requérant a été prononcée le 12 novembre 1985 et est devenue définitive suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1987. Elle rappelle que l'article 26 (art. 26) in fine de la Convention prévoit que la Commission ne peut être saisie que "dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive". En l'espèce, la décision interne définitive a été rendue le 4 mai 1987, alors que la requête a été introduite le 10 mars 1988, soit plus de 6 mois après la date de cette décision. En outre, l'examen de l'affaire ne permet de discerner aucune circonstance particulière qui ait pu interrompre ou suspendre le cours dudit délai. Il s'ensuit que la requête doit être rejetée sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. Le requérant se plaint encore de ce qu'il ne ressort pas de l'arrêt de la cour d'appel du 7 juillet 1988 ni du dossier de procédure que son conseil ait été entendu le dernier. La Commission examinera le point de savoir si l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'applique en l'espèce. En ce qui concerne la procédure en cause, qui visait à obtenir du tribunal le relèvement de l'interdiction définitive de séjour, la Commission relève tout d'abord que le requérant n'avait plus la qualité d'accusé. Elle rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle une décision relative au point de savoir si un étranger doit être autorisé à rester dans un pays ne porte ni sur ses droits et obligations de caractère civil ni sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale (cf. requête n° 7729/76, D.R. 7 p. 164; n° 8118/77, déc. 19.3.1981, D.R. 25 p. 105; n° 15099/89, X. c/Suisse, déc. 13.7.1989, non publiée). Il s'ensuit que la disposition précitée n'est pas applicable à la procédure litigieuse. Ce grief doit donc être rejeté en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de celle-ci.
3. Le requérant se plaint ensuite de ce que, pour déclarer sa requête en relèvement d'interdiction du territoire irrecevable, la cour d'appel a fait application d'une loi entrée en vigueur après la condamnation dont il demandait à être relevé, et également postérieure à l'introduction de sa demande en relèvement. Examinant ce grief sous l'angle de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention qui dispose : "Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise."
la Commission relève tout d'abord que la requête en relèvement d'interdiction définitive du territoire a été déposée par le requérant le 16 mai 1988, et donc après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Elle note par ailleurs que c'est postérieurement au prononcé de la peine que le requérant a perdu, du fait de l'application de la nouvelle loi, la possibilité de demander à être relevé, en tout ou en partie, de l'exécution d'une peine accessoire. Le changement de législation ne porte pas sur la peine infligée, mais uniquement sur l'exécution de celle-ci. La Commission estime en tout état de cause que l'article 7 (art. 7) ne saurait être interprété comme interdisant toute législation ayant pour effet de modifier l'exécution d'une peine prononcée antérieurement. En dépit de cette modification législative, on ne saurait donc dire que la peine a subir est plus lourde que celle qui a été prononcée par le juge du fond, à savoir l'interdiction définitive du territoire (cf. à cet égard n° 11653/85, déc. 3.3.86, D.R. 46 p. 231). Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant se plaint enfin de ce que l'interdiction définitive du territoire porte atteinte au respect de sa vie familiale. L'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie familiale. La Commission relève d'abord que pour autant que les griefs se dirigent contre le jugement de condamnation qui a prononcé l'interdiction du territoire, la décision interne définitive est à cet égard l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1987. Sous ce rapport le grief est donc tardif au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Pour autant que le grief vise la procédure en relèvement de l'interdiction définitive du territoire, la Commission rappelle que la condition d'épuisement des voies de recours internes, ne se trouve pas réalisée par le seul fait que le requérant a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 1103/61, déc. 12.3.62, Annuaire 5 pp. 169, 187 ; No 5574/72, déc. 21.3.75, D.R. 3 pp. 10, 22; No 10307/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 pp. 113, 127). En l'espèce, le requérant n'a soulevé ni formellement, ni même en substance au cours de la deuxième procédure devant la Cour de cassation qui s'est terminée par l'arrêt du 28 juin 1989, le grief dont il se plaint devant la Commission. De plus, l'examen de l'affaire telle qu'elle a été présentée n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, de soulever ce grief dans les procédures susmentionnées. Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 15393/89
Date de la décision : 09/03/1990
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE


Parties
Demandeurs : GUIZANI
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-03-09;15393.89 ?

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