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11/05/1990 | CEDH | N°13191/87

CEDH | H. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13191/87 présentée par H. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 mai 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. C

AMPINOS H. VANDENBERGHE Sir Basil HALL ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13191/87 présentée par H. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 mai 1990 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 20 août 1987 par H. contre la France et enregistrée le 28 août 1987 sous le No de dossier 13191/87 ; Vu les observations présentées par écrit par le Gouvernement défendeur le 2 mars 1989 ; Vu les observations produites en réponse par le requérant le 2 mai 1989 ; Vu les conclusions des parties développées à l'audience du 11 mai 1990 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant est un ressortissant français né en 1963 à Saïgon (Vietnam). Il réside à Aulnay-sous-Bois. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Me Alain Lestourneaud, avocat au barreau de Thonon-les-Bains. En date du 3 janvier 1984 à Paris, le requérant fit l'objet d'une interpellation en même temps que quatre autres individus par la police de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme. Celle-ci intervint au moment précis où deux de ces individus, porteurs de deux sacs en matière plastique et sortant d'un hôtel, se dirigeaient vers une voiture au volant de laquelle se trouvait le requérant. Un des sacs contenait de 2,835 kg d'héroine-base introduite en France le 30 décembre 1983. Dans le second sac se trouvait une balance dont un plateau portait des traces d'héroïne. Une perquisition effectuée dans un appartement où le requérant s'était rendu ce jour en compagnie de deux des personnes interpellées en même temps que lui permit encore de découvrir des armes et un sac contenant 5 kg de caféine. Le requérant fut placé en détention provisoire le 7 janvier 1984 et remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984. Le 25 mars 1985, le juge d'instruction renvoya le requérant devant le tribunal de grande instance de Paris sous l'inculpation d'infraction à la législation sur les stupéfiants et sur les armes. A l'initiative de l'Administration des douanes les prévenus furent cités du chef de délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées. Par jugement du 31 mai 1985, le tribunal de grande instance de Paris relaxa le requérant quant au délit pénal simple, au bénéfice du doute ainsi motivé : "Rien ne prouve que le requérant, dont l'intervention n'a été que ponctuelle, ait accepté en connaissance de cause la marchandise et ses détenteurs ...". Il le relaxa également quant au délit douanier pour le motif suivant : "Attendu que sur le plan douanier, aucun acte matériel de complicité ou d'intéressement à la fraude ne peut être établi à l'encontre de J., H. et du requérant. Qu'à cet égard, il convient d'observer que l'intervention de la police s'est située avant même que n'ait pu se produire de leur part le moindre acte de détention de la marchandise prohibée ; que donc, la question de leur bonne foi éventuelle n'a même pas été posée ; qu'en conséquence J., H. et le requérant doivent être relaxés de ce chef." En résumé, le tribunal relaxa le requérant de tous les chefs de poursuite. Il prononça des peines d'emprisonnement de dix à douze ans à l'encontre des autres prévenus. L'Administration des douanes releva appel de la décision de relaxe quant au délai douanier, considérant que les particularités du délit douanier ne pouvaient justifier la décision de relaxe en faveur du requérant. Elle soutenait que "toute tentative de délit est punissable comme le délit même" (article 409 Code des douanes), que "le détenteur de la fraude est réputé responsable de la fraude" (article 392 Code des douanes), que "dans toute action sur une saisie, la preuve de non-contravention est à charge du saisi" (article 373 Code des douanes) et, enfin, que le requérant se trouvait dans la position de personne intéressée à la fraude selon l'article 399 Code des douanes. Cet article punit "ceux qui ont participé comme intéressés d'une manière quelconque à un délit de contrebande"... et précise que "sont réputés intéressés (...) ceux qui ont coopéré d'une manière quelconque à un ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant de concert, d'après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun". Dans leurs conclusions d'appel, les conseils du requérant discutèrent les diverses dispositions pertinentes du Code des douanes et soulevèrent en particulier que les articles 369 par. 2, 373, 392 et 399 dudit Code "étaient incompatibles avec les notions de procès équitable et de présomption d'innocence contenues dans les articles 6 par. 1 et 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme". Dans son arrêt du 10 mars 1986, la cour d'appel de Paris confirma le jugement de première instance quant à l'infraction à la législation sur les stupéfiants mais infirma le jugement quant à l'infraction douanière. Elle déclara le requérant coupable sur ce dernier point et le condamna au paiement de pénalités douanières conjointement et solidairement avec les autres condamnés : soit une somme de 2.835.000 francs pour tenir lieu de confiscation de la marchandise et une amende égale à la valeur de la marchandise de fraude, la solidarité du requérant étant dans les deux cas limitée à la somme de 1.000.000 francs. Dans son arrêt, la cour d'appel releva que : "Dans l'après midi du 3 janvier 1984, le requérant a conduit dans son automobile Peugeot 104 le nommé N., qui jouait un rôle important dans l'importation de l'héroïne et recherchait dans divers magasins de l'acide chlorhydrique pour mélanger l'héroïne pure introduite en France par C. et F. Il était présent à 13 heures dans un appartement du ... boulevard de la Chapelle quand les 5 kg de caféine y ont été livrés par un asiatique présenté par les autres prévenus comme le chef du réseau de trafiquants. Il a accepté de conduire T. et N. au rendez-vous pris par ceux-ci avec C. et F. Au moment où il a été interpellé, il attendait que C. prenne place dans son automobile pour le conduire dans l'appartement de T., boulevard de la Chapelle. Il était donc sur le point de détenir la marchandise en fraude qui n'a pas été placée dans son véhicule uniquement en raison de l'intervention des policiers. C'est donc à juste titre que l'administration des douanes fait valoir que la tentative est considérée comme le délit même, que c'est pour une raison indépendante de sa volonté que le requérant n'a pas eu la détention matérielle de l'héroïne qui allait être placée dans son automobile et que le fait d'avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui étaient sur le point de réceptionner la marchandise prohibée permet de dire qu'il était intéressé à la fraude. Il n'allègue pas avoir agi en état de nécessité et les circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans l'action et interpellé ne lui permettent pas de soutenir qu'il a agi par suite d'une erreur invincible." Le requérant se pourvut en cassation le jour même du prononcé de l'arrêt. Comme il n'était pas en mesure de faire face à de nouvelles dépenses, l'un des conseils qui l'avait assisté devant la cour d'appel sollicita, par lettre du 10 mars 1986 adressée au président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la désignation d'un avocat d'office. Dans cette lettre, il était précisé que "les principes dont le requérant entend se prévaloir devant la Cour sont complexes et les conseils d'un avocat à la Cour de cassation s'avèrent indispensables pour poursuivre la procédure". La demande fut refusée par lettre du 26 mars 1986 du président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans les termes suivants : "Il n'existe pas d'Aide judiciaire en matière pénale, devant la Cour de cassation, au profit des condamnés, dont le nombre est infini. Dans certains cas exceptionnels, concernant les peines les plus graves, je commets gratuitement l'un de mes confrères aux fins d'examen. Mais le requérant ne rentre pas dans cette catégorie et je ne peux faire droit à sa demande." Le requérant adressa le 7 août 1986, au greffe de la Cour de cassation, une lettre recommandée aux termes de laquelle il signalait verser au dossier, à titre de mémoire de défense, un exemplaire des conclusions développées par ses conseils devant la cour d'appel de Paris. Conformément aux articles 584 et 585 du Code de procédure pénale, le demandeur en cassation peut en effet déposer un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation soit, dans les 10 jours, au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée, soit, ultérieurement, au greffe de la Cour de cassation. Les conclusions formulées au nom du requérant invitaient la cour d'appel à statuer sur le point de savoir si le système institué par les articles 392 par. 1, 373, 399 par. 2 et 3 et 369 du Code des douanes, était ou non compatible avec les principes posés dans les paragraphes 1 et 2 de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme." En date du 9 mars 1987, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes : "Vu le mémoire personnel régulièrement produit et le mémoire en défense ; Attendu que ce mémoire n'offre en lui-même à juger aucun point de droit et ne vise aucun texte dont la violation serait alléguée ; qu'ainsi, ne répondant pas aux exigences de l'article 590 du même Code, il n'est pas recevable ;" Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; Rejette le pourvoi."
GRIEFS
1. Le requérant se plaint en premier lieu de ce que les articles 369 par. 2, 373, 392 et 399 du Code des douanes créent une inégalité des armes entre les parties au procès compte tenu de présomptions légales de culpabilité profitant à l'Administration des douanes. L'énoncé de ces présomptions est contraire au principe du procès équitable, tel que le garantit l'article 6 par. 1 de la Convention. Le requérant estime en outre que ces présomptions de culpabilité opèrent un renversement du fardeau de la preuve. Il devait, dès lors, apporter la preuve de sa non-culpabilité, ce qui est contraire à la présomption d'innocence énoncée à l'article 6 par. 2 de la Convention.
2. Enfin, le requérant se plaint de n'avoir pu obtenir l'assistance d'un avocat devant la Cour de cassation, bien qu'il ait démontré son impécuniosité et demandé la désignation d'un avocat d'office. Il prétend que l'assistance d'un avocat d'office aurait pu éviter que son pourvoi soit rejeté. A cet égard, il allègue la violation de l'article 6 par. 3 c) de la Convention.
PROCEDURE La requête a été introduite le 20 août 1987 et enregistrée le 28 août 1987. Le 13 octobre 1988, la Commission a décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement français, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci. Le Gouvernement français a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête le 2 mars 1989 et les observations en réponse du requérant sont parvenues le 2 mai 1989. Le 14 décembre 1989, la Commission a décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement, au cours d'une audience contradictoire, des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. L'audience a eu lieu le 11 mai 1990. Les parties ont comparu comme suit :
Pour le Gouvernement - M. Philippe BAUDILLON, sous-directeur des Droits de l'Homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent du Gouvernement - Mme Isabelle CHAUSSADE, magistrat détaché à la sous-direction des Droits de l'Homme de la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité de conseil - M. Christian BYK, magistrat à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, en qualité de conseil - M. Roland SUTTER, directeur régional des douanes à la direction générale des douanes et des impôts indirects du ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, en qualité de conseil
Pour le requérant - Maître Alain LESTOURNEAUD, avocat au barreau de Thonon-les-Bains.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint en premier lieu qu'il a été condamné sur le fondement des articles 369 par. 2, 373, 392 et 399 du Code des douanes, qui créent une inégalité des armes entre les parties au procès, compte tenu de présomptions légales de culpabilité profitant à l'Administration des douanes. Il ajoute que ces présomptions de culpabilité opèrent un renversement du fardeau de la preuve et que la personne prévenue d'une telle infraction doit, dès lors, apporter la preuve de sa non-culpabilité. Il invoque à cet égard l'article 6 par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention. Le Gouvernement défendeur allègue sur ce point le non-épuisement des voies de recours internes. Il fait observer que le requérant n'a pas régulièrement exercé son droit de se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 mars 1986. Il explique que la Cour de cassation a constaté en effet que le pourvoi était irrégulier en la forme au motif qu'il ne comportait pas l'énoncé des moyens de droit et l'indication des textes dont la violation aurait pu être invoquée. En conséquence, le requérant s'est lui-même privé de la possibilité qu'il avait d'invoquer utilement devant la Cour de cassation les griefs qu'il soulève à présent devant la Commission. Il ajoute que le défaut d'assistance d'un avocat n'a certainement pas empêché le requérant de former un pourvoi régulier pour les trois raisons exposées ci-après : l'assistance d'un avocat à la Cour de cassation n'est juridiquement pas obligatoire pour introduire un pourvoi en matière pénale, la règle de forme posée par l'article 590, alinéa 1er, est simple et accessible à tout justiciable, le requérant semble, en fait, avoir toujours bénéficié des conseils de ses défenseurs devant la cour d'appel et ceux-ci pouvaient fort bien l'assister dans l'introduction du pourvoi et la présentation du mémoire écrit. Le requérant fait remarquer que la déclaration de pourvoi a été faite dans les formes et qu'il a régulièrement produit son mémoire en cassation, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs relevé dans son arrêt. Il soutient ensuite que ce mémoire visait clairement des moyens tirés de l'incompatibilité de plusieurs dispositions du droit douanier avec l'article 6 (art. 6) de la Convention. La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, elle ne peut être saisie d'une requête qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus. Cette règle a pour but de ménager aux Etats l'occasion de redresser les manquements allégués à leur encontre (cf. Cour Eur. D.H., arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A n° 12, p. 29, par. 40 ; Cour Eur. D.H., arrêt Van Oosterwijck du 6 novembre 1980, série A n° 40, p. 17, par. 34 ; N° 9320/81, déc. 15.3.84, D.R. 36, p. 24). La Commission rappelle aussi sa jurisprudence constante selon laquelle il n'y a pas épuisement des voies de recours internes lorsqu'un recours a été déclaré irrecevable à la suite d'une informalité commise par son auteur (No 9022/80, déc. 13.7.83, D.R. 33, p. 21 ; N° 10107/82, déc. 12.7.84, D.R. 38, p. 90). En l'espèce, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant après avoir implicitement estimé que ce pourvoi avait été régulièrement introduit et explicitement constaté que le mémoire personnel en cassation avait été régulièrement produit. La Commission constate que ce mémoire, copie des conclusions prises en appel, soulevait expressément la question de la compatibilité des articles 369 par. 2, 373, 392 et 399 du Code des douanes avec les notions de procès équitable et de présomption d'innocence contenues dans les articles 6 par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention. Elle estime en conséquence que par l'introduction de son pourvoi et le dépôt de son mémoire personnel, le requérant a saisi la Cour de cassation des prétendues violations des dispositions de la Convention et a ménagé à cette cour l'occasion de redresser les manquements allégués. La Commission rappelle également que le requérant s'est vu refuser la désignation d'un avocat d'office et que l'article 584 du Code de procédure pénale prévoit que le demandeur en cassation peut déposer un mémoire contenant ses moyens de cassation. Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir fait tout ce qui était possible pour présenter à la Cour de cassation les griefs qu'il formule à présent devant la Commission. Il s'ensuit que l'argument tiré par le Gouvernement défendeur du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenu. Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement défendeur soutient que la présente affaire peut être comparée à l'affaire Salabiaku (Cour Eur. D.H., arrêt Salabiaku du 7 octobre 1988, série A n° 141-A). Si l'article 399 précité crée une présomption de responsabilité à partir d'un comportement objectif sans qu'il soit besoin d'établir un élément intentionnel, cette présomption n'est pas irréfragable, puisqu'elle peut être renversée lorsque l'intéressé a agi en état de nécessité ou par suite d'une erreur invincible. Le Gouvernement ajoute que dans un arrêt du 12 novembre 1985 (C. Cass. 12.10.85, Bull. crim. n° 350, p. 897), la Cour de cassation a en outre exigé à cet égard qu'il soit constaté par le juge que le prévenu a eu conscience de coopérer à une opération irrégulière pouvant aboutir à une fraude. La cour d'appel a en conséquence clairement exercé son pouvoir d'appréciation des faits de la cause et ne s'est donc pas contentée de faire une application mécanique de la présomption de responsabilité instituée par l'article 399 précité. Pour sa part le requérant observe d'abord qu'il n'a jamais été détenteur de la marchandise prohibée. Il observe en outre que dans l'affaire Salabiaku, une seule présomption était en jeu, alors que quatre présomptions différentes interviennent dans la présente affaire : celle de l'article 392 par. 1 du Code des douanes, celle de l'article 373 du même Code, qui institue un renversement de la charge de la preuve, celle de l'article 369 par. 2, qui écarte la bonne foi comme inopérante et enfin celle de l'article 399, relative à l'intérêt à la fraude. Il soutient que l'ensemble de ces dispositions créent une présomption quasi irréfragable de culpabilité et qu'elles ne sont nullement justifiées par la gravité de l'enjeu. Il n'est pas possible d'admettre, dans une société démocratique, qu'un prévenu soit contraint de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis d'infraction ou qu'il doive s'exonérer par la preuve d'un état de nécessité ou d'une force majeure. Une telle situation porte atteinte au principe de l'égalité des armes ainsi qu'à la présomption d'innocence. La Commission observe d'abord que le grief que le requérant formule au titre de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention recoupe dans une large mesure celui qu'il présente sur base du paragraphe 2 (art. 6-2) de cet article. Ils consistent en effet pour l'essentiel à dénoncer les présomptions que les articles 369 par. 2, 392 par. 1 et 399 du Code des douanes institueraient au profit de la partie poursuivante (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Salabiaku précité, p. 18, par. 31). Elle sera donc amenée à examiner le grief plus particulièrement à la lumière de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. La Commission rappelle que dans son arrêt Salabiaku (Cour Eur. D.H., arrêt précité, p. 16, par. 28), la Cour a relevé que "l'article 6 par. 2 (art. 6-2) ne se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense". La Commission est donc appelée à rechercher si ces limites ont été franchies au détriment du requérant. En l'espèce, pour établir la culpabilité du requérant, la cour d'appel de Paris a constaté que c'était pour une raison indépendante de sa volonté qu'il n'avait pas eu la détention matérielle de l'héroïne. De plus, elle a estimé que le fait d'avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui étaient sur le point de réceptionner la marchandise prohibée permettait de dire qu'il était intéressé à la fraude. Enfin, elle a relevé que le requérant n'avait pas agi en état de nécessité et que les circonstances dans lesquelles il avait été impliqué dans l'action et interpellé ne lui permettaient pas de soutenir qu'il avait agi à la suite d'une erreur invincible. La question se pose dès lors de savoir si les présomptions de responsabilité édictées par les articles 392 et 399 du Code des douanes ont été appliqués au requérant d'une manière compatible avec la présomption d'innocence et le principe d'égalité des armes. La Commission considère à la lumière d'un examen préliminaire de l'argumentation des parties, de sa propre jurisprudence et de celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que les griefs soulevés par le requérant au titre de l'article 6 par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention posent, quant à l'interprétation et à l'application, en l'espèce, de ces dispositions, des problèmes suffisamment complexes pour exiger un examen au fond. Il s'ensuit que ces griefs ne peuvent être considérés comme manifestement mal fondés et qu'ils doivent être déclarés recevables, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été établi.
2. Le requérant se plaint également de n'avoir pu obtenir l'assistance d'un avocat devant la Cour de cassation, bien qu'il ait démontré son impécuniosité et demandé la désignation d'un avocat d'office. Il invoque l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Quant à ce grief, le Gouvernement défendeur rappelle d'abord que le ministère d'un avocat n'était pas obligatoire en l'espèce. Il allègue ensuite que pour l'introduction de son pourvoi en cassation, le requérant avait en fait toujours bénéficié de l'assistance de son conseil au fond. Le problème se limiterait donc à l'absence de représentation du requérant aux débats oraux devant la Cour de cassation. Le Gouvernement observe à cet égard que pareille représentation était inutile dans la présente affaire puisque le pourvoi fut déclaré irrecevable pour informalité, sans que la Cour de cassation n'examine le bien-fondé du pourvoi. Le requérant soutient pour sa part que les intérêts de la justice exigeaient qu'un avocat d'office fût désigné, compte tenu de l'importance et de la complexité des principes concernés par le pourvoi. Il observe en outre que sa demande a été rejetée sans examen de la cause aux fins de rechercher s'il existait un moyen sérieux de cassation. La Commission a procédé à un examen des observations des parties sur le présent grief tiré de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Elle considère que ce grief soulève des questions de fait et de droit qui ne peuvent être tranchés qu'après un examen complet au fond. Il s'ensuit que ce grief ne peut être déclaré manifestement mal fondé et qu'il doit être déclaré recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été établi. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tout moyen de fond réservé. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 13191/87
Date de la décision : 11/05/1990
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 10-1) AUTORISATION DES ENTREPRISES DE RADIODIFFUSION, (Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-1) LIBERTE DE COMMUNIQUER DES INFORMATIONS, (Art. 10-1) LIBERTE DE RECEVOIR DES INFORMATIONS, (Art. 10-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 10-2) EMPECHER LA DIVULGATION D'INFORMATIONS CONFIDENTIELLES, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE


Parties
Demandeurs : H.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-05-11;13191.87 ?

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