La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/1990 | CEDH | N°11613/85

CEDH | KOLOMPAR contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11613/85 présentée par Djula KOLOMPAR contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 16 mai 1990 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. C

AMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11613/85 présentée par Djula KOLOMPAR contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 16 mai 1990 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 10 juin 1985 par Djula KOLOMPAR contre la Belgique et enregistrée le 1er juillet 1985 sous le n° de dossier 11613/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par écrit par le Gouvernement belge le 13 novembre 1986 ; Vu les observations en réponse présentées par le requérant le 26 janvier 1987 ; Vu les conclusions des parties développées à l'audience le 16 mai 1990 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant est un ressortissant yougoslave, né en 1942. Au moment de l'introduction de sa requête, il était détenu à la prison d'Anvers. Le requérant est représenté par Me W.A. Venema, avocat à Rotterdam (Pays-Bas). Le 13 juin 1980, le requérant fut condamné par défaut à une peine de 18 ans de prison par la cour d'assises (Corte di Assise) de Florence (Italie) pour avoir, entre autres, commis une tentative de viol et une tentative de meurtre le 24 décembre 1977. Le 8 mai 1981, la cour d'assises d'appel (Corte di Assise di Appello) de Florence, statuant par défaut, réduisit la peine d'emprisonnement à dix ans. Le requérant avait été déclaré introuvable ("irreperibile"), puis comme étant en fuite ("latitante"). Cette décision acquit force de chose jugée le 8 juin 1981. Faisant application d'un décret du Président de la République italienne de 1978, le procureur général de la République près la cour d'appel de Florence réduisit, le 23 novembre 1981, la peine d'emprisonnement à sept ans. En 1982, l'Italie fit une demande d'extradition aux autorités des Pays-Bas. Cependant, ces autorités refusèrent d'extrader le requérant à l'Italie, suite à l'avis défavorable rendu le 14 octobre 1982 par le tribunal d'arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de Rotterdam qui avait estimé que le droit du requérant de se défendre lui-même n'avait pas été respecté. En mai 1983, l'Italie fit une demande d'extradition aux autorités de la Belgique, le requérant séjournant à cette époque dans ce pays. Arrêté en Belgique le 22 janvier 1984 pour vols qualifiés et tentatives de vol commis dans ce pays, le requérant fut placé sous mandat d'arrêt le 23 janvier 1984 par un juge d'instruction d'Anvers. Le 7 mars 1984, l'arrêt de la cour d'assises d'appel de Florence du 8 mai 1981 et sa traduction officielle en néerlandais ainsi que l'ordre d'écrou (ordine di carcerazione di condannato) pris par le procureur général de la République près la cour d'appel de Florence le 13 mars 1982 et sa traduction officielle en néerlandais furent signifiés au requérant par exploit d'huissier, conformément à la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions et l'accord d'extradition du 15 janvier 1875 entre la Belgique et l'Italie. Le même exploit mentionnait que le requérant était écroué en vue de son extradition. Le 11 avril 1984, le requérant fut mis en liberté provisoire pour les faits de vols et tentatives de vol. Il demeura cependant détenu dans le cadre de la procédure d'extradition à l'Italie. Le 2 mai 1984, le ministre belge de la Justice autorisa l'extradition du requérant à l'Italie après un avis favorable rendu le 24 avril 1984 par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel d'Anvers. Cette autorisation ne fut cependant accordée, conformément à l'avis de la chambre des mises en accusation, que pour les seuls faits de tentative de viol et tentative de meurtre. Le 29 octobre 1984, le requérant demanda au ministre de la Justice de revoir sa décision et de suspendre l'extradition dans l'intervalle. Il invoqua à l'appui de sa demande la décision du tribunal d'arrondissement de Rotterdam du 14 octobre 1982. Le 13 décembre 1984, le requérant demanda au ministre de la Justice de confirmer par écrit la teneur d'un entretien du 7 décembre 1984 au cours duquel ce dernier avait déclaré à son conseil qu'il pourrait faire droit à une demande de suspension. Par lettre du 17 décembre 1984, le ministre signala que la question de l'extradition dépendait de l'attitude des autorités italiennes qui pouvaient éventuellement retirer leur demande d'extradition. Il conseilla en conséquence au requérant de s'adresser sans délai à ces autorités à cette fin. Il ajouta qu'il pouvait, si le requérant le sollicitait, suspendre temporairement l'exécution de la décision d'extradition, cette mesure ne pouvant cependant pas excéder un délai raisonnable. Par lettre du 2 janvier 1985, le requérant demanda officiellement au ministre de la Justice de suspendre l'exécution de la décision d'extradition. Il déposa à l'appui de sa demande divers témoignages soutenant qu'il se trouvait au Danemark au moment où les faits pour lesquels il avait été condamné s'étaient produits. Le ministre prit langue avec les autorités italiennes, leur faisant part des affirmations du requérant et leur demandant si elles maintenaient leur demande d'extradition. Par lettre du 28 mars 1985, le directeur du service des extraditions de Rome signala au ministre belge de la Justice que la demande d'extradition était maintenue. Dans sa lettre, le directeur signala par ailleurs que de nouvelles preuves, qui n'avaient pas pu être prises en considération au cours du procès, pouvaient éventuellement servir de base à une demande de révision de l'affaire, sur base de l'article 553 et suivants du code de procédure pénale (Nuovi elementi di prova, non presi in considerazione nel corso del giudizio, possono eventualmente essere posti a fondamento di una istanza di revisione, ai sensi degli artt. 553 e seguenti del codice di procedura penale). Le 4 avril 1985, le ministre transmit au requérant une copie de cette lettre du 28 mars 1985. Il lui signala en conséquence que la procédure d'extradition se poursuivrait dès que son maintien à la disposition des autorités belges pour les faits commis en Belgique ne se justifierait plus. Le ministre de la Justice demanda par ailleurs au parquet d'Anvers d'examiner la portée réelle des affirmations du requérant concernant sa présence au Danemark au moment où les faits ayant donné lieu à sa condamnation avaient été commis. Selon le Gouvernement, il ressort d'un télex du 16 août 1985 émanant d'Interpol-Copenhague que le requérant est entré pour la première fois en contact avec la police danoise le 12 avril 1978 lorsqu'il fut détenu à Gentofte pour faux, tentative de vol et recel. Lors de son interrogatoire il déclara être entré au Danemark le 10 avril 1978 et n'y avoir jamais séjourné auparavant. Toujours selon le Gouvernement, l'épouse du requérant signala, en juin 1978, qu'elle était venue pour la première fois au Danemark le 23 mai 1978 et que sa famille avait habité un grand nombre d'années dans les environs de Rome. Un autre yougoslave, S.N., résidant probablement aux Pays-Bas, déclara en mai 1978 que les époux étaient à l'époque établis en Italie et que le requérant était venu plusieurs fois lui rendre visite. Enfin, l'officier de police danois Palle Jansen déclara qu'il se souvenait du requérant mais ne pouvait dire avec certitude s'il l'avait vu le 24 décembre 1977. Entretemps, le 4 janvier 1985, le tribunal correctionnel d'Anvers condamna le requérant à une peine d'emprisonnement d'un an pour vols qualifiés et tentatives de vol commis en Belgique. Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 25 avril 1985 qui acquit force de chose jugée le 25 mai 1985. Par lettre du 4 juin 1985, le ministre de la Justice informa le requérant que compte tenu de la détention déjà subie depuis le 22 janvier 1984, la peine d'emprisonnement d'un an devait être considérée être venue à expiration le 20 janvier 1985. Il ajouta que l'extradition pourrait avoir lieu le 25 juin 1985, un transit par la France ayant été accepté. Le 17 juin 1985, le requérant introduisit une demande de mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance d'Anvers, alléguant principalement le caractère illégitime de son extradition à l'Italie. Par ordonnance du 21 juin 1985, la chambre du conseil déclara la demande irrecevable. Le même jour, le requérant interjeta appel de cette décision, invoquant les articles 3, 5 et 6 par. 1 de la Convention. L'extradition fut suspendue par les autorités belges dans l'attente des décisions prises dans le cadre de ces procédures. Le 5 juillet 1985, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel d'Anvers confirma l'ordonnance du 21 juin 1985, estimant, entre autres, qu'elle n'était pas compétente pour ordonner la mise en liberté du requérant. Elle releva en effet que l'article 5 par. 4 de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, qui prévoit la possibilité de demander la mise en liberté aux juridictions d'instruction, ne peut plus trouver application dès l'instant où la personne est mise à la disposition du Gouvernement pour être extradée. La chambre des mises en accusation ajouta que les dispositions de la Convention invoquées par le requérant ne lui octroyaient pas, par elles-même, la compétence de se prononcer sur les griefs soulevés devant elle. Le 8 juillet 1985, le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre cette dernière décision et son avocat déposa un mémoire le 30 août 1985. Par arrêt du 8 octobre 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, sans avoir égard au mémoire rédigé par le conseil du requérant sans l'assistance d'un avocat à la Cour de cassation. En l'absence de moyens présentés valablement et utilement, la Cour de cassation considéra que les formalités substantielles ou prévues à peine de nullité avaient été observées et que la décision était conformé à la loi. Le 17 septembre 1985, le requérant demanda au président du tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en référé, d'interdire son extradition à l'Italie et d'ordonner sa mise en liberté immédiate. L'extradition du requérant fut suspendue dans l'attente de l'issue de cette procédure. Sa demande fut examinée au cours d'une audience du 19 mars 1986. Le 21 mars 1986, le président du tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en référé, décida qu'il n'y avait pas lieu de faire application de la procédure en référé. Il rappela d'abord que l'article 584 al. 1 du Code judiciaire lui accorde la compétence de statuer au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence, en toute matière, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire. Il ajouta que la doctrine et la jurisprudence considèrent qu'il a aussi compétence pour statuer en cas d'actes illégitimes des autorités (onrechtmatige overheidsdaad). Il estima qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner des mesures provisoires en ce qui concerne la détention au motif que celle-ci ne constituait pas un acte illégitime des autorités belges, puisque cette détention avait été ordonnée légalement et légitimement dans le cadre d'une procédure d'extradition faite conformément à la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions et au traité d'extradition belgo-italien du 15 janvier 1875. Quant à l'extradition, le président estima qu'il ne lui appartenait pas de juger si la condamnation du requérant par la cour d'assises de Florence emportait violation de la Convention. Il observa en outre que contrairement aux affirmations du requérant, celui-ci pouvait contester sa condamnation et introduire une nouvelle demande d'examen de l'affaire en vertu des articles 553 et suivants du Code de procédure pénale italien s'il existait de nouvelles preuves qui n'avaient pas pu être prises en considération au cours du procès, comme indiqué dans la lettre du directeur du service des extraditions de Rome du 28 mars 1985. Le président estima enfin que le requérant pouvait en tout cas introduire une requête devant la Commission européenne des Droits de l'Homme contre les prétendues violations de la Convention commises par l'Italie. Le requérant fit appel de cette décision par un acte déposé au greffe de la cour d'appel de Bruxelles le 19 juin 1986. La procédure d'appel est cependant toujours pendante. L'avocat belge chargé des intérêts du requérant dans ladite procédure a en effet suspendu son intervention dans l'attente du paiement d'une provision que le requérant affirme ne pas être en mesure de payer. Par lettre du 13 septembre 1987, l'avocat du requérant informa le ministre belge de la Justice que le requérant ne s'opposait plus à son extradition à l'Italie, compte tenu de la longueur des procédures entamées tant sur le plan national qu'international, et qu'il ne se prévalait plus de la promesse du ministre de suspendre l'extradition dans l'attente de l'issue des procédures intentées en Belgique. ("Hiermee doet cliënt niet langer een beroep op uw toezegging dat hij niet uitgeleverd zal worden zolang in België een nationale procedure gaande is".) Le requérant fut extradé le 25 septembre 1987.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint de la violation par la Belgique de l'article 5 par. 1 de la Convention. Il observe qu'il n'est pas possible de distinguer les périodes durant lesquelles il fut détenu en vue de son extradition des périodes durant lesquelles il fut détenu préventivement ou durant lesquelles il fut détenu en exécution de sa condamnation par les tribunaux belges. Il ajoute que sa détention en vue de son extradition a en réalité servi à assurer l'exécution de la peine finalement prononcée par les juridictions belges. Il soulève également que la procédure d'extradition ne s'est pas déroulée dans un délai raisonnable, entre autres, en raison de l'attitude des autorités belges qui n'ont pas demandé aux autorités danoises de confirmer les déclarations d'un témoin concernant sa présence au Danemark le 24 décembre 1977.
2. Le requérant se plaint également du refus des juridictions belges de se prononcer sur la légalité de sa détention en vue de l'extradition. Quant à ce grief, il invoque l'article 5 par. 4 de la Convention.
3. Il fait encore valoir que compte tenu du fait qu'il est difficile de déterminer la période durant laquelle il fut détenu en vue de son extradition, il n'a pas été informé des raisons de son arrestation. A cet égard, il invoque l'article 5 par. 2 de la Convention.
4. Invoquant l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Colozza, le requérant rappelle qu'il a été condamné par défaut en Italie et allègue qu'il n'a en conséquence pas eu droit à un procès équitable dans ce pays. Eu égard à cette circonstance, il soutient que son extradition à l'Italie constitue une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention, ainsi que de son article 3.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 10 juin 1985 contre l'Italie et la Belgique et enregistrée le 1er juillet 1985. Le 17 juillet 1986, la Commission a décidé d'inviter le Gouvernement de la Belgique à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête et en particulier sur la violation alléguée de l'article 5 par. 1 et 4, ainsi que de l'article 6 par. 1 de la Convention. Les observations du Gouvernement belge ont été présentées le 13 novembre 1986. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 26 janvier 1987. Par décision partielle du 8 février 1990, la Commission a déclaré irrecevables les griefs dirigés contre l'Italie et ajourné l'examen de la requête pour autant qu'elle concernait les griefs dirigés contre la Belgique. Le même jour, elle a décidé d'inviter le Gouvernement belge et le requérant à lui présenter oralement, au cours d'une audience contradictoire, des observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs dirigés contre la Belgique, et principalement ceux formulés au titre de l'article 5 par. 1 et 4, ainsi que de l'article 6 de la Convention. L'audience a eu lieu le 16 mai 1990. Les parties ont comparu comme suit :
Pour le Gouvernement M. Jan LATHOUWERS, du ministère de la Justice, en qualité d'Agent du Gouvernement Me Paul LEMMENS, avocat au barreau de Bruxelles, en qualité de conseil
Pour le requérant Me W.A. VENEMA, avocat au barreau de Rotterdam.
EN DROIT Le requérant se plaint de la décision des autorités belges de l'extrader à l'Italie et de sa détention en vue de l'extradition. Il invoque l'article 5 par. 1, 2 et 4 (art. 5-1, 5-2, 5-4 ) de la Convention, ainsi que ses articles 3 et 6 (art. 3, 6). Le Gouvernement allègue le non-épuisement des voies de recours internes. De façon générale, il fait d'une part observer que le requérant n'a pas introduit de recours devant le Conseil d'Etat pour contester la décision d'extradition du 2 mai 1984 ou sa détention en vue de l'extradition. Il constate d'autre part que si le requérant a introduit un recours contre l'ordonnance du 21 mars 1986 rendue par le président du tribunal de première instance de Bruxelles, la cour d'appel ne s'est pas encore prononcée sur ce recours. En ce qui concerne plus particulièrement le grief tiré de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, le Gouvernement rappelle que la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation d'Anvers, par des décisions prises respectivement le 21 juin et le 5 juillet 1985, ont estimé qu'elles n'étaient plus compétentes pour ordonner la mise en liberté d'une personne dont l'extradition était demandée dès l'instant où cette personne était mise à la disposition du Gouvernement pour être extradée. Il observe que ces décisions pouvaient trouver appui sur un arrêt de la Cour de cassation du 24 mai 1943. Il n'est cependant nullement exclu que, se fondant directement sur l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, la Cour de cassation reconnaisse actuellement la compétence des juridictions d'instruction en la matière. Le Gouvernement fait valoir à l'appui de cette argumentation que par un arrêt du 18 décembre 1985, la Cour de cassation, s'appuyant sur l'article 5 par. 4 de la (art. 5-4) convention, a estimé que le conseil de guerre avait compétence pour statuer sur la légalité du maintien en détention d'un détenu militaire, malgré l'absence de toute disposition interne régissant la matière. Observant que la Cour de cassation n'a pas pu se prononcer sur la question en raison d'une informalité commise par le requérant, le Gouvernement soutient que celui-ci n'a pas non plus épuisé les voies de recours internes dans le cadre de cette procédure. De manière générale, le requérant soulève d'abord que ni la procédure devant le Conseil d'Etat, ni la procédure en référé ne constituent des recours effectifs en ce qui concerne le grief relatif à l'article 5 par. 4 (art. 5-4). Il ajoute qu'il a fait valoir ses griefs relatifs à l'article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f), ainsi qu'aux paragraphes 3 et 4 du même article (art. 5-3, 5-4) de la Convention lors de la procédure qui a pris fin par l'arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 1985, procédure durant laquelle les diverses juridictions saisies ont refusé de se prononcer sur ces points. Il fait enfin valoir qu'il n'a pas été averti à temps de la décision d'autoriser l'extradition prise par le ministre de la Justice le 2 mai 1984. Il observe que mention de cette décision apparaît pour la première fois dans une lettre de son précédent conseil datée du 13 décembre 1984 et que ce n'est que dans une lettre du 4 juin 1985 adressée à son actuel conseil que le ministre de la Justice a cité la date du 2 mai 1984 comme celle où la décision fut prise. Dans ces circonstances, il lui était impossible de recourir dans les délais contre cette décision. La Commission estime que l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes soulève des questions distinctes pour chacun des griefs présentés par le requérant. Elle se propose donc d'examiner la question de l'épuisement des voies de recours internes lors de l'examen de chacun de ces griefs.
1. Quant à la légalité de sa détention, au sens de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention, le requérant observe qu'il n'est pas possible de distinguer les périodes durant lesquelles il fut détenu en vue de son extradition des périodes durant lesquelles il fut détenu préventivement ou durant lesquelles il fut détenu en exécution de sa condamnation par les tribunaux belges. Il ajoute que sa détention en vue de son extradition a en réalité servi à assurer l'exécution de la peine finalement prononcée par les juridictions belges. Il soulève également que la procédure d'extradition ne s'est pas déroulée dans un délai raisonnable en raison notamment de l'attitude des autorités belges qui n'ont pas demandé aux autorités danoises de confirmer les déclarations d'un témoin concernant sa présence au Danemark le 24 décembre 1977. Sur la question de l'épuisement des voies de recours internes la Commission rappelle que le Gouvernement a fait valoir, d'une part, que le requérant n'avait pas introduit de recours au Conseil d'Etat et, d'autre part, que la cour d'appel ne s'était pas encore prononcée dans le cadre de la procédure en référé introduite par le requérant. Le Gouvernement souligne plus particulièrement qu'en vertu de l'article 584 du Code judiciaire, le juge des référés, statuant au provisoire, est compétent pour prescrire aux autorités administratives, dans les cas où il reconnaît l'urgence, toute mesure aux fins de prévenir ou de faire cesser une atteinte paraissant fautive à des droits subjectifs dont la sauvegarde relève des cours et tribunaux. Il mentionne à cet égard un arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 1985 (Cass. 21 mars 1985, avec les conclusions de l'avocat général J. Velu, Pasicrisie 1985, I, p. 908) et fait valoir que ce recours en référé, combiné de manière parallèle ou successive avec un recours au principal, permettait au requérant de faire redresser la violation alléguée de la Convention. Le requérant réplique qu'une procédure en référé ne peut être considérée comme une voie de recours efficace puisque le juge rend une décision provisoire sans juger l'affaire au fond. Il ajoute qu'au cours de la procédure devant le président du tribunal de première instance, statuant en référé, l'Etat belge a conclu que ce juge était incompétent pour connaître de la demande. La Commission estime que le recours devant le Conseil d'Etat ne constituait pas un recours efficace en ce qui concerne le présent grief, puisque le requérant ne pouvait pas, lorsque débuta sa détention en vue de l'extradition, s'attendre à ce que la détention en vue d'extradition serait prolongée jusqu'au 25 septembre 1987, d'abord dans l'attente d'une décision définitive concernant les poursuites pénales dirigées contre lui et ensuite dans l'attente de l'issue des procédures qu'il avait intentées pour obtenir l'annulation de son extradition et/ou sa mise en liberté. Il ne pouvait pas non plus prévoir la confusion qui aurait pu ultérieurement se produire entre la détention en vue de l'extradition et la détention préventive ou celle en exécution d'une peine. En ce qui concerne la procédure en référé, la Commission observe que celle-ci a connu une importante évolution ces dernières années en Belgique. Elle relève cependant que dans la présente affaire, le recours en référé a été introduit en 1985. A cette époque, la jurisprudence, en train de se former, prêtait à confusion (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Van Droogenbroeck du 24 juin 1982, série A n° 50, pp. 29 à 31, par. 54). Elle observe en outre que l'Etat belge a lui-même contesté la compétence du juge des référés au cours de la procédure interne. Elle rappelle à cet égard qu'une voie de recours doit exister avec un degré suffisant de certitude pour être considérée comme une voie de recours effective et efficace. Or, compte tenu des circonstances relevées ci-avant, la Commission estime que cette condition ne se trouvait pas réalisée à l'époque des faits litigieux. Il s'ensuit que l'argument tiré par le Gouvernement défendeur du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenu quant au présent grief. Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement soutient que la suspension de la procédure d'extradition n'a nullement empêché que la détention du requérant demeurât fondée sur une procédure d'extradition en cours, au sens de l'article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f) de la Convention. Il observe que la suspension de la procédure d'extradition pour permettre de juger un étranger pour des faits commis en Belgique ne constitue nullement un abus de pouvoir, l'existence de poursuites en Belgique constituant en l'espèce un obstacle légal à son extradition. De plus, la procédure introduite par le requérant devant les juridictions d'instruction d'Anvers puis devant la Cour de cassation a été menée avec une diligence particulière. Quant à la procédure en référé, il rappelle qu'elle est de nature civile et menée exclusivement à l'initiative des parties. Il observe à cet égard que le requérant n'a pas cherché à obtenir une décision rapide, mais qu'il a au contraire retardé cette procédure par de longues périodes d'inaction, s'expliquant sans doute par le fait qu'à cette époque, il voulait avant tout éviter une extradition vers l'Italie. Pour sa part, le requérant rappelle que durant une partie de sa privation de liberté en vue d'extradition, soit entre le 11 avril 1984 et le 25 mai 1985, l'extradition était suspendue dans l'attente de l'issue des poursuites entamées en Belgique. Il faut dès lors constater que la procédure d'extradition n'a pas été conduite avec la célérité voulue, si bien que la privation de liberté a cessé d'être justifiée. Il invoque à cet égard la décision rendue par la Commission dans l'affaire Lynas c/Suisse (N° 7317/75, déc. 6.10.76, Lynas c/Suisse, D.R. 6 pp. 141, 153). Après avoir procédé à un examen de l'argumentation des parties sur ce point, et eu égard notamment à sa décision dans l'affaire Lynas précitée, la Commission estime que les questions de fait et de droit qui se posent sur le terrain de l'article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f) de la Convention s'avèrent suffisamment complexes pour nécessiter un examen au fond. Il s'ensuit que ce grief ne peut être déclaré manifestement mal fondé et qu'il doit être déclaré recevable, aucun motif d'irrecevabilité n'ayant été établi.
2. Le requérant se plaint également du refus des juridictions belges de se prononcer sur la légalité de sa détention en vue de l'extradition. Quant à ce grief, il invoque l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. La Commission estime qu'en ce qui concerne le paragraphe 4 de l'article 5 (art. 5-4), la question de l'épuisement des voies de recours internes ne se pose pas. En effet, le grief formulé par le requérant est que le droit belge ne connaît pas de recours judiciaire permettant de faire statuer sur la légalité d'une personne mise à la disposition du gouvernement pour être extradée. Or, les procédures citées par le Gouvernement ne sauraient tendre à l'introduction d'une telle voie dans l'ordre juridique belge si celle-ci n'y est pas déjà prévue (cf. N° 9107/80, déc. 6.7.83, D.R. 33 pp. 76, 77). Il s'ensuit que l'argument tiré par le Gouvernement défendeur du non-épuisement des voies de recours internes relève en réalité de l'examen du bien-fondé du grief. En ce qui concerne le bien-fondé, le Gouvernement allègue que le requérant aurait pu introduire un recours devant le Conseil d'Etat et aurait dû poursuivre la procédure en référé. Il fait encore valoir que le requérant n'a pas régulièrement saisi la Cour de cassation d'un pourvoi dirigé contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation d'Anvers, alors que cette Cour aurait pu modifier sa jurisprudence antérieure et reconnaître la compétence des juridictions d'instruction pour ordonner la mise en liberté d'une personne mise à la disposition du gouvernement pour être extradée. Pour sa part, le requérant fait valoir que le recours au Conseil d'Etat est inefficace parce que son examen prend trop de temps. Il ajoute que la procédure en référé, outre le fait qu'elle fut trop longue en l'espèce, ne peut pas non plus être considérée comme efficace, comme l'a relevé la Cour dans l'affaire Van Droogenbroeck (Cour Eur. D.H., arrêt Van Droogenbroeck précité, p. 29 à 31, par. 54). Il relève enfin que dans le cadre de la procédure devant les juridictions d'instruction, la Cour de cassation elle-même, c'est-à-dire la plus haute instance, a rejeté son pourvoi. Après avoir procédé à un examen préliminaire de l'argumentation des parties sur ce point et eu égard notamment aux arrêts rendus par la Cour européenne dans l'affaire De Wilde, Ooms et Versyp (Cour Eur. D.H., arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 novembre 1970, série A n° 12) et l'affaire Van Droogenbroeck précitée ainsi qu'à sa propre jurisprudence (N° 9107/80, déc. 6.7.83, D.R. 33 pp. 76, 77), la Commission estime que le grief pose, quant à l'interprétation et l'application, en l'espèce, de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, des questions suffisamment complexes pour exiger un examen au fond. Il s'ensuit que ce grief ne peut être considéré comme manifestement mal fondé et qu'il doit être déclaré recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été établi.
3. Le requérant se plaint que du fait qu'il est difficile de déterminer la période durant laquelle il fut détenu en vue de son extradition, il n'a pas été informé des raisons de son arrestation. A cet égard, il invoque l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention. L'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention se lit comme suit : "Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'il comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle." La Commission n'estime pas nécessaire d'examiner si le requérant a épuisé, sur ce point, les voies de recours internes, le grief devant être rejeté pour défaut manifeste de fondement. La Commission constate, en effet, que le requérant n'a jamais soutenu qu'il n'avait pas été averti des raisons de son arrestation et des accusations portées contre lui lorsqu'il fut arrêté le 22 janvier 1984 et placé sous mandat d'arrêt le 23 janvier 1984. Il apparaît, d'autre part, que par exploit d'huissier du 7 mars 1984, le requérant reçut à la fois signification de l'arrêt de la cour d'assises d'appel de Florence du 8 mai 1981 ainsi que de l'ordre d'écrou du procureur général de la République près la cour d'appel de Florence et signification de sa mise en détention en vue de l'extradition motivée par sa condamnation en Italie. Le requérant a en conséquence été averti dans les plus courts délais des motifs de sa détention en vue de l'extradition. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Invoquant l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Colozza (Cour Eur. D.H., arrêt Colozza du 12 février 1985, série A n° 89), le requérant rappelle qu'il a été condamné par défaut en Italie et allègue qu'il n'a en conséquence pas eu droit à un procès équitable dans ce pays. Eu égard à cette circonstance, il soutient que son extradition à l'Italie constitue une violation par la Belgique de l'article 6 (art. 6) de la Convention, ainsi que de son article 3 (art. 3). Sur l'épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement explique que le requérant n'a pas introduit de recours en annulation devant le Conseil d'Etat contre la décision d'extradition prise par le ministre de la Justice le 2 mai 1984. Observant que le requérant a eu connaissance de l'existence de cette décision au plus tard le 29 octobre 1984, comme l'établit une lettre de son précédent conseil, et que la remise aux autorités étrangères n'a eu lieu que le 25 septembre 1987, le Gouvernement allègue que le recours au Conseil d'Etat aurait été un recours efficace, en ce sens qu'une annulation de la décision du ministre aurait pu avoir un effet utile. Le requérant fait valoir qu'il n'a pas été averti à temps de la décision du 2 mai 1984. Il observe que la mention de cette décision apparaît pour la première fois dans une lettre de son précédent conseil du 13 décembre 1984 et que ce n'est que dans une lettre du 4 juin 1985 à son conseil actuel que le ministre de la Justice a cité la date du 2 mai 1984 comme celle de la décision. Il fait valoir que dans ces circonstances, il lui a été impossible de recourir dans les délais contre cette décision. La Commission constate que le 29 octobre 1984, le requérant demanda au ministre de la Justice de revoir sa décision d'extradition. A cette date, le requérant avait évidemment connaissance de cette décision. Or, aux termes de l'article 4 (art. 4) de l'arrêté du Régent du 23 août 1948, un recours en annulation doit être introduit dans un délai de soixante jours après la notification de l'acte attaqué ou après la date où l'intéressé en a eu connaissance. Ainsi que l'a relevé le Gouvernement, le requérant, à supposer que la décision d'extradition ne lui ait pas été notifiée, a eu connaissance de la décision au plus tard le 29 octobre 1984. Dans cette hypothèse, il lui était encore loisible de saisir utilement le Conseil d'Etat dans un délai de soixante jours. Le requérant n'ayant été remis aux autorités étrangères qu'en date du 25 octobre 1987, ce recours en annulation aurait constitué, dans les circonstances particulières de la cause, un recours efficace puisqu'il aurait permis au Conseil d'Etat de redresser les violations alléguées. Le requérant n'ayant pas introduit de recours en annulation contre la décision d'extradition du 2 mai 1984, il n'a pas satisfait sur ce point à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes, de sorte que le grief doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant concernant la justification de sa détention (article 5 par. 1 de la Convention) (art. 5-1) et le prétendu refus des juridictions belges de statuer sur la légalité de sa détention en vue d'extradition (article 5 par. 4 de la Convention) (art. 5-4) ; DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire adjoint Le Président en exercice de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (J.A. FROWEIN)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11613/85
Date de la décision : 16/05/1990
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 10-1) AUTORISATION DES ENTREPRISES DE RADIODIFFUSION, (Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-1) LIBERTE DE COMMUNIQUER DES INFORMATIONS, (Art. 10-1) LIBERTE DE RECEVOIR DES INFORMATIONS, (Art. 10-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 10-2) EMPECHER LA DIVULGATION D'INFORMATIONS CONFIDENTIELLES, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE


Parties
Demandeurs : KOLOMPAR
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-05-16;11613.85 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award