La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/08/1990 | CEDH | N°9511/81

CEDH | AFFAIRE McCALLUM c. ROYAUME-UNI


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE McCALLUM c. ROYAUME-UNI
(Requête no9511/81)
ARRÊT
STRASBOURG
30 août 1990
En l’affaire McCallum*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement**, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
Sir  Vincent Evans,<

br> M.  J. De Meyer,
Mme  E. Palm,
M.  I. Foighel,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE McCALLUM c. ROYAUME-UNI
(Requête no9511/81)
ARRÊT
STRASBOURG
30 août 1990
En l’affaire McCallum*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement**, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
Sir  Vincent Evans,
M.  J. De Meyer,
Mme  E. Palm,
M.  I. Foighel,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 mai et 26 juin 1990,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été portée devant la Cour le 8 septembre 1989, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention, par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ("le Gouvernement"). A son origine se trouve une requête (no 9511/81) dirigée contre cet État et dont un citoyen britannique, M. Michael Peter McCallum, avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"), le 31 août 1981, en vertu de l’article 25 (art. 25).
La requête du Gouvernement renvoie à l’article 48 (art. 48). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir s’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 (art. 13+3).
2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 2 octobre 1989, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. R. Bernhardt, M. J. De Meyer, Mme E. Palm et M. I. Foighel, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. Thór Vilhjálmsson, suppléant, a remplacé M. Bernhardt, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4.   Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, la déléguée de la Commission et le conseil du requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à l’ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu les mémoires respectifs du requérant et du Gouvernement les 30 mars et 3 avril 1990.
Par une lettre du 3 mai 1990, le secrétaire de la Commission l’a informé que la déléguée s’exprimerait lors des audiences.
5.   Le 21 décembre 1989, le président a fixé au 21 mai 1990 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).
6.   Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. M. Wood, conseiller juridique
au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,    agent,
M. R. Macdonald, Q.C.,
M. R. Reed, avocat,  conseils,
Mme M. Macdonald, Scottish Office,
M. C. Reeves, Scottish Office,  conseillers;
- pour la Commission
Mme G.H. Thune,  déléguée;
- pour le requérant
M.  P. Cullen, avocat,
Mlle L. McElhone, solicitor.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions du président, M. Macdonald pour le Gouvernement, Mme Thune pour la Commission et M. Cullen pour le requérant.
7.   Le Gouvernement a déposé un document pendant l’audience. Le greffe a ensuite reçu, le 5 juin, des précisions au sujet des prétentions du requérant au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention et, le 22 juin, les observations du Gouvernement y relatives.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.   Le 11 mars 1980, M. Michael Peter McCallum, qui avait déjà comparu à plusieurs reprises en justice et purgé diverses peines, se vit infliger par la High Court of Justiciary, à Glasgow, six ans d’emprisonnement - à compter du 26 novembre 1979 - pour voies de fait et vol qualifié.
Après l’avoir envoyé à la prison de Peterhead, on le plaça en juillet 1982 dans celle de Barlinnie parce qu’il exerçait une influence très perturbatrice sur les autres détenus. Il perdit 509 jours de remise de peine à cause d’une série d’infractions à la discipline pénitentiaire. Il recouvra la liberté le 18 avril 1985.
9.   Au cours de son incarcération, il vécut par deux fois au quartier disciplinaire (Segregation Unit, "le quartier"; paragraphes 13-20 ci-dessous) de la prison d’Inverness: du 22 novembre 1980 au 27 janvier 1981, puis du 30 juin au 15 octobre 1981. Son second séjour excéda la durée maximale habituelle - trois mois - en raison d’une attitude particulièrement peu coopérative.
A l’origine de ces deux transfèrements au quartier figuraient des périodes de mauvaise conduite de l’intéressé, émaillées de voies de fait et d’injures envers le personnel. Dans les deux cas, on avait pensé que la mesure pourrait profiter tant à lui qu’à la situation générale au sein de la prison de Peterhead.
10.   En 1981 et 1982, les autorités pénitentiaires soumirent sa correspondance aux restrictions suivantes:
a) Deux lettres du 24 juin 1981, à son solicitor et à un député, furent interceptées en vertu des instructions Ic 1(3)(d) et Ic 3(6)(a), respectivement (interdiction de se plaindre des conditions de détention; paragraphe 22 a) et b) ci-dessous).
b) Une lettre du 5 octobre 1981 au directeur du Daily Record subit le même sort; le requérant y demandait qu’on lui expédiât une copie d’un article paru à son sujet dans ledit journal ("Cage Man Euro Court Plea") et qu’on lui indiquât si deux missives précédentes étaient arrivées à bon port. La direction de l’établissement la jugea non conforme aux instructions, mais aucun document n’explique pourquoi.
c) Une lettre du 18 décembre 1981 au procureur (Procurator Fiscal) fut elle aussi stoppée, au motif qu’elle renfermait des allégations de voies de fait sur d’autres prisonniers qui ne les avaient dénoncées eux-mêmes par aucun moyen de recours, interne ou externe. On la considéra comme répréhensible au regard de l’instruction Ic 1(3)(d); en outre, on estima contraire à l’ordre et à la discipline d’autoriser des lettres exprimant des doléances au nom d’autres détenus. M. McCallum reçut la permission d’en écrire une autre, alléguant des voies de fait relatives à sa seule personne.
d) Une lettre du 19 janvier 1982 à Mlle Hampson, de l’Université de Dundee, fut interceptée parce que la destinataire n’était ni l’un des correspondants antérieurs de M. McCallum, ni son conseiller juridique pour les besoins de sa requête à la Commission (instructions Ic 4(12) et Ic 3(10)(g)(i); paragraphe 22 d) et c) ci-dessous).
e) Des lettres des 20 et 23 février 1982 à son représentant, M. Godwin, furent retardées et finalement postées le 18 mars 1982. Le Gouvernement avait reconnu que M. McCallum pourrait, en vertu de l’instruction Ic 3(10)(g)(i), correspondre 1avec l’intéressé au sujet de sa requête à la Commission si M. Godwin observait les règles imposées par cette dernière en matière de confidentialité. Or certains détails concernant les griefs du premier avaient paru dans la presse et le Scottish Home and Health Department ne voulait pas autoriser de nouvelles lettres sans avoir reçu du second l’assurance qu’il respecterait désormais lesdites règles. Les lettres en cause furent acheminées une fois cette condition remplie.
f) En vertu de l’instruction Ic 4(12)(b) (paragraphe 22 d) ci-dessous), on refusa de communiquer au requérant une copie de lettres écrites par M. Godwin à la direction générale des services pénitentiaires (Prison Service Headquarters) le 4 juin 1982 et au ministre le 22 juin 1982. Elles donnaient à penser que la discipline du personnel s’était beaucoup relâchée à la prison de Peterhead et qu’il fallait s’attendre à des troubles parmi les prisonniers; la seconde insinuait aussi que des gardiens pouvaient avoir provoqué un incendie dans la cellule de M. McCallum. Le directeur de la prison les jugea inacceptables du point de vue de l’ordre et de la discipline; il craignait en particulier que les détenus ne fussent encouragés à causer les troubles annoncés si elles tombaient entre leurs mains.
11.   Le 22 décembre 1982, le comité des visiteurs (Visiting Committee) de la prison de Barlinnie infligea au requérant une sanction disciplinaire comprenant la défense absolue, fondée sur l’article 74 par. 2 du règlement pénitentiaire de 1952 pour l’Écosse (Prison (Scotland) Rules, "le règlement pénitentiaire"; paragraphe 21 ci-dessous), d’envoyer ou recevoir du courrier pendant 28 jours. Informé des termes de cette interdiction, le ministre pour l’Écosse décida le 11 janvier 1983 qu’elle ne pouvait s’étendre à la correspondance de l’intéressé relative à sa requête à la Commission, ni à celle échangée avec son député, le procureur ou son conseiller juridique.
II.   LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
A. Le cadre juridique général
12.   A l’époque, le système pénitentiaire écossais obéissait à la loi de 1952 sur les prisons d’Écosse (Prisons (Scotland) Act, "la loi de 1952"). D’après les articles 1 et 3, la surveillance et la direction générale des prisons écossaises incombaient au ministre pour l’Écosse. L’article 9 habilitait celui-ci à diriger les détenus vers telle ou telle prison désignée par un règlement d’exécution, de même qu’à les transférer d’un établissement à un autre, l’article 35 par. 1 à "réglementer [par voie de texte législatif (statutory instrument)] l’organisation et la gestion des prisons (...) ainsi que la classification, le traitement, l’emploi, la discipline et le contrôle des détenus".
En vertu du second, le ministre a édicté en 1952 le règlement pénitentiaire, amendé depuis lors à plusieurs reprises. Au titre de son autorité générale sur les prisons et de divers pouvoirs que ledit règlement lui attribue lui-même, il donne aussi aux directeurs de prison des consignes administratives sous la forme d’"instructions permanentes" (Standing Orders, "instructions") et de circulaires administratives.
Le quartier disciplinaire d’Inverness tombe sous le coup de la loi de 1952 et du règlement pénitentiaire, ainsi que de la plupart des instructions et des circulaires administratives. Il existe aussi des consignes administratives qui lui sont propres.
B. Le quartier disciplinaire de la prison d’Inverness
1.   But et utilisation
13.   Aux termes de l’article 6 du règlement pénitentiaire, le ministre peut "affecter des établissements pénitentiaires, en tout ou en partie, à certaines catégories de détenus ou à certains objectifs".
On a créé le quartier en 1966 afin de fournir un lieu d’isolement sûr pour les détenus qui perturbent gravement, par leur comportement violent ou subversif, les établissements où ils séjournent, se montrent réfractaires aux formes de traitement disponibles dans ceux-ci et refusent de manière flagrante de coopérer à leur marche normale. Il offre aussi au personnel un niveau de sécurité spécial.
Le placement au quartier ne joue pas le rôle de sanction; il vise à éliminer un danger menaçant l’ordre et la discipline au sein de l’établissement d’origine, soulager le personnel y travaillant et engendrer une amélioration de la conduite de l’intéressé.
14.   On y recourt avec parcimonie, dans la seule hypothèse où les structures d’accueil existant ailleurs sont jugées inefficaces. Le quartier ne fonctionne pas à pleine capacité et il est resté vacant plusieurs fois. Fermé en 1972, il a rouvert en 1979.
L’autorisation d’y envoyer un détenu est accordée personnellement par le ministre pour l’Écosse ou un autre ministre du Scottish Office, sur la recommandation du directeur de la prison d’origine ainsi que de la division de l’administration pénitentiaire du Scottish Office, et après consultation du comité permanent pour les détenus difficiles (Standing Committee on Difficult Prisoners). Sauf crise ou urgence, le transfèrement n’a lieu d’ordinaire qu’après un examen attentif des données de l’espèce.
Aucun prisonnier ne demeure au quartier plus longtemps que cela ne paraît nécessaire. Il n’y a pas de durée minimale; le séjour ne peut excéder trois mois, sous réserve de circonstances exceptionnelles.
15.   Le personnel suit en permanence l’évolution de chaque détenu; il adresse un rapport hebdomadaire à la division de l’administration pénitentiaire du Scottish Office. De son côté, le comité de contrôle du quartier d’Inverness (Inverness Unit Review Board) étudie mensuellement tous les cas; il peut recommander au ministre de transférer l’intéressé ailleurs.
2.   Nature du régime
16.   Le quartier comprend cinq cellules individuelles de 14 m2 de surface totale, où les prisonniers se trouvent confinés sauf quand ils accomplissent leurs séances d’exercice, se rendent aux toilettes, reçoivent des visites ou ont des entretiens autorisés. Ils ne peuvent se rencontrer entre eux.
La pièce où est enfermé chacun d’eux mesure trois mètres sur deux et demi; une grille de sécurité destinée à protéger le personnel la sépare du vestibule d’accès à la cellule. Ses dimensions dépassent le minimum recommandé pour une cellule individuelle dans une prison de sécurité. L’éclairage, le chauffage et la ventilation sont comparables ou supérieurs à ceux des sections de cellules individuelles, et de beaucoup de cellules ordinaires, d’autres établissements.
17.   Lettres et visites sont admises selon les normes usuelles en milieu carcéral, conformément au règlement pénitentiaire et aux instructions. Les visites se situent d’ordinaire en fin de semaine et peuvent durer deux heures.
18.   Livres et journaux sont fournis sur la base habituelle en prison; les détenus peuvent en acquérir davantage de leurs propres deniers. Des programmes de radio sont diffusés dans chaque cellule et des blocs-notes distribués à la demande conformément aux instructions. On encourage à persévérer les prisonniers qui suivent déjà des cours par correspondance.
19.   Les repas et, lorsqu’il y en a, le travail rémunéré ont lieu en cellule. Tout détenu effectue quotidiennement deux séances d’exercice d’une demi-heure chacune, mais seul.
20.   Outre les visites de leurs parents et amis, les prisonnier en reçoivent chaque jour du directeur et du gardien-chef (Chief Officer) de la prison d’Inverness, chaque semaine de l’aumônier et d’un psychiatre et, quand ils le souhaitent, du médecin de l’établissement.
C. La correspondance
21.   L’article 74 du règlement pénitentiaire prévoit notamment:
"2. Tout détenu est autorisé à écrire et à recevoir une lettre lors de son admission puis à écrire et à recevoir des lettres, ainsi qu’à accueillir des visiteurs, à des intervalles fixés par le ministre. Les intervalles ainsi prescrits peuvent être prolongés à titre de sanction pour mauvaise conduite, mais pas au point d’empêcher un détenu d’écrire et de recevoir une lettre, ainsi que d’accueillir un visiteur, toutes les huit semaines.
4. Sous réserve de l’article 50 par. 4, chaque lettre à un détenu, ou d’un détenu, doit être lue par le directeur ou par un membre du personnel par lui délégué à cet effet; le directeur a toute latitude pour en intercepter une s’il en juge le contenu répréhensible."
22.   À l’époque, ces textes se trouvaient complétés par diverses instructions dont les suivantes ont joué un rôle en l’espèce:
a) L’instruction Ic 1(3) concernait l’exercice du pouvoir, accordé par l’article 74 par. 4 au directeur de la prison, d’intercepter les lettres au contenu répréhensible. Elle disposait:
"Doivent être autorisés tous les sujets ordinaires, y compris des informations sur des événements publics. Les observations d’un détenu sur sa propre condamnation ne sont pas répréhensibles s’il s’exprime en termes corrects. Il existe peu de sujets inacceptables, à savoir:
d) Les plaintes relatives aux conditions de détention. Il faut les adresser au ministre ou au comité des visiteurs par voie de requête.
b) L’instruction Ic 3(6)(a) fixait les règles applicables au contenu des lettres destinées à des parlementaires. Elle prescrivait l’envoi, après lecture, de telles lettres "sauf lorsqu’elles comport[ai]ent une plainte ou demande relative aux conditions de détention, y compris des allégations à l’encontre du personnel de la prison, et n’ayant pas suivi la procédure prévue pour remédier au grief, à savoir une requête au ministre ou d’autres moyens officiels appropriés".
c) L’instruction Ic 3(10) avait trait aux requêtes de détenus à la Commission. Y figurait le passage ci-après:
"(g) Si la question d’une assistance juridique se pose, on la résoudra ainsi:
(i) Pour la préparation de sa requête à la Commission, un détenu peut correspondre avec son conseiller juridique et avec d’autres personnes selon les mêmes modalités que s’il avait qualité d’appelant.
d) L’instruction Ic 4(12) précisait, sous certaines réserves, que les prisonniers pourraient correspondre avec "des parents proches" de même, normalement, qu’avec "d’autres parents et amis existants". On y lisait aussi:
"(b) (...) Les directeurs ont tout pouvoir d’interdire [des lettres de la seconde catégorie] (...) pour des motifs de sécurité ou d’ordre et de discipline, ou pour prévenir ou décourager la criminalité.
(c) Ils peuvent autoriser les prisonniers à communiquer avec d’autres personnes que ceux-ci ne connaissaient pas personnellement avant leur détention. (...)"
D. Les voies de recours
23.   Outre la possibilité d’une plainte au directeur de la prison, plusieurs voies de recours s’offrent en Écosse à un détenu qui s’estime mal traité. Elles se répartissent en trois catégories:
a) les voies de recours internes:
i. une requête au ministre pour l’Écosse; ii. une plainte au comité des visiteurs; iii. une plainte à un shérif ou à un juge de paix; iv. des observations au comité de contrôle du quartier d’Inverness; v. des observations au comité permanent pour les détenus difficiles;
b) la saisine du médiateur aux fins d’enquête;
c) les recours judiciaires.
L’arrêt Boyle et Rice du 27 avril 1988 décrit en détail les recours mentionnés sous a) i. et ii. ainsi que sous b) (série A no 131, pp. 17-19, paras. 36-39). Le rapport de la Commission en l’espèce fournit en son paragraphe 26 des indications sur ceux qui se trouvent énumérés sous a) iii. à v. Quant aux recours judiciaires, il en existe de deux sortes.
1.   Recours de droit privé
24.   Tout détenu qui se croit lésé par ses conditions de détention peut les dénoncer par les voies de recours ordinaires du droit privé, en alléguant une violation de ses droits civils.
Dans l’affaire Raymond v. Honey, la chambre des Lords a souligné qu’"un condamné détenu conserve, malgré son emprisonnement, tous les droits civils dont on ne l’a pas privé expressément ou par implication nécessaire" (Appeal Cases 1983, p. 1, et All England Law Reports 1982, vol. 1, p. 759). Ainsi, un détenu garde le bénéfice du principe général de droit écossais selon lequel chacun a droit à ne pas être soumis à des souffrances physiques ou mentales délibérément ou par négligence. Il peut, par exemple, intenter contre le ministre une action en déclaration (declarator) et en dommages-intérêts du chef de voies de fait que le personnel de la prison lui aurait infligées ou du tort que des conditions de détention trop rigoureuses ou inhumaines auraient causé à sa santé physique ou mentale (voir, entre autres, Middleweek v. Chief Constable of Merseyside, The Times Law Reports, 1er août 1985).
Le Gouvernement cite une série de décisions à l’appui de la thèse selon laquelle est illégal, et peut donner ouverture à une instance en responsabilité civile, un traitement pénitentiaire à ce point inhumain ou dégradant qu’on ne saurait le considérer comme autorisé par le Parlement. En matière de correspondance, il affirme que serait jugée illicite une restriction incompatible avec un droit conservé par un détenu, tel le droit à des contacts avec un conseiller juridique au sujet d’une procédure civile éventuelle (R. v. Home Secretary, ex parte Anderson, Queen’s Bench Division Reports 1984, p. 778).
2.   Recours de droit public
25.   La manière dont les pouvoirs publics se prévalent des droits, et s’acquittent des obligations, prévus par la loi peut donner lieu en Écosse à un contrôle judiciaire, et ce en substance sur les mêmes bases qu’en Angleterre et au pays de Galles (Brown v. Hamilton District Council, Scottish Law Times 1983, per Lord Fraser, p. 414). En particulier, l’usage d’un pouvoir discrétionnaire peut être contesté au motif que l’autorité en cause a témoigné d’arbitraire, d’irrationalité ou de mauvaise foi, poursuivi des buts illégitimes ou de quelque autre façon outrepassé ses prérogatives légales (voir par exemple la déclaration de Lord Diplock dans l’affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, Appeal Cases 1985, p. 410, et All England Law Reports 1984, vol. 3, pp. 950-951, citée dans l’arrêt Weeks du 2 mars 1987, série A no 114, p. 18, par. 30). En Écosse, le contrôle judiciaire des pouvoirs publics relève de la Court of Session; elle dispose d’une gamme étendue de formes de réparation, dont l’annulation de toute décision illégale et l’octroi de dommages-intérêts s’il y a lieu.
Un détenu ayant à se plaindre de ses conditions de vie en prison peut en principe inviter la juridiction de contrôle à constater que le ministre a failli à ses obligations ou que sa décision de créer ou maintenir lesdites conditions était déraisonnable. Ainsi, dans les affaires R. v. Home Secretary, ex parte McAvoy (Weekly Law Reports 1984, vol. 1, p. 1408) et Thomson v. Secretary of State for Scotland (Scottish Law Times 1989, p. 343) la demande de contrôle judiciaire émanait de détenus dénonçant leur sort dans les établissements où on les avait transférés. De même, un prisonnier peut attaquer une restriction à sa correspondance en arguant de son caractère déraisonnable, ou excessif parce que contraire à ses droits civils, et cela qu’elle ait été imposée par le ministre (R. v. Home Secretary, ex parte Anderson, précité), le directeur de la prison (Leech v. Deputy Governor of Parkhurst Prison, Appeal Cases 1988, p. 533) ou un comité de visiteurs en vertu de pouvoirs disciplinaires (R. v. Board of Visitors of Hull Prison, ex parte St. Germain, Queen’s Bench Division Reports 1979, p. 425).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
26.   Dans sa requête du 31 août 1981 à la Commission (no 9511/81), M. McCallum s’en prenait sur divers points aux conditions et circonstances de son incarcération. Il invoquait les articles 3, 8, 10 et 13 (art. 3, art. 8, art. 10, art. 13) de la Convention.
27.   Par une décision partielle du 9 juillet 1984, la Commission:
a) a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief du requérant selon lequel ses conditions de détention - notamment dans le quartier disciplinaire d’Inverness - et d’autres faits avaient enfreint l’article 3 (art. 3), de même que son allégation d’après laquelle il y avait eu atteinte injustifiée au droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8 (art. 8);
b) a ajourné l’examen des plaintes fondées par l’intéressé sur les articles 8, 10 et 13 (art. 8, art. 10, art. 13), quant aux ingérences dans sa correspondance et aux voies de recours existant à cet égard, ainsi que sur l’article 13 combiné avec l’article 3 (art. 13+3).
Elle a retenu les doléances énumérées sous le point b) ci-dessus par une décision finale du 10 juillet 1985.
28.   Dans son rapport du 4 mai 1989 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis:
a) à l’unanimité, qu’ont violé l’article 8 (art. 8) l’interception des deux lettres du 24 juin 1981 et des lettres des 5 octobre 1981, 18 décembre 1981 et 19 janvier 1982, le refus de communiquer une copie de celles des 4 et 22 juin 1982 et la restriction de 28 jours imposée à la correspondance de M. McCallum par la voie disciplinaire (paragraphes 10 a) à d) et f), et 11 ci-dessus);
b) à l’unanimité, que le retardement des lettres des 20 et 23 février 1982 (paragraphe 10 e) ci-dessus) n’a pas enfreint ce même article (art. 8);
c) qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question plus avant à la lumière de l’article 10 (art. 10);
d) à l’unanimité, qu’il y a eu manquement aux exigences de l’article 13, combiné avec l’article 8 (art. 13+8), quant à l’interception des lettres des 24 juin et 18 décembre 1981 et à la restriction infligée à titre disciplinaire;
e) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu méconnaissance de l’article 13, combiné avec l’article 8 (art. 13+8), en ce qui concerne l’interception des lettres des 5 octobre 1981 et 19 janvier 1982, le retardement de celles des 20 et 23 février 1982 et le refus de communiquer une copie de celles des 4 et 22 juin 1982;
f) par neuf voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 (art. 13+3).
Le texte intégral de cet avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
29.   À l’audience du 21 mai 1990, le Gouvernement a confirmé les conclusions énoncées dans son mémoire; il y invitait la Cour à décider et déclarer:
a) qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) sur les points énumérés au paragraphe 28 a) ci-dessus, mais non sur celui que mentionne le paragraphe 28 b);
b) que nulle question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 10 (art. 10);
c) qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 13 (art. 13) quant aux griefs tirés des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8).
De son côté, le requérant a demandé à la Cour de statuer dans le même sens.
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 8 (art. 8)
30.   Aux termes de l’article 8 (art. 8),
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui."
31.   Ni le Gouvernement ni M. McCallum ne contestent l’avis de la Commission sur les violations alléguées de ce texte (paragraphe 28 a) et b) ci-dessus).
La Cour n’aperçoit aucune raison de s’en écarter. Elle juge que sauf le retardement des lettres des 20 et 23 février 1982, les restrictions litigieuses à la correspondance du requérant (paragraphes 10-11 ci-dessus) ont enfreint l’article 8 (art. 8).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 10 (art. 10)
32.   Devant la Commission, le requérant invoquait aussi l’article 10 (art. 10) qui garantit la liberté d’expression, mais il n’a pas repris ce grief devant la Cour (paragraphe 29 ci-dessus) et elle ne voit pas la nécessité de l’examiner d’office.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
33.   D’après l’article 13 (art. 13),
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
Devant la Commission, McCallum affirmait qu’en dépit de ce texte il n’avait disposé d’aucun recours interne effectif pour ses griefs selon lesquels ses conditions de détention dans le quartier disciplinaire de la prison d’Inverness et les restrictions à sa correspondance avaient méconnu, respectivement, les articles 3 et 8 (art. 3, art. 8).
Le Gouvernement combattait cette thèse. La Commission y a souscrit à la majorité pour la plainte fondée sur l’article 3 (art. 3) et à l’unanimité pour certaines des doléances relatives à l’article 8 (art. 8) (paragraphe 28 d) ci-dessus).
Le requérant s’est rallié aux conclusions de la Commission dans son mémoire à la Cour. A l’audience du 21 mai 1990, son conseil a toutefois concédé, après avoir étudié les observations écrites du Gouvernement, que son client aurait pu introduire "des recours effectifs devant les juridictions internes" pour l’ensemble de ses griefs - tirés de l’article 3 (art. 3) ou de l’article 8 (art. 8) - et qu’il n’y avait donc pas eu manquement aux exigences de l’article 13 (art. 13).
34.   L’intéressé ayant ainsi renoncé à plaider la violation de l’article 13 (art. 13) et la déléguée de la Commission n’ayant pas insisté sur la question pendant les débats, la Cour ne croit pas devoir traiter l’affaire sous l’angle de cette disposition.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
35.   Aux termes de l’article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
En vertu de ce texte, M. McCallum revendique une indemnité pour dommage moral ainsi que le remboursement de ses frais et dépens afférents aux procédures devant les organes de la Convention.
A. Dommage
36.   Le requérant sollicite une somme "raisonnable", par lui chiffrée à 3.000 £, en compensation du désarroi et du sentiment accru d’isolement que lui auraient inspirés les ingérences injustifiées dans sa correspondance.
Le Gouvernement combat cette prétention; il souligne, notamment, que l’existence du préjudice allégué ne ressort pas du dossier.
37.   A supposer même que le requérant ait éprouvé une certaine détresse, la Cour, eu égard aux circonstances de la cause, estime que le constat de violations de l’article 8 (art. 8) fournit une satisfaction équitable suffisante aux fins de l’article 50 (art. 50).
B. Frais et dépens
38.   Pour honoraires et frais d’avocat relatifs aux procédures suivies à Strasbourg, le requérant réclame le remboursement d’une somme de 14.889 £ 21.
Le Gouvernement a formulé une série de remarques sur cette demande, exorbitante selon lui. La déléguée de la Commission ne l’a pas commentée, laissant la Cour le soin d’en juger.
39.   La Cour a examiné la question à la lumière tant des critères se dégageant de sa jurisprudence que des observations du Gouvernement. Elle rappelle en particulier qu’elle a relevé des infractions à la Convention pour certains seulement des griefs - non contestés devant elle par le Gouvernement - tirés de l’article 8 (art. 8) au sujet des restrictions à la correspondance du requérant (paragraphe 31 ci-dessus). Toutes les autres plaintes de celui-ci ont été soit déclarées irrecevables par la Commission (paragraphe 27 ci-dessus), soit non accueillies dans le présent arrêt.
Dès lors, M. McCallum ne saurait recouvrer qu’une fraction des frais et dépens encourus (voir par exemple l’arrêt Boyle et Rice précité, série no 131, p. 34, par. 91). Compte tenu de cet élément et des sommes versées par le Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire pour frais de défense, de route et de séjour, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu de lui accorder 3.000 £, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1.   Dit que sauf le retardement des lettres des 20 et 23 février 1982, les restrictions litigieuses à la correspondance du requérant ont enfreint l’article 8 (art. 8);
2.   Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 10 (art. 10), ni de l’article 13 combiné avec l’article 3 (art. 13+3) ou l’article 8 (art. 13+8);
3.   Dit que le Royaume-Uni doit payer au requérant, pour frais et dépens, la somme de 3.000 £ (trois mille livres), plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée;
4.   Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 30 août 1990.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* L'affaire porte le n° 20/1989/180/238.  Les deux premiers chiffres indiquent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Les amendements au règlement de la Cour entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 183 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT McCALLUM c. ROYAUME-UNI
ARRÊT McCALLUM c. ROYAUME-UNI


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 9511/81
Date de la décision : 30/08/1990
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 8 ; Non-lieu à examiner les art. 10, 13+3 et 13+8 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE


Parties
Demandeurs : McCALLUM
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-08-30;9511.81 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award