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25/10/1990 | CEDH | N°11487/85

CEDH | AFFAIRE KOENDJBIHARIE c. PAYS-BAS


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE KOENDJBIHARIE c. PAYS-BAS
(Requête no11487/85)
ARRÊT
STRASBOURG
25 octobre 1990
En l’affaire Koendjbiharie*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
R. Bernh

ardt,
A. Spielmann,
N. Valticos,
S.K. Martens,
I. Foighel,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, gr...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE KOENDJBIHARIE c. PAYS-BAS
(Requête no11487/85)
ARRÊT
STRASBOURG
25 octobre 1990
En l’affaire Koendjbiharie*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
N. Valticos,
S.K. Martens,
I. Foighel,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 juin et 28 septembre 1990,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 13 décembre 1989, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 11487/85) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant de cet État, M. Jonas Mohamed Rafiek Koendjbiharie, avait saisi la Commission le 18 mars 1985 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 5 §§ 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4) ainsi que de l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3).
2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).
3.   Le 19 décembre 1989, le président de la Cour a estimé qu’il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l’article 21 § 6 du règlement et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’examen de la présente cause et de l’affaire Keus*. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 27 janvier 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. L.-E. Pettiti, M. B. Walsh, M. R. Bernhardt, M. N. Valticos, Mme E. Palm et M. I. Foighel, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. A. Spielmann, suppléant, a remplacé Mme Palm, empêchée (article 24 § 1 du règlement).
4.   Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement des Pays-Bas ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et la représentante du requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1).
Conformément à l’ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 23 avril. Les demandes du requérant au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention lui sont parvenues le 28 mai.
5.   Le 29 mai, la Commission lui a fourni divers documents qu’il lui avait demandés sur les instructions de la Cour.
6.   Le 13 février 1990, le président a fixé au 27 juin la date d’ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).
7.   Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mlle D.S. van Heukelom, jurisconsulte adjoint,
ministère des Affaires étrangères,  agent,
M. J.C. De Wijkerslooth de Weerdesteijn, Landsadvokaat,  conseil,
Mme R.E. van Galen-Herrmann, ministère de la Justice,  conseiller;
- pour la Commission
M. H. Vandenberghe,  délégué;
- pour le requérant
Mme G.E.M. Later, avocat et avoué,  conseil,
M. M.T.M. Zumpolle,  conseiller.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Mlle van Heukelom et M. De Wijkerslooth de Weerdesteijn pour le Gouvernement, M. Vandenberghe pour la Commission et Me Later pour le requérant.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.   Ressortissant néerlandais né au Surinam, M. Jonas Mohamed Rafiek Koendjbiharie réside actuellement à La Haye.
9.   Sur appel d’un jugement du tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de La Haye, la cour d’appel (Gerechtshof) de cette ville le condamna le 22 juin 1979, pour viol avec récidive, à neuf mois de prison et à son placement ultérieur, pour deux ans, à la disposition du gouvernement (paragraphe 17 ci-dessous). Le 22 janvier 1980, la Cour de cassation (Hoge Raad) rejeta le pourvoi de l’intéressé.
10.  Interné à sa sortie de prison, le 17 mars 1980, dans la clinique psychiatrique d’État "Veldzicht" à Balkbrug, celui-ci s’en échappa le 24 septembre 1981. Soupçonné d’un nouveau viol, il fut appréhendé le 16 avril 1982 et mis en détention préventive, mais le tribunal d’arrondissement de La Haye l’acquitta le 22 juillet 1982. Après un séjour en maison d’arrêt à La Haye, il fut examiné à l’"Institut de sélection" d’Utrecht du 13 septembre au 20 décembre 1982, date à laquelle on le reconduisit à la clinique "Veldzicht".
Entre-temps, le 19 avril 1982, la cour d’appel de La Haye avait prolongé son placement jusqu’au 2 avril 1984.
11.  Le conseil de M. Koendjbiharie, Me Later, apprit en mars 1984 que, d’après le ministère de la Justice, la période de placement se terminerait le 8 juillet au lieu du 2 avril 1984, car elle avait été suspendue pendant la détention préventive subie du 16 avril au 22 juillet 1982 (paragraphes 10 ci-dessus et 17 ci-dessous). Le requérant s’y opposa, alléguant que son acquittement avait privé cette dernière de toute base légale et, partant, de tout effet sur l’application de l’article 37 b) § 3 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessous).
Le 17 mai 1984, il saisit le président du tribunal d’arrondissement de La Haye, par la voie du référé (kort geding), d’une demande d’élargissement immédiat fondée sur cette argumentation; il ajoutait que son placement avait cessé le 2 avril 1984, faute d’une requête en prolongation présentée dans le délai légal (paragraphe 18 ci-dessous).
Le président, devant qui l’État avait défendu la thèse du ministère de la Justice, débouta M. Koendjbiharie le 29 mai 1984. Celui-ci interjeta appel.
12.  Dans l’intervalle, le 17 mai 1984, le procureur général près la cour d’appel de La Haye avait invité celle-ci, compétente en vertu de l’article 37 b) du code pénal, à prolonger d’un an le placement à la disposition du gouvernement.
A l’audience du 4 juin 1984, la cour d’appel récapitula l’avis de la clinique "Veldzicht" puis entendit l’employé qui y coordonnait le traitement du requérant. Me Later, quant à elle, développa le raisonnement résumé plus haut (paragraphe 11 ci-dessus) pour conclure à l’irrecevabilité de la demande du procureur général. En ordre subsidiaire, elle mentionna notamment des projets de mariage de l’intéressé, lesquels, selon lui, diminueraient le risque de récidive. Elle demanda en outre à la cour d’entendre, avant de statuer, au moins l’un des deux experts dont elle donna le nom.
Par un arrêt interlocutoire du 22 juin, la cour décida d’ouïr le 17 août le médecin-chef de la clinique "Veldzicht".
13.  Il ne comparut point à cette dernière date, mais la cour ne jugea pas nécessaire de le reconvoquer car M. Koendjbiharie n’avait plus l’intention de se marier.
Le 21 septembre 1984, elle prolongea d’un an l’internement litigieux, précisant qu’il avait été interrompu pendant la détention préventive.
L’intéressé, qui s’était évadé vers le 17 septembre, fut informé de cette décision par son avocat qui, après de multiples démarches, en reçut une copie le 31 octobre.
14.  Devant la cour d’appel de La Haye, qu’il avait saisie de son appel contre l’ordonnance de référé du 29 mai 1984 (paragraphe 11 ci-dessus), le requérant invoqua le 17 janvier 1985 l’article 37 h) du code pénal: son maintien en détention lui paraissait illégal dès lors que l’arrêt du 21 septembre 1984 n’avait pas été rendu dans les deux mois de la demande de prolongation présentée par le procureur général (paragraphes 12-13 ci-dessus et 20 ci-dessous). Par un arrêt du 18 avril 1985, la cour repoussa cet argument au motif que le retard incriminé n’affectait pas la validité de la décision rendue le 21 septembre 1984 par la chambre criminelle; elle rejeta aussi les griefs dirigés contre l’ordonnance du président, qu’elle confirma.
15.  Le 8 mars 1985, M. Koendjbiharie invita en vain le ministre de la Justice à lui accorder sa mise en liberté conditionnelle. Le 15 avril 1985, il se présenta volontairement à l’"Institut de sélection" d’Utrecht, où il fut interné.
16.  Le procureur général introduisit le 31 mai 1985 une requête tendant à une nouvelle prolongation de l’internement pour un an. Pendant les débats, Me Later reprit ses arguments antérieurs (paragraphes 11 et 14 ci-dessus), mais la cour les écarta par un arrêt du 25 juin 1985; elle refusa cependant d’accueillir la demande du parquet, faute de raisons suffisantes d’y accéder.
II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17.  Depuis 1928, le code pénal néerlandais (Wetboek van Strafrecht) soumet les personnes souffrant d’une déficience ou d’une maladie mentales à un régime spécial qu’une loi du 19 novembre 1986, entrée en vigueur le 1er septembre 1988, a profondément révisé depuis lors. Aux termes de l’article 37, dans la version applicable à l’époque, n’est pas punissable l’auteur d’une infraction qu’on ne peut lui imputer parce qu’il souffre d’une déficience ou d’une maladie mentales. Si l’ordre public l’exige, le juge peut prononcer la mise d’une telle personne à la disposition du gouvernement, aux fins de traitement aux frais de celui-ci.
Pareille mesure peut aussi s’ajouter à une sanction pénale si la responsabilité du condamné se trouvait seulement atténuée au moment des faits (article 37 a)).
D’après l’article 37 b) § 1, le placement vaut pour deux ans sauf si le gouvernement y met fin plus tôt. Cette période commence dès que le jugement l’ayant prescrite est passé en force de chose jugée (paragraphe 2 dudit article); la suspend toute autre privation de liberté résultant d’une décision judiciaire (paragraphe 3, selon l’interprétation dominante).
18.  Le tribunal dont émane l’ordonnance initiale peut prolonger le placement, chaque fois pour un ou deux ans (article 37 b) § 2), à la demande du procureur de la Reine agissant lui-même sur avis du chef de clinique. A cet effet, le parquet adresse une requête audit tribunal deux mois au plus et un mois au moins avant l’expiration du terme (article 37 f) § 1); selon la jurisprudence, tout manquement à cette règle rend la requête irrecevable.
Le procureur joint à celle-ci une copie du rapport de la clinique sur la santé physique et mentale de l’individu concerné, ainsi que la déclaration motivée d’un médecin - de préférence le médecin traitant - quant à l’opportunité de la prolongation (article 37 f) § 2).
19.  L’article 37 g) régit la procédure à suivre pour l’examen de la requête: le tribunal entend si possible la personne en cause et, s’il estime avoir besoin d’un complément de preuves, des témoins et experts; le ministère public et l’avocat de ladite personne peuvent assister à toutes les auditions, dont il est dressé procès-verbal.
Par une circulaire du 16 avril 1980, le ministre de la Justice a donné pour consigne aux tribunaux d’ouïr l’intéressé avant de prolonger son placement.
20.  Aux termes de l’article 37 h) § 1, le tribunal se prononce dans les deux mois qui suivent l’introduction de la requête. L’article 37 b) § 4 précise toutefois que l’intéressé reste à la disposition du gouvernement jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la prolongation. Dans un arrêt du 14 juin 1974 (Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1974, no 436), la Cour de cassation (chambre civile) a estimé que cette dernière règle s’applique même si le tribunal excède le délai de deux mois, lequel ne revêt qu’un caractère incitatif. Tout en reconnaissant les inconvénients de cette interprétation pour l’intéressé, elle a noté que celui-ci ne reste pas pour autant sans défense contre pareil dépassement:
"si, une fois expiré le délai de l’article 37 h), la décision prévue par ce texte tarde arbitrairement à venir, le gouvernement peut se voir tenu, au besoin par une action en justice de l’intéressé, de mettre fin au placement prolongé par l’effet de l’article 37 b) § 4."
Par un arrêt du 29 septembre 1989 (NJ 1990, no 2), la Cour de cassation (chambre civile) a précisé ainsi la décision de 1974: à lui seul, le dépassement de l’échéance fixée par l’article 37 h) n’oblige pas à terminer le placement; l’existence d’une telle obligation dépend, notamment, de l’ampleur et des causes du dépassement ainsi que des intérêts personnels et sociaux en cause.
D’après un arrêt de la Cour de cassation (chambre civile) du 9 janvier 1970 (NJ 1970, no 240), le tribunal apprécie dans quelle mesure il lui faut motiver l’ordonnance de prolongation, laquelle n’est ni prononcée en public ni susceptible de recours (article 37 h) § 2), mais signifiée à l’intéressé (article 37 h) § 3).
21.  La personne placée à la disposition du gouvernement a toujours le droit d’inviter le ministre de la Justice à révoquer la mesure. Aux termes de l’article 37 e), celui-ci peut la lever à tout moment, avec ou sans conditions, si des circonstances personnelles ou matérielles le justifient.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
22.  Dans sa requête du 18 mars 1985 à la Commission (no 11487/85), M. Koendjbiharie se plaignait de ce que son internement avait été prolongé sur la base d’une demande postérieure à son terme normal et de ce que la juridiction compétente n’avait statué ni dans les deux mois de la demande du procureur, ni à "bref délai". Selon lui, la procédure litigieuse avait enfreint l’article 5 §§ 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4) de la Convention ainsi que l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3). Il se prétendait en outre victime d’une discrimination, fondée sur son origine nationale, contraire à l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 (art. 14+6-1), et de traitements inhumains et dégradants infligés par le personnel de l’hôpital au mépris de l’article 3 (art. 3).
23.  La Commission a retenu la requête le 9 décembre 1988. Dans son rapport du 12 octobre 1989 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion unanime qu’il y a eu infraction à l’article 5 §§ 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4), mais non à l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3), ni aux articles 14 et 3 (art. 14, art. 3).
Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
EN DROIT
I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 § 1 (art. 5-1)
24.  Le requérant allègue la violation de l’article 5 § 1 (art. 5-1) qui, dans la mesure où il l’invoque, se lit ainsi:
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;
Tout d’abord, le procureur général près la cour d’appel de La Haye n’aurait introduit sa demande de prolongation du 17 mai 1984 (paragraphe 12 ci-dessus) qu’après l’échéance légale, à un moment où le placement - pour des raisons résumées plus haut (paragraphe 11) - avait déjà cessé. Ensuite, nul procès-verbal n’aurait été dressé de l’audience du 17 août 1984 devant ladite cour (paragraphes 12-13 ci-dessus), laquelle en outre aurait dépassé le délai de deux mois dont elle disposait pour rendre sa décision. Enfin, celle-ci n’aurait jamais été signifiée à M. Koendjbiharie, seul son avocat en ayant reçu une copie, plus d’un mois après.
25.  Dans son rapport, la Commission ne mentionne pas ces divers griefs, mais à l’audience du 27 juin 1990 son délégué a confirmé que le requérant les avait bien soulevés devant elle. Comme ils se rapportent à la procédure qui conduisit à l’ordonnance de prolongation rendue le 21 septembre 1984 par la cour d’appel de La Haye, il échet de les examiner au besoin sous l’angle du texte dont cette instance relève de toute manière, le paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4).
II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 § 4 (art. 5-4)
26.  Aux termes de l’article 5 § 4 (art. 5-4),
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
Selon M. Koendjbiharie, la cour d’appel ne statua pas "à bref délai".
27.  Du système juridique néerlandais exposé ci-dessus (paragraphes 17 à 21), la Cour déduit que la procédure litigieuse s’analyse en un "contrôle judiciaire périodique et automatique" au sens de l’arrêt X contre Royaume-Uni du 5 novembre 1981 (série A no 46, p. 23, § 52).
D’après la jurisprudence relative à la portée des paragraphes 1 et 4 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-4), pareil contrôle, pour remplir les exigences de la Convention, doit respecter les normes de fond comme de procédure de la législation nationale et s’exercer de surcroît en conformité au but de l’article 5 (art. 5): protéger l’individu contre l’arbitraire, notamment quant au délai dans lequel il a été statué. Il échet de commencer par ce dernier point, sur lequel l’intéressé insiste le plus.
28.  Aux yeux de la Cour, le "délai" a commencé avec la présentation de la demande en prolongation à la cour d’appel, le 17 mai 1984, pour s’achever le jour de la communication de l’ordonnance du 21 septembre 1984 au requérant ou à son conseil, eu égard à l’absence de prononcé en public (paragraphe 20 ci-dessus). Bien que l’on ne connaisse pas cette dernière date avec certitude, il ressort du dossier que Me Later apprit la prorogation peu de temps après; il paraît donc raisonnable de retenir pour terme du "délai" la fin de septembre 1984.
29.  De prime abord, un laps de temps supérieur à quatre mois ne cadre pas avec la notion de brièveté. Cette impression se renforce du fait qu’en amendant le droit interne, le législateur néerlandais a fixé à trois mois le délai exceptionnel dont dispose un tribunal qui, telle ici la cour d’appel, envisage après une première audience de refuser la prorogation mais estime nécessaire de recueillir de plus amples renseignements (paragraphe 12 ci-dessus).
Une étude plus approfondie des circonstances de la cause ne dissipe pas cette impression, tout au contraire. La cour d’appel ne tarda certes pas à entamer l’examen de la requête - saisie le 17 mai, elle la traita dès le 4 juin -, mais on peut s’interroger sur sa décision de l’ajourner jusqu’au 17 août. Le Gouvernement ne fournit aucune indication propre à la justifier. Il n’explique pas davantage pourquoi il fallut à la cour d’appel plus d’un mois après la séance pour rédiger une brève ordonnance.
30.  La Cour constate, dès lors, un dépassement du "bref délai" visé au paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4).
31.  Cette conclusion la dispense de rechercher s’il y a eu, de surcroît, infraction au paragraphe 1 (art. 5-1) en raison de l’inobservation du délai de deux mois fixé par l’article 37 h) § 1 du code pénal néerlandais pour assurer la célérité de la procédure. Dans les circonstances de la cause, il ne s’impose pas non plus de se pencher sur les autres griefs tirés de l’article 5 (art. 5) de la Convention par M. Koendjbiharie.
III.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DES ARTICLES 3, 6 ET 14 (art. 3, art. 6, art. 14)
32.  A l’origine l’intéressé invoquait aussi les articles 3, 6 et 14 (art. 3, art. 6, art. 14) (paragraphe 22 ci-dessus), mais il y a renoncé à l’audience devant la Cour et il n’y a pas lieu de trancher la question d’office.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
33.  Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
A. Dommage
34.  Le requérant réclame d’abord 100 florins par jour de détention "illégale" subie du 17 juillet au 17 septembre 1984 et du 15 avril au 25 juin 1985. Il aurait particulièrement souffert en attendant le résultat des procédures en prolongation de son internement.
Le Gouvernement n’aperçoit pas un lien de causalité suffisant entre le préjudice allégué et les violations incriminées de l’article 5 (art. 5); rien n’indiquerait que M. Koendjbiharie eût recouvré la liberté si la Convention avait été respectée. Le délégué de la Commission ne formule aucune observation à ce sujet.
La Cour estime que la durée de la procédure ayant abouti à l’ordonnance du 21 septembre 1984 a pu inspirer à l’intéressé un certain sentiment de frustration, mais pas au point de justifier l’octroi d’une indemnité; le constat d’une violation de l’article 5 § 4 (art. 5-4) constitue en soi une satisfaction équitable suffisante à cet égard.
B. Frais et dépens
35.  Le requérant sollicite en outre une somme de 18.989 florins 62 pour les frais et honoraires de l’avocat qui l’a défendu devant la Commission et la Cour.
Le Gouvernement soutient que M. Koendjbiharie, bénéficiaire à Strasbourg de l’assistance judiciaire gratuite, ne démontre pas qu’il doive à son conseil un supplément d’honoraires dont il puisse demander le remboursement.
De l’avis de la Cour, l’octroi de l’assistance judiciaire ne signifie point, à lui seul, que l’intéressé n’ait pas l’obligation de régler la note dressée par son conseil et jointe à la demande présentée en vertu de l’article 50 (art. 50). En l’absence d’une preuve du contraire, on doit admettre qu’il est tenu de payer à son avocat le montant de cette note, moyennant déduction des sommes perçues du Conseil de l’Europe. Or ledit montant cadre avec les critères ressortant de la jurisprudence de la Cour. Il échet donc d’allouer au requérant 18.989 florins 62, moins les 12.397 francs 50 déjà versés au titre de l’assistance judiciaire.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.   Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 (art. 5-4) en ce que la cour d’appel de La Haye n’a pas statué "à bref délai";
2.   Dit, par huit voix contre une, qu’il ne s’impose pas d’examiner les autres griefs tirés de l’article 5 (art. 5);
3.   Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas non plus d’examiner ceux que le requérant présentait à l’origine sur le terrain des articles 3, 6 et 14 (art. 3, art. 6, art. 14);
4.   Dit, à l’unanimité, que les Pays-Bas doivent verser au requérant, au titre de l’article 50 (art. 50), la somme 18.989 fl. 62 (dix-huit mille neuf cent quatre-vingt-neuf florins néerlandais et soixante-deux cents), moins 12.397 f. 50 (douze mille trois cent quatre-vingt dix-sept francs français et cinquante centimes);
5.   Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 25 octobre 1990.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de M. Bernhardt.
R. R.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BERNHARDT
(Traduction)
J’ai voté contre le point 2 du dispositif de l’arrêt, aux termes duquel "il ne s’impose pas d’examiner les autres griefs tirés de l’article 5 (art. 5)". D’après moi, la Cour aurait dû aussi rechercher si la décision de la cour d’appel de La Haye du 21 septembre 1984, qui prolongea d’un an le placement du requérant à la disposition du gouvernement, avait été prise "selon les voies légales" (article 5 § 1) (art. 5-1).
Les dates suivantes entrent ici en ligne de compte. Le 17 mai 1984, le procureur général demanda la prolongation de l’internement du requérant. Selon l’article 37 h) du code pénal néerlandais, la cour d’appel aurait dû se prononcer dans les deux mois, soit pour le 17 juillet 1984. Or elle ne statua que le 21 septembre 1984, plus de deux mois après l’échéance. Le placement précédent de l’intéressé avait cessé dès le 8 juillet 1984 (paragraphe 11 de l’arrêt).
En matière de privation de liberté, les diverses garanties procédurales de l’article 5 (art. 5) revêtent la plus haute importance et il faut leur attribuer un poids égal. Constater un dépassement du "bref délai" du paragraphe 4 (art. 5-4) ne dispensait pas la Cour d’examiner les garanties du paragraphe 1 (art. 5-1).
* Note du greffier: L'affaire porte le n° 27/1989/187/247.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
* Note du greffier: 30/1989/190/250.
* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 185-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT KOENDJBIHARIE c. PAYS-BAS
ARRÊT KOENDJBIHARIE c. PAYS-BAS
ARRÊT KOENDJBIHARIE c. PAYS-BAS
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BERNHARDT


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 11487/85
Date de la décision : 25/10/1990
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 5-4 ; Non-lieu à examiner l'art. 5-1 ; Non-lieu à examiner les art. 3, 6 et 14 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-1) SURETE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-1-e) ALIENE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS


Parties
Demandeurs : KOENDJBIHARIE
Défendeurs : PAYS-BAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1990-10-25;11487.85 ?

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