La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/02/1991 | CEDH | N°12033/86

CEDH | AFFAIRE FREDIN c. SUEDE (N° 1)


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE FREDIN c. SUEDE (N° 1)
(Requête no12033/86)
ARRÊT
STRASBOURG
18 février 1991
En l’affaire Fredin*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43)** de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
R. Macdonald,r> C. Russo,
J. De Meyer,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE FREDIN c. SUEDE (N° 1)
(Requête no12033/86)
ARRÊT
STRASBOURG
18 février 1991
En l’affaire Fredin*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43)** de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM.  R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
R. Macdonald,
C. Russo,
J. De Meyer,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 septembre 1990 et 22 janvier 1991,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 14 décembre 1989, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 12033/86) dirigée contre le Royaume de Suède et dont deux citoyens de cet État, M. Anders Fredin et son épouse, Mme Maria Fredin, avaient saisi la Commission le 5 mars 1986 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l’instance et ont désigné leur conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 27 janvier 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, B. Walsh, R. Macdonald, S.K. Martens et R. Pekkanen, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. C. Russo et J. De Meyer, suppléants, ont remplacé MM. Pinheiro Farinha et Pekkanen, empêchés (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement suédois ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le représentant des requérants au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément à l’ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 24 avril 1990 puis, les 8 et 19 juin, celui des requérants et leurs demandes de satisfaction équitable. Le 28 août, le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué présenterait ses observations de vive voix.
5. Le 28 août 1990, après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier, le président a fixé au 25 septembre la date de l’audience (article 38). Le 12 septembre, la Commission a déposé plusieurs documents ainsi que le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président ; les 21 et 25 septembre, le conseil des requérants a fourni des précisions sur lesdites demandes.
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
- pour le Gouvernement
MM. H. Corell, ambassadeur,
sous-secrétaire aux Affaires juridiques et consulaires,  
ministère des Affaires étrangères,  agent,
U. Andersson, sous-secrétaire aux Affaires juridiques,
ministère de l’Environnement,
P. Boqvist, conseiller juridique,
ministère des Affaires étrangères,  conseillers ;
- pour la Commission
M. Gaukur Jörundsson,  délégué ;
- pour les requérants
Me J. Axelsson, avocat,  conseil.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, M. Corell pour le Gouvernement, M. Gaukur Jörundsson pour la Commission et M. Axelsson pour les requérants.
7. Le 18 décembre 1990, ceux-ci ont produit une pièce avec l’autorisation du président (article 37 § 1, second alinéa, du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. M. Anders Fredin, ingénieur agronome, et son épouse, Mme Maria Fredin, sont propriétaires de plusieurs parcelles de terre sises dans la commune de Botkyrka qui englobent une ferme et une gravière. La parcelle où se trouve cette dernière a une contenance de 27 hectares et porte la dénomination Ström 1:3. Elle fut spécifiquement constituée en 1969, par prélèvement sur les autres, en vue de l’utilisation de la gravière.
9. Lorsque la mère de M. Fredin acquit le terrain en 1960, l’exploitation commerciale de la carrière était suspendue depuis le milieu des années 50. Dans l’intervalle, le gravier avait uniquement servi à la ferme. Désireux de reprendre l’exploitation, les Fredin conclurent avec deux sociétés ("les Jehanders"), le 20 mars 1960, un contrat qui donnait à celles-ci le droit exclusif d’extraire du gravier pendant cinquante ans moyennant une redevance annuelle. Elles achetèrent par la suite plusieurs autres gravières dans le voisinage, ce qui leur conféra, d’après les requérants, un quasi-monopole pour la production de gravier dans la région.
10. En 1963, un amendement à la loi de 1952 sur la sauvegarde de la nature (naturskyddslagen 1952:688) interdit d’extraire du gravier sans autorisation. Le 11 décembre 1963, la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Stockholm accorda aux parents de M. Fredin le permis nécessaire. Il prévoyait notamment que l’exploitation devait se conformer à un plan élaboré en mai 1962. Spécialement, elle devait s’opérer en trois étapes dont aucune ne dépasserait dix ans ; en outre, des travaux de restauration devaient se dérouler de manière continue durant chacune d’elles et une garantie financière être déposée pour en couvrir les frais.
11. Le 4 septembre 1969, M. Fredin devint propriétaire d’un cinquième du terrain par donation de sa mère.
12. Le 1er juillet 1973, un amendement à la loi de 1964 sur la sauvegarde de la nature (naturvårdslagen 1964:822 - la "loi de 1964") - qui avait maintenu l’exigence d’un permis - habilita la préfecture à retirer des autorisations octroyées plus de dix ans auparavant (paragraphe 35 ci-dessous).
13. Le 31 juillet 1977 les requérants achetèrent le reste du bien-fonds, qui désormais leur appartint à raison des deux tiers pour M. Fredin et d’un tiers pour son épouse. La préfecture en fut informée.
14. Les Jehanders n’avaient alors toujours pas entrepris l’exploitation commerciale de la gravière, bien qu’on les y eût invités plusieurs fois au fil des ans. En conséquence, les Fredin introduisirent une instance pour rupture de contrat, mais le litige se régla à l’amiable : la concession fut réputée avoir expiré le 1er octobre 1979.
15. Le 3 octobre 1979, les requérants sollicitèrent le transfert officiel du permis à leur nom. Ils commencèrent à exploiter la gravière en 1980 - pour partie par les soins d’un nouveau concessionnaire - avec le consentement des parents de M. Fredin. Vers cette époque, la préfecture leur proposa de lui rétrocéder le permis à un prix se situant, selon eux, aux alentours de 50 000 couronnes suédoises, mais ils s’y refusèrent. A compter de 1983, ils assumèrent eux-mêmes la gestion d’une fraction de l’affaire par le truchement d’une société à responsabilité limitée qu’ils contrôlaient, la Kagghamra Grus AB.
16. Le 30 mai 1980, la préfecture les autorisa - par dérogation à l’interdiction générale de bâtir sur le littoral, résultant de la loi de 1964 - à construire un quai doté d’équipements pour le chargement de bateaux. La dérogation valait jusqu’à nouvel ordre, mais sa durée ne devait pas excéder celle du permis d’exploitation. Elle n’impliquait pas, précisa la préfecture, "qu’une position quelconque [eût] été adoptée quant à l’éventualité d’un réexamen ultérieur des activités d’extraction de gravier sur la propriété". Les requérants firent aménager un quai pour 1 000 000 couronnes et investirent aussi, de 1980 à 1983, environ 1 250 000 couronnes dans leur entreprise.
17. Le 24 avril 1981, la préfecture leur demanda une garantie de 40 000 couronnes pour couvrir les frais de restauration du site, montant porté par la suite à 75 000 couronnes.
18. Les intéressés ayant fourni le cautionnement voulu, elle leur transféra le permis par une "décision partielle" du 14 avril 1983 qui modifiait celle du 11 décembre 1963 (paragraphe 10 ci-dessus). Elle ajoutait qu’elle avait l’intention de formuler de nouvelles directives concernant les travaux de remise en état et que, eu égard à l’amendement de 1973 à la loi de 1964 (paragraphe 12 ci-dessus), elle se proposait de réétudier en 1983 la question du permis dans la perspective d’une cessation éventuelle des activités.
19. Le 25 août 1983, la préfecture signala aux requérants que, dans l’intérêt de la sauvegarde de la nature, elle songeait à remanier le permis en fixant au 1er juin 1984 la fin de l’extraction de gravier.
20. Dans une note du 14 mai 1984, elle indiqua deux manières possibles d’interrompre l’exploitation de la gravière : arrêter l’extraction au plus vite, en raison de la dégradation de l’environnement et de l’existence de ressources suffisantes en gravier dans la région, ou la poursuivre pendant quelques années, grâce à quoi l’on pourrait rendre au site un aspect naturel.
La note fut communiquée à la direction nationale de la protection de l’environnement (naturvårdsverket) et à la municipalité de Botkyrka. Le 18 septembre 1984, la direction se prononça pour la première solution ; d’après elle, l’exploitation avait pu continuer pendant une durée normale puisque le permis était resté valable vingt ans. Le 1er octobre, la municipalité estima préférable de prévoir une période de fermeture progressive car elle faciliterait la remise en état du paysage.
21. Par une nouvelle "décision partielle" du 19 décembre 1984, la préfecture déclara notamment
a) que l’exploitation devait cesser dans les trois ans, soit pour la fin de 1987, moment où la zone devrait avoir été remise en état ;
b) que la poursuite de l’extraction était dès à présent prohibée dans certaines parties de la gravière ;
c) que les requérants devaient élever le montant du cautionnement à 200 000 couronnes avant le 1er mars 1985, pour couvrir les frais de restauration que risquait d’entraîner l’activité croissante dans la gravière ; qu’il leur fallait aussi élaborer un nouveau plan de travaux, afin que la préfecture pût fixer les conditions de la dernière phase de l’exploitation ainsi que de la remise en état.
22. Les requérants introduisirent un recours devant le gouvernement. D’après eux,
a) la préfecture se fondait sur une étude scientifique en partie insuffisante;
b) elle n’aurait pas dû suivre l’avis de la commune de Botkyrka (paragraphe 20 ci-dessus), eu égard à sa portée limitée ;
c) sa décision, et l’opinion de la direction nationale de la protection de l’environnement, auraient dû s’appuyer sur le rapport d’un expert géologue ;
d) elle n’avait pas assez pris en compte les intérêts des requérants et n’avait pas ménagé une période raisonnable de fermeture ;
e) l’ordre de présenter un nouveau plan d’extraction et de verser une garantie de 200 000 couronnes constituait une sanction financière ;
f) l’interdiction immédiate de l’extraction dans certaines parties de la gravière était illégale, car elle équivalait à stopper 90 % des activités ;
g) en vertu de la loi de 1964, interprétée à la lumière de la loi de 1969 sur la protection de l’environnement (miljöskyddslagen 1969:387) et de la loi de 1918 sur les eaux (vattenlagen 1918:533), ils devaient jouir du droit d’exploiter la gravière pendant au moins dix ans à partir du transfert du permis le 14 avril 1983.
23. Le 26 mars 1985, la préfecture se prononça sur le recours ; grâce à ses contacts avec les Jehanders (paragraphe 9 ci-dessus), affirmait-elle notamment, elle savait que nulle exploitation de la gravière n’était imminente.
24. Le Gouvernement (ministère de l’Agriculture) rejeta le recours le 12 décembre 1985, en marquant son accord avec la préfecture. Toutefois, il prorogea jusqu’au 1er juin 1988 la validité du permis et jusqu’au 1er mars 1986 le délai de versement de la caution.
25. Le 9 mars 1987, la préfecture adopta un plan de remise en état de la gravière.
26. Les requérants sollicitèrent par deux fois de nouveaux permis avant la date d’expiration fixée, mais en vain ; la préfecture repoussa leur seconde demande le 18 mai 1987. Le 9 juin 1988, le Gouvernement les débouta de leur recours mais reporta l’échéance au 1er décembre 1988.
27. À cette date, l’extraction de gravier cessa. Les intéressés avaient alors presque atteint le terme de la première des trois phases que prévoyait le plan joint au permis du 11 décembre 1963 (paragraphe 10 ci-dessus).
28. Le 9 février 1989, la préfecture invita le parquet à poursuivre M. Fredin au pénal, pour infraction à la loi de 1964, en ce qu’il n’avait pas restauré la gravière comme l’exigeait le permis. La procédure demeure pendante et les travaux de remise en état n’ont toujours pas eu lieu.
29. Le 14 mars 1989, la préfecture refusa aux requérants un permis d’extraction spécial qu’ils avaient exprimé le souhait d’obtenir pour se conformer au plan de remise en état de 1987 (paragraphe 25 ci-dessus). Le Gouvernement écarta leur recours le 21 juin 1989. De son côté, la Cour suprême administrative a rejeté, le 13 décembre 1990, l’appel dont ils l’avaient saisie en vertu de la nouvelle loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives (lag om rättsprövning av vissa förvaltningsbeslut 1988:205), entrée en vigueur le 1er juin 1988. Cette procédure ne se trouve pas ici en cause.
30. En ce qui concerne les incidences du retrait du permis sur la valeur de leur propriété et de Kagghamra Grus AB, société concessionnaire qu’ils contrôlent entièrement, les requérants ont produit trois attestations.
Selon la première, délivrée le 17 mars 1987 par M. Lars Carlsson, expert consultant, les comptes de cette société montrent qu’elle ferait faillite sans les recettes provenant de la gravière.
D’après la deuxième, établie le 1er septembre 1988 par M. Nils Olof Rydstern, économiste, ladite société aurait eu en 1988 une valeur marchande de l’ordre de 14 à 18 millions de couronnes si les requérants avaient pu extraire du gravier à partir de 1980 sans intervention des autorités. M. Rydstern souligne qu’il ne s’agit pas de la valeur de liquidation.
Dans le troisième certificat, daté du 14 septembre 1988, M. Hans Lagerqvist, géomètre-expert de la direction générale des services cadastraux (överlantmäterimyndigheten), relève qu’en raison du retrait du permis la gravière a été estimée en 1988 à moins de 1000 couronnes suédoises aux fins de l’impôt foncier. Pour ses propres calculs, M. Lagerqvist part notamment de l’hypothèse que l’exploitation de la gravière aurait continué sur la base du permis de 1963 ; il conclut que la valeur marchande de la propriété a baissé de 15 500 000 couronnes suédoises à cause du retrait du permis. Eu égard à l’évaluation de M. Rydstern, la perte totale subie par les requérants atteindrait de 28 à 31 millions de couronnes environ.
31. Les intéressés ont produit en outre un rapport de M. Dick Karlsson, expert consultant, selon lequel la préfecture n’a pas prescrit la restauration des gravières dans nombre de cas de retrait de permis à des affaires fonctionnant depuis plusieurs années. Elle aurait aussi donné aux titulaires des permis en question la possibilité de s’en procurer de nouveaux si l’approvisionnement en gravier devait fléchir. M. Karlsson précise que lesdites autorisations étaient détenues par deux sociétés, dont l’un des Jehanders (paragraphe 9 ci-dessus). Il en déduit que la décision de la préfecture relative aux requérants revêtit un caractère exceptionnel en ce qu’elle arrêta en pleine activité une entreprise rentable.
II. DROIT INTERNE PERTINENT
32. La loi de 1964 constitue le texte fondamental en matière de protection de la nature.
33. Aux termes de l’article 1, chacun doit témoigner de respect et de prudence dans ses rapports avec la nature. En outre, toutes les mesures nécessaires doivent être adoptées pour limiter ou combattre les atteintes à l’environnement provoquées par des travaux ou d’une autre manière.
34. Selon l’article 3, en tranchant des questions de sauvegarde de la nature il faut prendre en considération les autres intérêts publics et privés.
35. L’article 18 de la loi interdit notamment d’extraire du gravier, à d’autres fins que les besoins domestiques du propriétaire, sans un permis préfectoral. Il ajoute :
"La préfecture peut inviter quiconque sollicite un permis d’exploitation à fournir, sous peine de rejet de la demande, des pièces établissant la nécessité de l’extraction, ainsi qu’un plan d’activités suffisamment détaillé. L’autorisation s’accompagne des conditions voulues pour limiter ou combattre les effets néfastes des opérations sur l’environnement naturel. Sauf raisons particulières, la validité du permis dépend du dépôt d’une garantie financière devant assurer le respect réel des conditions fixées. Si la garantie donnée se révèle trop faible, la préfecture peut subordonner l’entrée en vigueur de l’autorisation au versement d’un montant supplémentaire.
Si une mesure prescrite relève d’un tiers, le propriétaire du terrain doit la laisser prendre.
Une fois écoulées dix années depuis qu’un permis d’exploitation est devenu valide, la préfecture peut soit le retirer en tout ou partie, soit en assujettir le renouvellement à des conditions révisées. S’il appert que les exigences fixées ne limitent ou ne combattent pas assez les effets néfastes que les activités en question risquent d’avoir sur l’environnement naturel, la préfecture peut, avant la fin de la période indiquée, assortir le permis des conditions supplémentaires qu’elle jugerait nécessaires."
L’insertion de ce dernier alinéa remonte au 1er juillet 1973. Auparavant, on ne pouvait retirer un permis d’exploitation que moyennant une indemnité au propriétaire si les conditions prescrites avaient été observées. D’après les clauses transitoires, le délai de dix ans devait, pour les permis valides au 1er juillet 1973, se calculer à partir de cette date. L’amendement abrogeait aussi certaines dispositions aux termes desquelles un propriétaire foncier pouvait se voir dédommager en cas de refus de permis.
36. Contre les décisions de la préfecture, l’article 40 § 2 de la loi ouvre un recours auprès du Gouvernement. Les actes de ce dernier ne pouvaient être attaqués en justice au moment où il statua définitivement, le 12 décembre 1985, sur le retrait litigieux (paragraphe 24 ci-dessus), mais on peut en contester la légalité devant la Cour suprême administrative depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 1988, de la loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
37. M. et Mme Fredin ont saisi la Commission le 5 mars 1986. Ils alléguaient, d’abord, que le retrait du permis d’exploitation constituait une privation de propriété contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ; en second lieu, qu’au mépris de l’article 6 (art. 6) de la Convention ils n’avaient aucun accès à un tribunal pour combattre certaines des décisions du Gouvernement ; enfin, que la préfecture avait enfreint l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 1 précité (art. 14+P1-1), en adoptant envers eux une attitude discriminatoire fondée sur leur qualité de seuls exploitants indépendants de la région.
38. La Commission a retenu la requête (no 12033/86) le 14 décembre 1987. Dans son rapport du 6 novembre 1989 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) mais non de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), pris isolément ou combiné avec l’article 14 (art. 14+P1-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (P1-1)
39. Selon les requérants, le retrait de leur permis a enfreint l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi libellé :
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes."
Ni le Gouvernement ni la Commission ne souscrivent à cette thèse.
40. La Cour relève - et nul n’a contesté devant elle - que le retrait litigieux a porté atteinte au droit de M. et Mme Fredin au respect de leurs biens, y compris les intérêts économiques liés à l’exploitation de la gravière (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Tre Traktörer AB du 7 juillet 1989, série A no 159, p. 21, § 53).
A. La règle de l’article 1 (P1-1) applicable en l’espèce
41. L’article 1 (P1-1) garantit en substance le droit de propriété. Il contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires à cette fin. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapports entre elles : la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir notamment l’arrêt Mellacher et autres du 19 décembre 1989, série A no 169, pp. 24-25, § 42).
42. Les requérants n’ont pas subi d’expropriation formelle. Au regard de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), la notion de "privation" englobe toutefois non seulement pareille expropriation, mais aussi des mesures équivalant à une expropriation de fait (voir, entre autres, l’arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 24, § 63).
M. et Mme Fredin se prétendent victimes d’une telle privation effective de leurs biens, tandis que le Gouvernement et la Commission considèrent le retrait incriminé comme une mesure de réglementation de l’usage de ceux-ci.
43. La Cour constate qu’au départ, il visait à réglementer l’usage de leurs biens par les requérants, sans toucher à leur pouvoir de prendre, dans les limites normales de la loi, des décisions formelles sur le sort de leur immeuble Ström 1:3 et de leur société, la Kagghamra Grus AB. Nul n’en a d’ailleurs disconvenu. Reste à savoir si ledit retrait n’a pas engendré des conséquences assez graves pour qu’il y ait eu expropriation de fait.
44. D’après les requérants, combiné avec d’autres actes administratifs existants il ne laissait subsister aucune manière raisonnable d’employer Ström 1:3. Il aurait, en outre, ôté toute valeur à leur propriété.
45. Sur le premier point, la Cour souscrit à l’opinion du délégué de la Commission : si l’on veut apprécier les moyens dont les intéressés disposaient pour user de leurs biens, on ne saurait s’en tenir à Ström 1:3. Il appert que M. et Mme Fredin créèrent cette parcelle, par prélèvement sur leurs biens-fonds, à seule fin qu’elle servît de base à l’exploitation de la gravière ; sa séparation d’avec les autres semble avoir constitué une simple formalité. Pour juger des réalités de la situation, il faut donc déterminer les effets du retrait à la lumière, aussi, de l’état des terres environnantes des requérants. Or rien ne montre que la révocation ait eu sur elles une incidence directe (paragraphes 8-9 ci-dessus).
Dans cette perspective, il n’est pas établi qu’elle ait empêché tout usage sensé des biens en cause.
46. Quant au second argument, la Cour commence par noter que les requérants demeurent propriétaires des ressources en gravier de Ström 1:3. Elle reconnaît cependant que le retrait litigieux a beaucoup réduit le rapport des propriétés dont il s’agit, ainsi que leur valeur en capital, par comparaison à ce qu’ils auraient été si les intéressés avaient pu poursuivre l’exploitation en vertu du permis de 1963. On ne doit pourtant pas oublier qu’au fil des ans, celle-ci avait été de plus en plus réglementée et de fait restreinte (paragraphes 10 et 32-35 ci-dessus). Ainsi, l’amendement inséré le 1er juillet 1973 dans la loi de 1964 (paragraphe 35 ci-dessus) habilita les pouvoirs publics à révoquer, sans indemnité, d’anciens permis, tel celui des requérants, au bout d’un délai de dix ans, soit après le 1er juillet 1983. La possibilité, pour les Fredin, de continuer d’exploiter leur gravière au-delà de cette date devint donc aléatoire.
47. Dès lors, la mesure dont ils se plaignent ne saurait en l’occurrence s’analyser en une expropriation au regard du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1-1). Il faut la considérer comme relevant, au sens du second (P1-1-2), de la réglementation de l’usage des biens par les autorités.
B. Sur le respect des exigences du second alinéa de l’article 1 (P1-1-2)
1. Légalité et finalité de l’ingérence
48. Les requérants ne contestent pas la légitimité du but de la loi de 1964, la protection de la nature. De son côté, la Cour n’ignore pas que la société d’aujourd’hui se soucie sans cesse davantage de préserver l’environnement.
49. Les intéressés plaident en revanche que les dispositions légales à la base du retrait litigieux ne présentaient pas le degré de prévisibilité et de certitude voulu par la Convention. Citant l’arrêt AGOSI du 24 octobre 1986 (série A no 108), ils allèguent en outre que, faute d’une voie de recours judiciaire, le système suédois ne leur donna pas assez de garanties contre les abus pour répondre aux exigences procédurales inhérentes à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et que, dans leur cas, la décision fut effectivement illégale et arbitraire.
50. La Cour ne souscrit pas à cette thèse.
Elle rappelle d’abord, en ce qui concerne l’application de la loi à M. et Mme Fredin, les limites de sa compétence en matière de contrôle du respect du droit interne (voir, entre autres, l’arrêt Håkansson et Sturesson du 21 février 1990, série A no 171, p. 16, § 47). Il ne ressort pas du dossier que l’acte administratif dénoncé allât à l’encontre du droit suédois : les requérants n’étayent d’aucun argument convaincant leur affirmation selon laquelle la préfecture aurait dû calculer à partir non pas de l’entrée en vigueur de l’amendement de 1973 à l’article 18 de la loi de 1964 (1er juillet 1973, paragraphe 35 ci-dessus), mais du transfert du permis à leur nom, la période de dix ans fixée par ce même amendement ; ils ne démontrent pas davantage que les autorités aient manqué à leur obligation, résultant de l’article 3, de prendre aussi dûment en compte les intérêts publics et privés autres que la conservation de la nature. Rien n’indique non plus que la décision de retrait tendît à un but différent de celui de ladite loi.
Quant à la prévisibilité, la Cour estime que les clauses pertinentes de la loi de 1964 (paragraphes 32-35 ci-dessus) précisaient l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités avec assez de netteté, eu égard à la matière dont il s’agit, pour remplir les conditions de la Convention (voir notamment, mutatis mutandis, les arrêts Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 47, § 110, et Eriksson du 22 juin 1989, série A no 156, p. 24, § 59).
Cette dernière veut toutefois de surcroît, comme le soulignent les requérants, que le droit interne offre une certaine protection contre les atteintes de la puissance publique aux droits garantis par elle (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Malone du 2 août 1984, série A no 82, p. 32, § 67). La Cour ne saurait conclure pour autant que l’absence de recours judiciaire viole en soi l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). La question appelle en revanche un examen sous l’angle de l’article 6 (art. 6) de la Convention (voir les paragraphes 62-63 ci-dessous et, entre autres, l’arrêt Allan Jacobsson du 25 octobre 1989, série A no 163, pp. 17-18, § 58).
2. Proportionnalité de l’ingérence
51. Selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1-2) doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l’article (voir, en dernier lieu, l’arrêt Mellacher et autres précité, série A no 169, p. 27, § 48). En conséquence, une mesure d’ingérence doit ménager un "juste équilibre" entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (ibidem). La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 (P1-1) tout entier, donc aussi dans le second alinéa ; il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (ibidem). En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’État une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en oeuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (arrêt AGOSI précité, série A no 108, p. 18, § 52).
52. Selon les requérants, les circonstances régnant à l’époque de leurs investissements leur donnaient de bonnes raisons de penser qu’ils pourraient poursuivre longtemps l’utilisation de la gravière. La décision de les priver, avec un bref préavis, du droit de le faire aurait rompu le juste équilibre à préserver entre les intérêts individuels et généraux en jeu.
Le Gouvernement, rejoint par la Commission, affirme le contraire.
53. M. et Mme Fredin ont subi un gros préjudice par rapport au potentiel qu’aurait eu la gravière si on les avait laissés s’en servir conformément au permis de 1963 (paragraphe 30 ci-dessus). Cependant, la Cour l’a déjà relevé (paragraphe 46), on ne saurait se fonder sur ce seul potentiel pour mesurer les effets du retrait de 1984 ; il faut avoir aussi égard aux restrictions légalement imposées à l’exploitation de la gravière.
54. Les requérants commencèrent à investir sept ans après l’entrée en vigueur de l’amendement de 1973 à l’article 18 de la loi de 1964, lequel prévoyait explicitement la possibilité de révoquer des permis existant alors, une fois écoulée une période de dix ans à compter du 1er juillet 1973 (paragraphes 35 et 50 ci-dessus). Ils ne pouvaient donc raisonnablement ignorer qu’ils risquaient de perdre le leur après le 1er juillet 1983. Il appert en outre que les pouvoirs publics ne leur fournirent aucune assurance qu’ils seraient autorisés à continuer d’extraire du gravier au-delà de cette date. Ainsi, la décision les habilitant à construire un quai précisait qu’elle n’impliquait en aucune manière "une position quelconque (...) quant à l’éventualité d’un réexamen ultérieur des activités d’extraction de gravier sur la propriété" (paragraphe 16 ci-dessus).
Quand ils se lancèrent dans leurs investissements, M. et Mme Fredin ne pouvaient donc se fonder que sur l’obligation, incombant aux autorités de par l’article 3 de la loi de 1964, de prendre en considération leurs intérêts en adoptant des décisions destinées à protéger la nature (paragraphe 34 ci-dessus). Elle ne saurait avoir raisonnablement suscité en eux, à l’époque, l’espoir justifié de pouvoir poursuivre l’exploitation pendant longtemps.
En outre, ils bénéficièrent d’une période de fermeture de trois ans ; à leur demande, les autorités la prolongèrent après coup de onze mois, témoignant ainsi d’une certaine souplesse (paragraphes 21, 24 et 26 ci-dessus).
55. Dès lors, et eu égard au but légitime de la loi de 1964 (paragraphe 48 ci-dessus), la Cour ne peut tenir le retrait incriminé pour inadéquat ou disproportionné.
3. Conclusion
56. En conclusion, aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ne se trouve établie.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, COMBINE AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (art. 14+P1-1)
57. Les requérants se prétendent aussi victimes d’une discrimination dans la jouissance des droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Ils invoquent l’article 14 (art. 14) de la Convention, ainsi libellé :
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
Les autorités suédoises n’auraient interrompu que dans leur cas une exploitation de gravier en fonctionnement, et ils auraient subi, de la part de la préfecture, un traitement spécial en raison de leur qualité de seuls entrepreneurs indépendants de la région.
58. Dans leur mémoire à la Cour, M. et Mme Fredin rappellent d’abord la thèse du Gouvernement devant la Commission : il concédait qu’à sa connaissance les pouvoirs publics n’avaient fermé aucune autre affaire en activité, mais il présentait la situation des requérants comme exceptionnelle par le délai considérable écoulé entre l’octroi du permis et le début de l’exploitation. Or, soulignent les intéressés, les autorités en savaient bien la cause et du reste un intervalle aussi long ne constituerait point une chose inhabituelle : rien qu’à proximité de leur propre gravière, il en existerait au moins deux de plus, tout à fait semblables à elle sous ce rapport, auxquelles l’administration n’aurait pas touché.
59. Avec la Commission, le Gouvernement estime que nul problème de discrimination ne peut surgir : il ne ressortirait aucunement du dossier que M. et Mme Fredin se trouvassent dans une position analogue à celle des sociétés non privées de leur permis.
60. D’après la jurisprudence de la Cour, en prohibant la discrimination l’article 14 (art. 14) interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées en la matière dans des situations comparables. Un grief tiré de lui ne saurait donc prospérer que si, notamment, la situation de la victime prétendue se révèle comparable à celle de personnes mieux traitées.
61. Devant la Commission, les requérants ont essayé d’établir qu’il en allait ainsi en produisant un rapport de M. Karlsson (paragraphe 31 ci-dessus). Après l’avoir examiné, elle a cependant relevé le défaut d’indications montrant que leur situation se comparait à celle des compagnies demeurées titulaires d’un permis (paragraphe 77 du rapport).
Dans leurs observations à la Cour, M. et Mme Fredin n’ont pas cherché à réfuter cette constatation, ni fourni d’autres preuves. Ils plaident pour l’essentiel que comme une seule entreprise en activité, la leur, a été fermée (paragraphe 58 ci-dessus), il incombe au Gouvernement d’expliquer en quoi leur cas se distinguait de celui des affaires ayant pu continuer à fonctionner, ou de donner une raison plausible de leur traitement exceptionnel.
La Cour ne peut marquer son accord. Elle doit certes présumer, le Gouvernement ne lui ayant pas communiqué de plus amples précisions sur le jeu de la loi de 1964 et, en particulier, de l’amendement de 1973 (paragraphe 35 ci-dessus), que l’unique gravière fermée en vertu de ce dernier est bien celle des requérants, mais il n’y a pas là un motif suffisant de tenir leur situation pour comparable au cas des entreprises laissées en activité.
N’apercevant pas pourquoi elle devrait apprécier autrement que la Commission les éléments recueillis, elle conclut à l’inexistence, en l’espèce, d’un problème de discrimination contraire à l’article 14 (art. 14).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 § 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
62. Les requérants dénoncent en outre l’absence de tout contrôle judiciaire des décisions leur retirant leur permis et augmentant le montant de leur caution. Elle aurait méconnu l’article 6 § 1 (art. 6-1), d’après lequel :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"
63. Leur droit d’exploiter leur propriété, conformément aux lois et règlements en vigueur, revêtait un caractère civil au sens de cette disposition (voir, en dernier lieu, l’arrêt Skärby du 28 juin 1990, série A 180-B, pp. 37-38, § 29). Il appert, de plus, qu’une contestation "réelle et sérieuse" avait surgi entre eux et les pouvoirs publics quant à la légalité des décisions dont ils se plaignaient et que l’issue de la procédure était directement déterminante pour le droit en question (ibidem). L’article 6 § 1 (art. 6-1) s’applique donc en l’espèce ; la chose n’a d’ailleurs pas prêté à controverse devant la Cour.
Comme seul le gouvernement pouvait, à l’époque (paragraphe 29 ci-dessus), trancher le litige en dernier ressort, il y a eu violation du texte précité (voir, entre autres, l’arrêt Håkansson et Sturesson susmentionné, série A no 171, p. 20, § 63).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
64. Selon l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
Les requérants sollicitent une indemnité pour préjudice et le remboursement de leurs frais et dépens.
A. Préjudice matériel
65. Ils réclament 28 000 000 couronnes suédoises pour couvrir les pertes économiques que le retrait du permis aurait entraînées (paragraphe 30 ci-dessus).
Ainsi que le soulignent Commission et Gouvernement, l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction à l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention relevée par le présent arrêt et le dommage allégué ne se trouve pas établie. La perte de leur permis a porté à M. et Mme Fredin un tort considérable, mais la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel ils auraient abouti s’ils avaient pu saisir un tribunal (voir, entre autres, l’arrêt Håkansson et Sturesson précité, série A no 171, p. 22, § 72).
Elle ne peut donc rien leur accorder sur ce point.
B. Dommage moral
66. Les intéressés revendiquent en outre 50 000 couronnes suédoises pour dommage moral. Gouvernement et Commission laissent à la Cour le soin d’en décider, mais estiment que la somme octroyée ne saurait en aucun cas dépasser 10 000 couronnes.
Faute d’un recours judiciaire adéquat, les requérants ont subi un préjudice moral que le constat d’une violation ne suffit pas à réparer. Statuant en équité, la Cour leur alloue 10 000 couronnes à ce titre.
C. Frais et dépens
67. M. et Mme Fredin demandent 343 926 couronnes pour frais et dépens. Là-dessus, 267 338 couronnes correspondent aux instances engagées à Strasbourg ; 180 380 couronnes représentent les honoraires de Me Axelsson, 36 383 ses frais de voyage et ceux de ses clients, 50 575 ses dépenses pour diverses expertises. Les 76 588 couronnes restantes concernent les frais des requérants au cours des procédures internes.
A n’en pas douter, la tâche accomplie par Me Axelsson devant les organes de la Convention a porté pour l’essentiel sur des questions étrangères au manquement relevé ; il en va de même de la plupart des expertises recueillies. Eu égard à cela et aux autres circonstances pertinentes, la Cour, statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), accorde aux requérants 75 000 couronnes de ce chef.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit que nulle violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ne se trouve établie ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation dudit article combiné avec l’article 14 (art. 14+P1-1) de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention ;
4. Dit que la Suède doit verser aux requérants 10 000 (dix mille) couronnes suédoises pour préjudice moral et 75 000 (soixante-quinze mille) pour frais et dépens ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 18 février 1991.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion de M. Thór Vilhjálmsson.
R. R.
M.-A. E.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(traduction)
Je partage l’opinion de mes collègues, mais aux arguments énoncés aux trois derniers alinéas du paragraphe 61 de l’arrêt je préfère les suivants :
Il échet de noter que la loi de 1964, base de la décision de retrait litigieuse, ne constitue pas en soi une discrimination incompatible avec l’article 14 (art. 14) de la Convention. Les requérants ne prétendent du reste pas le contraire ; ils se plaignent de son application.
En matière de protection de l’environnement, les mesures de mise en oeuvre revêtent maintes formes et doivent fréquemment s’étaler sur des années. De par leur nature même, elles risquent de déranger certaines personnes car l’égalité de traitement de tous ceux qui se trouvent dans des situations comparables peut être non seulement peu pratique, mais impossible. Il appartient au gouvernement suédois, et non à notre Cour, de dire si, pour réaliser le but de la législation protectrice de l’environnement, il faut fermer une ou plusieurs gravières ou si l’on doit s’en abstenir. Le rythme et l’ampleur de la mise en oeuvre des mesures de conservation découlent non seulement du souci de protéger l’environnement, mais aussi d’autres facteurs ; des considérations d’ordre économique et financier peuvent peser lourd. Il me semble utile de le souligner en me référant à l’arrêt Sunday Times du 26 avril 1979 (série A no 30). D’après les requérants, les atteintes portées par les juridictions anglaises à leur droit de publier certaines informations ne violaient pas uniquement l’article 10 (art. 10) de la Convention - sur ce point la majorité de la Cour les a suivis -, mais de surcroît l’article 14 (art. 14) car d’autres articles de presse, analogues selon les requérants, n’avaient pas donné lieu à des restrictions du type de celles qu’avaient subies ces derniers. La Cour n’a pas jugé nécesaire de s’étendre sur la question. Au paragraphe 71 de son arrêt (p. 43), elle a déclaré à l’unanimité :
"L’absence de toute mesure à l’encontre d’autres journaux, par exemple le Daily Mail, ne suffit pas à prouver que l’injonction adressée à Times Newspapers Ltd constituait une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14)."
Cet exemple me paraît bien illustrer le genre de situations où l’on ne peut éviter une certaine différence de traitement.
J’estime donc que le gouvernement défendeur jouit d’une grande marge d’appréciation dans des affaires comme la présente. En même temps, il se touve toutefois lié par la Convention. Eu égard à ce qui précède, ainsi qu’aux principes bien établis relatifs à l’application de l’article 14 (art. 14), la différence de traitement alléguée ne saurait passer pour dépourvue de justification objective et raisonnable : elle tendait à un but légitime (paragraphes 48 et 50 de l’arrêt) et la décision de retrait n’était pas elle-même disproportionnée à ce but. Je conclus, dès lors, à l’absence de violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1).
* L'affaire porte le n° 29/1989/189/249.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifé l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
* Note du greffier : Pour des raisons d'ordre technique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume n° 192 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT FREDIN c. SUEDE (N° 1)
ARRÊT FREDIN c. SUEDE (N° 1)
ARRÊT BARFOD c. DANEMARK
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
ARRÊT BARFOD c. DANEMARK
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12033/86
Date de la décision : 18/02/1991
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de P1-1 ; Non-violation de l'art. 14+P1-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale

Parties
Demandeurs : FREDIN
Défendeurs : SUEDE (N° 1)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-02-18;12033.86 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award