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15/04/1991 | CEDH | N°12386/86

CEDH | M. contre l'ITALIE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12386/86 présentée par M. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 15 avril 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN F. ERMACORA G. SPERDUTI A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. C.L. ROZAKI

S Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12386/86 présentée par M. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 15 avril 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN F. ERMACORA G. SPERDUTI A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M.P. PELLONPÄÄ M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 18 juillet 1986 par M. contre l'Italie et enregistrée le 11 septembre 1986 sous le No de dossier 12386/86 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations écrites présentées par le Gouvernement en date du 28 septembre 1989 ; Vu les observations produites en réponse par le requérant le 13 novembre 1989, complétant les commentaires contenus dans son mémoire du 20 août 1989 ; Vu les conclusions des parties développées à l'audience du 9 octobre 1990 ; Vu les renseignements et pièces présentés par le Gouvernement le 6 novembre 1990 ainsi que les renseignements présentés par le requérant à la même date ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant, M., est un ressortissant italien né en 1937 à Battipaglia (Salerne). Il est actuellement détenu à la prison de Sulmona, où il purge une peine de réclusion globale de treize ans et six mois. Pour la procédure devant la Commission, il est représenté par Me Giacomo Rosapepe, avocat au barreau de Rome. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. Circonstances particulières de l'affaire Le requérant, soupçonné d'appartenir à une organisation criminelle enracinée en Campanie, fit l'objet de diverses poursuites pénales, ainsi que d'une procédure pour l'application des mesures de prévention. a) Les poursuites pénales Le 28 mai 1979, le procureur de la République de Naples décerna un ordre d'arrêt ("ordine di cattura") contre le requérant, soupçonné d'être membre d'une association de "camorristes" dont le chef était R. Cutolo. Le 19 avril 1980, le requérant fut renvoyé devant le tribunal de Naples qui, le 10 décembre 1980, le condamna à deux ans de réclusion pour association de malfaiteurs, infraction réprimée par l'article 416 du Code pénal italien (Cp). Le 16 mars 1982, ce jugement fut confirmé par la cour d'appel de Naples. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté le 9 décembre 1983. Entretemps, le 14 juin 1983, de nouvelles poursuites avaient été déclenchées contre le requérant. Le parquet de Naples considérait, en effet, que l'appartenance du requérant à l'organisation criminelle de R. Cutolo, désignée "Nuova Camorra Organizzata" (NCO), n'avait pas pris fin après le jugement que le tribunal de Naples avait prononcé à son encontre le 10 décembre 1980. Ainsi, le 17 juillet 1984, le requérant fut à nouveau renvoyé devant ce tribunal qui, le 17 septembre 1985, le condamna à huit ans et quatre mois de réclusion. Les chefs d'infraction retenus étaient celui d'association de malfaiteurs (article 416 Cp) et, pour la période suivant le 29 septembre 1982, celui d'association de type mafieux, infraction réprimée par l'article 416 bis Cp, qui avait été ajouté par la loi n° 646 du 13 septembre 1982 (loi de 1982). Le 15 septembre 1986, la cour d'appel de Naples réduisit à six ans et six mois la peine infligée au requérant. Le pourvoi contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 13 juin 1987. Le requérant fit également l'objet de diverses autres poursuites, notamment pour usure, extorsion et tentative d'extorsion. Le 19 juin 1987, la cour d'appel de Salerne le condamna de ces chefs à une peine de cinq ans de réclusion. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté le 11 mars 1988. b) La procédure pour l'application des mesures de prévention En raison des soupçons qui pesaient sur le requérant et donnaient à penser qu'il était membre de la NCO, le parquet de Salerne entama contre celui-ci une procédure en vue de l'application des mesures de prévention établies par la loi n° 1423 du 27 décembre 1956 (loi de 1956) et par la loi n° 575 du 31 mai 1965 (loi de 1965) telle que modifiée par la loi de 1982. Ainsi, le 5 octobre 1983, le procureur de la République de Salerne demanda au tribunal de Salerne que le requérant fût assigné à résidence. Le 9 décembre 1983, le même magistrat demanda la saisie des biens, dont le requérant disposait directement ou indirectement, en vue de leur éventuelle confiscation, en application de l'article 2 ter, deuxième alinéa, de la loi de 1965. La liste de ces biens fut établie par la police des frontières de Salerne et par celle d'Agropoli. Le 23 mars 1984, le tribunal de Salerne fit droit à la demande de saisie et, le 18 juin 1984, décida de soumettre le requérant à la mesure de la surveillance spéciale par la police, ordonnant en même temps son assignation à résidence dans la commune de M. pour une période de quatre ans. Puis, le 10 janvier 1985, le tribunal ordonna la confiscation des biens saisis, dont certains appartenaient à l'épouse et au fils du requérant, et ce en application de l'article 2 ter, troisième alinéa, de la loi de 1965. La mesure d'assignation à résidence et celle de confiscation furent arrêtées sur la base d'un faisceau d'indices pesant sur le requérant. En ce qui concerne notamment la motivation de la confiscation (qui reprend, d'ailleurs, celle donnée à la mesure d'assignation à résidence) le tribunal, dans sa décision du 10 janvier 1985, releva d'abord que deux rapports datés des 23 juin et 16 décembre 1982, le premier rédigé par la gendarmerie de Salerne et le deuxième par la police de Salerne, désignaient le requérant comme étant l'un des collaborateurs directs de R. Cutolo. Le requérant y était décrit comme un personnage extrêmement violent, qui avait rapidement grimpé les échelons de la criminalité organisée - en passant par le vol, la fraude, le recel, l'usure, l'extorsion - et qui était devenu le principal financier de la NCO ainsi que la plus importante des personnes chargées du blanchiment de l'argent de l'association en question. Le tribunal constata, ensuite, que les antécédents judiciaires du requérant allaient dans le sens des conclusions consignées dans ces rapports. En effet, dans les dernières années, celui-ci avait été poursuivi des chefs d'extorsion, d'usure, d'assassinat ainsi que de participation à une association de type mafieux, accusation qui apparaissait comme "le couronnement d'une vie consacrée au crime". Quant aux indices spécifiques permettant de croire que le requérant appartenait à la NCO, le tribunal souligna que, le 30 octobre 1981, la police avait arrêté, dans un hôtel qui appartenait au requérant, A. G. - homme de confiance de R. Cutolo - qui se cachait pour se soustraire à un mandat décerné contre lui. A cette occasion, d'autres repris de justice, qui étaient gardes du corps du requérant, avaient été également arrêtés. Suite à ces arrestations, le requérant avait été poursuivi et condamné (condamnation non encore définitive) du chef de connivence. Le tribunal fit également référence au fait que, le 7 août 1981, dans le cadre d'une "guerre de clans", le requérant avait été victime d'un guet-apens. Un de ses hommes avait été tué et le requérant avait été gravement blessé. En riposte, deux meurtres avaient été perpétrés les 12 et 13 août 1981. Le tribunal prit enfin en considération le patrimoine considérable du requérant (consistant en plusieurs et importantes unités immobilières urbaines et rurales, auxquelles s'ajoutaient un complexe hôtelier et un complexe industriel pour la mise en bouteille d'eau minérale) ainsi que la rapidité et la facilité avec lesquelles ce patrimoine avait été accumulé. Le requérant avait allégué que sa fortune reposait sur son activité d'entrepreneur agricole et notamment d'éleveur, activité dont il avait habilement réinvesti les bénéfices. Selon ses explications, il aurait collaboré dans sa jeunesse à la culture d'un fond attribué à son père par la section spéciale de la réforme des fonds ruraux (sezione speciale della informa fondiaria). En 1963, il avait lui-même reçu, de ladite section, un fond de sept hectares. Il aurait, ensuite, habilement exploité les possibilités que l'élevage des buffles offrait dans la zone de Paestum, aidé par de petits financements paternels. Il aurait ainsi accumulé progressivement les ressources financières nécessaires pour les spéculations immobilières successives. Le tribunal estima, toutefois, que les activités du requérant n'expliquaient pas les très importantes liquidités dont il avait disposé pour entreprendre ses spéculations immobilières téméraires dont certaines atteignant les milliards de lires. Celles-ci, effectuées pour la plupart entre 1975 et 1977, s'étaient concrétisées dans une suite vertigineuse de transactions, achats-ventes, saisies immobilières et inscriptions hypothécaires. Un patrimoine d'une telle ampleur ne s'expliquait, selon le tribunal, que par les profits résultant des activités illicites du requérant - notamment la pratique systématique de l'usure et de l'extorsion - ou par le réinvestissement de ses gains illicites et de ceux de la NCO. Le requérant releva appel des décisions des 18 juin 1984 et 10 janvier 1985. Il fit valoir, notamment, que les poursuites engagées contre lui du chef de connivence avec A. G., lesquelles ne se fondaient que sur des soupçons, n'avaient pas encore abouti à une condamnation définitive ; qu'il n'avait même pas été incriminé pour les meurtres des 12 et 13 août 1981 ; qu'il n'avait jamais été condamné du chef d'usure et que l'existence de deux procédures ouvertes contre lui suite aux plaintes de certains débiteurs ne prouvaient rien ; que dans la "piana del Sele", zone où il était censé avoir oeuvré, le phénomène de la "camorra" ne s'était manifesté qu'après 1979 et que jusqu'à cette époque-là aucun soupçon ne pesait sur lui, de sorte qu'il ne pouvait avoir acquis son patrimoine de façon illicite. Par ailleurs, le requérant critiqua à divers égards l'appréciation du tribunal concernant les profits qu'il avait pu tirer de ses activités d'entrepreneur agricole et de leur réinvestissement. Il contesta également l'évaluation globale de ses biens, évaluation qui, entre autre, n'avait pas tenu compte des sommes dont il était encore débiteur. Le 10 juillet 1985, la cour d'appel de Salerne fit sienne la démarche du tribunal et confirma la mesure d'assignation à résidence. Quant à celle de confiscation, la cour considéra que le requérant avait fourni la preuve qu'il avait acquis de ses propres deniers, le 17 novembre 1975, un terrain de plus de 36 hectares - dénommé Sabatella - et le bâtiment rural qui s'y trouvait. Elle ordonna donc que le fond en question fût restitué au requérant. La cour parvint à des conclusions contraires pour tous les autres biens appartenant au requérant. Elle constata, d'abord, que le requérant n'avait apporté aucune preuve de leur provenance légitime, se limitant, aussi bien en première instance qu'en appel, à des affirmations génériques de gains licites, fruit de son honnête travail et d'une suite heureuse de réemplois du profit qu'il en tirait. Elle constata, ensuite, que de telles allégations, en elles-mêmes inaptes à justifier l'accumulation en peu d'années d'un patrimoine aussi important, étaient contrecarrées par les motifs de la décision du tribunal et infirmées par la nature et les modalités des diverses acquisitions, que la cour d'appel examina individuellement. La cour d'appel confirma en outre la confiscation des biens du fils du requérant. En revanche, statuant sur le recours introduit par l'épouse du requérant, la cour d'appel ordonna la restitution à celle-ci des fonds confisqués dont elle était propriétaire, au motif qu'à l'égard de ces biens la mesure ne reposait sur aucun fondement sérieux. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt, faisant valoir que sa motivation était erronée et insuffisante. La Cour de cassation le débouta par arrêt du 17 février 1986 estimant que l'arrêt de la cour d'appel avait été dûment motivé.
2. Contexte juridique de l'affaire a) La législation appliquée au requérant La répression des organisations criminelles communes, avant l'entrée en vigueur de la loi de 1982, n'était visée que par l'article 416 Cp, dont les deux premiers alinéas se lisent ainsi : "Quand trois ou plus de trois personnes s'associent dans le but de commettre plusieurs délits, ceux qui encouragent ou constituent ou organisent l'association sont punis, pour ceci seulement, de la réclusion de trois à sept ans. Pour le seul fait de participer à l'association la peine est la réclusion de un à trois ans." La loi de 1982 a introduit dans le Code pénal italien une disposition, l'article 416 bis, qui érige en infraction spécifique et réprime l'appartenance aux associations de type mafieux. Aux termes de cette disposition : "Quiconque fait partie d'une association de type mafieux, formée de trois ou plus de trois personnes, est puni de la réclusion de trois à six ans. Ceux qui encouragent, dirigent ou organisent l'association sont punis, pour ceci seulement, de la réclusion de quatre à neuf ans. L'association est de type mafieux quand ceux qui en font partie se servent de la force d'intimidation, du lien associatif et de la condition d'assujettissement et de contrainte au silence qui en découle pour commettre des délits, pour acquérir de manière directe ou indirecte la gestion ou en tout cas le contrôle d'activités économiques, de licences, d'autorisations, de travaux publics et de services publics ou pour réaliser des profits ou avantages indûs pour soi ou pour autrui. (...) A l'égard du condamné il est toujours obligatoire de confisquer les choses qui ont servi ou étaient destinées à commettre le délit et les choses qui en sont le prix, le produit, le profit ou qui en constituent l'emploi. (...) Les dispositions du présent article s'appliquent à la camorra et aux autres associations, quelle que soit leur dénomination locale, qui, profitant de la force intimidatrice du lien associatif, poursuivent des buts correspondant à ceux des associations de type mafieux." Il est notoire que la répression n'a pas suffi à endiguer le phénomène des associations mafieuses ou analogues. La lutte contre de telles associations s'est donc développée également sur le plan de la prévention. Sous l'empire de la loi de 1956 - qui s'applique entre autres "à ceux qui, par leur conduite et leur train de vie, doivent passer pour tirer leurs ressources habituelles, même en partie, de gains d'origine délictueuse ou du prix de leur complicité" (article 1) - une personne dangereuse pour la sûreté publique peut être placée sous la surveillance spéciale de la police, assortie au besoin soit de l'interdiction de séjourner dans telle(s) commune(s) ou province(s), soit, si elle présente un danger particulier, d'une assignation à résidence dans une commune déterminée (article 3). Ces mesures ressortissent à la compétence exclusive du tribunal du chef-lieu de la province, lequel les prend sur la base d'une proposition motivée dont le préfet de police saisit le président du tribunal (article 4 alinéa 1). Depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1965, la proposition desdites mesures est également du ressort du procureur de la République lorsqu'il s'agit de personnes soupçonnées d'appartenir à une association de type mafieux, à la "camorra" ou à d'autres associations, quelle que soit leur dénomination, poursuivant des buts ou opérant avec des méthodes correspondant à ceux des associations de type mafieux. La loi de 1982 renforce cet arsenal législatif par des dispositions intégrées dans la loi de 1965, qui visent à frapper les patrimoines des associations de type mafieux. Ainsi, conformément à l'article 2 ter de la loi de 1965, au cours de la procédure pour l'application des mesures de prévention prévues par la loi de 1956 à l'encontre d'une personne soupçonnée d'appartenir à de telles associations, "le tribunal, même d'office, ordonne par décision motivée la saisie des biens dont la personne contre laquelle la procédure a été engagée dispose directement ou indirectement, quand il y a lieu d'estimer, sur la base d'indices suffisants, telle que la disproportion considérable entre le train de vie et les revenus apparents ou déclarés, que ces biens constituent le profit d'activités illicites ou son remploi. Avec l'application de la mesure de prévention, le tribunal ordonne la confiscation des biens saisis dont la provenance légitime n'a pas été démontrée. Dans le cas d'enquêtes complexes la mesure peut également être prise ultérieurement, mais non au-delà d'un an à compter de la date de la saisie. La saisie est révoquée par le tribunal lorsque la demande d'application de la mesure de prévention est rejetée ou lorsque la provenance légitime des biens est démontrée." (1) Il résulte de l'article 24 de la loi de 1982 que le juge pénal est compétent pour ordonner, au cours de la procédure ayant pour objet l'infraction réprimée par l'article 416 bis Cp, la saisie conservatoire prévue à l'article 2 ter de la loi de 1965 et, avec le jugement définitif de condamnation, la confiscation des biens saisis. Dans ce cas, conformément à l'article 3 ter alinéa 3 de la loi de 1965, les mesures qu'il arrête ont un "effet prévalant" sur celles prises dans le cadre de la procédure de prévention et concernant les mêmes biens. ______________ (1) Le texte en italien des dispositions pertinentes de l'article 2 ter est le suivant : "... il tribunale, anche d'ufficio, ordina con decreto motivato il sequestro dei beni dei quali la persona nei confronti della quale è stato iniziato il procedimento risulta poter disporre, direttamente o indirettamente, e che sulla base di sufficienti indizi, come la notevole sperequazione fra il tenore di vita e l'entità dei redditi apparenti o dichiarati, si ha motivo di ritenere siano il frutto di attività illecite o ne costituiscano il reimpiego. Con l'applicazione della misura di prevenzione il tribunale dispone la confisca dei beni sequestrati dei quali non sia stata dimostrata la legittima provenienza. Nel caso di indagini complesse il provvedimento può essere emanato anche successivamente, ma non oltre un anno dalla data dell'avvenuto sequestro. Il sequestro è revocato dal tribunale quando è respinta la proposta di applicazione della misura di prevenzione o quando è dimostrata la legittima provenienza dei beni." --------------- En ce qui concerne la procédure de prévention, l'article 4 de la loi de 1956 prévoit que le tribunal statue en chambre du conseil par décision motivée. Le ministère public et l'intéressé sont entendus. Ce dernier peut présenter des mémoires et se faire assister d'un conseil. Tant le ministère public que l'intéressé peuvent interjeter appel contre la décision du tribunal. La cour d'appel statue en chambre du conseil par arrêt motivé. Contre cet arrêt tant le ministère public que l'intéressé peuvent introduire un pourvoi en cassation pour violation de la loi. La Cour de cassation statue en chambre du conseil. Dans toutes ces procédures il est fait application des dispositions du Code de procédure pénale, dans la mesure où elles sont applicables. b) La jurisprudence concernant l'application des mesures de prévention, notamment patrimoniales L'existence de mesures de prévention n'est pas en soi contraire à la Constitution italienne. La Cour constitutionnelle a indiqué que le fondement de ces mesures réside dans le besoin de garantir le déroulement ordonné et pacifique des rapports sociaux, non seulement par le système des normes répressives des actes illicites, mais aussi par des dispositions destinées à prévenir le risque que de tels actes soient commis (Cour constitutionnelle - Cour const. - arrêts n° 27 de 1959 et n° 23 de 1964). En raison de la finalité qui leur est propre, les mesures de prévention ne se rapportent pas à l'accomplissement d'un acte illicite déterminé, mais à un ensemble de comportements constituant la conduite que la loi érige en signe d'un danger social (Cour const., arrêt n° 23 de 1964). Il en résulte que, dans l'ordre juridique italien, la sanction pénale et la mesure de prévention diffèrent substantiellement : l'une constitue une réaction contre un acte qui a violé le droit et a produit ses conséquences ; l'autre consiste en un moyen d'éviter qu'un tel acte ait lieu. En d'autres termes, la sanction correspond à une infraction déjà commise, alors que la mesure de prévention vise à parer le danger d'infractions futures (voir, mutatis mutandis, Cour const., arrêt n° 53 de 1968, concernant les mesures de sûreté). Bien entendu, le danger doit, lui, être actuel et les juridictions italiennes n'appliquent aucune mesure de prévention si la personne décède en cours de procédure. L'impossibilité d'appliquer, dans pareille circonstance, la mesure de la confiscation a fait l'objet de critiques devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci s'est néanmoins déclarée incompétente à modifier le choix fait par le législateur (Cour const., ordonnance n° 721 de 1988). La différence de nature entre sanctions pénales et mesures de prévention a pour conséquence que tous les principes constitutionnels dont les premières doivent s'inspirer, ne s'appliquent pas forcément aux secondes. Ainsi, la présomption de non culpabilité établie par l'article 27 de la Constitution ne concerne pas les mesures de prévention, qui ne se fondent pas sur la responsabilité pénale ou sur la culpabilité de l'intéressé (Cour const., arrêt n° 23 de 1964). De même, ces mesures ne relèvent pas du domaine de l'article 25 alinéa 2 de la Constitution, qui prévoit la non-rétroactivité des dispositions pénales. La violation de ce dernier principe a été alléguée plusieurs fois devant la Cour de cassation en relation avec la mesure de confiscation prévue par l'article 2 ter de la loi de 1965. Cette Cour a, d'une part, affirmé que ledit principe n'est pas applicable aux mesures de prévention (voir, par exemple, Cour de cassation - Cour cass. - arrêt du 30 janvier 1985 dans l'affaire Piraino). D'autre part, elle n'a pas manqué de souligner qu'en réalité, la disposition critiquée n'est pas rétroactive, car elle se rapporte aux biens dont la personne visée dispose au moment où la confiscation est ordonnée (Cour cass., arrêt du 12 mai 1986 dans l'affaire Oliveri) et à l'usage illicite de ces biens après son entrée en vigueur (Cour cass., arrêt du 4 janvier 1985 dans l'affaire Pipitone). Malgré ces limites, les mesures de prévention ne se soustraient pas à un contrôle de constitutionnalité étendu. Déjà en 1956, la Cour constitutionnelle avait affirmé qu'en aucun cas, une restriction du droit à la liberté ne peut avoir lieu si elle n'est pas prévue par la loi, si une procédure régulière n'a pas été engagée à cette fin et s'il n'y a pas une décision judiciaire qui en donne les motifs (Cour const., arrêt n° 11 de 1956). Elle avait, par la suite, souligné que les mesures de prévention ne peuvent pas être adoptées sur la base de simples soupçons et ne se justifient que si elles reposent sur l'établissement et l'évaluation objectifs de faits dont ressortent le comportement et le train de vie de la personne visée (Cour const., arrêt n° 23 de 1964). Elle a, plus récemment, confirmé que la légitimité constitutionnelle des mesures de prévention reste subordonnée au respect du principe de la légalité et à l'existence d'une garantie juridictionnelle. Les deux conditions sont, en outre, étroitement liées. Ainsi, la loi ne peut pas se limiter à indiquer des critères de danger vagues, mais doit les décrire avec suffisamment de précision, sans quoi le droit à un juge et à une procédure contradictoire n'aurait pas de sens (Cour const., arrêt n° 177 de 1980). La jurisprudence de la Cour de cassation est, à cet égard, tout à fait cohérente avec celle de la Cour constitutionnelle et affirme très clairement que la procédure pour l'application des mesures de prévention doit se dérouler de manière contradictoire et dans le respect des droits de la défense, la violation de ces droits comportant la nullité de la procédure (voir, par exemple, Cour cass., arrêt n° 1255 du 29 juin 1984 dans l'affaire Santoro). Quant aux mesures de saisie et de confiscation prévues à l'article 2 ter de la loi de 1965, divers griefs d'inconstitutionnalité ont été rejetés par la Cour de cassation. Celle-ci a notamment constaté que la présomption concernant la provenance illicite des biens des personnes soupçonnées d'appartenir aux groupes de type mafieux ne se heurte pas à l'article 24 de la Constitution, qui garantit les droits de la défense, car la confiscation ne peut avoir lieu qu'en présence d'indices suffisants concernant la provenance illicite des biens visés et en l'absence d'allégations les infirmant (Cour cass., arrêt dans l'affaire Pipitone, précité). A cet égard, la Cour de cassation a explicitement affirmé que ladite présomption ne fait pas peser sur l'intéressé la charge de la preuve ("onere della prova") mais une simple charge d'allégation ("onere di allegazione"). Ainsi, celui-ci ne doit pas apporter la preuve de la provenance légitime de ses biens, mais présenter les éléments aptes à combattre ceux qui ont été fournis par le ministère public. C'est donc à ce dernier qu'incombe d'indiquer, pour chacun des biens visés, les indices de leur provenance illicite (voir dans ce sens Cour cass., arrêt du 21 avril 1987 dans l'affaire Ragosta ; arrêt du 26 mai 1987 dans l'affaire Sciara ; arrêt du 9 mai 1988 dans l'affaire Chiazza). Quant à la compatibilité des mesures de saisie et de confiscation avec le droit au libre exercice des activités économiques privées et au droit au respect de la propriété privée (articles 41 et 42 de la Constitution), la Cour de cassation n'a pas manqué de souligner que ces droits ne sont pas absolus et peuvent être limités en fonction de l'intérêt général. Il en est ainsi lorsqu'il s'agit de biens de provenance illicite ou de leur usage (Cour cass., arrêts dans les affaires Oliveri et Pipitone, précités). La Cour de cassation s'est également exprimée, à plusieurs reprises, sur les rapports entre la procédure pénale et celle pour l'application des mesures de prévention, rapports qui, à l'époque des faits de la présente affaire, n'étaient pas régis par la loi, hormis le cas prévu par l'article 3 ter alinéa 3 de la loi de 1965 (1). Sa jurisprudence se fonde, à cet égard, sur une constante : la différence de nature et de fonction entre la sanction pénale et la mesure de prévention. Cette différence retentit sur les procédures s'y référant. Dans le procès pénal, le jugement de condamnation doit nécessairement se fonder sur l'établissement de la culpabilité de l'accusé, dont la responsabilité pour telle ou telle autre infraction doit ressortir des "preuves" acquises. Pareille démarche est étrangère au procès de prévention, qui ne vise pas au constat d'une quelconque infraction mais tend à déterminer le caractère dangereux de l'individu concerné, qui peut être évalué même sur la base d'éléments dont la valeur probante n'atteint pas celle des "preuves". C'est ainsi que, aux fins de l'application des mesures de prévention prévues par la loi de 1965, l'appartenance à une association de type mafieux n'a pas à être prouvée : il suffit de la présence d'"indices" permettant de conclure qu'une telle appartenance est "probable" (voir, par exemple, Cour cass., arrêt du 14 mars 1988 dans l'affaire Amerato). Entrent, donc, ici en ligne de compte des éléments qui pourraient n'avoir que peu ou aucune importance dans un procès pénal, comme les antécédents judiciaires, le train de vie, l'appartenance à un milieu donné, les relations avec les membres de groupes criminels, le patrimoine, les informations reçues par la police. ---------- (1) Cette disposition a été abrogée par la loi n° 55 du 19 mars 1990, qui, en même temps, a prévu et discipliné la faculté de suspendre le procès de prévention quand le procès pénal est pendant. --------------- Toutefois, ces éléments doivent être établis de manière objective (Cour cass., arrêt du 28 septembre 1987 dans l'affaire Scarfò), les simples soupçons et les conjectures subjectives restant, en tout état de cause, exclus (Cour cass., arrêt dans l'affaire Amerato, précité). Les différences entre procès de prévention et procès pénal ont amené la Cour de cassation à affirmer l'autonomie de l'un par rapport à l'autre. Elle a exclu, par conséquent, que des questions préjudicielles puissent surgir et provoquer la suspension de la procédure pour l'application des mesures de prévention lorsque des poursuites pénales se déroulent en même temps (voir, par exemple, Cour cass., arrêt dans l'affaire Amerato, précité). Cette autonomie admet une exception majeure quand le procès pénal se termine par un acquittement pur et simple, c'est-à-dire au motif que les faits ne sont pas constitués ou qu'ils n'ont pas été commis par l'accusé. Dans ce cas, la révocation de la mesure de prévention se justifie, mais à condition que le jugement pénal ait eu le même objet que le procès de prévention et qu'il écarte tous les indices de dangerosité retenus contre le prévenu, ou que le procès pénal ait été utilisé en tant que tel, sans considération des éléments de preuve qui fondent les poursuites, pour le déclenchement du procès de prévention (voir, par exemple, Cour cass., arrêts dans les affaires Ragosta et Amerato, précités). Toutefois, il ne semble pas que cette jurisprudence s'applique à une mesure définitive de confiscation qui, de par sa nature, entraîne des effets instantanés et permanents. Il convient de souligner que l'article 3 ter alinéa 3 de la loi de 1965 ne fait que confirmer l'autonomie des deux procédures, car il témoigne de la coexistence possible de mesures concernant les mêmes biens, prises respectivement dans le cadre du procès pénal et de celui de prévention, et ce sans que les unes excluent les autres. En effet, comme la disposition en question l'indique, la primauté de la mesure ordonnée au pénal - qui, étant liée à la condamnation définitive, a la nature de mesure de sûreté - est limitée aux "effets" de celle-ci et ne joue donc qu'au stade de l'exécution. En outre, la mesure de sûreté peut ne recouper qu'en partie la mesure de prévention qui, dans ce cas, exercerait en parallèle une action complémentaire (Cour cass., arrêt du 26 octobre 1985 dans l'affaire Giovinazzo).
GRIEFS Devant la Commission, le requérant se plaint de la mesure de confiscation qui a frappé la quasi-totalité de son patrimoine. Cette mesure, prise en application d'une disposition introduite en 1982 et visant les biens dont la provenance légitime n'a pas été démontrée, l'a privé de biens acquis en grande partie entre 1975 et 1977, soit à une époque où il ne pouvait pas être considéré comme appartenant à une association de malfaiteurs. Il soutient que les juridictions italiennes auraient appliqué rétroactivement les dispositions pertinentes et allègue la violation de l'article 7 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 18 juillet 1986 et enregistrée le 11 septembre 1986. Le 9 mai 1989, la Commission, en application de l'article 42 par. 2 b), devenu article 48 par. 2 b), de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête tant au regard de l'article 7 de la Convention qu'au regard de l'article 1 du Protocole additionnel. Le Gouvernement a présenté ses observations le 28 septembre 1989. Le requérant y a répondu le 13 novembre 1989, complétant les commentaires contenus dans son mémoire du 20 août 1989. Le 7 juin 1990, la Commission a décidé d'inviter les parties à présenter oralement au cours d'une audience contradictoire leurs observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, précisant que celles-ci devraient porter également sur la question de savoir si la confiscation litigieuse constituait une sanction contraire à l'article 6 par. 2 de la Convention. L'audience a eu lieu le 9 octobre 1990. Les parties ont comparu comme suit : Pour le Gouvernement italien : M. Guido RAIMONDI, Magistrat au Ministère des Affaires Etrangères, co-Agent du Gouvernement M. Carmelo SGROI, Magistrat au Ministère de la Justice (cabinet législatif), en qualité de conseil Pour le requérant : Me Giacomo ROSAPEPE, Avocat au barreau de Rome Me Giacomo AUGENTI, Avocat stagiaire. A l'issue de l'audience, la Commission, à la demande des parties, a décidé d'ajourner l'examen de la requête pour leur permettre de présenter certains renseignements complémentaires. Elle a, en même temps, décidé d'inviter les parties à fournir d'autres renseignements concernant, notamment, la jurisprudence en matière de mesures de prévention, ainsi que certains documents jugés nécessaires à l'examen de l'affaire. Les renseignements et documents présentés par le Gouvernement italien ainsi que les renseignements du requérant sont parvenus le 6 novembre 1990.
EN DROIT Par application d'une disposition entrée en vigueur en 1982, le requérant a été privé de la propriété de biens acquis dans les années 1975-1977. Il se plaint d'être victime d'une application rétroactive de la loi et invoque l'article 7 (art. 7) de la Convention. La Commission, prenant en considération l'ensemble des faits exposés et notamment les motifs qui fondent la mesure de confiscation, a examiné la requête également sous l'angle des articles 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention et 1 du Protocole additionnel (P1-1). Il est vrai que le requérant n'a pas invoqué explicitement ces dispositions dans sa requête introductive. Toutefois, c'est à la Commission qu'il appartient de qualifier les griefs qui lui sont soumis et de déterminer les dispositions de la Convention qui sont effectivement mises en cause par la situation dénoncée.
1. Griefs concernant les articles 6 par. 2 et 7 (art. 6-2, 7) de la Convention Le requérant soutient que la confiscation litigieuse constitue une sanction sans condamnation, appliquée rétroactivement. Il y aurait donc eu, selon lui, violation des articles 6 par. 2 et 7 (art. 6-2, 7) de la Convention. Aux termes de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, "Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie." L'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention dispose que : "Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise." Le Gouvernement italien soutient que ces dispositions ne sont pas applicables en l'espèce car elles ne se réfèrent qu'à la condamnation prononcée à l'issue d'une procédure qui tend à la constatation d'une infraction pénale. Il mentionne, à cet égard, la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Lawless (arrêt du 1er juillet 1961, Série A n° 3). Il allègue qu'en droit italien, conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, la procédure relative à l'application des mesures de prévention est foncièrement différente de la procédure pénale, car elle ne vise pas au constat d'une infraction déterminée et à l'application de la sanction correspondante. Il s'ensuit que les mesures de prévention - qui sont arrêtées "sine delicto" - ne se rapportent pas à la culpabilité et manquent des caractères répressif et rétributif propres aux peines. Elles ne sauraient donc être assimilées à ces dernières. La jurisprudence des organes de la Convention irait dans le même sens : les affaires Guzzardi (Cour Eur. D.H., arrêt du 6 novembre 1980, Série A n° 39) et Ciulla (Cour Eur. D.H., arrêt du 22 février 1989, Série A n° 148) excluraient que les mesures de prévention prévues par le droit italien puissent se comparer à des sanctions pénales. Une confirmation supplémentaire serait donnée par la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Engel et autres (Cour Eur. D.H., arrêt du 8 juin 1976, Série A n° 22) qui indique les trois critères permettant de déterminer si une mesure relève du domaine pénal aux fins de la Convention : la qualification donnée par le droit interne, la nature de l'infraction, le degré de sévérité de la sanction. En ce qui concerne le premier de ces critères, le droit italien considère clairement que les mesures de prévention n'ont pas un caractère pénal. Quant au second, la mesure de prévention ne se rapporte pas à une infraction. Dès lors, la question de la nature de celle-ci ne se pose même pas. Enfin, si l'on prend en considération la sévérité de la mesure, une confiscation qui, dans le respect de conditions rigoureuses, frappe des biens dont l'origine illégale a été constatée judiciairement, encore que sur la base d'indices, n'atteint pas une gravité telle qu'on puisse l'analyser en une peine. En effet, d'autres mesures de la même nature ne relèvent pas du domaine "pénal". Le Gouvernement considère qu'en tout état de cause la confiscation des biens du requérant est conforme aux articles 6 par. 2 et 7 (art. 6-2, 7) de la Convention. Il fait valoir que la présomption, établie par l'article 2 ter de la loi de 1965, relative à la provenance illicite des biens, n'a pas pour effet de renverser la charge de la preuve. Cette disposition n'impose à l'intéressé qu'une simple charge d'allégation qui ne se heurte pas à la présomption d'innocence dont l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention commande le respect. Quant à l'application prétendument rétroactive de la même disposition, la confiscation litigieuse ne concerne que les biens dont le requérant disposait au moment de son application et se fonde sur la dangerosité actuelle de celui-ci. Le requérant rétorque que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme citée par le Gouvernement n'est pas pertinente en l'espèce. Il maintient que la confiscation de ses biens est une mesure qui relève des articles 6 par. 2 et 7 (art. 6-2, 7) de la Convention et méconnaît les principes y inscrits, notamment l'interdiction d'appliquer rétroactivement des sanctions. Or, cette mesure a été introduite par la loi de 1982 et, dans son cas, elle frappe des biens acquis pour la plupart entre 1975 et 1977, époque où il ne pouvait même pas être soupçonné d'être associé à la NCO. La Commission constate d'emblée que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si, dans le cadre du procès de prévention, le requérant se trouvait sous le coup d'une "accusation en matière pénale", dans le sens autonome que la Convention, et notamment son article 6 (art. 6), confère à cette expression. A cet égard, la Commission rappelle d'abord la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Deweer, suivant laquelle : "L'accusation pourrait aux fins de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) se définir comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale" (Cour Eur. D.H., arrêt Deweer du 28 février 1990, Série A n° 35, p. 24 par. 46). La Commission rappelle ensuite que la Cour, dans son arrêt Guzzardi, s'exprimait ainsi : "Le rapprochement de l'article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) avec les articles 6 par. 2 et 7 par. 1 (art. 6-2, 7-1) montre qu'aux fins de la Convention il ne saurait y avoir condamnation sans l'établissement légal d'une infraction - pénale ou, le cas échéant, disciplinaire (...). En outre, employer ce terme pour une mesure préventive ou de sûreté ne s'accorderait pas avec le principe de l'interprétation étroite, à observer en la matière" (Cour Eur. D.H., arrêt Guzzardi, précité, p. 37, par. 100). Peu avant, la Cour avait constaté que : "L'assignation à résidence de M. Guzzardi ne s'analysait pas en une peine destinée à réprimer une infraction concrète, mais en une mesure préventive prise sur la base d'indices dénotant une propension à la délinquance" (Cour Eur. D.H., arrêt Guzzardi, loc. cit.). Cette approche se trouve confirmée par l'arrêt de la Cour dans l'affaire Ciulla : "Aux yeux de la Cour, la procédure de prévention introduite par la loi de 1956 tend à des fins différentes de celles des poursuites pénales. L'assignation à résidence autorisée par l'article 3 (art. 3) de la loi de 1956 peut, contrairement à une condamnation à l'emprisonnement, se fonder sur de simples indices et non sur des preuves" (cf. arrêt Ciulla, précité, p. 17, par. 39). Compte tenu de cette jurisprudence, la Commission est d'avis que l'affirmation selon laquelle il y a affinité entre les poursuites pénales et le procès de prévention ne saurait être retenue, et que les mesures de prévention doivent, en principe, être tenues pour distinctes par rapport non seulement aux sanctions pénales mais aussi aux sanctions disciplinaires (examinées par la Cour dans l'affaire Engel et autres, arrêt précité), administratives (examinées par la Cour dans l'affaire Öztürk, arrêt du 21 février 1984, Série A n° 73) ou autres (voir, en ce qui concerne les amendes fiscales, la requête n° 11464/85, déc. Comm. 12.5.87, à paraître dans D.R. 53), puisqu'elles ne sont pas destinées à réprimer une infraction déterminée. La Commission constate que la mesure litigieuse dans la présente affaire n'est pas l'assignation à résidence mais la confiscation. Certes, dans le cadre de la procédure qui s'est terminée par la confiscation des biens du requérant, celui-ci n'a fait formellement l'objet ni d'une accusation pénale ni d'une condamnation. Toutefois, ce constat ne suffit pas, à lui seul, pour écarter l'applicabilité des articles 6 par. 2 et 7 (art. 6-2, 7) de la Convention et la Commission se doit encore de vérifier si, par-delà les apparences, le requérant a acquis la qualité d'accusé et si la confiscation de ses biens constitue "en substance" une sanction qui relève des dispositions en question. La Commission observe d'abord que, suivant la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, le procès de prévention est autonome par rapport au procès pénal et n'implique pas un jugement de culpabilité. Elle note ensuite que la confiscation prévue à l'article 2 ter de la loi de 1965 suppose une déclaration préalable de dangerosité sociale, fondée sur la suspicion d'appartenance à une association de type mafieux, et est subordonnée à l'application d'une mesure de prévention personnelle. En d'autres termes, il n'est pas possible de confisquer les biens dont la provenance légitime n'aurait pas été démontrée si la personne qui les détient n'est pas soupçonnée d'appartenir à une association de type mafieux et n'a pas été soumise, à ce titre, à une mesure de prévention personnelle. La Commission constate enfin que la confiscation litigieuse, tout comme l'assignation à résidence, repose sur des "indices suffisants", corroborés par l'absence d'allégations aptes à les infirmer. Il s'agit d'éléments qui, conformément à une jurisprudence constante, doivent être établis de manière objective et se distinguent clairement des simples soupçons ou des conjectures subjectives. La Commission considère que ce contexte juridique confirme le caractère préventif de la confiscation et montre que celle-ci a pour but d'empêcher l'usage illicite des biens qu'elle vise. Il s'ensuit que la confiscation des biens du requérant n'implique, pas plus que son assignation à résidence, l'établissement d'une infraction déterminée. La Commission estime, en outre, que la sévérité de la mesure n'est pas, en l'espèce, un critère suffisant pour la ranger parmi les sanctions "pénales" aux fins de la Convention. En effet, la confiscation est une mesure qui n'est pas exclusive au droit pénal et dont le droit administratif fait un large usage. La confiscation peut, notamment, viser les marchandises importées illégalement (voir le cas examiné par la Cour et la Commission dans l'affaire AGOSI, Cour Eur. D.H., arrêt du 24 octobre 1986, Série A n° 108), les produits d'activités illicites mais non réprimées sur le plan pénal (par exemple les immeubles bâtis sans permis administratif), certains biens considérés en soi comme dangereux (par exemple les armes et les explosifs ou le bétail infecté), ou encore les biens qui sont en rapport, mais d'une manière indirecte, avec une activité réprimée pénalement (voir, en droit italien, la confiscation des biens des associations secrètes en vertu de la loi n° 17 du 15 janvier 1982). Ainsi, le droit des Etats membres du Conseil de l'Europe montre que des mesures très sévères, mais nécessaires et adéquates à la protection de l'intérêt public, sont arrêtées même en dehors du domaine pénal. La Commission relève que la confiscation litigieuse concerne des biens considérés d'origine frauduleuse. Son but est de frapper les associations mafieuses et les moyens considérables dont elles disposent pour financer des activités illicites. La Commission est donc d'avis que cette mesure s'apparente à celles susmentionnées. Dans ces circonstances et à la lumière de la jurisprudence de la Cour, la Commission conclut que la confiscation litigieuse ne comporte pas un constat de culpabilité, qui suit une accusation, et ne constitue pas une peine. Dès lors, les griefs tirés de la violation des articles 6 par. 2 et 7 (art. 6-2, 7) de la Convention sont incompatibles "ratione materiae" avec ces dispositions et doivent être rejetées conformément à son article 27 par. 2 (art. 27-2).
2. Grief concernant l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1) Le requérant se plaint d'avoir été privé de ses biens. La Commission a examiné ce grief sous l'angle de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1). Aux termes de cette disposition, "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." Le Gouvernement allègue que la confiscation litigieuse est prévue par la loi et poursuit un but conforme à l'intérêt général, car elle vise à empêcher qu'une personne visée puisse utiliser la partie de son patrimoine accumulée illicitement pour réaliser des bénéfices à son profit ou au profit de l'association de malfaiteurs et au préjudice de la collectivité. Il souligne que la mesure de la confiscation constitue un moyen indispensable dans la lutte contre les associations de type mafieux et précise que cette mesure, entourée de toutes les garanties légales de procédure, ne frappe que les personnes sur lesquelles pèsent des indices suffisants d'appartenance auxdites associations. Il conclut que le juste équilibre à ménager entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs des droits fondamentaux de l'individu a été, en l'espèce, sauvegardé. Le requérant réplique que la confiscation litigieuse constitue une mesure rétroactive qui est contraire au droit international et ne saurait être considérée comme répondant à l'intérêt général. Il fait valoir que son entreprise a été confiée à un commissaire inexpérimenté qui l'a conduit à la ruine, provoquant la perte de nombreux postes d'emploi dans une zone gravement affectée par le chômage. La Commission constate que la confiscation litigieuse a constitué sans nul doute une ingérence dans la jouissance du droit du requérant au "respect de ses biens". Le Gouvernement ne le conteste d'ailleurs pas. Il y a donc lieu de déterminer si ladite ingérence relève de la seconde phrase du premier alinéa - qui vise la privation de propriété - ou au contraire du second alinéa - concernant la réglementation de l'usage des biens. La Commission rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les mesures qui aboutissent à une privation de propriété ne relèvent pas toutes de la seconde phrase du premier alinéa. Dans son arrêt sur l'affaire Handyside, la Cour a statué que la confiscation et la destruction du Schoolbook, encore que comportant une privation de propriété, se trouvaient cependant autorisées par le second alinéa, interprété à la lumière du principe de droit, commun aux Etats contractants, en vertu duquel sont confisquées en vue de leur destruction les choses dont l'usage a été régulièrement jugé illicite et dangereux pour l'intérêt général (Cour Eur. D.H., arrêt Handyside du 7 décembre 1976, Série A n° 24, p. 30, par. 63). De même, dans son arrêt sur l'affaire AGOSI, la Cour a conclu que la confiscation des Kruegerrands appartenant à la société requérante relevait en l'occurrence de la règlementation de l'usage, au Royaume-Uni, des pièces d'or. La Cour a, dès lors, appliqué le second alinéa (cf. Cour Eur. D.H., arrêt AGOSI précité, p. 17, par. 51 et suivants). En l'espèce, la Commission note que la confiscation litigieuse frappe des biens dont les tribunaux ont constaté l'origine illégale et a pour but d'éviter que le requérant puisse les utiliser pour réaliser d'ultérieurs bénéfices à son profit ou au profit de l'association de malfaiteurs à laquelle il est soupçonné d'appartenir, et ce au préjudice de la collectivité. Ainsi, même si la confiscation litigieuse entraîne une privation de propriété, celle-ci relève en l'occurrence d'une réglementation de l'usage des biens au sens de l'article 1 alinéa 2 du Protocole additionnel (P1-2), qui laisse aux Etats le droit d'adopter "les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général". En ce qui concerne le respect des conditions de cet alinéa, le Gouvernement affirme que celles-ci ont été satisfaites, alors que selon le requérant il ne serait pas possible d'affirmer que la confiscation de ses biens est conforme à l'intérêt général. La Commission constate d'emblée que la confiscation des biens du requérant a été ordonnée conformément à l'article 2 ter de la loi de 1965. Il s'agit donc d'une ingérence prévue par la loi comme le commande l'article 1 alinéa 2 du Protocole additionnel (P1-2). La Commission constate ensuite que la confiscation litigieuse tend à empêcher un usage illicite et dangereux pour la société de biens dont la provenance légitime n'a pas été démontrée. Elle considère donc que l'ingérence qui en résulte vise un but qui, à n'en pas douter, correspond à l'intérêt général. Il reste, néanmoins, à vérifier si cette ingérence est proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard, la Commission souligne que la mesure litigieuse s'inscrit dans le cadre d'une politique de prévention criminelle et considère que, dans la mise en oeuvre d'une telle politique, le législateur doit jouir d'une grande latitude pour se prononcer tant sur l'existence d'un problème d'intérêt public appelant une réglementation que sur le choix des modalités d'application de cette dernière. Elle observe, par ailleurs, que le phénomène de la criminalité organisée a atteint, en Italie, des proportions fort préoccupantes. Les associations de type mafieux se sont répandues à tel point que, dans certaines zones, le contrôle de l'Etat s'en trouve gravement affaibli. Les profits démesurés que ces associations tirent de leurs activités illicites, en particulier du trafic international des stupéfiants, leur donnent un pouvoir, dont l'existence remet en cause la primauté du droit dans l'Etat. Ainsi, les moyens adoptés pour combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation litigieuse, apparaissent, d'après le Gouvernement italien, comme indispensables pour lutter efficacement contre lesdites associations. La Commission prend acte des circonstances spécifiques qui ont guidé l'action du législateur italien et ne saurait les méconnaître. Il lui incombe, toutefois, de s'assurer que les droits garantis par la Convention soient, dans chaque cas, respectés. La Commission constate qu'en l'espèce, l'article 2 ter de la loi de 1965 établit, en présence d'"indices suffisants", une présomption que les biens de la personne soupçonnée d'appartenir à une association de malfaiteurs constituent le profit d'activités illicites ou son remploi. Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit. La Convention n'y met évidemment pas obstacle en principe. Le droit du requérant au respect de ses biens implique, cependant, l'existence d'une garantie juridictionnelle effective. Dès lors, la Commission doit rechercher si la procédure qui s'est déroulée devant les juridictions italiennes offrait au requérant, compte tenu de la gravité de la mesure encourue, une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes (voir, mutatis mutandis, arrêt AGOSI, précité, p. 18 par. 55). A cet égard, la Commission remarque que, suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, la présomption concernant la provenance illicite des biens du requérant ne faisait pas peser sur ce dernier la charge de la preuve mais une simple charge d'allégation : il incombait au ministère public d'indiquer, pour chacun des biens visés, les indices de leur provenance illicite et le requérant avait la possibilité de les infirmer en faisant état de tout élément pertinent. (voir dans ce sens la jurisprudence de la Cour de cassation italienne dans les affaires Ragosta et Sciara, citée à la page 9 (?) Par ailleurs, la procédure pour l'application des mesures de prévention s'est déroulé de manière contradictoire devant trois juridictions successives - tribunal, cour d'appel et Cour de cassation. Aux yeux de la Commission, la restitution au requérant du fond Sabatella confirme le caractère concret des garanties dont la procédure de confiscation était entourée et, notamment, l'effectivité des droits de la défense. La Commission constate, en outre, que les juridictions italiennes ne pouvaient pas se fonder sur des simples soupçons. Elles se devaient d'établir et d'évaluer objectivement les faits exposés par les parties et rien dans le dossier ne permet de croire qu'elles aient apprécié de façon arbitraire les éléments qui leur ont été soumis. Bien au contraire, les lourdes charges pesant sur le requérant - qui avait déjà été condamné en raison de son appartenance à la camorra par un arrêt de la cour d'appel de Naples devenu définitif le 9 décembre 1983 - ont également amené les juridictions pénales à le condamner une deuxième fois du chef d'association de type mafieux. La Commission constate enfin que l'argument du requérant selon lequel la confiscation concerne des biens acquis à une époque qui précède l'introduction de cette mesure est, sans aucune valeur, compte tenu du fait que la cour d'appel de Salerne a constaté l'origine illégale de chacun des biens en question et a établi que le requérant pourrait faire de ces biens un usage illicite au préjudice de la société. Dans ces circonstances, compte tenu de la marge d'appréciation qui revient aux Etats lorsqu'ils réglementent "l'usage des biens conformément à l'intérêt général", en particulier dans le cadre d'une politique criminelle visant à combattre le phénomène de la grande criminalité, la Commission conclut que l'ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens n'est pas disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi. Il s'ensuit que la requête est à cet égard manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Commission Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 12386/86
Date de la décision : 15/04/1991
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6-1) ACCUSATION EN MATIERE PENALE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : l'ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-04-15;12386.86 ?

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