La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/06/1991 | CEDH | N°14223/88

CEDH | LAVISSE contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 14223/88 présentée par Patricia LAVISSE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 juin 1991 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président en exercice F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER Mme G.H. THUNE Sir Basil HAL

L MM. F. MARTINEZ RUIZ C.L. ROZAKIS ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 14223/88 présentée par Patricia LAVISSE contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 juin 1991 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président en exercice F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ RUIZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS B. MARXER M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 11 juillet 1988 par Patricia LAVISSE contre la France et enregistrée le 16 septembre 1988 sous le No de dossier 14223/88 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement français le 12 décembre 1989 ; Vu les observations en réponse présentées par la requérante le 12 avril 1990 ; Vu les observations développées par les parties à l'audience du 5 juin 1991 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT La requérante, née en 1963 au Havre, est domiciliée dans cette ville et n'a pas de profession. Elle est représentée devant la Commission par Maître M.-F. GIRAUD, avocate au barreau de Paris. Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit : En 1985, la requérante a créé, avec d'autres personnes, l'association "Les Cigognes" qui a pour objet "la défense des intérêts moraux et matériels des femmes qui se proposent d'aider une femme stérile en portant, pour elle, sa grossesse ; la promotion et la valorisation morale de cette démarche ; la recherche et la diffusion d'informations dans ce domaine ; la mise en oeuvre de tous moyens susceptibles de concourir, directement ou indirectement aux objets ci-dessus définis, ainsi qu'à ceux qui pourraient apparaître similaires ou connexes". L'association, représentée par la requérante qui en est la présidente, a déposé le 12 janvier 1985 une demande d'inscription au tribunal d'instance de Strasbourg conformément à la procédure en vigueur d'après les articles 21 et 55 et suivants du Code civil local (1). -------------- (1) Code civil local : (traduction parue au Bulletin Officiel de 1925). Art. 21 - Une association dont le but ne vise pas une entreprise de caractère économique acquiert la capacité de jouissance des droits par l'inscription au registre des associations du tribunal (de bailliage) compétent. Art. 55 - L'inscription au registre des associations d'une association de la catégorie décrite à l'article 21 doit être faite auprès du tribunal (de bailliage), dans le ressort duquel l'association a son siège. Art. 61 - Si la notification est admise, le tribunal (de bailliage) doit la communiquer à l'autorité administrative compétente. L'autorité administrative peut élever opposition contre l'inscription lorsque l'association, d'après les règles du droit public sur le droit d'association, est illicite ou peut être interdite, ou lorsqu'elle poursuit un but politique, social-politique ou religieux. Loi du 19 avril 1908 Art. 2 - Une association dont le but est contraire aux lois pénales peut être dissoute. L'ordonnance de dissolution peut être attaquée par la voie de la procédure contentieuse administrative et, là où une telle procédure n'existe pas, par la voie du recours aux termes des dispositions des articles 20 et 21 de la loi sur les professions. Lorsque la dissolution d'une association est devenue définitive, elle devra être rendue publique. ------------ Le 1er mars 1985, le préfet du Bas-Rhin fit opposition à l'inscription au registre des associations des statuts de l'association dite "Les Cigognes". Il faisait ainsi usage du droit d'élever opposition qui lui est conféré par l'article 61 du Code civil local et invoquait l'article 353-1 du Code pénal qui réprime l'incitation à l'abandon d'enfant (2). Le 24 avril 1985, l'association, représentée par la requérante, fit une requête devant le tribunal administratif de Strasbourg, tendant à l'annulation de la décision du préfet. Elle faisait valoir notamment que, selon la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, la constitution d'une association ne peut être soumise, pour sa validité, à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même judiciaire et que l'Association nationale de l'insémination artificielle par substitution n'avait fait l'objet d'aucune interdiction de la part des pouvoirs publics. Le tribunal administratif rejeta la requête le 17 juin 1986 aux motifs que l'activité d'intermédiaire de l'association entre une femme stérile et une mère de substitution qui s'engage à abandonner, dès sa naissance, l'enfant qu'elle porte, en faveur de la femme stérile, comporte nécessairement l'existence d'un acte d'engagement, même s'il est seulement verbal ou moral, et que dès lors l'association n'était pas fondée à soutenir que le préfet avait excédé ses pouvoirs en invoquant les dispositions de l'article 353-1, 2° du Code pénal pour s'opposer à l'inscription de l'association au registre des associations. L'association fit un recours au Conseil d'Etat. Elle reprenait, à l'appui de son recours, l'argument tiré de l'inconstitu- tionnalité du texte local et de la contrariété de ce texte avec le principe général de la liberté d'association. Elle se référait sur ce point à un arrêt du Conseil d'Etat du 25 juillet 1980 qui avait décidé que "cette disposition, eu égard à l'atteinte qu'elle porte à la liberté d'association, ne saurait être interprétée comme autorisant le préfet à s'opposer à l'inscription d'une association pour des motifs étrangers aux nécessités de l'ordre public". -------------- (2) Code pénal Art. 353-1 (Ord. n° 58-1298 du 23 déc. 1958) - Sera puni de dix jours à six mois d'emprisonnement et de 500 F à 20 000 F d'amende : 1° Quiconque aura, dans un esprit de lucre, provoqué les parents ou l'un d'eux à abandonner leur enfant né ou à naître ; 2° Toute personne qui aura fait souscrire ou tenté de faire souscrire, par les futurs parents ou l'un d'eux, un acte aux termes duquel ils s'engagent à abandonner l'enfant à naître, qui aura détenu un tel acte, en aura fait usage ou tenté d'en faire usage ; 3° Quiconque aura, dans un esprit de lucre, apporté ou tenté d'apporter son entremise pour faire recueillir ou adopter un enfant. ------------------ Le Conseil d'Etat rejeta la requête de l'association le 22 janvier 1988. Il considéra en effet que le maintien en vigueur de la législation locale sur les associations procédait de la volonté du législateur et que le fait que, postérieurement à la loi du 1er juin 1924, les préambules des Constitutions de 1946 et 1958 aient réaffirmé les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, dont la liberté d'association, n'avait pas eu pour effet d'abroger implicitement les dispositions de ladite loi. Il releva également que l'association n'avait pas pour seul objet la défense des intérêts de ses membres, mais qu'elle s'était constituée également afin de promouvoir et mettre en oeuvre l'activité des mères de substitution, qu'il résultait en outre des pièces du dossier que l'association faisait partie d'un ensemble comprenant également une association de couples stériles dite Ste Sarah, une "banque de sperme" dénommée CEFER, dont le rôle était notamment de "sélectionner" les futures mères avant de réaliser leur insémination, et une "structure intermédiaire de gestion" dénommée Alma Mater, chargée de gérer les problèmes pratiques, notamment comptables, en recevant en dépôt la "compensation financière" à verser à la mère "lorsque tout est terminé", en vertu du "contrat sui generis" que constituerait le "prêt d'utérus". Le Conseil d'Etat considéra également que l'association requérante avait ainsi pour objet de favoriser le développement et de permettre la réalisation de pratiques selon lesquelles une femme accepte de concevoir un enfant par insémination artificielle en vue de céder, dès sa naissance, l'enfant qu'elle aurait ainsi conçu, porté et mis au monde à une autre femme ou à un couple, et que de telles pratiques comportent nécessairement un acte aux termes duquel l'un des parents s'engage à abandonner un enfant à naître.
GRIEFS
1. Devant la Commission, la requérante se plaint en premier lieu, au regard de l'article 11 de la Convention, de la procédure prévue par le Code civil local en matière de reconnaissance de la capacité juridique des associations. Elle expose qu'il s'agit en fait d'une forme d'autorisation par les autorités judiciaires et administratives qui est contraire à l'exercice de la liberté d'association. Cette procédure et notamment l'opposition formée par l'autorité administrative constituent, selon la requérante, une atteinte aux droits prévus par l'article 11 de la Convention. Elle ajoute sur ce point que l'article 61 du Code civil local dont le préfet a fait usage renvoie aux règles du droit public sur le droit d'association, que ce droit en matière d'association est défini par le Conseil constitutionnel, qui a exclu toute intervention préalable de l'administration dans sa décision du 16 juillet 1971 en considérant notamment que "la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire". Elle conteste enfin le bien-fondé de la référence du Conseil d'Etat à la loi d'Empire du 19 avril 1908.
2. La requérante se plaint également d'une discrimination au sens de l'article 14 combiné avec l'article 11 de la Convention. Elle expose qu'il est contraire à l'article 14 de la Convention d'imposer en Alsace-Moselle une réglementation spécifique pour l'exercice de la liberté d'association, réglementation contraignante et contraire à la liberté d'association. Elle expose qu'au contraire, en vieille France, la loi du 1er juillet 1901 organise l'exercice de la liberté d'association et subordonne l'obtention de la capacité juridique à une simple déclaration préalable sans que les autorités judiciaires ou administratives puissent faire opposition (3). Ces dernières ne peuvent provoquer la dissolution d'une association qu'après sa constitution.
________________ (3) Loi du 1er juillet 1901 Art. 2 - Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l'article 5. Art. 3 - Toute association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement est nulle et de nul effet. - V. aussi Décr.L. 23 oct. 1935, art. 1er (D.P. 1935, 4. 369). Art. 5 - Toute association qui voudrait obtenir la capacité juridique prévue par l'article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs. (L. n° 71-604 du 20 juill. 1971) "La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où l'association aura son siège social. Elle fera connaître le titre et l'objet de l'association, le siège de ses établissements et les noms, professions. (L. n° 81-909 du 9 oct. 1981) "domiciles et nationalités" de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ou de sa direction. Deux exemplaires des statuts seront joints à la déclaration. Il sera donné récépissé de celle-ci dans le délai de cinq jours."..." Art. 7 - (L. n° du 20 juill. 1971) "En cas de nullité prévue par l'article 3, la dissolution de l'association est prononcée par le tribunal de grande instance, soit à la requête de tout intéressé, soit à la diligence du ministère public. Celui-ci peut assigner à jour fixe et le tribunal, sous les sanctions prévues à l'article 8, ordonner par provision et nonobstant toute voie de recours, la fermeture des locaux et l'interdiction de toute réunion des membres de l'association." (Décr.-L. 23 oct. 1935) En cas d'infraction aux dispositions de l'article 5, la dissolution peut être prononcée à la requête de tout intéressé ou du ministère public. --------------
3. La requérante invoque enfin l'article 6 par. 1 de la Convention et expose que la procédure prévue par le Code civil local est contraire à cette disposition puisqu'elle prive l'association de sa capacité juridique, donc du droit de se défendre. Elle ajoute que le principe du contradictoire n'est respecté ni devant le tribunal d'instance ni devant l'autorité administrative. Elle se plaint par ailleurs du fait que la motivation de la décision du préfet a été réduite ultérieurement aux dispositions de l'article 353-1 du Code pénal et à l'article 2 de la loi du 19 avril 1908 exigeant que le but d'une association ne soit pas contraire aux lois pénales, alors que dans sa décision initiale , il avait considéré que la législation française rend la pratique des locations d'utérus illicite et passible de poursuites comme telles. La requérante relève sur ce point que le tribunal administratif et le Conseil d'Etat ont appliqué l'article 2 de la loi du 19 avril 1908 qui ne permet pourtant que la dissolution d'une association et non son interdiction préalable.
PROCEDURE La requête a été introduite le 11 juillet 1988 et enregistrée le 16 septembre 1988. Le 6 juillet 1989, la Commission a décidé, conformément à l'article 42 par. 2b), devenu article 48 par. b), de son Règlement intérieur, de donner connaissance de la requête au Gouvernement français et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs soulevés sous l'angle des articles 11 et 14 de la Convention. Le 6 novembre 1989, le Gouvernement a demandé une prorogation de délai au 30 novembre 1989, prorogation qui lui a été accordée par le Président le 13 novembre 1989. Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le 12 décembre 1989. Le 15 mars 1990, le conseil de la requérante a demandé une prorogation de délai au 15 avril 1990, prorogation qui lui a été accordée le 19 mars 1990 par le Président de la Commission. Les observations en réponse de la requérante ont été présentées le 12 avril 1990. Le 8 janvier 1991, la Commission a décidé d'inviter les parties à présenter leurs observations au cours d'une audience contradictoire. A l'audience du 5 juin 1991, les parties étaient ainsi représentées :
Pour le Gouvernement : - M. Luc CHOCHEYRAS, Conseiller de tribunal administratif, détaché à la Sous-direction des Droits de l'Homme de la Direction des affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, en qualité d'Agent du Gouvernement français ; - M. Bruno GAIN, Sous-directeur des Droits de l'Homme à la Direction juridique du Ministère des Affaires Etrangères, - M. Patrick TITIUN, Magistrat détaché à la Sous-direction des Droits de l'Homme de la Direction des affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, - Mlle CAZALS, Attaché d'administration centrale au Bureau du droit comparé et du droit international de la Direction des Libertés publiques et des Affaires juridiques du Ministère de l'Intérieur, en qualité de conseils.
Pour la requérante : - Me Marie-France GIRAUD, avocate au barreau de Paris.
EN DROIT
1. La requérante se plaint tout d'abord de ce que la procédure prévue par le Code civil local en matière d'associations est en fait une forme d'autorisation par les autorités judiciaires et administratives, ce qui est contraire à l'exercice de la liberté d'association prévue par l'article 11 (art. 11) de la Convention et contraire également à la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, ce dernier ayant exclu toute intervention préalable de l'administration. L'article 11 (art. 11) dispose : "1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat." Le Gouvernement observe tout d'abord sur ce point que la requérante n'a pas soulevé, devant les juridictions administratives, le moyen tiré de la violation de l'article 11 (art. 11) de la Convention. Il note toutefois que, la requérante ayant invoqué le principe constitutionnel de la liberté d'association, elle a épuisé "en substance" les voies de recours internes. Sur le fond, le Gouvernement expose que le principe de la liberté d'association est garanti en Alsace-Moselle comme dans le reste de la France et qu'une distinction doit être opérée en droit local entre la création et l'inscription des associations. Ainsi, les associations peuvent se constituer librement sans aucune condition et sans déclaration à l'autorité publique, l'inscription n'étant exigée ni pour que l'association puisse exister légalement, ni pour qu'elle puisse fonctionner. Elles peuvent alors avoir des organes représentatifs et posséder un patrimoine par l'intermédiaire de leurs membres. Le Gouvernement fait observer sur ce point que la Convention ne garantit pas l'acquisition de la pleine personnalité juridique par les associations. Quant à l'inscription sur le registre des associations, le Gouvernement expose qu'elle conditionne l'attribution de la personnalité morale et qu'elle n'est pas soumise à une autorisation mais à un double contrôle de légalité, judiciaire et administratif, contrôle qui n'est pas contraire à la liberté d'association. L'inscription a pour effet d'habiliter l'association notamment à recevoir des dons et des legs sans autorisation spéciale ainsi qu'à posséder un patrimoine sans rapport direct avec son objet. Le pouvoir d'opposition de l'autorité administrative n'est pas discrétionnaire, mais est défini strictement par la loi et la jurisprudence. Le droit applicable en Alsace-Moselle, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, protège donc, selon le Gouvernement, davantage la liberté d'association en ce qui concerne les motifs pouvant justifier le refus d'inscription que le paragraphe 2 de l'article 11 (art. 11-2) de la Convention puisque, pour les associations "poursuivant un but politique, social-politique ou religieux", seul un motif tiré des nécessités de l'ordre public peut être opposé et que, pour les autres associations, il ne peut s'agir que d'un motif de prévention des infractions pénales, les autres buts mentionnés au paragraphe 2 de l'article 11 (art. 11-2) n'étant pas retenus par le droit local. Le Gouvernement fait encore remarquer que la décision administrative d'opposition doit être formellement motivée et qu'elle est susceptible d'un recours en annulation devant les juridictions administratives qui exercent un entier contrôle sur le bien-fondé des motifs invoqués par le préfet. Or, l'activité que l'association se proposait d'exercer était clairement contraire à l'article 353-1-2° du Code pénal français et l'opposition à l'inscription de l'association constituait en l'espèce une mesure nécessaire à la prévention du délit considéré ; elle ne constituait donc pas une violation de l'article 11 (art. 11) de la Convention. La requérante quant à elle fait observer que, dans sa décision du 25 juillet 1980, le Conseil d'Etat a précisé que la possibilité pour le préfet de s'opposer à l'inscription des associations, "eu égard à l'atteinte qu'elle porte à la liberté d'association, ne saurait être interprétée comme autorisant le préfet à s'opposer à l'inscription d'une association pour des motifs étrangers aux nécessités de l'ordre public". La requérante en déduit que le Conseil d'Etat a estimé que la formalité de la déclaration préalable et de la possibilité d'opposition par l'administration est contraire à la liberté d'association. La requérante rappelle par ailleurs que le Conseil constitutionnel, saisi par le Président du Sénat, et appelé à examiner la conformité d'une loi visant à compléter les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901, relative aux contrats d'association, s'est prononcé comme suit le 16 juillet 1971 : "... 2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution, il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association, que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptible d'être prises à l'égard des catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire; 3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations non déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation, soumis au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution ont pour objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité judiciaire de leur conformité à la loi; 4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur faisant référence ...". La requérante en conclut que la loi applicable en Alsace-Moselle est contraire à la Constitution française, d'autant plus que c'est à l'administration qu'est attribué le pouvoir d'exercer le contrôle préalable. Elle relève encore qu'une association non inscrite n'a pas de pouvoir en tant que telle, ne peut passer de contrat, recevoir des dons, toutes opérations pour lesquelles la capacité juridique est nécessaire. La Commission constate que la première question qui surgit en l'espèce est celle de savoir si le fait que le préfet se soit opposé à l'inscription de l'association constitue une ingérence au sens de l'article 11 par. 1 (art. 11-1) de la Convention. Elle note que l'inscription d'une association conditionne, en droit local, l'attribution de la personnalité juridique à cette association, mais qu'une association non inscrite peut néanmoins se constituer librement et exercer certaines activités, de même qu'elle peut posséder un patrimoine par l'intermédiaire de ses membres. Les éléments fournis par les parties laissent subsister des doutes sur le point de savoir si l'impossibilité où l'association a été de s'inscrire l'a empêchée de poursuivre ses buts et a donc constitué une ingérence dans le droit de la requérante à la liberté d'association. La Commission estime toutefois que cette question peut rester ici indécise car, à supposer qu'il y ait eu ingérence, celle-ci aurait été justifiée, au sens du paragraphe 2 de l'article 11 (art. 11-2) de la Convention, pour les motifs exposés ci-après. Des restrictions à l'exercice du droit garanti sont en effet admissibles si elles sont "prévues par la loi" et "nécessaires, dans une société démocratique", pour atteindre l'un des buts légitimes énumérés à l'article 11 par. 2 (art. 11-2). Les mots "prévues par la loi" signifient non seulement que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne, mais également que la loi doit être accessible, prévisible et compatible avec la prééminence du droit. En l'espèce, la Commission note que la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a exclu expressément l'application de la législation française sur les associations. Sont donc en vigueur dans ces trois départements le Code civil local, la loi du 19 avril 1908 et l'ordonnance du 22 avril 1908. Or, c'est l'article 61 du Code civil local, dont la traduction est parue au Bulletin Officiel de 1925, qui prévoit le pouvoir d'opposition de l'autorité administrative (voir note (1) ci-dessus). Cette loi était accessible, prévisible et compatible avec la prééminence du droit, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la requérante. Quant à la légitimité du but poursuivi, la Commission considère que ce dernier était la prévention d'une infraction pénale, à savoir l'incitation à l'abandon d'enfant, réprimée par l'article 353-1-2° du Code pénal. Dès lors, la mesure prise peut être considérée comme visant l'un des buts légitimes de l'article 11 par. 2 (art. 11-2) et notamment la prévention du crime. Quant à la nécessité de la mesure, la Commission rappelle qu'elle implique un "besoin social impérieux" et que les Etats bénéficient dans ce domaine d'une certaine marge d'appréciation (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Handyside du 7.12.76, série A n° 24 p. 22, par. 48). Les buts de l'association étaient notamment la défense des intérêts moraux et matériels des "mères porteuses" et la promotion et la valorisation morale de cette démarche. Celle-ci se rattache à une pratique récente qui n'est actuellement régie par aucune loi et fait l'objet de controverses au sein de l'opinion publique. Dans de telles circonstances, l'absence d'opposition du préfet à l'inscription de l'association aurait pu apparaître comme une approbation implicite des autorités publiques à l'égard de cette pratique. Sans émettre d'opinion sur le fond de cette question, la Commission estime que l'opposition du préfet à l'inscription de l'association peut être considérée comme une mesure nécessaire, dans une société démocratique, compte tenu de la marge d'appréciation dont les Etats bénéficient en la matière. Cette mesure apparaît d'ailleurs comme d'effet limité, puisque la requérante n'a pas démontré que l'opposition faite à l'inscription de l'association a empêché celle-ci d'exercer toute activité. Elle n'était donc pas disproportionnée au but poursuivi. Il s'ensuit que, pour autant qu'il y ait eu ingérence dans le droit à la liberté d'association de la requérante, cette ingérence était justifiée au sens de l'article 11 par. 2 (art. 11-2) de la Convention. Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. La requérante se plaint également d'une discrimination au sens de l'article 14 combiné avec l'article 11 (art. 14+11) de la Convention. Elle soutient qu'il est contraire à l'article 14 (art. 14) de la Convention d'imposer en Alsace-Moselle une réglementation spécifique pour l'exercice de la liberté d'association. En effet, les autorités judiciaires ou administratives ne disposent pas, en vieille France, d'une procédure équivalant à l'opposition à l'inscription d'une association. L'article 14 (art. 14) de la Convention dispose : "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation." Le Gouvernement fait observer que ce grief n'a été soulevé ni formellement, ni en substance, devant les juridictions administratives françaises et que les voies de recours internes n'ont donc pas été épuisées. L'association s'est en effet exclusivement fondée, dans ses recours internes, sur le principe de la liberté d'association et aucunement sur le principe d'égalité ou de non-discrimination. Or, les deux griefs sont distincts et l'on ne saurait considérer que le second est englobé dans le premier. Le Conseil d'Etat n'a pas été saisi de la question de savoir si le maintien en Alsace-Moselle d'une législation spécifique en matière de droit d'association est compatible avec l'article 14 (art. 14) de la Convention, question qu'il aurait étudiée puisqu'il vérifie la conformité d'une loi antérieure à un traité international postérieur. La requérante fait observer qu'en invoquant le principe constitutionnel de la liberté d'association et en soulignant la contrariété de la loi locale avec ce principe, elle faisait ressortir une inégalité entre les individus quant à l'exercice de cette liberté, selon la situation géographique. Elle estime dès lors avoir épuisé les voies de recours internes. La Commission relève que la requérante a invoqué devant le tribunal administratif et le Conseil d'Etat le principe constitutionnel de la liberté d'association mais n'a pas invoqué l'article 14 (art. 14) de la Convention ou, de quelqu'autre manière, le principe d'égalité. Or, ces deux principes sont distincts et, dans le système de la Convention, se situent sur des plans différents. Invoquer la liberté d'association à propos de dispositions de la loi locale n'équivaut pas à soutenir que cette loi introduit une discrimination au détriment de la requérante, qui n'a d'ailleurs pas expliqué pourquoi il avait été choisi de placer l'association sous le régime qu'elle critique. Dans ces conditions, la Commission estime que la requérante n'a pas satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
3. La requérante se plaint également de ce que la procédure prévue par le Code civil local est contraire aux dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention puisqu'elle prive l'association du droit de se défendre et que le principe du contradictoire n'est respecté ni devant le tribunal d'instance, ni devant l'autorité administrative. Elle ajoute que le préfet a changé la motivation de sa décision et que le tribunal administratif et le Conseil d'Etat ont appliqué l'article 2 de la loi du 19 avril 1908, qui ne prévoit que la dissolution d'une association et non son interdiction préalable. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. ..." La Commission relève d'emblée qu'en l'espèce il n'y a pas eu de procédure devant le tribunal d'instance. Pour le surplus, et à supposer que la requérante puisse se prétendre "victime", au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, de la manière dont a été menée la procédure concernant l'inscription de l'association, la Commission note que l'association a pu, de manière contradictoire, combattre la décision du préfet devant deux juridictions administratives. Elle estime que les critiques de la requérante contre ces procédures ne sont pas étayées. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE quant au grief tiré de la violation de l'article 11 (art. 11) de la Convention, pris isolément ; à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire adjoint Le Président en exercice de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (S. TRECHSEL)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : LAVISSE
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission
Date de la décision : 05/06/1991
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 14223/88
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-06-05;14223.88 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award