La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/10/1991 | CEDH | N°11274/84

CEDH | AFFAIRE JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE
(Requête no11274/84)
ARRÊT
STRASBOURG
29 octobre 1991
En l’affaire Jan-Åke Andersson c. Suède*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 51 de son règlement** et composée des juges dont le nom suit:
MM.  J. Cremona, président,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
MM.  F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,r> C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
R. Pekkanen,...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE
(Requête no11274/84)
ARRÊT
STRASBOURG
29 octobre 1991
En l’affaire Jan-Åke Andersson c. Suède*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 51 de son règlement** et composée des juges dont le nom suit:
MM.  J. Cremona, président,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
MM.  F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
MM.  I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 avril et 26 septembre 1991,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") et le gouvernement du Royaume de Suède ("le Gouvernement"), les 8 et 28 juin 1990 respectivement, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (no 11274/84) dirigée contre la Suède et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jan-Åke Andersson, avait saisi la Commission le 16 octobre 1984 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Comme la requête du Gouvernement, elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).
3. Le 30 juin 1990, le président de la Cour a estimé qu’il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l’article 21 par. 6 du règlement et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’examen de la présente cause et de l’affaire Fejde3 (article 21 par. 6 du règlement).
La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention)4 (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Toujours le 30 juin 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. F. Gölcüklü, M. J. Pinheiro Farinha, M. R. Bernhardt, M. J. De Meyer, M. S.K. Martens et M. J.M. Morenilla, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du Gouvernement, la déléguée de la Commission et l’avocat du requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues, le greffier a reçu: le 8 octobre 1990, le mémoire du Gouvernement; les 8 et 22 avril 1991, les demandes du requérant au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention; les 15 mars et 22 avril 1991, certaines pièces du dossier de la Commission. Par une lettre du 12 novembre 1990, le secrétaire de celle-ci l’a informé que la déléguée s’exprimerait à l’audience.
5. Le 15 novembre 1990, le président a fixé au 22 avril 1991 la date de celle-ci après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).
6. Le 23 novembre 1990, la chambre unanime a résolu de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière (article 51).
7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. H. Corell, ambassadeur,
sous-secrétaire aux Affaires juridiques et consulaires,  
ministère des Affaires étrangères,  agent,
Mme A.-S. Broqvist, conseiller juridique,
ministère de la Justice,
Mme E. Jagander, conseiller juridique,
ministère des Affaires étrangère,  conseillers;
- pour la Commission
Mme G.H. Thune,  déléguée;
- pour le requérant
Me C. Arnewid, avocat,  conseil,
Me L. Hök, avocat,  conseiller.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, M. Corell pour le Gouvernement, Mme Thune pour la Commission et Me Arnewid pour le requérant.
8. La délibération finale a eu lieu sous la présidence de M. le vice-président Cremona qui remplaçait M. Ryssdal, empêché (article 9 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. M. Jan-Åke Andersson, ingénieur de nationalité suédoise, réside à Torsås dans le sud-ouest de la Suède.
10. Le 26 février 1983, alors qu’il conduisait un tracteur sur une grand-route (motortrafikled), l’inspecteur de police B. le contraignit à s’arrêter au motif que l’ordonnance de 1972 sur la circulation (vägtrafikkungörelsen no 603 de 1972 - "l’ordonnance de 1972") interdisait pareille route à ce type de véhicules. Le requérant refusa de payer une amende, affirmant n’avoir vu aucun panneau signalant la catégorie de la voie ou l’interdiction en question.
11. Assigné le 17 mai 1983 devant le tribunal de première instance (tingsrätten) de Ronneby, M. Andersson se vit inculper d’infraction aux articles 139 et 144 de l’ordonnance de 1972.
Dans une lettre au tribunal, il déclara escompter que le parquet convoquerait comme témoins certains fonctionnaires de police, dont l’inspecteur B., puisqu’il ne pouvait se permettre d’en citer lui-même. Le parquet devait aussi, selon lui, fournir les bulletins météorologiques officiels pertinents (voir les extraits du jugement du tribunal de première instance figurant au paragraphe 12 ci-dessous). Il invitait encore le tribunal à lui désigner un avocat d’office.
Le tribunal écarta cette demande le 8 juin 1983, au motif qu’il s’agissait d’une affaire simple et que le prévenu était en mesure de se défendre personnellement. Le 15, la cour d’appel (hovrätten) de Skåne et Blekinge débouta l’intéressé de son recours contre cette décision. Aucun autre recours ne s’offrait à lui.
12. Le 21 septembre 1983, le tribunal entendit en audience publique (huvudförhandling) le requérant et l’inspecteur B., mais n’ordonna pas la production des bulletins météorologiques pertinents. Le même jour, il jugea M. Andersson coupable et lui infligea une amende de 400 couronnes suédoises. Il relevait notamment:
"[L’inculpé] a contesté sa responsabilité pénale et affirmé ce qui suit. Il se rendait de Hässleholm à Torsås au volant d’un tracteur qu’il venait d’acheter. Il était allé avec son père à Hässleholm le matin même; au retour, ils empruntèrent, entre autres, la même route. Le brouillard était déjà très dense le matin et [l’inculpé] n’observa rien de spécial au sujet de la route pendant le parcours. Il ignore la notion de ‘motortrafikled’. A son arrivée sur la ‘motortrafikled’ à l’ouest de Karlshamn, le brouillard était si épais qu’il n’aperçut aucun panneau de signalisation attirant son attention. Il ne connaissait donc pas la qualification de la route sur laquelle il conduisait et même s’il avait remarqué un panneau portant la mention ‘motortrafikled’, il n’aurait pas su pour autant quelles restrictions en résultaient pour la circulation de certains véhicules.
L’inspecteur de police B., entendu comme témoin, a fourni un seul renseignement: le temps était normal dans la région de Ronneby, sans le moindre brouillard.
[L’inculpé] - qui conduisait de la manière indiquée par le procureur - a franchi une longue distance en tracteur et aurait donc dû prêter une attention particulière aux règles applicables à la conduite d’un tel véhicule. La circonstance que le temps était brumeux ne le dégage pas de ses obligations de conducteur. Il échet donc de le déclarer coupable de l’infraction qui lui est reprochée."
13. Le 4 octobre 1983, le requérant attaqua le jugement devant la cour d’appel de Skåne et Blekinge. Il prétendait que la procédure de première instance avait été "déséquilibrée", que de nombreuses "interruptions" du juge l’avaient empêché de suivre les débats et de plaider sa cause de manière satisfaisante, que l’amende était beaucoup trop forte et que le tribunal avait perdu de vue le défaut de certains panneaux de signalisation.
Dans sa réponse du 31 octobre 1983, le parquet, se référant aux éléments communiqués au tribunal, maintint que M. Andersson était coupable et estima une nouvelle audience superflue. Le 2 novembre, la cour d’appel adressa une copie de cette réponse à l’intéressé. Elle précisait que comme elle pouvait statuer sans nouveaux débats, il avait la faculté de formuler des observations écrites finales dans les deux semaines.
Il en déposa le 9 novembre 1983. Il y invitait la cour à prendre en compte l’absence de certains panneaux, les conditions météorologiques et le fait qu’une voiture de police banalisée l’avait dépassé sans l’avertir. Il réclamait des débats publics à Karlskrona, l’audition de l’inspecteur de police B. en qualité de témoin et l’examen des bulletins météorologiques pertinents. Il sollicitait en outre l’assistance judiciaire gratuite, car il avait besoin d’un défenseur mais ne pouvait en rémunérer un.
14. La cour d’appel écarta les demandes du requérant et se prononça sur dossier. Dans son arrêt du 10 février 1984, confirmant les constatations du tribunal de première instance, elle déclara:
"Les photos présentées montrent que la nature de ‘motortrafikled’ de la route en cause ressortait bel et bien de panneaux de signalisation appropriés et visibles à Stensnäs. Dès lors, et comme [le prévenu] a néanmoins piloté le tracteur sur [la route] de Stensäs à Sörby, il a commis l’infraction dont on l’accuse."
15. Alléguant que la procédure d’appel, très "déséquilibrée", n’avait pas respecté les droits de l’homme, M. Andersson voulut saisir la Cour suprême (högsta domstolen), mais le 26 avril 1984 elle refusa de l’y autoriser.
16. Les lois de 1949 sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen) et de 1980 sur le secret (sekretesslagen) renferment, en matière d’accès du public aux documents officiels, des clauses en vertu desquelles ce dernier pouvait consulter les dossiers des juridictions concernées.
II. LE CODE DE PROCÉDURE JUDICIAIRE
17. D’après le chapitre 21 du code de procédure judiciaire, les juridictions inférieures ne se prononcent pas au pénal, en principe, sans que l’accusé ait pu se défendre lors d’une audience contradictoire. Il existe pourtant des exceptions, surtout en appel. Ainsi, le chapitre 51 du même code disposait à l’époque en son article 21 (amendé depuis lors avec effet au 1er juillet 1984):
"La cour d’appel peut statuer sans audience si le parquet interjette appel dans le seul intérêt du prévenu ou si la partie adverse se rallie à l’appel de ce dernier.
L’affaire peut se trancher sans audience si le tribunal de première instance a relaxé le prévenu, ou a dispensé de peine le coupable, ou l’a déclaré exempt de peine en raison de troubles mentaux, ou l’a condamné à une amende ou à une sanction pécuniaire (vite) et s’il n’y a pas lieu d’imposer une sanction plus lourde que celles mentionnées ci-dessus ni d’en infliger une autre (...)."
18. La cour d’appel connaît du fait comme du droit, mais sa plénitude de juridiction a ses limites. D’après l’article 23 du chapitre 51, par exemple, elle ne peut en principe modifier au détriment du prévenu l’appréciation des preuves opérée en première instance sans que celles-ci soient produites devant elle; en son article 25 (tel que l’ont amendé les lois no 22 et 228 de 1981), le chapitre 51 lui interdit d’infliger sur appel du prévenu, ou du parquet dans l’intérêt du prévenu, une peine pouvant passer pour plus lourde que celle prononcée en première instance.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
19. Dans sa requête du 16 octobre 1984 à la Commission (no 11274/84), le requérant, invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, se plaignait de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions suédoises (paragraphes 12-15 ci-dessus). Il se prétendait aussi victime d’un traitement discriminatoire. En outre, affirmait-il, on n’avait pas établi qu’il eût délibérément accompli l’infraction dont il s’agit.
20. Le 10 juillet 1989, la Commission a retenu le grief selon lequel la cause n’avait pas été "entendue équitablement [et] publiquement", au sens de l’article 6 (art. 6); elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
Dans son rapport du 15 mars 1990 (article 31) (art. 31) elle conclut, par dix-sept voix contre deux, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
EN DROIT
21. D’après M. Andersson, la cour d’appel, en décidant d’examiner son recours sans audience publique bien qu’il en eût sollicité une, a enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [et] publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)"
22. Les modalités d’application de l’article 6 (art. 6) en appel varient selon les particularités de la procédure considérée; il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel (voir, en dernier lieu, l’arrêt Ekbatani du 26 mai 1988, série A no 134, p. 13, par. 27).
23. La Cour constate d’emblée qu’une audience publique eut lieu en première instance. Comme dans plusieurs affaires antérieures, elle doit rechercher surtout si, dans les circonstances de l’espèce, les particularités de la procédure nationale, envisagée en bloc, justifiaient une dérogation au principe d’une audience publique (voir, entre autres, le même arrêt, p. 13, par. 28).
Pour le savoir, il échet d’étudier la nature du système d’appel suédois, l’étendue des pouvoirs de la cour d’appel et la manière dont les intérêts du requérant furent réellement exposés et protégés devant elle, eu égard notamment à l’objet des questions qu’elle avait à trancher (ibidem, p. 14, par. 33).
Or il y a désaccord entre les comparants sur la façon dont il convient d’utiliser ce critère en l’occurrence.
24. La Commission souligne que la cour d’appel avait à connaître des faits comme du droit et à se livrer à une appréciation complète de la culpabilité ou innocence de l’intéressé. De plus, elle ne se fonda pas uniquement sur le dossier du tribunal de première instance: les deux parties eurent la possibilité, dont elles se prévalurent, de lui adresser par écrit des observations complémentaires. Partant, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) commandait en appel une audience publique à laquelle M. Andersson pût assister s’il le voulait.
A l’appui de cette conclusion, la Commission relève que le droit du prévenu à une audience publique ne représente pas seulement une garantie de plus que l’on s’efforcera d’établir la vérité: il contribue également à convaincre l’accusé que sa cause a été entendue par un tribunal dont il pouvait contrôler l’indépendance et l’impartialité. En outre, il découlerait de l’objet et du but de l’article 6 (art. 6) considéré en bloc; spécialement, les droits, protégés par les alinéas c) et d) du paragraphe 3 (art. 6-3-c, art. 6-3-d), à se défendre en personne ou à interroger ou faire interroger des témoins, ne sauraient s’exercer en l’absence du prévenu. La Commission rappelle aussi à cet égard que l’exigence d’un procès équitable et public, visée à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique; par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à préserver la confiance dans celle-ci. De surcroît, la publicité des audiences destinées à élucider les questions de culpabilité et d’innocence fournirait au public le moyen de bien s’informer et de suivre la marche des instances.
25. Selon le Gouvernement, l’ampleur de la compétence de la cour supérieure n’est pas déterminante comme l’affirme la Commission. Même dans l’hypothèse d’une cour jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne consacrerait pas le droit à une audience contradictoire en appel quand, comme en l’espèce, il s’agit d’une infraction mineure, que les faits ne soulèvent aucune contestation importante pour l’appréciation de la culpabilité, qu’il ne s’impose donc pas de vérifier la crédibilité des personnes en cause et que la cour ne peut aggraver la peine prononcée en première instance. En pareil cas, le contrôle effectif de l’impartialité de l’administration de la justice se trouverait assuré, notamment, par le respect du principe de l’égalité des armes et par la publicité de la procédure, en l’occurrence par l’accès du public au dossier. Les alinéas c) et d) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-c, art. 6-3-d) ne dicteraient pas une interprétation plus stricte du droit à être entendu "équitablement et publiquement".
26. Le requérant adhère au raisonnement de la majorité de la Commission et ajoute que les débats tendent à un objectif particulier: permettre aux juges de se forger leur propre opinion sur le comportement et la personnalité du prévenu, afin de rendre une décision juste et peut-être d’adapter la peine.
27. La Cour reconnaît pleinement la valeur de la publicité de la procédure judiciaire pour des raisons du genre de celles qu’indique la Commission (voir notamment l’arrêt Axen du 8 décembre 1983, série A no 72, p. 12, par. 25). Elle ne saurait pourtant conclure, même dans l’hypothèse d’une cour d’appel investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 (art. 6) implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. La publicité constitue certes l’un des moyens de préserver la confiance dans les tribunaux, mais d’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics correspondent à un besoin après le procès en première instance.
Dès lors, pourvu que de tels débats aient eu lieu pendant celui-ci, leur absence aux deuxième ou troisième degrés peut se justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s’agit. Ainsi, les procédures d’autorisation d’appel, ou consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait, peuvent remplir les conditions de l’article 6 (art. 6) même si la cour d’appel ou de cassation n’a pas donné au requérant la faculté de s’exprimer en personne devant elle (voir, entre autres, l’arrêt Ekbatani précité, série A no 134, p. 14, par. 31).
28. Dans l’affaire Ekbatani précitée, la Cour avait à rechercher comment l’exigence d’une audience publique devait s’appliquer en appel devant une cour dotée de la plénitude de juridiction. Le requérant niait les faits à la base de l’accusation portée contre lui. Le tribunal de première instance le condamna pourtant sur la foi des dépositions du plaignant. Pour la cour d’appel, il s’agissait donc surtout de se former une opinion sur la crédibilité de l’un et de l’autre. Elle décida néanmoins, sans débats publics, de confirmer la sentence du tribunal. Après avoir examiné les circonstances particulières de la cause, la Cour a estimé que la question de la culpabilité ou de l’innocence de M. Ekbatani "ne pouvait bien se résoudre, aux fins d’un procès équitable, sans une appréciation directe des témoignages personnels du requérant (...) et du plaignant". Elle en a déduit que "le réexamen, par la cour d’appel, de la déclaration de culpabilité que contestait M. Ekbatani aurait (...) dû comporter une nouvelle audition intégrale des deux intéressés" (série A no 134, p. 14, par. 32).
29. La cour d’appel saisie par M. Andersson jouissait également de la plénitude de juridiction, mais la présente cause se distingue de l’affaire Ekbatani par la nature des questions à trancher.
M. Andersson concédait avoir accompli l’acte prohibé, la conduite d’un tracteur sur une grand-route. Dans son recours, il se bornait à prétendre que les circonstances de l’infraction la rendaient non punissable (paragraphe 13 ci-dessus). Il alléguait d’abord l’absence de certains panneaux de signalisation, mais la cour d’appel écarta l’argument sur la foi des photographies versées au dossier. Il invoquait en outre les mauvaises conditions météorologiques; le tribunal de première instance avait ouï des témoins sur ce point aussi, mais avait conclu qu’il n’y avait pas là un élément propre à dégager le prévenu de ses obligations de conducteur. Pour autant que M. Andersson se plaint de sa peine (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour note qu’il se vit infliger une simple amende modique de montant fixe.
Le recours ne soulevait donc aucune question de fait ou de droit qui ne pût se résoudre de manière adéquate sur la base du dossier. Compte tenu encore du caractère mineur de l’infraction litigieuse, ainsi que de l’interdiction d’aggraver la peine (paragraphe 18 ci-dessus), la cour d’appel pouvait, aux fins d’un procès équitable, décider à bon droit de se prononcer sans que l’intéressé eût eu l’occasion de présenter sa thèse en audience publique.
30. Vu l’ensemble de la procédure devant les juridictions suédoises et la nature des questions soumises à la cour d’appel, la Cour conclut à l’existence de particularités capables de justifier le refus au requérant de débats publics. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par treize voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 29 octobre 1991.
John CREMONA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion dissidente de M. Cremona;
- opinion dissidente de MM. Walsh, Russo, Spielmann, De Meyer, Loizou et Bigi.
J. C.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CREMONA
(Traduction)
Je ne puis me rallier en l’espèce à la majorité de mes collègues.
En bref, je dirai que la juridiction interne d’appel avait ici à connaître des faits comme du droit, pour apprécier pleinement la culpabilité ou l’innocence du requérant. Tant les faits que l’application de la loi à ceux-ci prêtaient selon moi à controverse, à des degrés divers.
Dès lors, pour cadrer avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le réexamen de la condamnation du requérant par la cour d’appel exigeait une audience publique. Pareils débats n’ayant pas été autorisés, il y a eu à mes yeux violation de ce texte.
J’ajouterai qu’il me paraît difficile, dans le contexte d’un procès équitable, de distinguer, à l’instar de la majorité, entre caractère mineur et majeur de l’infraction. Pour les intéressés, que cette disposition de la Convention tend à protéger, toutes les affaires ont leur importance.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À MM. LES JUGES WALSH, RUSSO, SPIELMANN, DE MEYER, LOIZOU ET BIGI
Pour les motifs énoncés dans les paragraphes 47 à 50 du rapport de la Commission et résumés dans le paragraphe 24 de l’arrêt, nous estimons qu’en l’espèce le réexamen, par la cour d’appel, de la déclaration de culpabilité contestée par M. Andersson exigeait une audience publique.
* L'affaire porte le n° 35/1990/226/290.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
3 Affaire n° 36/1990/227/291.
4 Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 212-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE
ARRÊT JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE
ARRÊT JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CREMONA
ARRÊT JAN-AKE ANDERSSON c. SUÈDE
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À MM. LES JUGES WALSH, RUSSO, SPIELMANN, DE MEYER, LOIZOU ET BIGI


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 11274/84
Date de la décision : 29/10/1991
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Non-violation de l'Art. 6-1

Parties
Demandeurs : JAN-AKE ANDERSSON
Défendeurs : SUÈDE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-10-29;11274.84 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award