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30/10/1991 | CEDH | N°11796/85

CEDH | AFFAIRE WIESINGER c. AUTRICHE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE WIESINGER c. AUTRICHE
(Requête no11796/85)
ARRÊT
STRASBOURG
30 octobre 1991
En l’affaire Wiesinger c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  J. Cremona, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
S

ir  Vincent Evans,
MM.  A. Spielmann,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
ainsi que de MM. ...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE WIESINGER c. AUTRICHE
(Requête no11796/85)
ARRÊT
STRASBOURG
30 octobre 1991
En l’affaire Wiesinger c. Autriche*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  J. Cremona, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
Sir  Vincent Evans,
MM.  A. Spielmann,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 avril et 24 septembre 1991,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 11 juillet 1990, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 11796/85) dirigée contre la République d’Autriche et dont deux citoyens de cet État, M. Konrad et Mme Klara Wiesinger, avaient saisi la Commission le 12 août 1985, en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1), pris isolément et combiné avec l’article 14 (art. 14+P1-1) de la Convention.
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, les requérants ont exprimé le désir de participer à l’instance et désigné leur conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir MM. J. Cremona, Thór Vilhjálmsson, L.-E. Pettiti, N. Valticos, I. Foighel, R. Pekkanen et A.N. Loizou, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, Sir Vincent Evans, suppléant, a remplacé M. Valticos, empêché (article 24 par. 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier adjoint l’agent du gouvernement autrichien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l’avocat des requérants au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à ses ordonnances et directives, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 24 janvier 1991, puis, les 7 février et 22 mars 1991, les prétentions de M. et Mme Wiesinger au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention, rédigées en allemand ainsi que le président y avait consenti (article 27 par. 3). Le 16 avril, le secrétaire de la Commission a produit plusieurs documents que le greffier avait sollicités sur les instructions du président.
5. Le 9 octobre 1990, le président avait fixé au 22 avril 1991 la date de l’audience après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier adjoint (article 38).
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. W. Okresek, chancellerie fédérale,  agent,
F. Haug, ministère des Affaires étrangères,
J. Jöstl, président
de la Commission suprême de la réforme agraire,  
conseillers;
- pour la Commission
M. H.G. Schermers,  délégué;
- pour les requérants
Me P. Wiesauer, avocat,  conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, MM. Okresek et Haug pour le Gouvernement, M. Schermers pour la Commission et Me Wiesauer pour les requérants.
7. La délibération finale a eu lieu sous la présidence de M. le vice-président Cremona qui remplaçait M. Ryssdal, empêché; M. A. Spielmann, qui avait assisté aux débats en qualité de suppléant, est devenu membre effectif de la chambre (articles 21 par. 5, 22 par.1 et 24 par. 1 du règlement).
EN FAIT
8. M. Konrad Wiesinger et son épouse Klara sont des agriculteurs autrichiens établis à Hartkirchen en Haute-Autriche. Ils se plaignent d’opérations de remembrement Zusammenlegungsverfahren) que leurs terres ont subies depuis juillet 1975.
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les opérations de remembrement
9. Le 22 juillet 1975, l’autorité agricole de district (Agrarbezirksbehörde, "l’Autorité de district") de Linz engagea le processus de remembrement de Hacking, en application de l’article 29 de la loi de Haute-Autriche de 1972 sur l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetz, "la loi de 1972"). Touchant au moins 67 propriétaires, l’opération concernait environ 172 hectares, dont la propriété des requérants à Hartkirchen.
Le 15 juillet 1976, M. et Mme Wiesinger firent une "déclaration de voeux" (Wunschaufnahme) exprimant le souhait de recevoir des parcelles proches de leur ferme. Le 13 août 1976, l’Autorité de district adopta le plan d’évaluation des terres, contre lequel ils n’exercèrent pas de recours.
10. Le 13 octobre 1978, elle ordonna le transfert provisoire des parcelles compensatoires (Grundabfindungen) sur la base d’un projet de plan de remembrement (Neueinteilungsplan), conformément à l’article 22 de la loi de 1972 (paragraphe 36 ci-dessous). Les requérants avaient consenti à ce projet, qui leur allouait une parcelle de 23 219 m² jouxtant leur exploitation, et n’attaquèrent pas la décision de transfert. Tout en perdant la propriété de leurs terres - y compris les cinq parcelles mentionnées au paragraphe 12 ci-dessous -, qui revint à l’association des propriétaires (paragraphe 33 ci-dessous), ils acquirent provisoirement celle de certaines parcelles sous condition résolutoire: le plan définitif de remembrement les en priverait s’il ne leur en confirmait pas l’attribution (article 22 de la loi de 1972).
B. La modification du plan de zonage de Hartkirchen
11. Le 1er septembre 1978, le conseil municipal de Hartkirchen avait adopté un plan de zonage (Flächenwidmungsplan, paragraphes 42-43 ci-dessous) que le gouvernement du Land approuva le 10 octobre. La propriété des Wiesinger, touchée par le remembrement, y conservait son caractère agricole bien que certaines parcelles voisines eussent été reconverties en terrains à bâtir en 1976 et 1978.
12. À la demande des nouveaux propriétaires (provisoires), le conseil municipal modifia le plan de zonage le 16 novembre 1979. Il qualifia de terrains à bâtir cinq parcelles, d’une superficie de 25 206 m², qui avaient appartenu aux requérants. Le 16 avril 1980, le gouvernement du Land entérina la décision, laquelle devint définitive le 6 mai.
Par la suite, les cinq parcelles furent divisées en lots et vendues à plusieurs personnes qui se virent accorder des permis d’y construire.
C. La procédure engagée par les requérants à la suite de la modification du plan de zonage
13. Le 10 août 1982, M. et Mme Wiesinger demandèrent à l’Autorité de district de leur rendre les cinq parcelles en les soustrayant au remembrement. Selon eux, il s’agissait désormais de terres de valeur spéciale que la loi laissait en principe aux propriétaires antérieurs. A titre subsidiaire, ils sollicitaient l’octroi de terrains à bâtir ou d’une indemnité (Geldwertentschädigung). Ils réclamaient en même temps une réparation pécuniaire (Schadensersatz): ils affirmaient avoir subi, en raison de l’impossibilité de vendre eux-mêmes les cinq parcelles après la modification du plan de zonage, une perte d’intérêts (Zinsverlust) qu’ils chiffraient à 1 600 000 schillings autrichiens en partant d’un prix de 400 schillings par mètre carré et d’un taux d’intérêt de 10 %.
14. L’Autorité de district répondit par une lettre du 17 janvier 1983. Renvoyant à la loi de Haute-Autriche de 1979 sur l’aménagement des terres agricoles ("la loi de 1979"), qui avait remplacé celle de 1972, elle relevait qu’il fallait présenter les demandes d’indemnité dans un délai de six mois à compter du moment où le plan de remembrement devenait définitif (article 20 par. 6, paragraphe 37 ci-dessous). Elle priait donc les requérants d’attendre la publication du plan, prévue pour le mois de juillet.
15. Estimant que l’Autorité de district n’avait pas tranché dans le délai légal de six mois les questions qu’ils lui avaient soumises, les époux Wiesinger invitèrent, le 23 août 1983, la Commission régionale de la réforme agraire (Landesagrarsenat, "la Commission régionale") à statuer (article 73 de la loi générale sur la procédure administrative, Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz, paragraphe 41 ci-dessous).
Elle se prononça le 17 novembre. Elle rejeta la demande tendant à exclure les cinq parcelles du remembrement: pour atteindre leurs buts, les opérations devaient englober les terres en question, et la circonstance qu’il s’agissait désormais de lots à bâtir n’y changeait rien. Quant aux autres réclamations des requérants, elle trouva justifié le refus de l’Autorité de district de trancher, leur bien-fondé ne pouvant s’apprécier qu’une fois le plan de remembrement devenu définitif. Elle enjoignit à l’Autorité de district de ne plus approuver ou autoriser le morcellement des terres en cause et de ne consentir désormais ni à des conversions en terrains à bâtir ni à la délivrance de permis de construire.
16. Les Wiesinger saisirent la Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat, "la Commission suprême"). Le 1er février 1984, elle déclara leur recours irrecevable; la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), puis la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) confirmèrent sa décision les 27 juin et 25 septembre 1984.
17. Dès le 10 janvier 1984, les requérants avaient attaqué la décision de la Commission régionale du 17 novembre 1983 (paragraphe 15 ci-dessus) directement devant la Cour administrative. Elle statua le 20 mars 1984. Tout en confirmant la décision incriminée quant au refus de leur rendre les cinq parcelles, elle leur donna gain de cause pour le surplus: l’Autorité de district ne s’étant pas prononcée sur leurs demandes subsidiaires dans le délai légal de six mois, la Commission régionale aurait dû trancher elle-même.
18. Saisie derechef, la Commission régionale statua le 18 octobre 1984. Selon elle, la loi de 1979 ne permettait pas l’octroi d’une indemnité au titre du préjudice allégué: elle prévoyait que les propriétaires de lots de valeur spéciale couverts par un remembrement devraient en principe être dédommagés par l’attribution de terres de même nature. Quant aux terrains à bâtir réclamés par les Wiesinger, la Commission releva que le transfert provisoire des parcelles empêchait pour le moment d’en modifier la répartition. Il ne préjugeait cependant pas le plan de remembrement qui réglerait définitivement la question des terres de valeur spéciale. D’autre part, seul le plan de zonage de Hartkirchen indiquait les lots à bâtir et il existait ainsi un lien indissoluble entre lui et la question de la compensation légale pour les terres de valeur spéciale. Le zonage, qui relevait de la compétence des communes et non des autorités agricoles, constituait donc un préalable. Or le conseil municipal de Hartkirchen avait exprimé l’intention de convertir en terrains à bâtir quelques-unes des parcelles compensatoires attribuées aux requérants, mais n’en avait jusque-là fixé ni l’étendue ni l’emplacement. La Commission régionale conclut qu’elle ne pouvait se prononcer sur le fond qu’à la suite d’un appel contre le plan de remembrement, une fois celui-ci adopté et publié.
19. Là-dessus, M. et Mme Wiesinger saisirent la Cour constitutionnelle. Le 24 juin 1985, elle refusa d’examiner leur recours, l’affaire ne soulevant aucune question spécifique de droit constitutionnel, et renvoya la cause à la Cour administrative ainsi qu’ils l’y invitaient en ordre subsidiaire.
20. La Cour administrative les débouta le 19 novembre 1985. Elle nota d’abord qu’ils avaient obtenu les parcelles souhaitées par eux-mêmes et qui demeuraient qualifiées de terres agricoles. Ils n’avaient donc subi aucun inconvénient temporaire leur ouvrant droit à réparation. Sans doute le plan de zonage avait-il reclassé une partie de leurs anciennes terres après leur transfert provisoire, mais le plan de remembrement, qui devait assurer la compensation prévue par la loi, aurait à prendre en compte tout changement de la valeur des terrains en cours de procédure, par exemple à la suite d’un nouveau plan de zonage comme en l’occurrence. Partant, la décision attaquée n’était pas illégale.
D. La procédure engagée par les requérants pour accélérer les opérations de remembrement
21. Se référant à l’article 7a par. 4 de la loi fédérale de 1950 sur la procédure agricole (Agrarverfahrensgesetz, "la loi fédérale de 1950"), qui prescrit la publication du plan de remembrement au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles, les requérants avaient demandé à la Commission régionale, dès le 17 janvier 1984, de s’emparer du dossier en vertu de l’article 73 de la loi générale sur la procédure administrative (paragraphes 37 et 41 ci-dessous).
Elle s’y refusa le 7 juin: elle ne s’estimait habilitée à adopter le plan de remembrement que si l’inobservation du délai légal de trois ans découlait exclusivement d’une faute de l’Autorité de district, ce qui n’était pas le cas.
Depuis le transfert provisoire, l’Autorité de district s’était employée avec constance à préparer ledit plan. Son travail avait connu des retards en raison, notamment, du tracé d’une nouvelle route nationale traversant la zone et des voies d’accès à celle-ci, mesures qui avaient obligé à reconsidérer la situation de 43 propriétaires. En outre, beaucoup de pièces du dossier avaient dû rester quelques mois à la Commission régionale pour les besoins de l’examen du recours d’un propriétaire; de même, celui que les Wiesinger avaient introduit le 23 août 1983 avait exigé l’envoi du dossier à la Commission régionale, puis à la Commission suprême et à la Cour administrative, empêchant ainsi toute décision dans l’intervalle. L’Autorité de district aurait pu arrêter et publier le plan de remembrement dès 1983 si le changement du plan de zonage de Hartkirchen n’avait pas rendu nécessaires de nouvelles réflexions, enquêtes et consultations. Pour accélérer l’adoption définitive du premier, elle en avait discuté avec la commune de Hartkirchen dès le 8 septembre 1983, puis avec les organes compétents dans le domaine de l’aménagement du territoire les 25 janvier, 22 février, 5 mars et 10 avril 1984.
Comme le plan de zonage n’était toujours pas arrêté, on n’avait pu adopter le plan de remembrement car l’Autorité de district n’était pas encore en mesure de déterminer si la répartition des terres assurait aux intéressés une compensation légale suffisante au regard des critères de la loi. En outre, les principes d’une saine administration commandaient de ne pas arrêter le plan de remembrement avant le plan de zonage. La conduite de l’Autorité de district se justifiait donc. L’article 38 de la loi générale sur la procédure administrative permettait de suspendre (aussetzen) une procédure jusqu’à la décision définitive sur une question préliminaire faisant l’objet d’une autre instance; en l’occurrence, le zonage constituait une question préliminaire pour la procédure de remembrement.
22. Les requérants saisirent la Commission suprême qui les débouta le 6 mars 1985.
Elle commença par confirmer la décision de la Commission régionale selon laquelle la compétence de celle-ci pour adopter un plan de remembrement valait pour le seul cas où l’inobservation du délai légal de trois ans découlait exclusivement d’une faute de l’Autorité de district. D’après la jurisprudence constante de la Cour administrative, on ne pouvait parler d’une telle faute si le retard résultait du comportement de l’une des parties ou d’un obstacle insurmontable. En l’espèce, nul ne reprochait aux requérants une attitude critiquable, mais on ne pouvait pas non plus imputer à l’Autorité de district le dépassement du délai susmentionné. Pendant toute la procédure de remembrement, elle devait prendre en compte les plans de zonage et leurs éventuelles modifications. Il était donc impossible, et même contraire aux principes d’une saine administration, d’arrêter un plan de remembrement quand il n’existait aucun plan définitif d’aménagement du territoire ou de zonage et que se poursuivaient des négociations destinées à en établir un. Même avant le dépôt du recours des Wiesinger, l’autorité compétente avait mené de nouvelles inspections du terrain et eu des contacts avec la commune de Hartkirchen, qui envisageait de convertir en terrains à bâtir quelques parcelles attribuées aux intéressés. Dans ces conditions, il ne se justifiait pas d’adopter un plan de remembrement qui serait probablement vicié dès le départ si la commune modifiait ultérieurement le plan de zonage. La mise au point de ce dernier constituait en effet un préalable à l’adoption du plan de remembrement. Pour toutes ces raisons, l’Autorité de district avait bien fait de suspendre la procédure en attendant la décision définitive de la commune; la responsabilité du retard pris par la procédure de remembrement ne pesait pas sur elle.
23. M. et Mme Wiesinger attaquèrent cette décision devant la Cour constitutionnelle qui, le 23 novembre 1985, refusa d’examiner leur recours, par les mêmes motifs que le 24 juin (paragraphe 19 ci-dessus), et renvoya la cause à la Cour administrative conformément à leurs conclusions subsidiaires.
La Cour administrative les débouta le 8 avril 1986. Elle approuva notamment la Commission régionale d’avoir décliné sa compétence, car le dépassement du délai légal n’était pas dû à la seule Autorité de district. En outre, les réclamations des intéressés quant à la nature et à l’étendue des parcelles compensatoires concernaient la question de l’indemnisation légale, à trancher par le plan de remembrement.
E. Le plan de remembrement
24. L’Autorité de district publia le plan de remembrement le 16 juillet 1986 (paragraphe 37 ci-dessous); il rendait aux Wiesinger 9 680 m² de leurs anciennes terres et leur accordait des lots d’une superficie de 19 909 m², classés comme zone susceptible d’être convertie en terrains à bâtir (Bauerwartungsland). Elle rappela qu’ils avaient déjà perçu, en 1974, une indemnité pour certaines parcelles qu’ils avaient dû céder pour les besoins de la construction de la nouvelle route nationale. Elle rejeta leur demande de dédommagement pour la plus-value de leurs anciennes terres à la suite du reclassement de celles-ci, s’agissant d’un élément pris en considération lors de l’attribution définitive des parcelles compensatoires. Enfin, elle constata qu’ils n’avaient subi aucun préjudice temporaire et n’avaient droit à aucune réparation financière.
25. Les requérants attaquèrent le plan devant la Commission régionale. Selon eux, les terres qu’ils avaient reçues pour finir ne valaient pas autant que leurs anciennes propriétés; ils avaient souffert une perte supérieure à 4 000 000 schillings.
26. Les diverses autorités agricoles recherchèrent d’abord un règlement amiable: l’Autorité de district du 20 octobre 1986 au 8 juillet 1987, au cours de douze réunions, puis la Commission régionale du 28 septembre 1987 au 28 août 1989, par dix-huit rencontres avec les parties concernées, les autorités locales, l’administration des ponts et chaussées, ainsi que l’institution de contrôle de la classification des terrains. A ces occasions, la Commission régionale invita la commune compétente à reconvertir en lot à bâtir une certaine parcelle qu’elle destinait aux requérants.
Les efforts ainsi déployés n’aboutirent cependant pas.
27. Après leur échec, la Commission régionale tint une audience le 28 septembre 1989.
Le 24 janvier 1990, elle accueillit en partie le recours des Wiesinger: elle leur alloua une fraction de leurs anciennes terres, désormais reclassées, et d’autres lots convertis ou à convertir en sites industriels. Par contre, elle rejeta derechef leur demande de dédommagement pécuniaire.
28. Les requérants se pourvurent devant la Commission suprême, qui les débouta le 5 décembre 1990.
Après avoir examiné en détail leurs doléances, elle conclut qu’ils avaient reçu des parcelles compensatoires d’une valeur égale à celle de leurs propriétés d’antan, comme le voulait la loi de 1979. La décision incriminée ne portait donc pas atteinte à leurs droits. On pouvait d’ailleurs affirmer, si l’on comparait la nouvelle situation de l’agriculture de la région avec l’ancienne, que le plan de remembrement avait réussi et avait atteint ses objectifs.
Entre temps, les requérants avaient saisi la Cour constitutionnelle; elle n’a pas encore statué.
F. Autres démarches des requérants
29. Avant l’adoption du plan de remembrement, les Wiesinger s’adressèrent aux tribunaux civils pour empêcher les travaux de construction qui avaient commencé sur leurs anciennes terres.
Le 16 octobre 1985, le tribunal régional (Kreisgericht) de Wels se déclara incompétent. La cour d’appel (Oberlandesgericht) de Linz annula ce jugement le 21 février 1986, mais la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) confirma, le 19 juin 1986, que les juridictions civiles ne pouvaient statuer en la matière. En raison des pouvoirs exclusifs que la législation autrichienne conférait à l’Autorité de district (article 102 par. 2 de la loi de 1979, paragraphe 33 ci-dessous), la haute juridiction ne souhaitait pas se conformer à sa jurisprudence antérieure bien que celle-ci eût trait à des faits analogues.
30. Les requérants demandèrent de leur côté l’autorisation d’ériger deux silos à fourrage sur leurs parcelles compensatoires près de leur ferme, mais les autorités la leur refusèrent en raison de leur qualité de simples propriétaires provisoires des terrains en question.
II. LA LÉGISLATION PERTINENTE
A. La législation agricole
1. Le remembrement des terres agricoles
31. En matière de remembrement des terres agricoles, les normes de base figurent dans la loi fédérale sur les principes régissant l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Grundsatzgesetz 1951), amendée en 1977. Les Länder ont traité dans des lois sur l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetze) les questions que leur a laissées le législateur fédéral.
En Haute-Autriche, le remembrement fait l’objet de la loi de 1979 sur l’aménagement des terres agricoles ("la loi de 1979"); elle a remplacé une législation de 1972 qui elle-même avait succédé à une loi de 1911, remise en vigueur en 1954. Les procédures dont il s’agit en l’espèce commencèrent sous l’empire de la loi de 1972, qui constitua la base de la décision de transfert provisoire, mais par la suite elles relevèrent de celle de 1979.
32. Destiné à améliorer la structure de la propriété agricole et l’infrastructure de la zone concernée (article 1 par. 1 de la loi de 1979), le remembrement comprend l’adoption de mesures et installations communes ainsi qu’une redistribution des terres. Il comporte les phases suivantes:
- ouverture des opérations;
- établissement de l’état d’occupation des sols en cause et évaluation de ceux-ci;
- détermination des mesures et installations communes;
- le cas échéant, transfert provisoire des terres;
- adoption du plan de remembrement.
Aucune d’elles ne peut commencer avant qu’une décision définitive n’ait clôturé la précédente.
33. Décidée d’office, l’ouverture de la procédure sert à délimiter la zone de remembrement qui peut englober, outre des terres agricoles et forestières, d’autres parcelles offertes en vue de leur inclusion dans l’opération et le terrain nécessaire aux installations communes (articles 2 et 3). Les sols non nécessaires au remembrement peuvent être soustraits à la zone par la suite (article 4 par. 2). Les propriétaires forment une association (Zusammenlegungsgemeinschaft), personne morale de droit public.
L’ouverture a pour effet de créer, pour toute la durée de la procédure, des restrictions à l’usage des terres; tout changement d’affectation exige l’approbation de l’autorité agricole concernée, qui seule a compétence pour connaître, entre autres, des litiges relatifs à la propriété et à la location des terres de la zone de remembrement (article 102).
34. Une fois la décision d’ouverture devenue définitive, l’autorité agricole dresse l’état d’occupation des sols et les apprécie (articles 11 et 12). Sa décision (Besitzstandsausweis und Bewertungsplan) arrête leur valeur selon des critères précis (article 13). Chacun des propriétaires en cause peut contester l’évaluation non seulement de ses propres biens-fonds, mais aussi de ceux des autres. Sitôt définitive, la décision de l’autorité agricole les lie tous.
35. Au besoin, des mesures communes telles que l’amendement des sols et la modification du terrain ou du paysage, et des installations communes comme des chemins privés, des ponts et fossés, des canaux de drainage ou d’irrigation, sont ordonnées par une décision spécifique de l’autorité compétente (Plan der gemeinsamen Massnahmen und Anlagen), laquelle doit également régler la question des frais, partagés en général entre les propriétaires.
36. L’article 22 des lois de 1972 et 1979 autorise un transfert provisoire des terres avant l’adoption du plan de remembrement, même si quelques propriétaires s’y opposent.
Aucun recours ne s’ouvre contre une décision de transfert provisoire prise par l’autorité compétente. L’article 7 de la loi fédérale de 1950 sur les autorités agricoles (Agrarbehördengesetz, amendée en 1974, "la loi fédérale de 1950/1974") précise cependant que la Commission régionale statue en dernière instance sauf dans les cas où l’on peut saisir la Commission suprême (paragraphe 39 ci-dessous).
Le transfert provisoire a pour but essentiel d’assurer une exploitation rationnelle de la zone englobée dans l’opération de remembrement pendant la période intermédiaire. Les attributaires acquièrent la propriété des parcelles transférées, sous condition résolutoire: ils la perdent si le plan définitif de remembrement ne leur en confirme pas l’attribution (Eigentum unter auflösender Bedingung, article 22 par. 2). En principe, un tel transfert ne donne pas lieu à une inscription au cadastre, en raison de ladite condition résolutoire et parce que les parties peuvent se voir attribuer d’autres parcelles au terme de la procédure. Toute inscription requiert l’accord de l’Autorité de district (articles 94 et suivants).
37. À l’issue de la procédure, l’autorité agricole compétente adopte le plan de remembrement (Zusammenlegungsplan, article 21). Depuis 1977, il doit être publié au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles (article 7a par. 4 de la loi fédérale de 1950), sans quoi l’intéressé peut inviter l’autorité supérieure à évoquer l’affaire. Il s’agit d’un acte administratif qui s’accompagne de cartes et d’autres renseignements techniques; son rôle le plus important consiste à déterminer la compensation due aux propriétaires parties à la procédure. A cet égard, la loi de 1979 prévoit notamment les règles suivantes:
- en fixant les diverses compensations en terres, il échet de tenir compte des désirs des personnes directement concernées, dans la mesure où on le peut sans enfreindre la loi ni porter atteinte aux intérêts publics majeurs auxquels doit répondre le remembrement;
- tout propriétaire dont les terres se trouvent incluses dans l’opération de remembrement a droit soit à une compensation en terres de valeur équivalente soumises à cette même opération soit, en cas d’impossibilité, à la restitution de ses parcelles antérieures, y compris des terrains à bâtir (article 19);
- si la valeur des terres change au cours de l’opération, même après le transfert provisoire, il faut y avoir égard en fixant l’attribution définitive dans le cadre du remembrement (article 14 par. 1);
- le dépôt des demandes de compensation doit se produire dans les six mois de la date à laquelle le plan de remembrement devient définitif (article 20 par. 6).
38. La législation du Land ne prévoit pas de réparation pécuniaire pour le préjudice subi, avant l’entrée en vigueur d’un plan définitif de remembrement, par les propriétaires qui ont contesté avec succès la légalité de la compensation reçue en nature.
2. Les autorités agricoles
39. En Haute-Autriche, l’organe appelé à se prononcer en première instance est l’Autorité agricole de district, de caractère purement administratif. Les autorités supérieures sont la Commission régionale, établie auprès du Bureau du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung), puis la Commission suprême, créée au sein du ministère fédéral de l’Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft). Constituant une sorte de "tribunaux administratifs spécialisés", elles comptent des juges parmi leurs membres.
40. Les décisions (Bescheide) de l’Autorité de district peuvent donner lieu à un appel (Berufung) devant la Commission régionale. Celle-ci statue en dernier ressort sauf si elle a modifié la décision en cause et si le litige concerne l’une des questions énumérées à l’article 7 par. 2 de la loi fédérale de 1950/1974, telle la légalité de la compensation dans l’hypothèse d’un remembrement; en pareil cas, un recours s’ouvre devant la Commission suprême.
L’administration ne peut ni annuler ni amender leurs décisions, mais on peut les attaquer devant la Cour administrative (articles 8 de la loi fédérale de 1950/1974 et 12 par. 2 de la Constitution fédérale).
41. La procédure devant les commissions de la réforme agraire obéit à la loi fédérale de 1950, dont l’article 1er précise que la loi générale sur la procédure administrative s’applique, sauf un article sans pertinence en l’espèce et sous réserve des modifications et compléments prévus par ladite loi.
Les commissions assument la responsabilité de la conduite de la procédure (article 39 de la loi générale sur la procédure administrative). Aux termes de l’article 9 paras. 1 et 2 de la loi fédérale de 1950, elles statuent après une audience non publique.
Elles doivent se prononcer sans retard (ohne unnötigen Aufschub) et au maximum six mois après leur saisine (article 73 par. 1). Si les parties ne reçoivent pas communication de la décision (Erkenntnis) dans ce délai, elles peuvent s’adresser à l’autorité supérieure, à laquelle il incombe alors de trancher (article 73 par. 2). Au cas où cette dernière ne le fait pas dans le délai légal, la compétence échoit, sur demande de l’intéressé, à la Cour administrative (articles 132 de la Constitution fédérale et 27 de la loi sur la Cour administrative).
B. L’aménagement par zonage
42. En l’espèce, l’aménagement par zonage relève de la loi de Haute-Autriche sur l’aménagement du territoire (Raumordnungsgesetz).
Le droit autrichien considère comme des arrêtés (Verordnungen) les plans de zonage et leurs amendements éventuels, même s’ils concernent une seule propriété. Leur établissement ne se situe donc pas dans le cadre de la procédure administrative habituelle et les intéressés ne sont point parties à l’opération.
Les communes compétentes (Gemeinden) doivent cependant tenir compte des activités d’aménagement de leurs voisines et d’autres organes locaux de droit public, ainsi que des mesures importantes à l’échelle régionale prises par d’autres responsables de l’aménagement (article 15 par. 10), tels les projets des autorités agricoles.
43. La légalité des arrêtés peut se contester devant la Cour constitutionnelle (article 139 de la Constitution). Toutefois, selon la jurisprudence, une personne touchée par un plan de zonage ne peut agir directement de la sorte si elle dispose d’un recours administratif.
Il en va ainsi, notamment, lorsque le plan de zonage se trouve à l’origine de la délivrance ou du retrait de permis de construire. Les intéressés sont censés invoquer leurs droits dans une procédure administrative relative au permis; ils peuvent alléguer que le plan de zonage sous-jacent manque de base légale ou se heurte à la législation applicable. En dernier ressort, la question peut être déférée à la Cour constitutionnelle, au moyen d’un recours introduit en vertu de l’article 144 de la Constitution fédérale ou d’une demande formulée par la Cour administrative au titre des articles 89 par. 2 et 139.
C. Les recours devant les Cours constitutionnelle et administrative
44. Les décisions des commissions de la réforme agraire peuvent être attaquées devant la Cour constitutionnelle. Aux termes de l’article 144 de la Constitution fédérale, elle recherche s’il y a eu atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution ou application d’un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, d’une loi inconstitutionnelle ou d’un traité international incompatible avec le droit autrichien (rechtswidrig).
45. Par dérogation à la règle de principe de l’article 133 par. 4 de la Constitution fédérale, l’article 8 de la loi fédérale de 1950/1974 ouvre contre ces mêmes décisions un recours devant la Cour administrative. Elle peut être saisie avant ou après la Cour constitutionnelle, qui lui renvoie l’affaire si le requérant l’y invite et si elle conclut à l’absence de violation du droit invoqué (article 144 par. 3 de la Constitution fédérale).
Selon l’article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît des requêtes qui allèguent l’illégalité d’un acte administratif (Bescheid) ou un manquement de l’autorité compétente à son obligation de décider. Elle examine en outre, lorsque la loi l’y habilite, les recours introduits contre les décisions d’organes comprenant des juges parmi leurs membres, par exemple les commissions de la réforme agraire (paragraphe 39 ci-dessus).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
46. Dans leur requête du 12 août 1985 à la Commission (no 11796/85), M. et Mme Wiesinger se prétendaient victimes d’atteintes à leur droit à un examen de leur cause dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, et à leur droit de propriété tel que le protège l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); ils affirmaient en outre avoir été traités moins favorablement que les nouveaux propriétaires de leurs anciennes terres, au mépris de l’article 14 (art. 14) de la Convention.
47. La Commission a retenu la requête le 10 juillet 1989, à l’exception du grief concernant l’indépendance et l’impartialité des autorités agricoles. Dans son rapport du 6 juin 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des articles 6 par. 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 6-1, P1-1); elle n’estime pas nécessaire de rechercher s’il y a eu aussi infraction à l’article 14 (art. 14) de la Convention.
Le texte intégral de son avis, unanime, figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
48. A l’audience du 22 avril 1991, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’"il n’y a eu violation ni de l’article 6 (art. 6) de la Convention ni de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), considéré isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-1)".
Les requérants ont prié la Cour de constater la méconnaissance des articles 6 par. 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 6-1, P1-1); ils ont en outre présenté une demande de satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
49. Selon M. et Mme Wiesinger, l’opération de remembrement les concernant n’a pas débouché "dans un délai raisonnable" sur une décision relative à leurs droits et obligations de caractère civil comme le voulait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, qui dispose:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"
La Commission souscrit à cette thèse, que combat le Gouvernement.
50. Le plan de remembrement litigieux touchait aux droits de propriété des requérants et, partant, était déterminant pour leurs droits et obligations de caractère privé (arrêts Erkner et Hofauer du 23 avril 1987, série A no 117, p. 60, par. 62, et Poiss du même jour, ibidem, p. 102, par. 48); les comparants s’accordent du reste sur ce point.
L’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique donc à la procédure d’adoption du plan.
A. La période à considérer
51. La procédure débuta le 22 juillet 1975. Le transfert provisoire des parcelles couvertes par le plan, toutes classées à l’époque comme terres agricoles, fut ordonné le 13 octobre 1978 (paragraphes 9 et 10 ci-dessus).
La Cour relève pourtant, avec la Commission et le Gouvernement, que nulle "contestation" ne surgit avant le 10 août 1982. Auparavant, les requérants avaient consenti au transfert provisoire (paragraphe 10 ci-dessus). Alors seulement, ayant appris le reclassement de leurs anciennes parcelles comme terrains à bâtir, ils demandèrent à l’Autorité de district, entre autres, d’exclure celles-ci du plan et de les leur restituer ou, à titre subsidiaire, de leur octroyer des terrains de valeur équivalente ou une indemnité (paragraphe 13 ci-dessus et arrêt Erkner et Hofauer précité, p. 61, par. 64).
52. Quant au terme de la période, le Gouvernement soutient que les autorités autrichiennes eurent à connaître de plusieurs séries distinctes de procédures dont chacune s’acheva dans un délai raisonnable.
La Cour ne saurait accueillir cette thèse. Avec la Commission, elle estime qu’il existait un lien étroit entre les diverses procédures transitoires: elles portaient toutes sur des questions préliminaires au principal problème contentieux, la compensation à laquelle les intéressés avaient droit après le reclassement de leurs anciennes terres (paragraphe 37 ci-dessus).
Le 19 novembre 1985, la Cour administrative les débouta de leur demande du 10 août 1982, au motif que l’attribution définitive des terres n’avait pas encore été fixée (paragraphe 20 ci-dessus). La seconde série d’instances engagées par eux avait précisément pour objet l’adoption rapide du plan de remembrement (paragraphe 21 ci-dessus). De même, leurs oppositions et recours postérieurs à la publication de celui-ci, le 16 juillet 1986, tendaient à faire statuer sur le dédommagement (paragraphes 24-28 ci-dessus).
Dans ces conditions, il échet de considérer comme un tout la procédure de remembrement litigieuse. Jusqu’ici, elle n’a pas débouché sur une décision vidant la contestation (voir, entre autres, l’arrêt Erkner et Hofauer précité, p. 62, par. 65), puisque le recours des Wiesinger à la Cour constitutionnelle demeure pendant (paragraphe 28 ci-dessus).
53. La période à examiner s’étale donc déjà sur plus de neuf ans (10 août 1982 - 24 septembre 1991).
B. Le caractère raisonnable de la durée de la procédure
54. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour (voir, entre autres, l’arrêt Erkner et Hofauer précité, p. 62, par. 66). En outre, seules des lenteurs imputables à l’État peuvent amener la Cour à conclure à l’inobservation du "délai raisonnable" (voir, entre autres, l’arrêt Zimmermann et Steiner du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 11, par. 24).
1. Complexité de l’affaire
55. La Cour rappelle sa manière, énoncée au paragraphe 67 de l’arrêt Erkner et Hofauer (ibidem, p. 62), d’aborder la question dans ce type d’affaire. Elle reconnaît, avec l’ensemble des comparants, qu’un remembrement foncier constitue, par nature, un processus complexe, touchant aux intérêts des particuliers comme de la collectivité tout entière.
En l’espèce, le plan concernait de nombreux propriétaires et couvrait quelque 172 hectares (paragraphe 9 ci-dessus). La construction récente, dans la zone, d’un réseau de voies d’accès à une route nationale, compliqua les choses car elle conduisit à revoir la situation de certains propriétaires (paragraphe 21 ci-dessus).
La procédure semble pourtant avoir progressé assez bien jusqu’au moment où les autorités communales reclassèrent en lots à bâtir, le 16 novembre 1979, les anciennes parcelles des requérants et où ils réagirent à cette mesure (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). Les autorités agricoles se trouvèrent alors en face d’un problème difficile: l’article 14 par. 1 de la loi de 1979 obligeait à prendre en compte tout changement de valeur des terrains survenant au cours d’une opération de remembrement s’il avait une incidence sur le montant de la compensation due (paragraphe 37 ci-dessus). Comme les lots reclassés avaient plus de valeur que les terres agricoles attribuées aux intéressés en échange, l’affaire gagna beaucoup en complexité. Cette situation résultait toutefois des initiatives des autorités autrichiennes; on ne saurait la retenir contre les requérants.
2. Comportement des requérants
56. D’après la Commission, on ne peut reprocher à M. et Mme Wiesinger d’avoir usé, après que le reclassement de leurs anciennes parcelles eut modifié leur sort, de presque chacune des voies de droit s’ouvrant à eux. Le Gouvernement ne le conteste pas, mais à ses yeux ils prolongèrent sans nécessité la procédure en introduisant autant d’oppositions et de recours.
57. La Cour souscrit en principe à l’opinion de la Commission, mais elle rappelle que le comportement des requérants constitue un élément objectif, non imputable à l’État défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêt Erkner et Hofauer précité, série A no 117, p. 63, par. 68). Elle constate néanmoins, avec la Commission, que les recours exercés par les Wiesinger pendant la procédure provisoire ne retardèrent pas la solution du problème principal, le dédommagement auquel ils avaient droit. En effet, la Cour administrative rejeta en dernier ressort leur première action le 19 novembre 1985, au motif que le plan de remembrement, non encore adopté, devrait avoir égard à la plus-value des lots en cause (paragraphe 20 ci-dessus). La seconde, destinée à accélérer l’adoption du plan, déboucha sur la décision de la Cour administrative, du 8 avril 1986, selon laquelle leurs griefs avaient trait à une question à régler par lui, la compensation prévue par la loi (paragraphe 23 ci-dessus). La publication du plan lui-même n’eut lieu que par la suite, le 16 juillet 1986 (paragraphe 24 ci- dessus).
58. Le plan améliorait la situation des requérants en leur restituant certaines de leurs anciennes parcelles. Ils s’y opposèrent pourtant: selon eux, les terres perdues par eux avaient encore plus de valeur que les lots finalement reçus en dédommagement (paragraphe 25 ci-dessus). Ils défendirent cette thèse durant toute la procédure, y compris leurs négociations avec les autorités agricoles en vue d’un règlement amiable, et obtinrent au bout du compte des avantages supplémentaires (paragraphe 27 ci-dessus). On ne saurait donc, à l’instar du Gouvernement, taxer leurs recours d’inutiles.
Partant, aucun retard important ne peut être imputé aux requérants.
3. Comportement des autorités autrichiennes
59. Selon le Gouvernement, les autorités autrichiennes compétentes ne restèrent jamais inactives; au contraire, elles n’auraient cessé de s’employer à mener la procédure à son terme dans un laps de temps raisonnable. Sans doute l’Autorité de district n’acheva-t-elle pas le plan de remembrement dans le délai légal de trois ans à partir du transfert provisoire (paragraphe 37 ci-dessus), mais la question du caractère raisonnable de la durée de la procédure, au regard de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ne se trouverait pas réglée pour autant.
60. La Cour reconnaît que le non-respect du délai prévu par la législation autrichienne n’enfreint pas en soi l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Pour rechercher s’il y a eu violation de ce texte, elle prend en considération ses décisions antérieures dans des affaires semblables (voir, entre autres, l’arrêt Erkner et Hofauer précité, ibidem, p. 63, par. 69, et l’arrêt Poiss précité, ibidem, p. 105, paras. 58-59).
61. Tout d’abord, les autorités agricoles compétentes ayant déclenché d’office, en 1975, l’opération de remembrement, la charge de son déroulement leur incombait. Une fois le transfert provisoire ordonné le 13 octobre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus), elles devaient témoigner d’une diligence spéciale en raison des effets juridiques notables de cette mesure, obligation que la législation autrichienne consacre d’ailleurs (paragraphes 37 et 41 ci-dessus).
62. Une circonstance surtout frappe en l’espèce, et elle influa beaucoup sur la marche de la procédure: l’amendement apporté par la commune de Hartkirchen, le 16 novembre 1979, au plan de zonage. Il donna naissance à la "contestation" le 10 août 1982; il rompit l’équilibre ménagé entre les différents propriétaires au moment du transfert provisoire et qui avait reçu leur assentiment général. Comme la législation autrichienne prescrivait de tenir compte de l’accroissement de valeur des anciennes parcelles des requérants pour déterminer quelles parcelles compensatoires leur attribuer dans le plan de remembrement (paragraphe 37 ci-dessus), les autorités agricoles durent réexaminer la répartition des terres envisagée par le projet de plan (paragraphes 10 et 24 ci-dessus). Le conseil municipal aggrava en outre la situation par la délivrance de permis de construire aux propriétaires provisoires.
Ces événements amenèrent la commune à proposer un nouvel amendement au plan de zonage, afin de convertir en lots à bâtir certaines des parcelles compensatoires allouées aux requérants (paragraphe 18 ci-dessus). Selon les autorités agricoles et en particulier la Commission suprême (décision du 6 mars 1985), l’adoption du plan de zonage constituait un préalable à l’approbation définitive du projet de remembrement, lequel eût été vicié dès le départ s’il se révélait incompatible avec le plan modifié (paragraphes 21 et 22 ci-dessus).
Les difficultés rencontrées en l’espèce résultaient donc d’un manque de coordination entre les autorités communales et agricoles dans la mise au point de leurs plans respectifs. En outre, les pouvoirs publics compétents n’avaient pas prévu des remèdes propres à assurer que la procédure aboutît dans un délai raisonnable.
63. Au demeurant, après l’approbation du plan de remembrement le 16 juillet 1986, il fallut aux autorités agricoles plus de quatre ans pour se prononcer sur les recours des Wiesinger. Le Gouvernement souligne que des efforts soutenus furent déployés dans l’intervalle pour arriver à un règlement amiable avec les requérants et les autres intéressés, d’abord devant l’Autorité de district (20 octobre 1986 - 8 juillet 1987), puis devant la Commission régionale (28 septembre 1987 - 28 août 1989).
Sans nier l’utilité de négociations en pareil cas, la Cour estime que leur durée - près de trois ans - a dépassé en l’espèce les limites du raisonnable, en particulier pour la période postérieure à la constatation, par la Commission régionale, de l’échec des discussions devant l’Autorité de district.
C. Conclusion
64. La Cour conclut dès lors que la cause des requérants ne fut pas entendue dans un délai raisonnable, par suite surtout des difficultés découlant de l’absence de coordination entre les diverses autorités concernées.
Il y a donc eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (P1-1)
A. Objet du litige quant à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1)
65. Devant la Commission, M. et Mme Wiesinger se prétendaient victimes, d’abord, d’une expropriation illégale de leurs terres sans compensation adéquate et, en deuxième lieu, d’une atteinte injustifiée à leur droit de propriété jusqu’à l’adoption du plan de remembrement définitif. Ils invoquaient l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi libellé:
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes."
66. Dans sa décision du 10 juillet 1989 sur la recevabilité de la requête (rapport de la Commission, p. 33, par. 3 in fine), la Commission a repoussé la première doléance pour non-épuisement des voies de recours internes. Elle a estimé en revanche ne pouvoir écarter la seconde pour défaut manifeste de fondement.
67. La Cour ne peut connaître du premier grief des intéressés, car sa compétence se trouve délimitée par la décision de la Commission sur la recevabilité (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Powell et Rayner du 21 février 1990, série A no 172, p. 13, par. 29). D’ailleurs, en droit autrichien le dédommagement ne se règle qu’une fois le plan de remembrement devenu définitif, ce qui n’est pas encore le cas.
Seul le second grief appelle donc un examen.
B. Sur l’observation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1)
68. Selon les requérants, la situation consécutive au transfert provisoire ordonné le 13 octobre 1978 porta une atteinte injustifiée à leur droit de propriété, notamment quand il apparut, après le reclassement en 1980 de leurs anciennes terres agricoles en lots à bâtir, qu’on ne leur avait pas alloué des parcelles compensatoires suffisantes (paragraphes 10 et 12 ci-dessus). Ils n’ont pu, jusqu’ici, modifier cet état de choses ni obtenir une réparation pécuniaire.
69. Pour le Gouvernement au contraire, la hausse de la valeur des parcelles en question, survenue assez longtemps après que les requérants les eurent remises de leur plein gré, ne toucha en rien au droit de ceux-ci au respect de leurs biens. L’exercice de ce droit ne subirait nulle ingérence lorsque, comme en l’espèce, les lots attribués à l’ex-propriétaire ne changent pas pendant la procédure postérieure au reclassement de ses anciennes terres. Si ingérence il y avait, elle n’en serait pas moins légitime grâce au juste équilibre établi entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. En l’occurrence, les intérêts afférents à la restructuration de l’agriculture, sous-jacents à l’opération de remembrement, autorisaient à n’en pas douter un certain empiètement sur le droit de propriété d’un individu.
70. La Cour constate, avec la Commission, une ingérence dans l’exercice de celui des Wiesinger.
Certes, les requérants, à la différence de leurs homologues des deux affaires précitées (Erkner et Hofauer, série A no 117, p. 45, par. 13, et Poiss, p. 89, par. 8), adhérèrent expressément au projet de plan, ne s’opposèrent pas au transfert provisoire, acceptèrent les lots, proches de leur ferme, qu’on leur avait octroyés à titre transitoire et commencèrent à les cultiver (paragraphes 9 et 10 ci-dessus). Ils partaient cependant de l’hypothèse que tous les lots concernés demeureraient des terres agricoles. En 1980, le reclassement de leurs anciennes parcelles par les autorités locales (paragraphe 12 ci-dessus) bouleversa l’équilibre initial et ajouta un élément à la situation existante.
En effet, l’article 14 de la loi de 1979 commandait aux autorités agricoles de prendre en compte tout changement de valeur, tel celui dont il s’agit, lors de l’adoption du plan définitif de remembrement (paragraphe 37 ci-dessus). Les attributions de terres prévues par le projet de plan et agréées par les divers intéressés n’étaient donc plus irrévocables et devaient s’adapter à des circonstances nouvelles, comme les requérants l’avaient demandé. Il échet de noter à cet égard que le plan remanié de remembrement tend à la restitution aux requérants d’une partie de leurs anciennes terres (paragraphes 24 et 27 ci-dessus), bien qu’aucune décision ferme n’ait encore été arrêtée sur ce point.
Il s’ensuit que depuis le reclassement des terres en 1980, la situation se compare à celle des affaires autrichiennes susmentionnées. Les requérants n’ont toujours pas obtenu, par une décision définitive, la compensation en nature prescrite par la législation du Land (arrêt Erkner et Hofauer précité, p. 65, par. 72).
71. Reste à savoir si l’ingérence enfreint l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
Quant à l’économie de ce texte et aux liens entre ses différentes composantes, la Cour se réfère à sa jurisprudence constante (voir, en dernier lieu, l’arrêt Fredin du 18 février 1991, série A no 192, p. 14, par. 41).
72. Les requérants n’ont pas été "privés de leur propriété" au sens de la seconde phrase du premier alinéa. Le transfert opéré en octobre 1978 n’est que provisoire, et ils pourront encore récupérer au moins une partie de leurs terres (paragraphes 24 et 27 ci-dessus) avec l’entrée en vigueur du plan de remembrement.
Le transfert provisoire n’avait pas davantage pour objectif principal de limiter ou contrôler l’"usage" des terres (second alinéa de l’article 1) (P1-1), mais de restructurer rapidement la zone de remembrement en vue d’une exploitation améliorée et rationnelle par les "propriétaires provisoires" (paragraphe 36 ci-dessus). Il faut donc l’examiner sous l’angle de la première phrase du premier alinéa (voir, pour la même question, l’arrêt Erkner et Hofauer précité, série A no 117, pp. 65-66, par. 74).
73. Aux fins de celle-ci, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (ibidem, p. 66, par. 75).
A cet égard, un inconvénient temporaire subi par un individu, en raison d’une décision conforme au droit interne, peut en principe se justifier dans l’intérêt général s’il n’est pas disproportionné au but qu’elle poursuit.
74. Selon la législation pertinente (paragraphe 32 ci-dessus), le remembrement veut améliorer la structure et l’infrastructure des entreprises agricoles en redistribuant les terres et en fournissant des installations communes. Il sert l’intérêt des propriétaires concernés comme de la collectivité dans son ensemble en accroissant la rentabilité des exploitations et en rationalisant la culture.
Les requérants ne contestent pas que les mesures initiales de mise en oeuvre du plan de remembrement répondaient à l’intérêt général. D’ailleurs, ils cédèrent leurs parcelles de leur plein gré (paragraphe 10 ci-dessus) et reçurent en échange les lots que, d’après la Cour administrative (paragraphe 20 ci-dessus), ils souhaitaient. En 1978, ils commencèrent à les cultiver à leur guise.
En outre, le projet de plan semble avoir recueilli l’adhésion presque unanime des propriétaires en cause.
75. Les Wiesinger prétendent toutefois que l’opération de remembrement dévia de son objectif légitime primitif avec le reclassement ultérieur de leurs anciennes terres en lots à bâtir.
76. La Cour relève d’abord, sur ce point, que le plan couvrait quelque 172 hectares - appartenant à 67 propriétaires au bas mot - dont seulement 2,5 environ - les biens-fonds des requérants - prêtèrent à litige (paragraphes 9 et 12 ci-dessus).
En second lieu, dans sa décision du 17 novembre 1983, confirmée par les Cours constitutionnelle et administrative, la Commission régionale estima que pour atteindre son but le plan devait englober les lots en question, nonobstant leur reclassement en terrains à bâtir (paragraphes 15 et 16 ci-dessus). Dans une décision postérieure, du 18 novembre 1984, elle nota que le transfert provisoire des parcelles empêchait d’en modifier l’attribution pour l’instant, sans préjudice de la répartition définitive des terres en exécution du plan (paragraphe 18 ci-dessus).
La Cour ne peut tenir ces décisions, conformes à la législation autrichienne, pour inadéquates et disproportionnées. Des changements répétés contrarieraient le dessein essentiel d’un transfert provisoire: l’exploitation ininterrompue et rationnelle de la zone de remembrement pendant la phase transitoire (paragraphe 36 ci-dessus). En contact direct avec la situation locale, les autorités agricoles autrichiennes jouissaient d’une marge d’appréciation pour déterminer les mesures nécessaires dans l’intérêt général (voir notamment, mutatis mutandis, l’arrêt Fredin précité, série A no 192, p. 17, par. 51 ), sauf à respecter le juste équilibre voulu (paragraphe 73 ci-dessus).
77. D’après la Commission, le maintien de l’état de choses incriminé pouvait se justifier pour un temps, mais il continua plus que de raison.
La Cour relève que comme dans l’affaire Erkner et Hofauer et dans l’affaire Poiss, l’ingérence dont se plaignent les requérants s’étala sur une longue période. Toutefois, le constat d’une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en l’espèce (paragraphe 64 ci-dessus) ne règle pas la question relative au Protocole (P1). Elle concerne la substance du droit de propriété et ne peut se trancher en fonction de la seule durée de la situation; d’autres éléments entrent aussi en ligne de compte (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Erkner et Hofauer précité, série A no 117, p. 66, par. 76).
78. En particulier, il faut rappeler derechef que M. et Mme Wiesinger avaient souscrit au transfert provisoire, puis accepté et exploité les parcelles compensatoires (paragraphe 70 ci-dessus).
La situation se transforma avec l’amendement du plan de zonage en 1980 et la délivrance de permis de construire, mais les requérants ne manifestèrent leur désaccord que le 10 août 1982. Après leur recours du 23 août 1983, la Commission régionale enjoignit à l’Autorité de district, le 17 novembre 1983, de ne pas consentir à d’autres conversions en terrains à bâtir, ni à l’octroi d’autres permis de construire (paragraphe 15 ci-dessus). Vu la législation du Land (paragraphe 76 ci-dessus) et la date du recours des requérants, on peut dire qu’elle réagit rapidement sur ce point précis.
En outre, à partir du 16 juillet 1986 et dans le cadre de l’opération de remembrement, l’Autorité de district réattribua aux Wiesinger 9 680 m² de leurs anciennes terres et, après l’échec de la tentative de règlement amiable, la Commission régionale améliora encore leur sort en janvier 1990 (paragraphes 24 et 27 ci-dessus). Il reste donc possible que certaines de leurs anciennes terres leur retournent une fois le plan définitivement approuvé.
A ces divers égards, la situation litigieuse diffère de celle qui se présentait dans les affaires autrichiennes antérieures.
79. À la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour ne peut considérer l’atteinte au droit de propriété des requérants comme disproportionnée aux exigences de l’intérêt général en jeu dans l’opération de remembrement.
Dès lors, aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ne se trouve établie.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, COMBINE AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (art. 14+P1-1)
80. Devant la Commission, les requérants se prétendaient aussi victimes d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), pour avoir subi un traitement moins favorable que les propriétaires provisoires de leurs anciennes parcelles.
Ils n’ont cependant pas repris la question séparément devant la Cour, qui n’aperçoit aucune raison de l’examiner.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
81. Selon l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
M. et Mme Wiesinger demandent la réparation d’un dommage matériel et moral, ainsi que le recouvrement de leurs frais et dépens en Autriche comme devant les organes de la Convention.
A. Dommage matériel
82. Ils réclament d’abord 2 104 700,66 schillings autrichiens pour les arriérés d’intérêts d’un prêt qu’ils avaient obtenu de la caisse d’épargne de Hartkirchen pour des travaux urgents d’amélioration de leurs bâtiments. L’impossibilité de soustraire leurs anciennes terres au plan de remembrement, et de les vendre, les aurait empêchés de rembourser le capital et les intérêts correspondants.
Cependant, le Gouvernement le relève à bon droit, ils n’ont pas contracté ces dettes à la suite de l’opération de remembrement, mais pour les besoins de réparations dans leurs fermes et étables. Il n’y a donc aucun lien de causalité entre la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) constatée par la Cour et le préjudice allégué.
83. Les requérants revendiquent en outre 6 600 000 schillings, destinés à compenser la différence de valeur entre les terres agricoles qu’ils ont reçues et les terrains à bâtir qu’ils ont abandonnés.
Toutefois, la question d’une indemnisation pour la plus-value des anciennes parcelles des époux Wiesinger sort du cadre de l’affaire telle que la Commission l’a retenue (paragraphes 65-67 ci-dessus). Dès lors, la Cour ne peut rien octroyer de ce chef.
B. Dommage moral
84. Selon les requérants, la santé de M. Wiesinger a pâti pendant plusieurs années de l’opération de remembrement litigieuse. Il sollicite 240 000 schillings pour la diminution de sa capacité de travail qui en serait résultée de 1986 à 1990 et 600 000 pour les dix années suivantes jusqu’à sa retraite.
D’après le Gouvernement au contraire, l’existence d’un lien de causalité entre les ennuis de santé de M. Wiesinger et la procédure de remembrement ne se trouve pas établie.
85. La Cour n’exclut pas que M. Wiesinger ait éprouvé une certaine tension et de l’anxiété à cause de la durée excessive de ladite procédure.
Pareil préjudice ne se prêtant pas à une évaluation précise, la Cour statue en équité comme le veut l’article 50 (art. 50); elle accorde à M. Wiesinger 200 000 schillings à ce titre.
C. Frais et dépens
86. Les requérants entendent recouvrer leurs frais et dépens en Autriche, dont le montant total atteindrait 1 336 030 schillings 36, à savoir: 1 252 802,10 pour les honoraires de leur avocat devant les autorités agricoles et les Cours constitutionnelle et administrative; 56 909,52 pour l’instance tendant à faire interrompre des travaux de construction sur leurs anciennes terres; 20 571,24 pour les frais qu’ils se virent condamnés à verser aux défendeurs à cette instance; 5 747,50 pour les frais assumés dans des procédures extrajudiciaires.
Pour leurs frais devant les organes de la Convention, ils demandent 445 056 schillings.
87. Le Gouvernement offre une somme forfaitaire de 100 000 schillings pour les frais afférents aux procédures internes car, selon lui, un très grand nombre des oppositions et recours des Wiesinger ont été écartés pour des motifs de procédure. Il accepte aussi de rembourser 130 000 schillings pour les frais supportés à Strasbourg.
Le délégué de la Commission invite la Cour à trouver une solution intermédiaire équitable.
88. D’après la jurisprudence de la Cour, l’allocation de frais et dépens suppose l’établissement de leur réalité, de leur nécessité et du caractère raisonnable de leur taux.
Quant aux frais en Autriche, il faut considérer la demande du 10 août 1982 (paragraphe 13 ci-dessus) comme une étape préliminaire de la procédure principale. De même, la requête du 17 janvier 1984 à la Commission régionale avait pour but précis de hâter l’adoption du plan de remembrement (paragraphes 21 et 57 ci-dessus). On ne saurait du reste exclure que la durée excessive de ladite procédure, et en particulier des négociations en vue d’un règlement amiable (paragraphes 62 et 63 ci-dessus), ait augmenté les frais correspondants.
Pour les instances suivies devant les organes de la Convention, les intéressés ont bénéficié de l’assistance judiciaire mais ni le Gouvernement ni la Commission ne contestent qu’ils aient encouru des frais supplémentaires.
Les sommes réclamées apparaissent toutefois trop élevées par rapport à la violation constatée.
89. Eu égard à ces circonstances, la Cour, statuant en équité, accorde 300 000 schillings pour les frais et dépens d’Autriche et 200 000 pour ceux de Strasbourg.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention;
2. Dit, par huit voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1);
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief relatif à l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1);
4. Dit, à l’unanimité, que la République d’Autriche doit, dans les trois mois, verser à M. Wiesinger 200 000 (deux cent mille) schillings pour dommage moral et aux requérants 500 000 (cinq cent mille) schillings pour frais et dépens;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 30 octobre 1991.
John CREMONA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
L’exposé de l’opinion, partiellement dissidente, de M. Cremona se trouve joint au présent arrêt conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement.
J.C.
M.-A. E.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE CREMONA
(Traduction)
Alors que j’adhère à l’arrêt sur la question de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), je regrette de ne pouvoir approuver la conclusion de la majorité de mes collègues quant à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). En constatant là aussi une violation, j’estime suffisant, dans un souci de brièveté, de dire que d’une manière générale je souscris à cet égard au raisonnement tenu par la Commission unanime dans son rapport.
En particulier, pour autant que la majorité distingue la présente cause de l’affaire Erkner et Hofauer, je me contenterai d’ajouter ceci. Sur ce point, l’arrêt souligne que les requérants en l’espèce, contrairement à ceux de l’autre affaire, avaient consenti au transfert provisoire et accepté les parcelles compensatoires (paragraphe 77). S’il entend par là que les intéressés ont changé d’avis plus tard seulement, je trouve plus juste de dire qu’en réalité une circonstance notable les y a conduits.
Des terres qui, lorsqu’elles leur appartenaient, étaient simplement désignées comme agricoles, furent reclassées en lots à bâtir par les autorités locales au cours de la procédure de remembrement, pendant qu’elles se trouvaient en la possession des propriétaires provisoires auxquels elles avaient été attribuées et à la demande de ceux-ci. Les requérants virent ces derniers vendre diverses parcelles de ces terres avec un coquet bénéfice (l’octroi de permis de construire rendait la situation presque irréversible) sans pouvoir redresser ce déséquilibre. Il convient de noter aussi, incidemment, que lorsque les requérants avaient quant à eux réclamé la faculté d’édifier deux silos à fourrage sur leurs parcelles compensatoires, les autorités la leur avaient refusée au motif qu’ils étaient propriétaires provisoires des terres dont il s’agissait (paragraphe 29).
Certes, la réattribution aux intéressés d’une partie de leurs anciennes terres et la possibilité hypothétique que quelques-unes de plus leur reviennent une fois le plan de remembrement définitivement approuvé (paragraphe 77) peuvent jusqu’à un certain point adoucir la situation, mais, à mon sens, elles n’y remédient pas.
Le fait demeure qu’il y a eu dans les biens des requérants une ingérence injustifiée qui dure depuis onze ans et demi déjà sans que les intéressés aient pu obtenir un redressement. Avec la Commission unanime, je considère donc que les requérants ont ainsi souffert au-delà de l’inconvénient que l’on pourrait raisonnablement escompter voir subir par des parties à une procédure de remembrement, qu’il n’y a pas eu un juste équilibre entre les mesures prises dans l’intérêt général et la protection du droit de propriété des requérants et que ceux-ci ont eu à supporter une charge disproportionnée incompatible avec leur droit au respect de leurs biens.
* L'affaire porte le n° 38/1990/229/295.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 213 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT WIESINGER c. AUTRICHE
ARRÊT WIESINGER c. AUTRICHE
ARRÊT WIESINGER c. AUTRICHE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE CREMONA


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 11796/85
Date de la décision : 30/10/1991
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 14+P1-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (P1-1-1) PRIVATION DE PROPRIETE


Parties
Demandeurs : WIESINGER
Défendeurs : AUTRICHE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-10-30;11796.85 ?

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