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11/02/1992 | CEDH | N°16194/90

CEDH | BOUAJILA contre la SUISSE


SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 16194/90 présentée par Abdelaziz BOUAJILA contre la Suisse
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 février 1992 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ
M.

M. de SALVIA, Adjoint au Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la ...

SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 16194/90 présentée par Abdelaziz BOUAJILA contre la Suisse
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 février 1992 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ
M. M. de SALVIA, Adjoint au Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 25 janvier 1990 par Abdelaziz BOUAJILA contre la Suisse et enregistrée le 22 février 1990 sous le No de dossier 16194/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante : EN FAIT
Le requérant, de nationalité tunisienne, est né en 1961.
Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Me Doris Leuenberger, avocat au barreau de Genève.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 29 décembre 1980, le requérant fut arrêté à Genève pour la première fois sous un faux nom. Objet d'un mandat d'arrêt pour vol décerné par le juge informateur à Lausanne, il fut transféré dans cette ville.
Le 11 mars 1981, le bureau d'Interpol à Tunis fit parvenir aux autorités suisses un message identifiant formellement le requérant qui avait fait l'objet de nombreuses condamnations dans son pays pour des vols avec effraction.
Dans le courant de la nuit du 23 au 24 mai 1981, le requérant s'évada des établissements pénitentiaires de la Plaine de l'Orbe (canton de Vaud) en sciant les barreaux de sa cellule.
Le 7 juin 1981, il fut interpellé à Berne en compagnie d'un complice sur les lieux d'un cambriolage. Il était en possession d'un faux passeport algérien.
Le 21 juin 1981, le requérant s'évada de la prison de Berne en escaladant le mur.
Le 29 juin 1981, il fut arrêté à Bâle sous un faux nom et il réintégra la prison de Berne.
Le 19 septembre 1981, le requérant fit appel à un gardien pour un problème technique dans sa cellule. Alors que le fonctionnaire se trouva dos au requérant, celui-ci tenta de l'étrangler. La victime fit une chute et s'assomma sur le sol. Le requérant se saisit de la clef que détenait le gardien et réussit à prendre la fuite.
Le 18 octobre 1981, le requérant fut interpellé à Copenhague (Danemark), sous un faux nom, étant soupçonné de vol.
Le 2 mars 1982, il fut extradé à la Suisse et incarcéré à la prison de Champ-Dollon (canton de Genève). Il fut alors prévenu de plusieurs actes de brigandage, de meurtre et d'assassinat commis à Genève et à Zurich au cours de l'année 1981.
Après deux tentatives d'évasion infructueuses, le requérant s'évada le 4 juin 1984 du cabinet du juge d'instruction, en sautant par la fenêtre.
Le 14 décembre 1984, le requérant fut arrêté à Antibes (France) sous un faux nom pour vol de voiture en compagnie de deux complices. Avant leur arrestation, les délinquants blessèrent grièvement un fonctionnaire de police en l'écrasant avec leur véhicule. Lors d'une fouille, le requérant fut trouvé porteur d'un grand couteau. On découvrit également un fusil de chasse à canon scié dans la voiture.
Le 18 novembre 1985, le requérant fut extradé à la Suisse et à nouveau incarcéré à la prison de Champ-Dollon.
Le 7 avril 1987, il s'évada une deuxième fois de cette prison avec la complicité d'une ancienne codétenue. Cette dernière, qui avait bloqué la porte principale avec un engin en bois, tira un coup de feu en direction des gardiens. Elle remit au requérant une deuxième arme qu'elle portait sur elle. Tous deux prirent la fuite avec une voiture volée à un gardien. Puis le requérant menaça de son arme un automobiliste sur la route de Thonon et s'empara de son véhicule.
Six jours plus tard, le 13 avril 1987, le couple fut arrêté à Lugano. Lors de l'intervention policière, le requérant tira des coups de feu avec son arme. Il fut lui-même blessé à la jambe par les fonctionnaires. Le requérant était soupçonné d'avoir commis notamment deux homicides durant cette brève période, à savoir d'avoir abattu le 10 avril 1987 un gardien de nuit à l'auberge de jeunesse de Zurich et d'avoir abattu le 11 avril 1987 une jeune femme à Oetwil (canton de Zurich) avec deux coups de pistolet dans la bouche.
Le requérant réintégra la prison de Champ-Dollon le 17 août 1987, après avoir été incarcéré dans le canton de Zurich.
Le 18 août 1987, le chef du Département de justice et police de la République et canton de Genève interdit toute détention en commun à l'égard du requérant.
Suite aux interventions du requérant en vue d'obtenir un assouplissement de ses conditions de détention puis la levée immédiate de la mesure interdisant sa détention en commun, le Département de justice et police améliora tout d'abord la capacité de réception de l'appareil de télévision installé dans la cellule du requérant puis supprima, en principe, les contrôles nocturnes systématiques de sa présence dans sa cellule.
Par arrêté du 16 septembre 1988, le Département de justice et police prolongea l'interdiction de la détention en commun du requérant jusqu'à ce qu'il comparaisse devant l'autorité de jugement.
Le 4 octobre 1988, le requérant interjeta contre cette décision un recours auprès du Conseil d'Etat du canton de Genève qui le rejeta par arrêté du 5 juin 1989 après avoir procédé à une analyse approfondie des conditions de détention du requérant et en précisant que le Département devait réexaminer la situation du requérant avec les services concernés et mettre celui-ci au bénéfice de tous allégements compatibles avec la sécurité de Champ-Dollon, de son personnel et des autres détenus. Agissant par la voie du recours de droit public, le requérant demanda au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté pris par le Conseil d'Etat et de renvoyer la cause à l'autorité cantonale afin qu'elle statue à nouveau sur l'admission du requérant au régime de détention ordinaire.
Il se plaignit essentiellement d'une violation du droit constitutionnel fédéral non écrit à la liberté personnelle et de l'article 3 de la Convention.
Le 29 août 1989, une délégation du Tribunal fédéral se rendit à la prison de Champ-Dollon à Thônex où elle entendit le requérant et son défenseur, les représentants de l'Etat de Genève, dont un membre du secrétariat général du Département de justice et police, le directeur, le directeur adjoint et le gardien-chef adjoint de la prison, ainsi que les médecins responsables du service médical de celle-ci. Elle visita de manière détaillée l'établissement de détention, notamment la cellule de sécurité du requérant qu'elle a pu comparer avec les autres cellules, les parloirs et lieux d'entretien avec le personnel d'assistance et l'aire de promenade commune, ainsi que celle réservée aux détenus isolés.
Par ordonnance du 31 août 1989, le juge délégué suspendit la procédure jusqu'au 12 septembre 1989 après avoir considéré qu'il convenait d'offrir à l'autorité intimée la possibilité d'étudier s'il était possible d'assouplir dans une certaine mesure le régime d'isolement appliqué au recourant sans mettre en danger l'ordre de la prison et la sécurité publique. Ce délai fut prolongé jusqu'au 18 septembre 1989.
Après avoir réexaminé la situation du requérant, le Département de police et justice constata qu'il ne pouvait admettre pour l'instant que le requérant puisse avoir des contacts directs avec d'autres détenus dont il faudrait auparavant obtenir l'accord et sur lesquels l'intéressé pourrait exercer des pressions. Il indiqua qu'un représentant du service social de la prison était en revanche d'accord de lui rendre une, voire deux visites par semaine. Il s'engagea aussi à intervenir auprès du service médical de la prison pour qu'une prise en charge médico-psychologique soit mise sur pied. Il releva enfin que le régime du requérant serait modifié dès qu'il aurait comparu devant l'autorité de jugement.
Par arrêt du 27 septembre 1989, le Tribunal fédéral admit le recours.
Il constata que le requérant avait été détenu individuellement, sans interruption, depuis sa réincarcération le 18 août 1987. Depuis plus de deux ans il passait ainsi tout son temps dans sa cellule, sous réserve de sa douche, de ses entretiens avec le personnel social et d'une heure de promenade qu'il effectuait seul, dans une cour au toit bétonné et aux quatre côtés entièrement grillagés, lieu depuis lequel il ne lui était possible d'avoir aucun contact visuel ou oral avec une autre personne que les gardiens qui l'y conduisaient. Cet isolement pourrait certes être interrompu par les visites de familiers ou de connaissances. Ce droit n'était toutefois que théorique. Il semblait n'avoir jamais été exercé par le requérant qui dit n'avoir aucun lien avec des personnes se trouvant en liberté en Suisse ou dans des pays européens. Les rapports médicaux qui figuraient au dossier indiquaient que le régime d'isolement - aggravé par cette situation particulière - avait eu d'importants effets négatifs sur la personnalité du requérant.Les deux médecins entendus lors de la séance d'instruction d moins, de 1989, avaient confirmé ce constat en relevant une grave détérioration, dès le mois de février 1989 au moins, de son état psychique. Ces praticiens avaient décrit le requérant comme un homme vif et intelligent qui parle et lit l'arabe, le français et l'anglais et jouerait aux échecs, présentant naturellement de graves troubles de la personnalité. Ils s'étaient basés sur les contacts réguliers qu'ils avaient avec lui pour estimer que la dégradation de son psychisme provenait du manque de relations humaines spontanées. Ils avaient suggéré qu'il lui fût offert de parler ou de jouer occasionnellement avec d'autres détenus. La seule thérapie administrée actuellement était la remise d'une dose quotidienne de tranquillisants de 20 mg.
Le Tribunal fédéral se rallia en outre en tous points aux considérations émises dans les décisions des autorités cantonales pour relever que les actes criminels imputés au requérant ne permettaient pas, de manière générale, d'avoir le moindre doute sur le caractère éminemment dangereux de leur auteur pour la sécurité d'autrui et pour admettre que la détention individuelle était la plus propre à parer à une menace particulièrement grave contre la sécurité de la population pénitentiaire considérée individuellement ou dans son ensemble. Cette détention était en soi justifiée. Il nota que les effets négatifs particuliers de la détention individuelle du requérant, qui durait depuis sa réincarcération du 18 août 1987, n'avaient pas échappé à l'attention des autorités cantonales.
Selon le Tribunal fédéral, les mesures prises par les autorités cantonales pour améliorer la situation du requérant n'étaient pas suffisantes. Il y avait lieu de prévoir des contacts périodiques, avec certains autres prévenus, voir individuellement, et avec du personnel pouvant servir au requérant de partenaire à l'un des jeux qu'il semblait affectionner, tel le jeu d'échecs.
Le Tribunal fédéral conclut que les mesures de sécurité que l'Etat s'était vu dans l'obligation d'appliquer au requérant étaient, par leur caractère trop absolu, susceptibles de léser son intégrité psychique et la dignité à laquelle a droit tout homme, quels que soient les crimes qui lui sont imputés ; leurs modalités étaient disproportionnées par rapport au but recherché. Il n'appartenait pas au Tribunal fédéral de dire quels étaient les assouplissements qui devaient être cherchés par les autorités cantonales. Celles-ci devraient réexaminer l'ensemble de la situation personnelle du requérant au sein de l'établissement et envisager, avec le corps médical et le personnel de garde, une solution qui réponde aux exigences de la liberté personnelle sans mettre en danger l'ordre de la prison et la sécurité. Le corps médical qui paraissait avoir la confiance du prévenu devait être en mesure de lui faire comprendre que l'isolement ne peut être qu'assoupli, mais non levé, et qu'il lui appartenait de coopérer aux tentatives d'amélioration de sa situation actuelle.
Après avoir pris connaissance des considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral et avoir consulté les responsables des services intéressés ainsi que des deux médecins de l'institut universitaire de médecine légale, qui avaient fréquemment des contacts avec le requérant au service médical de Champ-Dollon, le Département de justice et police proposa au requérant de lui aménager des contacts avec d'autres détenus, sous réserve de l'accord de ces derniers, à l'occasion de la promenade dans l'aire grillagée sur le toit de la prison, et il chargea le service social de la prison de trouver une personne qui puisse jouerde temps à autre avec le requérant soit aux échecs, soit à d al du 2 jeux de société, soit encore au ping-pong.
Le requérant refusa ces mesures d'allégement pour ne pas donner l'impression devant la Commission qu'il avalisait par son comportement l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral du 27 septembre 1989 et au motif que les relations humaines qui en découleraient ne seraient pas spontanées.
Le 20 décembre 1989, le Conseil d'Etat indiqua à l'avocat du requérant que les allégements prévus par le Département de justice et police restaient valables et l'engagea à intervenir auprès de son client, afin que l'arrêt du Tribunal fédéral puisse être respecté. Une copie de sa lettre fut envoyée aux médecins de l'institut universitaire de médecine légale. Le Département de justice et police fit encore parvenir à ces derniers,le 12 février 1990, toute la correspondance entre le Conseil d'Etat et le requérant et leur demanda d'intervenir auprès du détenu conformément à l'arrêt du Tribunal fédéral.
Le 8 juin 1990, le requérant requit la levée pure et simple de sa détention en isolement.
Le Département de justice et police écarta cette demande le 31 août 1990. Il affirma s'être plié entièrement à l'arrêt du Tribunal fédéral compte tenu du caractère dangereux du requérant et du risque de son évasion, et en soulignant la stabilisation de son état de santé psychique dont un certificat médical du 10 août 1990 n'attestait aucune aggravation.
Par arrêté du 30 janvier 1991, le Conseil d'Etat rejeta le recours formé contre cette décision. Il estima notamment que rien ne permettait d'admettre que, à ce jour, le requérant serait moins enclin à s'évader qu'auparavant. Le Conseil d'Etat observa à ce propos, qu'en octobre 1989, le requérant avait ceinturé un gardien et l'avait traîné sur plusieurs mètres.
Agissant par la voie du recours de droit public, le requérant demanda au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêté, de renvoyer la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision ou, subsidiairement, d'ordonner lui-même la levée de la détention en isolement. Quant à l'incident survenu en octobre 1989, il exposa que le Conseil d'Etat y avait fait allusion sans fondement. Selon le requérant, cet incident faisait en effet référence à une scène de jeu avec un gardien qui ne s'en était nullement plaint et qui entretenait encore maintenant d'excellentes relations avec lui. Travaillant dans le service où il était détenu, le gardien le rencontrait fréquemment.
Par arrêt du 1er mai 1991, le Tribunal fédéral rejeta ce recours. Il observa que l'interdiction de la détention en commun constituait une mesure extraordinaire, prise pour une durée indéterminée à l'égard d'un détenu lorsque la sauvegarde de la sécurité collective de la prison l'exigeait dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Eu égard à ses antécédents, on ne saurait prendre à la légère, comme le requérant le demande, l'événement du 21 octobre 1989 lorsque, au cours d'une promenade, il aurait ceinturé un gardien et l'aurait traîné sur plusieurs mètres. Le retour à la détention en commun du requérant paraissait présenter des risques sérieux et objectifs, dont le juge constitutionnel ne saurait exiger de l'administration pénitentiaire qu'elle les assume globalement. Le Tribunal fédéral constata que les autorités cantonales avaient tenté de se conformer aux exigences constitutionnelles rappelées dans son arrêt rendu le 27 septembre 1989,mais que certaines des propositions qu'elles avaient faites énitent échoué en raison de l'attitude du requérant, celui-ci persistant à revendiquer sa réintégration pure et simple au régime de la détention en commun. Sa situation s'était toutefois améliorée grâce aux effets des mesures prises par les autorités intimées.
Enfin, le Tribunal fédéral spécifia : "Que l'administration pénitentiaire devra cependant, sous l'égide du Département, s'efforcer constamment de veiller au bien-être du recourant, de telle sorte qu'on puisse envisager au moins, à terme, sa soumission à un régime qui s'apparente le plus possible à la détention ordinaire ;
Qu'il n'est en ce sens guère admissible que depuis trois ans et demi, on n'ait pas trouvé une solution qui, tout en ménageant la sécurité collective, permette au recourant d'effectuer ses promenades et exercices sportifs à l'air libre sur les terrains prévus à cet effet dans l'enceinte de la prison, en compagnie de détenus acceptant de l'accompagner ...".
Dans l'intervalle, le 13 mars 1991, la cour d'assises de Genève avait condamné le requérant à la réclusion à vie et à son expulsion à vie du territoire suisse, principalement pour cinq assassinats, un délit manqué d'assassinat et sept brigandages, dont quatre perpétrés en relation avec les homicides mis à sa charge. L'octroi des circonstances atténuantes et la reconnaissance d'une responsabilité restreinte furent rejetées.
Le 13 septembre 1991, la Cour de cassation du canton de Genève rejeta le pourvoi en cassation formé par le requérant contre cet arrêt.
Le requérant saisit le Tribunal fédéral d'un pourvoi en nullité et d'un recours de droit public.
Quant aux conditions de détention, le directeur de la prison de Champ-Dollon, par lettre du 5 août 1991, informa l'avocat du requérant que, compte tenu de la dangerosité du requérant, l'organisation et les conditions de sécurité ne permettaient pas de donner suite à sa demande visant à le faire bénéficier de la promenade dans les espaces herbeux de la prison.
Il résulte d'un certificat médical établi par l'institut universitaire de médecine légale de Genève le 1er novembre 1991 et couvrant la prise en charge du requérant à la prison de Champ-Dollon jusqu'au 29 octobre 1991 que l'amendement partiel de sa symptomatologie, observé au début de 1991, ne s'était pas poursuivi et que lors des derniers contacts, le requérant avait toujours présenté un état psychique réactionnel avec des troubles cognitifs importants.
Le 29 octobre 1991, le requérant fut transféré aux établissements pénitentiaires de la Plaine d'Orbe où il fut placé dans la division d'attente.
Par arrêté du 23 décembre 1991, le Département de justice et police du canton de Genève mit le requérant au régime de sécurité renforcée pour une durée minimum de six mois. Se référant aux considérants de l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 1er mai 1991, il releva que le requérant avait démontré par son comportement que les autorités pénitentiaires ne sauraient lui faire confiance et que rien ne permettait d'admettre qu'il n'allait pas tenter à nouveau une évasion ou chercher à s'en prendre au personnel. Il n'était ainsi pas apte à subir sa peine en régime ordinaire.
Le requérant introduisit un recours au Conseil d'Etat du canton de Genève contre cet arrêté.
GRIEFS
Le requérant se plaint de la violation de l'article 3 de la Convention en ce que le traitement qui lui est infligé, à savoir l'isolement carcéral et notamment l'absence de relations humaines spontanées, atteint un caractère inhumain, de par sa durée, sa rigueur et la dégradation de l'état mental qu'il provoque. Il ajoute que les conditions de sa détention aux établissements pénitentiaires de la Plaine de l'Orbe depuis le 29 octobre 1991 constituent également une violation de l'article 3 de la Convention.
PROCEDURE
La requête a été introduite le 25 janvier 1990 et enregistrée le 22 février 1990.
Le 14 janvier 1991, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement suisse et de l'inviter à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête conformément à l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 28 mars 1991 et le requérant y a répondu le 1er juillet 1991.
EN DROIT
1.Le requérant se plaint des conditions de sa détention, notamment du régime de l'isolement auquel il est soumis depuis le 18 août 1987 à la prison de Champ-Dollon et soutient qu'il est victime d'un traitement inhumain et dégradant prohibé par l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Cette disposition est libellé comme suit : "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."
a)Quant à la recevabilité de la requête, le Gouvernement soutient que le requérant ne peut pas se prétendre victime, au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention, de la violation alléguée de la Convention, alors que par l'arrêt du Tribunal fédéral du 27 septembre 1989 le recours de droit public formé par le requérant a été admis partiellement et que le requérant a, de son propre gré, refusé les mesures d'allégement de sa détention que les autorités lui avaient proposées. Il considère en outre que la requête est abusive au motif que le requérant a repoussé tout assouplissement de son régime en se fondant sur des explications qui ne sont guère convaincantes. Enfin, le Gouvernement fait valoir que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes.Le requérant souligne que ni l'admission partielle de son recours de droit public dans l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 27 septembre 1989, ni les allégements suggérés par le Tribunal fédéral et mis en place par les autorités genevoises ne sont de nature à lui enlever la qualité de victime au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention. En effet, le Tribunal fédéral, tout en confirmant la légalité du principe de sa détention à l'isolement, avait seulement suggéré des mesures d'allégement qui n'étaient nullement de nature à modifier fondamentalement le traitement inhumain dont il est victime. Le requérant souligne que, dans ces circonstances, sa requête ne saurait non plus être considérée comme abusive.
La Commission note que selon le requérant les conditions de sa détention ne se sont pas améliorées depuis les arrêts du Tribunal fédéral. Elle estime, dès lors, que le requérant est en droit de se prétendre victime d'une violation de la Convention.
En ce qui concerne la question de l'épuisement des voies de recours, la Commission constate qu'un deuxième recours de droit public formé par le requérant a été rejeté par le Tribunal fédéral le 1er mai 1991. La Commission estime, dès lors, que le requérant a satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l'article 26 (art. 26) de la Convention en ce qui concerne les conditions de sa détention à la prison de Champ-Dollon.
b)Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement observe que le régime de détention du requérant ne saurait être considéré comme un cas d'isolement sensoriel ou social complet et que la durée de la mesure litigieuse, compte tenu de l'ensemble des circonstances,ne constituait pas une violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Le requérant soutient que les conditions de sa détention en isolation complète d'une durée de plus de quatre ans, sans aucune modification en sa faveur sont contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention. Il souligne, à ce sujet, que deux médecins du service médical de la prison avaient exprimé l'opinion, devant le Tribunal fédéral, que la dégradation de son psychisme provenait du manque de relations humaines spontanées. Nonobstant des recommandations du Tribunal fédéral dans ce sens, aucune amélioration sensible n'est intervenue.
Au vu des arguments avancés par les parties, la Commission considère que la question de savoir si le régime de détention imposé au requérant du 18 août 1987 au 29 octobre 1991 à la prison de Champ- Dollon présente le caractère d'un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention, soulève des questions de fait et de droit complexes qui appellent un examen au fond.
Il s'ensuit que cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. A cet égard, elle doit, dès lors, être déclarée recevable, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé.
2.Le requérant allègue, en outre, que les conditions de sa détention actuelle aux établissements pénitentiaires de la Plaine de l'Orbe où il subit depuis le 29 octobre 1991 la peine prononcée à son encontre par la cour d'assises de Genève le 13 mars 1991, sont également contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention. La Commission note que par arrêté du 23 décembre 1991, le Département de justice et police du canton de Genève a mis le requérant au régime de sécurité renforcée. Un recours est actuellement pendant devant le Conseil d'Etat.
La Commission observe que ces faits ont été portés à sa connaissance en cours d'examen, à savoir après avoir décidé en date du 14 janvier 1991 de communiquer la requête aux parties, conformément à l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur et après avoir reçu les observations des parties. On ne saurait en conclure que ces faits nouveaux échappent nécessairement à son contrôle. Toutefois, ceux-ci ne constituent pas, de l'avis de la Commission, de simples prolongements de ceux qui lui étaient dénoncés à l'origine et qui avaient déjà fait l'objet d'un arrêt du Tribunal fédéral (cf. mutatis mutandis No 8463/78, Kröcher et Möller c/Suisse, déc. 9.7.81, D.R. 26 pp. 24, 36, 37). En effet, le requérant était soumis au régime de détention préventive à la prison de Champ-Dollon. Tel n'est pas le cas en ce qui concerne sa détention aux établissements pénitentiaires de la Plaine de l'Orbe où il est détenu pour l'exécution de sa peine.
La Commission relève que ni le Conseil d'Etat ni, en dernière instance, le Tribunal fédéral ne se sont encore prononcé sur la mesure dont le requérant fait l'objet aux établissements de la Plaine de l'Orbe.
La Commission en conclut que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, dans la mesure où il se plaint des conditions dans lesquelles il purge sa peine depuis le 29 octobre 1991 et que la requête doit être rejetée sur ce point en application des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à la majorité,
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, dans la mesure où elle met en cause les conditions de détention du requérant à la prison de Champ- Dollon, tout moyen de fond étant réservé,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
L'Adjoint au SecrétaireLe Président de la Commission de la Commission (M. de SALVIA) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 16194/90
Date de la décision : 11/02/1992
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement) ; recevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : BOUAJILA
Défendeurs : la SUISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-11;16194.90 ?

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