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13/02/1992 | CEDH | N°16698/90

CEDH | N. contre la FRANCE


DEUXIEME CHAMBRE SUR LA RECEVABILITE de la requête No 16698/90 présentée par Y.N. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 février 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. D

ANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F....

DEUXIEME CHAMBRE SUR LA RECEVABILITE de la requête No 16698/90 présentée par Y.N. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 février 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre, Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 28 mars 1990 par Y.N. contre la France et enregistrée le 11 juin 1990 sous le No de dossier 16698/90 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : 16698/90- 2 -
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant algérien né en 1956 en Algérie. Il réside à G. en France. Devant la Commission il est représenté par Maître Stéphane Monet, avocat au Barreau de G..
Les faits de la cause, tels qu'exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit :
Depuis 1957, le requérant a toujours vécu en France où il a été scolarisé. Il s'est marié en France et a deux enfants qui demeurent dans ce pays avec leurs parents.
Le 25 octobre 1985, le tribunal correctionnel de Grasse condamna le requérant à la peine de quatre ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Par arrêt du 15 mai 1986, la cour d'appel d'Aix-en-Provence confirma le jugement intervenu. Suivant requête du 22 mars 1989, le requérant demanda à être relevé de la mesure d'interdiction en faisant valoir que né en 1956 il vivait en France depuis l'âge d'un an et qu'il avait toutes ses attaches familiales en France, notamment ses deux enfants.
Par arrêt du 5 janvier 1990, la cour d'Aix déclara la requête irrecevable au motif que : "l'article 630-1 dernier alinéa du Code de la Santé publique tel qu'il résulte de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1987 fait désormais obstacle en ce que les condamnés à l'interdiction définitive du territoire français pour trafic de stupéfiants puissent demander à bénéficier de l'article 55-1 du Code pénal afin d'être relevés de cette interdiction;"
La cour d'appel relevait par ailleurs que cette loi nouvelle, loi de procédure, était immédiatement applicable aux situations en cours.
Le requérant ne se pourvut pas en cassation contre cette décision.
GRIEFS
Devant la Commission, le requérant se plaint de ce que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 janvier 1990 ayant déclaré sa requête irrecevable a été pris en violation du principe de la non- rétroactivité des lois pénales énoncé par l'article 7 de la Convention.
Il considère également que la condamnation à l'interdiction définitive du territoire dont il a été frappé en application de l'article L 630-1 du Code de la Santé publique enfreint l'article 2 par. 1 et 3 du Protocole N° 4 et l'article 14 de la Convention.
Il se plaint enfin que l'interdiction définitive du territoire français porte atteinte à sa vie familiale et invoque l'article 8 de la Convention pris isolément et en liaison avec l'article 14. - 3 -16698/90
EN DROIT
1.Le requérant se plaint de ce que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 janvier 1990 ayant déclaré sa requête irrecevable a été pris en violation du principe de la non-rétroactivité des lois pénales énoncé par l'article 7 (art. 7) de la Convention.
Cette disposition est ainsi libellée : "1.Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2.Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées."
Examinant ce grief sous l'angle de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention, la Commission note tout d'abord qu'au moment où le requérant fut condamné, l'article 55-1 du Code pénal permettait à toute personne frappée d'une interdiction, qu'elle soit temporaire ou définitive, de demander à la juridiction qui avait prononcé la condamnation le relèvement de l'interdiction en tout ou en partie.
La Commission relève par ailleurs que la loi du 31 décembre 1987 contenant diverses dispositions relatives à la répression du trafic de stupéfiants modifia l'article L 630-1 du Code de la Santé publique et exclut du bénéfice des dispositions de l'article 55-1 du Code pénal les étrangers frappés d'une interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
A cet égard, la Commission observe que la requête en relèvement de l'interdiction définitive du territoire français fut déposée par le requérant le 22 mars 1989, et donc après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Elle note que c'est postérieurement au prononcé de la peine que le requérant a perdu, du fait de l'application de la nouvelle loi, la possibilité de demander à être relevé de l'exécution d'une peine accessoire.
La Commission estime tout d'abord que le changement de législation ne porte pas sur la peine infligée, mais uniquement sur son exécution (cf. mutatis mutandis N° 15393/89, déc. 9.3.90 ; N° 16661/90, déc. 2.12.91, N° 16725/90, déc. 6.12.91). A ce propos, la Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'article 7 (art. 7) ne saurait être interprété comme prohibant toute législation ayant pour effet de modifier l'exécution d'une peine prononcée antérieurement (cf N° 11653/85, déc. 3.3.86, D.R. 46 p. 231). Au demeurant, on ne saurait considérer que dans le cas d'espèce, la modification législative mise en cause par le requérant a eu pour effet d'entraîner une aggravation de la peine prononcée à son encontre, à savoir l'interdiction définitive du territoire.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.16698/90- 4 -
2.Le requérant estime que la condamnation à l'interdiction définitive du territoire enfreint l'article 2 par. 1 et 3 du Protocole N° 4 et l'article 14 (art. 2-1, P4-3, 14) de la Convention.
L'article 2 du Procotole N° 4 (P4-2) reconnaît à toute personne le droit de circuler librement sur le territoire d'un Etat. L'article 14 (art. 14) de la Convention énonce pour sa part le principe de non- discrimination.
La Commission constate que l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) ne concerne que le droit de circuler à l'intérieur d'un Etat et ne régit en aucune manière les conditions dans lesquelles une personne a le droit de résider dans un Etat. Il s'ensuit que la requête doit être rejetée, sur ce point, comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2).
3.Le requérant se plaint également de ce que l'interdiction définitive du territoire français porte atteinte à sa vie familiale et invoque l'article 8 (art. 8) de la Convention, pris isolément et en liaison avec l'article 14 (art. 14) de la Convention.
L'article 8 par. 1 (Art. 8-1) dispose que "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance."
La Commission considère tout d'abord qu'à supposer que le grief fût dirigé contre le jugement au fond qui prononça l'interdiction définitive du territoire, la décision interne est à cet égard l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 mai 1986. Sous ce rapport le grief est donc tardif au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention.
Pour autant que le grief vise la procédure en relèvement de l'interdiction définitive du territoire, la Commission observe qu'après l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1987, le requérant ne pouvait plus bénéficier du recours prévu par l'article 55-1 du Code pénal lui permettant de demander à être relevé de l'interdiction du territoire français. Dans ces conditions, la procédure entamée par le requérant en 1989 devant la cour d'appel ne pouvait donner lieu à un examen sur le fond de son grief tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Partant, cette procédure ne saurait être considérée comme un recours satisfaisant aux conditions de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Dans ces conditions, pour autant que le grief vise la loi du 31 décembre 1987, le délai de six mois prévu à l'article 26 (art. 26) de la Convention court à partir de la date d'entrée en vigueur de cette loi. Ayant été introduite plus de six mois après cette date, la requête est tardive.
Il s'ensuit que le grief tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention doit être rejeté en application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à la majorité
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de Le Président de la Deuxième Chambre la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 16698/90
Date de la décision : 13/02/1992
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement) ; recevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : N.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-13;16698.90 ?

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