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13/02/1992 | CEDH | N°17078/90

CEDH | S.C.I. DE BOUMOIS contre la FRANCE


DEUXIEME CHAMBRE SUR LA RECEVABILITE de la requête No 17078/90 présentée par SCI DE BOUMOIS contre la France __________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 février 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H.

DANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F. M...

DEUXIEME CHAMBRE SUR LA RECEVABILITE de la requête No 17078/90 présentée par SCI DE BOUMOIS contre la France __________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 13 février 1992 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 28 mars 1990 par SCI DE BOUMOIS contre la France et enregistrée le 27 août 1990 sous le No de dossier 17078/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
17078/90- 2 -
EN FAIT
Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par la requérante peuvent se résumer comme suit :
La requérante est une société civile immobilière ayant son siège social à St Martin de la Place (Maine et Loire). Elle est représentée par son gérant en exercice.
Le 11 janvier 1983, la société requérante obtint du maire de St Martin de la Place une autorisation d'affouillement délivrée en application du Code de l'urbanisme en vue de l'aménagement d'un étang.
Le maire de la commune, exerçant ses pouvoirs de police municipale, prescrivit par arrêté du 23 septembre 1983 la suspension immédiate des travaux de creusement en raison des risques graves que comportait la réalisation du projet de la société requérante.
Le 9 octobre 1985, la société requérante saisit le tribunal administratif de Nantes qui rejeta le 3 juillet 1986 son recours en annulation de l'arrêté municipal en considérant notamment que "la société requérante ne peut se prévaloir de droits acquis par la délivrance antérieure d'un permis de construire des cabanes de tir et de clôtures, à le supposer valide, ce permis ne pouvant tenir lieu de l'autorisation de creusement prévue par les articles R-442-1 et suivants du Code de l'urbanisme".
Le 5 septembre 1986, la société requérante saisit le Conseil d'Etat d'un recours contre le jugement.
Le 30 septembre 1986, le dossier de première instance fut transmis au Conseil d'Etat.
Le 12 novembre 1986, la société requérante déposa son mémoire ampliatif. Le 7 juin 1987, le maire de la commune déposa son mémoire en défense auquel la société répliqua le 22 octobre 1987. Le 5 janvier 1988, le dossier fut confié à un rapporteur et le 5 avril 1988, à la demande de l'avocat de la société, communiqué aux directions départementales de l'équipement et de l'agriculture du Maine et Loire. Il fut restitué le 19 août 1988 sans observations. Le 18 juillet 1990, le ministre de l'Equipement présenta ses observations. Le 15 octobre 1990, un nouveau rapporteur fut désigné. Il déposa son rapport le 12 février 1991. Le 23 mars 1991, eut lieu la séance d'instruction.
Après audience du 19 avril 1991, le Conseil d'Etat rendit son arrêt le 17 mai 1991 par lequel il annula le jugement du tribunal adminsitratif de Nantes et l'arrêté municipal du 23 septembre 1985 en considérant que les travaux entrepris par la société requérante n'apparaissaient pas comme étant de nature à compromettre la sécurité publique et que le maire avait excédé ses pouvoirs en prescrivant l'interruption desdits travaux. - 3 -17078/90
GRIEFS
La société requérante se plaint de la longueur de la procédure administrative introduite le 9 octobre 1985 devant le tribunal administratif de Nantes et qui a abouti à l'arrêt rendu le 17 mai 1991 par le Conseil d'Etat. Ce dernier a statué au terme de quatre ans et huit mois de procédure.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La présente requête a été introduite le 28 mars 1990 et enregistrée le 27 août 1990.
Le 15 octobre 1990, la Commission, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter cette requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.
Le Gouvernement a présenté ses observations les 16 avril et 23 mai 1991. La requérante y a répondu le 12 juin 1991.
Le 9 avril 1991, la Commission a décidé de renvoyer la requête à une Chambre.
EN DROIT
La société requérante se plaint de la durée de la procédure administrative en contestation de l'arrêté municipal lui prescrivant l'interruption des travaux qu'elle avait entrepris en vertu de l'autorisation municipale qu'elle avait obtenue. Elle invoque les dispositions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui garantit à toute personne le droit "à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable".
Le Gouvernement oppose à la société requérante une première exception tirée du non-épuisement de la voie de recours interne ouverte par l'arrêt de principe Darmont du 29 décembre 1978 pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.
La requérante conteste l'interprétation que le Gouvernement fait de l'article 26 (Art. 26) de la Convention.
La Commission rappelle que l'épuisement des voies de recours internes n'implique l'utilisation des voies de droit que pour autant qu'elles sont efficaces et suffisantes, c'est-à-dire susceptibles de remédier à la situation en cause (voir Cour Eur. D.H., arrêt De Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, série A n° 77, p. 19, par. 39).
Il incombe à l'Etat défendeur, s'il plaide le non-épuisement des vois de recours internes, de démontrer la réunion de ces diverses conditions (voir entre autres Cour Eur. D.H., arrêt Johnston et autres du 18 février 1986, série A n° 112, p. 22, par. 45 ; arrêt Ciulla du 22 février 1989, série A n° 148, p. 14, par. 31). 17078/90- 4 -
La Commission relève que cette voie de recours présuppose que les autorités administratives reconnaissent au préalable qu'une durée excessive de la procédure est constitutive d'une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle.
La Commission constate de plus que le Gouvernement ne cite pas, suite à l'arrêt Darmont de 1978 qui a posé le principe mais ne l'a pas appliqué au cas qui lui avait été soumis en l'espèce, un quelconque arrêt ayant fait application de ce principe. A fortiori, le Gouvernement ne cite aucun arrêt dans lequel le Conseil d'Etat aurait constaté qu'une juridiction administrative avait commis une faute lourde à raison de la durée excessive de la procédure engagée devant elle, et aurait attribué une indemnisation en raison de la durée de la procédure et de la violation subséquente de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
En l'espèce, la Commission constate que le Gouvernement défendeur n'a pas démontré que le recours que le requérant aurait dû, selon lui, utiliser pour répondre aux exigences de l'article 26 (art. 26) de la Convention était effectif (cf. No 11282/84, déc. 12.11.87, D.R. 54 p. 77).
Il s'ensuit que l'objection tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue.
Le Gouvernement oppose ensuite une exception tirée de l'incompatibilité ratione materiae avec la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2), au motif que la société requérante n'était titulaire d'aucun droit ainsi qu'a pu le juger le tribunal administratif et subsidiairement, qu'en ordonnant l'interruption des travaux de creusement d'un étang, le maire ne mettait pas en cause les droits de caractère civil que sont le droit de propriété et le droit de construire, mais visait à faire respecter l'obligation d'obtenir une autorisation de creusement. Son intervention prise après avis des services compétents était fondée sur les pouvoirs de police qu'il tient de l'article L 131-2 du Code des communes et ne créait aucun rapport juridique de caractère civil entre la société requérante et une autorité publique. Il se réfère sur ce point à la décision de la Commission du 6 mai 1982 (N° 9607/81, déc. 6.5.82, D.R. n° 28, p. 248) dans laquelle la Commission a considéré que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne s'applique pas à toute limitation apportée par les autorités à la jouissance du droit de propriété et qu'en particulier la législation sur la police des constructions édictée souverainement par l'Etat dans l'intérêt public, n'est pas génératrice de rapports juridiques pouvant être qualifiés de droits et obligations de caractère civil.
La requérante conteste la thèse du Gouvernement et soutient que la décision du maire d'interdire les travaux a constitué une atteinte à son droit de propriété.
Certes, la Commission a déjà pu considérer que la législation sur la police des constructions, en particulier les normes relatives à la hauteur des bâtiments, édictée souverainement par l'Etat dans l'intérêt public, n'est pas génératrice de rapports juridiques entre les propriétaires et l'Etat qui pourraient être qualifiés de droits et obligations de caractère civil au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (cf. N° 9607/81, déc. 6.5.82, D.R. 28 p. 248). - 5 -17078/90
La Commission considère cependant devoir dans la présente espèce adopter un raisonnement inspiré des principes dégagés par la Cour européenne des Droits de l'Homme (cf. notamment arrêt Tre Traktörer AB du 7 juillet 1989, Série A n° 159, pp. 16 et 17, par. 36, arrêt Allan Jacobsson du 25 octobre 1989, Série A n° 163, p. 19, par 66) et rechercher s'il y avait contestation sur un "droit" que l'on pouvait dire, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, et, dans l'affirmative, si ce droit revêtait un caractère civil au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Quant au premier point, la Commission estime qu'il y avait bien une contestation réelle, notamment sur la légalité de la décision municipale interdisant la poursuite des travaux entrepris par la société requérante. Quant au caractère civil du droit de la société requérante, la Commission rappelle que la notion de "droits et obligations de caractère civil" ne doit pas, d'après la jurisprudence de la Cour, s'interpréter par simple référence au droit interne de l'Etat défendeur ; il suffit que l'issue de la procédure soit déterminante pour les droits et obligations de caractère privé (voir arrêt Tre Traktörer AB précité, Série A n° 159, p. 18, par. 41).
En l'occurrence la Commission considère que l'issue de la contestation était déterminante pour les activités professionnelles de la société requérante et que le "droit" qui lui était contesté de construire sur son terrain revêt un "caractère civil" aux fins de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
La Commission est par conséquent d'avis que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention est applicable en l'espèce. Partant, l'exception soulevée à cet égard par le Gouvernement ne saurait être retenue.
En ce qui concerne le bien-fondé du grief, la Commission relève que le recours devant le tribunal administratif de Nantes qui marque le début de la procédure date du 9 octobre 1985. Le Conseil d'Etat a rendu son arrêt le 17 mai 1991. Selon la requérante, ce laps de temps ne saurait passer pour "raisonnable" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Le Gouvernement combat cette thèse. Il considère que la procédure qui a duré moins de neuf mois devant le tribunal administratif de Nantes est raisonnable et que le déroulement chronologique de la procédure devant le Conseil d'Eat fait apparaître des carences et initiatives malencontreuses imputables à la société requérante qui a tardé dans le dépôt de ses mémoires et a retardé le déroulement de l'instance en demandant la communication du dossier aux différentes directions départementales. Il estime enfin qu'aucune négligence particulière ne peut être imputée aux autorités judiciaires qui ont conduit la procédure sans retard.
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Selon la jurisprudence constante de la Cour et de la Commission, le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard en particulier aux critères suivants : la complexité de l'affaire, le comportement des parties et celui des autorités compétentes (voir, par exemple, Cour Eur. D.H., arrêt H. c/ France du 24 octobre 1989, série A n° 162, p. 21, par. 50).
Faisant application de ces critères et tenant compte des circonstances propres à la présente affaire, la Commission estime que la durée de la procédure litigieuse soulève des problèmes qui nécessitent un examen du fond de l'affaire. En conséquence, elle ne saurait déclarer la requête manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire de la Le Président Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 17078/90
Date de la décision : 13/02/1992
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement) ; recevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : S.C.I. DE BOUMOIS
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-13;17078.90 ?

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