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25/02/1992 | CEDH | N°12963/87

CEDH | AFFAIRE MARGARETA ET ROGER ANDERSSON c. SUEDE


En l'affaire Margareta et Roger Andersson c. Suède*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, J. Cremona, F. Gölcüklü, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, A. Spielmann, J. De Meyer, F. Bigi, G. L

agergren, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greff...

En l'affaire Margareta et Roger Andersson c. Suède*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, J. Cremona, F. Gölcüklü, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, A. Spielmann, J. De Meyer, F. Bigi, G. Lagergren, juge ad hoc,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 août 1991 et 20 janvier 1992, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 61/1990/252/323. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis le Gouvernement du Royaume de Suède ("le Gouvernement"), les 14 et 17 décembre 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12963/87) dirigée contre la Suède et dont deux citoyens suédois, Mme Margareta Andersson et son fils Roger Andersson, avaient saisi la Commission le 13 février 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration suédoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Comme la requête du Gouvernement, elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 8 (art. 8), auquel la requête ajoute l'article 13 (art. 13).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et ont désigné leur conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme E. Palm, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Toutefois, Mme Palm s'est récusée le 8 janvier 1991 en vertu de l'article 24 par. 2 du règlement; par une lettre du 22 février, l'agent du Gouvernement a avisé le greffier du choix de M. Gunnar Lagergren, ancien membre de la Cour, pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 43 de la Convention et 23 du règlement) (art. 43). Le 21 février, le président a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. J. Cremona, F. Gölcüklü, J. Pinheiro Farinha, A. Spielmann, J. De Meyer, I. Foighel et F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. L.-E. Pettiti, suppléant, a remplacé M. Foighel, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le conseil des requérants au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).
5. Par la suite et conformément aux ordonnances et directives du président, le greffier a reçu des requérants et du Gouvernement, à des dates diverses s'échelonnant du 15 mars au 26 août 1991, leurs observations respectives, les prétentions des premiers au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention et différentes pièces. Par une lettre du 30 mai, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait de vive voix. Les 4 juillet et 5 août 1991, la Commission a produit plusieurs documents; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
6. Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 26 août 1991, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu: - pour le Gouvernement MM. C.H. Ehrenkrona, conseiller juridique, ministère des Affaires étrangères, agent, R. Gustafsson, conseiller juridique, ministère de la Santé et des Affaires sociales, conseiller; - pour la Commission M. H. Danelius, délégué; - pour les requérants Mmes S. Westerberg, avocat, conseil, B. Hellwig, conseiller. La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de plusieurs juges, M. Ehrenkrona pour le Gouvernement, M. Danelius pour la Commission et Mme Westerberg pour les requérants.
7. Les 5 et 13 septembre 1991, le greffier a reçu des requérants puis du Gouvernement des réponses écrites complémentaires aux questions posées à l'audience.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE A. La genèse de l'affaire
8. Nés respectivement en 1951 et 1974, Mme Margareta Andersson et son fils Roger Andersson sont citoyens suédois. Ils résidèrent d'abord à Växjö, mais s'installèrent en 1985 à Nybro.
9. Le 5 juin 1985, le président de la commission sociale n° 1 du conseil social (socialnämndens socialutskott I) de Växjö décida la prise en charge immédiate et provisoire de Roger en vertu de l'article 6 de la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga - "la loi de 1980"). Sa décision devait permettre à la clinique psychiatrique pour enfants et adolescents ("la clinique") de Växjö d'étudier la situation de l'intéressé. Elle se fondait sur le rapport d'un agent des services sociaux, de la même date, qui relevait notamment ce qui suit. Quand Roger commença de fréquenter l'école en 1981, on avait constaté qu'il manquait de sociabilité et de maturité; il se montrait fort timide, inhibé et peu assuré. Les services sociaux de Växjö avaient alors formulé, pour l'aider, plusieurs suggestions que Margareta Andersson écarta. A partir de décembre 1984, Roger cessa d'aller à l'école régulièrement. Sa mère et lui déménagèrent plus tard à une adresse inconnue des services sociaux mais qu'ils réussirent à découvrir (à Nybro) après enquête. Le rapport concluait que le comportement de la mère perturbant gravement la santé et le développement de Roger, celui-ci avait subi sans doute longtemps un traitement préjudiciable à sa condition mentale. Comme sa santé et son développement couraient un danger de plus en plus grand et que Margareta Andersson entraverait l'enquête, la prise en charge s'imposait d'urgence.
10. Le 11 juin 1985, les services sociaux résolurent d'interdire les contacts entre les requérants en attendant que le tribunal administratif départemental (länsrätten) de Växjö eût statué sur la question de l'assistance. Ils autorisèrent toutefois certains entretiens téléphoniques. L'interdiction serait réexaminée dès qu'on ne jugerait plus néfaste pour Roger d'avoir des relations avec sa mère.
11. Par deux décisions du 14 juin 1985, le tribunal administratif confirma l'ordonnance de prise en charge provisoire et entérina l'interdiction. Le médecin-chef adjoint de la clinique, entendu en qualité d'expert, avait déclaré notamment qu'il fallait réglementer les contacts de Margareta Andersson avec Roger; il serait "trop dramatique pour Roger de laisser sa mère lui rendre visite". Elle ne pouvait supporter sa séparation de lui; elle avait en réalité besoin d'assistance à l'égal de lui-même. Ce n'était pas lui qui avait à s'occuper d'elle. L'interdiction des contacts était donc nécessaire tant que Margareta Andersson se trouverait dans un aussi mauvais état. Margareta Andersson attaqua en vain ces décisions devant la cour administrative d'appel (kammarrätten) de Jönköping. Le 26 juillet 1985, la Cour administrative suprême (regeringsrätten) lui refusa l'autorisation de la saisir.
12. Le conseil social sollicita auprès du tribunal administratif départemental une ordonnance de prise en charge au titre du deuxième paragraphe, alinéa 1, de l'article 1 de la loi de 1980. Après audience, le tribunal accueillit la demande le 17 juillet 1985, entre autres par les motifs suivants: "L'enquête menée en l'espèce ne révèle aucune raison de critiquer la manière dont Margareta Andersson dirige sa maison. A notre connaissance, les conditions matérielles [y] sont satisfaisantes. L'enquête prouve cependant que la situation y est de nature à nuire au développement social et affectif d'un adolescent. Devant le tribunal administratif départemental, Margareta Andersson a taxé d'inexactitude foncière les informations fournies dans la requête du conseil social. Au vu des résultats de la procédure, il faut considérer qu'elle confirme ainsi son inaptitude à comprendre la situation de Roger. Le comportement de l'enfant montre clairement un développement social et affectif perturbé. Il apparaît dès lors indispensable de donner à l'enfant l'aide et le soutien dont il a besoin pour surmonter ses difficultés. Eu égard à l'attitude de Margareta Andersson, on ne saurait escompter que les mesures nécessaires puissent être adoptées par elle ou avec son aval. En conséquence, on doit confier aux services sociaux la réadaptation de Roger. Il échet donc d'accueillir la demande du conseil social."
13. Ainsi que l'avait décidé le président de la commission sociale (paragraphe 9 ci-dessus), Roger fut placé à la clinique de Växjö le 5 juin 1985, mais le 15 juillet il s'en échappa pour rejoindre sa mère. Le 26 août, elle conclut avec le conseil un accord selon lequel l'assistance de Roger se poursuivrait à leur domicile de Nybro, après un bref séjour à la clinique.
14. En mars 1986, Roger cessa de fréquenter l'école. Le président de la commission sociale lui fit dès lors réintégrer la clinique, le 29 avril, en vue de le placer dans un foyer d'accueil. Toutefois, l'enfant s'enfuit à nouveau le 13 mai et alla chez sa mère où la police le reprit le 5 août 1986.
15. Dans l'intervalle, le 22 mai 1986, le conseil avait décidé d'envoyer Roger dans un foyer d'accueil. Margareta Andersson s'en plaignit au tribunal administratif départemental, qui la débouta le 19 août après une audience à laquelle elle comparut assistée d'un conseil, Roger y étant représenté par un avocat commis d'office (offentligt biträde). Elle se pourvut alors devant la cour administrative d'appel, qui rejeta son recours le 17 octobre. Le 19 décembre 1986, la Cour administrative suprême lui refusa l'autorisation de la saisir. Pendant que se déroulait cette procédure, Roger fut transféré, le 23 août, dans un foyer d'accueil - chez M. Meijer et Mme Höjsholt - à Glimåkra, à 120 kilomètres environ de Nybro. Il y demeura la plupart du temps, à l'exception de deux séjours à l'hôpital, jusqu'à la mainlevée de l'ordonnance de prise en charge, le 27 avril 1988 (paragraphe 45 ci-dessous). Il fut hospitalisé une première fois du 3 au 25 février 1987, pour traitement du diabète, puis du 26 février au 3 mai 1988 parce qu'il avait absorbé une trop forte dose d'insuline. Depuis cette dernière date, il vit chez sa mère à Nybro. B. Restrictions aux contacts 1. Décisions prononçant l'interdiction des contacts
16. Le 6 août 1986, le chef de district adjoint des services sociaux de Växjö résolut ce qui suit: "Jugeant la chose nécessaire pour atteindre les objectifs de l'assistance, l'agent soussigné, dûment autorisé par le [conseil] et dans l'attente de la réunion de la commission sociale, décide qu'une interdiction des contacts (umgängesförbud) entre [les requérants], en application de l'article 16 par. 1 de la loi de 1980, entrera en vigueur aujourd'hui et vaudra jusqu'à nouvel ordre. Un réexamen de la décision aura lieu dès qu'un contact personnel entre la mère et l'enfant ne sera plus considéré comme préjudiciable à celui-ci."
17. Dans un rapport du 15 août 1986 au conseil, l'agent des services sociaux chargé du dossier indiqua les raisons de la décision précitée et recommanda le maintien de l'interdiction dans le cadre d'un plan d'assistance pour Roger. Il invoquait pour l'essentiel les éléments ci-après: a) Margareta Andersson avait été mêlée à chacune des deux fuites de Roger hors de la clinique. Elle avait en outre exprimé l'intention de déménager à une adresse inconnue des pouvoirs publics ou de quitter le pays, afin d'éviter des "persécutions". b) Elle avait exercé une influence négative sur Roger au cours de ses visites à la clinique; elle avait adopté parfois un comportement si déplacé que des membres du personnel de la clinique l'en avaient fait sortir. c) Pendant le séjour de Roger à la clinique, il s'était révélé impossible d'amener Margareta Andersson à une forme quelconque de coopération. Alors qu'on lui avait refusé des contacts avec son fils, elle lui avait néanmoins envoyé de l'argent et des messages l'incitant à s'échapper; elle les avait cachés dans des vêtements et jouets qu'elle lui destinait. d) Les membres du personnel du service qui s'occupait de Roger avaient constaté qu'il se conduisait d'une manière "très méfiante, mais calme" et qu'il s'était davantage attaché à eux. Il semblait dominer la situation mieux que sa mère et n'avait pas demandé à téléphoner à celle-ci. e) Pour réaliser les objectifs de la prise en charge, il fallait empêcher pour un temps Margareta Andersson d'avoir "aucune forme de contact avec Roger".
18. D'après le rapport, la décision du 6 août 1986 avait été communiquée à Margareta Andersson de vive voix le 8 août.
19. Le 21 août 1986, la commission sociale entérina le plan d'assistance proposé, y compris l'interdiction des visites. Elle précisait: "[une] interdiction de contacts s'appliquera entre (...) Margareta et Roger Andersson, en vertu de l'article 16 par. 1 [de la loi de 1980], jusqu'à nouvel ordre et jusqu'à ce que des contacts appropriés puissent être organisés sans risque de nuire à l'enfant." Selon la thèse défendue par le conseil pendant la procédure judiciaire interne ultérieure (paragraphes 34-35 ci-dessous), l'interdiction englobait non seulement les visites, mais aussi les communications téléphoniques et la correspondance entre les requérants. 2. Visites
20. Avec l'accord des services sociaux, Margareta Andersson et Roger se rencontrèrent les 5 octobre et 30 décembre 1986 au domicile de la famille Helgesson à Sibbhult, près de Glimåkra. Une visite prévue pour le 3 décembre n'eut pas lieu parce que Margareta Andersson n'en accepta pas les modalités. Ainsi que l'agent des services sociaux l'expliqua dans un rapport du 30 mars 1987 au conseil, M. et Mme Helgesson avaient été désignés comme parents nourriciers de soutien. Leur tâche consistait à ménager chez eux des rencontres entre les requérants, pour faciliter les contacts entre ceux-ci sans provoquer de rupture dans les relations de Roger avec son foyer d'accueil. Les rencontres se déroulaient en présence des Helgesson, du père nourricier - M. Meijer - et d'un ou deux travailleurs sociaux. Elles duraient environ deux heures chacune. Peu après la première, Roger tenta de s'enfuir du foyer d'accueil.
21. Une nouvelle réunion était projetée pour le début de février 1987, mais il fallut l'annuler car Roger se trouvait hospitalisé pour diabète (du 3 au 25 février 1987). Selon le Gouvernement, pendant ce séjour à l'hôpital des efforts particuliers furent consentis pour laisser Margareta Andersson y visiter son fils, mais il se révéla impossible de s'entendre sur les conditions de ces rencontres parce qu'elle insistait pour voir Roger seule. Elle se rendit toutefois auprès de lui le 19 février 1987. A cette occasion, elle eut une violente altercation avec le père nourricier qui, contre son gré à elle, était venu assister à l'entretien; il mit un terme à celui-ci en la forçant à quitter la salle. D'après le Gouvernement, l'incident se produisit parce que Margareta Andersson n'avait averti de son arrivée ni l'hôpital, ni les services sociaux, ni le père nourricier et avait essayé d'emmener son fils avec elle. A en croire les requérants, les services sociaux l'avaient autorisée à voir Roger ce jour-là; elle-même et son représentant avaient indiqué au personnel que comme Roger se trouvait beaucoup mieux à l'hôpital que dans son foyer d'accueil, elle souhaitait qu'il y demeurât. Il n'y aurait donc jamais eu aucun risque qu'elle l'enlevât.
22. Margareta Andersson dénonça le père nourricier à la police, pour diverses voies de fait, mais le parquet classa la plainte après enquête. Sur recours, le chef du parquet de Malmö confirma cette décision.
23. D'autres rencontres eurent lieu chez les Helgesson les 24 juin, 13 juillet et peut-être 20 août 1987. Contrairement aux précédentes, elles se déroulèrent sous la seule surveillance de M. et Mme Helgesson, ainsi que le tribunal administratif départemental l'avait prescrit dans un jugement du 1er juin 1987 (paragraphe 39 ci-dessous). Selon le Gouvernement il y eut aussi une réunion le 5 août 1987, mais les requérants le contestent.
24. Les 2 et 24 avril, 25 juin et 26 octobre 1987, Mme Wintler, travailleur social désigné par les services sociaux pour assister Margareta Andersson, lui proposa de participer à l'organisation de toute rencontre future avec Roger. La requérante s'y refusa, mais exprima le désir qu'ils fussent réunis.
25. Ils se rencontrèrent chez elle le 28 novembre 1987, en présence des Helgesson et de Mme Wintler. D'après le Gouvernement, des réunions semblables eurent lieu également le 20 décembre 1987 ainsi que les 9 et 30 janvier 1988; les requérants le nient.
26. Le 5 février 1988, la commission sociale décida que des rencontres se produiraient à raison d'une par mois jusqu'en mai au domicile de Margareta Andersson et que dans l'intervalle il y en aurait d'autres chez les Helgesson (paragraphe 43 ci-dessous). Le tribunal administratif départemental précisa, le 17 février, que les secondes se tiendraient au moins deux fois par mois (paragraphe 44 ci-dessous).
27. Emmené entre temps à l'hôpital le 26 février 1988, Roger y séjourna jusqu'au 3 mai (paragraphe 15 ci-dessus). Pendant cette période, sa mère put lui rendre visite et rester la nuit à son chevet. Elle passa au total environ deux semaines dans l'établissement. 3. Communications téléphoniques et correspondance
28. Selon une note du chef de district adjoint, datée du 4 mars 1987, l'interdiction des contacts entre les requérants fut appliquée de la manière suivante jusqu'à nouvel ordre: "L'interdiction englobe les communications téléphoniques et la correspondance. Margareta a la faculté, à certains moments de la semaine, d'entrer en rapport par téléphone avec le médecin de Roger et Mme Helgesson. Elle a aussi des contacts téléphoniques avec [le père nourricier]. Ses lettres à Roger seront d'abord lues par [le père nourricier]."
29. Selon les requérants, Margareta Andersson adressa environ deux lettres par mois à Roger au foyer d'accueil, mais il n'en reçut aucune, apparemment parce que le père nourricier les avait gardées par devers lui. De plus, alors que son fils se trouvait à l'hôpital en février 1987, elle lui envoya plusieurs missives qui ne lui parvinrent pas davantage car le personnel hospitalier les avait interceptées et transmises au père nourricier.
30. Le Gouvernement affirme, lui, que dans la mesure où il a pu l'établir seules furent interceptées deux lettres de la mère, non datées mais probablement rédigées en février 1987. Dans l'une, elle disait avoir parlé de l'affaire à la radio et s'être vu refuser des contacts téléphoniques avec son fils; elle invitait celui-ci à informer le médecin de l'hôpital, afin d'obtenir son appui, qu'il n'était pas content de la famille d'accueil. Dans l'autre, elle lui signalait le jour de l'émission et le nom de son nouvel avocat, qui ne négligerait aucun effort pour qu'il retournât à la maison. Elle lui demandait aussi de lui indiquer comment les choses se passaient à Glimåkra.
31. Le Gouvernement a donné ces lettres au représentant des requérants à l'audience du 26 août 1991. Selon lui, les services sociaux n'avaient pu les retrouver qu'à la fin d'avril 1991.
32. Il ressort en outre du dossier que le père nourricier avait défendu à Roger d'appeler Margareta Andersson ou de lui écrire et avait pris certaines mesures préventives en ce sens. L'enfant n'en expédia pas moins deux lettres à sa mère au cours de l'automne 1986.
33. Le 5 février 1988, la commission sociale releva les requérants de l'interdiction de correspondre; elle les autorisa en outre à communiquer par téléphone, à condition que l'initiative vînt de Roger (paragraphe 43 ci-dessous). C. Première série de procédures contre les restrictions aux contacts
34. Margareta Andersson attaqua la décision du 21 août 1986 (paragraphe 19 ci-dessus) devant le tribunal administratif départemental; elle réclamait tout à la fois le retrait de l'interdiction des visites et le droit de parler à Roger par téléphone. Une audience eut lieu le 11 septembre 1986; elle y comparut assistée d'un conseil. Le lendemain, le tribunal déclara la seconde requête irrecevable et rejeta la première au fond, par les motifs que voici: "Margareta Andersson a plaidé notamment ce qui suit. L'interdiction des contacts imposée par la commission sociale irait au-delà de ce qu'exige la mise en oeuvre de l'ordonnance de prise en charge. Elle remonte à une date antérieure au transfert de Roger à Glimåkra. La situation aurait changé maintenant que Roger y vit. Rien ne montrerait que [Margareta Andersson] exercerait aujourd'hui une influence négative sur lui. Elle ne se serait pas immiscée dans l'actuel placement et n'aurait pas cherché à saboter les mesures adoptées à présent. Le ressentiment qu'elle a manifesté découlerait de ce qu'elle ne saisit pas pourquoi il fallait prendre son fils en charge. Sans doute les sacs de vêtements apportés par elle à Roger pendant son séjour à la clinique (...) renfermaient-ils de l'argent et une carte annonçant qu'elle l'aiderait à quitter cet endroit, mais il n'en résulterait pas qu'elle l'ait encouragé à s'évader; c'était sa manière à elle de lui dire qu'elle essaierait de le ramener chez elle en appelant de la décision de prise en charge. Roger rencontrerait beaucoup de difficultés dans le foyer d'accueil de Glimåkra. Par des conversations téléphoniques avec les parents nourriciers, elle aurait su qu'il reste assis seul dans sa chambre, en train de pleurer. Il voudrait retourner à la maison. En outre, il servirait là-bas de domestique; il devait faire vaisselle et ménage. D'après le conseil social, les événements ont obligé à empêcher les contacts; cela engloberait l'interdiction, pour Margareta Andersson, de s'entretenir au téléphone avec Roger. Le conseil aurait déployé de grands efforts pour se rapprocher de la mère et instaurer avec elle une véritable coopération. En vain. Il entendrait ne pas risquer l'échec de nouvelles tentatives. La clinique (...) aurait souligné qu'un tel échec pourrait avoir de graves conséquences pour Roger. Les déclarations de Margareta Andersson prouveraient qu'elle est prête à emmener son fils. Or il se développerait bien dans le foyer d'accueil. Le conseil aurait pour but d'améliorer sa coopération avec la mère. Dans son esprit, un mois au moins devrait s'écouler entre le transfert de l'enfant et tout contact de sa mère avec lui. S'il aboutit à un accord convenable avec elle, le conseil compte la laisser voir l'enfant à la fin de septembre ou au début d'octobre. Le tribunal administratif départemental considère ce qui suit. La décision de prendre en charge Roger, en vertu de [la loi de 1980], puis de le transférer à Glimåkra repose sur l'incapacité de Margareta Andersson à lui dispenser les soins nécessaires. Par deux fois, alors qu'il séjournait à la clinique (...), il s'en est échappé et a réussi, avec l'aide de sa mère, à en rester longtemps éloigné. Lors du dernier séjour de Roger à la clinique (...), Margareta Andersson a essayé de lui donner un message qui, pour lui, signifiait qu'elle allait l'enlever. Cela étant, et vu la nécessité de ne pas interrompre un placement à peine commencé et d'empêcher Margareta Andersson d'influencer Roger, le tribunal administratif départemental estime que la commission sociale a de bonnes raisons de décider d'interdire les contacts. Il juge cependant utile de préciser que si l'on peut arriver à une coopération fructueuse avec Margareta Andersson, il importe qu'une rencontre ait lieu entre la mère et son fils comme le projette le conseil. Selon l'article 20 par. 3 [sans doute par. 4] de [la loi de 1980], une décision du conseil se prête à un recours au tribunal administratif départemental quand elle a statué, en vertu de l'article 16, sur le droit de voir un enfant. Le tribunal constate qu'en prohibant toute communication téléphonique avec Roger, le conseil a restreint les contacts de Margareta Andersson par application de l'article 11 de la loi. Or, d'après l'article 20, aucun recours ne s'ouvre contre une telle décision."
35. Margareta Andersson saisit alors la cour administrative d'appel qui, après un nouvel examen de tous les aspects de l'interdiction litigieuse, la débouta par un arrêt du 11 novembre 1986 fondé, entre autres, sur les motifs suivants: "L'article 16 de [la loi de 1980] habilite le conseil social à restreindre les contacts du parent investi de la garde avec l'enfant, lorsque l'exécution de l'ordonnance de prise en charge l'exige. Il peut s'agir de l'interdiction des communications épistolaires ou téléphoniques entre le parent et l'enfant comme de la non-divulgation du lieu de résidence de ce dernier. En appliquant ce texte, on ne doit en principe limiter les contacts que dans la mesure strictement nécessaire. D'après les explications du conseil social à l'audience devant le tribunal administratif départemental, la décision attaquée (...) comportait l'interdiction des communications épistolaires et téléphoniques. Elle repose en entier sur l'article 16 de la loi. Le tribunal aurait donc dû se pencher sur les parties de la décision qui concernaient ces communications. Partant, il échet d'étudier l'appel de Margareta Andersson quant à l'interdiction dans son ensemble. (...) Pendant la période de prise en charge, le conseil doit en principe s'efforcer de maintenir des contacts entre Roger et Margareta Andersson, mais les circonstances peuvent le forcer à les restreindre, en vertu de l'article précité de la loi. Du dossier et de la procédure menée en l'espèce (...) il ressort que Margareta Andersson n'aperçoit pas la nécessité d'une prise en charge de Roger et qu'elle est hostile au placement de l'enfant hors de chez elle. Elle a déjà déjoué des tentatives de le placer ailleurs, en allant le rechercher et en séjournant avec lui en un endroit inconnu des autorités. La manière dont s'est passée sa dernière rencontre avec lui, et ses propres déclarations devant la cour administrative d'appel, portent à croire qu'elle ne consentira pas à le voir rester dans la famille d'accueil. Or le placement dans le foyer d'accueil ne saurait réussir que si l'enfant s'y sent en sécurité. Les parents nourriciers doivent en outre pouvoir régler paisiblement les problèmes de Roger. Dès que sa mère sera à même d'accepter la prise en charge et le transfert dans la famille d'accueil et qu'elle se montrera coopérative, elle devrait avoir l'occasion de voir Roger. Toutefois, elle a prouvé que pour le moment elle n'est pas prête à pareille collaboration. Dans ces conditions, le conseil avait de bonnes raisons de décider d'interdire tout contact, même par lettre et par téléphone."
36. Le 19 décembre 1986, la Cour administrative suprême refusa à Margareta Andersson l'autorisation de se pourvoir devant elle contre l'arrêt précité. D. Deuxième série de procédures dirigées, entre autres, contre les restrictions aux contacts
37. Le 9 avril 1987, la commission sociale repoussa des demandes de Margareta Andersson en mainlevée de l'ordonnance de prise en charge et de l'interdiction des contacts. Elle précisa notamment ceci: "l'interdiction des contacts, décidée en vertu de l'article 16 par. 1 de [la loi de 1980,] restera en vigueur (...) jusqu'à ce que des contacts adéquats puissent être organisés sans dommage pour l'enfant".
38. En réexaminant cette décision le 14 mai 1987, elle la compléta ainsi: a) bien que pouvant s'interpréter comme une interdiction totale des contacts, la décision du 9 avril 1987 se bornait à les limiter; b) ces restrictions devaient continuer conformément à l'article 16 par. 1 de la loi de 1980. Toute rencontre entre les requérants devait être planifiée et se dérouler en consultation avec les services sociaux locaux de Växjö, chez les Helgesson et en présence du père nourricier.
39. Margareta Andersson saisit le tribunal administratif départemental, réclamant la cessation de la prise en charge ou, en ordre subsidiaire, des restrictions aux contacts avec l'enfant. Le tribunal tint une audience à laquelle les requérants furent l'un et l'autre représentés par un conseil et où déposèrent le père nourricier et M. Mats Eriksson, un travailleur social. Ce dernier avait surveillé et aidé le foyer d'accueil durant un mois, aussitôt après le placement de Roger. Par un jugement du 1er juin 1987, le tribunal modifia la décision du conseil du 9 avril: désormais, seuls M. et Mme Helgesson devraient assister aux rencontres. Ecartant le recours pour le surplus, il statua ainsi quant aux restrictions aux contacts: "Au sujet du droit à des contacts, le conseil social a déclaré qu'il n'y a aucune limitation du nombre des rencontres pouvant être ménagées. Parmi les restrictions figure l'interdiction de se téléphoner ou de s'écrire. L'article 16 de [la loi de 1980] habilite le conseil à restreindre le droit du parent investi de la garde à des contacts avec l'enfant quand les finalités de la prise en charge par l'autorité publique l'exigent. En appliquant ce texte, on doit chercher à ne pas limiter le droit à des contacts au-delà du strict nécessaire. A l'audience devant le tribunal administratif départemental, Margareta Andersson a montré qu'elle n'aperçoit pas la nécessité de placer Roger à l'assistance. Elle a pour seul but de le ramener à la maison. Son attitude crée pour lui un conflit de loyauté. Sa manière d'agir au moment où il s'est évadé de la clinique de Växjö, sa tentative à lui de s'enfuir après la visite de sa mère à la famille d'accueil et son comportement lorsqu'elle lui rendit visite à l'hôpital de Kristianstad, attestent qu'il s'impose de restreindre leurs contacts pour réussir la prise en charge. Le tribunal administratif départemental estime que le conseil social a de bonnes raisons de restreindre le droit à des contacts, même par lettre ou par téléphone. Margareta Andersson a déclaré qu'elle n'ira pas voir son fils si Henry Meijer [le père nourricier] assiste aux rencontres. Le tribunal juge important de modifier la décision du conseil pour encourager Margareta Andersson à se rendre auprès de son fils. Au début, on ne pourra y arriver que si Henry Meijer n'assiste pas aux rencontres. Pour faciliter l'instauration de contacts, aucune autre personne désignée par le conseil ne doit se trouver là. Pendant la visite, qui aura lieu à leur domicile, la présence des époux Helgesson suffira. Il ne faut rien changer d'autre à la décision de restreindre les contacts."
40. Saisie par la requérante, la cour administrative d'appel confirma le jugement le 10 juillet 1987, après une audience à laquelle celle-ci et son fils furent représentés comme devant le tribunal et la première comparut en personne. L'arrêt motiva ainsi le maintien des restrictions aux contacts: "Pendant les débats, on a signalé que Margareta Andersson avait rendu visite à Roger chez les époux Helgesson, à Sibbhult, le 24 juin [1987]. La rencontre - la première (...) depuis février - s'est bien passée. Les modalités exactes des contacts futurs - ainsi que de la prise en charge à l'avenir - dépendent pour beaucoup de l'attitude et du comportement de Margareta Andersson. La cour administrative d'appel estime que d'autres rencontres réussies doivent se dérouler, au foyer des Helgesson par exemple, avant que d'autres types de contacts puissent être admis."
41. La requérante sollicita l'autorisation de se pourvoir devant la Cour administrative suprême, mais celle-ci la lui refusa le 20 août 1987. E. Troisième série de procédures dirigées, entre autres, contre les restrictions aux contacts
42. Le 15 décembre 1987, la commission sociale repoussa derechef une demande de Margareta Andersson en mainlevée de la prise en charge ou, à titre subsidiaire, des restrictions aux contacts.
43. Le 5 février 1988, elle décida que des rencontres mensuelles devaient être organisées chez Margareta Andersson, et non plus seulement chez les Helgesson. En outre, elle rapporta l'interdiction de correspondre et atténua celle de communiquer par téléphone (paragraphes 26 et 33 ci-dessus).
44. Dans un recours ultérieur au tribunal administratif départemental, Margareta Andersson réclama la fin de la prise en charge; en ordre subsidiaire, le placement de l'enfant chez elle; en ordre encore plus subsidiaire, l'abrogation des restrictions aux visites. Après une audience à laquelle les requérants furent tous deux représentés par un conseil, le tribunal écarta la demande principale le 17 février 1988. Quant aux deux revendications subsidiaires, il déclara: "Le conseil social n'a pas examiné la demande de Margareta Andersson tendant à voir le placement se poursuivre à son domicile à elle. Le tribunal ne peut pas davantage en connaître car la loi ne l'habilite pas à fixer le lieu de résidence de Roger. Au sujet des limitations aux contacts, le conseil a exprimé l'intention d'étudier dans un esprit libéral la demande de Margareta Andersson de rencontrer Roger à Glimåkra. Il a aussi précisé que la restriction n'empêche pas les intéressés de se rencontrer en privé, mais signifie qu'un membre de la famille Helgesson doit être présent dans la maison où ils se réunissent. Vu les agissements passés de Margareta Andersson et son attitude sur la question du placement, le tribunal estime que les restrictions aux contacts doivent subsister. Il faut les concevoir de façon à ne pas contrecarrer l'instauration de rapports fructueux. Le tribunal constate qu'il en va bien ainsi de celles qu'a prescrites la commission sociale. Pour éviter toute incertitude, il juge bon de spécifier que les rencontres chez les Helgesson, à Glimåkra, se dérouleront au moins deux fois par mois. Pour le reste, il confirme la décision du conseil quant au droit de visite. Les dispositions qui précèdent vaudront jusqu'à la fin du trimestre scolaire du printemps de 1988, après quoi aura lieu un nouvel examen."
45. Saisie par Margareta Andersson, la cour administrative d'appel mit fin, le 27 avril 1988, à la prise en charge de Roger. Elle considéra que si la raison principale de la situation antérieure de l'enfant - l'incapacité de sa mère à lui offrir des soins et une sécurité suffisants - demeurait, les objectifs de l'ordonnance de prise en charge se trouvaient atteints dans une large mesure, Roger ayant acquis l'aptitude à entretenir de bonnes relations sociales et une certaine estime de lui-même. La cour releva que l'attitude négative de Margareta Andersson à l'endroit des services sociaux avait plutôt empiré pendant la prise en charge et qu'il existait un grand risque de la voir continuer à refuser de coopérer avec eux et avec l'école, même si Roger retournait chez elle. Néanmoins, il y avait lieu de croire que ce retour aurait une influence positive sur le sort de l'adolescent, car on éviterait les conflits engendrés par les mesures d'assistance. En outre, Roger était devenu assez solide et conscient de sa propre situation pour ne point pâtir d'un manque éventuel de soins de la part de sa mère.
II. DROIT INTERNE PERTINENT A. Décisions de prise en charge
46. Les règles fondamentales relatives aux responsabilités de la puissance publique envers les jeunes figurent dans la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620), laquelle prévoit des mesures de soutien et de prévention adoptées avec l'accord des intéressés. A l'époque des faits de la cause, quand les parents n'acceptaient pas les mesures nécessaires la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga - "la loi de 1980") permettait d'ordonner une prise en charge d'office. Une nouvelle législation l'a remplacée en 1990 (paragraphes 65-66 ci-dessous).
47. Aux termes de l'article 1 de la loi de 1980: "Une personne de moins de dix-huit ans doit être prise en charge par l'autorité en vertu de la présente loi si l'on peut présumer que les soins nécessaires ne peuvent lui être assurés avec le consentement de la ou des personnes qui en ont la garde et, s'il s'agit d'un adolescent de quinze ans ou plus, avec le sien. Un jeune doit bénéficier d'une telle prise en charge 1. si sa santé ou son développement se trouvent en danger faute de soins ou en raison d'une autre circonstance propre à sa famille; 2. s'il compromet gravement sa santé ou son développement par l'abus d'agents formateurs d'habitudes, un comportement criminel ou toute autre attitude comparable. (...)"
48. Il incombe au premier chef à chaque municipalité de promouvoir un développement favorable chez les jeunes. A cette fin, elle est dotée d'un conseil social de district. Composé de non-spécialistes assistés de travailleurs sociaux professionnels, il fonctionne sous la surveillance et le contrôle de la préfecture (länsstyrelsen) et de la Direction nationale de la santé et de la protection sociale (socialstyrelsen).
49. En son article 2, la loi de 1980 précisait que si le conseil estimait nécessaire la prise en charge d'un enfant, il devait demander au tribunal administratif départemental de la prononcer. B. Application des décisions de prise en charge 1. Généralités
50. Une fois rendue l'ordonnance de prise en charge, le conseil devait l'exécuter et s'occuper des détails d'ordre pratique: lieu de placement de l'enfant, instruction et autres soins à lui dispenser, etc. (articles 11 à 16).
51. L'article 11 de la loi de 1980 se lisait ainsi: "(...) le conseil fixe les modalités de la prise en charge du jeune concerné et le lieu où celui-ci résidera pendant la durée du placement. Il peut consentir à ce que l'intéressé reste dans son propre foyer si cette solution paraît la mieux indiquée pour organiser la prise en charge, mais aux fins de la présente loi la prise en charge doit toujours commencer au dehors. Le conseil, ou la personne à laquelle il confie la prise en charge, maintient le jeune sous surveillance et adopte à son égard les décisions nécessaires à la levée du placement."
52. Quant à la nature des fonctions attribuées au conseil par la loi de 1980, les travaux préparatoires de celle-ci, tels que les reproduisait le projet du gouvernement (1979/80:1, partie A, pp. 596-597), fournissent les indications suivantes: "Une fois décidée la prise en charge par l'autorité publique, le conseil exerce la puissance parentale avec les parents ou à leur place. Pour autant que l'exige l'exécution de la prise en charge, il a les mêmes devoirs et la même autorité que les parents. Comme eux, il peut arrêter les mesures voulues pour empêcher le jeune de nuire à lui-même ou à autrui (...), [ou] de s'enfuir (...); [il] peut aussi trancher (...) des questions privées concernant l'enfant, telles que soins ou traitements médicaux et autorisations de voyage ou de travail. Conformément aux principes régissant la coopération entre les services sociaux et les [intéressés] pour la mise en oeuvre de la prise en charge, le conseil doit en la matière consulter les parents si les circonstances s'y prêtent. Le fait qu'il assume la responsabilité de la prise en charge du jeune ne saurait donc aboutir à priver ceux-ci de toute influence. Les parents et le jeune lui-même doivent, dans la limite du possible, participer à l'exécution de la prise en charge. Dès lors, c'est seulement dans la mesure nécessaire à cette exécution que le conseil, de par la décision du tribunal administratif départemental, exerce la puissance parentale à l'égard du jeune." 2. Réglementation des contacts
53. L'article 15 de la loi de 1980 prévoyait la possibilité d'imposer des restrictions à la correspondance de personnes prises en charge en vertu du deuxième paragraphe, alinéa 2, de l'article 1, pour des raisons telles que la toxicomanie ou la délinquance (paragraphe 47 ci-dessus): "Toute lettre ou autre correspondance adressée ou reçue par une personne à qui s'applique l'article 13 peut subir un contrôle si le souci du bon ordre du foyer ou la situation particulière du jeune le justifient. A cette fin, la personne désignée pour la prise en charge au foyer peut ouvrir et lire le courrier destiné au jeune ou envoyé par lui. Le courrier à l'arrivée est confisqué s'il contient un élément que le jeune n'a pas le droit de posséder. La correspondance entre le jeune et une autorité suédoise, un avocat ou un conseil commis d'office est acheminée sans contrôle préalable."
54. L'article 16 était ainsi libellé: "Si cela se révèle nécessaire à la mise en oeuvre de la prise en charge prévue par la présente loi, le conseil peut 1. fixer les modalités de l'exercice, par un parent ou une autre personne investie de la garde du jeune, de leur droit à des contacts avec lui; 2. décider que le lieu de résidence du jeune ne sera pas indiqué au parent ou à [pareille personne]."
55. Les travaux préparatoires, tels que les reproduit le projet de loi (1979/80:1, partie A, p. 601), fournissent l'explication suivante: "Dans la mise en oeuvre de la prise en charge, le conseil doit collaborer le plus possible avec les parents et contribuer au maintien de leurs contacts avec l'enfant. (...) une décision de prise en charge ne doit pas conduire à restreindre leur droit à pareils contacts au-delà de ce que requiert son exécution. Les circonstances peuvent cependant être de nature à exiger que les parents ne rencontrent pas l'enfant pendant la période de prise en charge. Par exemple, il peut exister un risque de les voir s'immiscer sans autorisation dans la prise en charge. Leur situation personnelle, par exemple en cas d'abus grave [d'alcool ou de drogue] ou de maladie mentale, peut elle aussi commander qu'ils ne rencontrent jamais l'enfant (...). Les dispositions projetées sur les restrictions au droit à des contacts devraient être appliquées de manière restrictive. [Le conseil] ne devrait refuser de révéler aux parents le lieu de résidence de l'enfant que dans des hypothèses exceptionnelles."
56. Dans son rapport (Statens offentliga utrednigar - "SOU" 1979/80:44, p. 116), la Commission parlementaire permanente des questions sociales releva qu'il incombait en principe au conseil social d'arrêter toutes les décisions relatives aux visites à l'enfant; cela découlait de sa compétence générale pour décider de la situation de l'intéressé pendant la prise en charge. Toutefois, les parents avaient un droit particulier à voir leur enfant et il importait de préserver des contacts réguliers entre eux. La Commission ajoutait cependant: "les circonstances peuvent (...) obliger à interdire aux parents toute rencontre avec l'enfant pendant un temps ou jusqu'à nouvel ordre."
57. D'après une circulaire de la Direction nationale de la santé et de la protection sociale, relative à la loi de 1980 (1981:2, p. 112), l'article 16 habilitait le conseil à restreindre ou à supprimer complètement les rencontres des parents avec l'enfant.
58. Il n'existe encore aucun arrêt de la Cour administrative suprême sur l'application de l'article 16 de la loi de 1980 aux conversations téléphoniques et au courrier. En 1971, elle en a toutefois rendu un, publié dans son recueil annuel (Regeringsrättens Årsbok, RÅ 1971, p. 283), au sujet de la disposition correspondante de la loi de 1960 sur la protection de l'enfance (barnavårdslagen 1960:97, remplacée par la loi de 1980). En l'espèce, elle rejeta à l'unanimité un recours contre une interdiction de contacts pendant un an, laquelle couvrait les visites comme les entretiens téléphoniques. A l'époque, la saisine de la Cour administrative suprême ne dépendait pas d'une autorisation de celle-ci (paragraphe 64 ci-dessous), de sorte que le recours fut écarté au fond. L'arrêt ne précisait pas pourquoi. Ainsi que l'a expliqué le Gouvernement, l'absence de motifs cadre avec la pratique de la Cour administrative suprême; elle signifie que cette dernière a souscrit au raisonnement et aux conclusions de la juridiction inférieure. Un bref compte rendu de l'arrêt précité parut dans ledit recueil en tant que notisfall - catégorie de décisions qui, selon le Gouvernement, ne constituent pas de véritables précédents jurisprudentiels mais peuvent aider à résoudre des problèmes juridiques.
59. Le Gouvernement a signalé à la Cour les quatre autres affaires suivantes. Le 5 juillet 1982, la cour administrative d'appel de Sundsvall modifia une interdiction de contacts téléphoniques de manière à permettre à une mère d'appeler sa fille directement une fois par quinzaine, au lieu d'une fois par semaine par l'intermédiaire d'un agent des services sociaux. La prohibition allait de pair avec des restrictions aux rencontres. Ni cet arrêt ni le jugement de première instance n'indiquaient sur quelle clause de la loi de 1980 ils s'appuyaient. Le 15 juin 1987, la même cour administrative d'appel confirma, en se référant à l'article 16 de la loi de 1980, la défense faite à une mère de rencontrer son fils, pour une période de deux ans, et d'entrer en contact avec lui par téléphone. Rien ne montre que la mère eût discuté la légalité de l'interdiction, ni que la cour en ait douté. Le 20 mars 1991, la cour administrative d'appel de Stockholm a entériné des mesures limitant les contacts d'un père avec sa fille à une conversation téléphonique chaque dimanche entre 17 h et 18 h. Le 24 mai 1991, la Cour administrative suprême a refusé d'autoriser le père à se pourvoir devant elle. Le litige a été tranché sur la base de l'article 14 de la loi de 1990, qui a remplacé l'article 16 de celle de 1980 (paragraphes 65-66 ci-dessous). Enfin, le tribunal administratif départemental de Göteborg a rejeté le 3 octobre 1990, en se fondant sur l'article 14 de la loi de 1990, un recours contre des limitations aux rencontres et aux contacts téléphoniques d'une mère avec son fils. Elle ne pouvait l'appeler que deux fois par semaine, à 17 h au plus tard, et contestait la légalité des mesures incriminées. Le tribunal a déclaré que "la jurisprudence applicable assimile les contacts téléphoniques aux visites ('umgänge') dont parle l'article 14". La cour administrative d'appel de Göteborg a confirmé le jugement le 11 janvier 1991. La Cour administrative suprême a autorisé un pourvoi le 23 juillet 1991 et devrait statuer au printemps 1992.
60. Depuis 1972, il existe en Suède un fichier informatisé de données, accessible au public; il fournit des renseignements sur les arrêts de la Cour administrative suprême et des quatre cours administratives d'appel. On y trouve, entre autres, la nature de l'affaire, une brève description des questions soulevées, le nom de la juridiction et des parties ainsi que la date de la décision. Les règles applicables au fichier ont subi au fil des ans des modifications dont aucune n'entre ici en ligne de compte. Leur version actuelle figure dans le règlement de 1990 sur l'enregistrement et les statistiques des affaires portées devant la Cour administrative suprême, la Cour suprême de la Sécurité sociale et les cours administratives d'appel (Föreskrifter om dagbokföring och statistikregistrering i mål i regeringsrätten, försäkringsöverdomstolen och kammarrätterna, DVFS 1990:25, B1), adopté par l'Administration nationale de la Justice (domstolsverket) le 11 décembre 1990, avec effet au 1er janvier 1991. C. Recours
61. Contre les décisions du tribunal administratif départemental ordonnant la prise en charge d'un enfant, un recours s'ouvrait, sous l'empire de la loi de 1980, devant la cour administrative d'appel puis, moyennant autorisation, devant la Cour administrative suprême.
62. Un parent pouvait aussi attaquer devant le tribunal administratif départemental (puis la cour administrative d'appel et, moyennant autorisation, la Cour administrative suprême): a) le refus d'un conseil social de lever la prise en charge prescrite en application de ladite loi; b) les décisions arrêtées par un conseil, en vertu de la même loi, pour fixer le lieu où commencerait la prise en charge, modifier une décision de placement, réglementer le droit de visite des parents (article 16) et ne pas leur indiquer, à eux ou à la personne investie de la garde, où résidait l'enfant (article 20).
63. En principe partie à la procédure, l'enfant devait pourtant avoir atteint l'âge de quinze ans pour posséder la capacité d'ester en justice (processbehörighet). Jusque-là, en avait la jouissance la personne investie de la garde (SOU 1987:7, pp. 66-70); selon l'article 19 de la loi de 1980, l'enfant devait alors être entendu si l'instruction de la cause pouvait s'en trouver facilitée et si l'on ne pensait pas que cela nuirait à l'intéressé.
64. La saisine de la Cour administrative suprême dépend de l'autorisation de celle-ci, accordée, aux termes de l'article 36 de la loi de 1971 sur la procédure administrative (förvaltningsprocesslagen 1971:291), dans les circonstances suivantes: "1. si l'examen par la Cour administrative suprême revêt de l'importance pour aider à interpréter la loi; ou 2. si des raisons particulières militent en faveur de pareil examen, telle l'existence d'un motif de révision ou d'une négligence ou erreur graves ayant manifestement influé sur l'issue de l'affaire devant la cour administrative d'appel." D. Nouvelle législation
65. Depuis le 1er juillet 1990, donc après les faits de l'espèce, la loi de 1980 est remplacée par celle de 1990 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1990:52 med särskilda bestämmelser om vård av unga - "la loi de 1990"), qui la modifie et la complète.
66. La nouvelle loi reprend pour l'essentiel les dispositions précitées de sa devancière. Toutefois, son article 14, qui se substitue à l'ancien article 16 (paragraphe 54 ci-dessus), est ainsi libellé: "Il incombe au conseil social de répondre autant que possible aux besoins du jeune d'avoir des contacts avec ses parents ou la personne investie de la garde. Si la mise en oeuvre de mesures de prise en charge adoptées en vertu de la présente loi l'exige, le conseil peut 1. fixer les modalités d'exercice du droit de visite par un parent ou une autre personne investie de la garde, ou 2. décider que le lieu de résidence du jeune ne doit pas être indiqué au parent ou [à une telle personne]. Il examine au moins une fois tous les trois mois si les décisions visées au deuxième paragraphe restent nécessaires."
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
67. Dans leur requête du 13 février 1987 à la Commission (n° 12963/87), Margareta et Roger Andersson dénonçaient la prise en charge du second par l'autorité publique, le maintien en vigueur de l'ordonnance d'assistance, le placement de l'enfant dans un foyer d'accueil et les restrictions imposées à leurs contacts mutuels, dont leurs communications épistolaires et téléphoniques. Ils alléguaient des infractions à l'article 8 (art. 8) de la Convention. Ils se plaignaient aussi de l'absence d'un "recours effectif", au sens de l'article 13 (art. 13), quant auxdites restrictions. Roger invoquait en outre les articles 2, 3, 4, 9 et 10 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 9, art. 10) et prétendait avoir subi, au mépris de l'article 25 (art. 25), une entrave à l'exercice de son droit de recours devant la Commission.
68. Le 10 octobre 1989, la Commission a retenu les griefs relatifs à l'interdiction des contacts, et notamment des communications épistolaires et téléphoniques (article 8) (art. 8), ainsi qu'à l'absence de recours effectif (article 13) (art. 13), mais a décidé de n'adopter aucune mesure quant à ceux tirés de l'article 25 (art. 25) et a déclaré tous les autres irrecevables. Dans son rapport du 3 octobre 1990 (article 31) (art. 31), elle relève une violation de l'article 8 (art. 8) (unanimité), mais non de l'article 13 (art. 13) dans le chef de Margareta Andersson (unanimité) ni de Roger Andersson (dix voix contre deux). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 226-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
69. A l'audience du 26 août 1991, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire, invitant la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention en l'espèce".
EN DROIT
I. SUR L'OBJET DU LITIGE
70. Devant la Cour, les requérants ont soulevé en plaidoirie diverses questions touchant, entre autres, au système éducatif suédois, aux problèmes scolaires de Roger et à la situation dans le foyer d'accueil. Telle que l'a délimitée la décision de la Commission sur la recevabilité, l'affaire porte toutefois uniquement sur leurs griefs contre les restrictions à leurs contacts mutuels, y compris leur correspondance et leurs entretiens au téléphone, au cours de la période du 6 août 1986 au 27 avril 1988, et contre l'absence d'un recours effectif quant auxdites restrictions.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L'ARTICLE 8 (art. 8) A. Introduction
71. Selon Margareta et Roger Andersson, les restrictions à leurs contacts, et notamment à leurs communications épistolaires et téléphoniques, ont enfreint l'article 8 (art. 8), ainsi libellé: "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Le Gouvernement combat cette allégation, mais la Commission y souscrit.
72. Pour un parent et son enfant, être ensemble constitue un élément fondamental de la vie familiale et la prise en charge d'un enfant par les autorités publiques ne met pas fin aux relations familiales naturelles (voir en dernier lieu l'arrêt Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, série A n° 156, p. 24, par. 58). En outre, les conversations téléphoniques entre membres d'une même famille se trouvent englobées dans les notions de "vie familiale" et de "correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8) (arrêts Klass et autres c. République fédérale d'Allemagne du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 41, et Kruslin c. France du 24 avril 1990, série A n° 176-A, p. 20, par. 26). Il s'ensuit - et le Gouvernement n'en disconvient pas - que les mesures litigieuses s'analysent en ingérences dans l'exercice du droit des requérants au respect de leur vie familiale et de leur correspondance.
73. Pareille ingérence méconnaît l'article 8 (art. 8) sauf si, "prévue par la loi", elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 (art. 8-2) et apparaît "nécessaire, dans une société démocratique", pour les atteindre (arrêt Eriksson précité, série A n° 156, p. 24, par. 58). B. "Prévues par la loi"
74. D'après les requérants, les restrictions imposées à leurs contacts n'étaient pas "prévues par la loi". Le Gouvernement conteste cette thèse; la Commission, elle, ne s'y rallie que pour les communications téléphoniques et la correspondance.
75. Les mots "prévues par loi", figurant à l'article 8 par. 2 (art. 8-2), veulent d'abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en question: ils exigent l'accessibilité de celle-ci aux personnes concernées et une formulation assez précise pour leur permettre - en s'entourant, au besoin, de conseils éclairés - de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé. Une loi qui confère un pouvoir d'appréciation ne se heurte pas en soi à cette exigence, à condition que l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l'individu une protection adéquate contre l'arbitraire (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Kruslin précité, série A n° 176-A, pp. 20-23, paras. 27, 29 et 30).
76. En l'espèce, la controverse porte sur le point de savoir si les limitations aux contacts, y compris les communications par téléphone et la correspondance, avaient un fondement en droit suédois et étaient prévisibles. 1. Limitations aux rencontres
77. Les requérants soulignent qu'on les autorisa, sans plus, à se rencontrer quelquefois d'août 1986 à mai 1987; d'après eux, les services sociaux jouissaient en la matière d'un pouvoir d'appréciation trop large et en usèrent arbitrairement. Même après la décision de la commission sociale du 14 mai 1987 (paragraphe 38 ci-dessus), la fréquence et les modalités des réunions seraient demeurées dans le vague. Cela équivalait, selon eux, à une prohibition totale pendant près d'un an, à la fois contraire à la législation suédoise et imprévisible.
78. Ainsi que les services sociaux le précisèrent les 6 et 21 août 1986, l'interdiction devait s'appliquer jusqu'à nouvel ordre et jusqu'à ce que "des contacts appropriés [pussent] être organisés sans risque de nuire à l'enfant" (paragraphes 16 et 19 ci-dessus). Les requérants purent se voir le 5 octobre 1986, après quoi plusieurs réunions eurent lieu pendant la prise en charge. Elles se produisirent avec une certaine irrégularité et souvent à de longs intervalles, mais cela résultait au moins en partie de l'attitude de Margareta Andersson, qui ne voulait pas accepter les conditions des réunions, ni contribuer à leur préparation comme le proposaient les services sociaux (paragraphes 20, 21 et 24 ci-dessus). La Cour considère donc, avec le Gouvernement et la Commission, qu'il y eut interdiction absolue durant deux mois environ seulement: du 6 août 1986, quand le chef de district adjoint décida de prohiber les contacts, au 5 octobre 1986, date de la première rencontre des requérants (paragraphes 16 et 20 ci-dessus).
79. A lire l'article 16 par. 1, on pouvait penser que le conseil avait compétence pour réglementer les contacts mais non pour les interdire; les travaux préparatoires indiquaient pourtant clairement qu'il le pouvait si les circonstances l'exigaient, pour une période déterminée ou jusqu'à nouvel ordre (paragraphe 56 ci-dessus). Il ressort aussi de décisions des juridictions administratives suédoises qu'une prohibition temporaire pouvait se fonder sur l'article 16 (paragraphes 34, 58 et 59 ci-dessus). Selon ce texte, elle ne pouvait être prononcée que dans la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif de la prise en charge. De plus, d'après les travaux préparatoires, les limitations apportées en vertu de l'article 16 devaient s'appliquer restrictivement et le conseil devait, autant que possible, coopérer avec les parents et aider au maintien des contacts entre eux et l'enfant (paragraphe 55 ci-dessus). 2. Limitations aux communications téléphoniques et à la correspondance
80. Requérants et Commission estiment douteux que la législation suédoise habilitât les services sociaux à étendre aux communications par lettre et téléphone une restriction aux contacts. Ils relèvent que la raison d'être d'une réglementation des rencontres diffère de celle d'une limitation des contacts par téléphone ou courrier. Non expressément prévue à l'article 16 de la loi de 1980, la seconde ne se trouverait pas davantage mentionnée dans les travaux préparatoires. Rien, dans les clauses pertinentes du code parental, ne montrerait que l'expression rätt till umgänge, telle qu'elle s'entend en suédois, englobe les contacts par correspondance ou téléphone. D'ailleurs, tandis que l'article 15 de la loi de 1980, qui ne jouait pas en l'espèce, autorisait explicitement le contrôle de la correspondance, il n'en allait pas de même de l'article 16.
81. Le délégué de la Commission conteste la possibilité de tirer, de la jurisprudence citée devant la Cour par le Gouvernement, des conclusions précises sur le point de savoir si les limitations à la correspondance et aux communications téléphoniques avaient une base dans la législation suédoise. Il rappelle d'abord que dans son arrêt de 1971, la Cour administrative suprême ne motiva nullement le rejet du recours; la légalité des restrictions n'avait pas été discutée et la cour n'indiqua même pas sur quelle disposition elles s'appuyaient (paragraphe 58 ci-dessus). De plus, ses refus de laisser les requérants la saisir ne constitueraient pas un précédent jurisprudentiel et ne seraient pas davantage motivés (paragraphes 36 et 41 ci-dessus). Quant aux deux arrêts de la cour administrative d'appel de Sundsvall (paragraphe 59 ci-dessus), ils ne revêtiraient guère d'importance, faute d'émaner de la plus haute juridiction et d'avoir été publiés. Le délégué en signale un troisième, de 1983: la cour de Sundsvall s'y fonda sur l'article 11, et non sur l'article 16, ce qui révélerait un flottement dans sa pratique. Les limitations n'auraient donc pas de base précise en droit suédois et ne seraient pas prévisibles.
82. En l'espèce, la cour administrative d'appel confirma par deux fois, en vertu de l'article 16 de la loi de 1980, les limitations litigieuses aux communications par courrier et téléphone. Dans l'un et l'autre cas, la Cour administrative suprême ne permit pas l'introduction d'un recours devant elle (paragraphes 36, 41 et 64 ci-dessus). Ainsi qu'il ressort de ses dossiers publics, elle avait alors pris en compte son arrêt précité de 1971. Il avait rejeté, après un examen au fond, un recours relatif à l'interdiction, pour un an, des visites et des communications téléphoniques entre un parent et son enfant. On ne saurait présumer que dans l'affaire Andersson la cour ait négligé de s'assurer de la légalité de l'interdiction. Elle a manifestement souscrit au raisonnement et aux conclusions de la juridiction inférieure (paragraphe 58 ci-dessus). Les causes mentionnées par le Gouvernement, autres que la présente, concernaient toutes des restrictions aux contacts, et notamment aux communications téléphoniques (paragraphes 58-59 ci-dessus). Aucune d'elles n'a débouché sur un constat d'illégalité. Certes, seuls quelques-uns des jugements et arrêts y relatifs ont précédé les décisions rendues en l'espèce, mais les autres peuvent en principe illustrer le sens que l'on attribuait antérieurement à la loi. Tous les arrêts des cours administratives d'appel sont informatisés en Suède depuis 1972 (paragraphe 60 ci-dessus). Or il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d'interpréter et appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Kruslin précité, série A n° 176-A, pp. 21-22, par. 29).
83. La Commission exprime en outre l'opinion que l'"incertitude" sur la portée de la loi se doublait d'un manque de clarté quant à l'ampleur des interdictions prononcées en vertu de l'article 16, car les décisions des 6 et 21 août 1986 ne précisaient pas qu'elles valaient aussi pour les communications téléphoniques et la correspondance (paragraphes 16 et 19 ci-dessus). L'ambiguïté aurait persisté durant la procédure judiciaire ultérieure: le jugement du tribunal administratif départemental parlait des conversations téléphoniques mais non de la correspondance; de surcroît, cette juridiction et la cour administrative d'appel interprétèrent différemment la situation juridique, la première s'appuyant sur l'article 11, la seconde sur l'article 16 (paragraphes 34-35 ci-dessus). Selon le délégué, une décision limitant les droits fondamentaux doit, pour le moins, indiquer nettement jusqu'où va la restriction.
84. A cet égard, la Cour estime qu'il ne faut pas oublier la base de la décision de la commission sociale du 21 août 1986: le rapport d'un travailleur social, du 15 août 1986. Or il recommandait d'empêcher pour un temps Margareta Andersson d'avoir "aucune forme de contact avec Roger" (paragraphe 17 ci-dessus). On ne saurait donc guère douter que l'interdiction imposée au titre de l'article 16 entendait englober les communications téléphoniques et épistolaires en sus des visites. L'argumentation du conseil social à l'audience du 11 septembre 1986 devant le tribunal administratif départemental le confirma, tout comme les termes mêmes de l'arrêt de la cour administrative d'appel du 11 novembre 1986 (paragraphes 34-35 ci-dessus).
85. En résumé, les limitations incriminées aux contacts, et notamment aux communications par téléphone et correspondance, étaient "prévues par la loi" au sens de l'article 8 par. 2 (art. 8-2). C. But légitime
86. D'après les requérants, elles ne cherchaient pas à résoudre les problèmes scolaires de Roger ni à préserver sa santé, mais à l'empêcher de raconter à des tiers les conditions d'existence "terribles" qui régnaient au foyer d'accueil.
87. Aux yeux de la Cour, la législation suédoise pertinente avait pour but manifeste de protéger "la santé" ou "la morale" ainsi que les "droits et libertés" des enfants. Rien ne donne à penser qu'elle ait servi à d'autres fins en l'espèce. D. "Nécessaires dans une société démocratique"
88. Selon les requérants, les mesures litigieuses ne sauraient passer pour "nécessaires dans une société démocratique". On ne les aurait pas laissés se rencontrer assez souvent et leurs quelques réunions auraient eu lieu sous une surveillance telle qu'ils n'auraient pu jouir d'une "vie familiale" quelconque. Pour la même raison, ils critiquent les limitations apportées à leur droit de communiquer entre eux par téléphone et correspondance. Le personnel de l'hôpital et le père nourricier auraient intercepté plusieurs lettres de la requérante à Roger. Le second aurait en outre défendu à l'enfant d'écrire à sa mère et d'utiliser le téléphone. Non exigées par les fins de la prise en charge de Roger, ces mesures auraient en réalité compromis sa santé. Elles auraient abouti à le faire attendre deux mois avant de recevoir des soins pour son diabète. De plus, comme le Dr Åberg l'a conclu dans un avis médical produit par les intéressés, le traumatisme psychologique causé à Roger par sa séparation totale d'avec sa mère aurait probablement contribué d'une manière tangible, voire déterminante, au diabète qu'il a contracté.
89. Pour le Gouvernement, les mesures étaient "nécessaires dans une société démocratique". Il s'appuie sur les raisons exposées dans le rapport susmentionné du 15 août 1986, base de l'interdiction prononcée le 21, et sur les décisions des juridictions administratives confirmant les restrictions (paragraphes 17, 34 à 36, 39 à 41 et 44 ci-dessus). Il renvoie aussi aux motifs de la prohibition de juin 1985 (paragraphes 10-11 ci-dessus). De plus, il y aurait lieu d'examiner les ingérences à la lumière des justifications de la prise en charge et de son maintien en vigueur tout au long de la période considérée: la Commission a reconnu la compatibilité de l'ordonnance avec la Convention et toutes les décisions ultérieures, administratives ou judiciaires, relatives à l'interdiction des contacts se fondaient pour l'essentiel sur les mêmes faits (paragraphes 12, 15, 65 et 66 ci-dessus). Pour légitimer l'interception de lettres, le Gouvernement avance en particulier que Margareta Andersson, par son attitude à l'égard de la prise en charge de son fils et envers le foyer d'accueil, pouvait déjouer l'objectif des mesures d'assistance, notamment les efforts déployés pour instaurer une relation de confiance entre l'enfant et sa famille nourricière: sa manière d'expliquer la situation à Roger le préoccupait et le bouleversait. Agé de douze ans, il ne pouvait savoir sur qui compter en l'occurrence. En réponse à la thèse selon laquelle les mesures litigieuses ont contribué au diabète contracté par Roger, le Gouvernement invoque un avis médical de la Direction nationale de la santé et de la protection sociale. Elle y conclut qu'un traumatisme psychologique peut constituer un facteur générateur du diabète parmi beaucoup d'autres, mais que l'expertise produite par les requérants en exagère beaucoup l'importance quantitative.
90. Estimant non "prévues par la loi" les restrictions aux communications par correspondance et téléphone, la Commission ne se prononce pas sur la question de la "nécessité".
91. La Cour rappelle que dans de telles affaires, le droit d'un parent et d'un enfant au respect de leur vie familiale, garanti par l'article 8 (art. 8), implique un droit à des mesures destinées à les réunir (arrêt Olsson c. Suède du 24 mars 1988, série A n° 130, pp. 36-37, par. 81, et arrêt Eriksson précité, série A n° 156, pp. 26-27, par. 71).
92. Avant de prohiber les contacts les 6 et 21 août 1986, les services sociaux avaient échoué dans leurs efforts pour mettre en oeuvre les mesures d'assistance aussi bien chez Margareta Andersson qu'au dehors. Peu après son placement à la clinique en juin 1985, Roger s'en était échappé avec l'aide de sa mère. Les services sociaux avaient alors consenti à exécuter lesdites mesures au domicile de celle-ci. L'expérience n'ayant pas réussi, ils avaient retransféré l'enfant à la clinique en vue de le confier à un foyer d'accueil. De nouveau avec le concours de sa mère, il s'était évadé pour la rejoindre. La police l'avait ramené à la clinique où il fit un bref séjour avant d'être installé au foyer d'accueil. Il faut ajouter que Margareta Andersson avait signalé aux services sociaux son intention de déménager à une adresse inconnue ou de quitter le pays pour éviter des "persécutions". Elle avait aussi exercé une influence négative sur son fils lors de ses visites à la clinique (paragraphes 13, 14 et 17 ci-dessus).
93. Comme le précisaient les décisions des 6 et 21 août 1986, l'interdiction devait valoir pour un temps, jusqu'à ce que l'on pût arranger des contacts sans nuire à Roger. Le conseil social annonça assez vite, au plus tard le 11 septembre 1986 (paragraphe 34 ci-dessus), qu'il projetait une rencontre entre les requérants à la fin de septembre ou au début d'octobre. Elle eut lieu le 5 octobre, après quoi Roger essaya de s'enfuir du foyer d'accueil. Sans doute les réunions ultérieures se déroulèrent-elles avec quelque irrégularité et souvent à des intervalles plutôt longs, mais cela résultait en partie de la propre attitude de Margareta Andersson. Il est vrai aussi qu'elles subirent une surveillance étroite. Cependant, dès juin 1987 les modalités en furent quelque peu allégées à cet égard et en novembre de la même année Roger put se rendre auprès de sa mère. En février 1988, la commission sociale résolut d'organiser de pareilles visites mensuellement ainsi que d'autres, entre temps, chez les Helgesson - à raison de deux au moins par mois, d'après une décision judiciaire du 17 février. Roger se trouvant hospitalisé, lui et sa mère se rencontrèrent à l'hôpital où elle fut autorisée à passer la nuit. Elle y séjourna environ deux semaines au total entre le 26 février et le 3 mai 1988 (paragraphes 20 à 27 ci-dessus).
94. La dégradation de la santé de Roger a eu sans doute, du moins jusqu'à un certain point, un lien avec le choc émotionnel, mais rien n'établit que sa cause réside dans les diverses limitations aux contacts.
95. En l'occurrence, les sévères restrictions aux rencontres entre les requérants doivent pourtant être examinées dans le contexte plus large de l'ensemble des limitations aux contacts mutuels de ceux-ci. Une interdiction complète de s'écrire et de se téléphoner s'y ajouta en effet du 6 août 1986 au 5 février 1988. Elle fut levée à partir de la seconde date, à ceci près que l'initiative des appels téléphoniques devait venir de Roger. Aux yeux de la Cour, les mesures appliquées durant cette période revêtirent une ampleur particulière. Pour se justifier sous l'angle de l'article 8 par. 2 (art. 8-2), elles devaient s'appuyer sur des raisons solides et cadrer avec le but ultime: réunir la famille Andersson.
96. De caractère général, les motifs donnés par le Gouvernement ne concernent pas spécialement la nécessité d'empêcher correspondance et conversations au téléphone. La Cour ne doute pas de leur pertinence, mais ils ne suffisent pas à montrer qu'il fallait priver les requérants de presque tout moyen de rester en contact pendant un an et demi environ. On peut même s'interroger sur la compatibilité des ingérences litigieuses avec l'objectif consistant à réunir les intéressés.
97. Eu égard aux diverses circonstances du litige, la somme des restrictions imposées par les services sociaux aux rencontres des requérants et à leurs communications épistolaires et téléphoniques se révèle disproportionnée au but légitime poursuivi, donc non "nécessaire dans une société démocratique". Partant, il y a eu violation de l'article 8 (art. 8).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 13 (art. 13)
98. Aux termes de l'article 13 (art. 13), "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles." Devant la Commission, Margareta et Roger Andersson affirmaient n'avoir disposé, en dépit de ce texte, d'aucun recours effectif quant à leurs plaintes au titre de l'article 8 (art. 8). Le Gouvernement combat cette thèse; la Commission la rejette.
99. A l'audience du 26 août 1991 devant la Cour, le conseil des requérants n'a plus invoqué l'article 13 (art. 13) dans le cas de Margareta Andersson. La Cour ne juge pas devoir examiner cette partie de la question.
100. En revanche, ledit conseil a déclaré souscrire à l'opinion d'une minorité de la Commission concluant à un manquement dans le chef de Roger Andersson.
101. Il s'agit donc de savoir si Margareta Andersson, représentant légal de Roger, fut empêchée de saisir les juridictions suédoises pour son compte à lui. De l'avis général, l'article 13 (art. 13) n'exige pas qu'un enfant de douze ans ait la capacité d'ester en justice lui-même; il suffit qu'un représentant légal le puisse en son nom. Or, personne ne le conteste, le droit suédois le permettait et l'avocat désigné d'office pour assister Roger dans les procédures relatives aux mesures de prise en charge (paragraphes 39, 40 et 44 ci-dessus) n'était nullement habilité à introduire une instance à la place de l'enfant.
102. Selon les requérants, Margareta Andersson, privée de communication avec Roger, ne se trouvait pas en mesure d'avoir connaissance d'une atteinte éventuelle aux droits fondamentaux de son fils, donc de le représenter de manière adéquate.
103. L'argument ne convainc pas la Cour. Il échet de rappeler que les requérants se rencontrèrent plusieurs fois pendant la période à considérer (paragraphes 20 à 27 ci-dessus) et qu'ils étaient en bons termes. En conséquence, on ne saurait dire que Margareta Andersson fût empêchée d'attaquer au nom de Roger les restrictions aux contacts.
104. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 13 (art. 13).
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
105. D'après l'article 50 (art. 50) de la Convention, "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
106. Margareta et Roger Andersson sollicitent d'abord respectivement un et deux millions de couronnes suédoises. A l'audience, le conseil a expliqué que la demande de la première se fondait sur la détresse causée par la séparation et par les restrictions aux contacts avec son fils; quant au second, le principal motif de sa prétention résiderait dans le fait d'avoir contracté le diabète par suite du traumatisme imputable aux mesures incriminées (paragraphe 88 ci-dessus). Gouvernement et délégué de la Commission trouvent ces revendications excessives.
107. Les éléments recueillis n'autorisent pas à conclure que la maladie de Roger résultait des diverses limitations aux contacts (paragraphe 94 ci-dessus), mais on ne saurait douter que les ingérences jugées contraires à l'article 8 (art. 8) aient suscité chez les intéressés une angoisse et une détresse profondes. Cela étant, la Cour, statuant en équité comme le veut l'article 50 (art. 50), accorde 50 000 couronnes à chacun d'eux. B. Frais et dépens
108. Pour frais et dépens, les requérants réclamaient à l'origine 325 000 couronnes suédoises, à savoir:
a) 319 800 couronnes pour 206 heures de travail de leur conseil (à 1 300 couronnes l'heure) dans la procédure devant la Commission puis la Cour et pour 40 heures de voyage - "perte de temps de travail" - (au même taux) pour comparution à deux audiences à Strasbourg;
b) 5 200 couronnes pour le travail d'un traducteur ayant contrôlé l'anglais des plaidoiries de leur représentante devant la Cour. Cette dernière a toutefois indiqué, pendant les débats, avoir sous-estimé le temps consacré à préparer lesdites plaidoiries; il lui aurait fallu en réalité 250 heures. Elle a néanmoins maintenu ses honoraires à 325 000 couronnes suédoises.
109. Le Gouvernement accepte le point b) mais formule plusieurs objections quant au point a). Il s'interroge sur la nécessité d'un temps aussi long. En outre, le tarif horaire serait trop élevé et devrait se situer à un niveau plus bas pour les déplacements que pour le travail. Il y aurait lieu aussi de considérer que la Commission a déclaré irrecevable une grande partie des griefs des requérants.
110. Eu égard à sa jurisprudence en la matière et aux versements opérés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire, la Cour, statuant en équité, estime que les requérants ont droit conjointement au remboursement de 125 000 couronnes suédoises pour frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par huit voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8);
2. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés de l'article 13 (art. 13) dans le cas de Margareta Andersson;
3. Dit, par cinq voix contre quatre, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 (art. 13) dans le chef de Roger Andersson;
4. Dit, à l'unanimité, que la Suède doit verser, dans les trois mois: - à chacun des requérants, 50 000 (cinquante mille) couronnes suédoises pour dommage moral; - aux requérants conjointement, 125 000 (cent vingt-cinq mille) couronnes suédoises pour frais et dépens;
5. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 25 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes:
a) opinion en partie dissidente de M. Lagergren;
b) opinion en partie dissidente de M. De Meyer, approuvée par MM. Pinheiro Farinha, Pettiti et Spielmann.
Paraphé: R. R.
Paraphé: M.-A. E. OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE LAGERGREN (Traduction) Si je marque par ailleurs mon accord avec la majorité de la Cour, je ne puis souscrire à son opinion selon laquelle les restrictions temporaires aux contacts, y compris les communications téléphoniques et la correspondance, étaient contraires à l'article 8 (art. 8). Je m'écarte de mes collègues au sujet de la nécessité des ingérences en cause et de la marge d'appréciation qu'il convient de reconnaître en la matière aux autorités nationales. Le juge Macdonald a dit: "La marge d'appréciation est au coeur de presque toutes les grandes affaires qui viennent devant la Cour, que les arrêts la mentionnent expressément ou non." (Ronald St. John Macdonald: The margin of appreciation in the jurisprudence of the European Court of Human Rights, Essays in Honour of Roberto Ago, III, 1987, p. 208.) Voici une décennie, Sir Humphrey Waldock a lui aussi souligné l'importance de la doctrine de la marge d'appréciation dans sa phrase, souvent citée, où il déclare que cette doctrine "est l'une des garanties les plus importantes conçues par la Commission et la Cour pour concilier le fonctionnement effectif de la Convention avec les pouvoirs souverains et les responsabilités des gouvernements dans une démocratie." (Human Rights Law Journal 1980, p. 9). Cet aval donné par l'un des grands juristes de notre temps à la retenue judiciaire vaut certainement encore dans le contexte européen actuel. Il est désormais bien établi au sein de la Commission et de la Cour que le soin d'assurer la jouissance des droits et libertés que consacre la Convention incombe en premier lieu à chacun des Etats contractants et que "la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais d'apprécier sous l'angle de [la Convention] les décisions qu'elles [rendent] dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation" (arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, pp. 23-24, par. 50). Les organes de Strasbourg ont aussi reconnu que, "grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays", les autorités de l'Etat se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le point de savoir si les droits reconnus par la Convention ou les normes juridiques internes équivalentes ont été transgressées (voir, ibidem, par. 48). Il sera difficile de percevoir toutes les implications de la marge offerte tant qu'un ensemble juridique plus large et plus homogène ne se sera pas dégagé. On trouve pourtant une formulation de base dans l'affaire Rasmussen c. Danemark: "L'étendue de la marge d'appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte" (arrêt du 28 novembre 1984, série A n° 87, p. 15, par. 40; cf. Macdonald, op. cit., p. 206). Un problème crucial en l'espèce tient à la nécessité de procéder à une évaluation délicate de facteurs psychologiques complexes, à un moment donné et dans un contexte national, et d'en retirer une impression cohérente sur des personnalités et des relations humaines. Une autre difficulté réside dans la recherche d'un équilibre entre des intérêts privés et des obligations publiques contradictoires. La raison d'être de la doctrine de la marge d'appréciation étant que les autorités nationales sont considérées comme mieux placées que le juge international pour décider si des ingérences dans tel ou tel droit de l'homme sont "strictement nécessaires", il est utile en l'occurrence de comparer la procédure devant les juridictions suédoises et celle devant la Cour de Strasbourg - quant à la manière dont elles se sont effectivement déroulées. De la décision du président de la commission sociale n° 1 du conseil social de Växjö du 5 juin 1985 à la dernière décision confirmant l'ordonnance d'assistance (le jugement du tribunal administratif départemental du 17 février 1988), l'affaire de Margareta et Roger Andersson, dans une suite singulière de procédures, est venue six fois devant le tribunal administratif départemental, trois devant la cour administrative d'appel et trois devant la Cour administrative suprême. A l'audience devant la Cour de Strasbourg, le représentant du Gouvernement a dit que les décisions des juridictions suédoises furent unanimes. Une procédure orale a toujours eu lieu en premier et second degrés de juridiction. Le plus souvent, Margareta Andersson s'y rendit et fut entendue par le tribunal administratif départemental et la cour administrative d'appel. Elle fut assistée d'un conseil en vertu de la loi sur l'aide judiciaire (rättshjälpslagen), tandis que Roger fut représenté par un avocat commis d'office (offentligt biträde). Des agents des services sociaux représentaient le conseil social. Deux témoins déposèrent devant le tribunal administratif départemental qui ouït aussi comme expert, dans deux procédures différentes, le médecin-chef adjoint de la clinique psychiatrique pour enfants et adolescents de Växjö. Margareta Andersson se rendit à la brève audience devant la Cour de Strasbourg, mais n'y prit point la parole. La Cour ne put donc écouter directement, comme le veut le "principe de l'immédiateté", les déclarations de Margareta Andersson elle-même, pas plus que celles d'agents des services sociaux ou que la déposition de témoins. A cet égard, le représentant du Gouvernement a dit devant la Cour que si les faits sur lesquels se fondaient les jugements des tribunaux nationaux et les décisions des services sociaux et la nécessité de l'ingérence étaient contestés, il fallait selon lui que la Cour de Strasbourg entende elle aussi des témoins. L'audition des agents des services sociaux et des parents nourriciers aurait pu être nécessaire en pareil cas. Il serait très grave de faire abstraction des décisions en cause sans avoir accès à des renseignements directs comme ceux-là. Vu la situation procédurale et la nature et la complexité des questions de fait à trancher, les autorités nationales ont à mon sens droit à une large marge d'appréciation. Il faut se référer à cet égard à l'arrêt Brandstetter c. Autriche, dans lequel la Cour a dit: "Selon [la] jurisprudence [de la Cour], il appartient normalement aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles" (arrêt du 28 août 1991, série A n° 211, p. 23, par. 52). Elle suit une ligne analogue dans l'arrêt markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne: "(...) la Cour européenne des Droits de l'Homme ne saurait substituer en l'espèce son propre jugement à celui des juridictions nationales qui, par des motifs raisonnables, ont estimé nécessaires les restrictions en cause" (arrêt du 20 novembre 1989, série A n° 165, p. 21, par. 37). La situation était différente dans l'affaire Olsson qui concernait entre autres l'application des décisions d'assistance à l'égard des trois enfants Olsson. Le point de fait décisif ne prêtait pas à controverse dans cette affaire: Helena et Thomas se trouvaient placés à une grande distance de leurs parents et de Stefan. La Cour en a conclu que le placement même des enfants allait à l'encontre de la possibilité de contacts d'une manière qui ne cadrait pas avec le but ultime: réunir la famille Olsson (arrêt Olsson c. Suède du 24 mars 1988, série A n° 130, pp. 36-37, par. 81). Durant toute la procédure de Strasbourg, le représentant du Gouvernement a souligné que, bien que les décisions suédoises aient interdit les contacts, y compris par téléphone et par lettre, ces interdictions n'étaient pas aussi catégoriques qu'elles peuvent le paraître. Les services sociaux pouvaient toujours "autoriser des visites ou d'autres formes de contacts dans la mesure où ils le jugeaient possible sans compromettre la finalité de l'assistance ou sans risque de nuire au bien-être de l'enfant" (voir aussi le paragraphe 44 de l'arrêt). Quant aux restrictions aux communications par correspondance et téléphone précisément, les déclarations suivantes du représentant du Gouvernement devant la Commission offrent un certain intérêt: "Mme Andersson avait toujours la possibilité de s'entretenir avec les parents nourriciers et avec le foyer d'accueil de soutien ainsi qu'avec le maître de Roger pour se tenir informée de la santé et de l'évolution de celui-ci. Elle en a d'ailleurs usé et a souvent parlé aux parents nourriciers, ainsi qu'aux parents nourriciers de soutien (...). Le Gouvernement ne sait pas bien dans quelle mesure Roger a eu le loisir de prendre contact avec sa mère par téléphone" (compte rendu intégral de l'audience du 10 octobre 1989, p. 8; voir aussi le paragraphe 28 de l'arrêt). De fait, il est difficile d'évaluer l'incidence des restrictions sur les communications en l'espèce puisqu'il existait assurément plusieurs moyens aisés d'éviter pareilles limitations. Les motifs des décisions d'assistance et ceux des restrictions aux contacts, y compris les communications téléphoniques et la correspondance, étant pour une large part analogues, il ne faut pas oublier que la Commission a rejeté pour défaut manifeste de fondement les griefs relatifs aux décisions d'assistance (paragraphe 90 de l'arrêt). Quant au bien-fondé de la cause, la Commission ne s'est jamais prononcée sur la nécessité des restrictions aux contacts, aux communications téléphoniques et à la correspondance. A la lumière des considérations qui précèdent - et nulle raison ne permettant de douter que les juridictions suédoises aient exercé leur pouvoir d'appréciation avec soin, de bonne foi et à partir d'une bonne connaissance des faits - je ne suis pas disposé à dire que les restrictions temporaires dont les autorités nationales, dans leur position privilégiée, ont frappé les contacts, y compris les communications téléphoniques et la correspondance, ont outrepassé les limites de ce qui peut être tenu pour nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 8 par. 2 (art. 8-2). Je considère donc qu'aucun manquement aux exigences de l'article 8 (art. 8) ne se trouve établi. OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE DE MEYER, APPROUVEE PAR MM. LES JUGES PINHEIRO FARINHA, PETTITI ET SPIELMANN A notre avis, l'article 13 (art. 13) de la Convention a été violé en l'espèce à l'égard de Roger Andersson. En effet, l'interdiction des contacts entre les requérants rendait impossible l'exercice effectif du droit de représentation de l'enfant par sa mère aux fins de l'exercice du droit de recours garanti par cette disposition.


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 8 ; Non-violation de l'art. 13 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 11-2) PROTECTION DES DROITS ET LIBERTES D'AUTRUI, (Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PREVUE PAR LA LOI, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA MORALE


Parties
Demandeurs : MARGARETA ET ROGER ANDERSSON
Défendeurs : SUEDE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 25/02/1992
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12963/87
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-25;12963.87 ?

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