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26/02/1992 | CEDH | N°12870/87

CEDH | AFFAIRE BORGESE c. ITALIE


En l'affaire Borgese c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, L.-E. Pettiti, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, S.K. Martens,
ainsi que de MM.

M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après ...

En l'affaire Borgese c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, L.-E. Pettiti, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, S.K. Martens,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 octobre 1991 et le 24 janvier 1992,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 29/1991/281/352. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mars 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12870/87) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Michelangelo Borgese, avait saisi la Commission le 15 avril 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Gilberti, Nonnis, Trotto, Nibbio, Biondi, Macaluso, Monaco, Cattivera, Seri, Manunza, Gori, Casadio, Testa, Lestini, Covitti, Zonetti, Simonetti et Dal Sasso*.
_______________ * Affaires nos 19/1991/271/342; 23/1991/275/346; 26/1991/278/349; 28/1991/280/351; 30/1991/282/353 à 32/1991/284/355; 34/1991/286/357; 35/1991/287/358; 37/1991/289/360; 45/1991/297/368; 52/1991/304/375 à 57/1991/309/380; 60/1991/312/383 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha, L.-E. Pettiti, B. Walsh, N. Valticos et S.K. Martens, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
Par la suite, M. A. Spielmann, suppléant, a remplacé M. Pinheiro Farinha, qui avait donné sa démission et dont le successeur à la Cour était entré en fonctions avant l'audience (articles 2 par. 3 et 22 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil du requérant au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 17 juillet et celui du requérant le 25. Par une lettre arrivée le 22 septembre, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait de vive voix.
6. Le 29 août, la Commission avait produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
7. Ainsi que l'avait décidé ce dernier - qui avait autorisé le requérant à employer la langue italienne (article 27 par. 3) -, les débats se sont déroulés en public le 28 octobre 1991, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu: - pour le Gouvernement MM. G. Raimondi, magistrat détaché au Service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, coagent, G. Manzo, Mme A. Passannanti, magistrats détachés au ministère de la Justice, conseils, - pour la Commission M. J.A. Frowein, délégué; - pour le requérant Mes G. Angelozzi, avocat, conseil, M. de Stefano, avocat, conseiller.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à sa question, MM. Raimondi et Manzo pour le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission, Mes Angelozzi et de Stefano pour M. Borgese.
8. Le 14 octobre, le Gouvernement avait déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable du requérant (article 50 de la Convention) (art. 50); la Commission a présenté les siennes le 5 novembre.
EN FAIT
9. Ressortissant italien, M. Michelangelo Borgese habite Rome et se trouve au chômage. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-20 de son rapport): "16. Le 4 septembre 1984, le requérant assigna l'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) devant le juge d'instance (pretore) de Rome pour voir reconnaître son droit à une pension d'invalidité.
17. L'instruction débuta à l'audience du 13 novembre 1984, date à laquelle le juge d'instance ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale. L'audience du 19 décembre 1984 fut reportée à cause d'une grève des avocats et, à l'audience du 9 janvier 1985, l'expert désigné prêta serment. Le 13 février 1985, l'expertise médicale fut déposée au greffe.
18. Deux autres audiences eurent lieu les 6 mars et 17 avril 1985. Puis, à l'issue de l'audience du 22 mai 1985, le juge d'instance condamna l'INPS au paiement de la pension requise et des arriérés à compter du 1er novembre 1983. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 22 mai 1985.
19. Le 5 novembre 1985, l'INPS interjeta appel contre cette décision et, le 12 novembre 1985, le président du tribunal de Rome fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 17 septembre 1987.
20. A cette date, le tribunal ordonna une nouvelle expertise médicale. A l'issue de l'audience du 12 avril 1988, le tribunal estima que le requérant avait droit à la pension à compter du 31 décembre 1984 et rejeta l'appel de l'INPS pour le surplus. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 6 juillet 1988.
21. (...)."
10. D'après les renseignements fournis à la Cour par le requérant, ledit jugement est devenu définitif le 6 juillet 1989, faute de pourvoi en cassation.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressé a saisi la Commission le 15 avril 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 12870/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
13. A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
14. Le requérant allègue que l'examen de son action civile se prolongea au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"
Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
15. La période à considérer a commencé le 4 septembre 1984, avec l'assignation de l'INPS à comparaître devant le juge d'instance. Elle a pris fin le 6 juillet 1989, quand le jugement du tribunal de Rome devint définitif (arrêt Pugliese (II) c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-A, p. 8, par. 16).
16. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
17. Le Gouvernement excipe de la complexité des données de fait du litige ainsi que de la passivité du requérant, qui ne sollicita jamais des débats plus rapprochés. Il invoque en outre la surcharge de travail des juridictions compétentes et l'obligation pour elles de traiter les dossiers, en principe, dans leur ordre d'arrivée.
D'après le requérant, il s'agissait d'une affaire simple et son propre comportement n'a pu avoir qu'une influence négligeable.
18. La Cour souligne qu'une diligence particulière s'impose pour le contentieux du travail, lequel englobe celui des pensions (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17). L'Italie l'a d'ailleurs reconnu en révisant, en 1973, la procédure spéciale établie en la matière et en introduisant en 1990 des mesures d'urgence destinées à accélérer la marche des instances.
Sans doute le Gouvernement tire-t-il argument de l'encombrement du rôle des juridictions saisies du litige, mais l'article 6 par. 1 (art. 6-1) astreint les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (même arrêt, ibidem).
Aucune question complexe de fait ou de droit ne se posait en l'occurrence. La procédure se déroula du reste à un rythme normal devant le juge d'instance. En outre, le requérant paraît avoir tardé à signifier à l'INPS la décision du 22 mai 1985, de sorte que l'on ne saurait imputer à l'Etat les cinq mois et demi qui la séparent de l'interjection de l'appel le 5 novembre 1985; on ne peut pas davantage mettre à sa charge l'année qui passa jusqu'au moment où le jugement du 12 avril 1988 devint définitif.
Par contre, l'instance d'appel demeura en sommeil plus de vingt-deux mois: le 12 novembre 1985, le président du tribunal de Rome fixa la première audience de la chambre compétente au 17 septembre 1987, date à laquelle celle-ci ordonna une nouvelle expertise médicale; il ne ressort pas du dossier que d'autres mesures d'instruction aient été prises auparavant.
19. Dès lors, et eu égard à l'enjeu du litige pour M. Borgese, la Cour ne saurait estimer "raisonnable" le laps de temps écoulé en l'espèce.
Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
20. D'après l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
A. Dommage
21. Le requérant sollicite d'abord 8 000 000 lires italiennes pour dommage.
Selon le Gouvernement, il n'a subi aucun préjudice matériel; il a d'ailleurs obtenu qu'une pension d'invalidité lui soit versée avec effet au 31 décembre 1984. Quant à un éventuel tort moral, un constat de violation fournirait une satisfaction équitable suffisante.
22. Rien ne prouve que le manquement relevé ait causé à l'intéressé un préjudice matériel. En revanche, il a dû éprouver un certain tort moral pour lequel la Cour lui accorde, en équité, 3 000 000 lires.
B. Frais et dépens
23. Le requérant réclame aussi 3 000 000 lires pour frais et dépens supportés devant les organes de la Convention.
Sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour fixe à 2 000 000 lires le montant dû à ce titre.
C. Intérêts
24. M. Borgese demande enfin que les sommes revendiquées soient majorées d'intérêts, calculés au taux légal en vigueur dans son pays et pour la période allant du prononcé du présent arrêt au paiement par les autorités italiennes.
La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et à prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
25. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991.
Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, la Cour n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par cinq voix contre quatre, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit, à l'unanimité, que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 3 000 000 (trois millions) lires italiennes pour préjudice moral et 2 000 000 (deux millions) pour frais et dépens;
3. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 26 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente de MM. les juges Thór Vilhjálmsson, Pettiti, Russo et Valticos.
Paraphé: R. R.
Paraphé: M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE MM. LES JUGES THÓR VILHJÁLMSSON, PETTITI, RUSSO ET VALTICOS
Nous nous séparons de la majorité dans cette affaire car les retards imputables à l'Etat ne nous paraissent pas constituer au total, en l'occurrence, un délai déraisonnable.


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12870/87
Date de la décision : 26/02/1992
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : BORGESE
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-26;12870.87 ?

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