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27/02/1992 | CEDH | N°12053/86

CEDH | AFFAIRE MANIERI c. ITALIE


En l'affaire Manieri c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen,

greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir dél...

En l'affaire Manieri c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 octobre 1991 et 24 janvier 1992,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 6/1991/258/329. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mars 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12053/86) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Anna Aurora Manieri, avait saisi la Commission le 30 décembre 1985 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Diana, Ridi, Casciaroli, Mastrantonio, Idrocalce S.r.l., Owners' Services Ltd, Cardarelli, Golino, Taiuti, Maciariello, Manifattura FL, Steffano, Ruotolo, Vorrasi, Cappello, G. c. Italie, Caffè Roversi S.p.a., Andreucci, Gana, Barbagallo, Cifola, Pandolfelli et Palumbo, Arena, Pierazzini, Tusa, Cooperativa Parco Cuma, Serrentino, Cormio, Lorenzi, Bernardini et Gritti et Tumminelli*.
_______________ * Affaires nos 3/1991/255/326 à 5/1991/257/328; 7/1991/259/330 à 13/1991/265/336; 15/1991/267/338; 16/1991/268/339; 18/1991/270/341; 20/1991/272/343; 22/1991/274/345; 24/1991/276/347; 25/1991/277/348; 33/1991/285/356; 36/1991/288/359; 38/1991/290/361; 40/1991/292/363 à 44/1991/296/367; 50/1991/302/373; 51/1991/303/374; 58/1991/310/381; 59/1991/311/382; 61/1991/313/384 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. A. Spielmann, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
Par la suite, MM. B. Walsh, A.N. Loizou et N. Valticos, suppléants, ont remplacé respectivement M. Pinheiro Farinha et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant l'audience, de même que M. Foighel, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil de Mme Manieri au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu, les 4 avril et 17 juin 1991, les demandes de satisfaction équitable de la requérante (article 50 de la Convention) (art. 50), puis le 16 juillet le mémoire du Gouvernement. Par une lettre arrivée le 22 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait de vive voix.
6. Le 28 août, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
7. Ainsi que l'avait décidé ce dernier - qui avait autorisé la requérante à employer la langue italienne (article 27 par. 3 du règlement) -, les débats se sont déroulés en public le 29 octobre 1991, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu: - pour le Gouvernement MM. G. Raimondi, magistrat détaché au Service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, coagent, G. Manzo, Mme A. Passannanti, magistrats détachés au ministère de la Justice, conseils; - pour la Commission M. J.A. Frowein, délégué; - pour la requérante Me L. Rossi, avocat, conseil.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, de même qu'en leur réponse à sa question, M. Raimondi et Mme Passannanti pour le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission et Me Rossi pour Mme Manieri.
8. Le 5 novembre, la Commission a déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable de la requérante (article 50 de la Convention) (art. 50); le Gouvernement les avait déjà commentées dans son mémoire.
EN FAIT
9. Commerçante de nationalité italienne, Mme Anna Aurora Manieri habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-18 de son rapport):  "16. Par acte du 23 mars 1983, la requérante assigna M. P. devant  le tribunal de Teramo. Elle demanda en son nom et au nom de ses  frère et soeurs la restitution des immeubles qu'ils avaient hérités  à la suite du décès de leur mère, puis de leur père, et que M. P.  détenait en tant qu'administrateur.  17. L'instruction débuta à l'audience du 31 mai 1983.  Après cette date, six autres audiences eurent lieu les  4 novembre 1983, 17 janvier, 15 mai, 6 novembre, 4 décembre 1984 et  12 mars 1985. Au cours de l'instruction, la deuxième épouse du  père de la requérante intervint dans la procédure en revendiquant  la propriété des biens litigieux, et ce conformément au droit  américain des successions qu'elle affirmait être applicable en  l'espèce en raison de la nationalité américaine du de cujus. Une  documentation étoffée, dont une partie provenait des Etats-Unis,  fut versée au dossier.  18. L'instruction de l'affaire fut close le 16 juillet 1985 et  la cause fut transmise à la chambre compétente du tribunal.  L'audience devant celle-ci, prévue pour le 25 novembre 1986, fut  successivement reportée à six reprises jusqu'au 4 avril 1989 en  raison de la mutation du juge de la mise en état.  19. (...)."
10. D'après les renseignements fournis à la Cour par les comparants, à cette dernière date le tribunal de Teramo renvoya l'affaire au juge de la mise en état pour complément d'instruction. En raison de la mutation ultérieure de ce magistrat, l'audience qui devait avoir lieu le 9 janvier 1990 ne se tint que le 6 avril; les parties contestèrent alors la reddition des comptes et réclamèrent le remplacement de l'administrateur des biens. Réservant sa décision, le juge les invita à produire certains documents.
Le 21 septembre 1990, M. Antonio Manieri (junior) intervint dans la procédure en sollicitant un délai pour régulariser son acte et déposer des pièces. Le 19 octobre 1990, les parties présentèrent leurs mémoires et réitérèrent leur demande de remplacement de M. P.
Le juge y fit droit le 18 juillet 1991; il désigna M. Massimo Manieri et fixa les débats au 4 octobre 1991. La Cour ne dispose d'aucune indication sur la suite de l'instance.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressée a saisi la Commission le 30 décembre 1985. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 12053/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
13. A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
14. La requérante allègue que l'examen de son action civile se prolonge au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel  "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans  un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des  contestations sur ses droits et obligations de caractère civil  (...)"
Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
15. La période à considérer a commencé le 23 mars 1983, avec l'assignation de M. P. à comparaître devant le tribunal de Teramo. Elle n'a pas encore pris fin puisque ce dernier n'a toujours pas statué.
16. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
17. Le Gouvernement excipe de la complexité des données de fait et de droit du litige, ainsi que de la mutation de deux juges de la mise en état. L'intéressée, elle, dénonce la carence de l'Etat italien dans le domaine de la justice civile et affirme que son propre comportement n'a eu aucune influence sur la longueur de l'instance.
18. La cause présentait - la Cour le reconnaît - une certaine complexité, qui s'accrut à la suite des interventions de la deuxième épouse du père de la requérante et de M. Antonio Manieri (junior); la première d'entre elles souleva la question de la détermination du droit applicable (paragraphe 9 ci-dessus, n° 17).
D'un autre côté, il échet de relever trois phases de stagnation: elles vont du 16 juillet 1985 au 4 avril 1989, puis de là jusqu'au 6 avril 1990 et enfin du 19 octobre 1990 au 18 juillet 1991.
Le Gouvernement n'avance aucune explication au sujet de la dernière. Pour les deux autres, et notamment pour la première dont la longueur - presque quatre ans - apparaît incompréhensible, il invoque la mutation de deux magistrats, mais l'article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences (voir notamment l'arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17).
19. Dès lors, la Cour ne saurait estimer "raisonnable" en l'occurrence un laps de temps de près de neuf ans déjà pour un seul degré de juridiction.
Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
20. D'après l'article 50 (art. 50),  "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une  mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité  d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en  opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention,  et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement  d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la  décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une  satisfaction équitable."
A. Dommage
21. Mme Manieri réclame d'abord un milliard de lires italiennes pour dommage.
Selon le Gouvernement, elle ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre le manquement allégué et un quelconque préjudice matériel. Quant au tort moral, un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante aux fins de l'article 50 (art. 50).
22. La Cour souscrit à cette opinion sur le premier point, mais estime que l'intéressée a subi un dommage moral certain pour lequel il y a lieu de lui allouer, en équité, 20 000 000 lires.
B. Frais et dépens
23. Mme Manieri revendique aussi 2 609 500 lires et 845 francs français pour frais et dépens supportés devant les organes de la Convention.
Sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour les lui accorde en entier.
C. Intérêts
24. La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et à prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
25. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991.
Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, la Cour n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger, d'autant que la requérante ne l'a pas demandé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 20 000 000 (vingt millions) lires italiennes pour dommage moral et 2 609 500 (deux millions six cent neuf mille cinq cents) lires, plus 845 (huit cent quarante-cinq) francs français, pour frais et dépens;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : MANIERI
Défendeurs : ITALIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 27/02/1992
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12053/86
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-27;12053.86 ?

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