La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/1992 | CEDH | N°12238/86

CEDH | AFFAIRE TAIUTI c. ITALIE


En l'affaire Taiuti c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, g

reffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir déli...

En l'affaire Taiuti c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 octobre 1991 et 24 janvier 1992,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 12/1991/264/335. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mars 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12238/86) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Renzo Taiuti, avait saisi la Commission le 23 mai 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25). Désigné par l'initiale "T." pendant la procédure devant la Commission, il a ultérieurement consenti à la divulgation de son identité.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a déclaré ne pas souhaiter participer à l'instance.
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Diana, Ridi, Casciaroli, Manieri, Mastrantonio, Idrocalce S.r.l., Owners' Services Ltd, Cardarelli, Golino, Maciariello, Manifattura FL, Steffano, Ruotolo, Vorrasi, Cappello, G. c. Italie, Caffè Roversi S.p.a., Andreucci, Gana, Barbagallo, Cifola, Pandolfelli et Palumbo, Arena, Pierazzini, Tusa, Cooperativa Parco Cuma, Serrentino, Cormio, Lorenzi, Bernardini et Gritti et Tumminelli*.
_______________ * Affaires nos 3/1991/255/326 à 11/1991/263/334; 13/1991/265/336; 15/1991/267/338; 16/1991/268/339; 18/1991/270/341; 20/1991/272/343; 22/1991/274/345; 24/1991/276/347; 25/1991/277/348; 33/1991/285/356; 36/1991/288/359; 38/1991/290/361; 40/1991/292/363 à 44/1991/296/367; 50/1991/302/373; 51/1991/303/374; 58/1991/310/381; 59/1991/311/382; 61/1991/313/384 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. A. Spielmann, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
Par la suite, MM. B. Walsh, A.N. Loizou et N. Valticos, suppléants, ont remplacé respectivement M. Pinheiro Farinha et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant la délibération du 30 octobre, de même que M. Foighel, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement") et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 16 juillet 1991. Par une lettre arrivée le 22 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué n'estimait pas nécessaire d'y répondre.
6. Le 28 juin la chambre avait renoncé à tenir audience, non sans avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement).
7. Le 28 août, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
8. Le 5 novembre, la Commission a déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable que le requérant avait communiquées au greffier le 12 juin (article 50 de la Convention; articles 50 et 1 k), combinés, du règlement) (art. 50) et que le Gouvernement avait déjà commentées dans son mémoire.
EN FAIT
9. Retraité de nationalité italienne, M. Renzo Taiuti habite Florence. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-22 de son rapport):  "16. Le 1er juin 1982, le requérant engagea une procédure de  divorce devant le tribunal de Florence.  17. Le requérant et son épouse comparurent devant le président  du tribunal, puis l'affaire fut confiée au juge de la mise en état.  L'instruction débuta à l'audience du 16 novembre 1982, suivie par  trois autres audiences les 1er février, 22 mars et 24 mai 1983. A  l'audience du 13 octobre 1983, faisant droit à une demande du  requérant, le juge de la mise en état nomma un expert, pour qu'il  évaluât le degré d'aptitude au travail du requérant.  18. L'examen de l'affaire aurait dû reprendre le 24 mai 1984.  Cependant, l'audience prévue pour cette date n'eut lieu que  le 29 mars 1985 en raison de la mutation du juge de la mise en  état.  19. A l'audience du 4 juin 1985, le juge de la mise en état  rejeta une demande d'audition de témoin introduite par l'épouse du  requérant. Les parties présentèrent leurs conclusions à l'audience  du 28 juin 1985 et le juge de la mise en état fixa au  11 décembre 1985 l'audience devant la chambre compétente du  tribunal.  20. A cette date, le tribunal renvoya l'affaire devant le juge  de la mise en état pour qu'il procédât à l'audition de témoin  demandée par l'épouse du requérant. A l'audience suivante, qui eut  lieu le 15 mai 1986, le témoin fit savoir qu'il lui était  impossible d'être présent et l'audience fut reportée au  9 octobre 1986. A cette date, le témoin ne comparut pas, mais  l'épouse du requérant déposa copie du procès-verbal relatant le  témoignage rendu par ce même témoin au cours d'une procédure  antérieure.  21. Les parties présentèrent leurs conclusions à l'audience du  30 octobre 1986.  22. Le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre  compétente du tribunal, qui entendit les parties à l'audience  du 17 février 1988. Puis l'affaire fut mise en délibéré. La date  du jugement du tribunal de Florence n'a pas été communiquée, mais  le texte de celui-ci fut déposé au greffe le 20 octobre 1988.  23. (...)."
10. D'après le Gouvernement, ledit jugement serait devenu définitif le 1er décembre 1990.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressé a saisi la Commission le 23 mai 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 12238/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-I de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
13. Le requérant allègue que l'examen de son action civile se prolongea au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel  "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans  un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des  contestations sur ses droits et obligations de caractère civil  (...)"
Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
14. La période à considérer a commencé le 1er juin 1982, date à laquelle le requérant introduisit une instance en divorce. D'après les indications du Gouvernement, elle a pris fin le 1er décembre 1990 (paragraphe 10 ci-dessus).
15. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
16. Le Gouvernement excipe de la surcharge du rôle du tribunal de Florence. En outre, le requérant ne demanda pas un examen plus rapide de sa cause.
17. En l'occurrence, le juge de la mise en état ménagea de longs délais entre les audiences et d'après les renseignements incomplets fournis à la Cour, deux périodes d'inactivité totale marquèrent la procédure (du 13 octobre 1983 au 29 mars 1985 et du 30 octobre 1986 au 17 février 1988). En outre, le tribunal de Florence paraît avoir tardé soit à statuer après l'audience du 17 février 1988, soit à déposer son jugement au greffe.
Sans doute le Gouvernement invoque-t-il l'encombrement du rôle du tribunal, mais l'article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences (voir notamment l'arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17).
18. Dès lors, la Cour ne saurait estimer "raisonnable" le laps de temps écoulé en l'espèce, d'autant qu'une diligence spéciale s'impose en matière d'état et de capacité des personnes (arrêt Bock c. Allemagne du 23 mars 1989, série A n° 150, p. 23, par. 49).
Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
19. D'après l'article 50 (art. 50),  "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une  mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité  d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en  opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention,  et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement  d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la  décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une  satisfaction équitable."
A. Dommage
20. M. Taiuti sollicite d'abord, sans la chiffrer, une indemnité pour préjudice.
21. Selon le Gouvernement, il ne démontre pas l'existence d'un dommage matériel quelconque et un constat de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le tort moral éventuellement souffert.
22. Rien n'établit que l'intéressé ait subi un préjudice matériel causé par le dépassement du délai raisonnable. En revanche, il a dû éprouver un certain dommage moral pour lequel la Cour lui alloue, en équité, 2 000 000 lires italiennes.
B. Frais et dépens
23. Le requérant réclame aussi 3 327 500 lires pour frais et dépens supportés devant la Cour.
Sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour accorde à M. Taiuti le remboursement sollicité.
C. Intérêts
24. La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et à prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
25. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991.
Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, la Cour n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger, d'autant que le requérant ne l'a pas demandé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1  (art. 6-1);
2. Dit que l'Etat défendeur doit verser à M. Taiuti, dans les  trois mois, 2 000 000 (deux millions) lires italiennes pour dommage  moral et 3 327 500 (trois millions trois cent vingt-sept mille cinq  cents) pour frais et dépens;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le  surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12238/86
Date de la décision : 27/02/1992
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : TAIUTI
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-27;12238.86 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award