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27/02/1992 | CEDH | N°12460/86

CEDH | AFFAIRE RUOTOLO c. ITALIE


En l'affaire Ruotolo c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Ei

ssen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, ...

En l'affaire Ruotolo c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 octobre 1991 et 24 janvier 1992, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 18/1991/270/341. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mars 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12460/86) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Luigi Ruotolo, avait saisi la Commission le 15 septembre 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a déclaré ne pas souhaiter participer à l'instance.
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Diana, Ridi, Casciaroli, Manieri, Mastrantonio, Idrocalce S.r.l., Owners' Services Ltd, Cardarelli, Golino, Taiuti, Maciariello, Manifattura FL, Steffano, Vorrasi, Cappello, G. c. Italie, Caffè Roversi S.p.a., Andreucci, Gana, Barbagallo, Cifola, Pandolfelli et Palumbo, Arena, Pierazzini, Tusa, Cooperativa Parco Cuma, Serrentino, Cormio, Lorenzi, Bernardini et Gritti et Tumminelli*.
_______________ * Affaires nos 3/1991/255/326 à 13/1991/265/336; 15/1991/267/338; 16/1991/268/339; 20/1991/272/343; 22/1991/274/345; 24/1991/276/347; 25/1991/277/348; 33/1991/285/356; 36/1991/288/359; 38/1991/290/361; 40/1991/292/363 à 44/1991/296/367; 50/1991/302/373; 51/1991/303/374; 58/1991/310/381; 59/1991/311/382; 61/1991/313/384 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. A. Spielmann, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. B. Walsh, A.N. Loizou et N. Valticos, suppléants, ont remplacé respectivement M. Pinheiro Farinha et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant la délibération du 30 octobre, de même que M. Foighel, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement") et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 16 juillet 1991. Par une lettre arrivée le 22 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué n'estimait pas nécessaire d'y répondre.
6. Le 28 juin la chambre avait renoncé à tenir audience, non sans avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement).
7. Le 28 août, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
8. Le 5 novembre, la Commission a déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable que le requérant avait communiquées au greffier les 3 avril et 11 juin (article 50 de la Convention; articles 50 et 1 k), combinés, du règlement) (art. 50) et que le Gouvernement avait déjà commentées dans son mémoire.
EN FAIT
9. Ressortissant italien, M. Luigi Ruotolo habite Montesilvano (Pescara). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-25 de son rapport): "16. En avril 1979, le requérant fut licencié par la société X. 17. Le 18 octobre 1979, il saisit le juge d'instance (pretore) de Rome, en demandant la réintégration dans ses fonctions, ainsi que des dommages et intérêts. 18. L'instruction de l'affaire se déroula au cours des audiences suivantes: 8 janvier 1980 (reportée à la demande des parties), 22 janvier 1980, 29 avril 1980 (reportée en raison de l'absence des témoins cités à comparaître), 13 mai 1980, 9 juillet 1980 (reportée en raison de l'absence des témoins cités à comparaître), 14 octobre 1980, 24 novembre 1980 (reportée à la demande de la partie défenderesse), 9 décembre 1980 (reportée en raison de l'absence des témoins cités à comparaître), 23 février 1981 et 28 avril 1981. 19. A l'issue de cette dernière audience, le juge d'instance prononça son jugement rejetant le recours du requérant. Le texte fut déposé au greffe le 29 avril 1981. 20. Le 19 novembre 1981, le requérant interjeta appel contre ce jugement. A l'issue de l'audience du 2 juillet 1982, le tribunal de Rome rejeta l'appel du requérant. Le texte de sa décision (treize pages dactylographiées) fut déposé au greffe le 24 février 1983. 21. Le 23 février 1984, le requérant se pourvut en cassation. Le 24 octobre 1985, à l'issue de l'audience devant elle, la Cour de cassation accueillit le pourvoi, annula le jugement du tribunal et renvoya l'affaire devant le tribunal de Frosinone. L'arrêt de la Cour de cassation (douze pages dactylographiées) fut déposé au greffe le 27 mars 1986. 22. Le 17 janvier 1987, le requérant reprit son action devant le tribunal de Frosinone. L'instruction, commencée à l'audience du 1er avril 1987, se poursuivit aux audiences des 22 octobre 1987 et 21 janvier 1988 (reportées à la demande des parties), 12 octobre 1988 (reportée à cause de l'absence du juge de la mise en état), 17 novembre 1988 (reportée à la demande des parties) et 19 janvier 1989. 23. A l'issue de cette dernière audience, le tribunal rendit son jugement réformant la décision du juge d'instance de Rome et faisant droit à la demande de réintégration du requérant. Il lui accorda, en outre, une somme de 10 443 900 lires italiennes, réévaluée et majorée des intérêts. 24. Le texte du jugement (quatorze pages dactylographiées) fut déposé au greffe le 18 juillet 1989. 25. Le 21 décembre 1989, la société X forma un pourvoi en cassation. Le 30 janvier 1990, le requérant répondit à ce pourvoi et, à son tour, en forma un autre critiquant le montant des dommages et intérêts qui lui avaient été accordés."
10. D'après les renseignements fournis depuis lors par le Gouvernement, la Cour de cassation a statué le 31 mai 1991, mais au 24 janvier 1992 son arrêt n'avait toujours pas été déposé à son greffe.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressé a saisi la Commission le 15 septembre 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 12460/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
13. Le requérant allègue que l'examen de son action civile se prolonge au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
14. La période à considérer a commencé le 18 octobre 1979, avec la saisine du juge d'instance de Rome. Elle a pris fin au plus tôt le 31 mai 1991, date du second arrêt de la Cour de cassation.
15. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
16. Le Gouvernement invoque la complexité des données de fait du litige, ainsi que la surcharge du rôle des juridictions compétentes. En outre, le requérant ne sollicita pas un examen plus rapide de sa cause.
17. La Cour souligne qu'une diligence particulière s'impose pour le contentieux du travail (arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17). L'Italie l'a d'ailleurs reconnu en révisant, en 1973, la procédure spéciale établie en la matière et en adoptant, en 1990, des mesures urgentes destinées à accélérer la marche des instances (voir, en dernier lieu, l'arrêt Lestini c. Italie du 26 février 1992, série A n° 228-E, p. 54, par. 18). L'affaire présentait une certaine complexité et les parties provoquèrent cinq renvois d'audience. Il échet aussi de noter que le requérant ne reprit son action que plus de neuf mois après le premier arrêt de la Cour de cassation (27 mars 1986 - 17 janvier 1987). En outre et surtout, l'examen de la cause donna lieu à deux procédures consécutives dont la première s'étendit du 18 octobre 1979 au 27 mars 1986, la seconde, celle sur renvoi après cassation, jusqu'au 31 mai 1991 au minimum. Sans doute le Gouvernement excipe-t-il de l'encombrement des juridictions saisies du litige, mais l'article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences (voir notamment l'arrêt Vocaturo c. Italie précité, série A n° 206-C, p. 32, par. 17). Envisagés séparément, plusieurs des intervalles observés peuvent sembler normaux; cependant, leur accumulation et divers retards imputables aux juridictions compétentes - notamment quant au dépôt du jugement du 2 juillet 1982 (plus de sept mois et demi) et de l'arrêt du 24 octobre 1985 (plus de cinq mois) - amènent la Cour à estimer excessif un laps de temps global supérieur à douze ans. Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
18. D'après l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
19. Pour préjudice matériel, M. Ruotolo sollicite 335 000 000 lires italiennes ou, en ordre subsidiaire, 19 000 000; il s'en remet à la sagesse de la Cour quant au tort moral. Le Gouvernement nie l'existence d'un dommage matériel quelconque, car les prétentions du requérant manqueraient de fondement. En particulier, celle qu'il présente à titre principal s'appuierait, entre autres, sur un élément - l'insuffisance des motifs du jugement du tribunal de Rome (paragraphe 9, n° 23, ci-dessus) - n'entrant pas en ligne de compte sous l'angle de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En ce qui concerne le tort moral, un constat de violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante.
20. Rien n'établit que l'intéressé ait subi un préjudice matériel résultant de l'inobservation du délai raisonnable. En revanche, il a dû éprouver un certain dommage moral pour lequel la Cour lui alloue, en équité, 5 000 000 lires. B. Frais et dépens
21. Le requérant réclame aussi 7 502 000 lires au titre de frais supportés devant les juridictions nationales. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation relevée et les frais exposés dans l'ordre juridique interne. Il n'y a donc pas lieu d'accorder à M. Ruotolo le remboursement demandé. C. Intérêts
22. La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et à prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
23. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991. Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, elle n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger, d'autant que le requérant ne l'a pas revendiqué.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par huit voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit, à l'unanimité, que l'Etat défendeur doit verser à M. Ruotolo, dans les trois mois, 5 000 000 (cinq millions) lires italiennes pour dommage moral;
3. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique, au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente de M. Bigi.
Paraphé: R. R.
Paraphé: M.-A. E. OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BIGI Je me sépare de la majorité dans cette affaire car les retards imputables à l'Etat ne me paraissent pas constituer au total, en l'occurrence, un délai déraisonnable.


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 12460/86
Date de la décision : 27/02/1992
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens - demande rejetée ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : RUOTOLO
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-27;12460.86 ?

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