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27/02/1992 | CEDH | N°12825/87

CEDH | AFFAIRE CAFFÈ ROVERSI S.P.A. c. ITALIE


En l'affaire Caffè Roversi S.p.a. c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que d

e MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoi...

En l'affaire Caffè Roversi S.p.a. c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 octobre 1991 et 24 janvier 1992, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 25/1991/277/348. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mars 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12825/87) dirigée contre la République italienne et dont une société enregistrée dans cet Etat, Caffè Roversi S.p.a., avait saisi la Commission le 27 janvier 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Diana, Ridi, Casciaroli, Manieri, Mastrantonio, Idrocalce S.r.l., Owners' Services Ltd, Cardarelli, Golino, Taiuti, Maciariello, Manifattura FL, Steffano, Ruotolo, Vorrasi, Cappello, G. c. Italie, Andreucci, Gana, Barbagallo, Cifola, Pandolfelli et Palumbo, Arena, Pierazzini, Tusa, Cooperativa Parco Cuma, Serrentino, Cormio, Lorenzi, Bernardini et Gritti et Tumminelli*.
_______________ * Affaires nos 3/1991/255/326 à 13/1991/265/336; 15/1991/267/338; 16/1991/268/339; 18/1991/270/341; 20/1991/272/343; 22/1991/274/345; 24/1991/276/347; 33/1991/285/356; 36/1991/288/359; 38/1991/290/361; 40/1991/292/363 à 44/1991/296/367; 50/1991/302/373; 51/1991/303/374; 58/1991/310/381; 59/1991/311/382; 61/1991/313/384 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. A. Spielmann, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. B. Walsh, A.N. Loizou et N. Valticos, suppléants, ont remplacé respectivement M. Pinheiro Farinha et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant l'audience, de même que M. Foighel, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil de la requérante au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire de la requérante le 9 juillet et celui du Gouvernement le 16. Par une lettre arrivée le 22 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait de vive voix.
6. Le 28 août, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
7. Ainsi que l'avait décidé ce dernier - qui avait autorisé la requérante à employer la langue italienne (article 27 par. 3 du règlement) -, les débats se sont déroulés en public le 29 octobre, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Ont comparu: - pour le Gouvernement MM. G. Raimondi, magistrat détaché au Service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, coagent, G. Manzo, Mme A. Passannanti, magistrats détachés au ministère de la Justice, conseils; - pour la Commission M. J.A. Frowein, délégué; - pour la requérante Me B. Micolano, avocat, conseil. La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations M. Raimondi et Mme Passannanti pour le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission et Me Micolano pour Caffè Roversi S.p.a.
8. Le 10 octobre, le Gouvernement avait déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable de la requérante (article 50 de la Convention) (art. 50); la Commission a présenté les siennes le 5 novembre.
EN FAIT
9. La requérante est une société anonyme ayant son siège à Bologne. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-19 de son rapport): "16. Le 13 novembre 1981, l'intéressée assigna M. et Mme P. devant le tribunal de Modène, en demandant le paiement de 8 910 088 lires italiennes. 17. L'instruction, commencée à l'audience du 21 janvier 1982, se poursuivit aux audiences des 8 avril 1982, 27 mai 1982, 21 octobre 1982, 13 janvier 1983, 7 avril 1983, 9 juin 1983, 27 octobre 1983 (date à laquelle le juge de la mise en état ordonna l'accomplissement d'une expertise graphologique), 16 novembre 1983 (renvoyée à cause de l'absence de l'expert), 22 décembre 1983, 7 juin 1984 (renvoyée à la demande des parties, l'expertise n'ayant été déposée que la veille), 10 juillet 1984, 18 juillet 1984, 13 décembre 1984, 18 avril 1985, 10 octobre 1985, 19 décembre 1985, 23 janvier 1986, 19 juin 1986 et 4 décembre 1986. 18. A cette dernière date, l'affaire était en état et le juge de la mise en état la renvoya à la chambre compétente du tribunal afin qu'elle fût discutée à l'audience du 13 avril 1988. 19. Le 14 avril 1988, le tribunal fit droit à la demande de la requérante. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 20 mai 1988. 20. (...)."
10. D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, il n'y a pas eu d'appel.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressée a saisi la Commission le 27 janvier 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 12825/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-G de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
13. A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
14. La requérante allègue que l'examen de son action civile se prolongea au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
15. La période à considérer a commencé le 13 novembre 1981, avec l'assignation de M. et Mme P. devant le tribunal de Modène. Elle paraît avoir pris fin le 20 mai 1989, date à laquelle le jugement du tribunal a dû devenir définitif (arrêt Pugliese (II) c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-A, p. 8, par. 16).
16. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
17. Le Gouvernement excipe de la complexité des données de fait du litige, du comportement de la requérante et de la surcharge de travail du tribunal.
18. Il échet de rappeler que l'instruction prit un peu plus de cinq ans (13 novembre 1981 - 4 décembre 1986), après quoi il se passa un an et quatre mois jusqu'à l'audience de plaidoiries du 13 avril 1988. Quant au premier de ces délais, la Cour note que les parties provoquèrent plusieurs ajournements. En outre, le juge de la mise en état dut recourir à une expertise en écritures, ouïr des témoins et décider une saisie conservatoire. Il ne s'agissait pourtant pas d'une affaire complexe au point de justifier non moins de vingt audiences. En outre, ledit magistrat attendit respectivement quatorze et six mois avant d'ordonner, ainsi que l'y invitait la requérante, les deux mesures d'instruction susmentionnées. Le second intervalle, s'ajoutant au premier, aggrava la situation. Sans doute le Gouvernement invoque-t-il l'encombrement du tribunal de Modène, mais l'article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences (voir notamment l'arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17).
19. Dès lors, la Cour ne saurait estimer "raisonnable" le laps de temps écoulé en l'espèce. Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
20. D'après l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
21. L'intéressée réclame d'abord 50 000 000 lires italiennes pour dommage. La Commission considère qu'il y a lieu d'indemniser la requérante de son préjudice matériel si elle réussit à en prouver l'existence et celle d'un lien de causalité avec la violation constatée.
22. Il ne ressort pas du dossier que ces conditions se trouvent réunies. Dès lors, la Cour rejette la demande. B. Frais et dépens
23. Caffè Roversi S.p.a. revendique aussi 20 358 400 lires pour frais et dépens supportés devant les organes de la Convention. Sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour lui accorde 8 000 000 lires à ce titre. C. Intérêts
24. La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et à prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
25. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991. Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, la Cour n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger, d'autant que la requérante ne l'a pas sollicité.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 8 000 000 (huit millions) lires italiennes pour frais et dépens;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : CAFFÈ ROVERSI S.P.A.
Défendeurs : ITALIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 27/02/1992
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12825/87
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-27;12825.87 ?

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