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27/02/1992 | CEDH | N°13362/87

CEDH | AFFAIRE TUMMINELLI c. ITALIE


En l'affaire Tumminelli c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A.

Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, ...

En l'affaire Tumminelli c. Italie*, La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, A. Spielmann, N. Valticos, A.N. Loizou, J.M. Morenilla, F. Bigi,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 octobre 1991 et 24 janvier 1992, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________ Notes du greffier * L'affaire porte le n° 61/1991/313/384. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes. ** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 19 avril 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 13362/87) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Salvatore Tumminelli, avait saisi la Commission le 29 octobre 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25). La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a déclaré ne pas souhaiter participer à l'instance.
3. Le 23 avril 1991, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Diana, Ridi, Casciaroli, Manieri, Mastrantonio, Idrocalce S.r.l., Owners' Services Ltd, Cardarelli, Golino, Taiuti, Maciariello, Manifattura FL, Steffano, Ruotolo, Vorrasi, Cappello, G. c. Italie, Caffè Roversi S.p.a., Andreucci, Gana, Barbagallo, Cifola, Pandolfelli et Palumbo, Arena, Pierazzini, Tusa, Cooperativa Parco Cuma, Serrentino, Cormio et Lorenzi, Bernardini et Gritti*.
_______________ * Affaires nos 3/1991/255/326 à 13/1991/265/336; 15/1991/267/338; 16/1991/268/339; 18/1991/270/341; 20/1991/272/343; 22/1991/274/345; 24/1991/276/347; 25/1991/277/348; 33/1991/285/356; 36/1991/288/359; 38/1991/290/361; 40/1991/292/363 à 44/1991/296/367; 50/1991/302/373; 51/1991/303/374; 58/1991/310/381; 59/1991/311/382 _______________
4. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. A. Spielmann, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et M. F. Bigi, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. B. Walsh, A.N. Loizou et N. Valticos, suppléants, ont remplacé respectivement M. Pinheiro Farinha et Sir Vincent Evans, qui avaient donné leur démission et dont les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant la délibération du 30 octobre, de même que M. Foighel, empêché (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint l'agent du gouvernement italien ("le Gouvernement") et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 16 juillet 1991. Par une lettre arrivée le 22 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué n'estimait pas nécessaire d'y répondre.
6. Le 28 juin la Chambre avait renoncé à tenir audience, non sans avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement).
7. Le 28 août, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
8. Le 5 novembre, la Commission a déposé ses observations sur les demandes de satisfaction équitable que le requérant avait communiquées au greffier le 28 juin (article 50 de la Convention; articles 50 et 1 k), combinés, du règlement) (art. 50) et que le Gouvernement avait déjà commentées dans son mémoire.
EN FAIT
9. Géomètre de nationalité italienne, M. Salvatore Tumminelli habite Caltanissetta. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-21 de son rapport): "17. Le 29 mai 1979, le requérant, géomètre, demanda au président du tribunal de Caltanissetta une injonction de payer contre M. M., en alléguant que celui-ci lui devait la somme de 1 324 000 lires italiennes pour des prestations professionnelles. Le 31 mai 1979, le président émit une injonction de payer (decreto d'ingiunzione) contre M. M., qui fit opposition à l'injonction le 3 juillet 1979, engageant ainsi une procédure civile ordinaire contre le requérant. 18. L'instruction débuta à l'audience du 22 novembre 1979, qui fut suivie de l'audience du 24 avril 1980, date à laquelle M. M. demanda un renvoi. Le juge de la mise en état fixa l'audience suivante au 26 juin 1980, mais il fut muté par la suite. L'audience n'eut lieu que le 5 février 1981, devant le président du tribunal remplaçant le juge de la mise en état. Le président ne prit aucune décision sur les demandes d'instruction avancées par les parties et se limita à reporter l'audience au 25 juin 1981. 19. Cependant, l'audience n'eut lieu que le 4 février 1982, devant le nouveau juge de la mise en état. Le 8 février 1982, celui-ci fixa au 8 juillet 1982 l'audience destinée à l'audition de certains témoins indiqués par les parties. A cette date, deux témoins proposés par le requérant et un témoin proposé par M. M. furent entendus. L'examen de l'affaire fut ajourné au 24 mars 1983 pour qu'un deuxième témoin proposé par M. M. fût entendu. Cependant, ce témoin ne comparut pas, n'ayant pas été dûment cité à comparaître. 20. L'audience fut donc reportée au 29 septembre 1983, mais elle n'eut lieu que le 11 avril 1985. A cette date, les parties demandèrent à nouveau l'audition du témoin. Ledit témoin, dûment cité, ne se présenta ni à l'audience du 11 juillet 1985 ni à celle du 17 octobre 1985. Le 6 février 1986, le juge de la mise en état infligea une amende au témoin et ordonna qu'il fût conduit manu militari à l'audience du 6 mars 1986. 21. Cependant, cette dernière audience n'eut pas lieu à cause de la mutation du juge de la mise en état. Après le remplacement de ce dernier, une audience fut fixée au 12 janvier 1988 devant le nouveau juge de la mise en état, mais le requérant ne fut pas dûment informé et ne s'y présenta pas. L'audience fut dès lors reportée au 20 septembre 1988, date à laquelle le juge de la mise en état fixa l'audience d'audition du témoin au 23 février 1989. Toutefois, à cette audience le témoin, malade, ne comparut pas et l'audience fut reportée au 29 juin 1989 puis d'office successivement au 21 décembre 1989, au 29 janvier 1991 et au 5 novembre 1991."
10. D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, à cette dernière date l'examen de l'affaire fut ajourné au 19 mars 1992.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
11. L'intéressé a saisi la Commission le 29 octobre 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
12. La Commission a retenu la requête (n° 13362/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*.
_______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-H de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
13. Le requérant allègue que l'examen de son action civile se prolonge au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.
14. La période à considérer a commencé le 31 mai 1979, date de l'injonction de payer (arrêt Pugliese (II) c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-A, p. 8, par. 16); elle n'a pas encore pris fin.
15. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en l'occurrence une évaluation globale.
16. Le Gouvernement excipe de la défaillance d'un témoin et des mutations des juges de la mise en état. En outre, le requérant ne réclama pas un remplacement plus rapide de ceux- ci, ni des sanctions contre ledit témoin ni la comparution forcée de ce dernier.
17. Il s'agit pourtant d'une affaire simple. En outre, de longs intervalles, allant d'environ trois mois (11 avril 1985 - 11 juillet 1985 et 11 juillet 1985 - 17 octobre 1985) à plus de deux ans et neuf mois (8 juillet 1982 - 11 avril 1985), séparèrent les diverses audiences devant le magistrat compétent. A l'exception d'un seul, sollicité par M. M. le 24 avril 1980, les nombreux ajournements décidés résultaient non point de démarches des parties, mais du retard mis par deux fois à désigner le successeur d'un juge muté, de la non-communication au requérant de la date de l'une des séances (12 janvier 1988) et de la convocation irrégulière, la non-comparution ou l'empêchement, selon le cas, de l'un des témoins (24 mars 1983, 11 juillet 1985, 17 octobre 1985 et 23 février 1989). Sur ce dernier point, il échet de souligner que le recours à la preuve testimoniale s'inscrivait dans le cadre d'une procédure judiciaire contrôlée par un magistrat (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 13, par. 30). Plus généralement, l'article 6 par. 1 (art. 6-1) oblige les Etats contractants à organiser leur système juridique de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences (voir notamment l'arrêt Vocaturo c. Italie du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17). Avec la Commission, la Cour attache aussi de l'importance aux deux phases d'inactivité, imputables pour l'essentiel à l'Etat, qui s'écoulèrent du 24 avril 1980 au 5 février 1981, puis de là jusqu'au 4 février 1982; surtout, elle note à son tour que nulle mesure d'instruction ne paraît avoir été prise depuis le 8 juillet 1982.
18. Dans ces conditions, elle ne saurait estimer "raisonnable" en l'espèce un laps de temps supérieur à douze ans pour un litige qui demeure au stade de l'instruction. Il y a donc eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
19. D'après l'article 50 (art. 50), "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable." A. Dommage
20. Le requérant réclame d'abord 10 000 000 lires italiennes pour dommage. Selon le Gouvernement, il ne démontre pas l'existence d'un préjudice matériel. Quant à un éventuel tort moral, un constat de violation fournirait une satisfaction équitable suffisante. La Commission considère qu'outre une réparation pour tort moral, il y a lieu d'indemniser M. Tumminelli de son dommage matériel s'il réussit à en établir l'existence et celle d'un lien de causalité avec le manquement relevé.
21. Il ne ressort pas du dossier que ces conditions se trouvent réunies. L'intéressé a pu en revanche subir un certain tort moral, mais dans les circonstances de la cause la Cour estime que la conclusion figurant au paragraphe 18 du présent arrêt constitue à cet égard une compensation adéquate aux fins de l'article 50 (art. 50). B. Frais et dépens
22. Le requérant sollicite aussi 1 996 500 lires pour frais et dépens supportés devant les organes de la Convention. La Cour les lui accorde en entier sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière. C. Intérêts
23. La Commission invite la Cour à fixer au Gouvernement - qui ne se prononce pas - un délai impératif d'exécution et à prévoir le versement d'intérêts moratoires en cas de dépassement.
24. La première de ces suggestions est conforme à une pratique suivie par la Cour depuis octobre 1991. Quant au paiement éventuel d'intérêts moratoires, la Cour n'estime pas en l'occurrence approprié de l'exiger, d'autant que le requérant ne l'a pas demandé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même, quant au préjudice moral subi, une satisfaction équitable suffisante aux fins de l'article 50 (art. 50);
3. Dit que l'Etat défendeur doit verser à M. Tumminelli, dans les trois mois, 1 996 500 (un million neuf cent quatre-vingt-seize mille cinq cents) lires italiennes pour frais et dépens;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Marc-André EISSEN Greffier


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 13362/87
Date de la décision : 27/02/1992
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention ; Intérêts - demande rejetée

Parties
Demandeurs : TUMMINELLI
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-02-27;13362.87 ?

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