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30/03/1992 | CEDH | N°15957/90

CEDH | R. contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15957/90 présentée par W.R. contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 30 mars 1992 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ Mme J. LIDDY MM.

L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA RI...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 15957/90 présentée par W.R. contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 30 mars 1992 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 22 décembre 1989 par W.R. contre la Belgique et enregistrée le 10 janvier 1990 sous le No de dossier 15957/90 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant belge, né en 1941. Devant la Commission, il est représenté par Me L.J. Martens, avocat au barreau de Gand. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : Par arrêt du 27 janvier 1989, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Gand renvoya le requérant devant la cour d'assises de Flandre occidentale pour assassinat. Par arrêt du 19 juin 1989, la cour d'assises de Flandre occidentale, chargée d'examiner le bien-fondé des accusations dirigées contre le requérant et ses coinculpés M. et W., arrêta la liste des membres effectifs et suppléants du jury. Par arrêt du 30 juin 1989 rendu à l'issue des débats devant la cour d'assises, le jury répondit, après délibérations, par l'affirmative à la question de savoir si le requérant et l'un de ses coinculpés étaient coupables d'avoir commis un homicide avec préméditation. Par le même arrêt, le requérant fut, après délibérations du jury et des magistrats de la cour d'assises, condamné aux travaux forcés à perpétuité, tandis que M. fut condamné à une peine de quinze ans de travaux forcés, la cour estimant que celui-ci bénéficiait de circonstances atténuantes en raison de son jeune âge et de l'absence de casier judiciaire. Par un deuxième arrêt du 30 juin 1989, la cour d'assises de Gand acquitta le coinculpé W. du requérant, le jury ayant répondu par la négative à la question concernant sa culpabilité pour les faits qui lui étaient reprochés. Par un troisième arrêt du même jour, la cour se prononça sur les demandes des parties civiles. La cour d'assises rendit enfin, le même jour, un quatrième arrêt concernant un incident de procédure. Le requérant se pourvut en cassation contre les quatre arrêts prononcés le 30 juin 1989, ainsi que contre l'arrêt du 19 juin 1989. Par arrêt du 3 octobre 1989, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle rejeta, entre autres, un moyen fondé sur le non-respect de l'égalité des armes par lequel le requérant faisait valoir qu'il n'avait la possibilité d'interroger un témoin que par l'intermédiaire du président de la cour d'assises tandis que le ministère public avait la possibilité de l'interroger directement. La Cour estima que cette circonstance n'était pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense et observa que le requérant n'avait pas précisé de quelle manière cela aurait pu se produire en l'espèce. La Cour de cassation rejeta également un moyen fondé sur l'article 6 de la Convention par lequel le requérant faisait valoir que l'arrêt de condamnation ne comprenait aucune motivation, tant sur la question de la culpabilité que sur celle de la peine, estimant que l'arrêt était régulièrement motivé dans la mesure où il se référait aux réponses que le jury avait faites aux questions du président de la cour, ainsi qu'à la description des faits déclarés établis et aux articles du Code pénal dont il avait été fait application.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint tout d'abord du fait que devant la cour d'assises, il n'avait la possibilité d'interroger les témoins que par l'intermédiaire du président de la cour d'assises, conformément à l'article 319 du Code d'instruction criminelle, alors que le ministère public avait la possibilité de les interroger directement. Il invoque l'article 6 par. 1 et 3 c) et d) de la Convention.
2. Le requérant fait en outre valoir qu'il n'a pas eu droit à un second examen du bien-fondé des accusations dirigées contre lui après sa condamnation par la cour d'assises. Il invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
3. Le requérant se plaint aussi du fait que la déclaration de culpabilité par le jury ainsi que la détermination de la peine par la cour d'assises ne comportaient aucune motivation. Il explique qu'un condamné doit pouvoir comprendre les motifs de sa condamnation et en vérifier la légitimité. Il invoque l'article 6 par. 1 qui garantit le droit à un procès équitable.
4. Le requérant fait enfin valoir qu'il n'a pas bénéficié, lors de l'examen des pourvois en cassation qu'il avait introduits contre les arrêts de la cour d'assises des 19 et 30 juin 1989, d'une procédure répondant aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention, dans la mesure où un membre du ministère public près la Cour de cassation pouvait assister et a assisté au délibéré de cette Cour.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d'abord du fait que, devant la cour d'assises, il n'avait la possibilité d'interroger les témoins que par l'intermédiaire du président de la cour d'assises, conformément à l'article 319 du Code d'instruction criminelle, alors que le ministère public avait la possibilité de les interroger directement. Il invoque l'article 6 par. 1 et 3 c) et d) (art. 6-1, 6-3-c, 6-3-d) de la Convention. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention garantit à toute personne le droit à un procès équitable, dont le principe d'égalité des armes constitue un élément, tandis que le paragraphe 3 d) de cet article reconnaît à tout accusé le droit d'interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. Pour sa part, le paragraphe 3 c) de l'article 6 (art. 6) garantit, entre autres, à tout accusé le droit de se défendre soi-même ou avoir l'assistance d'un avocat de son choix. La Commission rappelle que le paragraphe 3 de l'article 6 (art. 6-3) de la Convention énumère de manière non limitative certains droits particuliers qui, en matière pénale, constituent des aspects particuliers de la notion générale de droit à un procès équitable garantie au paragraphe 1 de cet article (cf. par exemple, N° 8403/78, déc. 14.12.81, D.R. 27 p. 6). La Commission observe d'abord que le paragraphe 3 d) de l'article 6 (art. 6-3-d) de la Convention a été respecté en l'espèce, dès lors que le requérant a pu "faire interroger" les témoins. En ce qui concerne plus particulièrement l'égalité des armes garantie par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, la Commission rappelle qu'elle a déjà considéré que les dispositions de l'article 319 du Code d'instruction criminelle - qui ont trait aux compétences du président de la cour d'assises en matière de police d'audience et ont pour but d'assurer une bonne administration de la justice - ne paraissent pas, en elles-mêmes, de nature à placer la défense dans une position d'infériorité par rapport à l'accusation (N° 3593/68, déc. 16.5.69, Recueil 29 p. 65). La Commission relève ensuite que le requérant n'a nullement démontré comment l'application de l'article 319 précité au cours de son procès devant la cour d'assises aurait pu entraîner une infraction au principe de l'égalité des armes. Elle constate à cet égard qu'il n'est pas allégué que le président de la cour d'assises aurait refusé de poser une question ou aurait déformé une question que le requérant voulait lui faire poser à un témoin. La Commission constate enfin que l'application de l'article 319 précité, telle qu'elle a été faite en l'espèce, n'a pas eu pour effet de porter atteinte au droit du requérant de se défendre lui-même ou d'avoir l'assistance d'un avocat de son choix garanti par l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant fait en outre valoir qu'il n'a pas eu droit à un second examen du bien-fondé des accusations dirigées contre lui après sa condamnation par la cour d'assises. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission rappelle toutefois sa jurisprudence constante selon laquelle l'article 6 (art. 6) de la Convention ne garantit aucun droit à un double degré de juridiction (cf N° 8603/79, 8722/79 et 8729/79, déc. 18.12.80, D.R. 22 p. 147 ; N° 10563/83, déc. 5.7.87, D.R. 44 p. 113). La Commission observe de surcroît que la Belgique n'est pas partie au Protocole N° 7 de la Convention. Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté par application de son article 27 par. 2 (art. 27-2).
3.3. Le requérant se plaint aussi du fait que la déclaration de culpabilité par le jury ainsi que la détermination de la peine par la cour d'assises ne comportaient aucune motivation. Il invoque à cet égard l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission rappelle à cet égard sa jurisprudence selon laquelle l'absence de motivation d'une décision judiciaire peut, dans certaines circonstances spécifiques, mettre en jeu le droit à un procès équitable que garantit l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (N° 10857/84, déc. 15.7.86, D.R. 48 p. 106 ; N° 8769/79, déc. 16.7.81, D.R. 25 p. 240), notamment lorsque la décision non motivée est susceptible d'appel quant au fond (N° 1035/61, déc. 17.1.63, Annuaire 6 p. 181). L'étendue de la motivation à donner dépend cependant des circonstances spécifiques, notamment de la nature et de la complexité de l'affaire (N° 5460/72, déc. 2.4.73, Annuaire 16 p. 152). La Commission constate d'abord que les décisions de la cour d'assises quant à la culpabilité et la peine n'étaient pas susceptibles d'un recours sur le fond. La Commission estime en outre que l'exigence de motivation doit s'accommoder de particularités de la procédure devant les cours d'assises où les jurés ne sont pas tenus de - ou ne peuvent pas - motiver leur conviction. La Commission relève qu'en droit belge, le président de la cour d'assises doit, à l'issue des débats, libeller et poser les questions au jury concernant les circonstances de fait de la cause. Dans la position des questions, il appartient au président de caractériser, d'après les débats, les particularités susceptibles de préciser, avec exactitude, les faits incriminés. Si les questions doivent être fondées sur l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises, le président a le pouvoir de poser au jury des questions sur toutes les circonstances modificatives des faits qui ont servi de base à la mise en accusation, dès que ces circonstances ont été discutées au cours des débats. La question principale porte sur les éléments constitutifs de l'infraction, chaque chef d'accusation devant faire l'objet d'une question séparée. Les questions principales peuvent être divisées du moment où la division n'est pas préjudiciable à l'accusé. Elles peuvent aussi être posées sur une forme alternative. Il y a lieu de séparer les faits principaux des autres faits, tels que circonstances aggravantes ou existence de causes de justification ou d'excuse, en posant des questions distinctes sur les unes et les autres. La Commission relève en outre que le ministère public et l'accusé peuvent contester les questions posées et ont la faculté de demander au président de poser au jury une ou plusieurs questions subsidiaires. Elles peuvent, par exemple, dans une affaire de meurtre, demander que soit posée une question relative à des coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. En cas de contestation sur les questions, la cour d'assises doit statuer par arrêt motivé. De l'examen du système belge, la Commission constate que si le jury ne peut répondre que par "oui" ou par "non" aux questions posées par le président, ces questions forment une trame sur laquelle se fonde la décision du jury. La précision de ces questions - dont certaines peuvent être posées à la demande de l'accusation ou de la défense - permettent, de l'avis de la Commission, de compenser adéquatement les réponses laconiques du jury. Cette appréciation se trouve renforcée par le fait que la cour d'assises doit motiver le refus de déférer une question de l'accusation ou de la défense au jury. La Commission se réfère par ailleurs aux constatations faites en l'espèce par la Cour de cassation selon laquelle l'arrêt de la cour d'assises était régulièrement motivé dans la mesure où il se référait aux réponses que le jury avait faites aux questions du président de la cour d'assises, ainsi qu'à la description des faits déclarés établis et aux articles du Code pénal dont il avait été fait application. La Commission constate également que le requérant n'a pas fait valoir qu'il existait des circonstances spécifiques de nature à exiger une motivation adéquate des décisions de la cour d'assises quant à la culpabilité et la peine. La Commission constate qu'en l'espèce, la cour d'assises avait motivé sa décision concernant la détermination de la peine infligée à l'un des coinculpés du requérant, estimant que celui-ci devait bénéficier de circonstances atténuantes en raison de son jeune âge et de l'absence de casier judiciaire. Eu égard à ces circonstances, la Commission conclut que l'examen du grief ne permet de déceler aucune violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4.4. Le requérant fait enfin valoir qu'il n'a pas bénéficié, lors de l'examen des pourvois en cassation qu'il avait introduits contre les arrêts de la cour d'assises des 19 et 30 juin 1989, d'une procédure répondant aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dans la mesure où un membre du ministère public près la Cour de cassation pouvait assister et a assisté au délibéré de cette Cour. En l'état du dossier, la Commission estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement belge par application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, AJOURNE l'examen du grief du requérant relatif à la participation d'un membre du ministère public près la Cour de cassation au délibéré de cette Cour, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Secrétaire adjoint Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 15957/90
Date de la décision : 30/03/1992
Type d'affaire : DECISION (partielle)
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-03-30;15957.90 ?

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