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31/03/1992 | CEDH | N°13136/87

CEDH | P. contre l'ITALIE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13136/87 présentée par P.P contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1992 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS

Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTI...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 13136/87 présentée par P.P contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1992 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 10 avril 1987 par P.P contre l'Italie et enregistrée le 6 août 1987 sous le No de dossier 13136/87 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant, P.P., est un ressortissant italien né en 1929, résidant à Rome. Il affirme agir en son propre nom et au nom de sa soeur Clementina, ressortissante italienne née en 1931. Devant la Commission, il est représenté par Maître Maurizio De Stefano, avocat au barreau de Rome. Les faits de la cause, tels que présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. La soeur du requérant, incapable majeure, a été sous la tutelle de C. du 22 juin 1981 à janvier 1986, après que son frère, G. Della Peruta, ait été relevé de cette charge. Par lettre du 23 mars 1983, C. informa le juge des tutelles de Caserte qu'il était dans l'impossibilité de présenter le compte rendu annuel de gestion du patrimoine de l'incapable. En effet, il n'avait pas été mis en possession des biens de cette dernière et l'administration de ces biens ne lui avait pas encore été attribuée. Le 10 avril 1986, C. présenta une reddition des comptes relative à la gestion des biens de l'incapable, pour l'année 1985. Le 9 juin 1986, le requérant demanda au juge des tutelles ("pretore") de Caserte de destituer C. de sa qualité de tuteur pour cause de négligence (art. 384 du Code civil italien). Il faisait valoir en particulier que ce dernier avait omis de rendre compte de sa gestion de 1981 à 1985. Il sollicita également un nouvel inventaire des biens de l'incapable, la transmission des actes à l'autorité judiciaire compétente en vue du contrôle du décompte présenté par le tuteur précédent et le transfert de la compétence pour l'examen des questions relatives à la tutelle au juge des tutelles de Rome. Le requérant précisa que sa demande valait également mise en jeu de la responsabilité du juge, au cas où celui-ci tarderait à rendre sa décision, en vertu des dispositions de l'article 55 du Code de procédure civile italien (Cpc). Conformément à cet article, une action en responsabilité contre un magistrat ne peut être engagée que si le juge défaillant a été mis en demeure de statuer et ne l'a pas fait dans un délai de dix jours. En juillet 1986, C. démissionna de ses fonctions de tuteur. Dans une lettre du 15 juillet 1986, tout en prenant acte de cette démission, le requérant demanda au juge des tutelles de statuer sur les autres demandes formulées le 9 juin 1986. Le 5 juillet 1986, toutes les parties en présence furent convoquées par le juge des tutelles de Caserte afin d'être entendues sur les différentes questions concernant la tutelle. Le 23 septembre 1986, le requérant demanda au ministre de la Justice l'autorisation d'engager une action en dommages et intérêts contre le juge des tutelles de Caserte qui n'avait pas encore statué sur les demandes présentées le 9 juin 1986. Aux termes de l'article 56 du Cpc, cette autorisation constituait le préalable nécessaire à l'action en responsabilité contre ce juge. Le 1er octobre 1986, le juge des tutelles de Caserte rejeta toutes les demandes formulées par le requérant. Par décret du 12 mai 1987, notifié au requérant entre le 17 juillet et le 20 août 1987, le ministre de la Justice refusa l'autorisation au motif que la demande présentée le 9 juin 1986 ne pouvait constituer en même temps une mise en demeure au sens du dernier alinéa de l'article 55 du Cpc. Il souligna par ailleurs que le juge des tutelles s'était prononcé sur les demandes du requérant le 1er octobre 1986 et que le délai qui s'était écoulé avant qu'il ne statue n'était pas déraisonnable, compte tenu des vacances judiciaires et du fait que le juge n'était pas resté inactif puisqu'il avait convoqué toutes les parties devant lui et les avait entendues le 5 juillet 1986. Entre-temps, en janvier 1987, le juge des tutelles de Caserte avait nommé un nouveau tuteur en la personne de l'avocat X. En septembre et octobre 1987, devant le juge des tutelles, le requérant réitéra certaines demandes formulées le 9 juin 1986. Par ailleurs, il demanda que le nouveau tuteur fût autorisé à se constituer partie civile dans un procès pénal en cours devant le tribunal de Santa Maria Capua Vetere et sollicita les démarches nécessaires en vue d'obtenir une mesure d'apurement immobilier (condono edilizio). Le 1er décembre 1987, le requérant mit le juge des tutelles en demeure de statuer. Le 23 décembre 1987, n'ayant pas obtenu de réponse, il demanda à nouveau au ministre de la Justice l'autorisation d'engager une action en dommages et intérêts contre ce juge. Une enquête fut ouverte par le ministre de la Justice. Dans un rapport du 31 mars 1988, le président du tribunal de Caserte fournit des explications détaillées concernant les mesures adoptées dans cette affaire par le juge des tutelles et conclut qu'aucune omission ne pouvait être reprochée à ce dernier. Par décret du 28 septembre 1988 notifié au requérant le 28 novembre 1988, le ministre décida de ne pas donner suite à la demande d'autorisation au motif que les articles du Cpc relatifs à la responsabilité civile du juge avaient été abrogés, suite à un référendum, par le décret du Président de la République n° 497 du 9 décembre 1987. Ce décret avait pris effet au 8 avril 1988. Les nouvelles dispositions concernant la responsabilité civile des magistrats pour les dommages causés dans l'exercice des fonctions judiciaires, contenues dans la loi du 13 avril 1988, n° 117 - loi n° 117 - sont entrées en vigueur le 16 avril 1988. Il ressort d'un arrêt (n° 468) du 9-22 octobre 1990 rendu par la Cour constitutionnelle que la responsabilité des magistrats concernant les actes dommageables commis dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires découle de l'article 55 du Cpc pour les actes commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 117, mais que les procédures entamées après le 7 avril 1988, date d'effet de l'abrogation des dispositions précédemment en vigueur, sont assujetties aux règles prévues par la loi n° 117 de 1988.
GRIEFS Le requérant se plaint du préjudice matériel subi par lui et sa soeur en raison de l'inertie du juge des tutelles de Caserte et de l'impossibilité d'engager une action contre ce dernier. Il allègue la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention et de l'article 1er du Protocole additionnel.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 10 avril 1987 et enregistrée le 6 août 1987. Le 11 septembre 1990, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement de l'Italie et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien- fondé du grief tiré d'une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention. Le Gouvernement italien a présenté ses observations le 6 décembre 1990. Le requérant a présenté ses observations en réponse le 25 février 1991.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint du rejet, par décret du 12 mai 1987 du ministre de la Justice, de l'autorisation d'engager une action en dommages et intérêts contre le juge des tutelles de Caserte. Il estime qu'un tel rejet constituerait une violation de son droit d'accès à un tribunal. Il invoque les dispositions de l'article 6 (art. 6) de la Convention. L'article 6 (art. 6) de la Convention garantit à toute personne le droit d'accès à un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. La Commission constate que l'action pour laquelle le requérant avait demandé l'autorisation du ministre de la Justice, visait la mise en jeu de la responsabilité civile d'un magistrat à raison du retard injustifié qu'il aurait mis à statuer sur ses demandes. La Commission admet, et cela n'a pas été contesté par les parties, qu'une telle procédure tendait à faire décider d'une "contestation sur des droits et obligations de caractère civil" du requérant et se situe donc dans le champ d'application de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission constate, par ailleurs, que le système en vigueur en droit italien prévoit la responsabilité des magistrats en ce qui concerne les actes de leurs fonctions, pour les cas de dol, fraude ou concussion et lorsque, sans justes motifs, un magistrat omet de statuer sur les demandes des parties ou le fait avec retard. La possibilité d'engager une action civile contre le magistrat est soumise à l'autorisation du ministre de la Justice. Le Gouvernement a soutenu, et se réfère à cet égard à l'arrêt rendu récemment par la Cour constitutionnelle, que ce système d'autorisation avait pour but de vérifier que l'action envisagée n'était pas manifestement mal fondée et se justifiait en vue de préserver l'indépendance des magistrats et l'autonomie de la fonction judiciaire qui pourrait être mise en danger par l'exercice d'actions téméraires et intimidatoires de la part de justiciables mécontents. Le requérant ne met pas en cause la nécessité d'un système de filtrage des actions en responsabilité dirigées contre les magistrats mais soutient que cette fonction ne peut être réservée aux parties ou à l'exécutif, comme le prévoyait le système en vigueur. La Commission est d'avis que l'autorisation telle que prévue par le droit italien a pour but d'assurer le bon fonctionnement de la justice qui pourrait être entravé par l'exercice de la part de justiciables mécontents d'actions en responsabilité contre les magistrats ayant statué dans leurs affaires. Elle considère qu'en lui-même un tel système de filtrage ne revêt pas un caractère arbitraire ou excessif. Elle relève, par ailleurs, qu'en l'espèce la demande d'autorisation du requérant a été rejetée pour deux motifs. Le premier était un motif de forme, le ministre ayant considéré que le requérant n'avait pas formellement mis en demeure le juge d'adopter la mesure demandée conformément à l'article 55 du Cpc et le second de fond, puisqu'après instruction de l'affaire, il s'était avéré que le juge n'était pas resté inactif mais avait convoqué toutes les parties devant lui dans un délai compatible avec les autres obligations qui lui incombaient au sein du tribunal. En conséquence, pour la Commission, le refus du ministre d'autoriser le requérant à engager une action en responsabilité contre le juge des tutelles de Caserte ne revêtait pas, en l'espèce, de caractère arbitraire ou manifestement sans rapport au but poursuivi. Il s'ensuit que les griefs du requérant sont à cet égard manifestement mal fondés et doivent être rejetés conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint ensuite du rejet, par décret du 28 septembre 1988, du ministre de la Justice de sa deuxième demande d'autorisation d'engager une action en responsabilité contre le juge des tutelles de Caserte. Quant au rejet de cette demande, le Gouvernement a tout d'abord excipé du non-épuisement par le requérant des voies de recours internes. Il a fait valoir que le requérant aurait pu attaquer devant le tribunal administratif régional compétent le refus du ministre de la Justice de l'autoriser à engager une action en responsabilité civile contre le magistrat, en se fondant sur les dispositions de l'article 113 de la Constitution italienne qui prévoit qu'un recours est toujours possible contre les actes de l'administration portant préjudice aux droits ou aux intérêts légitimes devant les juridictions ordinaires ou administratives respectivement. Le requérant soutient en réponse que la décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation relève du seul pouvoir discrétionnaire du ministre et échappe, comme telle, au contrôle du juge administratif. D'ailleurs, un tel recours n'est pas expressément prévu par la loi : or, aux termes de l'article 113 de la Constitution, c'est la loi qui prévoit quels sont les organes judiciaires qui peuvent annuler les actes de l'administration dans les cas et avec les effets prévus par la loi. Compte tenu, d'autre part, de la particularité du régime relatif à la responsabilité des magistrats, un recours administratif contre la décision du ministre semble être exclu. En tout cas, le Gouvernement n'a fourni aucune jurisprudence en la matière. Se référant à la jurisprudence de la Cour, notamment, dans l'affaire Brozicek (Cour Eur. D.H., arrêt Brozicek du 19 décembre 1989, série A n° 167, p. 16, par. 32), le requérant estime qu'un tel recours n'était ni accessible, ni adéquat et que le Gouvernement ne saurait exciper à cet égard du non-épuisement des voies de recours internes. La Commission rappelle que l'article 26 (art. 26) de la Convention n'exige l'épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées, et "qu'il incombe à l'Etat défendeur, s'il plaide le non-épuisement des voies de recours internes, de démontrer la réunion de ces diverses conditions" (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Ciulla du 22 février 1989, série A n° 148, p. 15, par. 31). La Commission constate, en l'espèce, que l'exception d'épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement italien en relation à la possibilité d'un recours au tribunal administratif contre le refus d'autorisation du ministre n'est pas expressément prévue par la loi. Par ailleurs, le Gouvernement n'a fait état d'aucune jurisprudence existant à cet égard et fonde son affirmation sur une interprétation possible de dispositions de caractère général à laquelle s'oppose le requérant (cf. Cour Eur. D.H., arrêt De Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, série A n° 77, p. 19, par. 39). A la lumière des arguments des parties, la Commission est d'avis que le recours invoqué par le Gouvernement n'existe pas à un degré suffisant de certitude pour pouvoir être considéré comme étant accessible et effectif. Elle considère que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes doit être rejetée.
3. Le Gouvernement italien a également soutenu que les griefs du requérant sont manifestement mal fondés. Le Gouvernement a soutenu essentiellement qu'une instruction approfondie avait été effectuée quant à la demande d'autorisation présentée par le requérant et qu'aux termes d'une note adressée le 31 mars 1988 au ministère de la Justice, le président du tribunal de Santa Maria Capua Vetere avait indiqué qu'aucun reproche ne pouvait être formulé à l'encontre du magistrat mis en cause. Le requérant soutient quant à lui que le décret du ministre de la Justice n'a pas statué quant au fond sur sa demande mais s'est limité à constater que, compte tenu de l'entrée en vigeur de la loi n° 117 abrogeant le système d'autorisation du ministre, il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande. Il souligne qu'aucune disposition de la loi n° 117 ne règle le sort des demandes d'autorisation présentées alors qu'était en vigueur l'article 56 du Cpc mais qui n'avaient pas encore fait l'objet d'une décision à la date d'abrogation de l'article 56, ce qui était son cas. Il affirme que compte tenu de l'article 19 de la loi n° 117 qui consacre le principe de non-rétroactivité de la loi aux faits survenus avant son entrée en vigueur, principe qui s'étend à la fois au fond et aux règles de procédure, il a été privé de toute possibilité d'accès à un tribunal. La Commission relève que la question de savoir si la décision du ministre de la Justice du 28 septembre 1988 sur la demande d'autorisation présentée par le requérant en vue d'engager des poursuites contre un magistrat, constitue une violation de son droit à ce qu'un tribunal statue sur une contestation sur ses droits et obligations de caractère civil soulève des questions importantes de fait et de droit qui ne sauraient être résolues à ce stade de l'examen de la requête. Elle estime que ces questions doivent faire l'objet d'un examen au fond.
4. Le requérant se plaint également que les délais dans l'examen des demandes présentées au juge des tutelles de Caserte ont porté atteinte au droit de sa soeur au respect de ses biens et à ses propres droits à cet égard. Quant à ce grief, la Commission constate qu'il n'a été étayé par le requérant ni en fait ni en droit et doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE quant au grief tiré par le requérant du refus d'autorisation du ministre de la Justice du 28 septembre 1988, tous moyens de fond réservés. DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Secrétaire de la Commission Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 13136/87
Date de la décision : 31/03/1992
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : P.
Défendeurs : l'ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1992-03-31;13136.87 ?

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